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 Passion, histoire et représentation

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Narkissos

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MessageSujet: Passion, histoire et représentation   Passion, histoire et représentation Icon_minitime14.02.15 14:38

Ô Galates stupides, qui vous a ensorcelés, vous (tous) aux yeux de qui Jésus (le) Christ a été montré crucifié ? (Galates 3,1).

C'est une énième discussion (hors ce forum) sur le thème du "Jésus historique" (longuement évoqué ici même et ailleurs) qui me ramène à ce verset, et plus précisément à ce verbe que j'ai traduit, faiblement et provisoirement, par "montrer".

Je ne reviens pas ici sur l'interminable débat concernant l'historicité de Jésus, dont la crucifixion constituerait en quelque sorte le "noyau dur" (comme d'ailleurs le récit de la Passion-résurrection constitue, au plan littéraire et narratif, le point de convergence des évangiles canoniques, vers lequel l'organisation de chacun et la confrontation des quatre tendent à se rassembler, sans pourtant parvenir à s'y fondre en un scénario tout à fait cohérent). Ni sur le contexte général et bien connu de l'épître aux Galates (la charge la plus violente contre la loi, menée tambour battant par un "Paul" qui commence à ressembler très fort à "Marcion"). Peut-être est-il cependant utile de rappeler ce qui précède immédiatement (et qui s'oublie facilement à cause du changement de chapitre dans les bibles modernes): après le récit du conflit avec Céphas et Barnabé sur la communion de table entre circoncis et incirconcis (2,11-14) et l'argument sur l'impossibilité d'un retour à la loi qui serait un aveu de transgression (v. 15-18), arrive ceci (v. 19ss): Moi, par la loi je suis mort à la loi, afin de vivre à Dieu; je suis crucifié-avec (le) Christ: ce n'est plus moi qui vis, c'est (le) Christ qui vit en moi. Ce que je vis maintenant dans la chair, je le vis dans la foi du Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré lui-même pour moi. Je ne rejette pas la grâce de Dieu; car s'il y a justice par la loi, alors (le) Christ est mort pour rien. Ô Galates stupides, qui vous a ensorcelés... Et ce qui suit, à savoir un appel à l'expérience: ... vous aux yeux de qui le Christ a été montré crucifié ? Voici seulement ce que je veux apprendre de vous: est-ce par des œuvres de loi que vous avez reçu l'esprit, ou par l'écoute de la foi ? Êtes-vous stupides à ce point, de (penser) achever par la chair ce que vous avez commencé par l'esprit ? Avez-vous tant souffert-expérimenté (épathéte) en vain ? si seulement c'est/c'était en vain ! Celui qui vous communique l'esprit et opère des miracles (puissances) en/parmi vous, (le fait-il) par les œuvres de la loi ou l'écoute de la foi ?

J'en reviens à mon verbe, celui que j'ai traduit, sous réserve, par "montrer". En grec c'est pro-graphô, qu'on pourrait à la lettre transposer en français "prescrire" (la Vulgate le rend d'ailleurs littéralement, praescriptus est), en distinguant bien le pré- et l'-é(s)crire. Il peut évoquer "ce qu'on a écrit avant" (cf. Ephésiens 3,3), "ce qui a été écrit d'avance" (cf. Romains 15,4), ce qui est (d'avance) "prescrit" ou "prédestiné" (comme les "faux docteurs" au "jugement", Jude 4), si l'on pense le pro- ou le pré- comme préfixe de l'antériorité temporelle, de la pré-cédence; mais on peut également l'entendre au sens spatial de l'ap-proche, de la pro-duction ou de la pré-sentation (amener devant, mettre en avant), et c'est généralement ce sens qui est retenu dans notre passage. Ainsi le verbe est couramment utilisé pour la publication d'un décret, porté par écrit à la connaissance de tous, par affichage sur la voie publique. Mais les traductions optent souvent ici pour un sens plus rare et plus précis, à cause de la formule qui l'accompagne (à / sous vos yeux, avec éventuellement la nuance distributive de la préposition kata: sous vos yeux à chacun, à tous): graphô signifie en effet non seulement l'écriture au sens strict, mais aussi ce que nous appellerions les "arts graphiques" ou "plastiques": peinture, sculpture, (re-)présentation visuelle en général. C'est une image (au moins "mentale") du Christ crucifié qui aurait été présentée ou exposée aux yeux de ces Galates (qui n'étaient évidemment pas des "témoins oculaires" d'une crucifixion historique en Judée) par "l'écoute" de l'évangile. Et c'est cette (re-)présentation et sa contemplation qui auraient déterminé chez eux l'expérience-souffrance de la foi et tout ce qui s'ensuit (esprit, miracles).

Qu'on retienne ou non cette idée (trop ?) précise du verbe, il n'en est pas moins vrai que l'évangile, sous sa forme verbale (kérygme = "message" paulinien ou apostolique en général) ou écrite (les évangiles), indique, montre, re-présente avec une forte insistance visuelle ("graphic", dirait-on en anglais dans un sens aujourd'hui proche de notre mot "obscène") la scène de la crucifixion -- même s'il reste très en-deçà des représentations sanguinolentes de l'art chrétien médiéval et a fortiori moderne, c'est bien dans cette direction qu'il s'engage. La crucifixion de Jésus n'est pas cachée par un quelconque embarras, elle est au contraire mise en évidence et en scène, en dépit ou à cause de l'horreur qui s'attache à cette "mort maudite" aux yeux des juifs (v. 13), "pire des morts" aux yeux d'à peu près tout le monde (de Cicéron à Josèphe). Cette expérience-souffrance visible, spectaculaire (et en même temps spectacle quasi-quotidien au Ier siècle: plus de 500 crucifixions par jour devant les remparts de Jérusalem à un certain moment du siège, selon Josèphe), voilà l'insoutenable qu'il faudrait précisément regarder en face; ce qui ne se pourrait sans participation sensible, sans com-passion au sens le plus fort du terme.

Je passe rapidement sur les conséquences éventuelles de ce point dans le débat concernant l'historicité de Jésus. Le "critère d'embarras" retenu par la quasi-totalité des historiens, sur la base d'une psychologie sommaire (les "disciples" n'auraient pas "inventé" la crucifixion de leur "maître" -- ce qui donne déjà la priorité à la relation "maître-disciple" des évangiles par rapport à la relation mystérique au Christ céleste des épîtres pauliniennes, pourtant généralement reconnues comme antérieures), me semble ici au moins mis en question, même s'il n'est pas réfuté pour autant (on peut certes se faire une "fierté" idéologique d'un embarras historique initial, et l'arborer crânement comme telle: les exemples ne manquent pas).

Il me paraît plus intéressant de réfléchir sur les concepts mêmes d'histoire et d'événement. Ce que le mode narratif dit "historique" capte et retient d'un "événement" (des noms de personnes et de lieux, des dates et d'autres chiffres, des enchaînements de causes et d'effets et des concours de circonstances) passe toujours à côté de la matière, de l'essence ou de la substance mêmes de l'"événement"; celles-ci requièrent, pour se montrer ou se manifester, un autre type de récit et de (re-)présentation (graphique, plastique, dramatique, littéraire, aujourd'hui cinématographique), où l'expérience-souffrance sensible (pathos) de l'auditeur-spectateur-lecteur est autrement sollicitée et impliquée. Ce qui fait ici l'"événement", ce n'est pas qu'il est unique (il l'est sans doute à chaque fois), c'est au contraire qu'il est "répétable", "itérable": mémor(is)able, racontable, représentable, réinscriptible, et dès lors aussi imitable et ré-inventable. La crucifixion est indiscutablement un fait historique du Ier siècle, à des dizaines de milliers d'exemplaires; mais ce n'est pas par des chiffres et des dates, c'est par la représentation d'un "cas particulier" que son caractère réel devient visible et sensible à l'attention, dégageant des possibilités d'expérience -- c.-à-d. d'événement et d'histoire -- insoupçonnées.

Je parlais (ailleurs) du "crucifié inconnu" comme on parle du "soldat inconnu". Celui-ci représente une expérience-souffrance qui dans un sens le dépasse infiniment, et en même temps il la représente parfaitement parce qu'il y a en lui l'articulation du "réel", du "symbolique" et de l'"imaginaire", comme dirait Lacan (c'est un vrai mort, un drame infini parce qu'incommensurable parmi des millions d'autres, et c'est ainsi qu'on se l'imaginerait quand même son tombeau serait vide; et c'est parce qu'on ne sait rien de lui qu'il peut re-présenter, et lui-même et autre chose que lui-même). Devant celui-là le passant (quelquefois) s'arrête: pour celui-là et pour tous les autres à la fois, et en même temps pour lui-même. Là les questions "abstraites" ou "théoriques" (la guerre, la violence, la nation, l'humanité, l'individu, la vie, la mort) se re-posent à lui de façon étonnamment concrète et sensible. Moralité: c'est par l'art et l'artifice de la représentation, même fictive, là où le "spectacle" est lui-même expérience-souffrance, bien plus que par un compte rendu si factuel et exact soit-il, que l'on touche à la vérité de l'événement et donc de l'histoire (au sens du moins que Heidegger donne à la Geschichte en l'opposant à l'Historie: ce qui effectivement arrive).
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MessageSujet: Re: Passion, histoire et représentation   Passion, histoire et représentation Icon_minitime16.02.15 11:09

Si je comprends ce que tu expliques, on aurait utilisé le fait de nombreuses crucifixions exécutées au 1er siècle, pour monter de toute pièce celle de Jésus.
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Narkissos

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MessageSujet: Re: Passion, histoire et représentation   Passion, histoire et représentation Icon_minitime16.02.15 11:57

C'est en effet à mes yeux une possibilité, même si ce n'est pas la plus probable; à condition toutefois de ne pas imaginer ce "monter de toutes pièces" comme une élaboration savante et délibérée d'un "on" plus ou moins machiavélique. Le fait est que tous les jours et dans tous les milieux des histoires se forment, se déforment et se transforment, se donnent et se transmettent pour des histoires vraies le plus sincèrement du monde, et qu'en elles d'ailleurs il y a toujours de l'histoire vraie, dé-composée et re-composée sans rien perdre de sa vérité, de telle sorte au contraire que celle-ci s'y montre davantage. Mais ce que je voulais surtout souligner, c'est que c'est précisément par la médiation de telles histoires (même quand elles sont "basées sur une histoire vraie"), et par ce qu'il y a de plus artificiel et de plus factice en elles, que l'on rejoint l'essence ou la vérité de l'histoire, de l'événement, du fait, du réel: ce dont effectivement tout cela est fait. Une fiction sur un personnage historique (ce qu'on appelle au cinéma un "biopic") nous touchera beaucoup plus qu'une biographie strictement factuelle, si elle est réussie elle nous le fera mieux comprendre, aussi grâce à ce qu'elle invente. Et une fiction pure parviendra souvent mieux à nous confronter à la réalité "existentielle" de la souffrance, de la vie et de la mort, qu'un reportage sur une catastrophe réelle, avec date, lieux et chiffres à l'appui, dans le journal télévisé. Ainsi (nous) sommes-nous faits que notre rapport à la vérité passe obligatoirement par la fiction.
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MessageSujet: Re: Passion, histoire et représentation   Passion, histoire et représentation Icon_minitime16.02.15 16:34

Citation :
Mais les traductions optent souvent ici pour un sens plus rare et plus précis, à cause de la formule qui l'accompagne (à / sous vos yeux, avec éventuellement la nuance distributive de la préposition kata: sous vos yeux à chacun, à tous): graphô signifie en effet non seulement l'écriture au sens strict, mais aussi ce que nous appellerions les "arts graphiques" ou "plastiques": peinture, sculpture, (re-)présentation visuelle en général. C'est une image (au moins "mentale") du Christ crucifié qui aurait été présentée ou exposée aux yeux de ces Galates (qui n'étaient évidemment pas des "témoins oculaires" d'une crucifixion historique en Judée) par "l'écoute" de l'évangile. Et c'est cette (re-)présentation et sa contemplation qui auraient déterminé chez eux l'expérience-souffrance de la foi et tout ce qui s'ensuit (esprit, miracles).

Ton analyse me fait penser au texte de Col 2,14-15 :

"il a effacé l'acte rédigé contre nous en vertu des prescriptions légales, acte qui nous était contraire ; il l'a enlevé en le clouant à la croix ; Sil a dépouillé les principats et les autorités, et il les a publiquement livrés en spectacle, en les entraînant dans son triomphe"

La crucifixion a donc été mise en "spectacle" ou "publiquement livrés en spectacle" afin d'être enrichi d'un sens cosmique.
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MessageSujet: Re: Passion, histoire et représentation   Passion, histoire et représentation Icon_minitime16.02.15 17:01

Narkissos a écrit:
C'est en effet à mes yeux une possibilité, même si ce n'est pas la plus probable; à condition toutefois de ne pas imaginer ce "monter de toutes pièces" comme une élaboration savante et délibérée d'un "on" plus ou moins machiavélique.

Quelle serait la solution la plus probable?
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MessageSujet: Re: Passion, histoire et représentation   Passion, histoire et représentation Icon_minitime16.02.15 18:16

@ free: ce qui me paraît tout à fait remarquable dans cette christologie paulinienne et deutéro-paulinienne, c'est que le crucifié, c'est toujours le Christ sous l'aspect ou l'apparence (docétisme, mise en scène là aussi) de la "chair" (Romains 8,3; cf. 2 Corinthiens 13,4), de l'"homme" (Philippiens 2,5ss), du "péché" (Romains 6,10; 2 Corinthiens 5,21), de la "malédiction" (Galates 3,13) ou de la "condamnation" de la "loi" (Colossiens-Ephésiens mais déjà Romains 7,4; Galates 2,19); et que le "spectacle" de la crucifixion (voire cruci-fiction comme tu l'écris !), selon un schème qui fera florès dans la "gnose", et par contrecoup passera à l'arrière-plan dans l'"orthodoxie", c'est avant tout un tour de passe-passe et un jeu de dupes, où les puissances cosmiques responsables de l'ordre (désordre, mésordre, dirait un théologien) du "monde" et de la "loi", croyant exercer légitimement leur empire en exécutant comme transgresseur un de leurs sujets, perdent cet empire parce qu'elles ont affaire en ce crucifié, incognito, à quelqu'un qui ne relève pas de leur juridiction, à un plus "fort" ou plus originaire qu'elles (cf. déjà 1 Corinthiens 2,6ss). Parce que c'est le Fils de Dieu qu'elles ont condamné sans le reconnaître, sous le leurre de la chair, elles se sont condamnées elles-mêmes et leur pouvoir perd dès lors toute apparence (ou illusion) de légitimité et d'autonomie. La crucifixion sous ce rapport est un gag cosmique, littéralement subversif -- on pourrait dire an-archique si tout cela n'aboutissait pas à la soumission à l'archè suprême du Christ céleste ou spirituel; c'est au moins le moment an-archique du scénario -- où tous les "principes" (arkhai) qui pouvaient passer pour fonder et justifier l'ordre du monde se ridiculisent.

(On est en tout cas dans un système d'"explication" de la crucifixion de Jésus qui n'a pas grand-chose à voir avec nos catéchismes habituels.)

P.S.: le plus étonnant peut-être, pour des modernes, dans un tel scénario, c'est la confiance "ontologique" (dans l'être, dans l'essence, dans l'id-entité) dont il témoigne: pour se livrer à un tel travestissement jusqu'au bout, sans poser le masque, il ne fau(drai)t pas douter de ce qu'on est, de la vérité de ce qu'on est, et de la vertu ou puissance de cette vérité en dernière instance. Et c'est bien ainsi, paradoxalement, que la "révélation" fonctionne: seul "Dieu", voire plus originaire que "Dieu", pourrait à ce point se faire passer pour son contraire et ainsi se révéler pour ce qu'il est.

@ lct: "la solution la plus probable" aux yeux de la quasi-totalité des historiens, c'est encore que le thème de la crucifixion dans le christianisme se rattache bien à la mémoire d'un crucifié particulier, en Judée sous Ponce Pilate; un "Jésus historique" donc, dont on saurait plus ou moins de choses selon l'appréciation de la valeur historique des textes (chrétiens) par les uns et les autres. C'est le schéma classique qui à mon sens n'est pas sans difficulté -- la principale étant peut-être d'expliquer, sans "miracle", la diffusion et l'implantation d'un culte de Jésus-crucifié en quelques années dans toute la diaspora juive, jusqu'en Europe; elle s'allégerait un peu si l'on renonçait à la datation traditionnelle (très fragile puisqu'elle repose sur les Actes, dont on sait pertinemment qu'ils ne sont pas historiquement fiables) des épîtres de Paul qui le présupposent (mais cela, les mêmes historiens ne s'y risquent pas, puisque sur ce sujet les biblistes eux-mêmes en restent pour la plupart à la récitation).
(Si l'on devait poursuivre sur ce sujet, je préférerais qu'on le fasse dans l'autre fil: https://etrechretien.1fr1.net/t311-le-jesus-historique )
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MessageSujet: Re: Passion, histoire et représentation   Passion, histoire et représentation Icon_minitime18.10.23 9:04

En premier lieu, prêcher l'Évangile, c'est annoncer la croix. (pages 450/451)

Certes, il faut y ajouter la résurrection (1.1 ;2.19-20). Certes, prêcher l'Évangile, c'est aussi dire que Jésus est né d'une femme, qu'il est né sous la loi (4.4). Mais l'essence même de l'Évangile, c'est l'annonce de Christ crucifié.

En deuxième lieu, prêcher t'Evangile, c'est dépeindre la croix. Paul emploie le verbe prographô qui signifie généralement "écrire d'avance", comme en Ep 3.3 ("je viens de l'écrire"); mais le verbe graphó peut aussi avoir le sens d'"écrire" ou de "dessiner", et le préfixe pro- peut revêtir une connotation d'espace ("devant") plutôt que de temps ("avant"). Dans ces versets, Paul compare donc sa proclamation de l'Évangile soit à un vaste tableau qu'il aurait brossé, soit à un grand panneau d'information. Sur l'un, Christ aurait été peint crucifié, sur l'autre il aurait été annoncé crucifié. Paul n'a évidemment pas manié le pinceau, ni mélangé de couleurs. Mais les mots, sans doute choisis avec un soin particulier, n'ont pas manqué de faire surgir dans l'esprit de ses auditeurs la scène de la crucifixion. C'est pourquoi l'apôtre assimile sa présentation de Christ à un portrait exécuté devant leurs yeux. L évangélisation est un art qui consiste à amener les auditeurs du stade de l'écoute à celui de la vue, de sorte qu'ils puissent voir ce dont parle l'évangéliste.

En troisième lieu, prêcher L'Évangile, c'est dépeindre la croix comme une réalité présente une quinzaine d'années s'était écoulée entre la crucifixion et le tableau que Paul en a fait. Pour nous, cet intervalle se monte maintenant à près de deux mille ans. Mais Paul cherchait dans sa prédication à actualiser l'événement. Par le ministère de la parole et le rappel des sacrements, les événements du passé peuvent devenir des réalités présentes face auxquelles les auditeurs doivent se déterminer. Il est à peu près certain qu'aucun des lecteurs de Paul n'avait assisté à la crucifixion de Jésus; mais par sa prédication, l'apôtre l'avait fait revivre de telle sorte qu'ils se la représentaient parfaitement et qu'ils se sentaient interpellés. À eux alors de l'accepter ou de la rejeter.

En quatrième lieu, prêcher l'Évangile, c'est dépeindre la croix comme une réalité présente et permanente. Comme Paul, il nous appartient de dépeindre aux yeux de nos contemporains non seulement Christos staurotheis (à l'aoriste), mais Christos estauromenos (au parfait) Shocked . En employant ce temps, Paul voulait davantage insister sur l'efficacité, la puissance et les bienfaits permanents de la croix que sur son caractère historique du passé. La croix ne cessera jamais d'être la puissance de Dieu pour le salut de ceux qui croient.

https://www.epfl.ch/campus/spiritual-care/wp-content/uploads/2018/10/Stott_concl.pdf
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MessageSujet: Re: Passion, histoire et représentation   Passion, histoire et représentation Icon_minitime18.10.23 10:04

J'ai beaucoup entendu citer et mentionner John Stott lors de mon passage chez les "évangéliques", vers la fin des années 1980: c'était une figure de proue des "évangéliques modérés", qui me semblait plutôt sympathique même si je ne l'ai jamais vraiment lu. Si je ne confonds pas avec quelqu'un d'autre, il me semble qu'il avait été un peu critiqué sur la fin (fin en ce qui me concerne, dans les années 1990) par une certaine "orthodoxie évangélique" (Blocher, par qui j'en avais entendu parler à une époque où je ne fréquentais plus beaucoup d'"évangéliques") parce qu'il aurait lâché du lest sur la doctrine de l'enfer, se rapprochant d'un "conditionnalisme" façon adventiste (la vie ou la mort, mais pas les "tourments éternels").

Je ne reviens pas sur le problème exégétique de pro-graphô (l'image, c'est le cas de le dire, de la représentation graphique ou picturale est possible, elle n'est pas sûre) qui a été exposé (ce serait encore le cas de le dire) dans le post initial. Stott choisit de développer l'image (de l'image) dans un sens maximaliste, c'est une option tout à fait légitime pour un prédicateur mais pour l'exégète ça ne tranche rien... A mon sens tout sens possible, même s'il n'est pas certain ni même probable, mérite d'être entendu, ou dans le cas présent, contemplé, avec attention.

Quant au participe parfait estaurômenos, son temps ou son aspect s'impose logiquement, surtout si l'on prend le verbe prographô au sens "graphique": ce qui serait dépeint c'est un tableau fixe, immobile, une situation, à la rigueur une scène dramatique qui jouée dans le temps ne pourrait qu'être rejouée comme un cycle, en boucle (cf. l'évangile selon Marc dont la fin renvoie au commencement). On peut repenser à la formule ambiguë de l'Apocalypse sur "l'agneau immolé/égorgé (esphagmenou, autre verbe mais encore au participe parfait passif) depuis la fondation du monde", où on ne sait pas trop si c'est l'agneau qui est immolé ou les noms inscrits dans le livre depuis la fondation du monde; c'est aussi "graphique"...
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MessageSujet: Re: Passion, histoire et représentation   Passion, histoire et représentation Icon_minitime18.10.23 10:39

Citation :
J'en reviens à mon verbe, celui que j'ai traduit, sous réserve, par "montrer". En grec c'est pro-graphô, qu'on pourrait à la lettre transposer en français "prescrire" (la Vulgate le rend d'ailleurs littéralement, praescriptus est), en distinguant bien le pré- et l'-é(s)crire. Il peut évoquer "ce qu'on a écrit avant" (cf. Ephésiens 3,3), "ce qui a été écrit d'avance" (cf. Romains 15,4), ce qui est (d'avance) "prescrit" ou "prédestiné" (comme les "faux docteurs" au "jugement", Jude 4), si l'on pense le pro- ou le pré- comme préfixe de l'antériorité temporelle, de la pré-cédence; mais on peut également l'entendre au sens spatial de l'ap-proche, de la pro-duction ou de la pré-sentation (amener devant, mettre en avant), et c'est généralement ce sens qui est retenu dans notre passage. Ainsi le verbe est couramment utilisé pour la publication d'un décret, porté par écrit à la connaissance de tous, par affichage sur la voie publique. Mais les traductions optent souvent ici pour un sens plus rare et plus précis, à cause de la formule qui l'accompagne (à / sous vos yeux, avec éventuellement la nuance distributive de la préposition kata: sous vos yeux à chacun, à tous): graphô signifie en effet non seulement l'écriture au sens strict, mais aussi ce que nous appellerions les "arts graphiques" ou "plastiques": peinture, sculpture, (re-)présentation visuelle en général. C'est une image (au moins "mentale") du Christ crucifié qui aurait été présentée ou exposée aux yeux de ces Galates (qui n'étaient évidemment pas des "témoins oculaires" d'une crucifixion historique en Judée) par "l'écoute" de l'évangile. Et c'est cette (re-)présentation et sa contemplation qui auraient déterminé chez eux l'expérience-souffrance de la foi et tout ce qui s'ensuit (esprit, miracles).

Paul n'a pas assisté à la crucifixion de Jésus, c'est un double effort mental qu'il a dû réaliser pour d'abord imaginer cette scène de la crucifixion et ensuite pour offrir cette présentation visuelle aux Galates. Imaginer une scène à la quelle on pas assistée peut donner plus de force à nos convictions. La crucifixion pour Paul est une expérience intérieure : Ga 2,19-20 : « Je suis crucifié avec le Christ; et ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi; et ma vie présente dans la chair, je la vis dans une foi, celle du Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi »

La fiction est parfois plus forte que la réalité.
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MessageSujet: Re: Passion, histoire et représentation   Passion, histoire et représentation Icon_minitime18.10.23 12:21

Je ne sais pas si c'est un "effort", les images "fortes" ou "dures", qu'elles soient verbales, écrites ou peintes, photographiées, filmées, "s'impriment" ou "se gravent" d'elles-mêmes, comme on dit, et ce ne sont pas les métaphores graphiques qui manquent, depuis le sceau ou le stylet sur l'argile ou la cire. Par rapport à ce processus d'intériorisation mémorielle (comme dit si bien l'allemand, Er-innerung) le "sujet" ou "support" est plutôt passif, comme le crucifié. Même si l'im-pression s'ex-prime, verbalement, graphiquement, photo- ou cinémato-graphiquement, dramatiquement, et ainsi se reproduit d'un "sujet" à l'autre. Mais en effet à cet égard une mémoire "réelle" ne se distingue guère de la "fiction" (fingo, c'est aussi façonner en touchant, dans tous les sens de ces termes).

Il y a un autre texte un peu obscur, habituellement classé "deutéro-paulinien", qui mériterait d'être comparé à Galates 3,1, même s'il a l'air de parler de tout autre chose, parce qu'on y retrouve un rapprochement similaire du "graphique" et de la "croix", c'est Colossiens 2,14 (réécrit un peu différemment en Ephésiens 2,15): "Il a effacé le manu-scrit (kheiro-graphon) aux décrets (dogmasin) [qui était] contre nous (kath'èmôn) et qui nous était opposé (ho èn upenantion hèmin), il l'a soulevé du milieu (auto èrken ek tou mesou) en le clouant à la croix." Qu'on prenne "le manuscrit" au sens de "la loi" (comme le fait plus clairement Ephésiens), d'un acte d'accusation ou de condamnation, ou encore d'une reconnaissance de dette (I.O.U., I owe you), on aboutit à cette curiosité que c'est un écrit ou un graphe qui est crucifié par un Christ aussi crucifiant que crucifié (si du moins le sujet de la longue période ne s'est pas perdu en route). -- Je constate après coup que tu y avais déjà pensé, supra 16.2.2015, mais en insistant davantage sur le verset suivant, les "autorités" montrées en spectacle (deigmatizô en parrèsia) comme des vaincus dans le "triomphe" à la romaine: on ne lésine pas sur la profusion et le télescopage des métaphores, ni sur la permutation des sujets; en Galates 6,14 c'est carrément "le monde" (kosmos) qui est crucifié (parfait) pour moi et moi pour le monde...
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MessageSujet: Re: Passion, histoire et représentation   Passion, histoire et représentation Icon_minitime18.10.23 14:54

Toucher la plaie. Tactilité de la visualité chrétienne de L’Incrédulité de Saint Thomas du Caravage à Mourir comme un homme de Joao Pedro Rodrigues

1« Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n’enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n’enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas. » (Jn, 20-25). Pour croire l’incroyable, l’apôtre Thomas demande une preuve ; cette preuve, Jésus la lui présente en personne, en lui offrant de constater les stigmates de sa crucifixion : « Avance ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d’être incrédule » (Jn, 20-27). Thomas obéit et reconnaît son Seigneur, qui prononce alors son ultime maxime : « Parce que tu m’as vu, tu as cru ; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru ». (Jn, 20-29).

2La preuve que réclame Thomas pour croire en la résurrection du Christ, le visible seul ne pouvait la lui donner. Thomas a besoin de toucher : il a besoin de la matérialité d’un contact, de la profondeur d’une pénétration. Pourtant, la sentence générale qu’en tire le Christ réduit le geste tactile de Thomas à un acte de vision. Il y a là l’indice d’une confusion, d’un recouvrement du toucher par le voir dans la pensée chrétienne : le tangible n’est pas séparé du visible, il est comme sa promesse. La visualité chrétienne est une haptologie ou un continuisme, au sens derridien1 : seule est pleine, accomplie et certaine la vision qui débouche sur le contact. Voir est tendu vers le toucher, et ce jusqu’à leur indifférenciation : l’ordre christique « Avance ton doigt ici et regarde mes mains » semble être l’invitation à un regard digital, à une vision manuelle.

3Cette croyance en la tactilité du visible n’est pas séparable d’une pensée de la chair. Toucher le corps du Christ, pour Thomas, c’est confirmer la présence corporelle que la vision induit mais ne certifie pas : c’est dissiper le soupçon d’un mirage. Ce fut d’ailleurs le grand combat théologique d’un des premiers Pères de l’Église chrétienne, Tertullien, que de lutter contre les hérésies gnostiques qui faisaient de Jésus un corps éthéré - un non-corps de nature spirituelle ou de naissance astrale2 - pour faire du christianisme la religion de l’incarnation qui oppose aux images parfaites des dieux grecs et à la Face invisible de Yahvé un Dieu de chair et de sang, né des entrailles d’une femme et mort dans la souffrance. La chair est cette profondeur matérielle et sensible qui vient doubler l’image du corps ; elle est cette réalité que je peux toucher, au double sens du mot : un corps physique sur lequel je peux mettre la main, et une vie que je peux émouvoir. Toucher, ce peut être caresser, pénétrer ou blesser.

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Fig. 1 : L’incrédulité de Saint Thomas, Le Caravage (vers 1602

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MessageSujet: Re: Passion, histoire et représentation   Passion, histoire et représentation Icon_minitime18.10.23 15:49

Je constate, avec une ironie un peu amère, que le "gnosticisme" ou le "docétisme" servent toujours d'épouvantail ou de repoussoir, avec la même méconnaissance de ce dont il est question, à des "positions" aussi opposées a priori que l'"orthodoxie" religieuse (catholique ou protestante, conservatrice ou réactionnaire) et l'avant-garde autoproclamée du transhumanisme transsexuel et transgenre... un peu comme le Christ lucanien qui réconcilie Hérode et Pilate.

Mais cela ne m'empêche pas d'apprécier cet article, très sensible et tactile, en plus d'un sens; et ses références au toucher dans le dialogue Derrida-Nancy me touchent au plus haut point. Le "toucher" c'est d'ailleurs en un sens la limite des sens, celle où le sensible bascule dans le non-sens -- là où la "chair", à l'extrême pointe du tactile et du comestible, ne sert plus à rien, ouk ôphelei ouden, comme l'avoue au bout du compte la fin de la sarcologie paroxystique de Jean 6...
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MessageSujet: Re: Passion, histoire et représentation   Passion, histoire et représentation Icon_minitime19.10.23 10:12

Le corps du Christ dans le Christos paschôn : imaginaire tragique, imaginaire chrétien

Le corps du Christ, corps tragique

12« Le spectacle tragique est fondamentalement le spectacle de la mort et de l’homme devant la mort, sa propre mort, la mort des autres » rappelle B. Deforge en introduction de l’ouvrage dans lequel il démontre que, contrairement à une opinion trop répandue, il n’y a dans la tragédie grecque aucun « tabou » de la mort, mais qu’au contraire directement, ou indirectement par le « récit de mort », la monstration de la mort et du cadavre y est essentielle. B. Deforge rappelle ensuite la position très claire d’Aristote : « L’événement pathétique est une action qui fait périr ou souffrir, par exemple les agonies exposées sur la scène, les douleurs cuisantes et blessures et tous autres faits de ce genre ».

13On voit d’emblée combien le récit des Évangélistes constitue une matière tragique en soi. Mais l’auteur du centon a mis en œuvre une dramatisation de ce récit qui est en partie « légendaire », selon l’expression fort juste de V. Cottas. Ce chercheur relève que les épisodes principaux du drame sont constitués d’éléments absents des quatre récits canoniques de la passion ou qui y sont à peine indiqués. L’élément le plus original et témoignant de la créativité de l’auteur est le choix du personnage principal : les événements tragiques sont vus et vécus par la mère du supplicié, évoquée nommément dans l’Évangile de Jean seulement – et avec une très grande discrétion – parmi les femmes proches de Jésus qui se tiennent auprès de la croix.

14Le choix de cette optique pour mettre en scène les étapes d’une mort attendue, annoncée, prophétisée, et l’effacement scénique relatif – certainement inspiré par la piété – de la figure même du Christ, dont, en revanche, le corps souffrant, puis mort et enfin ressuscité, est au centre de l’œuvre, expliquent l’importance des notations corporelles dans ce drame, notations affectées d’une signification qui, au-delà de l’héritage tragique, est théologique.

15Le Christ, à qui le poète donne trois fois la parole (pour deux brefs dialogues avec sa mère, au moment de sa mort et après sa résurrection, et pour une adresse à ses disciples après sa résurrection), ne figure pas parmi les personnages du drame énumérés dans la liste incomplète – à la manière d’Euripide – de la préface ; dans le cas du Christ toutefois, l’abstention ne peut s’expliquer par l’omission volontaire d’un personnage secondaire, mais seulement par le fait que le Christ n’est pas un personnage au sens dramatique du terme, mais un objet de contemplation.

18Ce consentement du Christ est présenté comme la donnée fondamentale et le drame se concentre donc uniquement sur la réalité visible, objective de sa souffrance et de sa mort. Aussi le vocabulaire de la vue est-il omniprésent dans la première partie du drame, donnant à sa personne physique un extraordinaire relief pathétique qui permet au poète chrétien le réemploi heureux de formules tragiques. Le corps du Christ en effet porte le poids de son humanité37 : comme celui de tous les hommes, il est porteur de son identité, de sa beauté, il est l’instrument des échanges entre personnes et le lieu sur lequel s’abattent la souffrance et la mort.

https://journals.openedition.org/kentron/1978
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MessageSujet: Re: Passion, histoire et représentation   Passion, histoire et représentation Icon_minitime19.10.23 12:27

Merci pour cette étude en plus d'un sens passionnante, sur un sujet dont j'ignorais jusqu'à l'existence, un "centon" ou kentrôn attribué à Grégoire de Nazianze (donc du IVe siècle si, comme le croit l'auteur[e], l'attribution est authentique, médiéval et byzantin dans le cas contraire), sorte de pastiche chrétien d'Euripide appliqué au récit de la Passion. En plus d'être instructif c'est très beau.

Bien sûr il y a une affinité profonde entre la littérature grecque, de la mythologie et de l'épopée au théâtre ou à la poésie lyrique, en particulier avec l'évolution souvent commentée (voire caricaturée) du tragique d'Eschyle à Euripide (point de vue de plus en plus "humain", pathétique, sentimental, etc.), et nos "évangiles" qui en font après tout partie, fût-ce comme des rameaux ou des rejetons très tardifs, (post- et judéo-)hellénistiques d'époque romaine. Et déjà les évangiles (canoniques, pour commencer) sont essentiellement des "monstrations" verbales, narratives et descriptives, du crucifié, centrées sur la "Passion": c'est à l'évidence le cas chez Marc, et il en reste quelque chose chez tous les autres, même s'ils s'écartent plus ou moins radicalement ou consciemment (emblématiquement "Jean") de ce modèle. Le théâtre n'est jamais loin, la peinture, la musique (oratorio, opéra) et le cinéma non plus.

Du point de vue philosophique et théologique, naturellement, la pensée porte les traces des développements de l'époque hellénistique et romaine, notamment stoïciennes, épicuriennes et néo-platoniciennes: que la "passion" débouche sur l'"impassibilité", le "pathos" sur l'"apathie" (cf. § 19ss), l'"esthétique" (au sens de sensibilité) sur une certaine "anesthésie", tout cela s'inscrit dans un mouvement beaucoup plus large qui inclurait aussi le bouddhisme -- malgré des différences essentielles, en particulier que la tradition tragique et chrétienne requiert un paroxysme de pathos, ou de représentation pathétique, dont le bouddhisme se passe (voir éventuellement encore ici).

A propos de Galates (notre texte de départ), on peut noter que le mot sôma ("corps") qui jouait un rôle si important dans la correspondance corinthienne y a quasiment disparu, à l'exception du "corps" de l'apôtre (6,17); il va revenir sur le devant de la scène, quoique d'une façon assez différente, dans les "deutéro-pauliniennes" (Colossiens-Ephésiens) -- où le "corps"-monde ou Eglise, dont le Christ ressuscité est désormais la tête et non plus le tout, apparaît de moins en moins visible, sensible et souffrant, si ce n'est encore dans la "chair" de l'apôtre (Colossiens 1,24).
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