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| Textes "gnostiques" | |
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Auteur | Message |
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free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Textes "gnostiques" Mar 07 Mai 2024, 09:41 | |
| Les penseurs gnostiques face à la vision
Les gnostiques conçoivent l’univers comme une immense prison, mise en place par un dieu méchant et jaloux, le Démiurge, et par ses acolytes, les archontes planétaires. Dans cette prison soumise au rythme du temps et à l’engrenage du destin, l’homme se trouve enchaîné à jamais. Son corps lui est également une geôle infernale, reproduisant dans son façonnement les traits pervers du macrocosme18. L’âme cogne brutalement contre les parois du corps, incapable de trouver une issue19. La matière aveugle ses yeux et la jette dans l’ignorance20. Seule une intervention du dieu d’en haut, infiniment lointain, l’Inconnu, peut réveiller dans quelques élus le souvenir du monde supérieur auquel leur âme est liée et les réveiller de la torpeur de l’ignorance21. Cette intervention peut se réaliser par l’envoi d’un sauveur, le Logos ou le Noûs, qui rend l’âme à elle même. Gnostikos, celui qui connaît, est l’homme qui prend conscience de sa condition de prisonnier et du fait que sa nature est autre par rapport au monde, dans lequel il se trouve tel un étranger22. Gnostikos est l’homme qui distingue son aveuglement et se pose les questions essentielles qui vont lui permettre d’effectuer la remontée vers ce qui est sien : « Qui étions-nous ? Que sommes-nous devenus ? Où étions-nous ? Où avons-nous été jetés ? Vers quel but nous hâtons-nous ? D’où sommes-nous rachetés ? » (Extrait de Théodote 78)23.
Pourquoi des visions ?
Si la connaissance – gnôsis – est un don, une étincelle (spinther, en grec) de lumière venue du monde d’en haut et réservée à une minorité24, si cette connaissance est une ouverture sur le divin qui déchire le brouillard de l’ignorance où l’homme s’est perdu, la vision est une de ses représentations logiques.
La vision fait irruption dans la vie de l’élu, elle le marque à jamais, entraînant en lui un changement radical. Elle le rend en effet autre par rapport à lui-même, lui manifestant non seulement une vérité inconnue mais aussi son être, jusqu’alors caché. Le contenu de la vision modifie la perception des choses de celui qui la reçoit tout comme son moi le plus profond. Les pages les plus explicites sur ce thème sont celles de l’Évangile selon Thomas (NH II,2). Le logion 84 de cet apocryphe gnostique relate deux expériences visionnaires : dans la première, l’initié voit sa ressemblance, son apparence sensible (eine, en copte), et dans la deuxième, il perçoit son image, son eikon. C’est l’eikon qui représente le sommet de la révélation, car il met en face de l’homme son moi réel, son image éternelle. Cette vision efface la dualité entre l’objet qui est vu et le sujet qui voit, opérant une transfiguration qui rend l’individu à lui-même25.
[ltr]Voir les Dieux, voir Dieu - Les penseurs gnostiques face à la vision - Presses universitaires de Strasbourg (openedition.org)[/ltr]
Dernière édition par free le Mar 07 Mai 2024, 11:26, édité 3 fois |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Textes "gnostiques" Mar 07 Mai 2024, 10:44 | |
| Ce chapitre (M. Scopello, 2002) est intéressant pour les quelques textes qu'il présente effectivement; malheureusement cela ne l'empêche pas, en particulier dans l'extrait que tu cites, de réciter des généralités sur "les gnostiques" tout droit sorties des "réfutations" des hérésiologues patristiques (orthodoxes et catholiques), comme si la redécouverte des textes et de leur diversité n'avait servi à rien... On continue de traiter "la gnose" comme une identité (religion, Eglise, école, secte) avec une unité de doctrine ou de croyance, et de l'opposer globalement au christianisme et au judaïsme -- alors que des traits "gnostiques" il y en a eu dans de nombreuses mouvances du judaïsme du Second Temple et des proto-christianismes, ainsi que dans des "religions" ("mystères") ou écoles philosophiques "païennes" (notamment platonicienne, ce n'est pas pour rien que Plotin s'y affronte). Et le fait de croiser cette définition globale d'un "champ" présumé homogène ("la gnose") avec un thème précis ("les visions", c'est le thème du livre) n'arrange rien: 1) les "visions" ne sont nullement distinctives de la gnose, il y en a partout, dans "la Bible" de la Genèse à l'Apocalypse, et dans des textes juifs et chrétiens de tout genre (pas seulement "apocalyptique") et de toute tendance; 2) on ne peut pas séparer les "visions" de tout un tas de récits connexes, rêves, théophanies, angélophanies, ascensions, qui là aussi se retrouvent dans tous les genres littéraires et dans toutes les tendances idéologiques.
Ce qui est plus intéressant sous ce rapport, c'est l'usage particulier que certains textes dits "gnostiques" font de la "vision", notamment en valorisant le silence, ou l'image sans parole (§ 14ss), ce qui peut présager du passage à venir de la "gnose" à la "théologie négative" (pseudo-Denys etc.); aussi le motif du "repos" (§ 19ss), que nous connaissons bien par l'épître aux Hébreux, médio-platonicienne mais pas vraiment "gnostique"... Mais là encore c'est relatif, car les textes dits "gnostiques" sont aussi bavards, ils sont bel et bien écrits pour transmettre un "enseignement". Seulement pour autant qu'ils sont effectivement "gnostiques", leur but n'est précisément pas de construire une "croyance", mais plutôt de tracer le chemin d'une "expérience" à la fois "spirituelle" et "intellectuelle" (c'est le sens même de la gnôsis, "connaissance" intérieure qui joue aussi de l'extérieur, jusqu'à un en-deçà ou au-delà du "monde"). C'est à mon sens la principale méprise des hérésiologues patristiques qui reprochent constamment aux "gnostiques" de se contredire, alors que la diversité des "visions" (etc.), des récits, et des discours fait plutôt partie de la méthode, des pistes différentes, à parcourir et à penser, et non une seule à constituer en doctrine unique et cohérente. En ce sens un texte vraiment "gnostique" fonctionne plutôt comme un midrash (haggadique) ou une "parabole", à qui personne ne reprochera d'en contredire un(e) autre -- celui qui le lui reprocherait montrerait par là qu'il n'y a rien compris, autrement dit que le texte ne s'adresse pas (encore) à lui. |
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