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| Job | |
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Narkissos
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| Sujet: Re: Job Ven 25 Oct 2024, 14:23 | |
| Faute d'avoir lu Ashkénazi, et faute de références, j'ignore ce qui est de lui ou d'Isabelle Cohen dans cette interprétation arbitraire et péremptoire, mais intéressante... Cela me fait remarquer que le vocabulaire de l'"épreuve" ou de la "tentation" ( ns' etc., p. ex. Genèse 22,1), qui semble à première vue si approprié à l'"intrigue" du prologue en prose, sinon à l'ensemble du livre, y brille par son absence, comme on dit (seulement Job 4,2, dans les dialogues poétiques, Eliphaz: si nous tentons-essayons-éprouvons une parole à toi...). Si la teshouva (repentance-conversion-retour) ne convient pas à Job, je ne suis pas sûr que l'"épreuve-tentation", au sens d'Abraham justement, lui convienne davantage. La moisson est à peine meilleure avec des mots-concepts voisins comme celui d'épreuve-vérification-purification, par exemple avec l'analogie métallurgique ( bhn, aussi pour tester-purifier l'or ou l'argent, 7,18; 12,11; 23,10; 34,3.36: là encore il ne s'agit pas de l'intrigue du prologue et ça ne caractérise pas, sauf peut-être chez Elihou, qui parle aussi de "discipline" ou de "correction" éducative, ce que Job est en train de subir). Sans rapport avec cet article, quoique indirectement inspiré par lui, je me disais que Job (le livre, et le personnage) opère surtout -- en 42 chapitres, de dialogues principalement ! -- une formidable dé-con-struction de la parole et du langage, de la parole des uns par la parole des autres, "Yhwh" et "satan" compris... Ce n'est pas seulement la parole des "amis" (pourtant traditionnelle, canonique, de sagesse présumée "divine" autant qu'humaine") qui est dévaluée, ni celle du "satan", c'est aussi celle de Job qui anticipe que "Dieu" (même sans "satan") peut à loisir retourner ses paroles contre lui (les paroles de Job contre Job), et donc de "Dieu" lui-même qui peut être menteur, trompeur, de mauvaise foi... En fin de compte les discours de Yahvé ne (pré-)valent que par ce qu'ils montrent, un monde essentiellement sans parole, cosmique, astronomique, géologique, végétal, animal, réel et imaginaire, irréductible à aucune parole, humaine ou divine. |
| | | free
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| Sujet: Re: Job Lun 28 Oct 2024, 12:20 | |
| 7. Élihu l’impertinent!
Entre la dernière apologie de Job (Jb 29–31), que nous avons commentée dans le dernier article, et les discours de Dieu qui, sans doute, la suivaient immédiatement dans une première version du livre de Job (Jb 38–42), des éditeurs ont jugé bon (voire nécessaire) d’ajouter une longue section, les discours d’Élihu (Jb 32–37). Afin de bien situer cette partie, rappelons le plan du livre :
Prologue en prose (Jb 1–2) Trois cycles de dialogues en vers entre Job et ses trois amis (3–31) Discours en vers d’Élihu (32–37) Discours en vers de Dieu (38,1–42,6) Épilogue en prose (42,7-17) Addition ou non? Plus que pour toute autre partie du livre de Job, il y a de sérieuses raisons de douter de l’authenticité des discours d’Élihu :
Le personnage entre en scène subitement et arrive « comme un cheveu sur la soupe », sans avoir été annoncé ni préparé (alors que les amis avaient été annoncés; cf. Jb 2,11-13).
Les discours d’Élihu ne comportent pas de conclusion et sont brusquement interrompus par les discours de Dieu qui n’en tiennent aucun compte. Quand il règlera ses comptes avec les personnages à la toute fin, Dieu ne le mentionnera même pas (Jb 42,7-9). Même si ça ne prouve rien en soi, on peut s’amuser à passer directement de la dernière apologie de Job aux discours de Dieu (du chapitre 31 au chapitre 38). On se rendra compte que le lien entre ces parties est, sinon évident du moins naturel. On peut même dire qu’un certain effet dramatique (le « punch ») est gâché par l’insertion des longs discours d’Élihu.
Contrairement aux dialogues entre Job et ses amis, les discours d’Élihu sont de longs monologues que tout le monde semble écouter bouche bée! Il cherche plus à triompher qu’à argumenter.
Élihu s’adresse directement à Job, alors qu’auparavant, son nom n’était mentionné que par le narrateur ou au début des discours (cf. Jb 32,12.14 ; 33,1.31 ; 34,5.7.35 ; 35,16 ; 37,14).
Élihu répète ce qu’ont dit Job et les trois amis, ce qui laisse supposer une première version déjà disponible dans laquelle l’éditeur a puisé.
Le vocabulaire et le style de ses discours sont différents et les aramaïsmes sont plus fréquents. Le contenu des discours d’Élihu est aussi différent (c’est là le but même de l’insertion!). Nous en parlerons plus loin.
Pour toutes ces raisons, la grande majorité des spécialistes croit que les discours d’Élihu sont une addition tardive. Pourquoi cette longue addition ?
Il faut se rappeler d’abord un principe essentiel du monde ancien. Avant que le texte biblique ne devienne intouchable, les anciens le corrigeaient, l’actualisaient ou l’adaptaient constamment. Ce que nous faisons aujourd’hui dans une homélie ou dans la lectio divina, c’est-à-dire actualiser le texte biblique et le faire sien, les anciens le faisaient dans le texte. Si, pour nous, le caractère sacré d’un texte exige qu’on ne le touche pas, pour les anciens, ce caractère sacré exigeait son adaptation et son actualisation ; autrement, ce n’est qu’un texte du passé qui ne nous concerne pas vraiment. Habituellement, il s’agissait de quelques mots ou de quelques phrases, mais pas toujours. Nous, aujourd’hui, nous éliminerions le texte à corriger pour le remplacer par le nouveau texte. Pas les anciens. Ils n’éliminaient jamais un texte. Au besoin, ils ajoutaient un autre texte. Pour nous, cela crée de la confusion et rend l’interprétation plus difficile, mais il semble bien que, pour eux, le texte le plus récent constitue le principal élément de l’interprétation.
Pourquoi donc avoir ajouté toute une partie au livre de Job? On pense généralement au scandale causé par le livre chez les pieux rabbins ou dans certains milieux plus traditionnels ou conservateurs. Comment? Job se permet non seulement d’accuser Dieu mais de l’insulter et de le défier! Et rien ne lui arrive! Cela a été jugé insupportable pour certains types de croyants. L’audace, voire l’impiété de Job, devait être corrigée. Comme les amis n’avaient pas pu répondre à Job (Élihu le leur remettra sur le nez en 32,7-16), les éditeurs subséquents ont senti qu’il fallait remettre les choses en place ou corriger le livre de Job. Si le dialogue entre Job et ses amis les avait laissés insatisfaits, voire choqués, il fallait replacer les choses et les satisfaire. Comme on ne détruisait jamais un texte mais qu’on ajoutait, l’insertion d’une section entière restait la meilleure solution.
https://www.interbible.org/interBible/decouverte/comprendre/2024/comprendre_20240923.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Job Lun 28 Oct 2024, 12:55 | |
| Bonne présentation, malgré quelques confusions mineures (en 34,2ss le discours est à la deuxième personne du pluriel et non à la troisième du singulier); au passage, les discours d'Elihou ne sont pas la seule addition importante et facilement repérable dans les dialogues "poétiques", il y a aussi tout le chapitre 28 sur la sagesse (ou Sagesse, plus ou moins personnifiée).
Sans le faire exprès, toute cette addition tourne à l'interlude comique: vous êtes tous nuls, moi, je vais vous montrer, pour ensuite dire à peu près la même chose, en plus bavard... A peu près car, comme le confirme Tremblay, la nuance "pédagogique", "éducatrice", "correctrice" ou "disciplinaire" de la souffrance n'est pas négligeable, elle ouvre un peu l'angle du débat enlisé dans l'ornière de la "rétribution", châtiment/récompense (doctrine effectivement commune, a priori, à Job et à ses amis). Mais d'un autre côté elle ne me semble pas non plus si originale qu'il le dit, on la retrouverait aussi bien dans les Proverbes, chez les Prophètes ou dans le Deutéronome, et même dans les dialogues antérieurs de Job (p. ex. Eliphaz, 5,17ss) -- l'originalité (relative) d'Isaïe 53 c'est le caractère substitutif de la souffrance, et je ne le vois pas plus chez Elihou que dans le reste du livre. |
| | | free
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| Sujet: Re: Job Mer 13 Nov 2024, 14:45 | |
| « Respecte pourtant sa vie » (Jb 2,6) Réflexion sur la valeur de la vie en Afrique noire
1.5 La partie poétique du livre (Jb 3-42,6)
24 Ce à quoi je voudrais à présent m’atteler, c’est montrer, de façon succincte, que la valeur de la vie est aussi soulignée à travers la partie poétique où Job se lamente, clame son innocence et accuse Yahvé de le faire souffrir pour rien. En effet, lorsqu’en présence de ses amis, Job ouvre la bouche pour parler, c’est par la malédiction de son jour de naissance qu’il commence. En maudissant le jour de sa naissance, Job se réfère, paradoxalement, à la vie. Accablé par la souffrance, Job pense à son jour de naissance, c’est-à-dire à la vie :
Périsse le jour qui me vit naître et la nuit qui annonça : « Un garçon vient d’être conçu. » / Ce jour-là, qu’il soit ténèbres, / que Dieu, de là-haut, ne le réclame pas, / que la lumière ne brille pas sur lui ! / Que le revendiquent ténèbres et ombre épaisse, qu’une nuée s’installe sur lui, / qu’une éclipse en fasse sa proie ! / Oui, que l’obscurité le possède, qu’il ne s’ajoute pas aux jours de l’année, n’entre point dans le compte des mois ! / Cette nuit-là, qu’elle soit stérile, / qu’elle ignore les cris de joie ! Jb 3,3-7
25 Toute la lamentation de Job tourne, ironie du sort, autour de ce jour-là, celui de sa naissance, où une voix annonça qu’« un garçon vient d’être conçu ». La souffrance lui rappelle la vie. Mieux, elle lui révèle la valeur de la vie. Ne nous arrive-t-il pas parfois de reconnaître enfin la valeur d’un bien après l’avoir perdu ? C’est dans cette perspective que lire le chapitre 3 du livre, en parallèle avec le chapitre 29 où Job, au milieu de son amertume, se souvient du jour de sa naissance, peut s’avérer éclairant. En effet, si ce qui se passa le jour de sa naissance lui fut raconté, ce dont il se rappelle au chapitre 29 est une expérience personnellement vécue :
Qui me fera revivre les mois d’antan, / ces jours où Dieu veillait sur moi, / où sa lampe brillait sur ma tête et sa lumière me guidait dans les ténèbres ! / Puissé-je revoir les jours de mon automne, / quand Dieu protégeait ma tente, / que Shaddaï demeurait avec moi et que mes garçons m’entouraient ; / quand mes pieds baignaient dans le laitage, / et du rocher coulaient des ruisseaux d’huile ! / Si je sortais vers la porte de la ville, / si j’installais mon siège sur la place, / à ma vue, les jeunes gens se retiraient, / les vieillards se mettaient debout. / Les notables arrêtaient leurs discours et mettaient la main sur leur bouche. / La voix des chefs s’étouffait et leur langue se collait au palais. / À m’entendre, on me félicitait, à me voir, on me rendait témoignage. / Car je délivrais le pauvre en détresse et l’orphelin privé d’appui. / La bénédiction du mourant se posait sur moi et je rendais la joie au coeur de la veuve. / J’avais revêtu la justice comme un vêtement, j’avais le droit pour manteau et turban. J’étais les yeux de l’aveugle, les pieds du boiteux. / C’était moi le père des pauvres ; la cause d’un inconnu, je l’examinais. / Je brisais les crocs de l’homme inique, / d’entre ses dents j’arrachais sa proie. / Et je disais : « Je mourrai dans ma fierté, / après des jours nombreux comme le sable. » Jb 29,2-18
26 Ici, Job se rappelle une belle étape de sa vie, celle d’une vie donnée pour la vie des autres, celle de la lutte pour les droits humains : la justice et le respect de la vie des autres, surtout celle des plus pauvres. Ce souvenir le conforte sûrement dans l’épreuve. Il sait que seul Dieu peut lui faire revivre cette joie d’une vie pleinement vécue. Ce temps-là, il le met en contraste avec ce qu’il expérimente et qui ne mérite plus d’être appelé vie :
Et maintenant, la vie en moi s’écoule, / les jours de peine m’ont saisi. / La nuit, le mal perce mes os et mes rongeurs ne dorment pas. / Avec violence il m’a pris par le vêtement, serré au col de ma tunique. / Il m’a jeté dans la boue, je suis comme poussière et cendre. / Je crie vers Toi et tu ne réponds pas ; je me présente sans que tu me remarques. / Tu es devenu cruel à mon égard, ta main vigoureuse sur moi s’acharne. / Tu m’emportes à cheval sur le vent et tu me dissous dans une tempête. / Oui, je sais que tu me fais retourner vers la mort, / vers le rendez-vous de tout vivant. / Pourtant, ai-je porté la main sur le pauvre, quand, dans sa détresse, il réclamait justice ? / N’ai-je pas pleuré sur celui dont la vie est pénible, / éprouvé de la pitié pour l’indigent ? / J’espérais le bonheur, et le malheur est venu ; / j’attendais la lumière : voici l’obscurité. Jb 30,17-26
26 Mais, et Job le sait, la vie n’est pas seulement le passé et le présent. Elle est aussi l’avenir. Et cet avenir ne peut se construire qu’avec le Dieu de la vie :
Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant, que lui, le dernier, se lèvera sur la poussière. Après mon éveil, il me dressera près de lui et, de ma chair, je verrai Dieu. Celui que je verrai sera pour moi, celui que mes yeux regarderont ne sera pas un étranger. Jb 19,25-27
https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2011-v19-n1-theologi0443/1014179ar/ |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Job Mer 13 Nov 2024, 15:44 | |
| Intéressant regard africain, et catholique, sur Job, quoique ce double qualificatif le rende problématique: "l'Afrique", ce ne sont pas seulement des traditions ancestrales, comparables à nos yeux (occidentaux et modernes) à celles de l'Antiquité ou du "monde de la Bible"... Ce sont aussi des religions, des textes, des savoirs et des savoir-faire, des sciences et des techniques, y compris exégétiques, importés d'Europe ou d'Amérique, de gré ou de force, dans une histoire qu'il n'est pas question de défaire pour la refaire autrement. L'imaginaire chrétien de l'au-delà (résurrection, survie de l'âme, enfer, paradis, purgatoire) est probablement aussi étranger aux traditions africaines autochtones, s'il y a jamais rien de tel, qu'au livre de Job, mais il les complique inextricablement et irréversiblement, même dans les lectures post-chrétiennes, athées, matérialistes, celles qui n'y croient plus ou croient ne plus y croire. Cela modifie fatalement la pensée de ce qu'on appelle "la vie" et "la mort", et le rapport de l'une à l'autre. En Job 2,4ss, ce qu'on traduit "la vie" (tant dans le discours direct du satan que dans celui de Yahvé) c'est nephesh, psukhè, anima, l'" âme" -- ni hayyim, ni zôè, ni bios, ni vita. Où il ne faut certainement pas projeter la philosophie grecque, ni la théologie chrétienne, ni la psychologie moderne, mais qui se distingue quand même expressément, rien que dans ce texte, de la "peau", des "os" et de la "chair". Il y a quelque chose qui peut ne pas être atteint, être "gardé" (par le satan comme par Yahvé) quand tout cela (je ne dis pas "le corps", l'hébreu ne le dit pas non plus) est atteint. C'est moins abstrait que "la vie", plus "individuel", je ne dis pas plus "personnel" puisque c'est aussi "animal", comme son nom l'indique, qu'"humain" (ou divin). Plus singulier ou singularisant peut-être (une "vie" pour tous, chacun son "âme"). En tout cas, dans les dialogues poétiques, l'"âme" se distingue souvent de la "vie" (cf. p. ex. 3,20; 7,15; 10,1). Cela permet d'ailleurs de remarquer autre chose: la perspective de Job est essentiellement individuelle et individualisante, comme celle du théâtre grec centré sur le "héros" ou le "protagoniste", tragique ou comique, tout au plus sur quelques-uns et leurs relations. La société n'est pas absente mais elle reste en marge -- ce sont les spectateurs, le décor, les antagonistes, le choeur. De même chez Job, il s'agit en définitive d'un homme seul, la famille disparaît entre le prologue et l'épilogue, la société n'est esquissée que dans l'évocation nostalgique des jours heureux, et perdus. La pensée se joue dans une solitude que personne ne rejoint, pas même les amis qui la manquent en la ramenant à des généralités, pas même Yahvé qui la brise et la dissout sans la pénétrer. |
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| Sujet: Re: Job | |
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