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| hauts lieux (communs) | |
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Auteur | Message |
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free
Nombre de messages : 10067 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: hauts lieux (communs) Ven 27 Avr 2018, 10:15 | |
| - Citation :
- Ce que je constate, très subjectivement, c'est que ces textes d'élévation ou d'assomption individuelle ont pour moi une charge affective nettement supérieure, en un mot ils me "touchent" davantage que ceux qui énoncent une "doctrine" eschatologique collective ou générale -- l'expression "poétique" y est sans doute pour quelque chose, mais c'est autant un "effet" qu'une "cause".
Le Ps 16, 10 affirme concernant Dieu, "Car tu ne m'abandonneras pas au séjour des morts, tu ne permettras pas que ton fidèle voie la fosse", la partie b du texte, souligne l'idée que Dieu ne permettra que son fidèle fasse l'expérience de la tombe, l'auteur imagine un enlèvement du fidèle avant qu'il fasse l'expérience de la mort. La notion d'enlèvement se trouve également dans le livre de la Sagesse :"Devenu agréable à Dieu, il a été aimé et, comme il vivait parmi les pécheurs, il a été emporté ailleurs. Il a été enlevé de peur que le mal n’altère son jugement ou que la ruse ne séduise son âme. Car la fascination de la frivolité obscurcit les vraies valeurs et le tournoiement du désir ébranle un esprit sans malice. Parvenu à la perfection en peu de temps, il a atteint la plénitude d’une longue vie. Son âme a plu au Seigneur et c’est pourquoi elle s’est hâtée de sortir d’un milieu pervers. Les gens ont vu et n’ont pas compris, ils ne se sont pas mis dans l’esprit ce mystère" (Sg 4, 10 ss) |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12424 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: hauts lieux (communs) Ven 27 Avr 2018, 10:57 | |
| Quant au "sens premier" des textes, la frontière est difficile à tracer entre 1) un "salut" ou sauvetage in extremis par lequel on échappe à la mort, on ne meurt pas, on reste (provisoirement) parmi les vivants alors qu'on pensait mourir (Psaume 16 etc.; logique de toutes les "grâces", de toutes les "chances", de toutes les "survies" improbables, de tous les "miracles" et de tous les ex voto: victoires, acquittements, libérations, guérisons, etc., la plus courante évidemment dans les Psaumes); 2) un enlèvement miraculeux au ciel qui se substitue exceptionnellement à la mort d'un personnage de récit (Genèse 5; 2 Rois 2); 3) une mort interprétée comme élévation (de "l'âme" ou de "l'esprit", que de tels mots soient utilisés ou non: à noter que dans la Sagesse, à l'époque gréco-romaine, c'est aussi bien le fait de "Dieu" que de l'"âme" qui aspire à "sortir" du monde impie, cf. aussi la suite jusqu'au chapitre 5; il y a sans doute déjà quelque chose d'analogue dans le Psaume 73, peut-être dans le 49); 4) une expérience (affective, historique, poétique, prophétique, apocalyptique, mystique) d'élévation qui ne suppose pas de mort "réelle" (cf. nos textes initiaux), mais implique néanmoins une mort "métaphorique" (la mort est la "métaphore", le trans-port ou trans-fert par excellence; la mère de toute métaphore et, partant, de tout langage, spécialement "religieux", "poétique" ou "littéraire"). D'autant que tout cela se confond naturellement dans les lectures ultérieures (exemplairement, le "sauvetage" du psaume 16 appliqué à la "résurrection-ascension" du Christ dans les Actes): la dérive de l'éventuel "sens premier" commence non seulement dès qu'un texte est écrit et lu, elle fait partie du processus même de l'écriture hanté consciemment ou non par une foule de lectures antérieures qui sont aussi bien ses propres lectures à (re-)venir -- au-delà de toute "intention d'auteur" comme en-deçà.
N'empêche qu'à mon sens le plus "beau", au sens "esthétique" de la "forme" poétique et des "images" qu'elle évoque, se trouve dans les textes où la mort n'est même pas mentionnée (4° dans le "catalogue" ci-dessus): là où le "fidèle" s'imagine simplement avec son dieu, sur sa montagne ou sur son char céleste, partageant sa situation, son action et son "point de vue". |
| | | free
Nombre de messages : 10067 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: hauts lieux (communs) Ven 27 Avr 2018, 12:41 | |
| - Citation :
- N'empêche qu'à mon sens le plus "beau", au sens "esthétique" de la "forme" poétique et des "images" qu'elle évoque, se trouve dans les textes où la mort n'est même pas mentionnée (4° dans le "catalogue" ci-dessus): là où le "fidèle" s'imagine simplement avec son dieu, sur sa montagne ou sur son char céleste, partageant sa situation, son action et son "point de vue".
" Après cela, je vis une porte ouverte dans le ciel. Telle une trompette, la première voix que j'avais entendue parler avec moi dit : Monte ici, et je te ferai voir ce qui doit arriver après. " Ap 4, 1Le personnage de ce texte accède au ciel en étant "saisi par l'Esprit". |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12424 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: hauts lieux (communs) Ven 27 Avr 2018, 12:55 | |
| Oui, mais là on est (comme le nom du livre l'indique) dans la mécanique lourde de l'"apocalyptique" (qui aurait mérité un 5°, avec tous les "enlèvements" en "vision", en "rêve", etc., depuis les textes "prophétiques", pour la distinguer d'une poésie plus légère): riche en images mais en images ostensiblement et laborieusement calculées et codées en vue d'une interprétation terme à terme, comme une allégorie hyper-systématisée (même si la différance de l'écriture y déjoue le système et que la machine ne fonctionne jamais aussi bien qu'aucun "auteur" ou "ingénieur" le voudrait: les "sources" et les images se gênent, se heurtent, se télescopent, se contredisent). L'ancêtre "prophétique" était plus naïf et plus pittoresque -- je pense à Ezéchiel attrapé par les cheveux (8,3, bien qu'il les ait rasés au chap. 5), pas seulement par un "esprit" où l'on ne sent plus guère souffler le "vent" (formules plutôt abstraites d'être-devenir "en esprit", Apocalypse 1,10; 4,2; un peu plus concrète, et surtout mobile, "être emporté en esprit", 17,3, mais celle-ci est encore neutralisée par le cadre général de la "vision" qui en annule le mouvement). |
| | | free
Nombre de messages : 10067 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: hauts lieux (communs) Mer 17 Fév 2021, 12:09 | |
| "Le juste disparaît, et personne ne réfléchit ; les hommes fidèles sont ensevelis, et personne ne comprend que le juste est enseveli pour échapper au malheur. Il entrera dans la paix, il reposera sur son lit, celui qui suit le droit chemin" (Es 57,1-2 - NBS).
"Le juste périt, sans que personne prenne la chose à cœur, les hommes de bien sont raflés, sans que personne discerne que c’est sous les coups de la méchanceté que le juste est raflé !" (TOB)
LA PROBLEMATIQUE THEOLOGIQUE Quelle est donc la portée théologique de ce contraste ?
a.Malgré C.C. Torrey, il est ici question de la mort du juste. Le verbe 'âbad signifie « disparaître » mais au sens de « périr », et, comme en Job, 3, 13.19 ; Ez., 32,25 ; 2 Chr., 16,14, la couche est à comprendre comme couche funèbre. Bien plus, en Job, 3, 13.17 comme ici cette image est associée étroitement à celle du repos.
b. En parallèle avec 'abaà, le verbe né'esaph ne peut vouloir désigner que la mort ainsi représentée comme un « enlèvement ». Si ce verbe veut souvent dire « rassembler, recueillir », il peut aussi signifier « retirer, faire disparaître » et au niphal, comme ici, « disparaître ». Pourquoi le passif ? Dans le cadre de la pensée biblique, on est amené à penser à une intervention de Dieu même, plutôt qu'à un fatum impersonnel. N'y a-t-il pas suggéré ici que c'est Dieu qui retire le juste de la mort pour le faire entrer dans la paix ? On pense, aussitôt à l'enlèvement d'Hénoch et d'Elie. Mais le rapprochement ne paraît pas justifié, car dans ces deux derniers cas, ce n'est pas le verbe 'âsaph mais le verbe lâqah qui est employé {Gen., 5,24 ; 2 R., 2, 2.5.9.10) et en 2 R., 2,16 nâsâ' « emporter ».
c. L'expression « il entrera dans la paix » nous conduit à l'idée d'ensevelissement, car elle ne se retrouve qu'à propos de la mort d'Abraham : wetta' tabô 'el 'abotêka beshâlôm. « Et toi, tu t'en iras vers tes pères en paix » et le texte poursuit : « tu seras enseveli dans une vieille heureuse » {Gen., 15,15). https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1977_num_51_1_2779 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12424 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: hauts lieux (communs) Mer 17 Fév 2021, 13:17 | |
| La téléologie est le vice congénital (ou le péché originel) d'une exégèse chrétienne qui croit savoir où tous les textes doivent mener, c'est-à-dire à sa propre doctrine (sur la mort et l'au-delà en l'occurrence): le moindre détail y sera surinterprété comme émergence, germe, annonce, prolepse, préfiguration, progrès vers la révélation ou la vérité plénière à venir -- la "pétition de principe" à cet égard n'est pas l'exception, mais la règle.
Je suis en désaccord avec l'analyse où Renaud, tout en critiquant Bonnard, lui concède néanmoins (et selon moi à tort) le principal: 'sp-'asaph ne signifie pas du tout "rafler", ni "enlever", mais rassembler ou recueillir; l'image de l'ensevelissement (être rassemblé-recueilli avec ses pères, etc.) est fondamentale, quoiqu'elle soit plus ou moins présente ou "vive" selon les usages. En aucun cas il ne s'agit d'être "retiré de la mort" (cela se dit aussi, p. ex. Psaume 22, mais avec d'autres termes et le plus souvent signifie simplement échapper à la mort, c.-à-d. à un danger mortel, ne pas mourir encore); tout au plus (et vraisemblablement dans ce contexte paisible) d'échapper aux malheurs de la vie et de l'histoire par la mort (de ce point de vue les références à Job 3 ou à Josias en 2 Rois 22 ne sont nullement opposables, elles disent exactement la même chose bien qu'elles ne la disent pas des mêmes personnes). L'illusion vient de la perspective chrétienne (ou aussi bien juive, pharisienne et rabbinique) qui postule la visée de son propre "au-delà", occultant le fait qu'une partie considérable de la tradition subséquente (au trito-Isaïe p. ex.) continuera de s'en passer et s'y opposera (cf. Qohéleth et les sadducéens); mais comme celle-ci a été la grande perdante de l'histoire (au profit du christianisme d'une part et du pharisaïsme d'autre part, depuis la fin du Ier siècle apr. J.-C.), elle compte rétrospectivement pour du beurre. |
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