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 contrordre ou exception

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Narkissos

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MessageSujet: contrordre ou exception   contrordre ou exception Icon_minitimeDim 27 Jan 2019, 13:55

Il leur dit: Quand je vous ai envoyés sans bagage, ni besace ni sandales, avez-vous manqué de quelque chose ? Ils dirent: De rien. Il leur dit: Eh bien, maintenant, que celui qui a un bagage le prenne, de même la besace, et que celui qui n'a pas d'épée vende son manteau pour en acheter une. Car je vous dis que ce qui a été écrit doit s'accomplir en moi: "il a été compté parmi les sans-loi" (Isaïe 53,12). Car ce qui me concerne touche à sa fin (prend fin, a [une] fin, telos apparenté à teleô, précédemment "accomplir"). Ils dirent: Seigneur, il y a ici deux épées. Il leur dit: C'est assez. (Luc 22,35ss)

Ce passage d'allure anecdotique me semble intéressant à plusieurs titres très différents: pour "Luc", il s'agit d'abord d'expliquer le récit traditionnel (depuis Marc) de l'arrestation violente de Jésus au sein d'un groupe armé (chose jusque-là inexpliquée), ce qui se comprend fort bien dans la perspective apologétique de l'ensemble Luc-Actes: il faut à tout prix disculper le christianisme, aux yeux de l'autorité romaine, de tout soupçon d'illégalité, a fortiori de sédition, de brigandage ou de "terrorisme", en faisant passer la chose pour une mise en scène délibérée et symbolique (l'accomplissement des Ecritures, qui n'en demandaient pas tant). D'autre part et sans rapport direct avec ce motif, il y a un renversement explicite de l'ordre de mission donné aux Douze puis aux Soixante-dix ou Soixante-douze -- Septante ou Septante-deux pour les Suisses et les Belges, "invention" de Luc en tout cas dans la ligne des Septante selon la lettre d'Aristée, de la "table des nations" de Genèse 10 ou des fils de Jacob en Egypte, avec le même flottement numérique et symbolique (7 x 10 ou 6 x 12) dans la Septante justement (chap. 9 et 10). Cet ordre de mission provient de Marc 6, en passant ou non par Matthieu 10, et on peut s'amuser à suivre ses variations dans le détail (le bâton, la besace et les sandales, caractéristiques en particulier du philosophe cynique itinérant, tantôt prescrits tantôt interdits d'un texte à l'autre). Il s'agirait ici de distinguer de nouvelles conditions de la "mission apostolique" (au sens plus ou moins large) à l'avenir (sans aucun rapport donc avec le motif des "épées", des "brigands" ou de l'accomplissement de l'Ecriture restreint au récit de la Passion).

Ce qui m'y a fait penser c'est surtout le fait du contrordre, du renversement de commandement ou d'instruction: jusqu'ici on a fait comme ça, dorénavant on fera autrement, voire le contraire. Cela rappelle un peu les "antithèses" du Sermon sur la montagne (il a été dit / mais moi je vous dis) -- à deux différences près: dans les antithèses, d'une part, Jésus contredit la tradition des Anciens, voire la lettre de la Torah, mais il ne se contredit pas lui-même; d'autre part la contradiction s'inscrit dans le sens du plus, de l'excès ou de la surenchère, et non comme inversion ou renversement du commandement antérieur. Ici, sur un point qu'on peut juger accessoire (pour l'épée il n'en coûtera qu'une oreille, que d'ailleurs Luc seul songe à guérir, v. 49ss), l'ordre est bel et bien inversé.

C'est l'occasion ou le prétexte d'une réflexion générale, sans commune mesure avec ce texte (c'est la réflexion qui m'a rappelé le texte et non l'inverse): il y a une inertie de la loi, du commandement, de la consigne, du protocole, de la morale, de la coutume ou de l'habitude qui ne se s'arrête pas aussi facilement qu'on pourrait le croire, surtout quand on s'imagine qu'il faut toujours prescrire et rappeler la prescription de crainte qu'elle ne tombe d'elle-même dans l'oubli et qu'on y perde tout repère (faire de l'ordre plus vite que le diable ne le défait, comme disait le vieux prêtre du Journal d'un curé de campagne de Bernanos -- ou de Bresson). Pourtant, inverser les valeurs ou renverser les tables, selon la fameuse proposition de Nietzsche, c'est moins facile à faire qu'à dire. Cela paraît dangereux ou attrayant, dangereusement attrayant, tentant comme on dit d'une "tentation" que l'on conjure déjà en la nommant telle, en la présumant trop facile; il suffit pourtant de s'y essayer pour constater que ça n'a rien de facile, c'est même le plus souvent impossible. On ne change pas de loi ni d'habitude à volonté -- même quand ce serait nécessaire, même quand la situation l'exigerait. En ce qui concerne la loi proprement dite, il faut au moins la même autorité pour l'abroger, l'amender ou lui faire exception que pour l'instaurer en premier lieu -- c'est ainsi que tant de religions se retrouvent coincées indéfiniment avec des règles que personne n'est en situation d'abolir, même quand tout le monde s'accorde à les trouver désastreuses. Si "Jésus" n'avait pas renversé à temps sa propre consigne, qui aurait pu le faire à sa place ?
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MessageSujet: Re: contrordre ou exception   contrordre ou exception Icon_minitimeMar 29 Jan 2019, 10:55

En étudiant la passion, on est frappé du rôle qu’y jouent les citations de l’Ancien Testament, en particulier des Psaumes. Les premiers chrétiens prenaient ces références au sérieux et, tout au long du Moyen Age, l’interprétation dite allégorique ou figurale constitue le prolongement et l’amplification, plus ou moins heureux, de cette pratique néotestamentaire. En règle générale, les modernes ne voient rien là d’intéressant et ils se trompent lourdement. Ils s’orientent alors vers une interprétation rhétorique et stratégique des citations. Les évangélistes innovent fortement sous le rapport théologique. On peut donc leur attribuer le désir de rendre leurs nouveautés respectables en les abritant le plus possible derrière le prestige de la Bible. Pour accepter plus aisément ce qu’il y a d’inouï dans l’exaltation sans mesure de Jésus, ils situeraient leur dire à l’ombre protectrice de textes qui font autorité.

Les Evangiles, il faut l’avouer, donnent un relief qui peut paraître excessif à des morceaux de psaumes, parfois à des lambeaux de phrases d’un intérêt intrinsèque si semble-t-il, et d’une telle platitude que leur présence ne se justifie pas, à nos yeux, par leur signification propre.

Que doit-on conclure par exemple quand on voit Jean (15, 25) rapporter solennellement à la condamnation de Jésus la phrase que voici : ils m’ont haï sans cause (Ps 35, 19) ? Et l’évangéliste insiste lourdement. Le rassemblement hostile de la passion s’est fait, nous dit-il, pour que soit vérifiée cette parole de l’Écriture. La maladresse de la formule stéréotypée renforce notre suspicion. Il y a un rapport indubitable, assurément, entre le psaume et la façon dont les Évangiles nous rapportent la mort de Jésus mais la phrase est si banale, son application si évidente, que nous ne voyons pas le besoin de les souligner.

Nous éprouvons une impression analogue quand Luc fait dire à Jésus : • Il faut que s’accomplisse en moi ce texte de l’Écriture : ” On l’a compté parmi les criminels [ou les transgresseurs] (Lc 22, 37 ; Mc 15, 28) “. » Cette fois la citation ne vient pas d’un psaume mais du chapitre 53 d’Isaïe. A quelle pensée profonde des références de ce type peuvent-elles correspondre ? On ne le voit pas et on se rabat sur les arrière-pensées médiocres dont grouille notre propre univers.

En réalité nos deux petites phrases sont très intéressantes en elles-mêmes et par rapport au récit de la passion mais pour le comprendre, il faut comprendre ce qui se joue et se perd dans la passion, l’empire de la représentation persécutrice sur l’humanité entière. C’est tout simplement le refus de la causalité magique, et le refus des accusations stéréotypées qui s’énonce dans ces phrases apparemment trop banales pour tirer à conséquence. C’est le refus de tout ce que les foules persécutrices acceptent les yeux fermés. C’est ainsi que les Thébains adoptent tous sans hésiter l’hypothèse d’un OEdipe responsable de la peste, parce qu’incestueux ; c’est ainsi que les Égyptiens font enfermer le malheureux Joseph, sur la foi des racontars d’une Vénus provinciale, tout entière à sa proie attachée. Les Égyptiens n’en font jamais d’autres. Nous restons très égyptiens sous le rapport mythologique, avec Freud en particulier qui demande à l’Égypte la vérité du judaïsme. Les théories à la mode restent toutes païennes dans leur attachement au parricide, à l’inceste, etc., dans leur aveuglement au caractère mensonger des accusations stéréotypées. Nous sommes très en retard sur les Évangiles et même sur la Genèse. https://ldsfocuschrist2.wordpress.com/2009/06/16/1982-le-bouc-emissaire-rene-girard/


Citation :
C'est l'occasion ou le prétexte d'une réflexion générale, sans commune mesure avec ce texte (c'est la réflexion qui m'a rappelé le texte et non l'inverse): il y a une inertie de la loi, du commandement, de la consigne, du protocole, de la morale, de la coutume ou de l'habitude qui ne se s'arrête pas aussi facilement qu'on pourrait le croire, surtout quand on s'imagine qu'il faut toujours prescrire et rappeler la prescription de crainte qu'elle ne tombe d'elle-même dans l'oubli et qu'on y perde tout repère (faire de l'ordre plus vite que le diable ne le défait, comme disait le vieux prêtre du Journal d'un curé de campagne de Bernanos -- ou de Bresson).


Je me demande si dans la Bible on retrouve des exemples ou Dieu aurait modifié sa propre règle ou loi, sans motiver sa décision. Il me vient à l'esprit Ac 10, 11 ss :

"Il voit le ciel ouvert et un objet semblable à une grande toile tenue par les quatre coins, qui descend et s'abaisse jusqu'à la terre ; il y avait là tous les quadrupèdes et les reptiles de la terre, ainsi que les oiseaux du ciel. Une voix lui dit : Lève-toi, Pierre, abats et mange. Pierre répondit : En aucun cas, Seigneur ! Je n'ai jamais rien mangé de souillé ni d'impur ! Pour la deuxième fois la voix lui parle : Ce que Dieu a purifié, toi, ne le souille pas ! Cela se produisit trois fois ; et aussitôt après l'objet fut enlevé au ciel."

En ce qui concerne l'exception, je pense au fait que rapporte Jésus en Luc 6, 3-4 : "Jésus leur répondit : N'avez-vous même pas lu ce que fit David, lorsqu'il eut faim, lui et ceux qui étaient avec lui ? — comment il entra dans la maison de Dieu, prit les pains offerts, en mangea et en donna à ceux qui étaient avec lui, alors qu'il est permis aux prêtres seuls d'en manger ?"
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MessageSujet: Re: contrordre ou exception   contrordre ou exception Icon_minitimeMar 29 Jan 2019, 12:14

Girard en boucle (émissaire, et misère ?)... :)

Comme on l'a souvent remarqué, la platitude théologique de Luc-Actes va de pair avec son schématisme historique, où le rapport judaïsme / christianisme, ou Israël / Eglise, se borne pour l'essentiel à un "avant / après". Non seulement entre les deux, mais de part et d'autre on reste en effet sur le mode de l'ordre et du contrordre, autrement dit de la direction ou du gouvernement effectif et permanent de "Dieu" qui décrète au fur et à mesure, le Saint-Esprit et les Apôtres prenant la relève de Jésus pour exercer l'autorité dans l'Eglise. Dans ce schéma de continuité (proto-catholique ou orthodoxe) il n'y a jamais "vacance du pouvoir"; ni donc, en principe, de problème d'interprétation ou de décision à prendre -- personne n'est censé se retrouver seul, en l'absence d'autorité vivante et présente, devant un commandement passé (écrit ou traditionnel) à interpréter, à perpétuer, à amender ou à abroger. La présence divine supposée évacue toute responsabilité. (Tout notre concept de gouvernement, au sens de pouvoir exécutif, dépend de ce modèle de la décision d'autorité instantanée, "en temps réel", par opposition à la loi écrite avant l'événement et à la justice qui juge après coup -- pouvoirs législatif et judiciaire.)

Le cas de Luc 6 (// Marc 2; Matthieu 12) est très intéressant du point de vue de l'exception: chez Marc c'est "le Fils de l'homme" eschatologique comme représentant de "l'homme" en général (l'homme est la fin de la loi en plus d'un sens) qui fait exception à la loi en tant que telle (exception paradoxale donc, unique d'un côté et permanente de l'autre); chez Matthieu au contraire l'ajout de l'exemple supplémentaire (les prêtres dans le temple sont bien obligés de transgresser le sabbat par et pour l'application même de la loi) réduit l'enjeu à une question d'interprétation de la loi (loi qu'il n'est pas question d'abolir ni de "dépasser" sinon par son observance même, cf. chap. 5) et de règlement hiérarchique ou casuistique des conflits qui en découlent quand l'observance d'une loi implique la transgression d'une autre (cf. aussi Jean 7,22s, sur la circoncision et le sabbat, pour une logique analogue avec un tour plus ironique).
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MessageSujet: Re: contrordre ou exception   contrordre ou exception Icon_minitimeMar 29 Jan 2019, 15:07

Loi(s) et alliance nouvelle dans les deux formes conservées du livre de Jérémie (Jr 31, 31-37 TM; 38, 31-37 LXX)(p. 81-92), tel est le thème abordé par P.-M. Bogaert. Après une analyse et une comparaison serrées, deux points sont relevés. Tout d'abord, le texte court souligne d'emblée le caractère unilatéral de la nouvelle Alliance. Si Dieu écrit les lois sur le coeur, il n'est pas dit que le contenu a changé. Seul le support est nouveau: le coeur et non plus la pierre. Telle est la nouveauté de l'Alliance: les lois sont gravées sur le cœur de chacun, ce qui explicite par ailleurs les v. 29-30 du chapitre 31 sur la responsabilité personnelle. Ensuite, dans le texte long, le caractère unilatéral de l'Alliance nouvelle est plus marqué encore, car il y a eu rupture unilatérale de la part du peuple. L'Alliance porte sur la Torah comprise comme un tout; la relecture ne vise pas seulement le décalogue, mais bien vraisemblablement les cinq livres de la Loi. Certes, cette interprétation en deux temps de ce texte si célèbre peut paraître déconcertante, mais elle conduit à distinguer deux définitions successives de la Nouvelle Alliance: «nouveauté dans le support sur fond de continuité du contenu (la loi donnée par Dieu au peuple) dans le texte court; nouveauté profonde, institutionnelle, sacerdotale, du contenu après rupture, selon le texte long» (p. 92).

Le domaine sapiential est abordé par M. Gilbert dans La loi, chemin de sagesse (p. 93-109). À première vue, il semble que le domaine légal est distinct du domaine sapientiel. Pourtant, certains textes bibliques n'entérinent pas cette distinction: pour ces textes, loi et sagesse se rejoignent. Pour évaluer ce courant de pensée et en percevoir les nuances, l'auteur se consacre d'abord aux textes qui partent de la loi pour y découvrir une sagesse et les autres, plus tardifs, qui considèrent la sagesse dans son rapport à la loi. Dans le premier groupe, le rapport entre loi et sagesse est assez évident. Non seulement les juristes sont reconnus comme des sages, mais l'autorité royale peut affirmer que la loi est une sagesse. Ensuite, l'A.T. met en relation sagesse et loi, mais cette relation a connu de nombreuses variations. En dehors des écrits de sagesse, lorsque la loi est au premier plan, on la considère comme une sagesse, à condition de pratiquer les préceptes qu'elle contient. Au contraire, dans les écrits sapientiaux, le point de vue des auteurs est celui de la Sagesse, celle-ci étant placée du côté de Dieu d'abord. Mais, force est de constater que, même dans cette perspective, les nuances sont importantes et trop souvent négligées. Cette constatation ne doit pas masquer l'élément commun à tous ces courants de pensée qu'est l'indissociabilité entre la pratique des commandements du Seigneur et la sagesse. Qui est en quête de sagesse, pratique les préceptes de la loi. Ainsi, sans s'identifier l'une à l'autre, sagesse et loi vont de pair.
https://www.persee.fr/docAsPDF/thlou_0080-2654_2000_num_31_3_3094.pdf
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MessageSujet: Re: contrordre ou exception   contrordre ou exception Icon_minitimeMar 29 Jan 2019, 15:43

Déjà dans l'AT il y a tension multiple entre un dieu qui change d'avis ("se repent", depuis le déluge) au gré des circonstances et celui qui écrit ses commandements perpétuels dans la pierre, entre la torah rituelle et traditionnelle des prêtres qui s'inscrit dans la durée et l'esprit qui agite les prophètes dans tous les sens "en temps réel" (je repense soudain à l'histoire de 1 Rois 13, un sommet du genre), etc. "Dieu" se vit dans un rapport affolant entre un immuable archiconnu et un instantané imprévisible, où tout peut toujours arriver. -- Le (non-)sacrifice d'Isaac est peut-être à cet égard le texte le plus emblématique: Dieu demande à Abraham de lui sacrifier le fils qu'il lui a donné, puis le lui interdit... il y a contradiction non seulement par rapport à l'interdiction générale du sacrifice humain que le lecteur-auditeur connaît en dehors du récit, mais encore par rapport à la promesse de descendance par Isaac dans le récit même qu'il vient de lire ou d'entendre; puis contradiction de la contradiction. On peut toujours imaginer un autre Abraham (autre encore que celui de Kafka, en référence à Kierkegaard) qui ne jouerait pas le jeu, qui ne voudrait pas être dupe, qui ignorerait l'ordre du deuxième dieu (qui demande le sacrifice) à cause du premier (celui de la promesse) en escomptant le troisième (qui interdit le sacrifice); mais ce ne serait justement pas celui-là qui reste prêt à tout, et à tout ignorer en dépit de ce qu'il croit savoir.
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MessageSujet: Re: contrordre ou exception   contrordre ou exception Icon_minitimeMar 29 Jan 2019, 16:35

"L'homme de Dieu dit au roi : Quand tu me donnerais la moitié de ta maison, je n'entrerais pas chez toi. Je ne mangerai rien, je ne boirai rien en ce lieu, car cet ordre m'a été donné, par la parole du SEIGNEUR : « Tu ne mangeras rien, tu ne boiras rien, tu ne prendras pas à ton retour le chemin par lequel tu seras allé. » (...) Or il y avait un vieux prophète qui habitait à Beth-El. L'un de ses fils vint lui raconter tout ce que l'homme de Dieu avait fait ce jour-là à Beth-El, les paroles qu'il avait dites au roi, et ils les racontèrent à leur père. (...)  Alors il lui dit : Viens manger avec moi à la maison. Mais il répondit : Je ne peux ni revenir avec toi, ni entrer chez toi. Je ne mangerai rien, je ne boirai rien avec toi en ce lieu ; car il m'a été dit, par la parole du SEIGNEUR : « Là, tu ne mangeras rien, tu ne boiras rien, et tu ne prendras pas à ton retour le chemin par lequel tu seras allé. » Il lui dit alors : Moi aussi, je suis prophète comme toi ; c'est un messager qui m'a dit, par la parole du SEIGNEUR : « Ramène-le chez toi, qu'il mange et qu'il boive. » Il lui mentait. L'homme de Dieu revint avec lui pour manger et boire." 1 R 13 8-19 

Encore une découverte, je ne connaissais pas ce récit surprenant. A priori le vieux prophète a menti à l'homme de Dieu et quand on lit la suite du récit, c'est l'homme de Dieu qui est condamné par Dieu, pour sa désobéissance et pas le vieux prophète, l'incitation à la désobéissance serait donc moins grave que la désobéissance elle-même :


"et il cria vers l'homme de Dieu qui était venu de Juda : Ainsi parle le SEIGNEUR : Parce que tu as été rebelle aux ordres du SEIGNEUR et que tu n'as pas observé le commandement que le SEIGNEUR, ton Dieu, t'avait donné,  parce que tu es revenu et que tu as mangé et bu au lieu dont il t'avait dit : « Tu n'y mangeras rien, tu n'y boiras rien », ton cadavre n'entrera pas dans le tombeau de tes pères." (13,21-22) 
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MessageSujet: Re: contrordre ou exception   contrordre ou exception Icon_minitimeMar 29 Jan 2019, 16:58

Ce genre de récit "affolant" est naturellement propice à toutes les gloses "rassurantes" qui s'avèrent encore plus affolantes à la réflexion: si le second prophète a "menti" (scripsit in extremis le rédacteur, comme pour dédouaner Yahvé), c'est à l'instigation de Yahvé qui "éprouve" ainsi le premier, puis inspire et valide encore la prophétie efficace du second (désormais supposé menteur !) contre le premier; l'hommage navré rendu par le second au premier (v. 26ss) sonne de toute façon comme un reproche contre ce dieu fantasque qui ne sait pas ce qu'il veut... On peut penser aussi, dans le même genre, à l'histoire plus connue de Balaam (Nombres 22ss) où il y a également ordre et contrordre, vas-y pas, vas-y, et rebelote par ange et ânesse interposés; où Balaam se montre, d'un récit à l'autre, vrai prophète et puni quand même... Les dieux rendent fous, comme disait Euripide, et peut-être pas seulement ceux qu'ils veulent perdre.

Un tel régime "prophétique", d'inspiration im-médiate, est un régime d'exception permanente, si l'on ose cet oxymore absurde par définition (puisqu'en toute logique il n'y a d'exception qu'à une règle): rien ne vaut que la dernière parole de dieu adressée à chacun; ni règle ni loi, ni logique ni foi en aucune parole divine antérieure ou adressée à un autre ne peuvent la raisonner ni prévaloir contre elle. Être prophète, c'est être à la merci d'un dieu qui peut dire, demander ou ordonner n'importe quoi. Pas question ici de "discernement des esprits" ou d'un quelconque critère régulateur, "objectif", "rationnel" ou même "révélé" dans la stabilité d'une révélation durable.

Sur le mode parodique, Jonas est aussi un remarquable (contre-)exemple, qui tente vainement d'esquiver l'ordre en anticipant (avec raison, dans un sens !) le contrordre. Anti-Abraham sous ce rapport. -- Il y avait peut-être à la fois du Jonas et de l'Abraham chez un Stanislav Petrov. A la limite, il faut autant de foi pour désobéir que pour obéir à un ordre exceptionnel, ou même à la règle dans une situation exceptionnelle.

Si l'on voulait trouver à cela un équivalent "moderne", il faudrait peut-être aller le chercher du côté de ce qu'on appelle "schizophrénie". Le prophète est en principe par rapport à la parole de son dieu ou de son "esprit" dans une situation subjective équivalente à celle du "schizophrène" par rapport à la "voix" ou à l'impulsion qui peut l'inciter à n'importe quoi -- il ne peut lui-même en juger, rien d'autre ne fait plus pour lui règle ni critère (pas de "garde-fou"). D'où l'ambivalence généralisée "prophétisme" / "folie": le prophète peut n'être qu'un fou, le fou pourrait bien être prophète. Toute la révélation "biblique", en tant que "prophétique", est suspendue à cette possibilité-là. Dès la séquence Genèse-Exode fondatrice de la Torah: le dieu qui interdira le meurtre et les sacrifices humains est aussi celui qui pouvait demander (fût-ce brièvement) l'holocauste d'Isaac -- et entendait alors être obéi sans discussion ni condition, comme il l'entendra aussi quand il ordonnera le contraire.
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MessageSujet: Re: contrordre ou exception   contrordre ou exception Icon_minitimeMer 30 Jan 2019, 12:32

"Quand les Philistins apprirent qu'on avait conféré l'onction à David pour qu'il soit roi sur Israël, ils montèrent tous à la recherche de David. Quand David l'apprit, il descendit à la forteresse.  Les Philistins arrivèrent et se déployèrent dans la vallée des Rephaïtes. David interrogea le SEIGNEUR : Dois-je attaquer les Philistins ? Me les livreras-tu ? Le SEIGNEUR dit à David : Vas-y, car je te livrerai les Philistins. David arriva à Baal-Peratsim, où il les battit. Puis il dit : Le SEIGNEUR a ouvert une brèche devant moi dans les rangs de mes ennemis, comme une brèche ouverte par les eaux. C'est pourquoi on a appelé ce lieu du nom de Baal-Peratsim (« Maître des brèches ») . Ils abandonnèrent là leurs idoles, et David et ses hommes les emportèrent.
Les Philistins partirent de nouveau à l'attaque et se déployèrent dans la vallée des Rephaïtes. David interrogea le SEIGNEUR, qui dit : Tu n'attaqueras pas ; prends-les à revers, et tu arriveras sur eux en face des mûriers. Quand tu entendras un bruit de pas dans les cimes des mûriers, alors dépêche-toi, car c'est le SEIGNEUR qui se met en campagne devant toi pour battre les troupes des Philistins. David fit ce que le SEIGNEUR lui avait ordonné ; il battit les Philistins depuis Guéba jusqu'à Guézer." 2 Sam 5, 18-25

2 stratégie différentes pour une bataille contre un même ennemi et sur un lieu identique. Si Dieu est avec David et son armée, pas de nécessité d'avoir une stratégie, la victoire est assurée.
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MessageSujet: Re: contrordre ou exception   contrordre ou exception Icon_minitimeMer 30 Jan 2019, 13:07

Juxtaposation saisissante, en effet, de deux récits traditionnels de nature différente (non pas "avec et sans dieu", mais le dieu opérant différemment dans les deux cas: là de façon plus "miraculeuse", ici de façon plus "stratégique"). Reste le point commun de la "mantique", ou de la divination-révélation qui conseille tantôt l'attaque frontale, tantôt la ruse; dans le second cas encore plus de mantique, quand on sait que l'interprétation du vent dans la ramure des arbres (de préférence "sacrés") est aussi un mode de divination classique -- même s'il se réduit, dans l'état final du texte, à un "signal" divin pour passer à l'action.

Le rapprochement (volontaire ou fortuit, par regroupement des récits autour des mêmes noms de personnages, de peuples et de lieux: David, les Philistins, la vallée des Rephaïm -- qui sont aussi les "ombres" des morts ou des divinités souterraines, propices à la (nécro-)mantique, bien connues aussi des textes d'Ougarit; même le nom d'Orphée a peut-être un rapport -- dans la Septante ce sont des "Titans", par association aux nephilim-Géants) permet en tout cas de remarquer une différence significative, qui s'étend de proche en proche à tous les récits "épiques" qui combinent actions divine et humaine dans des proportions et selon des modèles variables. Seul un monothéisme anachronique la rend vraiment problématique. Pourquoi un "Dieu tout-puissant" s'enquiquinerait-il à faire combattre et ruser des hommes quand il peut tout faire tout seul, la question est en effet sans réponse, mais elle ne se pose pas tant qu'il n'y a que des dieux plus ou moins puissants et plus ou moins malins.
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MessageSujet: Re: contrordre ou exception   contrordre ou exception Icon_minitimeMer 30 Jan 2019, 17:51

"Dieu dit à Balaam : Tu n'iras pas avec eux ; tu ne maudiras pas ce peuple, car il est béni" Nb 22,12

"Dieu vint à Balaam pendant la nuit ; il lui dit : Puisque ces hommes sont venus t'appeler, va avec eux ; mais tu feras ce que je te dirai." Nb 22,20

Ordre et contrordre, Dieu interdit dans un premier temps à Balaam  de suivre les messagers de Balaq et ensuite il lui demande de le faire donc il accepte que Balaam aille maudire le peuple d'Israël. C'est que le v 20 se conclut par cette phrase : "mais tu feras ce que je te dirai", qui pourrait suggérer que Balaam  pouvait suivre les messagers de Balaq sans maudire le peuple.
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MessageSujet: Re: contrordre ou exception   contrordre ou exception Icon_minitimeJeu 31 Jan 2019, 11:34

Et ça continue, puisque tout se rejoue un peu plus loin avec "l'ange de Yahvé" qui arrête (l'ânesse de) Balaam -- comme si le précédent controrde n'avait compté pour rien -- et finalement lui ordonne de poursuivre sa route (alors même que Balaam se disposait à faire demi-tour). Soit une structure très similaire à celle de 1 Rois 13, et sans aucun "mensonge" humain... (c'est le dieu même qui fait tourner son prophète en bourrique, si j'ose dire).

Pour rappel, depuis la découverte de Deir Alla le récit des Nombres apparaît plutôt comme une variante narrative sur un "prophète" légendaire, et une sorte de parodie ironique sur le "prophétisme" même (à cet égard comparable à Jonas). La tradition "biblique" étant elle-même très variable, puisque tantôt c'est Yahvé qui "change" la prophétie de Balaam contre l'intention de celui-ci (Deutéronome 23,4s; Josué 24,9s; Néhémie 13,2), tantôt Balaam est parfaitement obéissant et il faut lui inventer une autre "faute" pour le "punir" (la tentation d'Israël en Nombres 31,8.16; la "divination" même en Josué 13,22; dans le NT, encore la "tentation", Apocalypse 2,14, OU l'appât du gain, Jude 11 // 2 Pierre 2,15; pour ne rien arranger, les "prophéties" de Balaam sont devenues en partie "messianiques" entre-temps, ainsi l'étoile de Jacob).
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MessageSujet: Re: contrordre ou exception   contrordre ou exception Icon_minitimeJeu 31 Jan 2019, 13:49

Au terme d'une étude fouillée qu'il n'y a pas lieu de détailler ici, l'histoire rédactionnelle de Nb 22-24 s'établit de la manière suivante :

1. Connaissant le texte araméen de Deir 'Alla en Ammon (750-700), un auteur judéen écrit vers 750 la première histoire de Balaam, prophète yahviste, venu de l'autre côté du Jourdain; le contexte est celui, légèrement prédeutéronomique, d'une propagande nationaliste anti-prophétique (22, 2-21.36-41 ; 23, 1-26).
L'épisode ainsi raconté est résumé en Michée 6, 5.

2. Une autre tradition transjordanienne, sur l'affaire des Israélites et des adianites à Baal Peor (Nb25), où Balaam joua un rôle, est évoquée en Nb 31,8 et 16.

3. Cette dernière, conjugée à la réaction deutéronomique, permet de proposer de Balaam un portrait négatif, attesté en Dt23,5-6, en Jos 24,9-10 et, tout
particulièrement, dans l'épisode de l'ânesse (Nb 22,22-35), encadré dans une Wiederaufnahme (22, 20 et 35).

4. Pendant l'exil ou peu après, cependant, l'image positive de Balaam est remise en valeur. Balaam y est l'égal de Moïse (Nb 23,27-30; 24,1-20). Le modèle littéraire est encore Deir'Alla, mais aussi 2 Sa 23, 1-2. - Ne 13,2 atteste toutefois la persistance de l'autre courant, négatif.

Cette explication sort délibérément de la théorie documentaire. Mais l'auteur se garde de généraliser. Il faut bien admettre, en effet, que la péricope de Balaam n'a qu'un lien assez lâche avec le reste du livre (voir p. 479). En revanche, la première forme de la tradition sur Balaam apparaît vraiment ancienne, et cela va à l'encontre de ceux qui abandonnent la théorie documentaire pour placer la rédaction complète du Pentateuque à l'époque de l'exil. Ce résumé ne peut dispenser de lire attentivement un ouvrage dont le sujet (Balaam, l'ânesse, les poèmes), assez varié, tempère l'austérité. https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1987_num_18_3_2260_t1_0379_0000_5



"Mon peuple, souviens-toi, je te prie, de ce que projetait Balaq, roi de Moab, et de ce que lui répondit Balaam, fils de Béor, depuis Shittim jusqu'au Guilgal— afin que tu saches ce que le SEIGNEUR fait pour la justice." Michée 6, 5 

"Balaq dit à Balaam : Viens, je te prie, je te mènerai dans un autre lieu ; peut-être conviendra-t-il à Dieu que, de là, tu le voues pour moi à la malédiction ! Balaq mena Balaam au sommet du Péor, qui domine la terre aride. Balaam dit à Balaq : Bâtis-moi ici sept autels, et prépare-moi ici sept taureaux et sept béliers.
Balaq fit ce que Balaam avait dit ; il offrit un taureau et un bélier en holocauste sur chaque autel." Nb 23,27-30
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MessageSujet: Re: contrordre ou exception   contrordre ou exception Icon_minitimeJeu 31 Jan 2019, 14:24

Ou: derniers soubresauts (d'une phase) d'optimisme reconstructeur en pleine débâcle de la théorie documentaire chez les exégètes francophones, dans les années 1980...

Michée 6,5 (que j'avais oublié de mentionner) me paraît très ambigu: selon qu'on rattache la "réponse" de Balaam à Balaq à tel ou tel épisode du récit des Nombres (peut-être pas encore écrit !) on peut en déduire une image positive ou négative de Balaam (celui qui essaie de maudire ou qui s'y refuse, qui bénit effectivement ou qui suggère la tentation fatale, etc.). Quand la datation de tous les textes est incertaine, on peut établir entre eux toutes les relations qu'on veut, ce qui revient à n'en établir aucune au sens fort du terme.
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MessageSujet: Re: contrordre ou exception   contrordre ou exception Icon_minitime

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