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| Quoi? l'éternité | |
| | Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Quoi? l'éternité Sam 19 Déc 2009, 22:17 | |
| A mon avis, l'une des raisons majeures pour lesquelles le christianisme moderne ne comprend plus grand-chose à sa théologie (élaborée au crépuscule de l'Antiquité) consiste dans la perte (bien sentie par Rimbaud, puisqu'elle ne peut être que retrouvée) du sens de l'éternité, survenue... entre-temps -- précisément à l'avènement de la modernité occidentale qui ne connaît plus d'autre dimension que celle de l'histoire. Que ce soit le "conte raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, ne signifiant rien", du Macbeth de Shakespeare, ou le "cauchemar dont je voudrais me réveiller", selon Stephen Dedalus dans l'Ulysse de Joyce. L'éternité jadis conçue comme autre ou envers du temps, à la fois opposée et tangentielle à celui-ci, n'est plus pensable pour la plupart d'entre nous que comme durée infinie. Dès lors l'éternité, pour nous comme pour Woody Allen, "c'est long, surtout vers la fin". L'ennui de la "vie éternelle" jéhoviste (en anglais: everlasting et non eternal, cela au moins nous aura été épargné par la langue française), qui en est l'illustration caricaturale, ne tient pas tant à ce qu'elle est terrestre qu'à ce qu'elle n'est que du temps qui s'écoule encore et encore. L'éternité signifie-t-elle encore (ou de nouveau) quelque chose pour vous? Peut-être est-ce la météorologie (le "temps" qu'il fait) qui m'inspire, mais je la vois surtout comme la réponse impossible à la question de Villon: "mais où sont les neiges d'antan?" (question philosophique peut-être aussi fondamentale que le "Pourquoi quelque chose plutôt que rien?"). L'éternité comme non-lieu (et pourtant représentée de façon spatiale) où coexisterait ce que le temps sépare, magnifiquement illustrée par la dernière scène de Nostalghia, de Tarkovsky, qui superpose la cathédrale en ruines où le personnage mort a vécu son dernier acte à la maison de son enfance, sous la neige... Ou, de façon plus sordide par le Svidrigaïlov de Dostoïevsky (Crime et châtiment), comme une cabane pleine d'araignées... Loin de toute actualité, ou peut-être tout près mais de l'autre côté, voilà un sujet sur lequel j'aimerais vous lire. |
| | | ASSAD
Nombre de messages : 434 Age : 98 Date d'inscription : 20/04/2008
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Dim 20 Déc 2009, 00:20 | |
| " Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices, Suspendez votre cours ! Laissez-nous savourer les rapides délices Des plus beaux de nos jours !
Comme tu l'as bien précisé, jusqu'à ce que je m'intéresse aux philosophies et pensées orientales, je ne percevais l'éternité que de façon linéaire.
Depuis ma lecture d'écrits influencés par le bouddhisme, le tao te king et autres, j'ai réalisé que l'éternité pouvait être des moments hors du temps, comme des choses aussi simples que contempler un coucher de soleil, écouter un morceau de musique, faire le vide dans son agitation intérieure. Des moments où le temps à suspendu son vol .
Par contre, je n'avais jamais pensé aux moments où coexisteraient ce que le temps sépare. A méditer pour moi.
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Dim 20 Déc 2009, 00:51 | |
| ouah! si je peux me permettre cette expression triviale. Tu lances un sujet qui laisse le temps prendre son temps. Pour les neiges d'antan elles ont été meilleures parce que nos souvenirs nous présentent un tableau que notre cerveau a modifié et qui nous les fait regretter, mais peut-être regrettons-nous le temps passé et non la neige qui revient comme une vieille amie que nous n'avons pas toujours envie d'avoir à la maison, enfin pour ce que j'en dis...
Qu'est-ce que l'éternité, voilà bien une notion sur laquelle il est impossible d'être sur, mais qui ne nous laisse pas sans idées. Pour moi et dans le contexte actuel de mes idées, l'éternité n'est plus ce temps pour lequel je me faisais plein d'espoirs dans le passé, catholique ou témoin, mais ce n'est plus un thème qui me lancine, et je suis content d'avoir pu mettre de côté, pour un temps, du moins.
Si cette éternité devait nous voir revivre ce que nous connaissons alors j'aimerais qu'elle ne soit pas... Mais au gré de mes lectues il me semble que cette éternité on ne peut pas la connaître avant d'avoir tirer notre révérence d'ici bas et à parler franchement, personne n'est venu de là-bas pour nous dire comme on y vivait, mais c'est où là-bas? Si, comme Je le pense nous sommes rattachés à une force et que nous appartenons à ce qui nous entoure, mais que face à une telle vacuité il est bien difficile de se prononcer, dire ce que je ressens est vraiment complexe.
J'apprécie ce que tu as écrit, Assad, et je peux le comprendre, actuellement, car je suis en train de lire une approche sur le Bouddhisme; tout un univers qui m'était si lointain
J'ai encore du chemin à parcourir pour bien saisir ce qui peut paraître insaisissable, le temps, pas celui du futur mais celui du présent (j'ai l'impression de faire de la conjugaison) mais comme mes progrès sont lents et mesurés je reste au conditionnel et me promet de progresser dans un futur pas si lointain, bref il faut me dépêcher je n'ai pas l'éternité... alors me voici. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Dim 20 Déc 2009, 02:05 | |
| je me permets de reprendre "la plume"; une des choses qui m'a le plus interpellé c'est de lire une déclaration du Bouddha disant qu'il faut prendre conscience de la non-permanence des choses. Ainsi l'instant présent était un futur auparavant et devient un passé. L'impermanence ne permettrait donc pas de parler de l'éternité, ni même de l'envisager selon le sens que nous lui donnons de nos jours. Le mot éternité suggère l'idée de quelque chose qui ne change pas et c'est sans doute ce qui peut paraître étrange puisque quantité de gens comprennent ce mot dans le sens d'une vie différente après la mort, vie qui se prolongerait à jamais, tout en pensant retrouver un ersatz de la vie actuelle dans "leur nouvelle vie".
Nous avons construit toute une structure, une forme de pensées ("nous" représentant les instances religieuses, et philosophiques, sans leur en faire grief) pour aider les hommes et les femmes à mieux vivre, à mieux se sentir en pensant à l'éternité qu'ils, qu'elles pourraient connaître après la mort, une vie bien meilleure qui durerait l'éternité.
Mais si nous voulons parler de l'éternité dans ce sens, nous devons alors imaginer qu'il y a une vie après la mort. Voilà donc un problème qui s'ajoute a celui de la définition du mot éternité selon le sens que nous lui attribuons. L'éternité peut nous faire penser à Dieu ou à ses anges, mais nous nous appercevons que si Dieu n'a pas de commencement, il n'en est pas de même pour les anges qui ont été créés à un moment donné; ainsi le mot éternité n'a pas la même signification s'il s'agit de parler de celle dont jouit Dieu et de celle se rapportant aux anges, de plus ces derniers peuvent perdre la vie, et donc l'éternité, en cas de désobéissance.
Le cas des anges est intéressant car il nous fait penser à l'impermanence évoqué par le Bouddha, puisqu'ils ne la possèdent pas complètement, ce qui modifie sérieusement le sens que nous pouvons attribuer à ce mot "éternité". Selon le Bible les humains pourraient eux-aussi accéder à l'éternité ce qui ne signifient pas nécessairement l'immortalité, puisque dans leur cas ils doivent également continuer d'obéir à Dieu pour continuer de vivre éternellement.
L'éternité est donc bien différente de l'immortalité puisque l'une donne accès à la loge "VIP" l'autre à de bonnes places mais n'offrant pas la même garantie. L'éternité évoque aussi le fait de rester toujours le même peut importe les éléments qui nous entoure, mais l'impermanence que nous pouvons voir sur notre visage au gré des jours qui passe, nos traits changeants, nos cheveux poussant nous prouve que cette notion d'éternel est en fait une impression de ce que nous sommes, de ce que nous représentons, de ce que sont les éléments, un lac, une montagne, changeants sous l'effets des forces de la nature que sont les innondations, les chutes de pierres.
L'éternité ne serait donc pas éternelle. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Dim 20 Déc 2009, 02:54 | |
| La parabole nietzschéenne de "l'éternel retour" (je la comprends comme telle, je dirais même que c'est LA parabole par excellence) est aussi un retour de l'éternel dans le devenir, l'éternité du devenir même -- retour d'autant plus significatif que Nietzsche a nié avec la dernière énergie l'éternité opposée au devenir à la manière d'un "arrière-monde". Une façon, là encore, d'inscrire quelque part une "vérité", celle du vouloir nietzschéen qui ressemble comme un frère (fût-il ennemi) à la "foi". Non plus dans le ciel mais dans le devenir lui-même. D'écrire l'histoire de telle sorte que je la relise déjà en m'y inscrivant. Un moment particulièrement fort (et obscur) du Zarathoustra est celui où le prophète de l'éternel retour est accablé par l'idée que celui-ci signifie aussi, inévitablement, l'éternel retour de l'humain-trop-humain. http://fr.wikisource.org/wiki/Ainsi_parlait_Zarathoustra/Troisième_partie/Le_convalescent
Je trouve cette question fondamentale: nous rêvons d'une éternité sélective (comme l'est souvent notre mémoire), qui "garderait" les "grands" moments et éliminerait le reste... en feignant d'ignorer que tout se tient.
Je rejoins par ailleurs Xavier sur un point: la seule éternité à laquelle nous ayons à coup sûr accès est grammaticale; je l'associe pour ma part au futur antérieur: cela (aussi) aura été. |
| | | ASSAD
Nombre de messages : 434 Age : 98 Date d'inscription : 20/04/2008
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Dim 20 Déc 2009, 12:29 | |
| Le lien fonctionne mieux ainsi :
http://fr.wikisource.org/wiki/Ainsi_parlait_Zarathoustra/Troisi%C3%A8me_partie/Le_convalescent |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Dim 20 Déc 2009, 15:41 | |
| Merci Assad,
J'avais essayé de corriger le formatage mais mon post n'apparaissait plus du tout, et en passant du mode wysywyg au mode de base j'ai altéré le lien lui-même sans m'en rendre compte: dès qu'il y a des caractères spéciaux dans un lien, ça foire...
***
La conscience (suneidèsis), comme son nom l'indique, est un jeu de miroirs; réflexive et réfléchie, spéculaire et spéculative, elle projette une image (inversée) du réel dans l'imaginaire (sub specie... aeternitatis), elle le répète et le représente pour le reconnaître, et pour ce faire il lui faut d'une façon ou d'une autre recourber, redoubler, replier (doblar) son monde.
Elle est retrouvée Quoi? l'éternité C'est la mer allée Avec le soleil
Dualité encore, scintillant de reflets infinis. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Mar 29 Déc 2009, 00:45 | |
| en reprenant le fil du sujet je prends conscience de notre condition humaine; nous en sommes à discuter de l'éternité alors que nous avons fait l'impasse sur une partie de nos convictions.
Que peut bien être la terre pour de petites fourmies alors qu'elles n'ont jamais quitté leur fourmilière pour aller vers une autre forêt par exemple. Comme elles, nous sommes collés sur notre vaiseau terre en nous demandant s'il ne va exploser à cause de son mauvais entretien et parce que quelques hommes se sont posés sur la lune nous envisageons de nous déplacer dans l'univers dont nous apprenons à connaître seulement maintenant l'immensité, et c'est peu dire. Et voilà que nous disséquons gramaticalement le vocable éternité, nous l'analysons et essayons de nous rendre compte de l'effet que ce mot exerce sur nous, sur notre esprit.
Que savons-nous au juste de l'éternité, pas grand chose? Nous essayons de l'imaginer, voire de refuser de l'imaginer parce que cette notion est contraire à notre nature qui nous amène année après année plus près de la mort, si cette dernière ne vient pas avant sans prévenir, suite à une maladie ou un accident. Nous admettons notre disparition comme cela, au même titre que des animaux comme le déclare le livre de l'ecclésiaste chap. 3 versets 19 et 20.
Pourtant je me refuse de considérer que tout s'arrête avec la mort parce qu'alors nous vivons une mauvaise comédie; les animaux ont un avantage sur nous ils ne se font pas trop de soucis, ne font pas trop de projets et n'ont pas peur de la mort, eux... Qu'il n'y ait rien après, cela leur est égal ils n'ont pas comme beaucoup d'entre nous cette sensation d'une vie après, ils ne se sont pas imaginés de vie après la mort, de Dieu à aimer, à respecter; oh cela ne les attristent pas, ils sont justes comme cela. Mais nous? Charles Darwin a écrit son ouvrage qui a été comme un coup de tonnerre dans un ciel sans nuages, et l'on peut dire qu'il a réellement ouvert une large porte à la science et dépoussiérer certaines notions imposées par les églises, la religion. Depuis certains ont perdu leurs convictions et ont tout balancé par dessus bord.
Nous ne savons pas ce que représente l'éternité au sens religieux très exactement et alors, il est possible de vivre notre foi sans cette connaissance qui n'est pas basique. Il est bon de discuter avec d'autres pour compléter notre savoir et nous enrichir les uns les autres et c'est le but de ce message de ce soir, je voulais partager avec vous mes pensées du jour sans devenir un moralisateur, je vous souhaite le bonsoir. |
| | | VANVDA
Nombre de messages : 1610 Date d'inscription : 09/05/2008
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Ven 01 Jan 2010, 12:05 | |
| L'éternité vécue non comme un fleuve qui coule sans fin mais bien plutôt comme sa "berge" (ce "par rapport à quoi" le temps s'écoule), voilà une idée qui ne nous vient plus. Le temps n'est, et ne peut-être, que ce que nous en connaissons immédiatement, humainement, "phénoménologiquement".
Et ce "temps qui coule sans fin" (une fin que nous pourrions (a)percevoir) est pour nous le plus grand des vertiges. On nous fait plonger dans son fleuve dans une histoire qui est écrite sans "nous", et nous le quittons contre notre gré sans en connaitre la fin. On nait et on meurt au beau milieu de l'histoire, et ce qu'il reste de nous (notre histoire, individuelle, celle à laquelle on croit tant) ne nous sert à rien, mais ne sera utile que pour ceux qui nous suivent, sans qu'on sache jamais en mourant ce qu'ils en feront. La mort nous dépouille de notre temps, le temps nous dépouille de notre mort. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Sam 02 Jan 2010, 16:13 | |
| Dans toute histoire c'est la fin qui fait le sens; rira bien qui rira le dernier... mais personne n'est jamais le dernier à rire ou à pleurer, sauf par clôture arbitraire du récit. Chaque chapitre, chaque paragraphe, chaque phrase supplémentaire compromet le jugement capitalisé hâtivement sur un point -- final pour autant qu'on le croie tel, comme le trait horizontal d'un bilan. Comme dans ce conte chinois où chaque nouvel épisode inverse le sens du précédent (le paysan trouve un cheval, est-ce bon ou mauvais? son fils le monte et se casse la jambe, est-ce bon ou mauvais? il ne peut pas partir à la guerre, est-ce bon ou mauvais? etc.). L'intuition, la certitude même de l'infinité du temps qui passe (la métaphore de l'eau vive, cours ou fil, s'impose ici d'elle-même, irrésistiblement) dissout tout jugement, faute d'une "dernière analyse" qui soit autrement dernière que la dernière en date, déjà pénultième et antépénultième. L'epokhè, le suspens du jugement qui s'ensuit chez quelques-uns est-il sagesse ou folie? Indécidablement l'une et l'autre. Si le jugement dernier n'existait pas il eût fallu l'inventer, ne fût-ce que pour valider la notion même de valeur. Car sans ce mythe de présence et de lumière totalisatrices, totalitaire au point d'abolir la nuit et le chant silencieux de ses sources, il n'y a de sens que relatif et utilitaire, du point de vue disséminé et provisoire du "suivant" à qui celui-ci ou cela aura ou non "servi" avant qu'il "serve" lui-même ou non à quelqu'un ou à quelque chose d'autre.
*** Me revient en mémoire le superbe shrug of eternity, "le haussement d'épaules de l'éternité", sur lequel Arthur Koestler conclut Darkness at Noon (Le Zéro et l'Infini). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Ven 24 Fév 2012, 17:21 | |
| Ulysse refusait la vie éternelle Luc Ferry ancien ministre de l'Éducation nationale philosophe Calypso est une nymphe d'une beauté sublime, elle tombe follement amoureuse d'Ulysse, pour tenter de le garder à ses côtés, lui promet quelque chose qui demande singulièrement réflexion, un présent inouï, qu'aucun mortel n'a jamais reçu : elle lui promet l'immortalité et la jeunesse éternelle s'il reste avec elle. Et pourtant Ulysse refuse son offre... Aux yeux d'Ulysse, le but de l'existence ne réside pas dans le salut au sens d'une conquête à tout prix de l'immortalité. Il est ailleurs, dans la quête de l'harmonie, dans la mise en accord de soi avec l'ordre cosmique garanti par Zeus. Ce refus signifie qu'à ses yeux, une vie de mortel réussie est préférable à une vie d'immortel ratée. Et qu'est-ce qu'une vie de mortel réussie ? C'est une vie qui accepte d'abord et avant tout la finitude, la mortalité comme telle, mais qui cherche néanmoins à parvenir à une existence réussie en visant l'harmonie avec le cosmos - c'est tout le sens du voyage -, une vie dans laquelle on a trouvé sa place ou, pour parler comme Aristote, une existence dans laquelle on parvient à rejoindre son « lieu naturel ». Et, pour Ulysse, ce lieu naturel dans l'ordre cosmique est dans sa ville, à Ithaque, avec son fils et sa femme. En quoi, paradoxe suprême d'une littérature tout imprégnée des dieux, la mythologie dessine une sagesse laïque, une sagesse non religieuse, une spiritualité qui reste à destination de mortels qui ne doivent pas attendre leur salut des dieux. A l'inverse, une vie ratée pour Ulysse, consiste à pleurer sur son rocher en compagnie d'une nymphe, qui est certes beaucoup plus belle que sa femme, mais avec laquelle il n'est pas à sa place. Une vie ratée, pour lui, c'est une vie d'immortel délocalisée. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Lun 27 Fév 2012, 15:13 | |
| L'Horloge
Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace et nous dit: «Souviens-toi! Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi Se planteront bientôt comme dans une cible;
Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse; Chaque instant te dévore un morceau du délice À chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde Chuchote: Souviens-toi! — Rapide, avec sa voix D'insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois, Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde!
Remember! Souviens-toi! prodigue! Esto memor! (Mon gosier de métal parle toutes les langues.) Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or!
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide Qui gagne sans tricher, à tout coup! c'est la loi. Le jour décroît; la nuit augmente; Souviens-toi! Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.
Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard, Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge, Où le Repentir même (oh! la dernière auberge!), Où tout te dira Meurs, vieux lâche! il est trop tard!»
— Charles Baudelaire |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Mar 28 Fév 2012, 13:33 | |
| Gilbert Bécaud Un Instant D'éternité
On n'a qu'un bout de strapontin Au grand théâtre du bonheur On est passagers clandestins Parmi les voyageurs On n'a qu'un bout de nuit Pour se faire l'amour On n'a qu'une heure ou deux A s'aimer pour toujours
Un instant d'éternité C'est bon à prendre, à prolonger Un défi à l'infini Un pied de nez au paradis
C'est bon de se laisser rêver Et de jouer à quatre mains Une symphonie inachevée En oubliant demain Qu'est-ce qu'on est bien au paradis Des rendez-vous ! Le monde, cette nuit, Peut se passer de nous
Ma cigarette qui s'éteint Le soleil qui fait ce qu'il peut Pour allumer dans le lointain Un petit jour frileux Je dis pas "Je reviendrai" Je n'en sais rien Mais je sais que je revivrai Si je reviens
Un instant d'éternité Sur une étoile inhabitée Un défi à l'infini Un pied de nez, tiens, au paradis
Un instant d'éternité C'est bon à prendre, à prolonger Un défi à l'infini
Un pied de nez au paradis ! |
| | | Frere toc
Nombre de messages : 285 Age : 52 Date d'inscription : 24/08/2011
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Mer 29 Fév 2012, 00:51 | |
| Dans le pas gai j'ai ça aussi : Jacques Brel, Les Vieux:Les vieux ne parlent plus ou alors seulement parfois du bout des yeux Même riches ils sont pauvres, ils n'ont plus d'illusions et n'ont qu'un cœur pour deux Chez eux ça sent le thym, le propre, la lavande et le verbe d'antan Que l'on vive à Paris on vit tous en province quand on vit trop longtemps Est-ce d'avoir trop ri que leur voix se lézarde quand ils parlent d'hier Et d'avoir trop pleuré que des larmes encore leur perlent aux paupières Et s'ils tremblent un peu est-ce de voir vieillir la pendule d'argent Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui dit : je vous attends Les vieux ne rêvent plus, leurs livres s'ensommeillent, leurs pianos sont fermés Le petit chat est mort, le muscat du dimanche ne les fait plus chanter Les vieux ne bougent plus leurs gestes ont trop de rides leur monde est trop petit Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit Et s'ils sortent encore bras dessus bras dessous tout habillés de raide C'est pour suivre au soleil l'enterrement d'un plus vieux, l'enterrement d'une plus laide Et le temps d'un sanglot, oublier toute une heure la pendule d'argent Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, et puis qui les attend Les vieux ne meurent pas, ils s'endorment un jour et dorment trop longtemps Ils se tiennent par la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant Et l'autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère Cela n'importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin Traverser le présent en s'excusant déjà de n'être pas plus loin Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d'argent Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit : je t'attends Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Mer 29 Fév 2012, 13:56 | |
| «Le passé est l’intervalle qui sépare la perception du souvenir.» Louis Lavelle - Du temps et de l’éternité
Pour Louis Lavelle, dans la Presence Totale, l'éternitéest bien un present intemporel, un pur "maintenant" mais qui ne devient accessible que par la négation de ce qu'il y a de négatif dans le temps. Pour rencontrer l'éternité dans le maintenant, nous devons rencontrer la Presence, ce qui veut dire être, être au sens plein, être ici et maintenant. Pour cela il faut nier le temps psychologique.
Qu'est ce qui m'empeche d'être ici et maintenant ?
C'est l'activité du mental, qui sans cesse me tiraille ailleurs, dans le passé de mes souvenirs, dans le futur de mes attentes. En niant les modes de la fuite du temps, en desinvestissant le passé et le futur, en désinvestissant le passé et le futur, ma conscience peut revenir vers le présent, elle peut se donner la Présence.
http://sergecar.perso.neuf.fr/cours/temps3.htm |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Ven 09 Mar 2012, 18:13 | |
| Pour un croyant l'éternité peut désigner une existence transformée parce que Dieu y est présent, pour lui elle commence dès à présent, dans sa vie actuelle.
"Celui qui croit, a la vie éternelle" (Jean 6, 47). L'auteur n'emploie pas un futur. Il ne dit pas que le croyant aura la vie éternelle, mais bel et bien qu’il l'a. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Ven 09 Mar 2012, 18:44 | |
| le nouveau testament interlinéaire grec/français publié par l'alliance biblique universelle rend la phrase comme sui (au mot à mot)
Amen, amen, je dis à vous, le croyant a vie éternelle.
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| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Mar 16 Oct 2012, 12:05 | |
| L'Éternité - Rimbaud
Elle est retrouvée. Quoi ? — L'Éternité. C'est la mer allée Avec le soleil
Âme sentinelle, Murmurons l'aveu De la nuit si nulle Et du jour en feu.
Des humains suffrages, Des communs élans Là tu te dégages Et voles selon.
Puisque de vous seules, Braises de satin, Le Devoir s'exhale Sans qu'on dise : enfin.
Là pas d'espérance, Nul orietur. Science avec patience, Le supplice est sûr.
Elle est retrouvée. Quoi ? — L'Éternité. C'est la mer allée Avec le soleil.
Le texte s'ouvre sur un cri de joie, une sorte d'"Euréka!". Puis, le poète s'interroge sur le sens de l'illumination qui vient de le visiter : il a retrouvé (se dit-il), dans un spectacle de la nature ("la mer allée / Avec le soleil" : "la mer mêlée / Au soleil" dira Rimbaud, plus simplement, dans "Alchimie du verbe"), l'Éternité perdue en même temps que la foi chrétienne.
À son âme inquiète du salut, il demande ensuite de reconnaître qu'il n'y a rien d'autre à attendre, dans ce bas monde, en guise d'éternité, que le renouvellement sans fin du cycle du temps : la succession des jours, écrasés de soleil, et des nuits vides où l'homme se sent solitaire et abandonné.
Dès lors, l'âme du poète peut prendre son essor pour accomplir son destin : elle s'envole, se détache du monde et des hommes, se détourne des aspirations communes. S'adressant enfin au soleil comme s'il était son Dieu, l'auteur professe que le seul "Devoir" qu'il se reconnaisse est de se consumer sans délai, sans répit, sous sa loi. Il affirme à nouveau son rejet d'un monde où l'espérance est toujours déçue, où toute idée de salut, toute idée d'un "orietur" (c'est-à-dire d'une possible aurore) est sans cesse renvoyée à un avenir incertain, son rejet d'une civilisation qui ne sait que prêcher la patience et qui fait de la vie humaine un languissant supplice. Le retour final du "refrain" ramène le lecteur au paysage symbolique où s'origine le poème.
http://abardel.free.fr/petite_anthologie/l_eternite.htm |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Mar 30 Oct 2012, 13:04 | |
| Michel Hulin «la mystique sauvage»:
« L'éternité est là, maintenant. Je suis dedans. Elle est autour de moi dans l'éclat du soleil. Je suis en elle comme le papillon qui flotte dans l'air saturé de lumière. Rien n'est à venir. Tout est déjà là. Maintenant l'éternité. Maintenant la vie immortelle. Ici, en cet instant, près de ce tumulus, maintenant, je vis en elle... »
L'Étranger d'Albert Camus.
On se souvient qu'il s'agit d'un condamné à mort, à la veille de son exécution: «La merveilleuse paix de cet endormi entrait en moi comme une marée... Vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais pour la tendre indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais été heureux, et que je l'étais encore.» [...] «Quand donc suis-je plus vrai que lorsque je suis dans le monde?», se demande Camus, dans L'Envers et l'Endroit. Et il ajoute, en guise de réponse: « Je suis comblé avant d'avoir désiré. L'éternité est là et moi je l'espérais »
Dans son propos sur L'éternité, nous lisons chez Comte-Sponville sa conception de l'éternité
Plus de passé! Plus d'avenir! Il n'y a plus que le présent, qui reste présent: il n'y a plus que l'éternité. [...] Le passé n'est pas, puisqu'il n'est plus. L'avenir n'est pas, puisqu'il n'est pas encore. Il n'y donc que le présent, qui ne cesse de changer, mais qui continue et reste présent. Qui a jamais vécu un seul hier? Qui a jamais vécu un seul demain? C'est toujours aujourd'hui. C'est toujours maintenant. «Seul le présent existe», |
| | | Frere toc
Nombre de messages : 285 Age : 52 Date d'inscription : 24/08/2011
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Mar 30 Oct 2012, 17:08 | |
| Pour Eckhart Tolle l’Éternité est une illusion, tout comme le temps est une illusion. Seul compte le moment présent : - Citation :
- Le temps n'est pas précieux du tout puisqu'il est une illusion. Ce que vous percevez comme tel n'est pas le temps lui même, mais ce point qui est en dehors du temps, soit le présent. Et l'instant présent est certainement précieux. Plus vous êtes axé sur le temps, c'est à dire le passé ou le futur, plus vous ratez le présent, la chose la plus précieuse qui soit. Et pourquoi l'est-elle ? Parce qu'elle est l'unique chose qui soit. Parce que c'est tout ce qui existe. L'éternel présent est le creuset au sein duquel toute votre vie se déroule, le seul facteur constant. La vie c'est maintenant. Il n'y a jamais eu un moment où votre vie ne se déroulait pas "maintenant" et il n'y en aura d’ailleurs jamais. Par ailleurs, l'instant présent est l'unique point de référence qui puisse vous transporter au delà des frontières illimitées du mental. Il est votre seul point d'accès au royaume intemporel et sans forme de l'être.
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| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Ven 19 Avr 2013, 14:26 | |
| Volontiers, je m'écrierais: «Que m'importe la vie éternelle, sans la conscience à chaque instant de cette éternité! La vie éternelle peut être dès à présent toute présente en nous. Nous la vivons dès l'instant que nous consentons à mourir à nous-mêmes, à obtenir de nous ce renoncement, qui permet immédiatement la résurrection dans l'éternité.» Il n'y a ici ni prescription, ni ordre; simplement, c'est le secret de la félicité supérieure que le Christ, comme partout ailleurs dans l'Évangile, nous révèle : «Si vous savez ces choses, vous êtes heureux», dit encore le Christ (saint Jean, XIII, 17). Non pas; «Vous serez heureux», mais: «Vous êtes heureux.» C'est à présent et tout aussitôt que nous pouvons participer à la félicité.
Quelle tranquillité! Ici vraiment le temps s'arrête, ici respire l'éternité. Nous entrons dans le Royaume de Dieu. Oui, c'est ici le centre mystérieux de la pensée de Dostoïevski et aussi de la morale chrétienne, le secret divin du bonheur. L'individu triomphe dans le renoncement à l'individualité: Celui qui aime sa vie, qui protège sa personnalité, la perdra; mais celui-là qui en fera l'abandon la rendra vraiment vivante, lui assurera la vie éternelle; non point la vie futurement éternelle, mais la fera dès à présent vivre à même l'éternité. Résurrection dans la vie totale, oubli de tout bonheur particulier. réintégration parfaite !
http://agora.qc.ca/thematiques/mort/documents/et_nunc_ou_des_a_present |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Dim 21 Avr 2013, 10:21 | |
| L'éternité est-ce bien la vie sans fin? C'est une notion qui n'interpelle pas les membres des mouvements évangéliques et surtout les groupes millenaristes.
Pourtant elle fait peur cette idée que nous pourrions vivre à jamais, à l'image des condamnés à perpétuité. Ce qui est pourtant drôle en soit puisque personne n'a vraiment envie de mourir. Lorsque l'on est jeune c'est tout une structure de discussion qui ne vient pas à l'esprit, puis avec le temps on se prend au jeu et l'on évoque cette "sortie de route définitive": la mort.
Donner son âme en échange de l'éternelle jeunesse tel à été le fil conducteur de nombreuses histoires mettant en scène un homme généralement, âgé de surcroit, près à tout pour arrêter de vieillir et rajeunir afin de ne pas connaitre les affres de la mort.
Mais à notre époque nombreux sont ceux qui décrient la possibilité de vivre sans connaitre la mort. Drôle d'époque qui voit, d'un côté, se cotoyer des chercheurs désireux d'allonger la vie telle que nous la connaissons avec ces misères physiques et morales, de l'autre côté des hommes et des femmes ne pas souhaiter vivre dans un monde ou la mort et la maladie n'existeraient pas ou plus.
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| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Quoi? l'éternité Jeu 13 Juin 2019, 14:51 | |
| Mes relectures de Kierkegaard m'amènent à ressusciter ce fil pour lui faire, ici aussi, une petite place...
Très sommairement: au beau milieu du XIXe siècle, soit après plus de 300 ans de "modernité" et de perte du sens antique et médiéval de l'"éternité" (voir supra), alors que celle-ci ne semble plus guère pouvoir jouer d'autre rôle que celui de "point de vue spéculatif sur l'histoire" (le sub specie aeterni selon Hegel qui représente pour Kierkegaard, malgré tout ce qu'il lui doit et ce qu'ils doivent ensemble au "sujet transcendantal" de l'idéalisme kantien, l'im-posture par excellence), Kierkegaard n'abandonne pas l'"éternité" comme la plupart des post-hegeliens, mais lui donne un tour de paradoxe supplémentaire, et pour lui spécifiquement "chrétien". Contrairement au rapport temps/éternité de la pensée antique (et, à mon sens, encore largement chrétienne et médiévale), où l'éternité est pour ainsi dire tangentielle et coextensive au temps (autre du temps, mais auquel on peut se rapporter indifféremment de n'importe quel "point" du temps), le christianisme ("religieux-paradoxal", ou "religieux B" dans la terminologie de K.), en inscrivant le rapport temps/éternité à un point unique de l'histoire (Jésus comme l'Homme-Dieu, qui tend idéalement à se réduire au moment de la Passion), ferait qu'on ne peut plus se rapporter à l'éternité sans se rapporter AUSSI à un AUTRE point de l'histoire, ce que le concept moderne d'histoire (scientifique, donc approximative) rend précisément IMPOSSIBLE -- d'autant qu'il s'agirait, dans l'instant, de devenir "contemporain" d'un autre temps, seul tangentiel à l'éternité. Du coup, le rapport à l'éternité est un pur rapport de foi (non plus de connaissance ou de réminiscence comme dans l'idéalisme socratico-platonicien et tout ce qui en découle, y compris dans le christianisme historique depuis saint Augustin p. ex.) et un "saut" dans l'absurde (le credo quia absurdum vaguement inspiré de Tertullien trouve là une expression stricte, si l'on peut dire). Quand on pense que tout cela s'écrit aux heures enthousiastes de la "critique historique" du christianisme et du NT (Kierkegaard ne s'engage guère sur ce terrain et il se garde tout autant de la combattre, mais il ne l'ignore pas; il a lu Strauss p. ex.), on mesure ce que cette résurrection de l'éternité a de délibérément "fou" et "scandaleux" (cf. 1 Corinthiens bien sûr), mais aussi de "désespéré" en plus d'un sens.
Kierkegaard par ailleurs anticipe, sans le savoir évidemment, sur pas mal de développements ultérieurs évoqués plus haut: sa description "terne" d'une éternité sans gloire, froide éternisation d'un rapport existentiel tel qu'il a été (ou non) vécu "subjectivement" par le vivant existant -- même s'il y va aussi, le cas échéant, de la "béatitude" d'un rapport devenu "transparent" par la "souffrance" -- n'est pas sans analogie avec celle de Svidrigaïlov; et l'idée que le rapport à l'éternité, quoique médiatisé ou plutôt anti-médiatisé par la médiation impossible d'un rapport au passé (l'Homme-Dieu), passe par une décision, par définition tournée vers l'avenir, cela ressemble fort à l'éternel retour de Zarathoustra, qui veut le passé comme futur, devant lui, et ne se laisse donc penser que comme "retour" (Wiederkehr), là encore tout près de la "reprise" ou "répétition" kierkegaardienne.
Et puisque j'en (re-)viens à Nietzsche, je remarque avec surprise que je n'ai pas (ré-)cité ici ce poème; selon la traduction d'Henri Albert, p. 481: Ô homme ! Prends garde ! Que dit minuit profond ? « J’ai dormi, j’ai dormi, « D’un profond sommeil je me suis éveillé: « Le monde est profond, « et plus profond que ne pensait le jour « Profonde est sa douleur, « La joie plus profonde que la peine. « La douleur dit: passe et finis ! « Mais toute joie veut l’éternité, « veut la profonde éternité ! » (Où la "joie" n'est pas Freude mais Lust, aussi "plaisir" -- cf. le Lustprinzip de Freud ! --, jouissance, gaîté, bonheur; et où le dernier vers répète le "profond": tiefe, tiefe Ewigkeit, "une éternité profonde, profonde". Voir aussi dans le même pdf les pages 338 et suivantes, toute la conclusion de la troisième partie qui outre une première version du même poème, y ajoute un dernier dont le refrain est "Car je t'aime, ô éternité !") |
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