Puisque par son pseudonyme "DoorsOfPerception" a réussi, tel le moteur immobile d'Aristote, à nous faire écrire sans écrire lui- ou elle-même, j'ajoute ici une petite réflexion qui m'est souvent passée par la tête sans que je la formule vraiment (et dont je ne doute cependant pas qu'elle ait été formulée souvent et bien mieux), sur "l'ordre de la culture" qui est un autre aspect de ce que j'ai appelé ailleurs la "dérive du sens".
L'ordre (chrono-)logique Blake-Huxley-Morrison se renverse dans ce qu'on appelle communément la "culture" (aussi bien la "culture populaire" que celle des gens qui s'en distinguent parce qu'ils ont "de la culture"). Dans l'ordre de la culture, en général, on passe d'abord par Morrison pour éventuellement remonter à Huxley puis à Blake (dans ce sens-là, on peut d'ailleurs facilement sauter l'étape intermédiaire). On commence par la citation, l'allusion, la réminiscence, l'adaptation, le pastiche, la parodie, le plus souvent sans les comprendre comme tels; c'est seulement quand on s'aperçoit, par hasard ou par curiosité, qu'il y a "quelque chose derrière" qu'on a une chance, non seulement de découvrir "l'original" (toujours relatif), mais encore d'apprécier la citation, l'allusion, la réminiscence, l'adaptation, le pastiche, la parodie comme tels.
Il m'est arrivé plus d'une fois de pester sottement contre cette (in-)culture de l'imitation (surtout chez les plus jeunes, bien sûr!), avant de me rendre compte qu'elle est la règle même de toute culture: toujours et partout la "copie", fidèle ou caricaturale, géniale ou grossière, se substitue au "modèle". On voit le film avant de lire (ou pas) le roman, comme on a lu Racine avant de lire (ou pas) Euripide (etc.). La "perte" est surtout sensible là où il y a parodie, car l'humour du "décalage" ne s'apprécie vraiment que par rapport à une référence. Mais une parodie réussie finit par valoir pour elle-même, et la découverte éventuelle de la référence (et donc du décalage) devient un "bonus" pour une "élite".
(Point n'est besoin de dire que ce schéma trouve un terrain de choix dans les textes "bibliques" et assimilés. On lit la Genèse avant Gilgamesh, et ainsi de suite.)