Lien.
J.L. Marion (philosophe catholique qu'on ne présente plus) me laisse souvent une impression mitigée: je n'en attends certes aucune rigueur exégétique, puisque ce n'est pas son métier, bien qu'il y ait à cet égard des philosophes plus attentifs -- il puise indifféremment dans tous les textes du NT pour en combiner les énoncés (sur l'usage très particulier, "médio-platonicien", d'
ep[-]hapax, "une fois pour toutes",
dans l'épître aux Hébreux, voir p. ex.
ce fil). Mais même du point de vue philosophique il m'étonne: une analyse très fine (qui doit beaucoup à Kierkegaard sans jamais le nommer) de la temporalité et de l'historicité, de la décision et du jugement (
krisis, d'où l'emploi un peu surprenant du mot "crise" en français), qui distingue utilement téléologie et eschatologie, ce qui n'est pas courant, côtoie la naïveté métaphysique la plus grossière, la spatialisation du temps (fût-ce celui de "
notre histoire", puisque rien ne suggère qu'il y en ait un ou une autre): un "temps" dont on peut "sortir" et où l'on peut "rentrer" (comme dans un moulin) n'a plus rien de temporel, c'est un "lieu", une représentation du temps comme espace fini, ligne à une "dimension" sur un plan à deux "dimensions", dans une représentation de l'"éternité" comme espace infini, englobant ou distinct mais contigu. Par là le "temps" n'est pas du tout pensé comme "temps", ni l'"espace" comme "espace", encore moins les "deux" comme
un (seul)...
Peut-être encore plus déconcertante, de la part de quelqu'un qui avait inscrit sa carrière philosophique dans le sillage de Levinas, l'opposition (métaphysique et platonicienne s'il en est) du "sens" au "temps"... Du "sensible" à l'"intelligible", le "sens" est temporel (et spatial) de part en part, de sorte que s'il y avait un "hors-temps" ce serait aussi un "hors-sens"...
Cela dit, même s'il ne faut pas projeter sur l'
ephapax (une fois pour toutes) de Romains 6,10 toute la conception médio-platonicienne du temps et de l'éternité qui caractérise l'épître aux Hébreux (type-modèle-paradigme éternel
vs. antitypes-copies-hypodigmes-ombres provisoires), reste que là aussi il singularise la mort (du Christ comme de n'importe qui) comme le définitif et l'irréversible par excellence; et, ce qui est moins banal, rupture avec "le péché" même pour le Christ...