Etude passionnante sur une époque passionnante -- au moins rétrospectivement, par ses textes, pour ceux qui les lisent et n'ont pas eu à la vivre. La conclusion est peut-être un peu trop schématique, mais éclairante (ça va souvent de pair): quant au couple rire / larmes (etc.), on a glissé tout au long du XVIe siècle du "ou... ou" (alternative) au "et... et" (utraque, qui de Rabelais à Montaigne tend à s'unifier et à se tempérer comme du rire au sourire), puis au "ni... ni" (ne-utrum, et toute la "neutralité" qui s'ensuit), surtout en philosophie et à mesure que celle-ci se démarquait de la littérature, à de très rares exceptions près comme Nietzsche, lui-même passionné par la Renaissance et sa virtù. Il me semble du reste que cet étiolement moral, affectif, sentimental, émotif (on rit et on pleure de moins en moins fort, jusqu'à ne plus oser ni rire ni pleurer), est une tendance de fond et de long cours de la modernité, nonobstant de rares moments de turbulence à contre-courant...
Nietzsche d'ailleurs attribuait déjà à Luther le "repli" du potentiel "vital" et tragicomique de la Renaissance sur une théologie que la philosophie ultérieure n'a fait que prolonger: la parenté "protestante" me paraît indéniable, mais je la crois plus progressive: Luther riait beaucoup, Calvin riait encore (il y a plus d'affinité entre lui et Rabelais ou Montaigne qu'on ne l'imagine si on ne l'a jamais lu -- ce que je n'aurais probablement jamais fait si je n'y avais été contraint par un professeur de théologie calviniste), c'est surtout après que la théologie et la philosophie sont devenues austères, voire sinistres -- tandis que le rire et les larmes se réfugiaient ailleurs, dans la littérature, au théâtre, à l'opéra, au cinéma...