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 Superstition(s etc.)

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MessageSujet: Re: Superstition(s etc.)   Superstition(s etc.) - Page 2 Icon_minitimeMer 19 Oct 2016, 15:25

Personne n'échappe à la superstition , nous connaissons tous cette maxime  : "Moi d'ailleurs, je ne suis pas superstitieux... ça porte malheur".
Nous sommes tous (un peu) superstitieux parce qu'il y a toujours de la crainte, lovée au fond de nous.
Consulter son horoscope est un moyen (illusoire) de se protéger de l'incertitude de l'avenir, or cette crainte de l'avenir incertain nous tenaille tous, à des dégrés différents.
Croire au Dieu "Providence" qui s'occupe de chacun, n'est ce pas une forme de superstition ?
Voir la main de Dieu, dans tout ce qui nous arrive, de positif ou de négatif, n'est ce pas une forme de superstition ?

Même l'Islam, pourtant farouchement opposée à la superstition ("Croire en la superstition, c'est donner à Dieu un égal"), est "infiltrée" par celle-ci (la main de fatma ou l'oeil, par exemple).

Les TdJ refusent toutes formes de superstition, pourtant ils estiment que les anges les guident et les protègent (ange gardien ?) :

" Les anges nous protègent-ils encore de nos jours ? Si nous adorons Jéhovah conformément à sa Parole, nous pouvons être sûrs que ces créatures invisibles et puissantes nous accordent leur protection. La Bible contient cette promesse : “ L’ange de Jéhovah campe autour de ceux qui le craignent, et il les délivre. "

" Les Témoins de Jéhovah constatent que les anges les guident lorsqu’ils prêchent de maison en maison. Ils rencontrent souvent des personnes qui étaient justement en train de prier pour que quelqu’un les aide à comprendre les desseins de Dieu. Grâce à l’activité des anges et aux initiatives des Témoins, chaque année des centaines de milliers de personnes apprennent à connaître Jéhovah. Nous souhaitons que vous tiriez vous aussi profit de cette œuvre salvatrice effectuée sous la direction des anges."

http://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/2006041

Dans toute croyance, il y a une part d'irrationnel.
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MessageSujet: Re: Superstition(s etc.)   Superstition(s etc.) - Page 2 Icon_minitimeJeu 20 Oct 2016, 00:35

Certes.

Pour ne pas (trop) répéter ce qui a été dit depuis le début de ce fil (assez riche, finalement), je m'en tiendrai cette fois-ci au motif de la "crainte", qui me semble en effet déterminant, au moins en pratique. On sait que dans l'AT (en hébreu, dans les langues sémitiques, pour une bonne partie de l'Antiquité: c'est un fait de langue et de culture plus que la caractéristique d'une religion particulière) la "crainte des dieux" (ou "de Dieu") est à peu près équivalente de ce qu'on appelait en français classique "la religion" (parfois au partitif: avoir de la religion, de la piété, de la religiosité). Et cependant les oracles, dans la Bible comme ailleurs, commencent régulièrement par "Ne crains/craignez pas".

Sortons-nous jamais vraiment de l'horizon de la crainte ? Certains textes remarquables du NT le suggèrent (je pense notamment à 1 Jean 4,18, Romains 8,15 ou Hébreux 2,16s). Mais plus couramment -- et peut-être même dans les textes précités si on considère leur "économie" globale -- on joue d'une crainte contre une autre; ainsi, des Proverbes (14,26s) aux évangiles (Matthieu 10,28//), on constate que la crainte de Dieu libère d'autres craintes, comme la crainte des hommes ou de l'avenir.

Peut-on mettre sur le même pied une "religion" (ou une "superstition", là n'est pas la question) qui rassure ou qui donne du courage, dans telle ou telle circonstance (ce peut être le cas de la croyance à la "providence" ou aux "anges gardiens"), et celle qui rend plus craintif ? Je serais tenté de dire non, et pourtant j'ai l'impression qu'il est à peu près inévitable que ce qu'on "gagne" d'un côté, on le "perde" d'un autre. En définitive, chacun joue peut-être de sa crainte, de ses craintes, et de telle crainte contre telle autre, comme il peut. Qu'on puisse jouer avec ses peurs, et se dégager provisoirement de l'une quitte à tomber d'autant plus lourdement dans une autre, ce n'est déjà pas si mal, et c'est peut-être notre seule façon d'avancer -- ou tout au moins de marcher.
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MessageSujet: Re: Superstition(s etc.)   Superstition(s etc.) - Page 2 Icon_minitimeJeu 20 Oct 2016, 15:40

En 1 Sam 4, 2 ss, l'arche de l'alliance semble faire l'objet d'une superstition, elle permet de faire gagner la guerre :


"Les Philistins se rangèrent en ordre de bataille face à Israël, et le combat s'engagea. Israël fut battu par les Philistins, qui abattirent environ quatre mille hommes dans ses lignes sur le champ de bataille.
Le peuple rentra au camp, et les anciens d'Israël dirent : Pourquoi le SEIGNEUR nous a-t-il battus aujourd'hui devant les Philistins ? Allons prendre à Silo le coffre de l'alliance du SEIGNEUR ; qu'il vienne parmi nous et qu'il nous sauve de la main de nos ennemis ! Le peuple envoya un détachement à Silo, d'où l'on apporta le coffre de l'alliance du SEIGNEUR (YHWH) des Armées qui est assis sur les keroubim. Hophni et Phinéas, les deux fils d'Eli, étaient là avec le coffre de l'alliance de Dieu.
 Le coffre de l'alliance du SEIGNEUR arriva au camp, tout Israël lança une grande acclamation ; la terre en fut ébranlée.
Les Philistins entendirent l'acclamation ; ils dirent : Qu'est-ce donc que cette grande acclamation dans le camp des Hébreux ? Ils surent ainsi que le coffre du SEIGNEUR était arrivé au camp.
Les Philistins eurent peur ; ils disaient : Dieu est arrivé au camp ! Quel malheur pour nous ! Rien ne sera plus comme d'habitude !
Quel malheur pour nous ! Qui nous délivrera de la main de ces dieux formidables ? Ce sont ces dieux qui ont frappé les Egyptiens de toutes sortes de fléaux dans le désert. Soyez forts, soyez des hommes, Philistins, de peur que vous ne soyez soumis aux Hébreux comme ils vous ont été soumis ! Soyez des hommes et combattez !
Les Philistins livrèrent donc bataille, et Israël fut battu. Chacun s'enfuit à sa tente. La défaite fut très grande, et il tomba trente mille fantassins en Israël. Le coffre de Dieu fut pris ; Hophni et Phinéas, les deux fils d'Eli, moururent."



L'arche de l'alliance est assimilée à un porte-bonheur.
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MessageSujet: Re: Superstition(s etc.)   Superstition(s etc.) - Page 2 Icon_minitimeJeu 20 Oct 2016, 15:53

Oui, mais le récit se distancie de cette vision des choses puisque précisément Israël est battu et l'arche capturée; toutefois le côté "magique" de l'arche ne disparaît pas pour autant, puisqu'elle "porte malheur" aux Philistins qui se voient obligés de la renvoyer; encore plus loin, la mort d'Ouzza par contact avec l'arche le confirme, au grand dam de David. Toute l'histoire de "l'exil de l'arche" (naturellement surplombée par d'autres exils au fil de ses rédactions) mêle inextricablement des points de vue plus ou moins "superstitieux" et "magiques", où la "prise de distance" rationnelle ou morale alterne avec les "croyances naïves" sans qu'on puisse facilement les départager.
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MessageSujet: Re: Superstition(s etc.)   Superstition(s etc.) - Page 2 Icon_minitimeJeu 20 Oct 2016, 17:00

Nous avons déjà évoqué l’ordalie prescrite par le livre des Nombres 5 qui semble correspondre à un rituel superstitieux :


« Parle aux fils d’Israël et dis-leur : Il peut arriver à un homme que sa femme se conduise mal et lui soit infidèle (...) prêtre fera comparaître la femme devant le SEIGNEUR et la décoiffera ; il mettra sur ses mains ouvertes l’offrande de dénonciation, c’est-à-dire l’offrande de jalousie, tandis que lui-même aura à la main l’eau d’amertume qui porte la malédiction. (...)
Le prêtre lui fera prêter le serment d’imprécation en lui disant : “Que le SEIGNEUR fasse de toi, au milieu de ton peuple, l’exemple qu’on cite dans les imprécations et les serments. Qu’il fasse dépérir ton sein et enfler ton ventre. Cette eau qui porte la malédiction va pénétrer dans tes entrailles pour faire enfler ton ventre et dépérir ton sein.” Et la femme répondra : “Amen, amen !”
Puis le prêtre mettra par écrit ces imprécations et les dissoudra dans l’eau d’amertume. Il fera boire à la femme l’eau d’amertume qui porte la malédiction ; cette eau qui porte la malédiction pénétrera en elle en devenant amère.Le prêtre prendra de la main de la femme l’offrande de jalousie, il la présentera au SEIGNEUR et l’apportera sur l’autel. Le prêtre prélèvera sur la farine de l’offrande une poignée comme mémorial et la fera fumer sur l’autel ; après quoi il fera boire l’eau à la femme.
Il lui fera boire l’eau et il arrivera ceci : si elle s’est souillée et qu’elle a été infidèle à son mari, l’eau qui porte la malédiction pénétrera en elle en devenant amère ; son ventre enflera et son sein dépérira. Et cette femme deviendra pour son peuple l’exemple qu’on cite dans les imprécations. Si au contraire cette femme ne s’est pas déshonorée mais qu’elle est pure, elle sera innocentée et elle sera féconde. »
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MessageSujet: Re: Superstition(s etc.)   Superstition(s etc.) - Page 2 Icon_minitimeJeu 20 Oct 2016, 19:51

Sans rentrer à nouveau dans le problème insoluble d'une définition de la superstition (relire le début de ce fil), j'ai l'impression que ce concept est indiscernable, dans la façon dont tu l'emploies, de celui de religion. Même une simple prière, dans la mesure où elle suppose une quelconque interaction entre une "réalité" et une "divinité", n'est-elle pas à tes yeux "superstitieuse" ?

On peut certes penser que "tout ce qui est religieux est superstitieux"; mais alors le dire ne signifie rien d'autre que son mépris (en vertu de la connotation péjorative de l'attribut) pour le religieux en général. La phrase a perdu toute valeur "descriptive", elle n'est plus que "performative".

De l'ordalie, nous avons en effet beaucoup parlé, encore il n'y a pas si longtemps; et remarqué (au moins) deux choses:
1) que de cette pratique, extrêmement courante dans l'Antiquité et au moyen-âge (c'est, avec la divination, la seule façon de trancher les litiges en l'absence de preuves formelles), il n'y a dans la Torah qu'un seul exemple prescriptif, celui de Nombres 5 précisément (et ce bien que le schème ordalique soit sous-jacent à de nombreux textes bibliques, comme on l'a vu tout récemment à propos de Daniel, de Job ou des Psaumes);
2) que dans le cas de Nombres 5, la "logique" ordinaire de l'ordalie est inversée: en règle générale, l'ordalie fait courir un risque "réel", "physique", au suspect qui s'y soumet, de sorte qu'il n'y échappe que par un miracle qui, le cas échéant, le "justifie" (l'acquitte, le met hors de cause); ici la femme soupçonnée d'adultère ne boit pas de poison, mais quelque chose de tout à fait "symbolique": elle boit littéralement une parole, de malédiction conditionnelle, écrite puis effacée dans l'eau.
Alors, certes, il y va d'une pensée "superstitieuse" ou "magique", qui escompte de la procédure un châtiment réel si elle est "coupable"; mais les deux éléments susmentionnés témoignent aussi d'une réserve (rationnelle et/ou morale) à l'égard de ce type de pensée.
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MessageSujet: Re: Superstition(s etc.)   Superstition(s etc.) - Page 2 Icon_minitimeMar 29 Mar 2022, 10:55

RELIGION ET SUPERSTITION, LES DEUX SŒURS

2. L’EXCÈS DE LA FOI
J’ai intitulé mon deuxième point « l’excès de la foi ». La foi se caractérise par l’excès du croire et la superstition par l’excès de la croyance.

Pourquoi parler d’excès du croire ? Parce que la foi, ou l’action de croire, excède et déborde toujours les catégories qu'on lui applique. Elle échappe en partie aux systèmes d'explications qui tentent d'en rendre compte. Elle ne se laisse pas installer dans des cadres; elle leur résiste et les transgresse. Elle ne se réduit pas à un système de doctrines, de rites et de pratiques. Le « croire » se réfère à Dieu ou à une transcendance. Il implique une relation avec quelque chose ou quelqu’un qu’on ne peut pas cerner ni domestiquer, qui reste irréductible à toutes nos représentations, qui dépasse tout ce que nous pouvons en dire et le culte que nous lui rendons. Dieu, le Dieu qui suscite la foi, auquel on est appelé à croire, diffère toujours et se situe au-delà de notre religion.

À cet égard, il existe une différence considérable entre la foi et le savoir, entre la religion et la science.

 Le savoir à un triple objectif ou un triple idéal, qu'il n'atteint jamais complètement, mais qu'il s'efforce d'approcher le plus possible : il vise l'adéquation, l'homogénéité et l'objectivité. D'abord, l'adéquation. Il veut aboutir à une représentation aussi exacte et fidèle que possible de l'objet étudié. Il entend en donner une image d'une conformité sinon totale, du moins très grande. Ensuite, l'homogénéité. Le savoir tente d'éliminer l'inconnu, l'inexpliqué, l'anomalie. Il cherche une compréhension de la réalité qui soit globale, uniforme et cohérente, qui ramène tout à la règle, à la loi, à la norme et où l’extraordinaire n’ait pas de place. Enfin, l'objectivité. Le savoir redoute la subjectivité; il donne un rôle minime, voir nul à l'individualité de celui qui sait. Les constats, les calculs, les théories, les conclusions scientifiques doivent s'imposer par leur rationalité ou leur évidence propre. Leur validité ne dépend pas, ou ne dépend que peu de la personnalité du savant.  

Il en va tout autrement du croire. Il se réfère à une transcendance, c'est-à-dire à une réalité qui demeure, en tout état de cause, étrange, mystérieuse, indescriptible. Elle ne se laisse pas ramener au connu, au constatable, à l'observable. Elle nous échappe en grande partie. On ne peut pas la comprendre totalement ni la dire justement ou précisément. « Nul n’a jamais vu Dieu », écrit l’apôtre Jean. « Il dépasse toute intelligence », précise l’apôtre Paul. « Ses voies ne sont pas nos voies ni ses pensées nos pensées » déclare le prophète. On n'arrive pas à le comprendre ni à le décrire, on parvient à en témoigner. Le témoignage a une forte dimension subjective, il engage personnellement celui qui le rend.

On ne connaît jamais tout de Dieu et on ne peut pas le manipuler. Pour le plus pieux des croyants, pour le plus savant des théologiens, pour le plus consacré des religieux, il demeure surprenant, déconcertant, il n’est jamais entièrement conforme à ce que l’on attend, jamais totalement semblable aux idées et doctrines qui tentent de le décrire ou de le définir. Dans la Bible, il opère souvent des ruptures et agit en infraction à la religion établie qui voudrait régenter le "croire". Ceux qui s'inscrivent rigoureusement dans un ordre religieux, les prêtres, les pharisiens se voient contestés par les prophètes. Et les évangiles donnent en exemple de foi des exclus, des marginaux par rapport à l'ordre religieux, des païens, des péagers, des prostituées, sans pour cela exclure ou nier la foi de ceux qui vivent dans le judaïsme orthodoxe. La foi se manifeste tantôt dans l'obéissance et la conformité, tantôt dans la révolte et l'étrangeté. Elle ne cesse de brouiller les catégories, les classements, les indices. Elle ne dédaigne pas les cadres établis, mais ne s’y laisse pas enfermer. C’est en ce sens qu’on parle d’excès : ce mot désigne ce qui ne se confine pas dans les règles, ce qui franchit les lignes de démarcation, ce qui sort des emplacements assignés.

Dans la superstition, l’excès se déplace, il se transfère du croire à la croyance, il ne concerne plus seulement Dieu, ou l’objet de la foi, mais aussi les expressions et les manifestations religieuses. L’excès du croire implique que les croyances et les rites ne coïncident pas avec la foi, que Dieu se situe au delà de nos représentations et pratiques qui sont toutes imparfaites et relatives. Dans la superstition, on oublie, on ne perçoit plus cette distance et différence. On sacralise, on absolutise, on divinise les doctrines et les pratiques rituelles, on estime qu’elles appartiennent au surnaturel au lieu d’y voir des moyens naturels pour désigner, évoquer le surnaturel et y renvoyer. Du coup on estime qu’elles ne relèvent pas des mécanismes habituels du monde et d’une pensée rationnelle. Parce qu’elles se rapportent à un objet excessif, exorbitant, dirait Alain Houziaux, on leur attribue une valeur exagérée et outrancière. Quand nous pensons que nos doctrines décrivent exactement l‘être de Dieu au lieu de l’évoquer toujours de manière approximative, quand nous estimons que nos rites ont le pouvoir de le convoquer, de le rendre présent, de l’assigner à résidence, quand nous croyons que nos prières au lieu de nous mettre en relation avec Dieu nous permettent d’utiliser sa puissance pour obtenir quelque chose, alors nous frôlons la superstition ou nous y tombons.

Je rejoins les penseurs que j’ai mentionnés dans ma première partie, qui dénoncent dans la superstition une religion déréglée, outrancière. Elle ne reconnaît pas à la raison son domaine propre, elle ne distingue pas Dieu de ce qui sert à l’exprimer. Elle divinise ce qui n’est pas Dieu, et confond spiritualité et magie. Il y a superstition quand on oublie que Dieu seul est Dieu, comme le répète inlassablement le Réformateur Zwingli ; seul Dieu est divin, seul il est sacré ; personne ni rien d’autre ne l’est.

http://andregounelle.fr/divers/religion-et-superstition-les-deux-soeurs.php
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MessageSujet: Re: Superstition(s etc.)   Superstition(s etc.) - Page 2 Icon_minitimeMar 29 Mar 2022, 11:42

Gounelle grand cru toujours, ici cuvée exceptionnelle (qui me rappelle ceci, écrit vers la même époque pour un colloque auquel il participait aussi).

Je me disais l'autre jour, dans une réflexion toute "personnelle", que la foi, entendue au sens "subjectif" (fides qua creditur, la foi par laquelle on croit; il faudrait même dire plus strictement fides credens, la foi qui croit, la foi comme sujet grammatical et tautologique du croire, la foi en acte, en acte de foi et de foi seule), est absolument indiscernable, du point de vue du croyant (credens) en tant que croyant ou dans l'"acte" même de croire, d'une "superstition". L'instance ou la distance "critique" ou "diacritique" (krinô, diakrinô, juger, discerner, aussi douter), le "critère" qui permettrait de distinguer entre "religion" et "superstition", entre "foi" bonne ou mauvaise ou plus ou moins bonne, cela vient toujours d'ailleurs, fût-ce dans la même tête ou dans le même "coeur": d'un "tiers" radicalement incroyant jusque dans l'"individu croyant", moins indivis dès lors qu'on le croirait; une certaine "raison" (logos, ratio) qui peut aussi bien être "théologique" ou "dogmatique" qu'"agnostique" ou "athée", mais n'en est pas moins radicalement autre que la "foi". Ce que Paul dit de l'"amour" en 1 Corinthiens 13 vaut a fortiori de la foi, par définition "elle croit tout" parce qu'elle ne sait rien faire d'autre que "croire", et c'est seulement un autre qu'elle-même qui peut la mettre en question, plus exactement mettre en question son ou ses  "objets" (fides quae creditur, croyance, doctrine), si tant est qu'elle en ait.

C'est là que la distinction lacanienne entre "réel", "symbolique" et "imaginaire" me paraît toujours pertinente: Ansaldi rattachait la "foi" au "réel", qui est chez Lacan le "symptôme", ce qui arrive et est ressenti en-deçà de toute verbalisation (symbolique) ou représentation (imaginaire). La "foi" peut nourrir tous les "imaginaires", toutes les représentations du réel comme "réalité" plus ou moins cohérente, de la plus "rationnelle" ou "scientifique" à la plus excentrique, mais elle ne le fait pas sans passer par la parole (le langage); et comme le "savoir", si différent qu'il soit de la "foi", passe aussi par le langage, c'est là qu'ils ont quelque chance de se rencontrer et de s'interroger (mutuellement dans le meilleur des cas).
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MessageSujet: Re: Superstition(s etc.)   Superstition(s etc.) - Page 2 Icon_minitimeMar 29 Mar 2022, 16:19

Les Orthodoxes attachent beaucoup d’importance à la vénération des reliques: n’est-ce pas une forme de superstition ?

La vénération des reliques (« restes ») est très ancienne – 

Mentionnée dans la Bible (2 Ro 2, 13 ; 13, 21 ; Ex 13, 19 ; Jos 24, 32 ; etc.), elle est liée à la mémoire des morts et à l’intuition du caractère personnel du corps. Les anciens inhumaient les morts et conservaient leurs ossements, quelquefois leur corps, ou même des objets leur ayant appartenu et marqués ainsi d’un caractère personnel. Le contact de ces restes a souvent produit un effet salutaire (guérison ou même résurrection).

https://www.sagesse-orthodoxe.fr/histoire-et-organisation-de-leglise/les-orthodoxes-attachent-beaucoup-dimportance-a-la-veneration-des-reliques-nest-ce-pas-une-forme-de-superstition/

"et ramassa le manteau qu'Elie avait laissé tomber. Puis il revint et s'arrêta sur la rive du Jourdain ; 14il prit le manteau qu'Elie avait laissé tomber, il en frappa les eaux et dit : Où est le SEIGNEUR (YHWH), le Dieu d'Elie ? Lui aussi, il frappa les eaux, qui se divisèrent de part et d'autre. Elisée passa" (2 Ro 2, 13-14).

"Elisée mourut, et on l'ensevelit. L'année suivante, des troupes de Moabites pénétrèrent dans le pays. On était en train d'ensevelir un homme quand on vit une de ces troupes. On jeta l'homme dans le tombeau d'Elisée ; l'homme alla toucher les ossements d'Elisée, il reprit vie et se leva" (2 Ro13, 21-22).

"Moïse prit avec lui les ossements de Joseph ; car Joseph avait fait prêter serment aux fils d'Israël, en disant : Quand Dieu interviendra en votre faveur, vous emporterez d'ici mes ossements avec vous" (Ex 13, 19).

"Les ossements de Joseph, que les Israélites avaient emportés d'Egypte, furent ensevelis à Sichem, dans la parcelle de terre que Jacob avait achetée aux fils de Hamor, père de Sichem, pour cent qesitas. Cela fit partie du patrimoine des fils de Joseph" (Jos 24, 32). 
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MessageSujet: Re: Superstition(s etc.)   Superstition(s etc.) - Page 2 Icon_minitimeMar 29 Mar 2022, 17:09

C'est aussi bien catholique (cf. les exemples de cathédrales françaises et catholiques dans cet article d'une Eglise orthodoxe-roumaine en région parisienne).

La question ne s'arrête pas aux reliques (des morts), c'est plus largement celle de la matérialité de l'"objet" de la foi dont l'efficacité se propage par contact, de toucher en toucher et en métonymie du toucher, du corps au vêtement ou même à l'ombre: Jésus ou les apôtres guérissent ceux qu'ils touchent et qui les touchent, ils guérissent encore quand on touche ce qu'ils ont touché, etc., de l'hémorroïsse des Synoptiques (Marc 5//) aux miracles par contact indirect que l'auteur des Actes (p. ex. 5,12ss; 19,11ss) raconte avec un mélange de condescendance distanciée correspondant à sa posture "savante" et de crédulité affectée (c'est un peu ridicule, n'est-ce pas, mais ça marche quand même). Ce sont plutôt les miracles sans contact qui seraient l'exception, tel celui du centurion de Matthieu 8 // Luc 7 dont on parlait ici -- et encore faudrait-il se demander si dans ce cas la "parole" ne fonctionne pas justement comme un objet "magique" et/ou "transitionnel", comme par contact sans contact.
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MessageSujet: Re: Superstition(s etc.)   Superstition(s etc.) - Page 2 Icon_minitimeMer 30 Mar 2022, 11:16

Quand vient finalement le moment de l’exode d’Égypte, les ossements de Joseph sont donc aussi ces éléments qui relient le monde ancien, c’est-à-dire le pays de Canaan dans lequel Joseph est né, à l’Égypte où il est mort. Joseph est le garant qui transmet et avertit que l’Égypte est le signe de l’inachevé. Le livre de la Genèse se clôt sur les versets suivants (Genèse 50, 24-26) :

Joseph dit à ses frères : « Je vais mourir. Dieu vous visitera et vous fera remonter de ce pays dans le pays qu’il a fait serment de donner à Abraham, Isaac et Jacob. » Joseph fit prêter serment aux fils d’Israël, en disant : « Quand Dieu vous visitera, vous ferez monter d’ici mes ossements. » Joseph mourut à cent dix ans. On l’embauma et on le mit dans un cercueil en Égypte.

Ce n’est qu’à la libération de l’esclavage qu’il devient possible d’emporter les restes de sa dépouille au cours du long voyage à travers le désert pour accomplir son vœu. Même si à la fin Moïse se lève (et sa situation est suffisamment difficile) au nom du Dieu des trois ancêtres qui s’est révélé à lui dans le buisson ardent : ce fil ténu d’un lien immédiat à l’ancienne patrie à laquelle plus aucun Israélite vivant n’a de relation biographique depuis longtemps est nécessaire. Les ossements momifiés de Joseph, liés à la mission jamais complètement oubliée de les apporter de l’Égypte à sa terre natale, liés à la promesse renouvelée que Dieu fera remonter Israël, établissent ce rapport. Le testament de Joseph signifie que dans l’Exode ce n’est pas qu’une révolution contre l’oppression égyptienne qui se fait jour, mais un cercle qui se clôt et partant, le lien à la tradition abrahamique qui est éveillé pour les générations suivantes. Ces ossements seront surtout un guide muet durant les quarante ans de marche au désert – ils ne pourront pas être enterrés au désert. La momie de Joseph donne au pays de Canaan le caractère de nouveau pays ancien, pour reprendre le titre programmatique d’un livre de Theodor Herzl, qui seul permet la transformation de Canaan en pays d’Israël.

https://www.cairn.info/revue-communio-2017-5-page-83.htm
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MessageSujet: Re: Superstition(s etc.)   Superstition(s etc.) - Page 2 Icon_minitimeMer 30 Mar 2022, 11:59

Article passionnant bien au-delà du présent sujet (notamment sur le rapport complexe entre "sionisme" et "tradition" dans le judaïsme contemporain, qu'il fait apparaître sous un jour inhabituel et à mon sens très "éclairant").

Le rapprochement entre les ossements ou la momie de Joseph et la Torah de Moïse/Josias/Esdras etc. ouvrirait d'autres perspectives, du point de vue de l'"objet magique et transitionnel" dont on parlait précédemment, où la "transition" est à la fois spatiale (d'un lieu à l'autre, de l'Egypte au désert puis en Canaan, ou du désert au temple et dans tous les exils et diasporas à venir, jusqu'aux retours historiques ou eschatologique) et temporelle (d'une époque à l'autre, des Patriarches à la Conquête ou de l'Exode à l'exil et au-delà). L'écriture en effet, même au sens restreint d'écriture de la parole, n'échappe pas à la l'objecti(vi)té ni à la chosification: le livre ou le rouleau qu'on lit et relit, cite ou récite à haute voix est aussi un "objet sacré" qu'on expose et qu'on cache (fort / da), qu'on touche et manipule selon un rituel précis (du lavage des mains pharisien ou rabbinique à l'ostentation et au baiser catholique ou orthodoxe), qui joue et rejoue de multiples manières la différance de l'espace-temps, suivant tous les traits et le tracé des traditions, traductions, trahisons, arborescentes jusqu'à l'inextricable.
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