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| éternités fixes | |
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Narkissos
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| Sujet: éternités fixes Sam 16 Avr 2016, 17:08 | |
| Que l'eunuque ne dise pas: Je suis un arbre sec ! Car voici ce que dit Yahvé aux eunuques qui observent mes sabbats, qui choisissent ce à quoi je prends plaisir et qui demeurent fermes dans mon alliance: Je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs un monument et un nom ( yad wa-shem, littéralement: une main et un nom; la place d'un nom ?) meilleurs que des fils et des filles; je leur donnerai un nom pour toujours, il ne sera jamais retranché.Isaïe 56,3s. Ceux qui auront eu du discernement brilleront comme brille la voûte céleste -- ceux qui auront amené la multitude à la justice, comme des étoiles, pour toujours, à jamais.Daniel 12,3. Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père.Matthieu 13,43. Le vainqueur, j'en ferai une colonne dans le sanctuaire de mon Dieu, et il n'en sortira jamais plus. J'écrirai sur lui le nom de mon Dieu et le nom de la ville de mon Dieu, la Jérusalem nouvelle qui descend du ciel d'auprès de mon Dieu, ainsi que mon nom nouveau.Apocalypse 3,12. Comme en contrepoint aux discussions sur l'" âme", je repense à ces quatre textes (il y en aurait sûrement d'autres) pour ce qu'ils me semblent avoir en commun: d'offrir à l'espérance humaine (ce sont quatre promesses) une image ou une représentation "inhumaine", "impersonnelle", "inanimée", "objective" (au sens de: dénuée de toute subjectivité), en un mot graphique, de "soi" au-delà de la vie et de la mort. Image et représentation, "double" de soi, si l'on veut, mais pas copie conforme comme une statue ou un portrait: il y a substitution de signe, de symbole ou de métaphore, tenant lieu de "soi"; on n'a pas sa photo au ciel ou dans le temple, mais sa marque, son étoile ou sa colonne; son nom à la rigueur, mais lequel ? Sur le(s) nom(s) écrit(s) de l'Apocalypse, cf. 3,5; 13,8; 14,1; 17,8; 19,12s.16; 21,12.14; 22,4. Et éventuellement ceci (§ 2). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: éternités fixes Jeu 10 Fév 2022, 12:08 | |
| 3,12 (Philadelphie): «Le vainqueur, j’en ferai une colonne dans le sanctuaire de mon Dieu, et il n’en sortira jamais plus. J’écrirai sur lui le nom de mon Dieu et le nom de la ville de mon Dieu, la Jérusalem nouvelle qui descend du ciel d’auprès de mon Dieu, ainsi que mon nom nouveau». L’évocation de la Jérusalem nouvelle fait penser à sa description en 21,2-27. Le vainqueur participe à sa solidité, semble-t-il, puisqu’il est une colonne dans le sanctuaire de Dieu. Ce sanctuaire (naó v12) est sans doute la ville elle-même, puisqu’en 21,22, il est affirmé qu’il n’y a pas de sanctuaire dans la Jérusalem nouvelle, Dieu étant lui-même son sanctuaire.
https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2013_num_44_4_4168
Louis Segond : “une place et un nom” Nouvelle Bible Segond : “un monument et un nom” Bible en Français Courant : “un emplacement pour son nom” Parole de Vie : “une pierre pour y graver leur nom” Traduction Œcuménique de la Bible : “une stèle porteuse du nom” New American Standard Bible, REB : “un mémorial” Le terme Hébreu est littéralement une “main” (BDB 388, #4), mais référant idiomatiquement à un mémorial (cfr. 1 Sam. 15:12; 2 Sam. 18:18).
http://www.freebiblecommentary.org/pdf/fre/VOL11BOT_french.pdf
Notes : Ésaïe 56:5
un monument : litt. une main, cf. 57.8n ; voir aussi 1S 15.12 ; 2S 18.18n (cas d’un homme sans héritier). On pourrait également comprendre une place (le même mot est rendu par endroit en Dt 23.13) ou une part (partie en Gn 47.24). – un nom : autre traduction une renommée ; on pourrait aussi comprendre un monument à leur nom. – meilleurs que des fils… cf. 1S 1.8 ; Sagesse 4.1 : « Mieux vaut ne pas avoir d’enfant et posséder la vertu qui laisse un souvenir riche d’immortalité. » – un nom pour toujours… : cf. 55.13 ; Ps 112.6 ; Ap 3.5.
https://lire.la-bible.net/verset/%C3%89sa%C3%AFe/56/5/NBS |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: éternités fixes Jeu 10 Fév 2022, 13:47 | |
| Sur l'article de Focant, voir ici (19.8.2021) et les liens subséquents (c.-à-d. antérieurs). Noter qu'il suffirait d'un tour de logique supplémentaire d'un côté à l'autre de la "couverture" (introduction / conclusion) de l'Apocalypse pour conclure à la "divinisation": être dans le temple quand il n'y a plus de temple mais que le temple c'est Dieu (et l'Agneau), c'est tout simplement être "en Dieu (en Christ)" -- à un certain stade de réflexion tout se rejoint effectivement, et l'Apocalypse et Jean (de l'évangile ou des épîtres) et Paul... Tout compte fait, j'inclinerais plutôt aujourd'hui pour ne rien changer à la "place" de Segond en Isaïe 56,5 (cf. LXX topon onomaston, "lieu renommé" ou "dénommé", soit "une place à son nom") -- je me suis peut-être laissé trop influencer par l'explicitation de la TOB, il est vrai commune depuis la reprise de la formule ( yad va-shem) pour le mémorial de la Shoah, à Jérusalem... |
| | | free
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| Sujet: Re: éternités fixes Jeu 10 Fév 2022, 14:19 | |
| - Citation :
- Tout compte fait, j'inclinerais plutôt aujourd'hui pour ne rien changer à la "place" de Segond en Isaïe 56,5 (cf. LXX topon onomaston, "lieu renommé" ou "dénommé", soit "une place à son nom") -- je me suis peut-être laissé trop influencer par l'explicitation de la TOB, il est vrai commune depuis la reprise de la formule (yad va-shem) pour le mémorial de la Shoah, à Jérusalem...
Ne retrouve-ton pas en Isaïe 56,5 ; l'idée de ne pas tomber dans l'oubli ("lieu renommé") et le fait de laisser une trace (tout comme la statue d'un personnage historique ou le portrait d'un roi).
Dernière édition par free le Jeu 10 Fév 2022, 14:45, édité 1 fois |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: éternités fixes Jeu 10 Fév 2022, 14:43 | |
| Entre le nom et la statue ou l'effigie c'est à coup sûr la même fonction (de re-présentation), mais non le même mode (de re-présentation) -- cf. le post initial de ce fil. L'interdit plus ou moins strict de l'image (qu'on peut supposer bien établi à l'époque du trito-Isaïe, sinon plus tôt) y est sans doute pour quelque chose.
Anachronisme pour anachronisme, le sens littéral (la main ou l'avant-bras, yad) me fait penser à tous les Halls et Walks of Fame où les noms des "célébrités" sont souvent accompagnés de l'empreinte des mains ou des pieds (p. ex. dans le ciment ou le béton). Mais l'empreinte c'est encore du vide, la trace "en creux" d'une présence présente et vivante en son temps, passée et absente ensuite, soit ce qu'il en est de toute "mémoire", étrangement compatible avec l'"oubli"...
(Voir éventuellement les méditations de Derrida sur la khôra platonicienne, "place" insituable mais indispensable à l'inscription du "caractère", "type" ou "empreinte", qui vaut aussi pour l'inscription de l'"idée"-modèle, type ou paradigme, dans ses "copies", "antitypes" ou "hypodigmes". Si ça rappelle l'épître aux Hébreux ce n'est pas un hasard, puisque c'est un autre développement du même "platonisme".) |
| | | free
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| Sujet: Re: éternités fixes Mar 15 Fév 2022, 15:36 | |
| Esaïe 56.5 Un monument et un nom… Le nom d’un homme est perpétué par ses fils. Absalon, n’ayant pas d’enfants, érige, pour conserver le sien, un monument où il puisse l’y graver (2 Samuel 18.18). Dieu promet aux eunuques un monument semblable, qui conservera plus sûrement leur mémoire que des fils ou des filles. Ce monument est le symbole de leur incorporation au peuple de Dieu. En quoi consiste-t-il ? Leur nom sera inscrit quelque part dans la maison de Dieu et en tout cas dans les registres d’Israël, de manière à perpétuer à jamais leur souvenir.
https://www.levangile.com/Bible-Annotee-Esaie-56-Note-5.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: éternités fixes Mar 15 Fév 2022, 15:59 | |
| 2 Samuel 18,18 suggère la correspondance entre mçbt-maççeveth (variante du plus courant mçbh-maççeva), "stèle" (colonne, pierre levée, etc.), et yd-yad, "main" (ou avant-bras), puisque en l'occurrence les deux noms désignent apparemment la même "chose". Mais en Isaïe 56,5 il n'y a, à la lettre, que la "main" et le "nom" (yad wa-shem, le nom même du monument actuel de la Shoah qu'évidemment La Bible annotée, au XIXe siècle, ne pouvait imaginer), ce qui laisse l'interprétation "concrète" assez ouverte, même si le "sens" général d'épigraphie, inscription-mémorial dans le temple, ne fait guère de doute. Le rapprochement avec l'Apocalypse n'en est d'ailleurs que plus intéressant (stèlè en 2 Samuel 18,18a LXX, stulos en Apocalypse 3,12, de la "stèle" au "style", cf. péristyle etc.). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: éternités fixes Mer 16 Fév 2022, 10:20 | |
| Le sceau comme métaphore de la typologie chrétienne
Le verbe tupein signifie clairement « marquer d’une empreinte » d’où le sens de cacheter, de sceller. Le tupos c’est le coup et la marque qui en résulte, l’empreinte précisément, autrement dit la marque imprimée par un coup, une marque qui peut être en creux ou relief. Les traces des dents dans une morsure sont appelées des tupoi, comme la marque des clous, des pas. L’empreinte laissée sur une monnaie, l’empreinte d’un sceau font partie de cette même famille sémantique ...
... Dans la Bible hébraïque, Dieu est le modèle, transmis dès l’origine lors de la création de l’homme. On retrouve dans le récit de la Genèse la pratique du modelage significative du tupos, puisque c’est avec de la glaise que l’homme est façonné par la main de Dieu pour devenir son image et sa ressemblance, à la manière d’une sculpture. Faut-il voir dans ce distinguo la réminiscence du vieux débat de l’image identique et différente à la fois ? Dieu laisse directement dans la créature son empreinte, on pourrait comparer cette glaise à la cire de Socrate, suffisamment souple pour laisser la marque de Dieu s’imprimer dans la chair. L’homme est le sceau de Dieu, le Christ se dit marqué du sceau de Dieu son Père (Jean 6, 27), par ce sceau le Christ est consacré dans sa nature de Fils de Dieu (Jean 10, 36). Le chrétien participe à cette consécration quand Dieu le marque de son sceau (2 Corinthiens 1, 22 et Éphésiens 4, 30). Ce sceau, qui est la marque des serviteurs de Dieu de la Genèse à l’Apocalypse, protège l’homme des épreuves (Apocalypse 7, 2-4 et 9, 4, avec une référence au chapitre 9 d’Ezéchiel où les élus sont marqués du signe de la croix). Grâce à ce sceau les hommes pourront rester fidèles aux paroles divines dont saint Paul dit quelles sont aussi un sceau qui sanctifie et sauve (2 Timothée 2, 19). En fait le thème dominant de la Bible est la recherche d’une alliance entre Dieu et les hommes, une alliance qui serait scellée dans le sang et qui serait définitive, la première se révélant imparfaite, la seconde accomplira l’objectif. On trouve, comme un fil continu de l’écriture biblique, la permanente reprise d’un événement ancien en événement nouveau, Josias publie à nouveau la Loi de Moïse, le Deutéronome, Isaïe parle d’un nouvel Exode (Isaïe 43, 16-21), d’une nouvelle entrée en terre promise (Isaïe, 49, 9-23), Jérémie évoque une nouvelle alliance déjà (Jérémie 31, 31-34). Ainsi tout est signe d une autre réalité à venir, selon une progression de la reprise permanente. Effectivement l'Apocalypse au chapitre 6 racontera l’ouverture progressive des sept sceaux comme le déploiement de la Nouvelle Alliance, définitive et parfaite au milieu d’une création déchaînée. Le fait même de traduire le mot hébreu alliance par le mot latin testament conforte l’allusion au sceau puisqu’un testament est formellement écrit et scellé et qu’il faut pour en connaître la teneur l’ouvrir, c’est-à-dire en briser le sceau.
https://books.openedition.org/irhis/2878?lang=fr |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: éternités fixes Mer 16 Fév 2022, 11:23 | |
| Article instructif malgré quelques bourdes assez surprenantes à ce niveau (topos confondu avec tupos, Paul avant Philon, etc.).
Le "sceau" engage en effet dans une métonymie foisonnante (empreinte, caractère, trace, modèle, copie, forme formante et formée, façon et contrefaçon, effigie, image, ombre, reproduction, signe, symbole, inscription, gravure, sculpture, peinture, écriture, signature et contre-signature, engagement, promesse, serment, incision, circoncision, scarification, tatouage, caché-cachet et révélé, dévoilé, etc.; on peut entrer dans la forêt par n'importe quel mot ou notion, on n'en sortira jamais) et fascinante (notamment par le jeu d'itération et d'altération, répétition et transformation du même dans l'autre, re-présentation du passé ou de l'absent dans le présent ou l'avenir, etc.). Il y va du définitif (indélébile, irréversible, irrévocable) jusque dans l'effacement nié ou dénié, et cela joue partout mais en particulier dans l'Apocalypse -- du "sceau" (sphragis) divin sur les livres-rouleaux ou sur les fronts à la "marque" (kharagma) de la bête, qui sont à la fois semblables et opposés... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: éternités fixes Ven 18 Fév 2022, 14:59 | |
| Un article un peu long dont je ne sais s'il a un lien direct avec ce fil :
THÉOLOGIE - II Interprétation poétique du sens pictural
Homme qui se représente ou dieu qui se présente, dans les deux cas, l’image, comme l’apparence perçue d’un corps et d’une personnalité, est nécessaire à l’attribution d’existence comme son supplément indispensable. On sait qu’à cela, il faut adjoindre la voix, le son d’une parole qui ressort de l’image. Or, paradoxe supplémentaire, si les images apparemment ne parlent pas, elles ne nous parlent pas moins, ne serait-ce que parce que nous les faisons parler. Quand le dieu est sculpté, son image artificielle de corps matériel n’est que l’évocation de son existence immatérielle. Il n’est donc qu’un simulacre, qu’un artefact, voire un simple nom habillé d’une image. Or si vous-mêmes êtes sculptés, c’est la même chose. Ce n’est pas vous qui êtes matérialisés dans votre substantialité, c’est seulement votre image corporelle et elle n’est pas non plus incarnée dans la statue qui ne fait que la représenter, puisque cette dernière est inanimée. En ce sens, toute matérialisation de l’image de soi ou du dieu, du corps, ne fait que matérialiser un immatériel en le symbolisant. On peut donc admettre qu’il y a là comme une triplicité formée de trois instances qui sont respectivement : le corps, l’image de celui-ci et sa figuration. Trois instances donc qui, entre elles, jouent à un jeu de composition et qui s’adossent à une quatrième qui les fait tenir ensemble et les transfigure toujours. Disons que ce quatrième est comme un tiers qui découple ces deux dyades opposées et complémentaires que sont le couplage immatériel du corps et de l’image, puis matériel de l’image et de sa figuration. Il s’agit du soi, de cette personne animale, humaine ou divine, posée comme une et à laquelle se relie inévitablement toute cette disposition représentative qui apparie corps, image et figuration. Or nous avons vu que, structurellement, c’était la même chose et qu’une même loi alternativement de présentation et de représentation obligeait, d’une part, le dieu à se matérialiser dans une apparence qui délivre de lui la forme de son image, et, d’autre part, la personne humaine à se dématérialiser dans la forme et la figure d’une apparence de soi. En jouant avec les nombres et les mots, on dira qu’il faut donc poser un rapport de trois sur quatre, ou bien celui d’un quatre sur trois pour comprendre la loi des images, c’est-à-dire, si l’on veut, regarder les images de trois quarts ou les surplomber de quatre tiers. Mais on peut encore l’écrire comme le rapport de un sur trois, du tiers, du rapport de l’un et du trois qui est trinitaire du fait de son supplément unaire qui le fait être sous condition du quatre. L’unité d’une trinité se soutient de la subsomption d’un englobant ou d’un liant qui induit de poser un rapport à quatre pôles. Un, deux, trois, plus un qui tient les trois, donc quatre. Pour les lecteurs avertis de La République de Platon, un tel rapport est éminemment structural.
https://www.tk-21.com/Peinture-corps-et-theologie-II |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: éternités fixes Ven 18 Fév 2022, 16:09 | |
| C'est très intéressant en tout cas. Le "lien" ou le rapport que j'y verrais pour ma part, ce serait d'abord celui-ci: dès lors qu'on se "figure" (s'imagine, se représente, en "soi" ou en quelque figure de "soi", nom, prénom, pronom, je, moi, nous sujet et objet, corps, âme, cœur, esprit, visage, personne, individu, espèce, genre), on peut aussi bien se figurer en n'importe quoi; comme on s'identifie à un personnage historique ou imaginaire dans un récit, à un dieu dans un mythe, à un animal dans un conte ou un dessin animé, à un extra-terrestre dans un roman de science-fiction, mais encore à un arbre, à une montagne, à un fleuve, à un nuage, à une tempête pour peu qu'ils soient "personnifiés" ou "poétisés". Ni espèce ni genre ni même nombre n'importent -- comme dirait Deleuze, quand on devient loup on ne devient pas un loup ni une louve, on devient meute. C'est sur les possibilités infinies de ce jeu virtuel que reposent notamment les croyances traditionnelles en la réincarnation ou la métempsycose, si ce n'est qu'en général elles s'arrêtent trop tôt, à la même espèce ou au même règne, en tout cas au même nombre par individualisation de l'"âme" ou de ses équivalents: le jeu de l'imagination socialisé et réglé en imaginaire religieux ne se risque guère à la réincarnation partielle ou plurielle, ni d'ailleurs à l'inversion temporelle: on ne s'imagine pas plus réincarné en plusieurs qu'avant "soi", et pourtant rien ne serait plus facile à penser si le "moi" même n'y perdait son illusion d'unicité et de consistance. Car de fait "je" n'aurai été que les mots, les gestes, les pensées, les regards ou les expressions d'une foule innombrable d'autres, fragments d'identité déjà passés par "moi" comme hors de "moi" à d'autres encore, sans même attendre que "je" meure pour "ressusciter" ou poursuivre leur route au-delà de "moi". Pour le dire autrement, si l'on faisait d'un sourire ou d'une expression, faciale, gestuelle ou verbale, le "sujet" d'une histoire, les noms, les visages et les voix n'y seraient plus que des accessoires.
Pour revenir aux formules bibliques dont nous parlions, on (un moi, un soi, un nous) peut effectivement se "projeter", s'"investir" ou s'"inscrire" dans un soleil ou une étoile au ciel, une colonne ou un monument dans un temple, un caillou ou un grain de sable, un nom dans un livre ou sur un monument, le nôtre ou un autre s'il s'agit d'un nom ignoré jusque de nous-même et cependant plus nôtre que le nôtre, indiscernable du nom sans nom de "Dieu"... il faut d'ailleurs à peu près le même jeu pour s'imaginer mort, cadavre en décomposition ou en crémation, poussière ou cendre, vent, souffle ou esprit, âme en paradis ou en enfer, ou "rien". Et tant qu'à faire on peut aussi s'imaginer fantôme, esprit vivifiant ou mortifère, bienveillant ou malveillant, vengeur, frappeur, farceur, ou bien peuple, ville, postérité, avenir, origine, fin ou totalité. Tous ces devenirs imaginaires ne "nous" concerneraient pas moins qu'un corps ressuscité, à l'identique ou d'une tout autre nature -- sans compter les variations dudit corps de la naissance à la mort (il faudrait ressusciter l'enfant, le vieillard et toutes les phases intermédiaires), et d'un visage ou d'un cœur d'un instant à l'autre (tant de rires, de sourires et de larmes à ressusciter... la résurrection de la chair aussi est triste, hélas...).
Bref, le jeu de miroirs infini de l'imagination servirait tout autant à la destitution qu'à la constitution d'un "soi" -- l'une et l'autre "en son temps" comme dirait Qohéleth. Je repense à cette histoire orientale dont j'avais trouvé des adaptations chez Hesse et chez Yourcenar, du peintre emprisonné qui littéralement s'évade en disparaissant dans sa peinture, comme Pierre dans son rêve, Ou à cette image de Khayyâm (si je ne confonds pas), le potier qui entend l'argile lui murmurer: "Pétris-moi doucement, j'ai été toi." Le jeu même n'a rien de "fixe" -- ce qui compense la fixité des images dont nous parlions ici, c'est justement leur pluralité, qu'elles sont interchangeables entre elles et qu'on passe de l'une à l'autre, comme de la photographie au cinématographe. |
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