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 aut Caesar aut nihil

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Narkissos

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MessageSujet: aut Caesar aut nihil   aut Caesar aut nihil Icon_minitimeMer 18 Aoû 2021, 23:24

Jésus leur dit: Rendez à César ce qui est à César, et au dieu ce qui est au dieu (Marc 12,17//).

Et elle (ou il, la "bête de la terre" aussi appelée "faux prophète" ou "prophète de mensonge") les fait tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, pour leur donner une marque sur la main droite ou sur le front et pour que personne ne puisse ni acheter ni vendre, sinon celui qui a la marque, le nom de la bête ou le nombre de son nom. (Apocalypse 13,16s; je simplifie un peu la traduction, mais je garde les principales anacoluthes ou ruptures de construction, pour ce grec de l'Apocalypse réputé le pire du NT, ce qui n'est pas peu dire).

L'idée m'est sans doute venue de rapprocher ces deux textes, au demeurant bien connus, pour des raisons diverses (que naturellement je cherche et trouve après coup):
- de toute évidence ils parlent, de façon fort différente (rien que sur la "forme": dialogue ou controverse explicite d'une part, vision "codée" ou "chiffrée" d'autre part), d'un sujet similaire; voire du même sujet (disons: le rapport au pouvoir impérial romain), mais sous deux aspects ou rapports distincts: clairement l'impôt, plutôt collectif qu'individuel tel qu'on peut l'imaginer dans une Palestine semi-vassale et semi-occupée (cf. la référence aux "Hérodiens"), dans le premier cas; probablement le "culte impérial" en Asie Mineure dans le second);
- ils utilisent des images étonnamment proches, images de l'image ou de l'empreinte précisément: effigie et inscription (eikôn et epigraphè) sur la pièce de monnaie (denier), marque (kharagma, cf. ailleurs les divers "sceaux"; mais aussi eikôn pour l'image de la bête dans les v. précédents) sur le corps, la main droite ou le front; les deux renvoyant différemment à un "César" -- là encore clairement dans le premier cas, de façon "cryptée" dans le second (si le nombre 666 ou 616, selon les différentes leçons du v. 18, renvoie bien d'une façon ou d'une autre à "César Néron");
- ils ont encore en commun d'associer ostensiblement "politique" et "économie" (argent, acheter et vendre);
- ils semblent néanmoins représenter des attitudes politiques diamétralement opposées à l'égard de l'empire, l'une de soumission pratique et d'indifférence théorique, l'autre d'opposition ou de résistance intransigeante;
- last but not least, le second texte, en dépit ou à cause de son obscurité, est régulièrement invoqué en faveur d'une certaine défiance envers l'autorité politique ou le "monde" en général, notamment sur le mode "conspirationniste" (je me souviens encore, il y a plus de trente ans, d'évangéliques américains qui voyaient le nombre 666 dans les cartes bancaires et bien d'autres choses), par des chrétiens qui par ailleurs peuvent se montrer infiniment soumis à n'importe quelle autorité, en vertu notamment du premier texte...

Au-delà des considérations "bibliques" qui s'étendraient aisément à bien d'autres passages du NT où le rapport à l'empire est plus ou moins discrètement évoqué, avec toute sorte de nuances (Matthieu, Luc-Actes, Jean, Romains, les Pastorales, 1 Pierre p. ex.), il y a, bien sûr, une question pour ainsi dire "transtemporelle", qu'on pourrait exprimer comme celle de la limite du pouvoir. Même quand il n'y a plus, à la lettre, de "César" ni de "d/Dieu", il faut toujours qu'un pouvoir (ou une puissance), ne serait-ce que pour s'exercer comme tel(le), trouve une limite qu'il ne peut pas se donner lui-même, puisqu'il (ou elle) s'exerce autant qu'il (ou elle) peut.

(Je détourne sans scrupule l'adage latin de mon titre, "ou César ou rien", attribué entre autres à César Borgia dans le sens d'une ambition sans limite, vers d'autres usages possibles.)
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MessageSujet: Re: aut Caesar aut nihil   aut Caesar aut nihil Icon_minitimeJeu 19 Aoû 2021, 10:54

Les bêtes, leur action et leur défaite par le cavalier blanc, le Logos. En fait, le dragon agit par des intermédiaires. Il confère d’abord sa puissance et son pouvoir à une première bête sortie de la mer qui fait la guerre aux saints et peut les vaincre et qui est adorée par beaucoup sur la terre (13,1-10). Vient ensuite une deuxième bête surgie de la terre et qui a le même pouvoir (13,11-18). Sous sa férule, l’idolâtrie devient pratiquement une condition de survie. Il faut adorer la bête et on ne peut faire commerce que si on porte sa marque, le chiffre de son nom, à savoir six cent soixante-six 31. La bête et le faux prophète qui égare les humains par ses prodiges sont finalement capturés et précipités, eux aussi, dans l’étang de feu et de soufre (19,11-21).

Note 31

Ce chiffre a évidemment donné lieu à de multiples interprétations tendant à stigmatiser ceux qui étaient considérés comme l’incarnation absolue du mal: l’empire romain, Hitler, la papauté… Le chiffre ne peut être décodé que par la méthode gématrique ou numérologique: il exprime le total des valeurs chiffrées des lettres grecques ou hébraïques, désignant ainsi tel ou tel personnage. Aucune solution n’a l’assentiment de tous. Dans le contexte, il s’agit toutefois probablement de l’empereur. Et on a remarqué que si on translittérait en hébreu, le titre grec de Ka⁄sar Nerwn, une des translittérations possibles (QSR NRWN) aboutit, en fonction de la valeur numérique des lettres hébraïques à 666 (100 + 60 + 200 +50 + 200 + 6 + 50). Raisonnant à partir du latin, quelques (rares) copistes n’ont pas hésité à transformer le chiffre de 666 (êzakósioi êzßkonta ∂z) en 616 en remplaçant êzßkonta par déka, ce qui correspond à la forme latine de César Néron (Caesar Nero) translittéré en hébreu (QSR NRW) (100 + 60 + 200 +50 + 200 + 6). Cette interprétation est notamment proposée par B. M. METZGER, A Textual Commentary on the Greek New Testament, Londres – New York, United Bible Societies, 1971, p. 752

https://www.persee.fr/docAsPDF/thlou_0080-2654_2013_num_44_4_4168.pdf


Citation :
Au-delà des considérations "bibliques" qui s'étendraient aisément à bien d'autres passages du NT où le rapport à l'empire est plus ou moins discrètement évoqué, avec toute sorte de nuances (Matthieu, Luc-Actes, Jean, Romains, les Pastorales, 1 Pierre p. ex.), il y a, bien sûr, une question pour ainsi dire "transtemporelle", qu'on pourrait exprimer comme celle de la limite du pouvoir. Même quand il n'y a plus, à la lettre, de "César" ni de "d/Dieu", il faut toujours qu'un pouvoir (ou une puissance), ne serait-ce que pour s'exercer comme tel(le), trouve une limite qu'il ne peut pas se donner lui-même, puisqu'il (ou elle) s'exerce autant qu'il (ou elle) peut.

J'ai souvent pensé que certains pouvoirs (rois, empereurs, tsars, dictateurs ...) auraient pu éviter des "révolutions" et la perte du pouvoir en ayant simplement diminué le poids de leur pouvoir sans (presque) rien perdre de leurs prérogatives ou en cédant sur certaines revendications (souvent mineures, réduire les inégalités ou les impots ...) ... Le propre du pouvoir est croire qu'il est invulnérable et durable, il n'imagine jamais sa fin.
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MessageSujet: Re: aut Caesar aut nihil   aut Caesar aut nihil Icon_minitimeJeu 19 Aoû 2021, 11:27

Comme nous avons déjà pas mal de fils de discussion sur les problèmes généraux ou particuliers de l'interprétation de l'Apocalypse (sur Néron redivivus et 666, cf. p. ex. ici, dès 2008), je n'y reviendrai pas trop dans celui-ci -- naturellement, la comparaison des textes (Marc et l'Apocalypse pour commencer) suppose que chacun soit analysé pour lui-même, mais en ce qui concerne l'Apocalypse je ne vois pas grand-chose à ajouter... Sur cet article de Focant, voir ici (21.11.2019) et là (7.12.2020).

Bien entendu, le problème de fond est beaucoup plus vieux que l'empire romain, il est littéralement immémorial. L'AT est rempli d'expressions de rapports conflictuels à un pouvoir ressenti comme abusif, que celui-ci soit par ailleurs "étranger" ou non. Mais le tour(nant) "apocalyptique" de la chose, dans le judaïsme, se joue particulièrement à l'époque hellénistique avec Antiochos IV Epiphane (cf. Daniel, même dans la première partie du livre avec la statue de Nabuchodonosor ou l'interdiction de la prière; et bien sûr les Maccabées). C'est là qu'apparaît, dans certains milieux et sous l'influence à retardement du dualisme perse, une véritable "diabolisation" du pouvoir impérial, avec l'intransigeance absolue qui va de pair; tout cela se transfère naturellement à l'empire romain... mais en régime chrétien, surtout à partir de la christianisation de l'empire, la figure "diabolique" (l'Antéchrist) va aussi nécessairement se dépolitiser, pour se repolitiser tout autrement beaucoup plus tard.

Je m'explique un peu plus sur mon titre: la devise "ou César ou rien", si on la détache de son contexte et de son sens originel présumés (= je veux être César ou rien), serait aussi une excellente formule de ce qu'on appelle, depuis le siècle dernier, "totalitarisme": quand l'Etat réclame tout et le réclame en un sens légitimement, parce qu'il n'a plus d'autre légitime pour lui faire face -- "Dieu" ou un "dieu" par exemple. Ce qui se réalise aussi bien en situation de "théocratie", quand l'Etat se confond avec la ou une "religion", qu'en situation de "laïcité" ou d'"athéisme d'Etat", qui peut laisser subsister des religions pourvu qu'elles se situent sur un autre plan que le sien et ne constituent donc pas une limite à son pouvoir. Dans ce cas, le vis-à-vis de l'Etat, et aussi sa seule "alternative", c'est effectivement rien.
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MessageSujet: Re: aut Caesar aut nihil   aut Caesar aut nihil Icon_minitimeJeu 19 Aoû 2021, 12:50

Je ne sais pas si j'ai bien compris ton raisonnement ... Doit-on conclure que tout pouvoir est forcément totalitaire (d'une certaine manière) ?


Ou César, ou rien

daté septembre-octobre 2017 - 323 mots Réservé aux abonnés du site
HORS DE QUESTION, ici, de réhabiliter César Borgia. Le prince admiré de Machiavel, malgré ses indéniables talents d'homme politique, de diplomate et de tacticien, demeure un assassin, un condottiere sans foi ni loi, un être dépravé par l'intempérance et la gloire. Les scrupules ? Pour les autres. Les atermoiements ? Pas dans sa nature. L'humilité ? Le propre des faibles. Le fils du pape Alexandre VI charrie dans ses veines le sang d'une famille catalane anoblie, orgueilleuse et fière de son nom, hissée aux plus hautes sphères politiques à force d'intrigues et de trahisons. L'héritage est là, vibrant dans ses gènes. Reste la postérité. César, archevêque et cardinal à 17 ans, défroqué par nécessité, promu capitaine général de l'Église, se lance à l'assaut de la Romagne en 1499.

Au nom du père, le fils se taille la part du lion en Italie centrale aux dépens des petits seigneurs locaux. La soif du pouvoir guide ses pas ; la syphilis corrompt ses membres. Sa devise, Aut Cæsar ...    https://www.historia.fr/ou-c%C3%A9sar-ou-rien
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MessageSujet: Re: aut Caesar aut nihil   aut Caesar aut nihil Icon_minitimeJeu 19 Aoû 2021, 13:57

Je ne dis pas que tout pouvoir soit "totalitaire" (sans quoi l'adjectif "totalitaire" n'aurait plus aucun sens, du moins comme caractérisation d'un certain type de pouvoir ou d'Etat), mais que le "totalitarisme" est pour ainsi dire sa tendance ou sa fin naturelle, celle qu'il poursuit nécessairement tant qu'il ne rencontre pas de résistance, ou dès qu'il n'en rencontre plus -- je préciserais: de résistance légitime, car tout ce qui est perçu comme illégitime, exemplairement "l'ennemi" extérieur ou intérieur, réel ou supposé, favorise au contraire la tendance "totalitaire": n'importe quel Etat tend à devenir (plus ou moins) "totalitaire" dès lors qu'il se déclare en guerre, au sens propre ou figuré, dans une situation d'exception ou d'urgence comparable à une guerre. La "mobilisation générale" est le paradigme même du totalitarisme.

Ce qui retient (toujours provisoirement) un Etat d'aboutir au "totalitarisme", c'est une forme de division du pouvoir ou de séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire, au moins depuis Montesquieu), qui admet des contre-pouvoirs légitimes (partis, syndicats, presse, lobbies, etc.), dans un rapport d'"antagonisme fonctionnel", et non plus d'hostilité radicale (soit à peu près ce qu'on appelle l'"état de droit", sans majuscule, qui ménage aussi hors du jeu des pouvoirs la garantie d'un certain nombre de droits privés). Mais bien sûr le jeu est vicié dès le départ puisque c'est toujours l'Etat qui décide de ce qui est légitime, et qu'il ignore toute altérité absolue -- du genre précisément d'un "dieu" opposable à "César", qui peut en un sens fonder l'autorité politique de ce dernier sur le mode du "droit divin", mais aussi lui opposer une véritable altérité, fût-elle imaginaire. La question est de savoir ce qu'il advient de "César" quand, à tort ou à raison, il estime n'avoir pas de "dieu" au-dessus ni en face de lui, et par conséquent rien qui, en droit, lui échappe.
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MessageSujet: Re: aut Caesar aut nihil   aut Caesar aut nihil Icon_minitimeVen 20 Aoû 2021, 13:10

Citation :
Mais bien sûr le jeu est vicié dès le départ puisque c'est toujours l'Etat qui décide de ce qui est légitime, et qu'il ignore toute altérité absolue -- du genre précisément d'un "dieu" opposable à "César", qui peut en un sens fonder l'autorité politique de ce dernier sur le mode du "droit divin", mais aussi lui opposer une véritable altérité, fût-elle imaginaire. La question est de savoir ce qu'il advient de "César" quand, à tort ou à raison, il estime n'avoir pas de "dieu" au-dessus ni en face de lui, et par conséquent rien qui, en droit, lui échappe.

La sagesse relative de Salomon (1 R 3, 5-15)

32 Salomon est un de ceux de cette génération qui apprend à connaître bien et mal avec la Torah. Pour lui, le roi, il s’agit même d’un précepte. La Loi n’est pas seulement à lire tous les jours de sa vie, mais à écrire lorsqu’il monte sur le trône (Dt 17, 18-20). De cette copie, rien n’est dit au début de son règne. Salomon suit même les « décrets » de son père David (1 R 3, 3), dont le comportement a été plus qu’équivoque. Encore héritier en termes de résidence, le jeune roi est plus préoccupé de construire sa maison que celle de Dieu . C’est donc au haut lieu de Gabaon, un lieu qu’il fréquente assidûment, que Dieu se manifeste à lui dans un songe pour lui demander ce qu’Il doit lui donner (1 R 3, 5b). La demande de Salomon est la suivante (1 R 3, 9) :

Donne à ton serviteur un cœur écoutant pour juger ton peuple, pour discerner entre le bien et le mal, car qui pourrait juger ton peuple qui est si considérable ?

Le narrateur rapporte l’appréciation portée à la demande, qui n’est pas sans rappeler la figure d’Adam via la connaissance entre bien et mal . La parole est « bonne » (1 R 3, 10) : il sait en quelque sorte discerner le bon avant même d’avoir reçu le don. Le don du discernement est offert au roi en vue du service du peuple et non pour son propre bénéfice. Il jugera avec justice en promulguant de justes décrets et en émettant des décisions de justice en fonction d’eux. À cet effet, Dieu donne « un cœur sage et intelligent », sans commune mesure avec celui de ses prédécesseurs et successeurs (1 R 3, 12), y compris, donc, David. Les rois des autres nations seront moins riches et glorieux que lui durant son règne. Une condition est posée en finale par Dieu :

Et si tu vas sur mes voies pour garder mes décrets et mes commandements, comme allait David ton père, je prolongerai tes jours.
(1 R 3, 14)

Une limite est posée : pourquoi la poser s’il est sage ? Une chose est de vouloir être sage pour gouverner, une autre de marcher selon les voies de Dieu. Le don du discernement est dépendant de l’observance de la Torah. Il s’agit moins d’une menace que d’une promesse. Pour Salomon, comme pour tout Israélite, la sagesse est relative à la Torah. D’ailleurs, la suite du récit montrera que le don de la sagesse, de la connaissance du bien et du mal, ne suffit pas à Salomon pour gouverner le peuple selon le cœur de Dieu. Salomon soumet le peuple à la corvée, multiplie les alliances matrimoniales et les chars et cavaliers, tout ce que la Loi lui ordonne de ne pas faire. Il y a donc sagesse et Sagesse : la sagesse qui veut impressionner les nations (1 R 10, 4-5), s’exerce au bénéfice du roi, de son prestige. La véritable Sagesse est autre. « La loi seule, en effet, donne à tout Israël, et non à tel de ses Princes, une sagesse sans égale, et que les Nations admirent . »

https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2010-HS-page-49.html
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MessageSujet: Re: aut Caesar aut nihil   aut Caesar aut nihil Icon_minitimeVen 20 Aoû 2021, 15:09

Article stimulant, quoique discutable sur de nombreux points, surtout exégétiques, indépendamment du "projet" et de la "méthode" que je ne conteste pas (il faut bien aussi envisager "la Bible", juive ou chrétienne, catholique ou protestante, comme le livre que de fait elle est, avec tous les jeux d'intertextualité incontrôlables qui s'ensuivent, très au-delà de chaque texte ou contexte particulier). Je n'en dirai pas plus, parce que ça nous entraînerait trop loin du présent sujet (disons: le christianisme et l'empire romain et/ou l'Etat moderne), lui-même déterminé au départ, sinon tout à fait balisé, par une intertextualité plus restreinte mais déjà très aléatoire (entre Marc, ou les Synoptiques, et l'Apocalypse)...

La figure de Salomon est néanmoins intéressante du point de vue de ce fil, puisqu'il y a tension manifeste, dans les Rois, entre un Etat-empire (imaginaire) et une certaine conception (dite "deutéronomiste", en tout cas monolatrique et exclusiviste) du divin. Ce qui compromet toutefois Salomon aux yeux des rédacteurs des Rois, ce n'est certes pas un "athéisme", mais un monothéisme inclusif (ambivalence du "coeur large") qui conduit, par la voie d'une Sagesse non encore identifiée à la Loi particulière d'Israël (elle ne le sera que dans le Siracide, même si on peut en trouver des germes dans le Deutéronome qui la proclame "sage" et reconnaissable comme telle par tous les peuples, ce qui suppose qu'elle n'ait pas le monopole de la sagesse), à un polythéisme de fait.

Je pensais d'ailleurs précédemment, sous un tout autre aspect, à l'épisode de la succession de Salomon (1 Rois 12) où le royaume se divise du fait de l'intransigeance oppressive de Roboam, qui surenchérit sur son père (les jeunes plus intransigeants que les vieux, c'est une notation psychologique banale mais inépuisable). Bien sûr, il y a à nouveau tension entre cette explication et celle du chapitre précédent (11), où la division du royaume résulte des "fautes" de Salomon.
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MessageSujet: Re: aut Caesar aut nihil   aut Caesar aut nihil Icon_minitimeVen 20 Aoû 2021, 15:43

Citation :
Je ne dis pas que tout pouvoir soit "totalitaire" (sans quoi l'adjectif "totalitaire" n'aurait plus aucun sens, du moins comme caractérisation d'un certain type de pouvoir ou d'Etat), mais que le "totalitarisme" est pour ainsi dire sa tendance ou sa fin naturelle, celle qu'il poursuit nécessairement tant qu'il ne rencontre pas de résistance, ou dès qu'il n'en rencontre plus -- je préciserais: de résistance légitime, car tout ce qui est perçu comme illégitime, exemplairement "l'ennemi" extérieur ou intérieur, réel ou supposé, favorise au contraire la tendance "totalitaire": n'importe quel Etat tend à devenir (plus ou moins) "totalitaire" dès lors qu'il se déclare en guerre, au sens propre ou figuré, dans une situation d'exception ou d'urgence comparable à une guerre. La "mobilisation générale" est le paradigme même du totalitarisme.


1 Sam 8 décrit cette tendance au "totalitarisme" :


"Samuel dit toutes les paroles du SEIGNEUR au peuple qui lui demandait un roi. Il dit : Voici les droits du roi qui régnera sur vous : il prendra vos fils et il les affectera à ses chars et à ses attelages, ils iront devant son char comme gardes du corps ; il les nommera chefs de mille ou chefs de cinquante, il leur fera labourer ses terres, récolter sa moisson, fabriquer ses armes et l'équipement de ses chars. Il prendra vos filles comme parfumeuses, cuisinières et boulangères. Il prendra le meilleur de vos champs, de vos vignes et de vos oliviers et il le donnera aux gens de sa cour. Il prendra la dîme de vos semailles et de vos vendanges, et il la donnera à ses hauts fonctionnaires et aux gens de sa cour. Il prendra les meilleurs de vos serviteurs, de vos servantes et de vos jeunes gens, et vos ânes, et il s'en servira pour ses travaux. Il prendra la dîme de votre petit bétail. Ainsi vous deviendrez ses esclaves. Ce jour-là vous crierez contre le roi que vous vous serez choisi, mais ce jour-là le SEIGNEUR ne vous répondra pas !" (1 Sam 8,10-18). 


L’ensemble formé de nos livres actuels dits de Samuel et des Rois se présente comme divisé en deux parties : la première s’étend longuement sur les trois premiers règnes, de Saül, David et Salomon ; à partir de II Rois, ch. 13, la seconde offre une revue cursive des règnes parallèles d’Israël et de Juda. Ce dernier parcours est tragique : à l’exception de l’histoire de Josias et de quelques années de tel ou tel, le bilan est négatif. Tous les rois ont prévariqué. Or, l’impression plus positive qu’on pouvait prendre de la première partie se révèle à son tour bien moins encourageante. C’est que les trois règnes développés sont placés sous le signe fatal de la demande d’un roi comme en ont les Nations (notre, hélas, ineffaçable chapitre 8 de I Samuel). Le règne de Saül est manifestement désastreux, à tous points de vue. Certes, les chroniques concernant ensuite David et Salomon utilisent des archives ou des légendes souvent favorables au prince. Mais si elles semblent donc au premier abord partagées entre louange et critique, on s’aperçoit rapidement que, spécialement par la mise en page, elles annulent le bel effet de telle ou telle action positive. Le crime proprement royal de David, faisant tuer Urie pour prendre Bethsabée, est à l’origine du désastre. L’épée ne sortira pas de ta maison, annonce le prophète Nathan, et de fait, et la chronique de son règne se limite en effet pratiquement à la cascade de violences qui sort de la prophétie de Nathan, viol de la fille, assassinat du fils, révolte d’Absalom, laquelle occupe presque tout le complaisant récit, comme si David n’avait pas fait autre chose, ni administré, voire enrichi, son royaume. Pire, la dernière page de son activité n’est autre que l’essai de recensement, second geste naturel aux rois, qui déclenche le retour de l’Ange exterminateur jusqu’au moment où le recours au Jébuséen survivant permet d’arrêter le fléau. C’est donc David, le pasteur du peuple, qui le ruine et qui est sauvé grâce au loup – le Jébuséen figure en dernière position, pour la bonne bouche, dans des listes des peuples à évincer. Quant à Salomon, nous avons déjà indiqué comment la construction merveilleuse du Temple masquait le retour à la Corvée, offense mortelle à la fraternité élémentaire. Or, c’est en poursuivant sur la corvée que Roboam provoquera le schisme qui éloignera à jamais dix Tribus et demie (I Rois, ch. 13). La royauté a conduit Israël à une perte sans retour. Ajoutons que l’ostension de son or aux yeux de la reine de Saba, geste tout aussi royal et d’orgueil, annonçait celle que le roi Ézéchias ferait plus tard de sa puissance aux yeux de Mérodak-Baladan, l’usurpateur potentiel du trône de Babel, avant que le prophète Isaïe ne vienne lui dire que l’exil à Babel en sera le châtiment. La bâtisse et l’or, ces deux arguments des rois, amènent fatalement Israël au néant.  



https://www.cairn.info/revue-pardes-2006-1-page-41.htm
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MessageSujet: Re: aut Caesar aut nihil   aut Caesar aut nihil Icon_minitimeVen 20 Aoû 2021, 16:44

Sur cet excellent article, voir ici 17.6.2020.

1 Samuel 8, comme d'autres morceaux habituellement qualifiés à tort ou à raison d'antimonarchiques ou antimonarchistes (ainsi la "parabole des arbres" en Juges 9, qui m'a permis de retrouver le lien ci-dessus), a de quoi ravir une sensibilité anarchisante, malgré tous les anachronismes que ça implique (anarchie et anachronisme sont de toute façon liés en profondeur, par la négation, la contestation ou la subversion de l'arkhè qui est à la fois commencement et commandement, principe et prince, principat, principauté, primauté ou préséance chronologique et/ou hiérarchique, etc.). Je me souviens qu'à mon adolescence, sous la combinaison improbable d'une influence sectaire (le jéhovisme) et libertaire (très répandue, sinon dominante, dans ma génération), c'était un de mes textes favoris, de ceux qui m'attachaient à "la Bible" alors même que beaucoup d'autres me révulsaient.

Les lamentations malicieuses de Cazeaux à cet endroit (hélas, etc.) s'expliquent, bien sûr, par le fait que tout le judaïsme rabbinique repose sur le choix théorique et stratégique d'un messianisme royal, davidique, contre le "sacerdotal", messianique ou non (le temple, la prêtrise, les sacrifices): l'aristocratie sacerdotale sadducéenne n'attend naturellement aucun "messie" au sens eschatologique du terme, mais l'idée d'un messie sacerdotal ne s'en développe pas moins dans d'autres courants, notamment depuis Daniel (et l'"oint-messie" du chap. 9 si l'on y voit précisément un grand prêtre, Onias), avec et surtout contre la dynastie des rois-prêtres hasmonéens (cf. le "messie/oint d'Aaron" et toutes les références "sadocides" à Qoumrân, contre la lignée hasmonéenne jugée illégitime). Ce choix ("royal-davidique") est certes imposé par l'histoire (la destruction du temple), mais déjà largement anticipé par le pharisaïsme et son entreprise de laïcisation systématique du rituel, qui s'en sont vus confortés au-delà de toute espérance -- à condition toutefois de dépolitiser le messianisme davidique après la guerre juive pour qu'il ne paraisse plus une menace aux yeux de l'empire. Le "messianisme chrétien" (pléonasme étymologique, puisque "messie" = "christ" = "oint") dépend largement du même choix (Jésus descendant de David, et ainsi "roi des juifs" pour commencer, mais interprété de façon "apolitique", témoin la péricope de "César vs. Dieu"), bien que celui-ci soit fortement contesté dans le NT, surtout par Marc qui pose ouvertement la question, "le Christ est-il fils de David ?" (12,35ss) de sorte qu'on y réponde plutôt par la négative, à l'encontre de la doctrine pharisienne (des "scribes"). Matthieu (22,42ss) et Luc (20,40ss) ont bien conservé la controverse, quoique Luc en ait changé le contexte (après le dialogue sur la résurrection et non plus celui sur le plus grand commandement, déplacé au chap. 10), mais leurs autres usages positifs de l'appellation "fils de David" et surtout les généalogies tendent à neutraliser la contestation. On pensera aussi à l''épître aux Hébreux qui, selon une tout autre logique (médio-platonicienne et allégorique) rattache le Christ au sacerdoce de Melchisédek, roi mais surtout prêtre, et pas plus davidique à ce titre que lévitique, aaronide ou sadocide, puisqu'à la lettre de la Genèse Melchisédek n'est même pas israélite.

Pour revenir à Marc 12,13ss (César ou Dieu), on peut noter que Matthieu (22,15ss) y change peu de chose, mais que Luc (20,20ss) remplace la mention des "hérodiens" (qui ne constituent évidemment pas une "secte" ou un "parti" religieux comme les pharisiens ou les sadducéens, mais sont convoqués pour illustrer l'enjeu politique de la question: la dynastie des Hérode doit son autonomie relative à une relation de vassalité à l'empire, ce qui oblige à interpréter l'"impôt" comme "tribut" d'allégeance du vassal au suzerain plutôt que comme taxe prélevée directement sur le peuple, même si c'est bien le peuple qui paie en dernière analyse) par une explication politique plus claire: le but de la "question piège" est expressément de trouver un prétexte pour livrer Jésus au pouvoir (arkhè) et à l'autorité, droit ou juridiction (exousia) du gouverneur (hègemôn) romain, v. 20 -- cela s'accorde bien avec l'attitude ostensiblement pro-romaine des Actes: globalement, Luc et les Actes disculpent le pouvoir romain de toute responsabilité dans la mort de Jésus (victime d'une machination intégralement juive). Rien de formellement semblable dans le quatrième évangile, quoiqu'on retrouve des analogies de fond dans les propos prêtés à Caïphe et dans le dialogue avec Pilate (Jean 11--12 et 18, de la "livraison" à l'autorité romaine qui détermine la mort par crucifixion et à "mon royaume-règne-royauté n'est pas de ce monde"). On trouve en revanche un parallèle succinct dans le logion 100 de Thomas, où l'impôt n'est plus du tout compris comme tribut: "Ils (les disciples, par défaut) montrèrent à Jésus une pièce d'or et lui dirent: les hommes de César exigent de nous l'impôt. Il leur dit: Donnez à César ce qui est à César, donnez à Dieu ce qui est à Dieu, et donnez-moi ce qui est à moi." (En apparence au moins, le Christ se distingue autant de "Dieu" que de "César".)
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MessageSujet: Re: aut Caesar aut nihil   aut Caesar aut nihil Icon_minitimeLun 23 Aoû 2021, 20:58

Le piège dans lequel ses interlocuteurs s'efforcent de faire tomber Jésus consiste à présenter une alternative : ou bien Dieu, ou bien César. Ce faisant, ils mettent Dieu et César sur un plan d'égalité. Et  c'est ce piège que Jésus déjoue, en affirmant qu'il n'y a aucune commune mesure entre Dieu et César : à l'un il convient de rendre la monnaie qui lui appartient, à l'autre la gloire et le culte qu'il est seul à pouvoir revendiquer. Le politique n'est donc ni sans consistance propre, ni sans intérêt spécifique, mais ceux-ci ne peuvent entrer en concurrence avec la divinité de Dieu et ne prennent de valeur qu'à condition de se démarquer radicalement de toute prétention à l'autorité suprême qui leur est déniée. Ce à quoi procède donc Jésus, c'est à une radicale démystification - qui est aussi démythification - du
pouvoir qu'il ramène sur terre, Dieu étant seul à régner au-dessus de toutes choses. Sont ainsi récusés et toute forme de théocratie et tout impérialisme totalitaire et idolâtré. Le pouvoir n'est qu'humain, remis à sa place et désacralisé.

La distinction ainsi opérée entre pouvoir de Dieu et pouvoir des hommes, reste à savoir comment articuler ces deux réalités. Jésus ne le dit pas. Aussi ne peut-on qu'évoquer l'un ou l'autre modèle qui mériterait d'être plus longuement développé.

Luther, par exemple, élabore (essentiellement dans De l'autorité temporelle et des limites de l'obéissance qu'on lui doit, 1523, Œuvres, IV) la théorie dite des « deux Règnes » qui distingue clairement ce qui relève de la compétence du Prince (l'emploi de la force, expression de la colère de Dieu) et celle de l'Eglise (la prédication de l’Évangile et du salut). Cette théorie a pu conduire, de la part des Eglises luthériennes, à des démissions inexcusables face à un pouvoir civil qu'on prétendait
libre d'agir à sa guise dans son domaine. Mais la fidélité de ces interprétations à la pensée même de Luther est plus que sujette à caution : le titre du traité lui-même est révélateur, qui parle des « limites » de l'obéissance due à l'autorité temporelle. Or ces limites (à l'exposé desquelles est consacrée toute la seconde partie de l'ouvrage) ne sont autres que celles de la liberté de la proclamation de l’Évangile. Or, libre, la Parole de Dieu ne peut que faire entendre des exigences qui
indiquent à « César » qu'il n'est pas Dieu. Sans employer ces termes, Luther le sous-entend, qui consacre toute la troisième (et dernière) partie de son traité à la façon dont « le pouvoir temporel doit être exercé par des princes et des seigneurs qui désirent être chrétiens ».

https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_1995_num_47_1_1789
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MessageSujet: Re: aut Caesar aut nihil   aut Caesar aut nihil Icon_minitimeJeu 26 Aoû 2021, 03:09

Article succinct mais fort intéressant, aussi sur l'aspect "économique" de la question (§ 5, p. 23) que j'avais brièvement relevé dans mon post initial, en tant que commun malgré ce qui les différencie aux deux textes proposés (Marc 12// et Apocalypse 13, soit respectivement impôt-tribut et commerce ou, si l'on veut, "finances publiques" et "entreprise privée").

Bien entendu, chaque nouvelle situation de lecture et d'interprétation du NT en déplace les référents et les enjeux: le "César" des évangiles ou la bête de l'Apocalypse ne sont assurément pas "chrétiens", alors que les "princes" (allemands et féodaux) de Luther le sont (et à ses yeux le sont plus ou mieux, en qualité de "protestants", que le pape ou l'empereur du Saint-Empire romain germanique); c'est déjà autre chose quelques années plus tard chez Calvin, dans un cadre communal où des chrétiens, autrement dit "l'Eglise" ou son "conseil", décident collectivement de la politique de leur cité (Genève) hors féodalité; ce sera encore tout autre chose avec le IIIe Reich, où un nazisme d'abord ouvertement anti-chrétien finit par se faire adopter comme chrétien ou christiano-compatible par une bonne partie de la nation allemande, luthérienne ou catholique (ce à quoi réagit exemplairement Bonhoeffer, surtout dans ses derniers textes); et a fortiori dans un Etat démocratique moderne, où les chrétiens sont appelés comme tout le monde à élire des représentants indépendants du religieux, que ce soit dans un contexte institutionnellement "laïque" comme en France ou de "religion(s) d'Etat" traditionnelle(s), comme en Angleterre ou en Allemagne contemporaine.

Il paraît donc extrêmement hasardeux, comme nous l'avons souvent montré (p. ex. ici ou ), de vouloir tirer des "leçons politiques" (ou "apolitiques" !) du NT. D'autant que les textes de ce dernier reflètent déjà des attitudes divergentes, jusqu'à l'opposition diamétrale, à l'égard du même pouvoir romain: l'antiromanisme violent de l'Apocalypse tranche sur tout le reste, mais ce contraste brutal tend à occulter les multiples nuances entre les différents types de "soumission" prônée par les autres textes: soumission "théo-logique" et pratiquement sans réserve en Romains 13, d'où on a aussi bien tiré une doctrine du "droit divin"; plutôt hostile et tactique chez Matthieu où il s'agit de ne pas résister au mal (5,38ss, l'obéissance à une réquisition romaine étant expressément placée dans cette catégorie); indifférente ou condescendante chez Marc ou Jean, obséquieuse dans Luc-Actes, relative et désabusée dans 1 Pierre (où un Etat devenu au moins sporadiquement persécuteur se voit rétrogradé, par rapport à Romains, d'un statut d'institution divine à celui de création humaine, 2,13). La question critique, mais susceptible de réponses infiniment variées en dépit de sa structure d'alternative, reste de savoir si l'Etat ou ce qui en tient lieu est considéré plutôt comme un "bien" (relatif ou absolu) ou comme un "mal" (nécessaire ou simplement subi).

Concernant Marc 12//, si "ce qui est à César" est clairement défini par le contexte (l'argent, la monnaie, l'impôt, le tribut), "ce qui est à Dieu" (ou "au dieu") ne l'est pas du tout: "gloire" et "culte" relèvent du commentaire (de Collange en l'occurrence), non du texte, et tant qu'à commenter on pourrait le faire tout autrement, là encore selon l'esprit du temps et du lieu: les âmes, les intelligences, les consciences, les opinions, les corps, les relations "privées" ou "publiques", la société, les moeurs, l'économie, la terre, la vie, la mort, tout cela peut être conçu comme appartenant ou non à "César"... et cette indétermination ne s'arrange évidemment pas avec la disparition de "Dieu" ou des "dieux": non seulement "César" et ses innombrables avatars n'ont plus d'"autre", concurrent ou transcendant, réel ou imaginaire, qui puisse leur faire face ou les surplomber (ce qui n'est déjà pas la même chose), mais il n'y a pas non plus de "domaine" spécifique qui doive, en droit ou en principe, échapper à leur juridiction, sinon ce qui leur échappe de fait. Paradoxalement, l'implication "anti-totalitaire" du texte (que tout ne soit pas à César, quand même on ne saurait dire au juste ce qui n'est pas à lui ni à qui cela serait) ne perd rien de son acuité, bien au contraire: c'est la résistance à la totalité même de l'exigence du pouvoir, sans limite en principe, qui devient un "(contre-)principe" absolu, fondé sur rien d'autre que lui-même, la pure négativité d'un "non, pas tout".

On peut sans doute deviner derrière cela une vaste intertextualité "biblique": nous avons déjà évoqué Daniel et les figures de la résistance aux demandes extravagantes de l'empire (babylonien ou perse dans le récit des chap. 1--6, où le lecteur contemporain du livre reconnaît sans peine la caricature d'Antiochos IV Epiphane: interdiction de se distinguer par des règles alimentaires et rituelles, obligation d'adorer la statue de Nabuchodonosor, interdiction de prier quiconque sauf Darius); on songera aussi, dans le cadre d'une monarchie autonome et non plus d'un empire étranger (hétéronome), à l'histoire bien plus ancienne de Naboth et d'Achab dans les Rois (Cazeaux dirait que là c'est le "cadastre" qui impose une limite aux prétentions monarchiques); ou encore à toute la mise en scène de l'Exode, préparée par le "roman de Joseph" à la fin de la Genèse: c'est un pharaon rendu tout-puissant par la sagesse divine de Joseph (programme de "nationalisations" avant la lettre, qui "sauve" l'Egypte en faisant du monarque le propriétaire de toutes les terres -- à l'exception notable de celles des prêtres -- et le patron monopolistique de toute l'économie égyptienne) qui ne va plus du tout comprendre qu'un dieu des esclaves lui résiste (Qui est Yahvé ? Je ne connais pas Yahvé, etc.: c'est le dieu inconnu qui fait obstacle).

---

Le motif de l'image commun à Marc 12// et Apocalypse 13 (voir encore à ce sujet le post initial) mériterait également d'être approfondi, en plus d'un sens du mot "motif" d'ailleurs. Dans le premier cas c'est l'image ou l'effigie de César sur le denier qui motive, "logiquement", le constat d'appartenance à César et l'injonction de restitution à celui-ci; or cette "logique", en tant qu'elle porte sur l'argent et la monnaie en général, dépasse la question de l'impôt-tribut et renvoie, surtout dans Matthieu et Luc, à tous les préceptes de "dépossession" ("trésor dans le ciel vs. sur la terre", "Dieu ou Mammon", etc.), qui n'ont rien à voir avec "César"; mais en retour de cette généralisation toute posture de résistance, religieuse et/ou politique, à "César" sur la question spécifique de l'impôt-tribut se voit soupçonnée d'un motif nettement moins glorieux, l'avarice -- en quoi la réponse est tout aussi retorse que la question. Dans le second cas, c'est au contraire l'image de la bête, objet de "culte" (adoration, prosternation, etc.), qui motive le refus du culte impérial au titre d'"idolâtrie" ou religion de l'image (eidos, eidolon; toujours de "César" en l'occurrence, mais formellement "divinisé" même si personne n'est dupe du caractère essentiellement "politique" de cette "religion"-là). On peut certes, comme le fait Collange, mêler à cela le motif de la Genèse, "l'homme" générique comme "image de Dieu", et ses résonances christologiques (Christ image de Dieu, homme et Dieu, etc.), y introduire même le concept éminemment anachronique de "droits de l'homme" opposables à "César" (et dès lors, curieusement, c'est "l'homme" qui se retrouve à la place du "dieu" opposé à "César"), mais force est de reconnaître que les textes concernés n'en font rien.

(Accessoirement, les familiers des explications bibliques populaires penseront à celle des "changeurs du temple", Marc 11,15//, réputés changer les devises "impures", à l'effigie de César notamment, en monnaie acceptable pour les offrandes et autres taxations rituelles, p. ex. la monnaie tyrienne imprimée de motifs végétaux, comme le palmier, phoinix = phénix, emblème de la Phénicie. Il n'est toutefois pas sûr que les auteurs et premiers lecteurs/auditeurs des évangiles aient été en mesure de faire un tel rapprochement, qui de toute façon ne me semble pas apporter grand-chose à l'intelligence des textes.)
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MessageSujet: Re: aut Caesar aut nihil   aut Caesar aut nihil Icon_minitimeMar 07 Sep 2021, 16:53

Des points d’appui dans l’Évangile


Hippolyte Simon, archevêque de Clermont, replace dans son contexte la phrase « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Il insiste pour dire que « cette séparation n’est pas à comprendre comme une opposition ou une indifférence ». Il s’agit de deux ordres de réalité qui concernent les mêmes personnes : celui qui devient disciple de Jésus ne cesse pas d’être citoyen ! Et si l’Évangile ne nous donne pas de contenu précis pour nos engagements de citoyens, il fournit « des points d’appui d’une grande solidité » pour opérer un discernement. Mgr Simon en relève quatre :


1) César n’étant pas Dieu, nous n’avons pas à « idolâtrer » le pouvoir politique ni ses représentants. « Les disciples du Christ  revendiquent leur liberté de conscience vis-à-vis des pouvoirs qui seraient tentés de leur imposer des convictions religieuses. Réciproquement, ils ont aussi à se garder d’imposer leurs convictions aux autres citoyens. »


2) César n’a de légitimité que pour autant qu’il respecte la liberté et qu’il promeut la justice et le bien. Mais ce discernement ne peut se faire que dans le dialogue et la recherche avec d’autres citoyens.


3) L’humanité est une : nous sommes membre d’une commune humanité même si nous sommes en même temps citoyens d’un Etat particulier.  « L’appartenance au Christ, en nous libérant des limites de l’Etat dont nous sommes membres par notre naissance, nous invite à nous engager sans compromission pour le service et la sauvegarde de notre ‘maison commune’  » 


4)  Aucune société ne peut se présenter comme la cité définitive. « L’Etat, dans son ordre, n’est qu’une médiation pour permettre à chaque personne d’accomplir sa vocation, et celle-ci va plus loin que l’histoire visible. »


« Ces quatre points d’appui, termine Mgr H. Simon, ne donnent pas de réponse immédiate aux questions que se posent les disciples de Jésus. Mais ils ouvrent l’espace de ce que l’on désigne aujourd’hui sous le nom d’Etat de droit. »


https://doctrine-sociale.blogs.la-croix.com/chretiens-en-politique-rendre-a-cesar-ce-qui-lui-appartient/2015/12/06/
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MessageSujet: Re: aut Caesar aut nihil   aut Caesar aut nihil Icon_minitimeJeu 09 Sep 2021, 01:02

Sans préjuger de l'article de Mgr Simon qui est sans doute plus complexe et nuancé que sa recension, on remarque encore que l'application de la péricope évangélique à une situation contemporaine (de "nous") saute par-dessus des abîmes: ainsi les premiers destinataires des textes du NT n'étaient généralement pas des "citoyens", au sens de citoyens romains (quand par exception ils le sont, on en fait toute une affaire, comme pour le "Paul" des Actes) -- les citoyens romains n'ayant eux-mêmes qu'un rapport purement symbolique à l'exercice du pouvoir d'un "César" (empereur), qui n'était pas élu au suffrage universel, même des "citoyens"...

Bref, les textes du NT peuvent tout au plus servir de "prétextes" à une prédication politique, dont le véritable fondement est, dans le meilleur des cas, un certain "bon sens"...
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MessageSujet: Re: aut Caesar aut nihil   aut Caesar aut nihil Icon_minitimeJeu 09 Sep 2021, 11:18

CÉSAROPAPISME

Césaropapisme : ce mot anachronique a été forgé dans la seconde moitié du XIXe siècle, pour définir l'absorption par l'empereur (césar-), souverain temporel, des fonctions spirituelles dévolues au chef de l'Église chrétienne (-pape).

Le problème des relations entre l'État romain et l'Église chrétienne s'est trouvé posé dans la prédication même de Jésus : « Rendez à César ce qui est à César » (Matthieu, XXII, 21 ; Luc, XX, 25), et dès les premiers temps apostoliques. Car la conception antique de l'autorité politique était sacrale et les chrétiens, reconnaissant que « toute autorité vient de Dieu » ne pouvaient admettre la déification du souverain ou de l'État. Que l'empereur se convertisse et fasse à l'Église une place privilégiée dans les structures mêmes de l'État romain, la tentation de confondre les destinées de l'Église triomphante avec celles de l'Empire désormais chrétien était grande. Il est dès lors plus difficile de délimiter la frontière entre Église et État, car, en devenant chrétiens, les empereurs des IVe et Ve siècles n'ont pas renoncé à leur toute-puissance monarchique ni au vieil idéal d'une royauté sacrée. La mainmise de l'État sur l'Église s'est réalisée en trois étapes ; mais, plutôt que de retracer les multiples péripéties des relations Église-État, mieux vaut examiner les doctrines et les théories en présence, afin de montrer comment une théologie politique chrétienne a, tout naturellement, pris le relais des théories païennes sur la divinisation du pouvoir.

https://www.universalis.fr/encyclopedie/cesaropapisme/
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MessageSujet: Re: aut Caesar aut nihil   aut Caesar aut nihil Icon_minitimeJeu 09 Sep 2021, 14:44

Je ne peux pas lire la suite, mais l'article de Wikipédia ne me semble pas mauvais.

Comme j'ai tenté de le montrer plus haut (26.8.2021 § 3), les attitudes des christianismes néotestamentaires à l'égard du pouvoir romain sont en fait extrêmement variées: je ne crois même pas que le "culte impérial", là où il s'est effectivement imposé (au moins en Asie Mineure d'après l'Apocalypse), ait été unanimement considéré par l'ensemble des "chrétiens" comme une "ligne rouge" ou un casus belli, impliquant de leur part un refus frontal avec les conséquences qui s'ensuivent (sanctions, persécutions, martyres). Question non seulement de courage ou de lâcheté, mais surtout de milieu et de culture: tous les "chrétiens" n'avaient pas la même hantise de l'"idolâtrie" (l'opposition de l'Apocalypse au paulinisme de 1 Corinthiens, sur la question des "idolothytes" ou "viandes sacrifiées aux idoles", en témoigne: ce qui est pour l'une un interdit absolu est pour l'autre une affaire de "conscience", et de respect de la "conscience" d'autrui); il y a tout lieu de penser que des "chrétiens" mieux intégrés dans la société gréco-romaine avaient aussi "conscience" du caractère essentiellement "politique" d'un tel "culte" et y voyaient moins un enjeu strictement "religieux", donc incompatible avec leur "foi". De là aussi le caractère sporadique des "persécutions", qui tenait non seulement à l'attitude plus ou moins intransigeante du pouvoir local mais aussi à celle des communautés chrétiennes concernées. Tout comme il y a eu au temple de Jérusalem des sacrifices pour l'empereur et sa famille, offerts en leur nom et à leurs frais, ersatz du "culte impérial" accepté comme tel aussi bien par l'autorité romaine que par la communauté juive (jusqu'à leur cessation qui marque le début de la guerre, cf. Josèphe, BJ II, xvii, 2), les textes tardifs du NT (cf. notamment 1 Timothée 2,1ss) attestent de prières chrétiennes pour les "autorités", qui jouent un rôle analogue -- donc d'une volonté d'éviter les conflits qui n'est visiblement pas celle de l'Apocalypse. Les positions tendront à se stéréotyper, à s'uniformiser et à se durcir au cours des IIe et IIIe siècles, à mesure que l'Eglise "catholique" (c.-à-d. "universelle") s'unit, grandit, et devient ipso facto une (id)entité plus repérable, à la fois plus facile et plus difficile à "persécuter"; jusqu'à ce que le pouvoir impérial finisse par tenter de l'instrumentaliser et/ou par basculer de son côté, à partir du IVe (et encore, ça ne s'est pas fait en une fois ni dans un seul sens).
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