Vœux d'obéissance et de pauvreté

C'est Matthieu qui introduit ici sa notion de "perfection" (cf. 5,48). Pour rappel, dans la Didachè qui provient d'un milieu similaire (un judéo-christianisme dominant mais accueillant aux non-juifs, soit un rapport de force à peu près inverse de celui des Eglises pauliniennes), cette notion se rapporte précisément à l'observance de la Torah (selon l'interprétation en vigueur dans le groupe évidemment): on tolère ceux qui ne l'observent pas (encore) complètement mais la "perfection" consiste en son observance intégrale (cf. Matthieu 5,17ss), et au bout du compte elle est nécessaire au "salut" -- elle n'est donc pas "facultative" (cf. 7,21ss; comparer notamment Didachè 6: "Si tu peux porter tout entier le joug du Seigneur, tu seras parfait; sinon, fais du moins ce qui est en ton pouvoir. Quant aux aliments, prends sur toi ce que tu pourras ; mais abstiens-toi complètement des viandes offertes aux idoles, car c'est là un culte rendu à des dieux morts" et 16: "tout le temps de votre foi ne vous servira de rien, si au dernier moment vous n'êtes devenus parfaits").

La formule de Marc (beaucoup plus critique en général à l'égard de la loi) 10,17ss, "il te manque quelque chose", était plus ironique, s'adressant à un riche qui "cochait les cases" de tous les commandements qu'il observait comme s'il faisait l'inventaire de ses biens. (Voir aussi ici).

L'attitude radicale que proposent les évangiles sur le renoncement (Mc 8. 34-9, 1 ; Mt 10, 37-39) suppose un attachement total à la personne de Jésus et un mode de vie consacré uniquement à sa foi, qui convient bien à la vie communautaire monastique qui se caractérise par le "renoncement" et le "sacrifice" :

"Puis il appela la foule avec ses disciples et leur dit : Si quelqu'un veut me suivre, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive. Car quiconque voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle la sauvera." Mc 8, 34-35 

"Celui qui me préfère père ou mère n'est pas digne de moi, celui qui me préfère fils ou fille plus que moi n'est pas digne de moi ; celui qui ne prend pas sa croix pour me suivre n'est pas digne de moi. Celui qui aura trouvé sa vie la perdra, et celui qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera." Mt 10, 37-39

Encore que, comme j'essayais de l'expliquer plus haut, la vie communautaire -- les "cénobites", plus ou moins tranquilles ! -- soit un contresens par rapport au mouvement originel du monachisme (qui, comme son nom l'indique, visait plutôt la solitude de l'ermite ou de l'anachorète).

Toutefois ce monachisme-là n'est pas non plus l'horizon des évangiles canoniques (contrairement à Thomas qui béatifie précisément les monakhoï, les "solitaires"); cf. la promesse qui accompagne tes références (Marc 10,29s//): recevoir au centuple dans cette vie même parents, enfants, frères et sœurs, n'a de sens une perspective communautaire.

Ce qui paraît manquer à ce stade, c'est l'idée d'une "communauté à plusieurs vitesses", qui ici partagerait tout et là très peu de choses "concrètes" -- ce qui fait à nos yeux la différence entre un monastère ou un couvent et une Eglise. Par contre, c'est à peu près l'impression que donnent les Actes avec l'Eglise de Jérusalem et celles qui en dérivent; et aussi les évangiles synoptiques avec les "disciples" et les "foules", du moins quand celles-ci sont présentées sous un bon jour. (Cf. aussi ici.)