corps unifié, métamorphose et renouvellement de l'intelligence

C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie" Jean 6,63

"Or si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, est mort à cause du péché, mais l'Esprit est vie à cause de la justice. Et si l'Esprit de celui qui a réveillé Jésus d'entre les morts habite en vous, celui qui a réveillé le Christ d'entre les morts fera aussi vivre vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous." Rm 8,10-11

Pour Paul et Jean l'Esprit est une force de vie qui a le pouvoir de communiquer la vie, Paul apporte une précision difficile à appréhender : "en raison de la justice". Pour Jean la chair est impuissante, ne contient aucune propriété et notamment  elle est incapable de communiquer la vie, ce qui implique que même s’il s’agit de celle du Christ. Jean  fait dire à Jésus : "Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie" ... ???




Noûs

En philosophie et dans l'Antiquité grecque, le noûs (νοῦς), plus rarement nous ou noos, est l'esprit, l'intellect, la raison. Pour Platon, noûs désigne le plus souvent la partie la plus divine de l'âme, l'intelligence. De grande importance dans l'histoire de la métaphysique, ce mot est aussi souvent utilisé par Anaxagore, Aristote et Plotin, notamment pour désigner le Premier principe de toute chose, c'est-à-dire à la fois la Raison universelle et, selon certaines interprétations, Dieu.
Dans Phèdre, Platon compare l'âme à un attelage ailé, avec comme cocher la raison, l'esprit, l'intelligence (noûs), comme cheval obéissant la volonté, le cœur (thumos), et comme cheval rétif les désirs, le « bas-ventre » (épithumia).

Plus loin, il écrit : « L'Essence (qui possède l'existence réelle), celle qui est sans couleur, sans forme et impalpable ; celle qui ne peut être contemplée que par le seul guide de l'âme, (le noûs) l'intelligence ; celle qui est la source du savoir véritable, réside en cet endroit. Pareille à la pensée de Dieu qui se nourrit d'intelligence et de science absolue, la pensée de toute âme, cherchant à recevoir l'aliment qui lui convient, se réjouit de revoir après un certain temps l'Être en soi, se nourrit et se rend bienheureuse en contemplant la vérité1... »

Platon décrit dans Le Timée la création de l'âme humaine disant que le démiurge forma d'abord l'âme immortelle (noüs), c'est-à-dire l'intelligence ; après quoi les dieux subalternes, tandis qu'ils enfermaient cette première âme dans un corps physique (soma), formèrent l'âme mortelle (psyché) composée du courage et du désir. Ainsi, de par son union avec le corps, l'âme devient sujette à la mort ; est seule immortelle l'âme intelligente, laquelle est l'âme elle-même dans l'intégralité de sa nature divine. https://fr.wikipedia.org/wiki/No%C3%BBs

Dans les textes que tu cites (Romains 8 / Jean 6), l'"esprit" c'est pneuma, au sens propre "souffle" (comme spiritus -> esprit, inspiration, expiration, respiration, etc.), par extension force, puissance, principe de vie, etc. Son rapport à l'intellect est a priori accessoire, il ne fait pas partie de la "définition" ordinaire du mot, ce sont les textes qui l'établissent éventuellement et dans ce cas il est d'autant plus notable. Si l'on revient à la rwh / rouah hébraïque sous-jacente au pneuma grec (dans la Septante et le NT tout au moins), il est plus courant qu'elle donne de la force ou du courage (ex. Samson, qui comme le Marcel de Boby Lapointe "n'est pas ce qu'on appelle un intellectuel"), voire la vie à des morts (ex. Ezéchiel 37), que de la sagesse ou de l'intelligence (ex. Salomon et toute la tradition sapientiale, Isaïe 11 etc.). Mais cela aussi arrive, la preuve, et c'est ainsi qu'en marge de la fonction dynamique et vitale du pneuma se construit également une fonction "intellectuelle" (l'esprit qui éclaire, fait comprendre, révèle) que les auteurs exploitent plus ou moins selon leur orientation propre.

La mention de la "justice" dans Romains est bien sûr à rattacher à la "justification" qui constitue, sinon le thème principal, une grande particularité de cette épître. Le Christ par sa mort dans la chair en finit avec le péché; qui s'unit à lui dans cet aspect sombre du mystère accède ipso facto à sa face lumineuse, symétriquement opposée: de la mort à la résurrection, de la chair à l'esprit (toujours pneuma), du péché à la "justice".

On voit très bien, au passage, comment le "dithéisme" marcionite (deux dieux, d'une part celui de la création, de ce monde ou de cet âge, kosmos-aiôn, de la chair et de la loi, d'autre part celui de l'évangile) systématise les énoncés d'un certain paulinisme (de Corinthiens-Romains, 2 Corinthiens 4 en particulier).

L'idée d'une "connaissance de Dieu" initiale, fondamentale, peut-être inaliénable, mais obscurcie par le péché est aussi très nette en Romains 1 (comme ils n'ont pas gardé le dieu dans la re-connaissance de la vérité, il les a livrés... suit le fameux "catalogue de vices" où les erreurs "intellectuelles", et singulièrement l'idolâtrie, précèdent les fautes "morales", les dérèglements sexuels -- du point de vue de l'auteur -- n'arrivant qu'en tout dernier lieu, comme ultime conséquence -- peut-être aussi à ses yeux la plus flagrante).

En 2 Corinthiens 3,18 et Romains 12,2 c'est bien le même verbe, meta-morphoô (d'où "métamorphose", tu as bien libellé ton titre !), qu'on retrouve aussi dans les récits de la "trans-figuration" (Marc 9,2 // Matthieu 17,2). Cela dit le champ lexical est encore plus vaste, puisqu'à côté de morphè (= forme, figure) on a aussi le quasi-synonyme skhèma (schéma, schème) et toute sa famille verbale pour exprimer la transformation, conformation, etc. Ainsi, toujours en Romains 12,2, su[n]skhèmatizomai pour "se con-former" (à l'aiôn présent); comparer sum[=n]-morphos en 8,29, se con-former à l'image de son Fils. Et Philippiens 3,21, etc.

Citation :

Le rapport entre ce que j'appelle "esprit"-intellect (noûs, mens, mind, etc.; qui correspond pour partie au "cœur" hébreu, lb) et l'"esprit"-souffle (rwh, pneuma, spiritus, spirit, etc.) peut paraître encore plus compliqué: le français ordinaire tend à les confondre, le lecteur francophone de la Bible tend, par compensation, à les opposer ("l'esprit" dans la Bible, ce n'est justement pas l'intellect !), et voilà que chez Paul nous trouvons une étrange affinité entre l'un et l'autre: non seulement parce que dans le mystère chrétien l'esprit-souffle de Dieu agirait "surnaturellement" et prioritairement sur l'esprit-intellect humain (perspective de Romains 6 ou 8, si l'on veut), mais parce que même hors de ce mystère (à supposer qu'il supporte un dehors) l'esprit-intellect humain se trouverait "naturellement" accordé au "bien" de la loi, avant même toute intervention "surnaturelle" de l'esprit-souffle (perspective de Romains 2 ou 7). Bref: ce n'est pas la même chose mais ça a tout de même un rapport privilégié.

"Quand des non-Juifs, qui n'ont pas la loi, font naturellement ce que prescrit la loi, ceux-là, qui n'ont pas la loi, sont une loi pour eux-mêmes ; ils montrent que l'œuvre de la loi est écrite dans leur cœur ; leur conscience aussi en rend témoignage, ainsi que leurs raisonnements qui les accusent ou les défendent tour à tour — au jour où Dieu, selon ma bonne nouvelle, juge les secrets des humains par Jésus-Christ." Rm 2, 14-15 (NBS)


 "Quand des païens, sans avoir de loi, font naturellement ce qu’ordonne la loi, ils se tiennent lieu de loi à eux-mêmes, eux qui n’ont pas de loi. Ils montrent que l’œuvre voulue par la loi est inscrite dans leur cœur ; leur conscience en témoigne également ainsi que leurs jugements intérieurs qui tour à tour les accusent et les défendent. C’est ce qui paraîtra au jour où, selon mon Evangile, Dieu jugera par Jésus Christ le comportement caché des hommes." (TOB)

 
Ce texte pose beaucoup de questions, d(abord nous y retrouvons de nombreux termes qui semblent équivalents ou en lien, "cœur", "conscience" et "raisonnement". Ensuite, à sa lecture, on se demande, pourquoi Dieu a donné une loi écrite, si cette même loi était déjà écrite dans le cœur des humains.  Ainsi ne pas avoir de loi ne signifie pas être hors-la-Loi puisque ce qu’elle prescrit est inscrit dans leur cœur (2, 15). Il apparait qu'il existe plusieurs états de la loi : 1) inscrit dans le cœur, 2) un autre témoigné par la conscience dans ses raisonnements (???) et un autre, manifesté au dernier jour par le jugement de Dieu ("juge les secrets des humains").

C'est très bien vu.

On pourrait encore ajouter à la distinction: la loi écrite, justement, y occupe une place centrale, en plus d'un sens: dans un sens seconde, puisqu'il y a un "avant" elle, dans un autre sens première puisque même la "métaphore" de la loi "écrite dans le cœur" en dérive et la présuppose; loi "mosaïque" unique dans un sens, parce que supposée seule divine; mais paradigme et exemple de toute "loi", même romaine, dans un autre (etc.).

Cela n'aboutirait cependant jamais à un classement stable (hiérarchie, ordre de niveaux, de phases ou d'étapes collectives ou individuelles) puisque toutes les distinctions par ailleurs se confondent: la "loi écrite dans le cœur", c'est aussi bien l'état initial présumé du "païen" qui ne connaît ni la loi juive, ni l'évangile; et la condition ultime de la "nouvelle alliance" (d'après Jérémie 31). La révélation change tout et ne change rien, c'est sa logique (aporétique) même.

Romains 2,15 illustre remarquablement comment la logique paulinienne se court-circuite toute seule, comment elle rend impossible sa propre systématisation. On pourrait superficiellement comprendre, et retenir (on l'a souvent fait) la "synthèse" suivante: "les païens seront jugés selon leur conscience, les juifs selon la loi, les chrétiens échapperaient à cette alternative en étant justifiés par la foi". Mais ce n'est pas si simple, ou c'est encore beaucoup plus simple, comme l'indique ici la petite précision "par Jésus-Christ" rapportée au jugement de la conscience ("les secrets des cœurs") des païens. Ceux qui paraissent les plus étrangers au "mystère" ont au contraire à lui un rapport immédiat, le "cœur" du mystère (Jésus-Christ) communique directement avec son "extérieur" (le "cœur" ou la "conscience" du dernier barbare). En dernière analyse, le "mystère" n'a pas de "dehors", rien ne lui échappe. Mais pour le dire il faut faire comme s'il y en avait un (un dehors), depuis lequel on y accède (c'est le sens même de l'"initiation", de l'extérieur à l'intérieur, de la périphérie au centre) -- pour aboutir, "de l'intérieur", à la confession de son universalité (il n'y a pas d'"extérieur"; donc, pas d'"intérieur" non plus).

Par-delà les différences des textes et des théologies, c'est une évidence parce que c'est aussi, et d'abord, un trait d'époque, commun au judaïsme (depuis la thématique de la "nouvelle alliance écrite dans les cœurs", Jérémie 31 etc.) et à quasiment toutes les philosophies contemporaines (médio-platonicienne, cynique, stoïcienne, épicurienne) qui valorisent l'auto-nomie (être ou avoir en soi sa propre "loi", principe d'harmonie avec l'ordre divin ou cosmique -- ou même d'accord optimal au hasard, dans le cas de l'épicurisme "atomiste") contre l'hétéro-nomie d'une loi étrangère, artificielle, arbitraire et subie comme telle, fût-elle divine. Le paulinisme à cet égard ne fait que le radicaliser en mettant en question le concept même de "loi" (nomos), tout en le réinscrivant à sa façon (loi de l'esprit, loi de la foi, loi de la grâce).

Rien n'en est plus éloigné, en revanche, que notre concept moderne d'"autonomie" individuelle comme "liberté" sans fond de faire n'importe quoi, selon la volonté, le désir ou le caprice d'un "sujet" (sub-jectum) déconnecté de toute appartenance profonde, donc paradoxalement sans sub-stance. C'est dire qu'en effet la différence entre les textes de cette époque (religieux ou philosophiques, juifs, chrétiens ou païens) peut paraître négligeable par rapport à celle que nous y introduisons en les rapportant à notre "liberté" conçue comme in-dépendance. L'"auto-nomie" de l'Antiquité tardive, et même l'"a-nomie" paulinienne, sont au contraire corollaires d'une dépendance absolue (du dieu, de l'esprit, du logos, etc.; voir ou revoir éventuellement ceci).

"Mais nous avons des dons différents de la grâce, selon la grâce qui nous a été accordée : si c'est de parler en prophètes, que ce soit dans la logique de la foi ; si c'est de servir, qu'on se consacre au service ; que celui qui enseigne se consacre à l'enseignement ; celui qui encourage, à l'encouragement ; que celui qui donne le fasse avec générosité ; celui qui dirige, avec empressement ; celui qui exerce la compassion, avec joie." Rm 12, 6-8



 En Rm 12 la majorité des charismes accordés aux croyants ne relèvent pas vraiment de l’extraordinaire mais ils sont comparables à des qualités très courantes, même s'ils sont assimilés à des "dons de la grâce". On y retrouve pas de dons "miraculeux" comme le "discernement des esprits", de guérison, de "connaissance des mystères" ... comme en 1 Co 12 à 14, sauf peut-être le charisme de "prophétie". Romains 12, constitue une énumération assez originale, avec son  insistance sur l’action concrète envers les autres (service, générosité, compassion présidence qui soutient). Les charisme de Rm 12 concerne le domaine du quotidien, avec comme objectif, l’édification de la communauté des croyants et le rayonnement de l’amour. La métamorphose des croyants ne nécessite pas de "pouvoirs miraculeux" mais des preuves de l'efficacité de cette métamorphose, comme l'amour et l'unité de la communauté.

La version corinthienne des "charismes" (dont la glossolalie constitue l'élément le plus visible, ou plutôt le plus bruyant) est unique dans le corpus paulinien: "Paul" s'est donné assez de mal pour tenter de la canaliser en 1 Corinthiens, il n'a évidemment aucun intérêt à l'exporter ou à la suggérer là où elle n'existe pas, encore moins à l'encourager là où elle serait minoritaire ou discrète. (Dans la perspective plus large du NT, la pratique a dû être assez répandue, ou connue -- ne serait-ce que par 1 Corinthiens -- pour inspirer le récit de la Pentecôte des Actes. Mais celui-ci, en retour, lui a conféré une présomption de généralité et une illusion de normativité qui n'a cessé d'inspirer les "réveils", du montanisme ancien au pentecôtisme moderne.)

Le style, télégraphique avant la lettre (c'est encore plus net en grec qui se contente d'enchaîner des participes là où les traductions varient et arrangent plus ou moins la syntaxe), de la "parénèse" (exhortations "pratiques") contraste avec la construction rhétorique complexe des chapitres précédents ("théoriques"). La rupture de "forme" est aussi de "fond". Comme on l'a souvent remarqué, autant la théologie de "Paul" est originale et audacieuse, autant ses recommandations "concrètes" sont banales (par rapport à la littérature "édifiante" de l'époque évidemment).