Très belle prise !
Cette comparaison patiente, attentive, nuancée et aussi claire que possible de Thomas d'Aquin et Hegel, deux points culminants de la pensée
systématique occidentale à plus d'un demi-millénaire d'intervalle, produits de deux époques, deux langues, deux "confessions", deux "disciplines" et deux "méthodes" différentes de surcroît (moyen-âge et modernité, latin et allemand, catholicisme médiéval et luthéranisme, théologie scolastique et philosophie spéculative), est en effet des plus instructives -- la principale difficulté pour le lecteur, outre la longueur et la relative technicité de l'étude, étant de
penser autant que faire se peut ce qui est dit pour éprouver par soi-même, au-delà des formules qui peuvent toujours se lire, s'apprendre et se réciter bêtement,
jusqu'où cela se laisse effectivement
penser. On notera au passage, en rapport direct avec le point qui m'a fait rouvrir ce fil aujourd'hui, l'importance de la notion de "repos" qui distinguerait entre autres, selon Brito, la "volonté divine" chez saint Thomas de ses correspondances hegeliennes (cf. notamment p. 415 et 422).
Le problème fondamental du monothéisme et du monisme en général, de toute pensée de l'
"un" dès lors que celui-ci est posé, c'est évidemment
l'"autre" (altérité, altération, itération, différence, changement, expansion, croissance, production, reproduction, etc.). Toute pensée arrive très vite et inéluctablement à l'un, mais elle s'y enlise ou s'y paralyse aussitôt, et il lui faut un coup de force ou un tour de passe-passe logiquement douteux pour s'en extraire afin de rendre compte de la diversité des "choses" (inventer un "temps", un "espace", une "possibilité" pour commencer, même si cela doit être postulé sans la moindre justification), ne serait-ce que pour les faire dériver de l'un ou les y reconduire. Que l'un soit nommé "Dieu", "Esprit" ou "Être", ou simplement "Un" comme chez Plotin, l'aporie est toujours la même. Pourquoi de l'"autre", "dans" l'un ou "en-dehors", c'est la question sans réponse où vient justement se nicher, entre autres, une "volonté" qui est à la fois redondante par rapport à l'"un", et inexplicable sans l'"autre" qu'elle présuppose...
Toute pensée tourne en rond, ou dans quelque circuit plus ou moins bien fermé, c'est le fait du langage qui la fait tourner en bourrique et en fantasmagorie, de noms en verbes et en adjectifs, de sujets en objets, en qualités et en facultés, en causes et en effets, en circonstances et en accidents qu'on peut distinguer, composer et recomposer à l'infini sans rien changer à la tautologie fondamentale, ce qui est est, ce qui arrive arrive... cela n'en fait pas moins une riche floraison de pensées, toutes différentes et qui ont pourtant un air de famille.
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Je retrouve chez Nietzsche, qui m'a fait rouvrir ce fil et qui le hante depuis le début, la métaphore récurrente (et éclairante !) de l'éclair:
l'éclair a dû être longtemps nuage, autrement dit ce qui se manifeste soudain comme "volonté" claire et impérieuse cristallise ou précipite ce qui a longtemps eu l'apparence contraire (obscurité, indécision, nébulosité).