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Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: un Mer 07 Juil 2021, 16:33 | |
| Pour les "modernes" que nous sommes bon gré mal gré, il est particulièrement difficile de comprendre l'importance que les traditions religieuses et philosophiques qui nous viennent de l'Antiquité accordent au(x) nombre(s) en général, et à l'"un" en particulier. Que l'on puisse se disputer ou s'entretuer autour d'une divinité unique ou multiple (monothéisme, polythéisme) nous paraît a priori complètement dérisoire, parce qu'à nos yeux "un" (1) est un nombre ou un chiffre comme un autre -- pas même le premier s'il est précédé d'un zéro (0, sifr en arabe, d'où notre "chiffre", bien que ce ne soit pas une invention arabe). Nous pensons l'un à partir des opérations élémentaires d'addition et de soustraction, dans une série répétitive à l'infini d'"unités" (au pluriel), quand l'Antiquité le pense d'abord en-deçà de toute série numérique, et plutôt sur le mode de la division: l'un c'est le tout avant tout nombre, le gâteau ou le camembert entier qu'ensuite seulement on coupe en deux, en trois, etc.; or de ce point de vue deux, trois, etc., c'est toujours moins que "un"; "un" dans ce sens n'est même pas un nombre, le nombre commence après, à deux ou à trois (car il y a encore un nombre à part pour les choses qui vont par deux, les mains, les pieds, les yeux, les oreilles, ce "duel" qui dans beaucoup de langues n'est ni singulier ni pluriel); le "nombre" revient à l'"un" de la série sans fin des nombres, pour le qualifier négativement comme non-plusieurs; l'"un", certes, revient aussi dans la série numérique comme "unité" indifférente, voire marginale, un de plus ou de moins, mais là encore il garde quelque chose de l'unité originelle ou archi-originelle, indivise et inentamée par le nombre (d'autant qu'on pense toujours en "nombres entiers", multiples de 1 sans virgule, décimale ou autre, quand même on compte en fractions de nombres entiers qui ne font pas des nombres entiers).
C'est l'occasion de rappeler cette réflexion élémentaire, qui pourrait ou devrait relever de l'école primaire bien qu'on ne l'y rencontre guère: le nom et le nombre sont strictement corollaires, il n'y a rien de tel dans la "nature" mais ils apparaissent ensemble dans le "langage", strictement dépendants l'un de l'autre: il n'y a de "choses" à compter que dans la mesure où le langage se dégage de la différence infinie du phénomène singulier, de "ceci" ou de "cela", pour nommer des catégories regroupant un nombre indéfini d'"unités" ou d'"exemplaires" en faisant disparaître toute différence entre eux, chiens, moutons, animaux, arbres, pierres etc. Et des catégories de catégories, espèces, genres, règnes, du "nom commun" signifiant au signifié, à l'idée ou au concept. Seul le nom dit "propre" interrompt ou suspend la loi de la signification et du nombre, en cessant de signifier pour désigner l'unique au milieu de l'indifférent: "Marguerite" peut être le nom d'"une vache", mais non plus de "n'importe quelle vache", de celle-ci seulement pour celui qui l'appelle ainsi, quand même il y a des milliers de vaches qui répondent, comme on dit, au nom de Marguerite.
La pensée de l'unité qualitativement différente de tout (autre) nombre est à peu près constante dans la "philosophie" grecque, de Parménide et d'Héraclite (selon le logos, non seulement "raison" mais rapport, compte et calcul, tout est un) à Plotin, en passant notamment par Pythagore, Platon et Aristote, ou encore par le stoïcisme (logos un du kosmos un, un tout en tout). Mais elle n'est pas étrangère non plus à la tradition "biblique", dès la première page de la Genèse, où le "premier jour" est en fait "jour un" (ywm 'hd, nombre "cardinal" et non "ordinal" selon nos catégories grammaticales): non pas "un jour" indifférent, comme on l'entendrait dans notre langue où le numéral "un" se confond avec l'article indéfini, mais LE jour, unique en dépit de ses répétitions à venir qui vont distinguer DES jours et les numéroter en nombres ordinaux à partir du deuxième.
La pensée de l'un a sans doute compté pour beaucoup dans la fascination qu'a exercée le judaïsme, avec ses formules "monothéistes", sur une culture gréco-romaine plus ou moins teintée d'une "philosophie" qui était parvenue par ses propres moyens à des énoncés similaires ("le dieu" unique des textes philosophiques, qui transcende ou récapitule "les dieux" quand bien même lesdits textes se gardent bien de nier ou de renier "les dieux"). Certes, nous l'avons remarqué assez souvent, du point de vue de l'exégèse historico-critique les énoncés "bibliques" sont bien moins "théologiques" -- et encore moins "philosophiques" -- que "politiques": dans la fameuse "confession" (shema`) du Deutéronome (6,4s; cf. 4,35.39; 12,2ss etc.), "Yahvé notre dieu, Yahvé un ('hd)", il ne s'agit pas d'abord, "théoriquement", de "nombre (du) divin" mais d'unité de culte (un seul temple, une seule prêtrise, une seule torah-règle) jugée nécessaire à l'unité du royaume (si on la rapporte à la "réforme" de Josias) ou de la "nation"-ethnos, aussi bien en Judée ou en Palestine que dans la diaspora (si on la rapporte à l'exil ou aux époques perse et hellénistique), sur un modèle monarchique et/ou impérial (des "empires" assyrien et babylonien, puis perse et hellénistiques); l'expression même du Deutéronome ne revient d'ailleurs que dans la conclusion très tardive du deutéro-Zacharie (14,9; cf. aussi le "jour un", comme dans la Genèse, au v. 7). "Un seul dieu", sans ou avec majuscule, s'inscrit comme clef de voûte dans une série de slogans d'unité politique qui mène aussi bien au "une foi, une loi, un roi" de Louis XIV qu'au "ein Volk, ein Reich, ein Führer" du nazisme, mais qui est la banalité même du pouvoir (cf. encore la République une et indivisible, et la guerre aux "séparatismes"). Dès le départ l'"un" engage le "tout", dans la lettre du Deutéronome comme dans celle des traités de vassalité assyriens: "Yahvé un" => "de tout ton coeur" (etc.). Revoir éventuellement ceci.
Bref: la pensée de l"un" tend essentiellement au "tout" et à la "totalité", et le "totalitarisme" en est une conséquence fatale, sinon la seule possible; car l'"un" c'est aussi la "singularité" de n'importe quoi, de ce grain de poussière à "l'univers"; reste à savoir si aucune "pensée", fût-ce de l'"être" (Heidegger), de l'"altérité" (Levinas) ou de la "différance" (Derrida), échappe jamais à son versant "totalitaire", dans la mesure où elle consiste toujours à rapporter des "idées", des "choses" ou des "événements" les uns aux autres, à (re-)faire de plusieurs "un" -- certainement pas si son "idée" ou son "concept" directeur est conçu comme "principe" (arkhè), unique, premier et dernier, et surplombant ou sous-tendant dans l'intervalle toute différence effective (mon-archie, de la même arkhè). |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: un Jeu 08 Juil 2021, 14:52 | |
| Merci Narkissos pour cette très belle et intéressante réflexion sur le "un". |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: un Jeu 08 Juil 2021, 20:36 | |
| Merci à toi.
Quelques notes complémentaires:
- Bien plus courante que l'affirmation explicite du dieu un est la négation ou dénégation de l'autre ou des autres (dieux), de l'AT (outre les références du Deutéronome déjà indiquées, 4,35.39, cf. 1 Rois 8,60; Isaïe 42,8; 44,8; 45,6s.14.18.21s; 46,9; Joël 2,27; naturellement les expressions de rejet des "autres dieux" sont encore beaucoup plus nombreuses, mais elles ne refusent pas toujours à ces dieux l'"existence") à l'islam par exemple (pas d'[autre] dieu que/sinon [le] dieu/Dieu/Allah).
- Dans le monothéisme archétypique du deutéro-Isaïe (40--55, cf. le "cluster" de références ci-dessus), l'affirmation la plus proche n'est pas de forme numérique ("un"), c'est la fameuse locution 'ny hw', 'ani hou', "moi, lui / cela", que la Septante traduit par egô eimi, "moi, je suis", sans prédicat ni autre attribut (43,10.13; 46,4; 48,12).
- Dans le NT, la référence au "Dieu un" d'après Deutéronome 6,4 (citation, allusion ou réminiscence) est assez rare, et le plus souvent sans réflexion apparente sur le "nombre" (Marc 12,29.32, non les parallèles; cf. Romains 3,30; 1 Corinthiens 8,4ss; Galates 3,20; Ephésiens 4,4ss; 1 Timothée 2,5; Jacques 2,19).
- On peut toutefois remarquer que dans les textes ci-dessus, notamment dans les "séries d'unité(s)" de 1 Corinthiens et d'Ephésiens, l'unité de "Dieu" n'est pas exclusive, elle sert au contraire de modèle à toutes les "unités" qui en découlent (un seul Seigneur, un seul Esprit, un seul corps, une seule foi, un seul baptême, etc.: le français est obligé de traduire par "un seul" le simple numéral heis, hen, mia = un(e) = 1, contrairement à l'anglais one qui ne se confond pas avec l'article indéfini). Tout se passe comme si l'addition ou la juxtaposition des unités ne faisait pas nombre, 1 + 1 + 1... + 1 = 1 -- l'unité se propage sans se multiplier.
- De là on peut aussi penser à l'emploi johannique du "un", le plus souvent neutre (hen): le Père, et moi, et vous, et les autres si nombreux qu'ils soient, les uns dans les autres par voie d'inclusion réciproque, commutative et transitive (X en Y ET Y en X, X en Y et Y en Z et inversement), sommes (toujours) "un" (Jean 10,30; 17,11.21ss). |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: un Ven 09 Juil 2021, 14:49 | |
| Le un pourrait-il être remplacé par le terme premier ? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: un Sam 10 Juil 2021, 02:13 | |
| Tout dépend de la phrase... C'est bien ce qui arrive, par exemple, dans la plupart des traductions de Genèse 1,5, qui au lieu d'"un jour" ou de "jour un" ( 'hd, nombre "cardinal") mettent "premier jour" ("ordinal") -- soit dit en passant ce n'est pas le cas de la Septante qui emploie bien le nombre cardinal ici ( hèmera mia) et des ordinaux ensuite, deutera etc., comme l'hébreu; ni de la Vulgate ( unus, secundus...). Mais dans d'autres contextes et surtout quand il s'agit de "dieu(x)", ça ne marcherait évidemment pas, puisque "premier" et "un" seraient contradictoires: le "premier" suppose des "autres", "seconds" dans un ordre chronologique ou d'importance, alors que l'"un" tend à les exclure, explicitement quand l'affirmation du dieu "un" (= "un seul dieu") se double de la négation des "autres" (cf. les textes précités). Bien entendu, les deux types d'affirmation se retrouvent dans la Bible: ainsi "Dieu des dieux" (p. ex. Deutéronome 10,17, en parallèle avec "Seigneur des seigneurs", sur le modèle du "roi des rois" perse notamment) implique formellement l'existence d'autres dieux et est à peu près l'équivalent de "premier" (qu'on retrouve d'ailleurs aussi dans le deutéro-Isaïe, "premier et dernier", mais cette fois avec la négation des "autres"; cf. ici). Raison de plus, à mon sens, pour ne pas mélanger tous les énoncés avec des traductions aléatoires... |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: un Sam 10 Juil 2021, 11:34 | |
| Je te présente toutes mes excuses, en fait je ne voulais pas dire "premier", mais cela a permis d'intéressantes explications, j'avais en tête un autre terme, soit : entier. C'est la phrase suivante qui m'a fait penser à ce terme : - Narkissos a écrit:
- Nous pensons l'un à partir des opérations élémentaires d'addition et de soustraction, dans une série répétitive à l'infini d'"unités" (au pluriel), quand l'Antiquité le pense d'abord en-deçà de toute série numérique, et plutôt sur le mode de la division: l'un c'est le tout avant tout nombre, le gâteau ou le camembert entier qu'ensuite seulement on coupe en deux, en trois
L' entier serait ce qui est complet donc l'un et non le premier comme je l'ai dit maladroitement. Cela change le regard porté sur certains versets de la Bible. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: un Sam 10 Juil 2021, 13:15 | |
| Je comprends mieux et j'acquiesce volontiers... C'est en effet de ça qu'il est question à peu près chaque fois que l'"un" est valorisé en "religion" ou en "philosophie": d'une "unité" originelle ou archi-originelle, fondatrice et abyssale, englobante et surplombante, et du même coup finale ou téléologique (cf. la formule stoïcienne "Dieu tout en tous/t" que le paulinisme reporte sur la "fin", et que le deutéro-paulinisme actualise à nouveau dans le "mystère"). C'est l'horizon, le fond uni ou indifférencié (comme l' apeiron d'Anaximandre) sur lequel se détachent toutes les différences phénoménales constitutives d'une "réalité-imaginaire", qu'elles soient cosmiques (cieux-terre-mer-enfers), physiques ou chimiques ("éléments", air-terre-eau-feu, "atomes" au sens ancien ou moderne), biologiques ou anthropologiques (espèces, genres, sexes, nations ou races, dieux ou animaux étant pensés sur le même modèle), morales dans un sens méta- ou quasi-physique (bien et mal comme lumière et ténèbres): cet indifférencié dont part ou repart tout "mythe" (p. ex. l'océan primordial, abîme et ténèbres, tohu-bohu de la Genèse) pour aboutir à une "réalité" complexe, et à quoi reconduit différemment tout "rite", tout "symbole" ou toute "eschatologie". En ce sens l'"un" c'est bien l'"entier" ou l'"intact" en-deçà, au-dessus, au-dessous ou au-delà d'une multiplicité de différences conçue à la fois comme gain et perte, production ou construction ("création") et division, dissémination, antagonisme et contradiction ("péché"), même si ce n'est pas toujours de façon diabolique (à moins d'entendre précisément dia-bolique par opposition au sym-bole) -- ce qu'illustre notamment le concept néotestamentaire ou gnostique de "plérôme-plénitude", et pas seulement quand le mot apparaît (on peut penser aux paraboles de Luc où l'unité manquant reconstitue ou restaure l'unité première et dernière, qu'il s'agisse du centième mouton, de la dixième drachme ou du deuxième fils: c'est l'unité-intégrité de l'un-tout qui se joue, qui se perd et se retrouve dans l'unité individuelle ou marginale qui lui manque, 1/100, 1/10 ou 1/2); mais aussi bien l'usage vétérotestamentaire ou coranique de racines sémitiques comme šlm ou çdq, "paix", " justice" etc., qui de diverses manières évoque la restauration d'un ordre ou d'un équilibre comme correction d'un désordre ou d'un déséquilibre, accomplissement d'un inaccompli ou perfection d'un imparfait, par contraste avec une "faute", un "défaut" ou un "péché" entendus comme "manque"; les couples plus grecs ou occidentaux, et musicaux, "accord / discord-désaccord", "harmonie / dissonance", pointent dans la même direction, celle d'une unité paradoxale ou dialectique qui se dit précisément (à propos, à partir, du point de vue) de la différence. --- Pour revenir aux textes évoqués au début, il est assez remarquable que seul Marc (12,28ss) cite (formellement et par deux fois, dans la parole de Jésus et dans la réponse du scribe) l'affirmation du Dieu "un" en Deutéronome 6,4 , dans la péricope relative aux " deux commandements" qui sont aussi le ou les premiers: Matthieu (22,35ss) et Luc (10,25ss, à un tout autre endroit dans le récit général) l'omettent, se contentant du commandement proprement dit de Deutéronome 6, 5... on peut aussi noter que cette péricope, chez Marc, se situe entre celle sur la "résurrection" qui dit le Dieu "un" en trois (Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac et Dieu de Jacob) et celle sur le "Christ fils de David" (ou non) qui joue des deux "Seigneur" du psaume 110 (109 LXX) -- même ordre chez Matthieu, rien de tel en revanche chez Luc du fait du déplacement de la péricope centrale et de l'omission de la dernière. Un rapprochement est d'autre part tentant avec Marc 10,18ss (// Matthieu 19,16; Luc 18,18ss): "personne (oud-eis) n'est bon ( agathos) sauf un (ou "un seul", heis = 1, comme en 12,29.32 et Deutéronome 6,4LXX), le dieu". |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: un Lun 19 Juil 2021, 11:35 | |
| Judaïsme
L'unité de Dieu est l'une des choses les plus importantes dans le judaïsme. Elle consiste à penser non seulement que Dieu est le seul à être Dieu, mais que c'est particulièrement son infinitude, non pas en tant qu'étendue matérielle, mais en tant qu'intériorité causale interminable, qui fait de Lui la Cause Première de toute chose et l'Un par définition que personne ne peut être lui. De manière étonnante, les idées de Plotin en ce qui concerne l'âme, à savoir cette sorte de liaison entre les basses parties, le corps, l'âme et l'intellect et enfin Dieu, sont des concepts très proches voire identiques à ceux de la Kabbale qui considère que l'âme est en fait liée à plusieurs autres parties, la partie basse étant Nefesh (pulsion du corps et donc corps en soi), la Neshama qui pourrait être considérée comme étant l'intellect, et Dieu lui-même qui est le père de l'esprit lié à toutes ces parties.
L'Un chez les mystiques chrétiens
La théologie mystique du Pseudo-Denys l'Aréopagite (vers 490, en Syrie) conserve l'idée d'Un au-delà de l'essence mais il l'infléchit dans un sens chrétien : « Toute affirmation reste en deçà de la Cause unique et parfaite de toutes choses, car toute négation demeure en deçà de la transcendance de Celui qui est simplement dépouillé de tout et qui se situe au-delà du Tout »(Théologie mystique, trad. Maurice de Gandillac, 1943, p. 184). Le pseudo-Denys défend la fameuse proposition selon laquelle « tout être est super-être en Dieu » (en latin esse omnium est superesse divinitas) (Hiérarchie céleste, IV, 1). Or cela peut s'entendre de deux façons : soit au sens panthéiste où « Dieu est le même que les choses », soit au sens catholique, défendu par Bernard de Clairvaux, où « Dieu est l'être causal des choses ».
https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Un |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: un Lun 19 Juil 2021, 12:55 | |
| (Je finirais par soupçonner une incompatibilité de la langue française ou des cultures francophones avec la méthode "collaborative" de Wikipedia: là où l'anglais arrive à des articles à peu près cohérents, nous avons de la mauvaise soupe, et il me semble que ça tient moins à la quantité et à la qualité des contributions qu'à une attitude différente à l'égard de la "censure": on ne supprime que les erreurs manifestes, quand on les voit, non les ajouts tous azimuts qui ont tôt fait de ruiner l'équilibre et la clarté d'une présentation.)
Le pseudo-Denys se situe dans la ligne d'une réception chrétienne du néoplatonisme (Plotin), qui est déjà évidente et largement assumée chez saint Augustin; Bernard de Clairvaux, plus de 500 ans après, est contemporain de la scolastique qui redécouvre Aristote (en particulier sur la problématique de la "cause"), comme l'est aussi la Qabbale juive, bien que dans son propre discours celle-ci se fasse remonter à des origines immémoriales (ainsi que l'avaient fait avant elle la tradition ou "loi orale" phariséo-rabbinique, et la Torah elle-même, ou que le feront encore plus tard d'autres "ésotérismes", franc-maçonneries p. ex.)... Il importe à chaque fois de savoir de quel "judaïsme" ou de quel "christianisme" on parle: pour les tout premiers siècles de notre ère, qui voient l'émergence à peu près simultanée du "christianisme" et du "judaïsme" phariséo-rabbinique, la lecture de Philon, médio-platonicien ayant intégré dans sa "philosophie" et dans son "judaïsme" quelques éléments aristotéliciens et plus encore de stoïciens, ou des stoïciens eux-mêmes, serait nettement plus pertinente. Curieusement, Philon ne semble pas avoir fait de commentaire développé sur Deutéronome 6,4, quoiqu'il se réfère fréquemment au "Dieu un", comme Josèphe d'ailleurs mais celui-ci d'un point de vue moins "philosophique". Tout se passe comme si la pensée de l'"un" ("en tant que tel", nombre et non-nombre, etc.), qui constitue pourtant l'horizon de la philosophie depuis les "présocratiques" (Anaximandre, Parménide, Héraclite, Pythagore etc.), ne se développait vraiment pour elle-même qu'avec le néo-platonisme de Plotin, le "chant du cygne" en quelque sorte de la philosophie antique. En somme, "l'un" se dit bien avant qu'il ne se pense, si tant est qu'il arrive jamais à se penser. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: un Lun 19 Juil 2021, 15:57 | |
| En Jean 17,3 ; nous retrouvons la formule : "le seul vrai Dieu" qui semble distinguer le Père des autres parties de la divinité ou du "un", elle fait de Dieu une "être" unique et incomparable.
Enfin, une première paraphrase, pour fixer les points saillants. À prendre le verset sicuti est, il institue, ou laisse entendre, un rapport complexe entre le Père et Jésus Christ : Il fait du Père le seul vrai Dieu ; Il distingue de lui Jésus Christ comme son envoyé dont l’éventuelle origine supra-humaine n’est pas mentionnée ; Dans le même temps, d’une part il place Jésus Christ à côté du Père ; d’autre part il affirme que la vie éternelle est la connaissance conjointe du seul vrai Dieu et de Jésus Christ.Sur ce socle, l’orientation du présent article. J’écarte toute investigation sur la signification du verset dans la christologie johannique telle que les exégètes modernes la décrivent. On n’oubliera pas deux traits, cependant.
https://www.cairn.info/revue-communio-2021-1-page-67.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: un Mer 21 Juil 2021, 10:29 | |
| Je ne peux pas lire la suite (du moins pour le moment).
Ici "seul" c'est l'adjectif monos (d'où "monothéisme", mais aussi "moine", monakhos; qui exprime également la "solitude" et rappelle au moins par l'assonance un autre verbe-clé du johannisme, menô = "demeurer"; de même 5,44; 6,15.22; 8,9.16.29; 12,24; 16,32), non le numéral (heis, hen, mia, au neutre en 17,11.21ss; cf. p. ex. 10,16.30; 11,52), bien que les deux se confondent souvent en traduction française (à cause de la nécessité de distinguer l'"un" numérique, "un = 1", de l'article indéfini, "un, des", ce qu'on fait le plus souvent en disant "un seul", même quand il n'y a pas monos).
Comme on l'a maintes fois remarqué, ce texte affiche son artifice ("Jésus-Christ" dans la bouche de Jésus-Christ, en prière de surcroît, le moins qu'on puisse dire c'est que ça n'a rien de "réaliste"). Pour rappel, dans le "commentaire" de ce verset en 1 Jean 5,20 monos disparaît (il n'apparaît pas du tout dans l'épître), tandis que "Dieu" et "son Fils Jésus-Christ" sont au contraire formellement confondus dans le même "vrai" ou "véritable" (alèthinos, idem). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: un Ven 23 Juil 2021, 10:33 | |
| Pour analyse : Jésus parlait hébreu et non le grec Arrêtons-nous à présent sur un mot en hébreu du Chéma, lorsque Jésus dit : moi et le Père, nous sommes un, il parle hébreu : Ani véAvi E’had AnaHénou, il utilise le mot E’HAd, qui signifie UN. Or l’hébreu a deux mots pour désigner UN, Yarid et E’Had. Yarid exprime une unité absolue, un verre, un stylo – Zacharie 12.10 : il est question d’un fils unique qui se dit « ben yarid » = un seul fils, dont UNIQUE Le mot E’Had vient d’une racine a’had qui signifie = unifier, réunir, réunir – constituant une unité. A chaque fois que nous trouvons ce mot dans l’Écriture, il exprime cette notion d’unité pluriel. Si je parle de peloton militaire, je compte 3 pelotons, mais chaque peloton est composé de plusieurs individus qui forme un peloton. On parle d’unité pluriel. Un peloton est une unité militaire de petite taille. En hébreux, typiquement, nous utiliserions le mot E’Had. Genèse 1-5 : Jour Un – Yom E‘Had, il désigne l’unité du jour et de la nuit. C’est la même analyse que pour le couple : Genèse 2-24 : C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair. Genèse 2-24 : C’est pourquoi un homme se séparera de son père et de sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux ne feront plus qu’un. SEMEUR Lebassar E’Had = une seule chair, mais 2 unités distinctes. Ezekiel 37.7 : deux pièces de bois en une seule pièce. Pour revenir au « Sh’ma Israël, Adonaï Elohénou, Adonaï E’Had « , Le Seigneur est UN, et pour UN, il est utilisé ce mot E’Had, qui décrit une unité composée, une unité dans une pluralité. Moïse, dans le Sch’ma, a volontairement utilisé le mot E’HAD pour exprimer une unité plurielle au sein de la divinité. Par la révélation de l’Écriture, nous apprenons qu’il n’y a qu’un SEUL DIEU. On parle de l’Unicité de Dieu, Dieu Unique. Jésus et le Père sont un comme le mari et sa femme font un. L’une des meilleures définitions de la Trinité serait celle de Warfield : Il n’y a qu’un seul et vrai Dieu, mais l’unité de la divinité comprend trois personnes co-éternelles et co-égales des mêmes substances mais distinctes en existences. Chacune des trois personnes possède la totalité de l’essence indivisé et indivisible de Dieu. https://www.bibliorama.org/jean-10-30-moi-et-le-pere-mystere-de-la-trinite/ |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: un Ven 23 Juil 2021, 11:26 | |
| Argumentaire typique des milieux "évangéliques populaires": ce tissu d'âneries se répète imperturbablement de génération en génération dans l'ignorance totale de ce dont il parle -- avec parfois des variations amusantes, comme ici la transcription du "yarid" classiquement et à tort opposé à "eHad": l'auteur, si l'on peut dire, qui ne connaît visiblement même pas l'alphabet hébreu mais écrit ce qu'il a entendu avec des oreilles francophones, n'a pas compris que son "r" et son "H" correspondent à la même lettre ([u]h[/u]eth) en hébreu -- 'hd, yhd, cf. whd pour "un" en arabe... ce n'est évidemment pas le mot, hyper-courant de part et d'autre, mais le contexte (la phrase, pour commencer) qui fait l'"unité" "simple" ou "composée"; d'ailleurs yhd se prête d'autant mieux à la composition qu'il est le plus souvent employé dans des locutions correspondant à nos "avec" ou "ensemble"...
On n'a toutefois pas besoin de connaître l'hébreu, ni de faire semblant, pour comprendre que dans la plupart des langues l'"un" se dit tantôt d'"individus" ou de "collectivités", de choses, de sujets ou d'objets "singuliers" et d'"ensembles". Ce n'est d'ailleurs pas son moindre intérêt, surtout si celui-ci ne se borne pas à la théologie: du tout à la partie et de la partie au tout, de l'ensemble à l'élément et de l'élément à l'ensemble, de l'espèce à l'individu et de l'individu à l'espèce, du troupeau au mouton et du mouton au troupeau, du corps au membre ou à l'organe et de celui-ci au corps, on retrouve toujours l'"un" à tous les étages, comme condition même du langage et de la pensée (logos) qui nomment, comptent et relient les "choses" autant qu'ils en distinguent. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: un Ven 23 Juil 2021, 13:53 | |
| J'ai consulté de nombreux articles sur l'UN et je l'ai trouvé tous très complexes. Je propose cet article à titre consultatif mais il faut s'accrocher (pour un profane comme moi):
L’un selon Plotin : https://www.cairn.info/journal-archives-de-philosophie-2012-1-page-29.htm
Voir aussi : La question de l'Un dans la pensée grecque : https://books.openedition.org/pusl/21664?lang=fr
L’article suivant n'est pas moins complexe mais il aborde un sujet plus à ma portée :
L'Un ou la Trinité ? Sur un aspect trop connu de la théologie eckhartienne
Dans la Predigt 2, l'Un unique est pensé de manière topique, comme le Lieu où l'Un reste Lui-même dans sa simplicité, antérieurement à la distinction des Personnes et insondable pour elles en tant que Personnes :
... si élevé au-dessus de tout mode et de toutes puissances est cet unique Un, que jamais puissance ni mode, ni Dieu lui-même ne peuvent y regarder. En bonne vérité et aussi vrai que Dieu vit ! Dieu lui-même n'y regardera jamais, ne fut-ce qu'un clin d’œil, et il n'y a encore jamais regardé, dans la mesure où il agit selon le mode et la propriété de ses Personnes. Il faut bien remarquer cela, car cet unique Un n 'a ni mode ni propriété. C'est pourquoi, si Dieu veut jamais y jeter un regard, cela lui coûtera nécessairement tous ses noms divins et ses propriétés personnelles. Il lui faudra tout laisser à l'extérieur, s'il veut jamais regarder à l 'intérieur. Mais c 'est en tant qu 'II est un Un simple, sans mode ni propriété, là où II n 'est ni Père, ni Fils, ni Saint-Esprit, et cependant en tant qu'il est un quelque chose qui n'est ni ceci, ni cela, oui, voyez ! ce n'est qu'autant qu'il est un et simple qu'il pénètre dans cet Un, que j'appelle un « château fort dans l'âme » ; et il n'y peut entrer d'aucune autre manière ; ce n'est qu'ainsi qu'il y pénètre et s'y installe.
Ce passage a, évidemment, retenu l'attention des adversaires d'Eckhart. Il fait partie de la première liste d'accusation de Cologne (12). L'idée d'un Lieu de Dieu, qui soit indifféremment le Lieu de l'âme, est précisée par les prédicats d'unité, einecheit, et de liberté, c'est-à-dire de vacuité, ledicheit. Le Lieu est la place libre, ledic, c'est-à-dire vide, que traversent simultanément Dieu et l'âme en se défaisant d'eux-mêmes l'un et l'autre, l'un par l'autre. L'Un pur et simple est posé comme le lieu géométrique de cette double traversée :
II faut que l'esprit s'élève au-dessus de tout nombre, qu'il perce toute multiplicité, et alors Dieu perce également en lui. Et autant Dieu perce en moi, autant moi je perce en Lui. Dieu conduit cet esprit dans le Désert, dans l'unité de Lui-même, là où il est un Un pur jaillissant en Lui-même. Un tel esprit est sans pourquoi ; s'il devait encore avoir un pourquoi, l'unité aussi devrait avoir un pourquoi (13). Un tel esprit est dans l'unité et la liberté (14).
https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1996_num_70_1_3345 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: un Sam 24 Juil 2021, 11:30 | |
| Merci pour ces trois (!) textes de grande qualité -- que je recommanderais plutôt de lire, le cas échéant, dans l'ordre 2-1-3, le "panoramique" avant les "gros plans", respectivement Numenius-Plotin à la frontière du médio- et du néo-platonisme "païens", à la fin de l'Antiquité, et Eckhart à la confluence de la mystique néoplatonicienne (pseudo-Denys) et de la scolastique aristotélicienne (Thomas d'Aquin), toutes deux "chrétiennes", à la fin du moyen-âge.
Ce n'est sans doute pas "l'un" qui est "complexe", mais l'entrelacs et la stratification de plusieurs millénaires de discours et de textes historiquement déterminés à son "sujet", si l'on peut dire. L'histoire de la philosophie et/ou de la théologie, ou de l'une quelconque de leurs "parties", peut occuper toute une vie (professionnelle ou non) sans qu'on réussisse à en faire le tour. N'importe qui peut toutefois tirer quelque chose de telles lectures dans la mesure où il ou elle ne perd pas de vue, dans la complexité des énoncés, ce dont il est question et qui reste absolument simple, quoique d'une profondeur abyssale, comme les questions de l'enfance sur l'unité et la multiplicité du "monde", des "mots" et des "choses", des "noms" et des "nombres", de l'"espace" et du "temps", de "soi" et des "autres". Ce type de "lecture pensante" est naturellement plus lente, ou bien il faut que des lectures nombreuses et plus ou moins bien comprises laissent place à un moment de réflexion ou de méditation où chacun se remette à penser à partir de ses propres questions enfantines et intimes -- toute la difficulté étant alors de les réinventer, de les retrouver ou de les laisser se re-poser. "Un, deux, plusieurs" (c'était la table de multiplication belge au temps où l'on avait encore le droit de rire des stéréotypes conventionnels, sans d'ailleurs en être dupe pour autant), cela n'est étranger à personne, et si complexes que soient les philosophies ou les théologies qui remplissent les bibliothèques c'est toujours de là qu'elles procèdent et par là qu'on a quelque chance d'en entendre quelque chose.
Du point de vue plus superficiel de l'"histoire des idées", on en retiendra au moins cette banalité que le dogme trinitaire est un produit de son époque, où la quasi-totalité des "penseurs", païens, juifs ou chrétiens, orthodoxes ou hétérodoxes, stoïciens, platoniciens ou gnostiques, partagent une même façon générale de penser qui aboutit à des énoncés d'allure similaire, même quand ils s'ignorent, divergent ou s'opposent -- parler de la même "chose" et de la même "façon" étant d'ailleurs une condition logiquement nécessaire pour "se contredire", comme l'avait bien montré Aristote. Mais cette remarque qui pourrait conduire à un haussement d'épaules généralisé (on ne peut plus penser comme ça, ça ne nous concerne plus), sans parler de la futilité de choisir entre des thèses ou des doctrines qu'on ne réussit pas à penser, nous ramène aussi à la nécessité de penser à partir de nos propres questions élémentaires, ce qui est paradoxalement la clé pour commencer à entendre les questions et les réponses des autres, si éloignées qu'elles soient de nous par le temps, la langue et la culture. |
| | | free
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| Sujet: Re: un Lun 26 Juil 2021, 10:17 | |
| "pour que Dieu soit tout en tous" ... Cette partie de texte (1 Co 15,28) me semble impliquer un retour dans le UN ou le TOUT (Dieu) de toutes créatures, un retour à un état originel. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: un Lun 26 Juil 2021, 11:50 | |
| "Tout en tous" ou "en tout", selon qu'on interprète la deuxième occurrence de pas (au datif pluriel pasi[n]) au masculin ("personnel") ou au neutre ("impersonnel"), le neutre pluriel s'accordant au singulier comme un collectif (toutes choses = tout) -- la première en revanche est clairement neutre (panta, au nominatif et à l'accusatif). Pour rappel, la formule a été popularisée par le stoïcisme, où elle s'applique à la relation du logos-theos au kosmos; son application paulinienne (au sens large) et néotestamentaire se déplace, de l'eschatologie future (ici c'est à "la fin" que "Dieu est tout en tout/s") au "mystère" présent (p. ex. le Christ tout en tout/s, maintenant, en Colossiens 3,11) ou à l'"origine" (expressions symétriques et équivalentes du logos ou du Fils en qui tout advient ou est créé, dans le Prologue de Jean comme dans l'hymne de Colossiens 1 p. ex.).
Dans tous les cas, comme tu l'as bien compris, le "tout" et l'"un" sont strictement corollaires, c'est le "tout" qui fait l'"un" et l'"un" qui fait le "tout", que ce soit explicite ou non. Ce qui change, c'est de situer cette "unitotalité" au commencement ou à la fin, ou encore dans un présent "caché" (le "mystère") ou manifeste (panthéisme strict, si tant est qu'une telle chose soit pensable -- car il faut encore distinguer "le dieu" et "le tout", ne serait-ce que pour poser leur équivalence). Comme on l'a aussi rappelé précédemment, chez Héraclite déjà c'est dans le logos que "tout est un"; formellement le stoïcisme, qui se réclame d'Héraclite, ne dit pas autre chose, mais il l'entend très différemment, d'une manière plus "religieuse" si l'on veut: non plus comme nécessité de penser ensemble les contraires, mais comme "système" cohérent d'un "monde" gouverné par un logos divin, et par là même "mythifié". |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: un Lun 26 Juil 2021, 16:40 | |
| Le chiffre 1 symbolise Dieu, qui est unique. Pour cette raison, il sert à exprimer l'exclusivité, la primauté, l'excellence. Ainsi quand Jésus répond au jeune homme riche : « Qu'as-tu à m'interroger sur ce qui est bon? Un (1) seul est le Bon. » (Mt 19, 17 Ou encore, quand il dit : « Le Père et moi, nous sommes un (1) » (Jn 10,30). De même, quand saint Paul déclare : « Il n'y a qu'un (1) seul Seigneur, une (1) seule foi, un (1) seul baptême, un (1) seul Dieu » (Eph 4,5). Dans tous ces cas, le chiffre 1 symbolise l'environnement divin. http://www.interbible.org/interBible/ecritures/symboles/2008/sym_080307b.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: un Lun 26 Juil 2021, 17:39 | |
| La question de l'"un" déborde de toutes parts le cadre particulier d'une "numérologie biblique", pour diverses raisons dont plusieurs ont déjà été évoquées depuis le début de ce fil: - l'un est à la fois nombre et non-nombre, dans la série numérique (comme unité indifférente qui s'additionne ou se soustrait à un autre nombre) et hors de celle-ci (comme unité originelle, finale, surplombante, sous-jacente, englobante, de toute "différence" ou "multiplicité" dénombrable); - il l'est dans quasiment toutes les "pensées" du monde, explicitement pour peu qu'elles aient l'occasion de se développer à un certain niveau de complexité ou d'abstraction: égyptienne, grecque, perse, indienne, chinoise, etc.; car il relève de la structure même du langage, au point où s'originent nomination et numération, leur séparation et leur corrélation; - il ne dépend nullement d'un "monothéisme", bien que le "monothéisme" en dépende: "l'un" se passe fort bien de "dieu", mais un "Dieu" unique ne peut pas se passer d'une pensée de "l'un"; - "un" comme prédicat de "Dieu" est cependant rare dans la Bible hébraïque (Deutéronome au présent, [le deutéro-]Zacharie au futur), si tant est qu'il s'agisse bien de "Dieu" au sens monothéiste du terme (pour les premières strates du Deutéronome, ce n'est probablement pas encore le cas); - l'"un" est beaucoup plus (ou moins) qu'un "symbole" parmi d'autres, ce serait plutôt le fondement ou l'essence du "symbole" au sens étymologique du terme, l'unité du divisé (sum-bolon / dia-bolos)... |
| | | free
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| Sujet: Re: un Jeu 29 Juil 2021, 16:08 | |
| - Citation :
- - De là on peut aussi penser à l'emploi johannique du "un", le plus souvent neutre (hen): le Père, et moi, et vous, et les autres si nombreux qu'ils soient, les uns dans les autres par voie d'inclusion réciproque, commutative et transitive (X en Y ET Y en X, X en Y et Y en Z et inversement), sommes (toujours) "un" (Jean 10,30; 17,11.21ss).
"Car il y en a trois qui rendent témoignage : l'Esprit, l'eau et le sang, et les trois sont d'accord" (1 Jean 5,7- Notes : 1 Jean 5:8sont d’accord ou sont un, litt. sont vers l’un, c.-à-d. convergent (cf. v. 11) ou aboutissent à l’unité ; cf. Jn 11.52n ; 17.23n. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: un Ven 30 Juil 2021, 01:47 | |
| Eternel problème des notes de traduction: elles ne sont comprises que de ceux qui n'en ont pas besoin...
C'est la préposition eis qui est traduite ("litt[éralement]") par "vers", ce qui suggère au moins un mouvement, une orientation ou une tendance: à force d'imprégnation de l'anglais, on comprendrait sans doute mieux aujourd'hui une référence à into, qui lui correspond en partie et évoque plus clairement un mouvement du dehors vers le dedans; s'agissant d'un passage du multiple (3) à l'un (1), les idées de convergence, de confluence, de concentration, de rassemblement, de réunion ou d'intégration sont naturelles; s'agissant de "témoignage(s)", un thème exploité de façon abondante et paradoxale par le johannisme, notamment sous son aspect numérique (le nombre des témoins, deux ou trois au moins, et comment on les compte; cf. Jean 1,7s.15.19.32.34; 2,25; 3,11.26.28.32s; 4,39.44; 5,30ss; 7,7; 8,13ss; 10,25; 12,17; 15,26s; 18,23.37; 19,35; 21,24; 1 Jean 1,2; 4,1.14; 5,6ss; 3 Jean 3.6.12), c'est l'idée de "concordance" qui s'impose (d'où l'"accord"), du moins en surface (les témoignages concordent).
Il faut surtout souligner que l'"un" d'arrivée, si l'on peut dire, est du genre "neutre" (hen), ce qui n'est déjà pas facile à comprendre en français où ce "genre" n'existe pas comme tel -- contrairement au genre masculin du "Seigneur un (heis, masculin)", selon la traduction grecque de Deutéronome 6,4. La différence correspond à peu près à celle que nous faisons entre l'"impersonnel" et le "personnel", quelque chose ou quelqu'un, quoi ou qui. L'"un" est ici (comme dans les textes johanniques les plus "théologiques", cf. Jean 10,30; 11,52; 17,11.21ss) de l'ordre du "quoi" et non du "qui", même quand les "sujets" sont masculins et "personnels" (le Père, le Fils, nous, vous); mais il l'est d'autant plus naturellement ici que les sujets sont grammaticalement neutres ou "impersonnels" (l'esprit, l'eau et le sang, to pneuma kai to hudôr kai to haima, les trois noms sont neutres, comme l'article to qui les détermine à chaque fois) -- évidemment ça fonctionne beaucoup moins bien avec la (trop) fameuse interpolation trinitaire (comma ioanneum, "le père, le logos et le saint-esprit", soit deux masculins et un neutre), sur lequel il me semble superflu de revenir ici.
Bien entendu, l'eau, le sang et l'esprit (déjà v. 6) se réfèrent de façon allusive, voire mystérieuse, au quatrième évangile (1,31.33; 3,5 pour l'eau et l'esprit, 19,34 pour le sang et l'eau), même si leur combinaison à "trois" (nombre expressément mentionné et répété, treis) est inédite. Cependant le "témoignage", présent depuis l'introduction de l'épître (cf. les références du paragraphe précédent), ne s'arrête pas là -- il faut au moins lire à la suite les v. 6-12 pour voir et entendre de quoi il retourne. |
| | | free
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| Sujet: Re: un Lun 02 Aoû 2021, 10:54 | |
| PLÉRÔME
Terme grec qui signifie « plénitude » et qui, dans cette acception, appartient à la langue classique. On le relève une quinzaine de fois dans le Nouveau Testament. On le rencontre aussi dans le néo-platonisme tardif, par exemple chez Damascius (au moins trois fois). Mais c'est le gnosticisme qui lui a donné valeur technique (et qui a influencé chrétiens et néo-platoniciens, qui s'en défendent).
Il n'est pas facile de discerner le sens technique du sens banal : on parle du plérôme de la divinité, c'est-à-dire de sa plénitude ; du plérôme du Christ, c'est-à-dire de l'abondance de ses dons ; du plérôme des temps, c'est-à-dire de leur accomplissement ; du plérôme universel, c'est-à-dire de la totalité des êtres. En fait, le sens gnostique transparaît dans toutes ces expressions.
Il y a plérôme là où l'unité et l'intégralité des principes spirituels commandent la constitution du monde ou le déroulement de l'histoire du salut ; là encore où se révèle dans le temps, notamment aux époques privilégiées (les « derniers temps »), le dessein complet de la sagesse divine. Le plérôme englobe l'Un-et-Tout qui fonde l'expérience, organise ses éléments, répartit ses médiations ; il embrasse tout ce qui concourt et contribue à la création, à sa cosmologie (dualisme du monde d'en haut qui est lumière et du monde d'en bas qui est ténèbres), à sa chronologie (divisions du temps, détermination astrologique des ères favorables ou défavorables), à la sotériologie qui accompagne l'ontologie (chute dans le monde des corps, retour au monde des esprits). https://www.universalis.fr/encyclopedie/plerome/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: un Lun 02 Aoû 2021, 11:17 | |
| Terme et notion dont nous avons souvent parlé, encore dernièrement ici (la recherche Google sur le site du forum ne semble ramasser que les mentions les plus anciennes). Bien sûr, il y aurait quelque illusion à confondre le terme et la notion, et à tenter de définir celle-ci par les usages de celui-là qui sont extrêmement divers, même dans un corpus restreint (NT, textes présumés "gnostiques" OU "néo-platoniciens" p. ex.): l'usage du même mot peut être banal OU (plus ou moins) "technique", et relever dans ce dernier cas de doctrines très différentes, voire contradictoires entre elles; cela reviendrait à vouloir assembler un puzzle à partir de pièces provenant de plusieurs puzzles (soit dit en passant, le puzzle serait une image parmi bien d'autres du plérôme, puisqu'il s'agit de reconstituer une unité-totalité à partir de ses morceaux, de re-faire du tout un en reconnaissant l'un dans le tout morcelé -- l'idée, c'est le cas de le dire, de connaissance par re-connaissance étant précisément héritée du platonisme, dans la gnose comme dans le néo-platonisme qui s'y oppose). Si peu toutefois qu'on lève le nez des doctrines particulières et de leurs caractères distinctifs, on reconnaîtra (!) sans peine le même schéma dans n'importe quelle forme de "pensée", religieuse, philosophique ou scientifique par exemple: toute "théorie", tout "système", toute "dialectique" est une façon de reconduire le "tout" à l'"un". A cet égard, le "panthéisme" est moins une "théologie" parmi d'autres et comme les autres que l'horizon même de toute théologie, monothéiste ou polythéiste. La difficulté dès qu'on a posé l'"un" étant de penser l'"autre", autrement dit l'"un" comme d'emblée différant de lui-même, ou la différence même comme l'"un". |
| | | free
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| Sujet: Re: un Mer 01 Déc 2021, 13:48 | |
| Le shema‘ ne se trouve ainsi formulé qu’en ce seul passage du Deutéronome, chap. 6, et on peut s’en étonner au regard de son retentissement futur. Dans la Bible hébraïque, il n’y a guère qu’un oracle prophétique en Zacharie 14, v. 9 qui y fasse écho : « yhwh sera roi sur toute la terre ; en ce jour-là [bayyôm hahû’] yhwh sera Un [yihyèh yhwh ‘èhâd], et son nom Un [ûshemô ‘èhâd]. » Un écho d’importance car il offre une piste remarquable d’interprétation : ce passage met en effet en évidence la dimension cultuelle (l’invocation du nom) et la dimension eschatologique de l’énoncé : la révélation de l’Unité de yhwh est à venir et ne sera perceptible que lorsqu’elle englobera toute la terre habitée et prendra une dimension universelle.
C’est dans la période dite « intertestamentaire » que le shema‘ commence à prendre le statut d’« oraison angulaire du monothéisme juif », pour reprendre l’expression d’André Neher, le penseur et exégète bien connu en France pour ses nombreuses publications sur le judaïsme. En effet, quelques documents témoignent de l’usage du shema‘ dans la piété juive avant l’ère chrétienne. Dans l’ordre chronologique :
- Un texte liturgique du IIe siècle avant notre ère, le Papyrus Nash, associe le shema‘ au texte du décalogue.
- Dans un fragment hébreu du Siracide, de la même époque, on peut lire ‘hd hw’ m ‘wlm [‘èhâd hû’ mé ‘ôlâm] « il est un depuis toujours ».
- Des phylactères retrouvés dans la cave 8 de Qumran, qui datent du tournant de l’ère chrétienne, contiennent dans un rectangle central le shema‘ entouré d’autres textes bibliques.
- L’historien Flavius Josèphe mentionne la pratique de lire le shema‘ matin et soi.
- La Règle de la communauté de Qumran y fait allusion.
Le Nouveau Testament confirme également la centralité du shema‘ à cette époque. Un scribe demande à Jésus : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Et Jésus de répondre : « Le premier, c’est : Écoute, Israël ! Le Seigneur, notre Dieu, le Seigneur est Un, et tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton intelligence et de toute ta force. . » Cette réponse de Jésus est reprise par les évangélistes Matthieu et Luc, mais sans l’introduction « Écoute, Israël ! [shema‘ yisraél] ». D’autres passages font écho au shema‘, ainsi dans les lettres de l’apôtre Paul lorsqu’il rappelle qu’« il n’y a de Dieu qu’un seul [oudeis theos ei mè heis] ».
Le poème de Yehudah ‘Amihaï que j’ai évoqué nous rappelle qu’une variante du shema‘ est tout aussi centrale dans l’islam. La 112e sourate du Coran commence par hûwâ llâhu ‘ahâdun « Dieu est Un ». Cette affirmation est sous-entendue dans la shahâdah : lâ ‘ilâha ‘illâ llâh « il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu » – une formulation très brève qui est développée dans le sens de l’unicité de Dieu dans des confessions islamiques plus amples, telle celle du théologien al-Ghazâlî (1058-1111): « […] dans sa nature Allah est Un, sans compagnon ; unique, sans semblable ; éternel, sans concurrent ; à part, sans rien de comparable », etc.
https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2013-2-page-153.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: un Mer 01 Déc 2021, 15:09 | |
| Etude sérieuse (qui complète fort utilement notre discussion) et "prédication" touchante -- c'est rare d'avoir les deux à la fois, mais le contexte de la "leçon d'adieu(x)" à l'IPT (à la fois académique et confessionnel) s'y prête...
A propos de Zacharie 14 (cf. post initial, § 4), il faut souligner la différence de temps ou d'aspect (inaccompli/futur) par rapport au Deutéronome (qu'on prenne sa formule sans verbe, donc a priori sans "temps" ni "aspect", comme l'énoncé d'une "vérité" permanente ou comme confession "performative"; la différence ne se laisse d'ailleurs penser que jusqu'à un certain point, car il y a du "performatif" dans tout énoncé et de l'énoncé dans toute "performance" discursive): dire que Yahvé sera ou deviendra "un", c'est tout autre chose que de dire qu'il l'est, ce serait même (à un moment de la différence, ou de la "série différentielle" comme dirait Deleuze) le contraire.
D'autre part j'entends bien la réaction de J.M. Vincent à tout un courant contemporain de l'exégèse vétérotestamentaire (exemplairement illustré en France par Römer), mais elle appellerait aussi des objections: si le Shema` du Deutéronome provient d'un contexte cultuel (nord-)israélite (Samarie, Béthel) et pré-exilique (par rapport à l'exil judéen et néo-babylonien), alors son absence de tous les textes de l'AT (hormis le deutéro-Zacharie "apocalyptique" et en tout cas très tardif) devient franchement inexplicable...
Quoi qu'il en soit, la question la plus grave au moins d'un point de vue "pratique", sinon la plus profonde au plan "théorique", c'est bien l'ambiguïté et l'interprétation de l'"un" (dans un monothéisme comme dans n'importe quel universalisme), notamment sous la forme de l'alternative retorse "exclusion / inclusion". De la Bible à la "modernité", des "totalitarismes" théocratiques ou athées aux "universalismes" politiques, rationnels, scientifiques ou techniciens, c'est toujours le rapport de l'"un" à l'"autre" ou à la "différence" qui pose problème et se résout de manières infiniment divergentes et par moments diamétralement opposées, de l'accueil indifférencié de toutes les différences à l'intransigeance meurtrière, peu importe au fond qui ou quoi occupe la place imprenable de l'"un". |
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