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 Être un étranger sur la terre - Psaume 119

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MessageSujet: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeDim 20 Déc 2020, 10:17

On lit dans le psaume 119 : « Je suis étranger sur la terre, ne me cache pas tes commandements. » Le texte serait-il, selon la critique historique, tardif, et remonterait-il déjà à la période hellénistique où le mythe platonicien de l’âme exilée dans le corps, aurait pu séduire la spiritualité de l’Orient ? Mais le psaume fait écho à des textes reconnus comme antérieurs au siècle de Socrate et de Platon, au chapitre 25, verset 23 du Lévitique, notamment : « Nulle terre ne sera aliénée irrévocablement, car la terre est à moi, car vous n’êtes que des étrangers, domiciliés chez moi. » Il ne s’agit pas là de l’étrangeté de l’âme éternelle exilée parmi les ombres passagères, ni d’un dépaysement que l’édification d’une maison et la possession d’une terre permettra de surmonter en dégageant par le bâtir, l’hospitalité du site que la terre enveloppe. Car comme dans le psaume 119 qui appelle des commandements, cette différence entre le moi et le monde est prolongée par des obligations envers les autres. Écho du dire permanent de la Bible : la condition – ou l’incondition – d’étrangers et d’esclaves en pays d’Égypte, rapproche l’homme du prochain. Les hommes se cherchent dans leur incondition d’étrangers. Personne n’est chez soi. Le souvenir de cette servitude rassemble l’humanité. La différence qui bée entre moi et soi, la non-coïncidence de l’identique, est une foncière non-indifférence à l’égard des hommes. http://philomonaco.com/atelier/letrangete-a-letre/
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeDim 20 Déc 2020, 13:38

Très beau texte de Levinas qui mériterait une longue et patiente lecture (de l'extrait plus large en suivant le lien, mais aussi du livre et de l'oeuvre). L'auteur a le rare avantage, par rapport à la plupart des autres philosophes y compris juifs, de très bien connaître l'hébreu et l'araméen, la Bible et le Talmud, autant que le grec et l'allemand (ce fut un des tout premiers traducteurs en français de Heidegger avec qui il n'a cessé de batailler de façon profonde et originale).

Le texte du psaume 119 (v. 19) peut évidemment se comprendre de bien d'autres manières que "platonicienne" ou "lévitique" -- par exemple par rapport à une situation d'exil ou de diaspora (la "terre" c'est aussi le "pays", d'Israël, d'Egypte, de Babylone ou d'ailleurs). Il est surtout un jeu formel (alphabétique ou acrostiche au huitième degré, 22 strophes de huit vers commençant par la même lettre dans l'ordre de l'alphabet hébreu de 22 lettres) sur le mot "Torah" et une kyrielle de quasi-synonymes (ici miçva-miçvot, "commandements"), ce qui relativise beaucoup le "sens" de ses énoncés particuliers, déterminés par de toutes autres contraintes que celle de "vouloir dire" quelque chose. Le fait même que ce genre de jeu formel existe dans "la Bible", qu'il y soit même assez fréquent bien qu'il atteigne ici son niveau de sophistication maximal, a néanmoins de quoi faire réfléchir le lecteur habitué à n'y chercher que du "sens"...

Levinas l'interprète naturellement, il en a bien le droit, dans le sens de sa philosophie ouvertement et profondément anti-heideggerienne, selon le modèle d'une éthique de l'autre (non de l'Autre abstrait et capitalisé, mais l'événement ou l'épiphanie du visage d'autrui qui me fait ou à qui je fais violence, irréductible à tout concept) opposée à une métaphysique ou à une mystique de l'être ou de l'essence qui tend à dissoudre toute éthique. C'est anachronique, bien sûr (Levinas assume souvent l'ana-chronisme et même l'an-archie comme corollaires de l'éthique même), pas seulement parce que le psalmiste n'avait pas lu Heidegger (ni probablement Platon ni Parménide), mais aussi, à mon sens, parce que l'interprétation "éthique" de la Torah est le fruit d'un long développement du judaïsme, bien postérieur à l'écriture de la Torah -- qui passe par sa réinterprétation pharisienne avant et surtout après la destruction du temple et l'effondrement du nationalisme judéen, et par tous ses développements rabbiniques (talmud, midrash, haggada, même la qabbale dont Levinas se méfie davantage) pour culminer, de ce point de vue, dans une certaine pensée juive moderne (Buber, Rosenzweig, Scholem, et Levinas lui-même). Il faut être un peu conscient de tout ce processus de pensée et d'écriture multimillénaire, non pour le déprécier mais pour l'apprécier.

Mais en-deçà et comme au-delà de toutes ses interprétations, le sentiment d'étrangeté n'épargne probablement personne: on peut douter qu'il y ait jamais eu une vie assez recluse, autochtone, autarcique ou autiste, parfaitement adaptée à son environnement, idiote au sens étymologique du terme, pour n'en être jamais effleurée -- et le cas échéant ce serait l'étrangeté même...
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeDim 20 Déc 2020, 16:43

L’homme devrait donc, selon le Rabbi de Gur, s’habituer à contempler le mystère de la proximité de Dieu à toute chose – percevoir au-delà des apparences – car c’est cette proximité, sous la forme de la Voix créatrice qui donne vie à tout ce qui est, chaque jour de nouveau, comme le rappelle la bénédiction de la prière du matin, qui seule apaisera l’angoisse humaine.

Dans cette perspective des versets tels : « la vérité jaillira de la terre » (emet mééretz titsmah) (Ps 85, 12) ; ou encore : « la terre est remplie de sa gloire » (malé cal haaretz cevodo) (Is 6,3), reçoivent alors une signification essentielle et non seulement métaphorique. La vérité et la gloire appartiennent bien à la terre, Dieu ne l’a pas désertée, Il lui donne d’être, à chaque instant, maintenant encore, même si cette vérité et cette gloire restent cachées au regard que les hommes posent spontanément sur la terre, même quand ils l’admirent, en prennent soin et la protègent des violences qui la menacent elle aussi. Tout cela en effet peut se faire en toute ignorance de cette vérité et de cette gloire.

Mais si la Bible ne cesse d’enseigner que la terre subit les aléas de la conduite humaine n’est-ce pas pour nous inciter à retrouver le chemin de cette vérité et de cette gloire ? À cause de Caïn, la terre est maudite, les fleuves se dessèchent, chaque motte d’argile est corrompue et les champs de blé deviennent champs d’ossements . À cause d’une conduite irrespectueuse des préceptes de la Torah car vouée au culte de ses intérêts privés, « les troupeaux errants dévoreront les riches possessions devenues des ruines » (Is 5, 17). À cause de l’injustice, du mépris de l’étranger, de la veuve et de l’orphelin, la terre est souillée, attristée et flétrie (Is 24, 4). À cause du mépris du journalier pauvre et nécessiteux (Dt 24, 14), ou encore de l’avarice soucieuse de tout garder pour soi (Dt 24, 21), de la corruption et de la haine gratuite, la terre est abîmée et elle ne supporte plus la présence de tels habitants, elle les vomit comme le dit le Lévitique (18, 27) déjà cité.

Il convient donc de relier la lecture par le Rabbi de Gur du verset du psalmiste à l’épreuve de son étrangeté sur la terre à ces très nombreuses occurrences où sont rappelés à l’homme ses devoirs envers ses frères. https://www.cairn.info/revue-pardes-2005-2-page-175.htm
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeDim 20 Déc 2020, 18:42

Complément bienvenu (c'est la même Catherine Chalier qui présentait, ce matin pour nous, quinze ans plus tard en fait, le texte de Levinas -- de 1987).

En lisant cela, je me suis redit -- c'est d'une affligeante banalité -- que toutes les idées tendent d'elles-mêmes à basculer les unes dans les autres, et leurs oppositions constitutives à s'effondrer, ce qui d'ailleurs n'ôte rien à leur valeur provisoire (celle des idées et des oppositions), qui vaut ce qu'elle vaut en son temps comme dirait Qohéleth. Qu'on parle de "création" ou de "nature", "bonne" ou "mauvaise", "bienveillante" ou "indifférente", d'"ordre" ou de "chaos", d'"être" ou de "néant", d'"éthique", de "métaphysique" ou de "mystique", de "révélation" ou de "pensée", on en finit toujours à devoir compenser ce que chaque position avait d'incomplet ou d'unilatéral, et ainsi à ruiner ou à neutraliser, rien qu'en le prolongeant, ce qu'on avait d'abord cru pouvoir affirmer et nier. En quoi la poésie ou la littérature qui expriment un sentiment, d'étrangeté par exemple, sans se mettre en devoir de l'expliquer -- qui serait étranger à quoi, comment et pourquoi -- précèdent et survivent à tous les systèmes théologiques, philosophiques ou psychologiques que pourtant elles appellent et révoquent tour à tour. Ce qui reste des "penseurs" au-delà de leur "pensée", c'est ce qui était en-deçà: de la poésie ou de la littérature, la leur quelquefois, celle qu'ils ont lue et qui leur a donné à penser, toujours...
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeLun 21 Déc 2020, 22:43

"C'est selon la foi que tous ceux-là sont morts, sans avoir obtenu les choses promises ; cependant ils les ont vues et saluées de loin, en reconnaissant publiquement qu'ils étaient étrangers et résidents temporaires sur la terre. En effet, ceux qui parlent ainsi montrent clairement qu'ils cherchent une patrie. S'ils avaient eu la nostalgie de celle qu'ils avaient quittée, ils auraient eu le temps d'y retourner.
Mais en fait ils aspirent à une patrie supérieure, c'est-à-dire céleste. C'est pourquoi Dieu n'a pas honte d'être appelé leur Dieu ; car il leur a préparé une cité" (Hé 11, 13-16).

Les fidèles du passé se sentaient-ils exilé sur la terre, loin de leur patrie originelle, le ciel ?
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeLun 21 Déc 2020, 23:51

Sans aucun doute pour l'épître aux Hébreux qui, elle, est clairement "(médio-)platonicienne" (à sa manière bien entendu, mais nous en avons dit assez sur le sujet pour nous dispenser d'y revenir ici). Ce n'est cependant pas ce que l'on comprendrait de la Genèse ou des autres textes de l'AT, à moins de les lire, précisément, avec le même genre de lunettes.

Deux remarques toutefois: comme nous l'avons vu ailleurs, même dans l'épître aux Hébreux le "ciel" n'est pas l'origine première ni la destination ultime, il est aussi créé et appelé à disparaître au profit de l'"éternel", sans lieu ni temps pensables; il occupe donc par rapport à la "terre" une place intermédiaire et une fonction provisoire (lieu des "types" ou "paradigmes" des "ombres" terrestres, comme chez Platon des "idées" ou, dans l'allégorie de la caverne, du soleil qui fait apparaître les choses sous leur vrai jour, ce qui vaut mieux que leurs ombres, mais il y a encore mieux que le ciel du soleil et que celui des idées, le Bien "au-delà de l'être", de l'"essence" ou de l'"étantité"); place et fonction néanmoins décisives parce qu'elles mettent les captifs en mouvement des ténèbres à la lumière, des ombres aux formes, des formes aux idées et des idées à l'"au-delà". De même dans la Genèse et dans le reste de l'AT, indépendamment de tout "platonisme", on ne peut qu'être frappé du fait que l'arrachement au lieu et à l'état d'origine est le point de départ, c'est le cas de le dire, de toute l'histoire, qui passe (et repasse) nécessairement par la condition de l'"étranger" (départ d'Abraham, de Jacob, de Joseph, d'Israël en Egypte et hors d'Egypte, étranger même sur la terre de Yahvé, exils et retours d'exil; mais aussi d'Adam et Eve, de Caïn, etc.). Ces deux traditions-là, même si elles sont parfaitement indépendantes l'une de l'autre au départ, ont précisément en commun le départ, le mouvement, la quête; elles étaient faites pour se rencontrer, avec tous les risques d'altération et les chances d'enrichissement mutuels d'une telle rencontre...
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeMar 22 Déc 2020, 09:37

Le guèr est celui dont la Torah recommande de prendre soin en de nombreux passages, comme en Ex 22:20 : « Tu n’accableras pas l’étranger, tu ne l’opprimeras pas ». Garde-toi de l’accabler de récriminations, de l’opprimer en lui volant son bien, « car tu fus étranger en terre d’Égypte ». Ainsi voyons-nous des justes qualifiés d’étrangers ; le terme de guèr découle de garguir , la graine détachée de sa tige, aussi le juste se voit-il seul, n’ayant sur terre qu’un abri provisoire. C’est ce que dit David, « Je suis un étranger en ce pays, ne me celle pas tes commandements. » (Ps 119 : 19). Il se compare à l’étranger voué à un départ dont il ignore la date ; il lui faut, puisqu’il ne la connaît pas, faire ses préparatifs au cas où son heure arriverait soudain. Quels sont ces préparatifs ? – l’observance des commandements : « Ne me celle pas tes commandements. » Et ainsi voyons-nous tous les patriarches qualifiés d’étrangers – Abraham, dont il est écrit : « Je suis un étranger et un résident parmi vous » (Gn 23 : 4) ; Isaac, dont il est écrit : « Arrête-toi dans ce pays-ci » (Gn 26 : 3) ; Jacob, dont il est écrit « Jacob s’établit dans le pays où avait séjourné son père, dans le pays de Canaan » (Gn 37 : 1) – « Jacob s’établit » (veYishev), est-il dit, et non « Jacob habita » (veYagar), car il s’était souvenu d’Ésaü : « Ésaü s’établit sur le mont Séir » (Gn 36 : Cool. Or la lignée d’Ésaü, les rois et les héros qui en étaient issus, s’étaient établis sur la terre qui leur était échue en apanage. Aussi est-il dit de Jacob qu’il s’établit en terre sainte, « dans le pays où avait séjourné son père ». L’emploi du terme mégourei tel qu’il figure en Ex 6 : 3 – « leur donner la terre où ils avaient habité » – nous dit qu’à l’instar des patriarches dont la tige était de l’autre côté du fleuve, ils habitaient maintenant sur la terre qu’on appelait en ce temps Canaan.

De tout ce qui précède, il découle que le guèr dans le Tanakh fait référence à celui qui est originaire d’un autre pays, qui vit dans un autre pays, dont l’attachement au nouveau pays n’est pas total, et qui ne se considère ni n’est considéré par autrui comme lié au pays où il habite ; il ne s’y est pas établi. https://www.cairn.info/revue-pardes-2012-2-page-145.htm
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeMar 22 Déc 2020, 12:27

Les méthodes d'interprétation rabbiniques sont pour le moins dépaysantes -- à nos yeux bien sûr, ce qui à la réflexion rappelle ce que chaque lecture, y compris les "nôtres", modernes, rationnelles, critiques, a d'illégitime, d'illégal ou de clandestin comme l'"étranger": dans la langue et dans l'écriture avec ou sans majuscule, nul n'est chez soi, pas plus le juif que le grec, le chrétien ou le païen, le grammairien que l'analphabète, l'auteur que le commentateur, l'exégète ou le traducteur que le lecteur dit ordinaire; chacun a tous les droits ou personne n'en a aucun, et on est toujours mal fondé à s'y comporter en propriétaire ou en maître des lieux.

Au passage, les textes bibliques cités rappellent que ce n'est pas seulement sur la "terre" ou dans un "pays" que s'éprouve l'"étrangeté", mais aussi bien devant le dieu, ou Dieu (Psaume 39,13; 1 Chroniques 29,15). Abstraction faite de tout contexte "historique", cela relativise également les interprétations "platoniciennes" ou "gnostiques" de l'étrangeté au "monde", ou les relance autrement et plus profondément: le sentiment d'étrangeté (à l'égard) de l'"origine" ou de la "transcendance" n'est pas moins sensible, et étrange, qu'à l'égard d'un "monde" ou d'une "histoire", d'une "nature" ou d'une "culture", et contre toute attente l'un n'empêche pas l'autre.
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeMar 22 Déc 2020, 21:45

La non-autochtonie

L’une des sources, pour Israël, de la découverte de la création est la généralisation de l’expérience du nomadisme. Israël gardera toujours la conscience de son passé d’errance (cf. la confession de foi dans Deutéronome 26, 5 ss.). Il sait qu’il lui a été donné d’habiter des maisons qu’il n’a pas construites. Josué le lui rappelle au nom de YHWH, lors de l’assemblée de Sichem : « Je vous ai donné une terre qui ne vous a donné aucune fatigue, des villes que vous n’avez pas bâties et dans lesquelles vous vous êtes installés, des vignes et des olivettes que vous n’avez point plantées, et qui servent aujourd’hui à votre nourriture » (Josué 24, 13 et cf. Deutéronome 6, 10 s.). Cette expérience, en un sens, est connue par tout homme qui, à sa naissance, arrive dans un monde déjà tout fait ; mais ce n’est qu’en Israël qu’elle a été thématisée et accentuée positivement. Israël sent qu’il est arrivé, qu’il s’est installé. L’expérience de la création est celle d’une arrivée dans une terre, d’un « venir au monde ». Elle est encore réfléchie par Rachi (commentaire sur le premier verset de la Genèse), qui généralise à la création du monde, en s’inspirant probablement de commentaires antérieurs. La Bible présente aussi cette expérience, dans une version négative, comme ce qui pourrait arriver à Israël infidèle, qui serait alors privé des fruits de sa terre comme il en a privés les habitants de Canaan. L’idée se trouve en Amos 5, 11 ; Sophonie 1, 13 ; Michée 6, 15 ; Deutéronome 28,30-et une négation de la négation en Isaïe 62, 8 s.

L’homme se découvre postérieur à un monde « dans » lequel il n’a pas toujours été, et dont il ne fait donc pas partie. La généralisation de cette expérience lui fait prendre conscience du fait qu’il était absent au moment de la création, comme c’est exprimé dans la question ironique posée par Dieu à Job : « où étais-tu lorsque je fondais la terre ? » (38, 4)

On peut se permettre ici de mettre en parallèle, pour les contre-distinguer, les expériences grecques et vétéro-testamentaires du monde. L’idée d’éternité du monde, telle qu’elle s’est formulée en Grèce, n’est peut-être pas sans lien avec l’expérience (prétendue) de l’autochtonie. On pourrait poser une analogie et dire que le « grec » est au « juif » ce que l’éternité du monde est à la création, ou ce que l’autochtonie est à l’exode. https://books.openedition.org/pusl/5675?lang=fr
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeMer 23 Déc 2020, 00:32

L'opposition me semble très excessive: d'une part les récits des origines d'Israël (de la Genèse à Josué, des récits de création à la conquête en passant par le déluge et la tour de Babel, le nomadisme patriarcal, l'esclavage en Egypte, l'exode et le désert) sont essentiellement des constructions littéraires tardives, qui comportent fort peu de traditions anciennes (sans parler d'histoire), et dont l'accroche historique est plutôt offerte par l'expérience des exils assyro-babyloniens et de la diaspora subséquente, rétroprojetés sur fond d'origines immémoriales; la notion de création émerge avec le monothéisme dans le contexte de l'exil (deutéro-Isaïe), et elle n'est pas d'emblée ex nihilo, elle ne le deviendra qu'à l'époque hellénistique et romaine; d'autre part la Grèce a aussi des mythes de création et d'origines comparables (rassemblés par Hésiode et encore utilisés par Platon), y compris un déluge (Deucalion), qui sont d'ailleurs probablement de la même origine levantine, et les voyages forment une grande partie de ses épopées (Iliade et Odyssée, guerre de Troie, Ulysse, les Argonautes) et même de ses mythes (Dionysos ou Orphée "étrangers"). Pour ce qui est de l'"étrangeté au monde", elle se développe principalement sur un mode philosophique ou "métaphysique", mais non exempt de mythes, de façon tout aussi puissante chez Platon et dans toute la tradition qui en découle... les différences sont nombreuses et considérables, mais elles ne se résument pas à une antithèse symétrique, même en amont des confluences de l'époque hellénistique qui a d'ailleurs très bien reconnu les analogies (Philon). Si un certain judaïsme se développe dans un sens anti-grec (et avec un matériau principalement perse), c'est surtout à partir de la crise maccabéenne, à Qoumrân et dans le pharisaïsme.
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeMer 23 Déc 2020, 10:25

Vivre en étranger dans le monde ?

Dans les quatre niveaux qui la constituent – la théologie, ou récit de la naissance de puissances mauvaises distinctes du dieu premier, cosmogonie, ou explication de la création du monde sensible par un démiurge mauvais, anthropologie, ou distinction en l’homme de sa part divine et de sa part mauvaise et ténébreuse, et eschatologie, ou rachat dans le fidèle de sa part lumineuse – la gnose convoque de plusieurs manières la catégorie d’étranger. Elle offre, tout d’abord, la révélation ou connaissance d’un être suprême qui, parce qu’il diffère foncièrement du démiurge et de la puissance mauvaise et diabolique qui a créé le monde, est un « Dieu étranger » à celui-ci. Par suite, ce dieu suprême adresse au monde un appel par l’intermédiaire d’un « messager », souvent appelé « l’Étranger » ou « l’Envoyé de la vie ». Seuls ceux qui, enfermés dans le monde et emprisonnés dans la matière ténébreuse, sont porteurs d’une étincelle divine et d’un « esprit » (pneûma) sont suceptibles d’entendre cet appelet de revenir enfin à leur nature : l’élu se découvre alors étranger à ce monde et lié au dieu véritable avec lequel il doit se réunir pour devenir soi-même. « L’Étranger du dehors », écrit Jonas, « vient à celui qui est étranger dans le monde » pour le libérer et lui permettre de s’évader du monde où la chute originaire l’a enfermé, pour retrouver son véritable lieu d’habitation et remonter vers le lieu de son origine.  https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2015-2-page-51.htm
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeMer 23 Déc 2020, 13:00

Le débat de Plotin avec les "gnostiques" complète très utilement l'idée qu'on peut se faire de ces derniers, parce qu'il s'y confronte d'un tout autre côté que les "Pères de l'Eglise" -- non pas religieux et confessionnel (chrétien "orthodoxe") mais philosophique (néoplatonicien), soit deux angles complémentaires d'extériorité relative qui gardent largement leur pertinence pour "éclairer" la littérature authentiquement "gnostique", dont la majeure partie a été découverte il y a moins d'un siècle (Nag Hammadi). On y remarque, peut-être à l'encontre de toutes les parties concernées, combien la "gnose" a été un passeur culturel décisif entre des "mondes" aussi différents que le sectarisme juif apocalyptique, les "mystères" païens et le christianisme, entre la "religion" et la philosophie, et à l'intérieur même de ces dernières:  en dépit des oppositions apparentes la gnose a considérablement nourri la théologie des Pères grecs comme Origène ou Clément d'Alexandrie, tout comme la pensée de Plotin.

Il faut néanmoins rappeler que ce qu'on totalise sous le nom de "gnose" est extrêmement divers d'un lieu (d'Alexandrie à Rome), d'un milieu (ou d'une "école"), d'un "auteur" et d'une époque à l'autre (du Ier au IIIe siècle), ce qui est tout à fait apparent dans les textes. Même si globalement la vision du "monde" gnostique est plus "pessimiste", voire "catastrophiste", que la vision platonicienne, dont on sait combien elle comptera pour la suite de la théologie chrétienne, de saint Augustin à la Renaissance, elle ne se réduit pas à un dualisme moral du "bien" et du "mal": le démiurge, les puissances cosmiques ne sont pas simplement "mauvais", ils sont plus bêtes que méchants, et l'archi-divinité originelle autant que le plérôme ultime sont en-deçà et au-delà du "bien" et du "mal". Cela se ressent également dans le glissement de Plotin par rapport à Platon, du "Bien" à l'"Un" epekeina tès ousias, "au-delà de l'être (essence, étantité)".

La notion d'étrangeté (qui est elle-même un aspect de la différence) joue cependant un rôle essentiel dans tous les "systèmes" -- dans tout "système" à vrai dire, juif, chrétien ou païen, ancien ou moderne: le rapprochement avec Pascal dans la suite de l'article est tout à fait intéressant. Et pourtant elle échappe au système: dès lors qu'une étrangeté s'explique (par une création, une chute, une nature, une origine ou une destination) elle est déjà moins étrange, mais elle ressurgit alors dans toute son étrangeté où on ne l'attend pas -- du côté d'un "dieu" sans "monde" ou d'un "monde" sans "dieu" qui ne seraient pas moins étranges, par exemple.

Reste à savoir si l'on peut vivre l'étrangeté sans l'expliquer, alors même qu'elle appelle l'explication: c'est peut-être un privilège de la "littérature", là où elle précède et excède le système et même la pensée religieuse, philosophique ou psychologique.

[Être ange, être en jeté(e), la frivolité du calembour en guise de sérieux ?]
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeJeu 24 Déc 2020, 12:05

Citation :
[Être ange, être en jeté(e), la frivolité du calembour en guise de sérieux ?]

Bravo cheers



Or, les gnostiques refusant ou méprisant corporéité et matérialité, allant même par docétisme jusqu'à faire de l'Incarnation christique une apparence, ne semblent pas loin de développer un refus égal du monde qui a tout de l'acosmisme attribué plus tard par Hegel à Spinoza. Le premier considère en effet que le système du second « est bien plus à regarder comme un acosmisme. Une philosophie qui affirme que Dieu, et seulement Dieu, est, on pourrait, pour le moins, ne pas le donner pour un athéisme », mais « on trouve beaucoup plus concevable la négation de Dieu que la négation du monde ». Plus qu'une simple négation du monde, qui dans le cas de Spinoza, signifie aussi bien sa non-prise en considération ou encore son indifférence à l'égard du monde, l'anticosmisme gnostique a le sens, comme le préfixe l'indique, d'une opposition au monde, soit d'un rejet violent de ce dernier. Alors que l'acosmisme indique une privation de monde qui est une privation de tout rapport au monde, l'anticosmisme signifie un rapport contrarié au monde, c'est-à-dire implique plus que jamais un rapport au monde. S'opposant au monde, le gnostique est bien « au monde ». Cet être-au-monde a ceci de particulier qu'il passe par le sentiment de n'y être pas, d'y être en quelque sorte de n'y être pas. C'est ce que l'on pourra appeler un mode d'étrangeté au monde, ou encore un rapport tragique au monde, soit que l'on insiste, dans le rapport du gnostique au monde, sur l'altérité ou sur le conflit.
(…)
L'attitude stoïcienne illustre cependant déjà une « position de repli » en direction d'une « piété cosmique ». L'effondrement de l'ordre politique de la cité et sa désagrégation dans l'Empire romain font naître cet autre ordre, cosmique : un rapport tout/partie se substitue à l'autre. Le stoïcien devient un kosmopolitès, une partie du monde, à défaut d'être partie d'une cité. L'analogie de la cité et du cosmos se déploie cependant sur fonds de résignation et de passivité, tant le cosmos semble, bien plus que la cité, être au fond étranger aux problèmes des parties. Quant à la conception chrétienne du monde, elle se caractérise par une plus grande ambivalence que son appréhension grecque, toute de positivité. Cette équivocité est manifeste dans ces deux paroles de saint Jean, la première située dans l'Évangile : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle » (3, 16), la seconde dans la première épître : « N'aimez pas le monde ni rien de ce qui s'y trouve », assorti de : « Le monde entier est au pouvoir du malin » (2, 15 et 5, 19). Dans la première citation, le monde est vu dans le cadre de sa création par Dieu et de l'œuvre de perfection qu'il doit y mener, dans la seconde, il est considéré dans son organisation donnée, livrée par le péché à la puissance du mal. Cette apparente contradiction est en fait le résultat de deux vérités essentielles : le monde dans lequel nous vivons est la limite inférieure d'un univers spirituel divin tout de bonté ; le monde est un champ d'économies successives, la nôtre étant marquée par le péché. La conception chrétienne du monde procède donc d'une tension entre l'amour salvateur du monde et l'affranchissement par rapport au monde de péché pour se sauver soi-même. Cette tension se résout dans l'attitude qui consiste à cesser d'être « du monde » tout en restant « dans le monde » (Jn 17, 15- 16), ce par quoi on se libère du monde comme source de péché en y demeurant par amour pour lui. Tout en se présentant comme des modèles « cosmiques » opposés, ou du moins différents du monde gnostique, les mondes grec et chrétien laissent découvrir, dans leur caractère problématique même, étrangeté du stoïcien au cosmos, tension du chrétien face à un monde à la fois de péché et d'amour, la source possible du monde gnostique. Tout en s'opposant à l'anticosmisme gnostique, l'Église naissante n'est pas sans développer certaines tendances acosmistes. Du cosmos grec, les gnostiques conservent en tout état de cause la qualité d'ordre, en lui faisant subir une inversion axiologique radicale : le cosmos gnostique devient un concept fondamentalement négatif, destitué de sens et déserté par la bonté, où l'homme est en exil et la divinité absente : le dieu gnostique n'est pas seulement « extramondain », « supramondain », il est « antimondain », il est l'Inconnu, l'Autre absolu, de même que l'homme devient un étranger sur cette Terre. Entité théologique comme l'était le monde stoïcien, le monde gnostique est hanté par un dieu inférieur, un démiurge, ce « malin » dont parlait Jean. https://www.erudit.org/en/journals/ltp/1900-v1-n1-ltp2156/401015ar.pdf
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeJeu 24 Déc 2020, 13:48

Excellent article, qui me donne envie de lire (ou me fait regretter de n'avoir pas lu) Eugen Fink (un peu coincé entre les ombres monumentales de Husserl et de Heidegger). En ce qui concerne la gnose "historique", l'approche de N. Depraz me semble d'une justesse exceptionnelle, véritable exploit compte tenu de la forêt de caricatures qui l'enserrent aussi bien du côté de ses adversaires que de ses adeptes, et de la philosophie que de la théologie.

Comment "l'être" génère sa *propre* "différence", ses effets d'altérité et d'altération, d'étrangeté et d'é(s)trangement, de profondeur et d'étendue, de création, de destruction et de réintégration, entre les limites d'une "origine" et d'un "monde", d'un "rien" et d'un "tout" proprement inconcevables mais inévitables au concept, c'est tout l'espace (et le temps) de la "gnose", et aussi bien d'une "pensée" qui ne se confond pas avec le sentiment d'étrangeté mais dont celui-ci est à chaque fois le déclencheur.
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeJeu 24 Déc 2020, 15:49

Tout chrétien, je crois, circule et travaille parmi les autres à la manière des disciples d’Emmaüs. Ils faisaient route vers le village d’Emmaüs avec un étranger (Tu ne sais donc rien de ce qui se passe ici ?) ; il leur fallut partager le même pain pour reconnaître en lui Jésus (Luc, 24). C’est de l’inconnu et comme inconnu, que le Seigneur arrive toujours dans sa propre maison et chez les siens : « Je viens comme un voleur » (Apocalypse, 16, 15). Ceux qui croient en lui sont appelés sans cesse à le reconnaître ainsi, habitant au loin ou venu d’ailleurs, voisin méconnaissable ou frère séparé, côtoyé dans la rue, renfermé dans les prisons, logé chez les dépourvus, ou ignoré, presque mythique, dans une région au-delà de nos frontières. Il n’est pas jusqu’au « mystique » qui ne survienne toujours dans l’Eglise comme un trouble-fête, un gêneur et un étranger. Ainsi en a-t-il été de tous les grands mouvements spirituels ou apostoliques. Inversement, tout chrétien est tenté de devenir un inquisiteur, tel celui de Dostoïevski, et d’éliminer l’étranger.
Cela nous renvoie à quelque chose de plus déroutant encore, mais de fondamental à la foi chrétienne. Dieu reste l’inconnu, alors même que nous croyons en lui ; il demeure l’étranger pour nous, dans l’épaisseur de l’expérience humaine et de nos relations. Mais il est aussi méconnu ; comme le dit saint Jean, il n’est pas « reçu » chez lui, par les siens. Et c’est là-dessus que nous serons jugés en dernier ressort, c’est le test dernier de la vraie vie chrétienne : avons-nous « reçu » l’étranger, fréquenté le prisonnier, accueilli l’autre (Matthieu, 24) ?
(...)
Deux courants, en effet, semblent se partager la spiritualité chrétienne : l’un « mystique », l’autre « eschatologique ». Le premier atteste une union avec Dieu perçu comme « l’essence » ou la respiration de l’être. Le second explicite le désir qui attend Dieu comme celui qui viendra à la fin. On pourrait croire que l’un des deux seulement manifeste l’étrangeté de Dieu. En réalité, le « mystique » expérimente, dans le présent de l’union, la nécessité de se perdre : il est pris, « ravi », disait-il dans le passé, c’est-à-dire volé et comme effacé de sa propre subjectivité par quelque chose ou quelqu’un d’autre qui est sa nuit en même temps que son nécessaire. Il est pacifié par qui lui enlève ses biens. Il revit de ce qui le dévore. Dans la perspective eschatologique, aspirée par un avenir, le désir est aussi l’inconnu qui fait vivre dès à présent, l’étrangeté qui a sens : une existence est arrachée à elle-même, mais par une espérance qui lui donne sa subsistance actuelle. https://www.cairn.info/revue-etudes-2001-4-page-491.htm
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeJeu 24 Déc 2020, 18:20

Ah que voilà un catholique intéressant...

Jean-Luc Nancy parlera (beaucoup plus tard) de l'"extime", en jouant sur l'"intime", de la coïncidence toujours étonnante du plus "étranger" avec le plus "propre", de l'inappropriable entre appropriation et expropriation, etc.

Le paradoxe consolerait de la pensée, s'il ne la relançait pas toujours...


---

L'économie de la formule de l'Evangile selon Thomas (42) est peut-être idéale, la gamme de ses ententes possibles étant à la mesure de sa concision: soyez passants.
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeVen 25 Déc 2020, 23:39

Citation :
L'économie de la formule de l'Evangile selon Thomas (42) est peut-être idéale, la gamme de ses ententes possibles étant à la mesure de sa concision: soyez passants.

Une autre hypothèse, celle de Rodolphe Kasser, rapproche ce logion de la thématique du chrétien « étranger et voyageur sur la terre » (He 11, 13 ; 1 Pi 2, 11) et d’un Jésus « chemin, vérité et vie » (Jn 14, 4-6). Kasser va plus loin en évoquant la figure d’Abraham, modèle de pèlerin sur la terre. L’homme serait une sorte d’exilé sur la terre. Joachim Jeremias renvoie ainsi à une inscription sur la mosquée de Fathpur Sikri en Inde : « Jésus – la paix soit sur lui – a dit : “Le monde est un pont. Passe dessus, mais ne t’y établis pas à demeure !” . »

Une autre hypothèse encore cherche à reconstituer l’origine grecque de l’expression copte. Tjitze Baarda suggère ainsi un parallèle avec l’adjectif utilisé dans la Septante à propos d’Abraham (Gn 14, 13), un néologisme, peratês, qui désigne le patriarche comme un immigré et évoque le passage de la mer Rouge, annonçant l’expérience pascale pour les chrétiens. Les interprétations de plusieurs Pères grecs soutiennent cette parenté interprétative. https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2011-2-page-209.htm
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeSam 26 Déc 2020, 00:57

J'étais aussi tombé sur cet article en cherchant le logion (j'avais oublié le numéro). L'explicitation et le développement des (nombreux) sens possibles sont intéressants, mais il me semble au bout du compte que l'ambiguïté de la formule qui les rassemble et les enveloppe, en leur permettant de consoner comme par sympathie les uns avec les autres, est encore plus importante; et que le champ (gamme, registre, palette) sémantique et affectif de la traduction usuelle en français n'est pas très éloigné de celui du grec et/ou du copte: pourvu qu'on ne s'arrête pas au sens trivial du nom commun ("les passants c'est tous des cons", dirait Zazie), on passe vite, c'est le cas de le dire, d'un sens à l'autre du passage, du nom au participe verbal, de l'intransitif au transitif, de l'actif au passif (passant, passeur, contrebandier; mais aussi passé, passager clandestin ou non, vagabond, intrus ou fugitif, transgresseur du trespass au trépas, passe-murailles, tour de passe-passe, etc.). Par les mots comme par les choses c'est le jeu même, aussi au sens mécanique de désajointement, qui fait le passage (il y va d'un certain pas, comme dirait Derrida) -- outre que du côté du verbe d'état, dont l'auteur(e) fait grand cas, le mode impératif réduit beaucoup, quand on y pense, la distance pensable entre "être" et "devenir" (entre "soyez x" et "devenez x", c'est paradoxalement le second qui paraîtrait le plus permanent quant à l'état d'arrivée).

En tout état de cause, le "passant" me semble moins "installé" que le "résident étranger" (paroikos, d'où "paroisse" et "paroissien", d'après oikos, "maison"; il lui manque justement la "résidence") -- et même que le "nomade" installé à sa façon dans un mode de vie constant ou séculaire (habitude, habitat), dans le temps sinon dans l'espace... Et l'absence de complément de lieu (sur la terre ou dans le pays, devant le d/Dieu, voir supra) contribue encore plus à l'ouverture du sens.

J'ajouterais que le jeu des étiquettes et des corpus est trompeur et gagnerait au moins à être nuancé: ce n'est certes pas parce qu'un énoncé ou un concept est attesté à Nag Hammadi qu'il est "gnostique", ce n'est pas non plus parce qu'il est dans le canon du NT qu'il ne l'est pas... mais au fond tout cela n'a guère d'importance: les affinités entre "Jean" et "Thomas", par exemple, s'entendent tout aussi bien, sinon exactement de la même manière, qu'on les estampille "sapientiales" ou "gnostiques".
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeDim 27 Déc 2020, 22:01

L'épitre aux hébreux semble développé une dimension de "pérégrination" de la vie du croyant avec l'appel à sortir du camp ("Sortons donc hors du camp pour aller à lui" - 13,13), en faisant du croyant un étranger ici-bas ("qu'ils étaient étrangers et résidents temporaires sur la terre" - 11,13) et en transformant la "Jérusalem céleste" (12,22) en aboutissement de la pérégrination des croyants. Au terme de leur pérégrination la communauté des croyants se joignent à la "réunion" de fête et à "l'assemblée des premiers-nés". Cette célébration marque la fin de leur longue pérégrination à  travers le désert de ce monde. Les croyants sont des pèlerins, des voyageurs sur cette terre.


 



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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeDim 27 Déc 2020, 23:42

Il ne faut évidemment pas charger les mots de "pérégrination" ou de "pèlerinage" (dérivés du même peregrinus, qui signifie simplement "étranger" en latin) de tout ce qu'ils impliquent en français ordinaire (voyage vers un lieu saint, Jérusalem, Rome, La Mecque, Compostelle, Lourdes etc., généralement aller-et-retour), bien que dans l'autre sens il y ait forcément un rapport, puisque c'est la tradition "biblique" et chrétienne qui a formé ces éléments de notre langue -- il y a d'ailleurs un autre rapport entre l'hébreu hag qui désigne les "fêtes" annuelles et le ha(d)j arabo-musulman, qui s'est spécialisé pour le "pèlerinage" à La Mecque... Toutefois les termes de Hébreux 11,13 (en grec xenos et parepidèmos, en latin -- de la Vulgate -- peregrinus et hospes) désignent plutôt respectivement la qualité d'"étranger" (cf. "xénophobie") et la résidence (cf. 1 Pierre 1,1; 2,11; et l'"hospitalité" côté latin) des Patriarches dans un pays qui n'était pas le leur (pour l'épître aux Hébreux, bien sûr, la "terre" opposée au "ciel") que le départ et le voyage proprement dits, qui ont été évoqués auparavant (v. 8ss). Quant à l'aspect cultuel, on le retrouve en 12,22s (panèguris, cf. "panégyrique", un des mots de la LXX pour les "fêtes" solennelles, et ekklèsia): donc au "ciel" comme la "Jérusalem céleste" et les "anges", bien que le "ciel" lui-même soit provisoire (voir la suite). Pour rappel enfin, le chapitre 13 est apparemment un ajout composite, qui ne cadre pas toujours très bien avec le corps du livre, mais l'idée générale de la sortie ou du départ (de la ville ou du camp) peut en effet être comparée à 11,8ss.
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeLun 28 Déc 2020, 11:58

Frère John de Taizé trace avec précision cette particularité du Dieu de la tradition judéo-chrétienne : « Une chose rend ce Dieu différent des autres divinités adorées partout en ces jours-là. Toutes ces divinités étaient liées à des endroits particuliers — des montagnes, des fleuves, des villes, des régions — tandis que le Dieu qui parle à Abraham n’est lié à aucun lieu. C’est un Dieu en marche, un Dieu pèlerin » Il s’agit d’un Dieu qui, d’“hébergeur” — à savoir celui qui a créé la terre, en est son unique et vrai propriétaire et comme tel accueille en elle tout le genre humain et animal — devient “hébergé”, comme nous le montre splendidement l’épisode de la rencontre entre Abraham et les trois pèlerins aux chênes de Mamré. La figure du Dieu migrant, itinérant, hébergeur et hébergé se voit à nouveau clairement, sous des manières différentes, dans le Jésus dont nous parlent les textes néotestamentaires : il est celui qui vient parmi les siens, « plante sa tente » parmi nous , mais n’est ni reconnu ni accueilli, d’après l’Évangile de Jean dans son prologue.

Jésus est celui qui s’identifie avec l’étranger qu’il faut accueillir, selon la fameuse scène du jugement final de l’Évangile de Matthieu. Jésus, finalement, est celui qui est crucifié comme un étranger, un criminel “en dehors” des murs de la ville, et l’auteur de la Lettre aux Hébreux invite les croyants à le suivre “en dehors” du campement pour aller vers lui dans la ville future . Nous pourrions donner d’autres exemples, mais ceux-là peuvent suffire pour comprendre que le Dieu judéo-chrétien raconté par La Bible est un Dieu qui se révèle à travers le mouvement et le chemin. L’étape suivante consiste à comprendre que ce Dieu continue de se révéler de manière privilégiée dans les parcours tortueux et difficiles des migrants d’aujourd’hui, un fait que nous retrouvons dans les récits ou les “confessions” de ces personnes forcées à abandonner leur terre et qui lisent les événements qu’elles ont vécus ou sont en train de vivre depuis la perspective de la foi : « J’ai ressenti la présence de Dieu sur mon chemin » ; « Dieu ne m’a pas abandonné pendant mon voyage » ; « Dieu continuera à m’accompagner sur mon chemin ».

Le deuxième élément est anthropologique et renvoie à la manière dont l’être humain est représenté dans La Bible. Ce point a été brillamment illustré par Erri De Luca, écrivain italien et lecteur assidu de l’Écriture sacrée : « Étranger est le genre humain sur la surface de la terre : “Car la terre est à moi et vous, vous êtes les étrangers et les résidents chez moi” (Lévitique 25,23). Ce n’est pas un objectif de perfection à atteindre par le recueillement, l’acceptation d’être un être de passage, un étranger : c’est la condition de départ, notre “préalable” ». Et c’est là justement l’un des problèmes cardinaux de notre manière de penser théologiquement et d’agir chrétiennement : ne pas partir de cette base fondamentale, de la conscience que notre condition de départ est d’exister comme des êtres en mouvement, des êtres migrants. Le manque de conscience de cette condition initiale engendre des complications considérables au vivre ensemble dans ce monde et à la reconnaissance de l’humanité de ceux qui migrent, parce qu’en eux nous ne parvenons pas à entrevoir une partie importante de nous-mêmes, un reflet qui pourrait paraître insignifiant, mais qui est en effet l’une des caractéristiques les plus extraordinaires de l’aventure humaine que nous partageons avec toutes les personnes créées à l’image et à la ressemblance de Dieu. https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2012-1-page-135.htm
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeLun 28 Déc 2020, 13:02

Pour compliquer un peu le tableau, ce sont essentiellement des cultures sédentaires, construites, stratifiées, sédimentées sur les mêmes sites pendant des siècles avant de s'exporter éventuellement sous forme impériale, coloniale ou multinationale, qui rêvent de migration et de nomadisme en idéalisant ou en romantisant la figure de l'"étranger". L'immigré réel a beaucoup moins affaire à cet imaginaire compensatoire et marginal qu'à la réalité d'une politique, d'une administration, d'une économie, d'une société autochtones de part en part, qui ne peuvent penser l'accueil et le rejet que du point de vue sédentaire de l'hôte au sens de maître du logis, souverain chez lui. D'ailleurs la dépossession et la nomadisation de cet hôte ne feraient absolument pas l'affaire de l'immigré, qui compte précisément sur la sédentarité, la stabilité et la sécurité de ceux chez qui il vient chercher refuge (même problème, bien sûr, pour le riche et le pauvre indépendamment de l'habitat).

C'est le paradoxe du succès d'idéalité et d'irréalité d'une image comme celle de l'"hospitalité nomade", exemplairement d'Abraham qui accueille n'importe qui comme son dieu et son dieu comme n'importe qui: le nomade idéal et son dieu idéal n'ont besoin de personne, ils se suffisent à eux-mêmes et l'un à l'autre; mais ça ne fera jamais une économie ni une politique, surtout si l'on entend dans ces mots les notions archi-sédentaires d'oikos et de polis, la maison et la ville.
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeLun 28 Déc 2020, 14:13

"Entends ma prière, SEIGNEUR, prête l'oreille à mes appels au secours, ne te tais pas devant mes pleurs ! Car je suis un immigré chez toi, un résident temporaire, comme tous mes pères. Détourne de moi le regard et mon visage s'éclairera, avant que je m'en aille et que je ne sois plus !" (Ps 39,13-14)

 En somme, le psalmiste semble suggérer, comme le fait Job, que Dieu l’oppresse et il lui demande un répit avant de mourir. Il dénonce un Dieu qui s’acharne sur lui
et ne détourne  jamais son atteinte, l’accable de châtiment, au point qu’il en perd courage et joie. En terminant sur cette prière il laisse ouverte la question de la restauration de la relation du suppliant avec Dieu.

https://www.academia.edu/35882492/_L_exp%C3%A9rience_du_temps_%C3%A9prouv%C3%A9_et_le_registre_sapientiel_du_psaume_39_Revue_Biblique_124_2017_pp_490_506
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeLun 28 Déc 2020, 22:43

Même si l'on ne partage pas l'optimisme de l'auteur(e) quant à la possibilité de reconstituer le processus de composition et de rédaction, c'est un rappel utile, pour l'exégète comme pour n'importe quel lecteur, qu'un "contexte" peut être aussi trompeur qu'éclairant: en effet, si les éléments d'une unité textuelle présumée (un psaume p. ex.) sont hétérogènes, ils ne gagnent rien à s'"expliquer" les uns par les autres, sinon un supplément de sens qui n'aura rien d'"original", du moins au sens archéologique du terme (mais qui peut être très intéressant quand même).

En tout cas le dernier verset, dans son entente habituelle, est sans doute encore plus difficile à avaler pour une lecture "pieuse" que la vindicte de Job ou le détachement serein de Qohéleth: espérer du dieu l'indifférence et l'oubli plutôt que la persécution (lâche-moi, oublie-moi, give me a break), c'est assez fréquent chez Job (cf. 7,19; 9,18; 10,20; 14,6), mais ça ne saurait être le dernier mot pour celui qui tient à être justifié, fût-ce après sa mort, au sens strict, judiciaire ou forensique du terme, comme devant un improbable tribunal capable de condamner Dieu. En revanche, n'espérer rien d'autre qu'un répit avant la mort, ni consolation ni justification ni rédemption d'aucune sorte (sinon précisément en cela), ce serait unique à ce texte -- si toutefois nous le lisons correctement; d'un autre côté il était assez embarrassant pour ne pas susciter des "corrections" en tout genre (cf. LXX, "laisse-moi, relève-moi, donne-moi du répit"; Syriaque "sauve-moi"). En relisant le texte j'envisage bien une autre piste, mais très fragile: le hiphil du verbe š`` pourrait s'interpréter non au sens de "détourne ton regard de moi" (sens du qal en Job 14,6), mais au sens causatif: "détourne les regards / l'attention de moi", a priori les regards ou l'attention des autres, persécuteurs, procureurs ou plaignants, mais pourquoi pas aussi mes regards ou mon attention ? Désintéresse-moi de mon propre sort ? Ce serait sans doute faire peser beaucoup sur un seul mot, mais ça reste un sens possible parmi beaucoup d'autres, et peut-être pas le moins profond si ce n'est pas le plus probable.

Cela rejoindrait en tout état de cause la question de la référence de l'étrangeté dont nous parlons depuis le début: on peut être étranger dans un pays, sur la terre, dans le monde, mais aussi par rapport à "Dieu", à un dieu comme maître du pays, de la terre, du monde ou de l'histoire, ou autrement encore à un dieu tout autre, lui-même étranger ou inconnu. (Pour ne rien arranger, ce qu'on traduit de façon parfaitement légitime par "je suis un étranger chez toi" au v. 13 pourrait aussi se traduire "je suis un étranger avec toi".) Ne pourrait-on pas être étranger à soi-même ?
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MessageSujet: Re: Être un étranger sur la terre - Psaume 119   Être un étranger sur la terre - Psaume 119 Icon_minitimeMar 29 Déc 2020, 12:11

La démarche éthique dans le parcours ethnologique que nous venons d’évoquer nous reconduit à la question de l’ouverture : à l’exigence de se rendre à une étrangéité qui exprime à la fois la diversité irréductible par rapport à « l’autre que moi », et par rapport « à l’autre moi ». L’expérience d’être étrangers à soi-même et de pouvoir distinguer entre conscience et action (le fait de ne pas comprendre comment, parfois, on arrive à agir d’une manière blâmable ou au contraire d’une façon héroïque) est le premier pas pour la compréhension de l’étranger (voir Sundermeier 1999, 155), car l’étrangéité, tout d’abord culturelle, est comprise de manière relationnelle : elle est toujours mesurée à sa propre culture et à la familiarité par rapport à ses propres repères. Autrement dit, une chose n’est jamais étrangère en soi mais par rapport à ses propres références. Voilà pourquoi l’étranger crée en nous une forte insécurité et il se sent lui-même très précaire.



Si nous avons ébauché cette analyse philosophique et biblique des fondements d’une responsabilité éthique, c’est parce qu’il y a, là aussi, un accès possible à la question des fondements théologiques de l’acte hospitalier. Peut-on construire une éthique chrétienne à partir des notions de reconnaissance, de respect inconditionnel et de responsabilité envers l’autre ? Peut-on condenser le sens de la morale chrétienne dans le précepte selon lequel il faut toujours faire de la place à l’autre ? Oui, dans la mesure où l’on comprend que faire de la place à l’autre commence par un acte de courage qui consiste à se « désinstaller » par rapport aux certitudes inébranlables et à ses positions acquises socialement, culturellement et même spirituellement. Si nous n’avons pas été étrangers ailleurs, il faut découvrir « notre Égypte à nous », à savoir, notre « étrangéité symbolique ». C’est là qui se dessine le profil de l’autre et l’exigence de se positionner par rapport à lui, tout en lui accordant cette dignité humaine au coeur de laquelle opère la présence gratuite de Dieu. Cette présence divine est à l’origine de la « sacralité de l’autre ».


Cette référence biblique nous fait penser que, dans la théologie chrétienne, il y a une sacralité de l’hôte qui devient « sacramentalité » de celui-ci : l’autre aimé est signe (sacrement) de la présence de Dieu parmi nous et son accueil est un véritable acte d’« adoration du Dieu incarné ». Il s’agit d’une clef de lecture incontournable de la parabole du Jugement Dernier en Mt 25, où la grande nouveauté qui fonde l’hospitalité, dont on parle dans le Nouveau Testament, est la solidarité radicale de Dieu en Christ par son identification déclarée avec les plus petits et besogneux : « j’étais un étranger et vous m’avez accueilli […] j’étais un étranger et vous ne m’avez pas accueilli […] » (Mt 25, 35. 43). L’identification du Christ avec les plus petits et besogneux nous permet de comprendre le caractère « non saisissable » de l’autre, de l’étranger qu’on accueille, car la véritable hospitalité ne pourra jamais faire de l’« hôte » un « otage ». Le Christ non seulement a habité l’étrangéité radicale, mais il a payé de sa vie la non-reconnaissance de cette altérité radicale. Il y a ici un véritable paradoxe : pour les juifs, le Christ n’est pas un étranger car ils sont persuadés de bien connaître son origine ; voilà cependant pourquoi ils seront empêchés de reconnaître en Lui le Messie. Paradoxalement, on pourrait dire que le Seigneur est rejeté par le monde juif car son origine est trop connue : « […] lui, nous savons d’où il est, tandis que le Christ, à sa venue, personne ne saura d’où il est ! » (Jn 7,27). Évidemment, le Seigneur n’est pas un étranger pour des raisons tout simplement biographiques ou ethniques mais son étrangeté est inhérente à sa nature même : Il est celui qui vient du ciel. Mais par son identification aux plus pauvres de la terre, Il convertit cette altérité en « proximité indicible » et toute l’Histoire du Salut devient le récit de ce rapprochement mystérieux. Cet amour divin n’est pas seulement un acte radicalement libre mais il constitue la créature comme totalement libre : libre d’aimer à la mesure de Dieu. Il s’agit donc non d’une liberté pour la liberté mais d’une liberté pour la responsabilité comme réponse à l’Amour qui aime et qui demande d’être aimé à son tour. Or, cette réponse d’amour est une recherche de traces de la présence de l’aimant, la recherche d’un visage. La réflexion théologique croise ici à nouveau la pensée lévinassienne qui a consacré de nombreuses pages à la quête des traces d’une présence sur le Visage de l’autre. Selon Lévinas, le visage d’autrui devient un appel inéluctable à la reconnaissance d’une diversité irréductible à moi. Dans son épiphanie, ce Visage m’interpelle, suscite la liberté du moi et la responsabilise. Toujours d’après le philosophe juif, l’Épiphanie du Visage n’est jamais pure « vision » mais une « visitation » qui échappe à toute appropriation. La seule manière de s’approprier le visage d’autrui consisterait, paradoxalement, à le supprimer. Il faudra alors considérer le mode d’une rencontre sans appropriation de l’autre. Emmanuel Lévinas reste néanmoins convaincu que si autrui met en question la quiétude du moi en le révélant vulnérable, le sujet reste pourtant brûlé par un désir qui le dépasse et l’oriente vers le service d’Autre. https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2017-v25-n2-theologi04371/1056936ar/
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