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| (re)prendre ou recevoir | |
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Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: (re)prendre ou recevoir Sam 20 Fév 2021, 16:50 | |
| "Voilà pourquoi le Père m'aime: parce que je (dé-)pose mon âme / ma vie (psukhè) pour la reprendre / recevoir à nouveau; personne ne me l'enlève, c'est moi qui la (dé-)pose de moi-même: j'ai le pouvoir (le droit, l'autorité, exousia) de la (dé-)poser et j'ai le pouvoir (idem) de la reprendre / recevoir à nouveau; ce commandement, je l'ai reçu (pris, repris ?) de mon Père." (Jean 10,17s).
Nous avons souvent évoqué ce fameux passage et ses "répliques" johanniques (cf. p. ex. ici): la plus connue, la plus pittoresque sinon la plus explicite (encore un cas où la traduction ne peut guère se passer de commentaire, ou du moins d'annotation), c'est la scène du chapitre 13 où Jésus (dé-)pose son vêtement avant de le reprendre, avec les mêmes verbes en grec, le temps de laver les pieds des disciples. Mais nous avons moins parlé du deuxième verbe ou du deuxième temps de ce mouvement, qui ne pose aucun problème en grec mais en pose bien un à la traduction: lambanô, verbe archi-courant, c'est indiffémment "prendre" et "recevoir" (et accepter, accueillir, etc.); très différemment "prendre" ou "recevoir", dirait-on plutôt en français, car pour nous "prendre" et "recevoir" ce n'est pas du tout la même chose, c'est même opposable: du côté de la "réception", le registre du don, de la grâce et de la gratitude, à la limite pure passivité: on reçoit un cadeau comme on reçoit un coup ou un blâme; du côté de la "prise" ou de la "préhension", l'acte, la décision, la volonté, la liberté ou l'arbitraire, voire le soupçon de vol, d'extorsion ou d'appropriation illégitime. Du code pénal aux règles de la politesse, "recevoir" et "prendre" ce n'est pas du tout pareil, et c'est souvent le contraire. Les choses se compliquent encore dans le cas de l'"âme" ou de la "vie", où le "don" éventuel se confond avec le donataire ou le récepteur: "mon âme", surtout dans la tradition de la npš hébraïque, c'est aussi une façon de dire "moi"; quand on "donne la vie", celui ou celle qui la "reçoit" ne préexiste pas au "don", ni pour le recevoir ni pour le prendre, ni pour l'accepter ni pour le refuser; le "don" est aussi bien l'acte de violence absolu qui d'un même geste fait exister son "bénéficiaire" ou sa "victime" et lui impose le "don".
Sans doute le problème ne se pose-t-il pas en grec: le Christ ou le Fils, d'un seul geste et d'un seul verbe, reprend et reçoit ce qu'il a (dé-)posé; mais notre langue nous oblige à penser plus avant ce prendre-recevoir, cette assomption -- dirait-on d'après le latin (la Vulgate emploie sumo) -- qui n'est jamais bien loin de la présomption, et de la culpabilité comme de l'innocence.
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On retrouve bien sûr dans ce détail des traits constants de la "christologie" johannique que nous avons amplement décrits, une christologie mobile ou dynamique qui affole les définitions fixes, ou statiques, de la dogmatique habituelle, qu'elle soit d'ailleurs "orthodoxe" ou non: le Christ est tout (le chemin, la vérité, la vie, dieu et plus que dieu si "en lui" sont à la fois le Père, les élus et le monde, la totalité du "plérôme") -- et il n'est rien, rien de consistant ni d'autonome (il ne fait ni ne dit rien de lui-même, etc.); à vouloir le définir comme une id-entité particulière, quelqu'un ou quelque chose, quelque part entre "tout" et "rien", on lui attribue toujours trop et pas assez; il n'a de sens que celui du mouvement qui vient d'en-deçà de "lui" et va au-delà, vers les élus et l'horizon du "monde", même si tout est "en lui". Dans le cas qui nous intéresse (?), il a aussi bien le "pouvoir" (exousia) absolu de dé-poser et de re-prendre, que la dépendance absolue de celui qui ne peut que "recevoir" (cf. le "commandement").
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Prendre et recevoir évoquent, comme tant de mots et de formules, la main ou les mains, dans diverses positions ou actions à la fois incompatibles et complémentaires (les unes ou les autres dans l'instant, les unes et les autres successivement): mains tendues, mains ouvertes pour recevoir, mains qui se ferment pour prendre, tenir, serrer ce qu'on reçoit. Il faut prendre ce qu'on reçoit (le mot du don est d'ailleurs souvent: "tiens", cf. "prenez -- ou tenez -- mangez, c'est mon corps"), sans oublier qu'en un autre sens on reçoit toujours ce qu'on prend; et tout ne se prend pas ni ne se reçoit de la même manière (cf. le dicton du fontainier chez Giono: "la vie c'est comme l'eau, si tu mollis le creux de ta main tu la gardes, si tu serres le poing tu la perds"). Cela se pense en deux mots, voire en deux temps en français, là où le grec le dit plus simplement. |
| | | free
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Dim 21 Fév 2021, 11:07 | |
| "Si le Père m'aime, c'est parce que, moi, je me défais de ma vie pour la reprendre. Personne ne me l'enlève, mais c'est moi qui m'en défais, de moi-même ; j'ai le pouvoir de m'en défaire et j'ai le pouvoir de la reprendre ; tel est le commandement que j'ai reçu de mon Père (NBS). "Le Père m’aime parce que je donne ma vie, pour ensuite la recevoir à nouveau. Personne ne me l’enlève, mais je la donne de moi-même ; j’ai le pouvoir de la donner et j’ai le pouvoir de la recevoir à nouveau : tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père. » (TOB) Je pense que le choix de la TOB, s'accorde mal avec le v 18 (" prendre" et "recevoir" ce n'est pas du tout la même chose") ; "la recevoir" fait du Fils un personnage passif, alors que le v 18 souligne le "pouvoir" et l'aspect "actif" du Fils (" je la donne de moi-même"). L'expression "j’ai le pouvoir de la recevoir à nouveau" (TOB - TMN) me semble comporter deux termes antinomiques : 1) pouvoir qui souligne l'initiative et la capacité et 2) recevoir qui exprime la passivité. Je trouve que la BNS est plus cohérente en préférant : "j'ai le pouvoir de la reprendre", l'association des termes "pouvoir" et "reprendre" me semblent en adéquation, le Fils est le maître d'œuvre, il est celui qui a l'autorité et le pouvoir-faire. - Citation :
- On retrouve bien sûr dans ce détail des traits constants de la "christologie" johannique que nous avons amplement décrits, une christologie mobile ou dynamique qui affole les définitions fixes, ou statiques, de la dogmatique habituelle, qu'elle soit d'ailleurs "orthodoxe" ou non: le Christ est tout (le chemin, la vérité, la vie, dieu et plus que dieu si "en lui" sont à la fois le Père, les élus et le monde, la totalité du "plérôme") -- et il n'est rien, rien de consistant ni d'autonome (il ne fait ni ne dit rien de lui-même, etc.); à vouloir le définir comme une id-entité particulière, quelqu'un ou quelque chose, quelque part entre "tout" et "rien", on lui attribue toujours trop et pas assez, il n'a de sens que celui du mouvement qui vient d'en-deçà de "lui" et va au-delà, vers les élus et l'horizon du "monde", même si tout est "en lui". Dans le cas qui nous intéresse (?), il a aussi bien le "pouvoir" (exousia) absolu de dé-poser et de re-prendre, que la dépendance absolue de celui qui ne peut que "recevoir" (cf. le "commandement").
Le Père a donné au Fils une œuvre à accomplir. Pour cela, il lui a donné tout pouvoir. Cette œuvre a pour point de départ la glorification du Père et du Fils; ils sont comme le miroir l’un de l’autre, ils se reflètent l’un l’autre. Ce que révèle plus particulièrement Jean 17, c’est que cette glorification – qui a son point de départ dans la relation éternelle du Père et du Fils – se reflète elle-même dans la relation du Dieu Père et Fils avec ceux qui sont donnés. Cette relation est de toute éternité, elle est avant que le monde fut (v. 5). Les théologiens l’ont appelée la Trinité ad intra, c’est-à-dire le mystère intérieur de la vie trinitaire pour elle-même. Mais il y a aussi l’œuvre de la Trinité ad extra, c’est-à-dire sa relation avec la création. Il est question de celle-ci en Jean 17 et, plus particulièrement, d’une partie de l’humanité qui est appelée ici « ceux que tu m’as donnés ». On a là une définition de l’Eglise; c’est le cadeau que le Père fait au Fils et dont celui-ci va se sentir responsable jusqu’à donner sa vie. L’emploi du verbe « donner » apporte une précision à la notion d’élection: elle ne valorise en rien celui ou ceux qui en sont l’objet, l’Eglise n’est rien en elle-même, elle n’est même pas nommée en Jean 17. Ce qui est central, c’est la relation du Père et du Fils. Cette humanité anonyme n’a d’existence que parce que le Père l’a donnée au Fils et que le Fils donne à ces anonymes la parole que le Père a donnée au Fils et qu’ils ont gardée. Notre salut, c’est d’avoir été donnés au Fils par le Père. La Trinité est la source de notre salut. Ce qui est donné n’est pas du superflu ou un quelconque sous-produit. Le don qui fait vivre l’homme est la substance même de Dieu. Les croyants ne peuvent vivre que de ce que vivent le Père et le Fils en eux-mêmes. Qu’ils soient un comme nous sommes un (v. 21). Jésus leur donne la gloire qu’il a reçue de son Père (v. 22). L’emploi du verbe « donner » est en liaison avec d’autres verbes comme « envoyer », « glorifier » (qui implique une réciprocité) ou « garder ». Le don et la Trinité « Donner » implique celui qui donne, celui à qui on donne et ce que l’on donne (en grammaire, le sujet, le destinataire, l’objet). Il est remarquable que, dans Jean, il y ait interchangeabilité des rôles. Ainsi celui à qui sont donnés les croyants, le Fils (17:6), est aussi celui qui donne la parole donnée par le Père (17: , lui qui est le Fils donné (3:16). Quand on compare 3:16 à 17:6, on voit qu’il y a inversion entre le Fils et les croyants qui sont soit ceux que le Père donne, soit ceux à qui le Père donne. C’est le Père qui donne. Il est l’origine du don. Il est cause, aitia, de la Trinité, disaient les anciens théologiens. Le Père devient destinataire du don quand il est question de gloire: « afin que le Fils te glorifie » (17:1). Ce qui implique que le Père n’est pas une entité en soi qui pourrait vivre sans les autres personnes trinitaires. Le Père a besoin du Fils pour être le Père. https://larevuereformee.net/articlerr/n218/la-theologie-de-%C2%ABdonner%C2%BB-dans-l%E2%80%99evangile-de-jean
Dernière édition par free le Dim 21 Fév 2021, 12:22, édité 1 fois |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Dim 21 Fév 2021, 11:54 | |
| (J'ai rajouté un petit paragraphe à la fin de mon post précédent.)
Si ta deuxième citation (indiquée NBS comme la première) est de la TOB, je suis d'accord avec ton analyse -- tout en rappelant que le problème "logique" ne se pose que du côté de la langue d'arrivée (langue cible), le français en l'occurrence, non du côté de la langue de départ (ou langue source), le grec: pour un francophone hellénisant il faut penser les deux à la fois, prendre et recevoir, alors que pour un hellénophone monolingue qui lit lambanô il n'y a pas l'ombre d'une ambiguïté: aucune nécessité de distinguer deux "sens", ni pour choisir entre eux ni pour les conjoindre l'un à l'autre.
Le plus contestable toutefois dans la TOB (le cas échéant), c'est le verbe "donner" là où il s'agit de (dé-)poser (tithèmi et non didômi): surtout dans ce contexte (cf. l'usage de la même expression au v. 11) où il s'agit plutôt, pour le berger (cf. David en 1 Samuel 17), de "risquer" sa "vie" ou son "âme", de la mettre en jeu (ce qui peut rappeler une locution hébraïque, "mettre sa npš dans son kp, sa paume ou sa main", pour "risquer sa vie", p. ex. 1 Samuel 19,5 où la Septante utilise aussi tithèmi; mais il y a plusieurs expressions similaires en hébreu et en grec, p. ex. "lancer ou jeter sa npš", Juges 9,17). En tout cas il n'est pas question ici de "donner" sa vie à qui que ce soit (sans quoi, dans une "logique française" du moins, on ne pourrait pas la "reprendre").
Dernière édition par Narkissos le Dim 21 Fév 2021, 12:28, édité 1 fois |
| | | free
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Dim 21 Fév 2021, 12:26 | |
| - Citation :
- Si ta deuxième citation (indiquée NBS comme la première) est de la TOB, je suis d'accord avec ton analyse
J'ai modifié mon erreur, il fallait lire TOB et non NBS. exousian (pouvoir) Quel est exactement le sens de exousia? Encore une fois, nous avons l’impression d’être devant l’image de quelqu’un qui contrôle tout. Le mot lui-même signifie : permission, droit, autorité, pouvoir. Quand on regarde de près l’utilisation de ce mot chez l’évangéliste, on peut regrouper les textes en deux catégories : •Quand il a le sens de capacité : selon le narrateur, le Verbe donne à ceux qui l’ont accueilli la capacité d’être enfant de Dieu (1, 12) ; selon Jésus, le Père a donné au Fils de l’homme la capacité d’exercer le jugement (5, 27) et il lui a donné la capacité de donner la vie éternelle au croyant (17, 2) •Quand il a le sens d’autorité : Pilate se vante d’avoir l’autorité de relâcher ou de crucifier Jésus (19, 10), auquel Jésus réplique que cette autorité vient de Dieu (19, 11) Ainsi, quand il s’agit de Jésus, il s’agit toujours de capacité, et jamais de pouvoir légal ou politique. Aussi, faut-il interpréter la phrase de Jésus comme sa capacité de donner librement sa vie et de la retrouver par la suite. Mais cela nous laisse tout de même avec la question : en quel sens Jésus a-t-il la capacité de retrouver la vie. C’est ici que vient la tentation pour certains de dire : comme il est Fils de Dieu, il peut se redonner la vie. Ce serait passer totalement à côté de ce que l’évangéliste est en train de dire. En accord avec l’ensemble du Nouveau Testament, Jésus meurt vraiment et c’est Dieu qui le ressuscite pour Jean. Mais, la vie de Jésus est tellement en accord avec la parole et l’amour reçu du Père, la communion est tellement totale, que la vie même de Dieu ne le quitte jamais, et c’est elle qu’il retrouve par delà la mort, et donc, en quelque sorte, qu’il « reprend ». http://www.mystereetvie.com/AnaJn101118.html Je ne vois pas la différence entre "capacité" et "pouvoir légal", la question n'est pas de savoir si ce pouvoir est "légal" mais si ce pouvoir ("capacité") existe chez le Fils, ce pouvoir de donner et de reprendre sa vie. L'auteur de ce commentaire ne réalise pas qu'il se contredit, si "la vie même de Dieu ne le quitte jamais", c'est que le Fils partage la même divinité que le Père et qu'il a aussi le pouvoir comme le Père de "faire vivre qui il veut" (Jean 5,21), même lui-même (Même mort il ,e cesse pas d'être Dieu ). |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Dim 21 Fév 2021, 12:57 | |
| En tout cas on a là une analyse suivie du passage, que sans avoir tout lu je présume de bonne qualité générale (nous avons déjà vu ce site il n'y a pas très longtemps, les textes m'avaient heureusement surpris par rapport au fond d'écran "cosmique"). [P.S.: dans ce cas précis je suis tout de même un peu déçu, en y regardant de plus près, car l'auteur évite ce qui est à mes yeux la principale originalité (du moins linguistique) du passage, tithèmi avec pour objet direct psukhè, soit "poser, déposer, exposer" son âme, sa vie ou soi-même -- au sens de "risquer sa vie" au degré zéro de la lecture du v. 11, s'agissant du berger, dans un sens plus complexe par la suite, avec l'analogie du vêtement déposé et repris au chap. 13.]
Il ne faut pas perdre de vue que, pour exousia comme pour lambanô, la distinction des "sens" (polysémie) ne s'opère qu'à partir d'une autre langue (le français, l'allemand ou l'anglais selon les lexiques), et que du point de vue, d'entente ou d'écoute de la langue source (le grec) elle est le plus souvent factice. Entre "pouvoir", "droit", "autorité", "capacité", "permission", etc., comme entre "recevoir" et "reprendre", c'est nous qui distinguons et devons choisir (tout au moins pour traduire), tandis que le Grec, ou l'hellénophone monolingue, entend, dit et pense à chaque fois une seule "chose" avec un seul mot. A cet égard du moins toute exclusion (p. ex. d'un pouvoir "légal" ou "politique") est en effet arbitraire, et elle conduit, comme tu le soulignes, à une contradiction (mais c'est toujours nous qui nous contredisons, en français en l'occurrence, non le texte grec dans ce cas). Du point de vue plus large (plus étroit en un autre sens) de la théo-christologie johannique où tout est un, le commencement, la fin et le processus même (le Père, le Fils, le Paraclet-Esprit, les "élus" et même, à l'horizon ultime, le "monde" provisoirement hostile, cf. chap. 17), il n'y a d'ailleurs aucune contradiction à dire que le Père ressuscite le Fils et que le Fils se ressuscite lui-même (cf. 2,17s, "je le relèverai", chap. 6, "avoir la vie en lui-même", ce qui est néanmoins "donné" et vaut aussi bien pour les "élus", etc.), pas plus qu'entre "reprendre" et "recevoir" sa psukhè, sa "vie", son "âme" ou son "être" même.
L'intérêt majeur de la question étant pour moi, en-deçà ou au-delà de toute "théologie" au sens classique, mais englobant aussi bien celle-ci: "vivre", "être", "être-soi", comme (dé-)poser (se défaire, se dépouiller, abandonner, lâcher, risquer, exposer, e[x]crire, etc.) et re-cevoir ou re-prendre (retrouver, réinventer, ressaisir, relire, réinterpréter). Soit le rythme syncopé d'une marche, d'une respiration ou d'un battement de coeur. |
| | | free
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Lun 22 Fév 2021, 12:50 | |
| - Citation :
- P.S.: dans ce cas précis je suis tout de même un peu déçu, en y regardant de plus près, car l'auteur évite ce qui est à mes yeux la principale originalité (du moins linguistique) du passage, tithèmi avec pour objet direct psukhè, soit "poser, déposer, exposer" son âme, sa vie ou soi-même -- au sens de "risquer sa vie" au degré zéro de la lecture du v. 11, s'agissant du berger, dans un sens plus complexe par la suite, avec l'analogie du vêtement déposé et repris au chap. 13.]
Le Fils "a exposé sa vie" pour ses brebis, le sacrifice n'était pas le but, ni une fin en soit. Du reste, D'ailleurs le plus grand amour pour ceux qu'on consiste souvent à rester en vie, pour continuer à aider et à aimer : "Le bon berger se défait de sa vie pour ses moutons" (10,11). Le berger ne donne pas sa vie, acr il ne serait d'aucun secours pour ses brebis mais par amour, il est prêt à ,prendre des risque et au pitre à y laisser sa vie.Un extrait :Judas trahi par la traduction : traduction, trahison et mort volontaire des Évangiles à Sylvia Plath L’hésitation du théologien est ensuite lourde de sens, car il signale l’emploi antérieur du mot chez Jean : il s’agit alors de « livrer Jésus ». Et d’ajouter : « Ses emplois antérieurs n’éclairent donc pas le sens de notre passage, à moins d’entendre que, en consentant à la mort, Jésus se livre lui-même » (souligné par l’auteur). Moins prudent dans son commentaire de ce même passage, Simon Légasse commence par évoquer un « trépas paisible », puis renvoie à Luc (23, 46), dont il donne cette interprétation : « Jésus ne meurt pas passivement ; sa mort [est] un acte volontaire » (Légasse, 199, p. 426). La confusion s’épaissit quand Xavier Léon-Dufour renvoie à Jean (10, 18). Il s’agit une fois de plus de souligner que Jésus est mort de son plein gré. Loin d’avoir subi sa mort, Jésus l’a choisie : « Personne ne me l’enlève [ma vie], mais moi je la dépose de moi-même. J’ai le pouvoir de la déposer et de la reprendre. » Même si c’est pour que s’accomplissent les Écritures (26, 52-54). En l’occurrence, Jean emploie le verbe tithémi, qui signifie « donner sa vie ». Commentant ce passage, Léon-Dufour assène, avec autorité : « En grec, l’expression tithémi tèn psuchèn ne signifie jamais “donner sa vie” au sens de “se livrer à la mort” » (Dufour, 1990, p. 369), aussitôt suivi de cette précision pieusement herméneutique : « En ce cas – pour dire : se livrer à la mort –, le grec utilise d’autres verbes », dont didomi ! Si l’on a bien saisi la logique du scoliaste, il s’agissait d’abord de chasser toute connotation douteuse de l’expression en montrant bien que le don n’était pas un mouvement vers la mort. Mais quand le mouvement vers la mort est explicitement signifié par l’emploi du mot le plus éloquent que Jean pouvait trouver, et que l’on vient de rejeter, on le dit « peu éclairant ». Comme si l’auteur avait craint de conclure au suicide en associant tout simplement le don à la mort que l’on se donne en se livrant à la mort. Du coup, on en arrive à cette absurdité, que le même « moi » qui est le « sujet de l’action » ne se livre pas à la mort en Jn 10, 18 pour s’y livrer en 19, 30. https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2008-4-page-973.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Lun 22 Fév 2021, 22:38 | |
| Article très riche -- Judas est décidément inépuisable -- malgré quelques inexactitudes "bibliques": en Luc 23,46 c'est para-tithèmi + pneuma, qu'on peut en effet rapprocher de Jean 19,30, para-didômi + pneuma, mais c'est para-didômi qui est en mauvaise part le verbe de la "livraison" ou de la "trahison" (à partir de didômi = donner; on dit aussi "donner" quelqu'un en argot), et en bonne part celui de la "tradition" (para-dôsis, soit la transmission d'une doctrine ou d'une pratique d'une génération à l'autre); l'expression de Jean 10 (etc.), selon la leçon habituellement retenue (on trouve aussi didômi dans certains manuscrits), est différente: tithèmi + psukhè, ce n'est justement pas "donner" (didômi), la différence majeure étant qu'elle n'implique pas, du moins aux v. 17s, de "bénéficiaire" (mais elle peut en avoir, pas plus loin qu'aux v. 11 et 15, avec huper = "pour") -- par contre la dimension "suicidaire" de la chose me paraît dans tous les cas incontournable, quoiqu'elle n'en soit qu'un aspect: si la traduction "risquer sa vie" convient bien à la figure du "berger" au degré zéro de l'illustration, elle ne convient plus du tout au Christ johannique qui est sûr de mourir comme de ressusciter, quoi qu'on entende exactement par là; dans son cas, "(dé-)poser" sa "vie" ou son "âme" (on pourrait dire aussi en disposer, si ce verbe n'appelait pas en français une construction indirecte) c'est plus que la "risquer", parce qu'il n'y a aucun doute sur l'issue; mais c'est aussi beaucoup moins parce que la suite (la re-prendre/recevoir) est également assurée. |
| | | free
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Jeu 25 Fév 2021, 11:58 | |
| 2. Moi, je donne ma vie Egô tèn psychèn tithèmi
Les versets qui retiennent maintenant notre attention sont les versets 11.15 17 et 18. Jésus y entreprend une exégèse du verset 10. Il donne l'interprétation de sa révélation précédente « je suis venu pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance ». Ce faisant, il annonce déjà, en prolepse, le comment de ce don de la vie {zôè) : donner la vie {zôè) cela se traduit ou se traduira par donner sa vie (psyché), donc par la passion.
Comme d'autres premières communautés chrétiennes, les croyants johanniques ont médité la mort de Jésus et reconnu la venue du salut dans la vie ainsi livrée. Le non-souci du mercenaire (v. 13) pour les brebis est opposé à la polarisation du berger pour son troupeau, en faveur de son troupeau. La préposition hyper (28) que l'on peut traduire par « pour/en faveur de » se retrouve ici deux fois : au verset 11 et au verset 15. Elle entre dans la composition de plusieurs formules chrétiennes, sans doute anciennes ; elles proclament la portée « salvifique » de la mort du Christ : « dans sa vie et dans sa mort {Jésus est) l'homme pour les autres. Cet être-pour-les-autres constitue son essence la plus profonde, car c 'est en cela qu 'il est l 'amour de Dieu devenu personne pour les hommes » (29).
Jean accorde une certaine importance à cette préposition. Mis à part le verset sur le pain de vie en 6, 51 («je donne ma chair pour la vie du monde »), elle commence surtout à se développer à partir de nos deux versets au chapitre 10, avec la thématique de la passion. Elle signifie « donner sa vie, mourir pour quelqu'un ». L'expression précise tèn psychèn [mou] hyper tinos (30) dit à la fois le fait de risquer sa vie et de l'offrir.
Dans le quatrième évangile trois passages contiennent à la fois le verbe tithèmi et le fait de donner sa psyché : 10, 11.15 ; 13, 37.38; 15, 13. Ils sont liés dans la perspective narratologique de Jean et font ressortir la place importante du chapitre 10 dans la narration évangélique. Ils expriment aussi le lien avec les chapitres 13-15 où Jésus nomme agapè son geste de sa vie donnée, déposée. Nous retrouvons d'une certaine façon la définition même de Dieu (« qui est amour », comme dit l'épître) et qui, parce qu'il est amour, donne la vie. Nous y trouvons aussi la logique de l' incarnation liée au salut, selon Jean (31). Dans le quatrième évangile, comme dans l'épître le commandement de l'amour s'inscrit dans l'œuvre de vie accomplie par le Fils. Il en a reçu le commandement (32) du Père. C'est la conclusion même de la section sur le don de la vie (zôè et « donner sa psyché») en 10, 18. https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1999_num_73_4_3504
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| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Jeu 25 Fév 2021, 12:44 | |
| Il y aurait beaucoup à dire sur cet article -- à commencer par le fait que la "vie" décrite comme "divine" et "éternelle" est aussi la plus "animale" (zôè, d'où zoologie). Mais pour en rester à notre sujet-texte-expression(psukhèn tithèmi / lambanô en Jean 10), l'"éclairage" de ses reprises (partielles) dans la seconde grande partie de l'évangile (chap. 13ss, notons-la Jean II) comme dans la Première épître (contrairement à ce que suggère M. Morgen, la proximité est bien plus grande entre Jean II et 1 Jean, avec notamment la thématique de l'"amour", qu'entre Jean I et Jean II) est aussi trompeur. En Jean 10 (Jean I) l'"amour" ne joue aucun rôle entre le berger et les moutons-brebis, il n'apparaît qu'entre le Père et le Fils (v. 17a); c'est seulement à partir du chapitre 13 (Jean II) que l'expression psukhèn tithèmi va être associée à l'agapè (et que celle-ci va devenir "commandement"), comme dans la Première épître; que la "pose de l'âme", psukhèn tithèmi, va logiquement se confondre avec le "don de la vie", zoèn didômi, impliquant des "bénéficiaires" (donner la/sa vie à qqn), alors que la relation aux bénéficiaires de psukhèn tithèmi est indirecte (via la préposition huper) et facultative (v. 11 et 15, non 17s); et que logiquement aussi il ne sera plus question de la "reprendre", ni de la "recevoir à nouveau". Pour le résumer d'un jeu de mots, en 10,17s il s'agit plus d'abandonner son âme-vie (pour la [re]prendre-recevoir à nouveau) que de la donner (à quelqu'un d'autre) -- encore que "dé-poser" ne soit pas exactement "abandonner".
En-deçà et au-delà de tout énoncé théo-christologique, comme de toute particularité religieuse ou confessionnelle, il y a là l'exposition d'un motif rythmique, dont nous sommes habitués à valoriser un seul mo(uve)ment, celui de l'abandon, de la perte ou du don, de la dépossession ou du "lâcher-prise" (également mis en valeur par le bouddhisme et d'autres religions orientales), au risque d'ignorer l'autre mo(uve)ment qui lui est tout aussi nécessaire: celui de la re-prise ou de la ré-ception de cela même qu'on a lâché -- non pour le garder désormais, mais aussi bien pour pouvoir le lâcher à nouveau... |
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Jeu 25 Fév 2021, 16:33 | |
| Or il se trouve que le Christ, pris dans sa « figure comme homme » (Ph 2, 7), se montre lui aussi en tant qu’il se donne. Et, une fois ressuscité, il se manifeste donc en toute phénoménalité (ephanerōthē, Mc 16, 12.14, etc.) « au milieu » (Jn 20, 19) des hommes. Et l’on a justement remarqué qu’il se montre alors à partir de lui-même et surgit dans le visible à sa propre initiative, comme l’indique l’aoriste passif (ōphthē) : il se rendit visible, se fit voir7. Plus encore, cette visibilité vient d’au-delà de la mort, puisque sa vie, il l’a donnée et donc reçue absolument parce que librement : Citation :•8 Voir aussi Jn 5, 26. C’est dans ce cadre qu’il faut entendre : « Celui qui perd sa vie (son âme, ps (...) C’est pour cela que le Père m’aime, parce que c’est moi qui dépose (tithēmi) ma vie en sorte de la prendre à nouveau. Nul ne me la prend, mais c’est moi qui la dépose (tithēmi) de moi-même. Moi, j’ai la puissance de la poser (theinai) et de la prendre à nouveau (Jn 10, 17-18 .Le Christ, en tant que ressuscité, en tant donc que phénomène par excellence parce qu’hors du commun, se montre exceptionnellement dans l’exacte mesure où il se donne exceptionnellement. Dans le phénomène central du dé-couvrement biblique, s’accomplissent ainsi les deux caractères du phénomène en sa définition proprement phénoménologique (et non métaphysique), comme événement et non plus comme objet. https://journals.openedition.org/rsr/4033 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Ven 26 Fév 2021, 00:03 | |
| Il doit bien y avoir une trentaine d'années que je n'avais pas lu du Marion... je me suis toujours senti assez proche de ses préoccupations (à l'époque il me semblait surtout tenter de christianiser Levinas, maintenant il paraît s'être rapproché de Kierkegaard et de Barth -- malgré leur différence considérable c'étaient mes références principales en ce temps-là; on retrouvera encore une problématique similaire ici), j'ai apprécié son sens de la formule ( Dieu sans l'être, Etant donné...), mais au-delà je l'ai toujours trouvé un peu décevant... Quant à l'exégèse biblique (qui n'est certes pas son rayon), ça laisse encore plus à désirer: ici en tout cas il mélange tout (rien que dans ton extrait: paulinisme, johannisme, pseudo-Marc, comme si tout cela devait dire la même chose). Plus généralement, il me semble qu'une théologie peut être "traduite" en philosophie dans une certaine mesure, et inversement, mais que l'articulation d'une philosophie à une théologie, bien que ce soit a priori la façon la plus naturelle, et historiquement la plus "classique", d'envisager leur rapport, n'est jamais satisfaisante: elle fait plutôt ressortir leur redondance et entrave le développement de l'une comme de l'autre. En l'espèce, ramener un théologème comme "Dieu", "le Christ" ou "la révélation" à une catégorie philosophique générale comme celle de "phénomène saturé", si intéressante qu'elle soit, pour faire ensuite du "cas particulier" le "cas par excellence", par un renversement qui est aussi la plus vieille ficelle de "la métaphysique" qu'on entend dépasser, c'est une acrobatie qui ne me convainc guère. Si la question de la "révélation" (ou du "phénomène", autrement dit de l'"ap-parition", toujours dans le registre de la métonymie visuelle, optique, photo-logique) est bien au coeur du quatrième évangile (c'est elle qui domine la conclusion de la première partie, chap. 12: pour être vu de tous le Christ doit disparaître, être élevé de la terre), elle me semble peu apparente (!) en 10,17s. Ce qui s'en rapprocherait le plus dans le contexte relèverait plutôt de l'acoustique (les brebis entendent la voix du berger qui les appelle par leur nom et elles la/le re-connaissent, parce qu'elles la connaissent sans le savoir). Quitte à forcer un peu le contraste, je dirais plutôt que les v. 17s se caractérisent par leur absence de finalité: dé-poser et re-prendre ou re-cevoir son âme ou sa vie, ici ça ne sert à rien, ni à sauver qui que ce soit, ni à révéler ou montrer quoi que ce soit. Mais c'est quand même pour ça (ou ainsi) que "le Père m'aime"... |
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Ven 26 Fév 2021, 12:11 | |
| b) « Déposer », « reprendre », « se ceindre »
L’emploi des verbes : « tithêmi » (déposer, donner), « lambanô » (reprendre) et « diazônnumi » (se ceindre) en 13,4.12 traduit pleinement l’interprétation ci-dessus. Ce n’est pas par hasard que le geste du lavement des pieds est décrit avec les verbes qui font allusion à la mort dans l’évangile de Jean, le narrateur raconte : « Il [Jésus] se lève de table, dépose (tithêsin) ses vêtements, et prenant (lambôn) un linge, il s’en ceignit (diezôsen) » (13,4). Le verbe « tithêmi » dans l’expression « tithêmi ta himatia » (déposer les vêtements) » renvoie à l’expression « tithêmi tên psukhên » (donner ou déposer la vie) » en 10,17. Les expressions « déposer les vêtements » (tithêmi ta himatia) en 13,4 et « reprendre les vêtements » (lambanô ta himatia) en 13,12 font allusion aux paroles de Jésus en 10,17-18 au sujet de déposer (tithêmi) et de reprendre (lambanô) sa vie (tên psukhên). Jésus dit aux Pharisiens en 10,17-18 : « 17 C’est pour cela que le Père m’aime, parce que je dépose ma vie, pour la reprendre. 18 Personne ne me l’enlève; mais je la dépose de moi-même. J’ai pouvoir de la déposer et j’ai pouvoir de la reprendre; tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père. »
Le verbe « diazônnumi » (se ceindre) est employé deux fois (13,4 ; 21,18) dans l’Évangile selon Jean. L’un décrit le geste du lavement des pieds (13,4) et l’autre renvoie à la mort de Pierre en 21,18. Jésus lui dit : « En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais; quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas » (21,18).
En résumé, les verbes : « déposer », « reprendre » et « se ceindre » dans la péricope 13,1-32 montrent que le geste symbolique du lavement des pieds renvoie à l’acte de « donner (déposer) sa vie » de Jésus. http://leminhthongtinmunggioan.blogspot.com/2015/03/le-contexte-et-la-structure-de-jn-1316.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Ven 26 Fév 2021, 12:57 | |
| Outre que "(dé-)poser" (sa psukhè) n'est pas "donner" (sa vie, a fortiori la vie, au sens de zôè, à quelqu'un d'autre) -- ce que confirme à sa façon le jeu des variantes textuelles au chap. 10: c'est bien l'étrangeté du verbe tithèmi qui a suscité la lectio facilior didômi, et non l'inverse qui serait proprement inexplicable -- il faut prendre en compte le rapport chrono-logique général des deux grands ensembles que j'ai appelés Jean I et II (soit chap. 1--12 / 13ss, sans préjudice des nombreux développements et additions de part et d'autre): il est tout à fait clair que le récit du chapitre 13 fait "allusion" à la formule du chap. 10, mais l'inverse n'est évidemment pas vrai du point de vue de la rédaction (l'"auteur" du chap. 10 ne connaissant pas le chap. 13). Bien entendu, le texte "définitif" autorisera les relations intra- et inter-textuelles dans tous les sens (aussi avec les épîtres et le reste du NT). |
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Ven 26 Fév 2021, 16:18 | |
| Jean ne voit donc pas dans la mort de Jésus un acte expiatoire ; la notion de faute n'apparaît même pas ici, la seule raison invoquée : "Si le Père m'aime, c'est parce que, moi, je me défais de ma vie pour la reprendre" (10,17). |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Ven 26 Fév 2021, 17:00 | |
| A vrai dire, très peu de textes du NT mobilisent le concept précis d'"expiation" (si tant est qu'on ne le confonde pas avec d'autres, propitiation, purification, rançon-rédemption etc.; cf. p. ex. ici) pour "expliquer" la mort de Jésus-Christ. Le quatrième évangile s'y réfère avec une suprême ironie en le mettant dans la bouche du grand prêtre et sur le même plan que le plus minable calcul "politicien" (il vaut mieux qu'un homme meure pour / à la place de tous, 11,45ss). Ce que 10,17s suggère, à mon sens, c'est une harmonie profonde du schème dé-poser / re-prendre-recevoir à nouveau avec l'être même de "Dieu", ou du "Père": une contre-économie de la dépense, ne rien garder, ne rien conserver, ne rien épargner, ne rien assurer et ne rien garantir, pas même la dépossession puisqu'on re-prend et re-çoit toujours, voilà le "Dieu" qui se montre dans le Fils et que le Père ne peut qu'aimer, puisque tel il est. Et cela même, l'être divin révélé dans le Christ, le Père dans le Fils, n'est pas encore caractérisé comme "amour" (mais le sera dès Jean II, chap. 13ss et dans 1 Jean -- l'épître). |
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Ven 26 Fév 2021, 17:35 | |
| Je ne sais pas si cela a un rapport avec notre fil :
L’amour comme kénose intratrinitaire
Pour parler de l’amour absolu de Dieu, Balthasar utilise et forge un concept original de la kénose hérité de l’Écriture (Ph 2) et de la tradition théologique. Il lui sert à décrire la génération du Verbe et la spirationde l’Esprit. Ainsi Dieu se désapproprie de lui-même et donne au Fils toute sa divinité sans pour autant disparaître dans ce don : « tout ce qui est à toi est à moi » (Jn 17,10). La monarchie du Père est respectée car en se donnant, il ne s’évanouit pas avec le don. L’égalité ontologique des personnes est également respectée car l’être de Dieu se définit ici comme un événement ou un acte de donation. Le Fils qui est consubstantiel au Père se désapproprie de lui-même à son tour selon Ph 2,6-11, exprimant la réciprocité de son amour envers le Père ...
Kénose et amour sont-il dès lors simplement synonymes ? Une christologie de la kénose peut-elle être à elle seule une christologie de l’amour ? La kénose ne diminue-t-elle pas l’amour ? L’amour n’est-il que don de soi et désappropriation ? La réflexion thomasienne articule cette dimension de l’amour avec une autre qui est le mouvement d’un être vers son bien, vers la joie, la plénitude et le bonheur. L’une complète l’autre. Le mouvement de la Somme théologique qui reprend celui du prologue de Jean, sortie du Père et retour au Père (Jn 16,28), permet de situer le dessaisissement de soi de la mort sur la croix comme lui aussi tourné vers le Père (Jn 14,28). Comme l’avait noté Balthasar lui-même dans La Gloire et la Croix, la croix est aussi l’accomplissement de la volonté du Père et finalement, gloire (Jn 3,14-15 ; 8,28 ; 12,32-33). https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2005-1-page-18.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Sam 27 Fév 2021, 02:13 | |
| Pourquoi pas ?
Il y a certainement analogie entre le mouvement de "dé-pose de l'âme-vie", selon Jean 10,17s, et la "kénôse" de Philippiens 2 (il s'est vidé [de] lui-même) -- et davantage encore avec le thème parallèle et l'image symétrique du "dépouillement" (plus exactement "dé-vêtement"), dans les deutéro-pauliniennes (Colossiens-Ephésiens) notamment: on se "vide" de l'intérieur, on se "dévêt" ou "dépouille" de l'extérieur, et l'image du vêtement posé dans la reprise de l'expression de Jean 10 en Jean 13 serait plus précisément la seconde; mais dans les deux cas c'est toujours le même mouvement descendant, du plus vers le moins. Et tout cela se prête à la réinscription du paradoxe qu'on trouve chez Balthasar, mais qu'on trouverait aussi chez Barth, chez Luther, dans toute la mystique médiévale ou déjà chez les Pères: en se vidant-dépouillant de son être-divin, le Christ révèle la nature de cet être-divin qui consiste déjà à se vider-dépouiller de soi, ce que devrait faire le Père pour avoir un Fils et donc pour être ce qu'il est, Père -- donc aussi bien le Fils ne se vide-dépouille de rien du tout, puisqu'en se vidant-dépouillant de la divinité il exprime le plus clairement la nature même de la divinité... A cet égard le mouvement apparemment contraire, ascensionnel, re-prise ou ré-ception, relèvement ou élévation, plénitude ou gloire, ne serait même pas un autre mouvement et encore moins un mouvement contraire, mais la révélation du sens même du mouvement descendant. C'est bien en tout cas de cette façon que pense le quatrième évangile quand il identifie l'"élévation" et la "glorification" du Fils à la croix, ailleurs comble ou point le plus bas (nadir) de l'abaissement; cela jetterait une lumière également paradoxale sur la finalité apparente de l'expression de Jean 10,17s: je dé-pose mon âme pour (hina + subjonctif) la re-prendre / recevoir à nouveau, c'est justement en la dé-posant que je la re-prends / reçois à nouveau; ce n'est pas une "suite" ni un "renversement" au sens narratif ou dramatique, c'est le "sens" même du mouvement descendant qui se révèle à l'encontre de celui-ci et à même celui-ci (para-doxe en plus d'un sens, puisque la doxa est à la fois l'"opinion" et la "gloire")... |
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Sam 27 Fév 2021, 10:25 | |
| Un même événement raconté plusieurs foisDeux fois donc le même consentement à l'événement est raconté, comme ce par quoi adviennent la glorification du Père et celle du Fils de l'Homme, deux fois précédé d'un trouble, deux fois inaccessible aux spectateurs, si ce n'est, la seconde fois, au disciple bien-aimé qui sera le témoin de la croix. La différence entre les deux scènes est que dans la première, c'est au Père que Jésus consent, et dans la seconde, à l'acteur humain qui déclenche la passion. Jésus, dans une souveraine liberté (13,1-3), qui est cependant une liberté humaine contingente, associée au trouble (12,27; 13,21) et à la délibération, libère le cours des événements. Sans l'engagement de cette liberté, il n'y aurait pas de croix: sa mission ne serait pas accomplie et Satan ou le Prince de ce monde, qui agit à travers des acteurs humains, ne serait pas affronté, ni donc expulsé. Jésus, qui n'est pas l'auteur de sa mort, en est cependant le sujet par son libre consentement. Cela sera représenté à nouveau dans l'épisode de l'arrestation au ch. 18 où Jésus, «sachant tout ce qui venait sur lui», s'offre à Judas, à la cohorte et aux gardes dans un théophanique «Je suis» (18,4- . C'était sans doute déjà ébauché au début du ch. 1 1 quand Jésus, après s'être soustrait à ceux qui voulaient le lapider et s'être réfugié au-delà du Jourdain (Jn 10,39-42), retourne en connaissance de cause vers Béthanie et Jérusalem, faisant énigmatiquement allusion aux douze heures du jour. Thomas ponctue alors: «Allons, nous aussi, et mourons avec lui» (11,7-18). Si l'on compte le moment ultime à la croix, on est fondé à dire que le même événement est raconté plusieurs fois, sous diverses modalités qui en font ressortir les aspects: Jésus pose librement son âme pour accomplir sa mission. Ce libre dépouillement est thématisé à la fin du discours des brebis: «Voilà pourquoi le Père m'aime: parce que moi, je dépose mon âme afin de la reprendre. Personne ne me l'ôte, mais je la dépose de moi-même. J'ai le pouvoir de la déposer et j'ai le pouvoir de la reprendre. Tel est le commandement que j'ai reçu de mon Père» (10,17-18). Au centre d'une construction concentrique aux extrémités de laquelle se lisent l'amour et le commandement du Père, une affirmation surprenante: «Je dépose mon âme de moi-même». C'est là un hapax dans la bouche du Fils envoyé qui ne dit et ne fait rien de lui-même. L'expression ici s'éclaire par contraste: personne ne lui prend l'âme qu'il dépose. C'est donc la liberté qui est ici exprimée, qui répond au commandement et réalise le lien d'agapè avec le Père. Comme au centre de ces deux versets, la liberté de Jésus est au sommet du récit johannique. https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2006_num_37_4_3546 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Sam 27 Fév 2021, 11:55 | |
| Le mot-concept de "liberté" est trompeur, dans la mesure même où c'est celui qui nous parle le mieux, à nous "modernes", mais où nous y entendons autre chose que l'Antiquité -- à vrai dire quelque chose de tout à fait négatif, qui n'est précisément pas une "chose": l' absence de contrainte, de nécessité ou de détermination, voire de conséquence et d'enjeu, autrement dit l'indifférence qui rendrait le "choix" à la fois possible et arbitraire parce que logiquement infondé, mais pourrait aussi le rendre impossible comme celui de l'âne de Buridan. Le quatrième évangile parle quelquefois de "liberté" ( eleutheria etc., p. ex. au chap. 8 ), mais dans un tout autre sens, la qualité ou condition de "l'homme libre", exemplairement du "fils" et héritier du maître, opposée à celle de l'esclave mais tout aussi "déterminée" que celle-ci: le fils n'est pas "libre" d'être fils ou pas, dirions- nous, mais au sens antique ce serait un pur non-sens, puisque c'est justement sa détermination/condition de "fils" qui fait sa "liberté". Au chapitre 10 il n'est pas du tout question de "liberté", quoiqu'il y ait une certaine intersection sémantique entre notre (notion de) "liberté" et le mot exousia (pouvoir, autorité, autorisation, permission, droit, etc.; à ex-ousia il faut rattacher le verbe ex-eim, ex-estin,i leitmotiv des controverses des Synoptiques, "est-il permis", autrement dit "peut-on", "a-t-on le droit"; l' ex-istèmi de l'ek-sistence et de l'ek-stase, qui dit aussi la joie, l'étonnement et une certaine "folie", n'est pas non plus très loin). Par contre je souscris sans réserve à l'analyse narrative qui montre que le récit, malgré le nombre de ses péripéties et la complexité de son développement traditionnel et rédactionnel, ne raconte au fond qu'un seul "événement", toujours le même. A mon sens cela ressortit à une caractéristique encore plus vaste, qu'on retrouverait également dans la rhétorique paulinienne qui n'a (presque) rien de narratif, mais qui en dépit de sa complexité dit toujours la même chose: monomanie, monotonie, monomathie, c'est aussi bien le trait de tous les "penseurs" qui ont eu quelque chose à dire et qui dans ce cas n'ont jamais eu qu' une seule chose à dire, si variées que fussent leurs manières de la dire; et de ne pas la dire, dans ce sens qu'ils se sont bien gardés de lui donner une formulation canonique, définitive, centrale, à laquelle pourraient se reconduire toutes les autres et qui les rendrait du même coup inutiles. C'est particulièrement évident dans le johannisme avec ce que j'appelais la danse ou la ronde des signifiants, indéfiniment interchangeables sans qu'aucun soit jamais premier, dernier ou central au point de se confondre avec son signifié et son référent (ce qui est la définition même du dogme). De ce point de vue la "croix" ou la "Passion" n'est pas plus centrale que tout le reste, puisque c'est aussi bien la "gloire" ou l'"élévation" qui se dit là, tout comme la "croix" et la "Passion" se disaient aussi dans les expressions de "gloire" ou d'"élévation". On pourrait en dire autant de "l'amour" qui ne se thématise que dans un deuxième temps de l'écriture johannique (Jean II = 13ss, 1-2-3 Jean), qui peut y paraître "central" mais ne fait pourtant là que "traduire" d'autres énoncés du premier temps, qui disaient "la même chose" sans avoir besoin (du mot) d'"amour". --- Comme en français on passe naturellement du (dé-)poser au re-poser dans tous les sens du terme, jusque dans le jeu de leurs op-positions (p. ex. laisser une question, un problème, se reposer pour la/le re-poser autrement), je repense au Psaume 131, et au non moins polysémique registre de l'"abandon" (abandonner, être abandonné, s'abandonner, en bonne ou en mauvaise part, comme on s'adonne à un vice ou comme on renonce à une résistance, là encore bonne ou mauvaise, de la résignation à la résilience en passant ou non par la consolation) -- "abandon" qui vient de la "bande", comme "débandade", et non du "don". Par curiosité je regarde la Septante du v. 2 (130): "... si je n'ai pas (la formule de serment hébraïque, où la négation hypothétique renforce l'affirmation, n'est peut-être plus comprise par le traducteur) humilié mais élevé ma psukhè, comme l'enfant sevré sur/contre sa mère, comme une rétribution-contrepartie (contre-don ant-apo-dôsis) sur/contre ma psukhè)." |
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Lun 01 Mar 2021, 16:00 | |
| Ce qui est « évacué » dans la kénose, ce ne sont pas je ne sais quels « attributs » divins conçus comme des « choses » extérieures au Fils, choses auxquelles le Fils renoncerait en prenant la forme ou condition d’esclave. L’évacuation consiste plutôt en cet abaissement dans la forme d’un esclave. Autrement dit, l’« évidement » doit moins être compris comme une « évacuation » de certaines propriétés soi-disant divines au moment (voire même avant) de prendre la forme d’un esclave que comme le sens même de ce « prendre la forme » d’un esclave. La kénose consiste en cet abaissement, et non en ce qui, dans l’être bientôt « amoindri » du Christ, conditionne, par un processus de soustraction et en fin de compte de « dédivinisation » (Gess disait « Entherrlichung » ; Thomasius parlait de « Selbstverleugnung »), cet abaissement. La kénose se déploie en aval, dans l’abaissement, dans l’obéissance jusqu’à la mort sur la croix. En chercher l’origine en amont, dans un renoncement par le Logos préexistant à telle ou telle propriété ontologique, revient à oublier l’orientation même de l’hymne de Ph 2. Cela revient également, et c’est un point décisif, à interpréter le verbe ekenôsen en lien avec la morphè theou, comme si ce à quoi le Fils renonçait était sa « forme » divine. Or, comme Paul Henry le suggère, le Fils ne se vide pas tant de sa morphè theou que de son « égalité avec Dieu » (einai isa theoi) comprise comme une proie à saisir ou comme un gain (harpagmos).
Plutôt que de regarder « vers le haut », vers le Logos de Dieu dans la vie intratrinitaire, et de parler de kénose pré-temporelle de ce Logos, comme le fait Boulgakov ainsi que d’autres théologiens, pourquoi ne pas se concentrer avant tout sur le mouvement d’évidement dans la vie de Jésus tel que les Évangiles en témoignent ? Le risque, en théologie systématique, est d’être tellement intéressé par l’immutabilité divine qu’on en vient à envisager la kénose non seulement de Jésus dans sa forme d’esclave, mais aussi du Logos éternel. Tout cela pour pouvoir penser l’identité ou la correspondance, à la suite de Barth et de Rahner, entre l’économie et la theologia (au sens de la théologie patristique orientale), le ad extra et le ad intra. Je pense en effet qu’il est important de parler de l’être-même de Dieu comme être et acte de donation, et donc l’évidement du Fils dans la forme d’un esclave comme étant enracinée dans une donation qui caractérise l’être-même de Dieu comme communion d’agapè [39]. Il faut toujours à nouveau renverser certaines conceptions de Dieu où, par exemple, la majesté de Dieu est conçue en opposition avec toute idée d’humilité, comme si, notamment, lors du lavement des pieds (Jn 13), Jésus avait « mis entre parenthèses » son identité de Seigneur, alors qu’il est bien plus intéressant et adéquat de penser ce geste comme l’expression même de la puissance et de la majesté qui sont celles de Dieu . Mais la théologie chrétienne ne doit pas privilégier la « theologia » au détriment de l’économie, qui doit rester le centre de gravité du discours en théologie chrétienne.
[39] « En un mot, il est question ici non pas seulement d’un événement terrestre se situant dans le cadre de la vie humaine, mais aussi d’un événement céleste accompli dans les profondeurs de la Divinité même : la “kénose” du Dieu-Verbe. » S. Boulgakof, Du Verbe incarné (Agnus Dei), op. cit., p. 141-142. « Dans cet abaissement et cette aliénation, il n’est pas infidèle, mais fidèle à lui-même. » K. Barth, Dogmatique IV/1*, op. cit., t. 17, p. 195 ; en prenant la forme de serviteur « il n’est pas infidèle mais plus que jamais fidèle à lui-même, fidèle à sa liberté, qui est celle de son amour » (ibid., p. 202). https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2014-3-page-347.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Lun 01 Mar 2021, 17:18 | |
| Très intéressant -- les notes, en particulier les citations de théologiens comme Barth ou Jüngel, peut-être encore plus que le texte. Ce que j'appelle l'aporie de la révélation peut s'approcher, à défaut de se résoudre ou de se dépasser, de multiples manières, par exemple comme effet de "réinscription" ou de "bougé". Soit D le dieu caché, et D' (déprime?) le dieu révélé; la révélation serait un événement comparable à un mouvement, translation ou traduction, de D à D', D -> D'. Mais si la révélation est vraie, si elle est vraiment révélation, il s'ensuit que D = D' (c'est vraiment D qui se révèle vraiment en D'), et il n'y a pas de mouvement possible de l'un à l'autre puisqu'ils sont identiques; ce qui rendrait un tel mouvement possible le rendrait aussi impossible; ou bien (perspective plutôt bultmannienne, de la "pré-compréhension") il faut que D soit faux, mais dans ce cas ce faux D de départ est tout aussi nécessaire, et donc vrai à sa manière, que le D' d'arrivée. Si la révélation est réussie et vraie, je suis obligé de réinscrire son point d'arrivée à son point de départ et ça ne veut plus rien dire: un dieu tout-puissant (etc.) se révélerait dans la faiblesse (etc.) à la condition contradictoire d'être et de ne pas être tout-puissant (etc.) -- sans quoi la révélation n'est que mystification, la faiblesse du fort (etc.) n'est qu'une tromperie et une ruse, et ainsi de suite. Autrement dit, la notion même de révélation fait éclater toute "vérité" statique distincte de son propre mouvement, ses conditions logiques de possibilité sont aussi celles de son impossibilité logique. Et bien sûr, cette aporie "objective" se réplique dans la "subjectivité" du "récepteur", à moins que ce ne soit le contraire: pour recevoir et re-connaître la révélation comme vraie, il faudrait que je la connaisse déjà avant de la connaître; que d'une certaine façon je sois moi-même, sans le savoir tout en le sachant, partie intégrante du processus de révélation, comme le révélateur et le révélé. Peu importe sous quel angle on l'aborde, toute "logique" y explose ou implose... Pour revenir au johannisme, sinon à notre texte et à notre sujet, j'ajouterais que l'"humilité" ou l'"abaissement" (thèmes de Philippiens 2 associés à la "kénose") ne sont pas vraiment son problème. (Accessoirement: on répète souvent que l'"humilité", tapeinophrosunè, est une "invention chrétienne", or rien que dans le psaume 131 LXX dont on parlait plus haut et ailleurs on trouve déjà le verbe correspondant, tapeinophroneô.) Le Christ du quatrième évangile n'est ni humble, ni humilié, ni abaissé (ni vraiment "humain" si tant est qu'"humain" s'oppose à "divin"), mais c'est un "dieu" qui ne peut s'entendre que de façon dynamique et relationnelle -- comme l'"amour", mais aussi bien comme "la lumière", "l'esprit-souffle", ou "la vie", toutes choses que "Dieu" ou "le Christ" sont dits "être", et qui sont des "événements" plutôt que des "choses". |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Mar 02 Mar 2021, 12:31 | |
| Donner sa vie ? Jean 15,13
On cite souvent une parole très émouvante de Jésus dans l’évangile de Jean traduite par : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » (15,13). Personnellement, comme je n’aime pas le sacrifice, cette phrase m’a toujours choqué. Mais s’agit-il vraiment dans le texte de donner sa vie ? Le texte porte seulement : exposer sa vie (gr. thè, de tithèmi, poser). La Vulgate utilise de même ponere, poser. D’exposer sa vie à donner sa vie, il y a une différence. Par exemple, si quelqu’un venait à tomber à l’eau et risquer de se noyer, une preuve d’intérêt ou d’amour pour lui serait de plonger pour le repêcher, au péril de sa vie. Mais pas forcément de se noyer soi-même. Les autres ont-ils toujours besoin de notre propre sacrifice ? Ils peuvent aussi avoir besoin de nous avoir en vie, à leurs côtés, pour continuer à les aider.
Cela s’éclaire aussi de la parabole johannique du bon berger (10,11-13) : « Je suis le bon berger. Le bon berger expose (tithèsi) sa vie pour ses brebis. Mais le mercenaire, qui n’est pas le berger, et à qui n’appartiennent pas les brebis, voit venir le loup, abandonne les brebis, et prend la fuite ; et le loup les ravit et les disperse. Le mercenaire s’enfuit, parce qu’il est mercenaire, et qu’il ne se met point en peine des brebis. » Le bon berger ne donne pas sa vie, comme on traduit souvent ici, et qui dans le contexte serait absurde, car il laisserait les brebis sans aide. Il l’expose ou la met en jeu seulement, et il lui suffit, comme le dit la fin du texte, de se mettre en peine pour elles. Mais les versions doloristes et sacrificielles de ce genre de texte ont ici un énorme poids, contre lequel il est très difficile de lutter. Elles sont apparues très tôt. La preuve en est l’existence dans certains manuscrits d’une variante pour le tithèsi, il expose : didôsi, il donne.
Peut-être aussi, plus radicalement, pourrait-on interpréter non pas littéralement, mais symboliquement certaines paroles de Jésus, comme : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » (Jn 12,24) Peut-être, hors du contexte où elle figure, où elle a pu être insérée a posteriori, et qui est l’acheminement de Jésus vers sa Passion, cette phrase pourrait-elle nous dire que nous devons, non pas mourir effectivement, mais dans nos vies renoncer à notre petit ego, à notre petit moi, pour nous ouvrir à plus grand que nous-mêmes, à d’autres scénarios qui dépassent nos seules prévisions, nos mesquins et petits calculs. Bref, comme dirait C. G. Jung, passer du soi, au Soi. En somme, mourir à nous-mêmes, pour renaître, naître en nous à plus grand que nous-mêmes. Ce peut être là une autre version du sacrifice, assurément plus humaniste que la littérale. https://www.evangile-et-liberte.net/elements/numeros/213/article11.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir Mar 02 Mar 2021, 13:02 | |
| Très juste, mais c'est d'autant plus étonnant d'omettre ici le passage précis dont nous parlons, 10,17s, où le (dé-, ex-, re-)"poser" sa psukhè n'a pas de "bénéficiaire" (pas de "pour", huper) mais appelle en revanche une re-prise (re-prendre, recevoir à nouveau) par le même "sujet" ("je") -- ce qui d'ailleurs se prêterait tout aussi bien à une interprétation jungienne.
Le quatrième évangile, bien entendu, parle aussi de "donner la (non sa) vie", didômi + zoè, pas plus loin qu'au v. 28; cf. 6,33; 17,2; voir aussi 1 Jean 5,11.16 où le sujet n'est plus "Jésus" mais "Dieu" ou n'importe quel "croyant"; sans parler des cas où "donner la vie" traduit zôopoieô, "faire vivre" ou "rendre vivant", Jean 5,21 etc.
Pour simplifier au moins sous un de ses aspects une différence complexe, la nephesh-psukhè-anima-âme est "individuelle", chacun, homme, dieu ou animal, a la sienne, la perd ou éventuellement la retrouve, mais ne la donne pas à un autre; la "vie" en revanche, haya/im-zôè-vita, est à tout le monde et à personne. Bien sûr, la traduction française est quasiment obligée d'employer quelquefois le même mot "vie" pour les deux termes (hébreux ou grecs; même la TMN a fini par y venir), de sorte qu'à défaut d'annotation on n'a plus que la présence ou l'absence du possessif (ma vie ou la vie) comme indice, d'ailleurs incertain, de la distinction originale. |
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| Sujet: Re: (re)prendre ou recevoir | |
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