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| NIMROD ET LA TOUR DE BABEL | |
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Narkissos
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| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Mar 06 Juin 2023, 14:23 | |
| Bonjour (nous avions perdu l'habitude de dire bonjour dans ce forum, entre rares habitués, mais Saraï-Estelle nous y rappelle et ça ne fait pas de mal).
L'extrait copié par free (Etude perspicace..., titre stupide s'il en est, pour un Insight moins ridicule en anglais mais difficile à traduire sans un minimum d'imagination) donne une version assez complète de l'argument du correspondant de Saraï-Estelle. Je n'ai pas pratiqué cet ouvrage, paru après mon exclusion, mais je connais bien son ancêtre (Aid to Bible Understanding) que j'avais utilisé quasi quotidiennement depuis mon adolescence et dont j'ai ensuite traduit la plus grande partie (dans une version nettement abrégée après le départ de Raymond Franz qui en était le principal auteur): l'argument en question ne me semble pas avoir beaucoup changé.
Je ne suis pas mathématicien, ni statisticien ni démographe, je n'ai même pas fini d'apprendre à lire -- toute une vie n'y suffirait pas. Mais j'ai gardé de l'arithmétique à l'école primaire l'idée qu'il ne suffit pas de savoir compter (des tables de multiplication à la calculatrice): il faut encore, et surtout, savoir quoi et comment compter, quelles opérations utiliser, ou non, dans tel ou tel cas; c'est l'intérêt des "problèmes", du genre robinet qui fuit: il faut comprendre de quoi on parle pour savoir quelles opérations poser, et ça c'est l'affaire de la "logique" qui précède le calcul; et d'abord de la lecture de l'énoncé, qui permet de savoir s'il s'agit ou non de l'énoncé d'un "problème" mathématique (piège classique: il arrive que ce n'en soit pas un !) et, le cas échéant, en quoi il consiste.
En l'occurrence, à quoi s'appliquerait un calcul censé trancher l'alternative "possible ou impossible" ? Quand je lis Genèse 10, je n'y vois guère de chiffres, mais une liste de (70 ? 72 ? on peut les compter, différemment selon les versions ou les méthodes, mais le nombre lui-même n'est pas écrit) noms de pays, de peuples, de villes, de langues organisée comme une généalogie (alors que les pays, les peuples, les villes, les langues, ne sont pas littéralement pères ou fils les uns des autres). Si je suis tout à fait naïf et ignorant, surtout quand je lis une traduction française qui transcrit exceptionnellement "Mitsraïm" ce qui partout ailleurs se traduit "Egypte" (p. ex.), je peux y voir une liste de noms d'individus mâles s'engendrant les uns les autres -- avec des éléments narratifs hétérogènes, comme justement la notice relative à "Nimrod", personnage dont on raconte quelque chose, présenté comme fils de Koush après l'énumération des "fils de Koush" correspondant à des "nations", dont on ne raconte rien (puisque ce sont des "éponymes" et non de vrais "personnages"). Si je ne remarque pas cette différence, je peux m'imaginer que M. Cham est le grand-père de M. Nimrod, mais vu les âges "exceptionnels" donnés aux personnages de la Genèse je ne peux en inférer aucune durée de l'un à l'autre, encore moins le nombre d'une "famille" que la "généalogie" ignore. Je ne vois pas quel calcul faire, ou quelle opération poser, à partir de ce texte-là: ce n'est pas l'énoncé d'un problème d'arithmétique.
Il faut bien comprendre qu'une "chronologie biblique" comme celle de la Watchtower (qui s'inscrivait déjà dans une tradition "moderne" vieille de plusieurs siècles à l'époque de Russell) est une construction artificielle qui rassemble des "données" provenant de textes disparates et se donne l'illusion de remonter le temps à partir d'une date présumée connue (p. ex. 539 av. J.-C. pour la prise de Babylone par Cyrus): "données" tirées de notices de type "annales royales", réelles ou imitées, concernant les règnes des rois d'Israël et de Juda, en passant par les règnes "idéaux" (40 ans, comme par hasard) des fondateurs supposés (Saül, David, Salomon) -- mais on ne peut pas remonter "plus haut" sans utiliser des grands chiffres d'un tout autre genre, comme l'inauguration du "temple de Salomon" datée de la 480e année à partir de la "sortie d'Egypte" (1 Rois 6,1), ou les 430 ou 450 ans tirés de textes du NT encore plus éloignés de toute "source" vraisemblable. Au-delà ou en-deçà, dans l'Exode et la Genèse, on n'a plus que les âges (fantastiques) des personnages dans les généalogies -- outre que la plupart des chiffres varient considérablement d'une version à l'autre (entre le texte massorétique et la Septante notamment)...
Si maintenant on veut confronter une telle chronologie artificielle à une histoire "réelle", celle qui est documentée par l'archéologie, l'épigraphie, la géologie etc. (et bien mieux documentée aujourd'hui qu'elle ne l'était à l'époque de Russell), on s'expose à des problèmes d'un tout autre genre: un "déluge universel" au IIIe millénaire av. J.-C. n'a tout simplement aucun sens par rapport à l'histoire relativement bien documentée de l'Egypte ou de la Mésopotamie, où la continuité générale des villes et des monuments, en dépit de catastrophes locales repérables, remonte encore beaucoup "plus haut" (= plus tôt).
Après, prouver que quelque chose est impossible est impossible (cette affirmation s'appliquant à elle-même, en boucle et en abyme). Si l'on veut croire à un déluge universel au beau milieu du IIIe millénaire, ou que les pyramides d'Egypte ont été construites par des extra-terrestres, ou que l'univers a été créé hier matin avec toutes les traces factices d'une ancienneté illusoire, y compris notre propre "mémoire", on le "peut" en principe (qu'on puisse effectivement y croire, sans faire semblant d'y croire, c'est une autre affaire, qui relèverait plutôt de la psychologie ou de la psychiatrie); mais on sort par là même du champ de toute argumentation "rationnelle", et a fortiori "scientifique" (cf. Popper et sa définition, elle-même passablement circulaire, du "scientifique" comme "réfutable" -- falsifiable en anglais): là où tout est possible, plus rien n'est prouvable, ni même probable ou improbable.
Dernière édition par Narkissos le Mar 06 Juin 2023, 14:40, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Mar 06 Juin 2023, 14:39 | |
| - Citation :
- Bonjour (nous avions perdu l'habitude de dire bonjour dans ce forum, entre rares habitués, mais Saraï-Estelle nous y rappelle et ça ne fait pas de mal).
Bonjour, Ex : La saga de l’Exode d’Israël hors d’Egypte : L’exode a-t-il eu lieu ? Moïse se dressant face au Pharaon, déchaînant contre lui les plaies d’Égypte, la fuite à travers la Mer Rouge, puis les Dix Commandements révélés au premier des Hébreux sur « le mont de Dieu », ces épisodes bibliques sont parmi les plus évocateurs et les plus significatifs de la Bible. Sont-ils pour autant historiques ? Au risque de décevoir leurs lecteurs, les auteurs affirment : « Nous n’avons pas la moindre trace, pas un seul mot, mentionnant la présence d’Israélites en Égypte : pas une seule inscription monumentale sur les murs des temples, pas une seule inscription funéraire, pas un seul papyrus. L’absence d’Israël est totale – que ce soit comme ennemi potentiel de l’Égypte, comme ami, ou comme peuple asservi. » ... ... A l’époque supposée de l’Exode, au XIII° siècle av. J.C., l’Égypte de Ramsès II est une puissance considérable, qui contrôle parfaitement les cités-États de Canaan. Des forteresses égyptiennes balisent la frontière, d’autres sont bâties en Canaan. Pour Finkelstein et Silberman, il est inimaginable qu’une foule d’esclaves hébreux aient pu fuir vers le désert et la Mer Rouge sans rencontrer les troupes égyptiennes, sans qu’il en reste trace dans les archives étatiques. Or, la plus ancienne mention des Hébreux est une stèle commémorant, à la fin du XIII° siècle av. J.C., la victoire du pharaon Merneptah sur le peuple d’Israël, mais en Canaan-même. Même absence de vestiges archéologiques dans le Sinaï, où les compagnons de Moïse ont, selon la Bible, erré pendant 40 ans. Toutefois, pour n’être pas exacte d’un point de vue historique, la Bible, dans sa description de l’Exode, n’est pas pour autant une fiction littéraire : les toponymes (les noms de lieu) en Égypte, dans le Sinaï ou à Canaan, désignent bien des territoires historiques, mais plus proches là encore du VII° siècle av. J.C. que de l’époque présumée de l’Exode. (Ce dernier fait peut-être allusion à l’expulsion d’Égypte, bien réelle celle-là, des Hyksos, qui étaient eux-mêmes des Cananéens). Dès lors, ce récit d’un affrontement victorieux entre Pharaon et Moïse a pu devenir une saga nationale, une toile de fond mythique et encourageante alors qu’au VII° siècle av. J.C., la renaissance de l’Égypte menace les ambitions du roi de Juda, Josias. https://histoire-geographie.ac-dijon.fr/IMG/pdf/Bible_devoilee.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Mar 06 Juin 2023, 15:35 | |
| Tout se mélange dans le recyclage permanent des arguments: pour parler de Nimrod et de Babel, on fait appel non seulement à l'Exode "biblique" mais à son interprétation watchtowérienne, avec sa datation particulière (XVIe s. av. J.-C. au lieu du XIIIe, datation plus "consensuelle" à l'époque où les historiens s'imaginaient encore pouvoir dater un "Exode historique"), solidaire de toute sa "chronologie biblique" remontant jusqu'à "Adam" en -4026 (d'où 1975), et les calculs "démographiques" qui dépendent de ce schéma; mais la Watch elle-même pioche dans une vaste littérature apologétique, "fondamentaliste" ou "sectaire", abondante aux U.S.A. et dans les innombrables missions qui en rayonnent depuis le XIXe siècle, en Amérique latine et en Afrique surtout, de sorte qu'on n'est jamais en peine de trouver un livre de quelque "docteur" (de préférence d'une discipline sans rapport avec le sujet) à citer à l'appui de n'importe quel argument -- même s'il suppose une tout autre chronologie, tout aussi fictive d'ailleurs.
Par ailleurs, on retrouve les mêmes problèmes de vraisemblance pour tous les textes de "commencement" ou de "recommencement", si on les prend -- anachroniquement -- pour "historiques" au sens moderne du terme. Penser la reconstruction de l'humanité à partir de huit personnes après le "déluge", c'est comme penser sa construction initiale à partir de la "création" d'un seul couple: les problèmes narratifs (y compris arithmétiques) de l'"après-Noé" sont sensiblement les mêmes que ceux de l'"après-Adam-et-Eve": Caïn exilé dans un pays visiblement déjà habité (par qui ?) pour y engendrer une descendance et y bâtir des "villes", etc. Soit dit en passant, les autres mythologies comparables (grecques, mésopotamiennes, égyptiennes) sont tout aussi incohérentes, elles présupposent toujours ce dont elles prétendent raconter l'origine, mais c'est la loi même du genre, plus ou moins bien dissimulée: de toute "origine" l'"histoire" ne peut être racontée qu'à partir de sa "fin", qui est précisément la "réalité" telle que l'"auteur" et les récepteurs la connaissent et la comprennent; autrement dit, un récit d'origine est obligé d'aboutir à une situation présente, son point d'arrivée est le point de départ de son "invention". Pour la Genèse, cette "réalité" se situe clairement au Ier millénaire av. J.-C. (et plutôt dans le seconde moitié que dans la première). |
| | | free
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| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Mer 07 Juin 2023, 10:46 | |
| Noms et peuples 7Je viens de parler de sefirot et des noms comme de la structure discrète de la Création entière, spirituelle et matérielle. Cette structure a une influence directe sur la vie humaine, non seulement parce qu’elle « est » le monde dans lequel l’homme se trouve placé et le code à travers lequel il s’adresse à Dieu mais aussi parce qu’elle structure l’homme lui-même, individuellement et collectivement. Au niveau individuel, on la retrouve dans le psychisme humain, dans lequel s’étagent plusieurs fonctions ou niveaux qui vont du plus concret au plus abstrait. Au niveau collectif, elle détermine l’émergence de différentes nations et rythme leurs évolutions dans l’histoire. 8La tradition rabbinique ramène la totalité des nations au nombre de 70, qui correspond aux premiers descendants de Noé énumérés par le livre de la Genèse. 70 est aussi un chiffre à valeur symbolique, combinant le 7 et le 10, et associé à une partie de l’arbre séfirotique. On le retrouve dans le nombre des descendants de Jacob descendus en Égypte, par conséquent à l’origine du peuple hébreu (Exode, I, 5), ainsi que dans le nombre des Sages choisis pour seconder Moïse pendant la traversée du désert, anticipation biblique du Grand Sanhédrin (Nombres, XI, 16). L’analogie numérique traduit une correspondance structurelle entre l’universalité des nations et la particularité d’Israël, considéré comme leur « aîné » et leur modèle métaphysique. Le Cantique de Moïse l’établirait en ces termes : « Quand le très-Haut a fixé l’héritage des nations, quand il a séparé les enfants d’Adam, il a établi les frontières des peuples d’après le nombre des enfants d’Israël » (Deut., XXXII, . Universel et Particulier 20À l’opposition entre le particulier et l’universel se substitue donc un système plus complexe, à l’intérieur duquel l’universel se comprend au moins en deux sens. D’un côté l’universel se comprend comme association, échange ou mise en commun, avec visée de la totalité ou de l’unanimité. Chaque nation (Israël inclus) y trouve accès par-delà sa particularité, dans la mesure où elle entretient des relations avec les autres – et dans la mesure aussi où l’on admet un principe partagé par tous . Mais dans le cas spécifique d’Israël (déterminé par la Torah), l’universel se comprendrait aussi et avant tout comme originel, rapport avec la source universelle, donneuse de vie. L’identité d’Israël apparaît de ce point de vue comme une identité indifférenciée participant virtuellement de toutes les autres et susceptible d’en recevoir l’empreinte. Le rapport d’Israël aux nations ne se réduit donc pas à l’opposition du particulier (ou du particularisme) et de l’universel ; bien plutôt s’agit-il de penser comment les deux universels ici définis peuvent s’articuler l’un à l’autre. https://www.cairn.info/revue-pardes-2011-1-page-97.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Mer 07 Juin 2023, 12:09 | |
| Je crains que cette introduction de la Qabbale dans la discussion n'embrouille sensiblement les réponses déjà complexes que nous avons tenté de fournir aux questions de Saraï-Estelle -- même si aucun "brouillage" ne saurait être étranger au champ sémantique en folie de "Babel". Il faut au minimum rappeler qu'il s'agit là d'une tradition, d'une école et d'une littérature juives, d'abord espagnoles dans un contexte à peu près aussi musulman que chrétien, de la fin du moyen-âge, quoiqu'il ne soit pas difficile d'y discerner la résurgence de pensées beaucoup plus anciennes, notamment les gnoses du tournant de l'ère "chrétienne", elles-mêmes relayées dans l'intervalle par diverses "hérésies", notamment cathare. C'est dire qu'il serait vain de chercher là un éclairage sur le sens "originel" des textes "bibliques"; on y trouvera plutôt une illustration de leur capacité de générer constamment un foisonnement de sens et d'interprétation, démultiplié par une intertextualité toujours croissante (la Genèse rapportée à Daniel, au Talmud, au midrash, etc., comme ailleurs elle l'est au NT, aux apocryphes chrétiens, au Coran, aux hadiths, etc.): ainsi dans la "table des nations" de Genèse 10, les "éponymes" se confondent avec les "princes (sarim) ethniques" de Daniel: prince de Perse, prince de Grèce, sans oublier Mich[a]el, prince d'Israël ou de Juda... On peut d'ailleurs remarquer que cela rejoint aussi l'embrouillamini textuel de Deutéronome 32,8, dont nous avons souvent parlé: les 70 qui sont le nombre des "fils d'Israël" dans le texte massorétique et des "anges de Dieu" dans la Septante sont à Qoumrân celui des "fils du ou des dieux", conformément à la tradition cananéenne beaucoup plus ancienne (Ougarit) des 70 dieux ou fils d'El. Là aussi tout se recycle...
(Hors-sujet, je remarque quand même à la lecture de cet article que la Qabbale, à son tour arrachée à son contexte originel, de diaspora médiévale en terre plus ou moins hostile, et relue dans le contexte moderne de l'Etat-nation d'"Israël", avec un rapport quasi cadastral au concept biblique ou rabbinique, eschatologique ou mystique de "terre d'Israël", montre un potentiel de réinterprétation assez effarant...) |
| | | free
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| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Mer 07 Juin 2023, 15:42 | |
| Bonjour (Avec du retard). La table des nations : la géographie du monde dans Genèse 10La nature composite de Genèse 10 Même si le texte n'indique pas le nombre d'entrées dans la liste, l'éditeur s'est assuré qu'il y avait 70 nations au total (à l'exclusion de l'ajout ultérieur de Nimrod aux vv. 8-12). La liste est clairement composite, combinant des éléments des sources P et J qui se recoupent parfois , ce qui explique que plusieurs nations soient mentionnées deux fois : Sheba (vv. 7, 28) ; Havila (vv. 7, 29) ; et Lydia (Lud ou Ludim, vv. 13, 22). En plus d'autres différences stylistiques, P et J peuvent être distingués dans Genèse 10 par le fait que les nations P sont introduites par l'expression formule, "les descendants (lit. fils) de A", tandis que les nations J sont introduites par l'expression formule « A a engendré B » ou, dans deux cas, par « à A est né B ». Conformément à ce modèle, nous constatons que chacun des doublons est introduit à l'aide d'une formule différente. Par exemple, en comparant les deux mentions des Ludim (Lydiens), ils apparaissent d'abord en J, dans la liste des descendants de Ham, avec l'Égypte comme père : Gen 10:13 Et l'Égypte fut le père des Ludim (mitzrayim yalad ʾet ludim), des Anamim, des Lehabim et des Naphtuhim. Dans P, cependant, Lud (Lydia) est inclus parmi les fils de Sem : Gen 10:22 Les fils de Shem (bene shem) : Elam, Assur, Arpacshad, Lud et Aram. Nous voyons également une différence idéologique entre les deux sources, car les peuples du sud de l'Arabie apparaissent comme des Shemites, parents des Israélites, dans J (vv. 26-29), tandis que P attribue divers pays arabes à Ham, suggérant qu'ils font partie des peuples dont les Israélites se sentaient éloignés (v. 7). Implications théologiques et mise en place de Genèse 10 Théologiquement, Genèse 10 implique l'unité de la race humaine, puisque toutes les nations, qu'elles soient amies ou ennemies, sont considérées comme des parents de sang, tous descendants de Noé et finalement d'Adam. La liste représente également l'accomplissement du commandement de Dieu à Noé dans l'histoire du déluge de P (cf. Gn 9,19) ... https://www-thetorah-com.translate.goog/article/the-table-of-nations-the-geography-of-the-world-in-genesis-10?_x_tr_sl=en&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=sc Questions des lecteurs ● Genèse 11:1 déclare qu’avant la confusion des langues à Babel, toute la terre parlait une seule langue; pourtant, à une époque plus reculée, Genèse 10:5 semble indiquer que différentes langues existaient déjà. Comment peut-on comprendre ce texte ?Parlant des descendants de Noé par l’intermédiaire de son petit-fils Javan, Genèse 10:5 déclare: “À partir de ceux-là la population des îles des nations se dissémina (...), chacun selon sa langue, selon leurs familles, d’après leurs nations.” Le chapitre 10 de la Genèse présente ce qui est généralement connu sous le nom de “table des nations”. Il donne la liste de 70 familles ou nations descendant des fils de Noé, et fournit des indications quant aux lieux où celles-ci se sont finalement dispersées et installées. Bien entendu, Moïse rapporta ces choses des siècles après le déluge et la confusion des langues à Babel. Il était donc à même de regrouper dans un même récit ce qui à présent constitue le chapitre 10 de la Genèse, récit qui contient les détails relatifs à la façon dont les choses se sont développées au cours des siècles. Le chapitre 10 ayant donné les détails de la “table des nations”, le chapitre 11 reprend le récit, ou l’histoire chronologique, avec l’épisode de Babel et montre de quelle manière les différentes langues ont pris naissance et pourquoi les peuples se sont disséminés sur toute la surface du globe. — Gen. 11:1-9. Ainsi, quand le dixième chapitre de la Genèse mentionne les différentes langues, il ne faut pas comprendre par là que celles-ci se sont développées avant la confusion des langues à Babel (Gen. 10:5, 20, 31, 32). Mais ces langues apparurent plus tard chez les descendants de Noé, dont la généalogie nous est donnée dans ce chapitre. https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1978529 Il ne me semble pas que le chapitre 11 fasse référence au chapitre 10, que se soit d'une manière explicite ou implicite, affirmer que le chapitre 11 reprend le récit du chapitre 10 pour lui donner une explication me parait être un argument artificiel. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Mer 07 Juin 2023, 16:17 | |
| Malgré la traduction automatique qui dans ta première citation transforme en "Jean jour" ( sic) le nom de l'excellent John Day, l'analyse est globalement lisible et recoupe en bonne partie celles qui ont été citées plus haut (notamment Anthonioz et Römer). J'ajouterais que les identifications lointaines (p. ex. Tarsis et Ashkénaz), lointaines par rapport à la Judée ou plus largement au Proche- et Moyen-Orient, sont les moins certaines, et qu'elles ont pu varier au fil des relectures, en fonction de la connaissance plus ou moins étendue du monde antique disponible à l'époque perse ou hellénistique dans les milieux concernés, même si les directions générales (ouest et nord respectivement) paraissent assez stables: autrement dit on n'a peut-être pas toujours imaginé Tarsis ou Ashkénaz aussi loin que l'Espagne ou l'Ukraine, bien qu'on ait fini par en arriver là. En ce qui concerne le texte de la Watch (1978), je suis heureusement surpris (je l'avais probablement lu à l'époque, mais oublié depuis) qu'il semble laisser une petite place à l'idée que les noms (éponymes) de Genèse 10 ne sont généralement pas, ou du moins pas toujours, des noms de personnes, mais des noms de "pays" ou de "peuples" -- c'était l'époque des Raymond Franz et Ed Dunlap, où certains rédacteurs à Brooklyn commençaient à s'intéresser aux "sciences bibliques". Il n'en tire toutefois pas explicitement la conclusion qui serait ruineuse pour les arguments du correspondant de Saraï-Estelle, à savoir qu'il n'y a aucun sens à traiter littéralement comme des générations d' individus, en calculant des durées d'une génération à l'autre et une croissance démographique, une pseudo-généalogie composée dès le départ de noms de peuples (etc.). Sur (ce que j'appelais) l'effet "flashback" du passage des chapitres 10 à 11 de la Genèse (il y a des langues, et pour l'expliquer on revient à la situation où il n'y en aurait qu'une), voir supra 24.5.2023: intentionnel ou pas du point de vue de tel ou tel "auteur", compilateur, rédacteur, etc., il me semble bien réel pour le lecteur ou auditeur. C'est aussi ce qui se passe entre les deux récits de création, 1--2,4a et 2,4b--3, où celui qui lit le texte dans sa continuité a l'impression de revenir en arrière pour recommencer à zéro une tout autre histoire, même si cet effet n'a été voulu et calculé par aucun "auteur" (etc.). |
| | | free
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| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Jeu 08 Juin 2023, 13:51 | |
| Le cas singulier de Sem Comme nous le remarquions plus haut, le fils aîné de Noé s’appelle Šēm (Shem), c’est-à-dire Nom. Or, à deux endroits stratégiques du livre de la Genèse, Shem (le nom propre) se trouve mis en relation, de façon significative, avec le substantif commun « nom » : en Gn 5,32 à 6,10 d’une part, en Gn 9,18 à 12,2 d’autre part. Dénommer quelqu’un « Nom » peut représenter le premier niveau de la nomination, ainsi la nécessité de nommer, mais aussi l’importance de donner un nom qui en somme individualise Dénommer quelqu’un « Nom » peut représenter le premier niveau de la nomination, ainsi la nécessité de nommer, mais aussi l’importance de donner un nom qui en somme individualise . Le contexte semble aller dans ce sens puisqu’en Gn 6,4 on retrouve le nom commun shem dans une tournure particulière : il est dit à propos des descendants des fils d’Elohim et des filles d’homme qu’ils sont « les héros d’autrefois, ces humains de nom », c’est-à-dire de renom. Et en 6,10, on lit à nouveau Sem/Shem, Nom, fils de Noé. Voici très précisément la composition : On relève donc deux occurrences de Shem entre lesquelles se trouve le terme nom (renom). C’est là un fait remarquable, parce que semblable à ce que l’on observe en Gn 10-11 : ce qui est interrompu ce sont les toledot (engendrements, généalogie) de Noé ; et en 10-11 ce seront les toledot de Sem. Le même encadrement donc se répète en Gn 9,18 à 12,2, cependant de manière plus affirmée. L’épisode de Babel (11,1-9) est curieusement situé au milieu de la généalogie de Shem qui se trouve coupée en deux avec quatre occurrences de Sem/Shem (10,1-31) avant Babel, et trois après (11,10-11). Or, que trouve-t-on dans Babel au verset 4 ? Cette déclaration des hommes : « Faisons-nous un nom de peur d’être dispersés sur la face de toute la terre ». Que signifie cette injonction ? Et qui se cache derrière ce « nous » ? Ce sont les fils de l’adam, autrement dit de l’humain (générique collectif) d’après 11,5. La généalogie de Shem-Nom (reprise en 11,10) répond à la peur de disparaître par l’assurance d’une perpétuation. Plus encore, la grandeur du nom est, en 12,2 (qui est un passage tardif, sans doute rédigé après P), promise à Abram comme la bénédiction et un avenir de grande nation. La tension du mythe de Babel se trouve résolue. Le point de vue de P, lui, sera exprimé en 17,5 : Abram deviendra Abraham, ce nouveau nom étant interprété comme « père d’une multitude » de nations… La grandeur réside ici dans la multitude de la descendance ! Les occurrences relevées de Shem-Nom dans les deux encadrements sont le fait d’un auteur sacerdotal alors que les occurrences de shem-nom à l’intérieur de ce cadre sont non-P. Sont-ce les traces d’une construction ? Il est difficile de déterminer si c’est P (le cadre) ou non-P (l’encadré, avec l’occurrence de shem) qui est le plus récent, d’autant que les versets non-P du tout début du chapitre 6 n’appartiennent sans doute pas à la tradition ancienne . De la même manière, le verset 4b du chapitre 11 n’est-il pas un ajout postérieur au récit de Babel, suscité précisément par la présence de Shem dans l’entourage immédiat ? Ainsi pour un lecteur du texte tel qu’il se présente actuellement (dans le cas de Gn 5-6 comme dans celui de Gn 10-11), se répondent les généalogies desquelles émanent Sem/Shem/Nom pour se développer et le terme shem (nom-renom). On ne peut pas ne pas remarquer que dans la partie non sacerdotale de ces deux ensembles se trouve exposée la difficulté de l’homme à trouver sa juste place et à se séparer du monde divin : union entre les fils d’Elohim et les filles d’homme (en Gn 6) et tentative de toucher le ciel (en Gn 11). Ainsi, la table des peuples de Gn 10 présente la diversité des peuples et des langues sans drame : 5 C’est à partir d’eux (fils de Japhet) que se fit la répartition des nations dans les îles. Chacun eut son pays suivant sa langue et sa nation selon son clan […]. 20Tels furent les fils de Cham selon leurs clans et leurs langues, groupés en pays et nations […]. 31Tels furent les fils de Sem selon leurs clans et leurs langues, groupés en pays selon leurs nations […]. 32Tels furent les clans des fils de Noé selon leurs familles groupées en nations. C’est à partir d’eux que se fit la répartition des nations sur la terre après le Déluge.https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2016-2-page-169.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Jeu 08 Juin 2023, 15:19 | |
| (Parenthèse: Je crois me souvenir d'une Colette Briffard dans une église évangélique à Paris, vingt ou trente ans plus tôt, je ne sais pas si c'est la même ou s'il s'agit d'une simple coïncidence de nom [!] et de prénom, mais si c'était la même elle aurait fait du chemin... et ce ne serait donc plus tout à fait la même. Au-delà des parcours individuels, si divisés soient-ils, il serait tout de même amusant que les "évangéliques" qui ont tant combattu la "théorie documentaire" lorsqu'elle était dominante se retrouvent les derniers à en défendre les ultimes vestiges, ici "P" et "non-P". En tout cas "Moïse" est loin...).
Ce n'est pas parce que l'hébreu ne différencie pas (typo-)graphiquement les "noms propres" et les "noms communs", comme le français le fait avec la majuscule et la minuscule (ça ne marche pas non plus en allemand où les noms communs portent aussi la majuscule), qu'il ne fait pas la différence (p. ex. syntaxiquement: un nom propre ne sera généralement pas pourvu d'article ni associé à un "complément de nom" dans un "état construit"). Pour reprendre un (ou deux) exemple(s) que j'ai usé(s) jusqu'à la corde, ce n'est pas parce que quelqu'un s'appelle Rose qu'en l'appelant on pense systématiquement à la fleur; on peut toujours faire des "jeux de mots" sur le nom propre en le rapprochant du nom commun, mais ces jeux forcément exceptionnels dans un discours ou un texte ordinaire ne fonctionnent que s'ils s'y re-marquent, laissant donc des traces textuelles plus ou moins évidentes ou discrètes (p. ex. "Rose arrive comme une fleur"). De même dans la Genèse, Isaac ne fait penser au "rire" que lorsque le contexte suggère expressément le rappel du nom commun (qui signifie rire) sous le nom propre (qui en tant que tel ne signifie rien mais désigne quelqu'un, une "personne" qui ne passe pas son temps à rire mais peut tout aussi bien pleurer ou faire tout autre chose).
Cela vaut également pour "S(h)em", mais avec la complication supplémentaire d'un nom (propre) qui pris comme nom commun signifierait "nom" (indifféremment propre ou commun !). Là encore il y a un effet de mise en abyme. D'autre part il me semble tout à fait clair que les divers emplois du mot (šm-shem-Sem) renforcent le contraste entre Babel (nom collectif que les "hommes" veulent se faire, nom finalement donné à la ville, par Yahvé ou non) et Abraham (qui prolonge le mouvement de la dispersion et se voit promettre un nom "grand"), et que l'intercalation de ces récits avec deux "généalogies de S(h)em" ne fait que le souligner. Cela ne se laisse pourtant pas réduire à une "intention" unique et cohérente, comme en témoignent les autres traitements du "nom" (notamment chap. 4, "non-P" si l'on veut, de Caïn à Seth). |
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| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Jeu 08 Juin 2023, 16:20 | |
| - Citation :
- Sur (ce que j'appelais) l'effet "flashback" du passage des chapitres 10 à 11 de la Genèse (il y a des langues, et pour l'expliquer on revient à la situation où il n'y en aurait qu'une), voir supra 24.5.2023: intentionnel ou pas du point de vue de tel ou tel "auteur", compilateur, rédacteur, etc., il me semble bien réel pour le lecteur ou auditeur. C'est aussi ce qui se passe entre les deux récits de création, 1--2,4a et 2,4b--3, où celui qui lit le texte dans sa continuité a l'impression de revenir en arrière pour recommencer à zéro une tout autre histoire, même si cet effet n'a été voulu et calculé par aucun "auteur" (etc.).
"Voici la généalogie des fils de Noé, Sem, Cham et Japhet. Des fils naquirent d'eux après le déluge. Les fils de Japhet furent : Gomer, Magog, Médie, Grèce, Toubal, Méshek et Tiras. Les fils de Gomer : Ashkenaz, Riphath et Togarma. Les fils de Grèce : Elisha et Tarsis, Chypre et Rhodes . C'est par eux qu'ont été peuplées les îles des nations dans leurs pays, chacun selon sa langue, clan par clan, dans leurs nations" (10,1-5). Le v 5 me semble établir une rupture avec le récit du chapitre 11, le peuplement de la terre (selon sa langue) se fait d'une manière "naturelle", une dispersion qui est voulue par une natalité qui nécessite une dissémination. Le texte de Genèse 10,5 ne suppose à aucun moment que la dispersion des peuples et l'apparition des langues soient le résultat d'une décision/sanction divine. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Jeu 08 Juin 2023, 16:45 | |
| Je ne sais pas si ton dernier post se veut une objection, une confirmation ou un complément à l'extrait auquel il répond, mais il me semble qu'au fond nous sommes d'accord, même si nous l'exprimons de façon opposée: pour moi c'est le chapitre 11 qui marque une "rupture" par rapport au 10, parce que le lecteur simple, naïf, non prévenu, lit le chapitre 10 avant le 11, qu'il a donc déjà rencontré une pluralité de langues sans explication particulière, qui semblent aller de soi avec les peuples et les pays correspondants, et que tout d'un coup "Babel" l'oblige à revenir en arrière, à une situation où il n'y avait qu'une seule langue (selon la structure habituelle des récits d'origine: au commencement il n'y avait pas ce qu'il y a maintenant, dans Genèse 1,2ss, 2,4bss, comme dans l''enuma `elish)... Expérience de lecture assez semblable à celle qu'il aura déjà éprouvée au passage du premier au second "récit de création".
Soit dit en passant, la traduction que tu cites (NBS ?) facilite la compréhension de la "table des nations" comme telle en utilisant les traductions habituelles des noms (éponymes) de pays et de peuples au lieu d'une transcription stricte (p. ex. Egypte pour Mitsraïm, Grèce pour Yavan...): on comprend déjà un peu mieux de quoi le texte parle, soit ce que comprend naturellement le lecteur de l'hébreu qui lit toujours Mitsraïm là où nous lisons "Egypte" (etc.): il ne s'agit pas d'une généalogie d'"individus", pères et fils au sens banal du terme. Dans la même logique il faudrait traduire "Babel" par "Babylone", comme partout ailleurs. |
| | | free
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| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Jeu 08 Juin 2023, 16:54 | |
| - Citation :
- Je ne sais pas si ton dernier post se veut une objection, une confirmation ou un complément à l'extrait auquel il répond, mais il me semble qu'au fond nous sommes d'accord, même si nous l'exprimons de façon opposée
C'est une confirmation et un complément, la lecture de Genèse 10,1-5 m'a fait apparaitre clairement cette rupture entre les deux récits mais je n'ai pas apprécié cette rupture de la bonne manière : " pour moi c'est le chapitre 11 qui marque une "rupture" par rapport au 10". |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Jeu 08 Juin 2023, 19:36 | |
| Pour mettre les points sur les i: je parlais simplement de l'ordre du livre de la Genèse tel que nous le lisons (expérience d'ailleurs assez commune: il y a sûrement pas mal de "lecteurs de la Bible" qui ont lu et relu la Genèse et le début de l'Exode sans jamais arriver au Lévitique...), mais je n'en déduisais rien quant à l'ancienneté relative des textes et des éventuels rédactions, traditions, sources ou documents sous-jacents. La vieille "théorie documentaire" estimait son Yahviste (J) beaucoup plus ancien que l'auteur "sacerdotal" (P), donc une partie au moins du récit de la "tour de Babel" (11) plus ancienne que la "table des nations" (10), ou le second "récit de création" (2,4b--3) plus ancien que le premier (1--2,4a). Les spécialistes (européens du moins) ne se risquent plus guère à ce type de datation, même relative (quel texte est plus ancien que tel autre, sans parler de dates chiffrées dans une chronologie générale), et la question même a perdu beaucoup de son intérêt (alors qu'elle paraissait cruciale au XIXe siècle, obsédé par l"'histoire" d'une part, et l'"origine", l'"originel" ou l'"original" d'autre part): il nous reste les textes tels qu'ils sont et comme ils se présentent, toujours très différents les uns des autres (on ne le voit que mieux après toutes les "critiques" qui sont passées par là), mais aussi enchaînés les uns aux autres, sans grand effort rédactionnel pour camoufler leurs divergences, leurs incohérences et leurs contradictions, et pourtant dans un ordre donné dont la séquence produit toujours un certain "effet", quand même celui-ci ne relève d'aucune "intention"... |
| | | free
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| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Mar 20 Juin 2023, 15:55 | |
| Babel : récit de chute ou récit de vocation ?
Une « version collective du péché originel » ?
Avant d’analyser plus en détail les neuf versets d’un épisode dont chacun connaît la trame, il convient aussi de situer le passage dans son contexte biblique.
Le début de la Genèse comporte une première partie, traditionnellement découpée en onze chapitres, qui explique « les origines du monde et de l’humanité ». Aux deux versions de la création qui ouvrent le livre de la Genèse (Gn., I et II) succède une suite de récits qui ont été lus comme des variations sur la « faute16 » humaine et ses terribles conséquences : Adam et Ève sont expulsés du paradis après avoir goûté au fruit défendu (Gn., III), Caïn est maudit pour avoir tué son frère Abel (Gn., IV), l’humanité est frappée par le Déluge parce qu’elle n’observe pas les préceptes divins (Gn., V à VIII).
Dans ce contexte – succession de fautes sanctionnées par des châtiments –, il n’est pas exagéré de dire que l’histoire de la tour de Babel est « donnée à lire » comme une nouvelle version de la Chute. Un bref rappel, sous forme de liste, permet de voir la structure des onze premiers chapitres de la Genèse, ceux que l’on a coutume de qualifier de « cosmogoniques » :
Création du cosmos et de l’homme par Dieu (Gn., I et II, 1-4a)
Seconde version de la création, qui décrit l’existence d’une période édénique, soumise à un interdit (l’arbre) (Gn., II, 4b-25)
Épisode dramatique initial : la Chute (Gn., III)
faute individuelle (le fruit défendu)
bannissement du jardin d’Éden
Deuxième épisode dramatique : Caïn et Abel (Gn., IV)
meurtre d’Abel
malédiction de Caïn
Troisième épisode dramatique : Noé et le Déluge (Gn., V-XI)
climat de haine (« méchanceté des hommes »)
anéantissement de l’humanité (Noé excepté)
alliance entre Dieu et Noé
alliance soumise à un ordre (la dispersion)
Le peuple de Dieu
la dispersion des nations sur la terre après le Déluge (Gn., X)
La tour de Babel, récit rétrospectif lu comme un nouvel épisode dramatique : faute collective suivie d’un châtiment (Gn., XI, 1-9)
la liste des patriarches de Sem à Abraham (Gn., XI, 10-32).
Et l’effet produit par la succession des séquences faute / châtiment est renforcé par le parallélisme qui relie l’épisode du fruit défendu – récit de chute à valeur paradigmatique – à celui de la tour : le chapitre XI vient faire écho au chapitre III, sur quatre points importants au moins.
Tout d’abord, la dynamique de ces deux passages repose sur un effet de rupture. Juste avant que l’homme ne goûte à la pomme fatale, il vivait dans un état édénique : l’acte posé par Ève vient briser l’harmonie entre le créateur, sa créature et la création. De la même façon, l’érection de la tour vient briser un état de paix qui régnait à la suite de l’alliance conclue par Dieu avec Noé : sans être comparable à la béatitude édénique, la promesse divine (« il n’y aura plus de Déluge pour ravager la terre », TOB, Gn., IX, 11), réitérée avec insistance quelques versets plus loin (v. 15), était assimilable, après les turbulences traversées (expulsion du paradis, Déluge), à un nouvel âge d’or.
Ensuite, on peut souligner dans les deux cas le caractère explicite de la transgression : la béatitude d’Adam et Ève était soumise à un interdit (ne pas goûter au fruit défendu), celle de Noé et de ses descendants est soumise à un ordre (se multiplier et « remplir » la terre). Lorsque les bâtisseurs de Babel, hommes de la génération du Déluge, s’arrêtent dans une plaine pour construire une ville et sa tour, cette sédentarisation est contraire à l’ordre divin précédemment énoncé. La transgression suscite alors, dans les deux cas, une forte réaction de Dieu : « Voici que l’homme est devenu comme l’un de nous, pour connaître le bien et le mal ! » ; « Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, tel est le début de leur entreprise ». Surprenante réaction de Dieu, sur laquelle on reviendra au début du septième chapitre de cette étude.
Le châtiment, enfin, s’opère avec une symétrie frappante puisqu’il concerne la façon d’occuper l’espace : la dispersion en nations entraîne la différenciation linguistique. Adam et Ève sont expulsés d’un lieu clos : il leur sera désormais interdit d’effectuer un mouvement centripète pour aller vers cet axis mundi qu’est l’arbre de la connaissance ; il leur est demandé d’aller « au-dehors ». Les « Babéliens », quant à eux, seront expulsés hors de cet « arbre » symbolique, de cet autre axis mundi qu’est la tour-ziggurat, sommés d’effectuer un mouvement centrifuge pour « occuper » la terre.
https://books.openedition.org/ugaeditions/6273?lang=fr |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Mar 20 Juin 2023, 16:56 | |
| La variété des citations convoquées dans ce texte donne le tournis (exégèse plus ou moins classique comme Gunkel ou Westermann, archéologie "biblique" avec Parrot, théorie des mythes avec Eliade, psychanalyse avec Balmary, etc.), mais "en même temps" c'est bien ça que signifie au-delà de toute signification un texte comme "la tour de Babel" -- mishmash, micmac ou méli-mélo, soit l'échec de toute univocité ou sens unique. Au passage, ça me rappelle que le livre d'Hubert Bost (1985), qui avait d'ailleurs sur sa couverture un des tableaux de Bruegel, avait beaucoup marqué ma petite contribution perdue sur le sujet (à Vaux-sur-Seine, vers la fin des années 1980).
Quant à l'affinité entre le second récit de "création" (2,4b--3) et celui de la tour de Babel (11,1ss), il me paraît aussi évident, sans préjudice de datation (car il ne me paraît plus du tout évident, par contre, que ledit Yahviste fût antérieur à quoi que ce soit, contrairement à ce qu'affirme encore benoîtement et péremptoirement la note 17).
Par ailleurs, dans la liste des "accidents cosmogoniques" ou "étiologiques" (les "fautes" ou "chutes" destinées à expliquer "la réalité" telle qu'elle est ou telle qu'elle se présente aux "auteurs" et "récepteurs") il ne faut pas oublier l'histoire des "fils de(s) dieu(x)" (6,1ss), qui tient sans doute une part assez modeste et obscure dans la Genèse, mais essentielle dans d'autres traditions (Hénoch, Jubilés etc.): c'est par là aussi que "l'homme", par les femmes, reçoit la "connaissance" des dieux (comme dans le récit de l'Eden), apprend la violence, la ville et les techniques (comme dans le récit et la généalogie de Caïn, la notice sur Nimrod OU la tour de Babel). Sans parler de la "faute/chute" qui va venir au premier plan de la théologie monothéiste (et néanmoins dualiste), celle du "diable", qui est tout à fait absente de la Genèse. |
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| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Jeu 22 Juin 2023, 14:46 | |
| Jusqu’au ciel !
1 « On projetait pour elle une hauteur prodigieuse : jusqu’au ciel, disait-on. » Voilà ce qu’on rapporte à son propos, écrit saint Augustin à propos d’« elle », dans son célèbre ouvrage De Civitate Dei. Imaginez-vous : une altitude littéralement miraculeuse, au point d’atteindre le ciel ! Le ciel, rendez-vous compte ! « Elle » ? C’est bien sûr, vous l’aurez deviné, de la Tour de Babel que parle l’évêque d’Hippone. « Une tour dont le sommet atteigne les cieux », dit en effet la Genèse.
2 La phrase de la Genèse doit être comprise comme un emprunt critique de l’auteur biblique à la terminologie des inscriptions de temples babyloniens qui lui était à l’évidence familière. De nombreuses inscriptions de temples – autrement dit, de ziggurats – décrivent en effet ceux-ci comme touchant au ciel. Ainsi Nabopolassar, le fondateur, en 626 av. J.-C., de l’empire néo-babylonien, dit-il explicitement d’Etemenanki, la ziggurat de Babylone (c’est elle, la tour de Babel historique), que « son sommet doit atteindre le ciel » et son fils Nabuchodonosor II (605-562 av. J.-C.) en relève le sommet « afin qu’elle rivalise avec le ciel ».
3 « Mais, poursuit Augustin, qu’aurait pu faire la vaine présomption des hommes en élevant vers le ciel contre Dieu une pareille masse à une pareille hauteur, eût-elle dépassé toutes les montagnes, fût-elle montée au dessus des nuages ? En un mot, quel tort pourrait faire à Dieu une élévation, si grande soit-elle, de corps ou d’esprit ? » Pourtant Dieu, curieusement, ne vit pas l’affaire d’un très bon œil. Quand ils entreprirent d’édifier leur tour, les hommes auraient pourtant dû prendre garde au ciel : on n’y touche pas impunément. Les constructeurs de Babel auraient dû, en effet, se méfier, car c’est du ciel, entendu comme siège divin, que vint leur punition. Dieu introduisit la confusion dans la langue des bâtisseurs, et les dispersa de par le monde. C’en était terminé de leur ambitieux chantier.
8 L’historiographe d’expression grecque, Flavius Josèphe, d’origine juive (il s’appelait Joseph ben Mathias), né vers 37 ap. J.-C. à Jérusalem et mort à Rome vers 100 ap. J.-C., est surtout connu par les vingt livres de ses Antiquités judaïques dans lesquels il retrace l’histoire des Hébreux depuis les origines antiques. Josèphe, qui ne manque pas de citer ses sources, au nombre desquelles figurent l’Égyptien Manéthon, le Grec Hésiode ou le Chaldéen Bérose, est l’héritier d’une longue tradition proche-orientale. Il supplée dans son récit au peu de renseignements que fournit la Genèse à propos de la Tour de Babel. Comme instigateur de l’édification de la Tour, il désigne Nemrod, qu’il décrit comme un « homme audacieux, d’une grande vigueur physique » qui se conduit en tyran. Il fournit des explications sur les raisons de cette construction, entreprise, selon lui, pour se protéger d’un nouveau déluge ainsi que par crainte de la dispersion. Il explique également les causes du châtiment divin : le refus des hommes d’obéir à la recommandation de Dieu qui leur conseille de se disperser et le soupçon qu’ils nourrissent vis-à-vis de Lui qui, en leur enjoignant de se disperser, leur tendrait un piège. En outre, Josèphe éclaire l’étymologie biblique de Babylone : « L’endroit où ils bâtirent la Tour s’appelle maintenant Babylone, par suite de la confusion introduite dans un langage primitivement intelligible à tous : les Hébreux rendent confusion par le mot babel. » C’est, à ma connaissance, le premier auteur à fournir cette explication du nom de la ville. Enfin, Josèphe termine en citant le récit de la Sibylle, dont il sera question ci-après. Les ouvrages historiques de Josèphe présentèrent pour les docteurs du Moyen Âge un singulier attrait : nul doute qu’ils ne considérassent les Antiquités comme le commentaire le plus précieux et le plus autorisé de l’Ancien Testament – qu’il suffise de mentionner, à titre d’exemple, ce qu’un Pierre Comestor doit à Josèphe.
16 Le ciel joue dans cette histoire un rôle fondamental. D’une part, c’est le but que se sont fixé les constructeurs de la Tour de Babel : ils voulaient atteindre le ciel. D’autre part, c’est du Ciel que vient la curiosité, puis l’analyse, ensuite la réprobation, enfin la punition divine. En effet c’est du ciel que s’abat sur la Tour le phénomène, quel qu’il soit – vent violent, foudre, ou feu –, qui provoque sa destruction. C’est pourquoi sa représentation au sein des images mérite certainement une attention qu’on ne lui a guère prêtée suffisamment jusqu’ici.
https://journals.openedition.org/gc/2768 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: NIMROD ET LA TOUR DE BABEL Jeu 22 Juin 2023, 16:19 | |
| Merci encore pour cet article très instructif: l'histoire de Babel a inspiré autant les peintres que les théologiens ou les philosophes... A propos du " ciel", il faut se rappeler que la cosmologie de référence a considérablement varié: Josèphe ou saint Augustin ne se font certainement pas la même idée du "ciel" que les "auteurs" ou "premiers destinataires" de la Genèse, qui s'en faisaient peut-être déjà des idées fort différentes, car ce n'est pas tant une question d'époque que de milieu et d'éducation particuliers: tout le monde ne change pas instantanément de cosmologie après Ptolémée ou Copernic. Je me souviens d'une dame portugaise quasi analphabète qui, alors que je montrais la pleine lune à la sortie du "Mémorial" (TdJ), m'avait demandé si la lune que nous voyions à Paris était la même que celle qu'elle voyait au Portugal: abstraction faite de l'"éducation" de type scolaire, sur la seule base de l'observation commune la question était tout sauf idiote... Il va probablement de soi pour un néo-platonicien comme saint Augustin que le "ciel" de "Dieu" n'a rien à voir avec les nuages, mais il ne faut pas présupposer un tel "savoir" derrière tous les textes "bibliques" ou apparentés, qui souvent présupposent plutôt le contraire. Par exemple, que la "montagne sacrée" (ou sainte: Sinaï, Kassios-Tsaphôn, Olympe etc.), dont le sommet est fréquemment dans les nuages, communique avec le "ciel" également météorologique et astral des dieux, qui peuvent par là descendre ou remonter; et que dans une vaste plaine comme la Mésopotamie la ziggourat artificielle joue à peu près le même rôle que la (haute) montagne naturelle, d'ombilic ou d'axe vertical entre le ciel et la terre (cf. à mi-hauteur le temple de Jérusalem sur le mont Sion ou Moriyah, modeste dans son environnement mais élevé au-dessus de toutes les montagnes dans la littérature "prophétique" ou "apocalyptique", au-delà de toute réalité topographique). En tout cas le texte de Genèse 11 ne fait montre d'aucune coquetterie "savante", Yahvé "descend" tout simplement pour voir ce qui se passe, aviser et (ré-)agir en conséquence; de même dans les versions hénochiennes des "fils de Dieu / anges / veilleurs", ceux-ci descendent tout naturellement du ciel sur la terre par le sommet d'une montagne. En un mot le "ciel" ici n'a rien de "méta-physique" -- alors que d'autres textes "bibliques", et pas forcément plus "récents", semblent dissocier le "ciel" de "Dieu" des "cieux" ordinaires, voire "Dieu" de tout "ciel" (p. ex. la prière de Salomon dans 1 Rois 8: toi que les cieux ou les cieux des cieux ne peuvent contenir). |
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