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 Oppositions et contraires

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MessageSujet: Oppositions et contraires   Oppositions et contraires Icon_minitimeMer 9 Oct 2024 - 11:54

Le problème de l'opposition dans la philosophie de Nietzsche
Par Wolfgang Müller-Lauter

« Oh, les faux opposés ! Guerre et « paix » !
Raison et passion ! Sujet et objet !
Ce genre de choses n’existe pas ! »
(FP printemps-automne 1881, 11 [140] ; KSA, 9, p. 493.)

« Tout de même : les oppositions,
les résistances sont requises,
donc, relativement, des unités en croissance... »
(FP printemps 1888, 14 [80] ; KSA, 13, p. 260.)

Depuis toujours, les oppositions immanentes à l’œuvre de Nietzsche ont posé des problèmes à ses interprètes. Certes, dans beaucoup de cas, la confrontation se résout en une succession lorsqu’elle est considérée dans le cadre de l’évolution philosophique de Nietzsche, dont l’organisation habituelle en trois ou cinq phases permet de marquer les bouleversements les plus notables. Mais beaucoup d’aspects inconciliables subsistent, même dans les propos fondamentaux de Nietzsche.

Dans les commentaires, l’échelle des réactions à ce fait s’étend de l’explication selon laquelle l’examen d’une pensée qui manque de cohérence interne ne vaut pas la peine aux quêtes diverses de l’unité interne de sa pensée, et même à la tentative de systématisation après coup, en passant par la conception de Nietzsche comme un philosophe-poète, dont on ne peut attendre nulle rigueur conceptuelle.

Il n’est pas rare non plus que la question de savoir d’où vient que ce philosophe pense par oppositions d’une manière si extrême soit soulevée. On se contente alors souvent de la remarque selon laquelle Nietzsche était en lui-même un homme divisé, déchiré par les contradictions. On trouve matière à pareille conception psychologisante en de nombreux passages de son œuvre. Ainsi écrit-il dans Ecce Homo : « Indépendamment du fait que je suis un décadent, j’en suis également l’opposé » [1]. Ailleurs, il remarque ceci : « Chacun de mes affects aurait pu, à lui seul, me faire mourir. J’ai toujours opposé l’un à l’autre » [2]. Pourtant, si nous suivons les témoignages que Nietzsche porte sur lui-même, nous constatons alors que celui-ci ne cherche pas à résoudre ses oppositions personnelles mais au contraire celles qui marquent les temps modernes de leur empreinte. Il définit sa tâche ainsi, comme le dit une note posthume : « parcourir toute l’orbite de l’âme moderne », « avoir siégé dans chacun de ses recoins » [3].

https://shs.cairn.info/revue-philosophique-2006-4-page-455?lang=fr
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MessageSujet: Re: Oppositions et contraires   Oppositions et contraires Icon_minitimeMer 9 Oct 2024 - 13:39

Etude remarquable (traduction 2006 d'un original allemand de 1999, si je comprends bien la dernière note: Müller-Lauter est mort en 2001) par son étendue, sa documentation, sa précision, sa finesse et sa clarté, sur un "sujet" qui me paraît extrêmement important -- topic plutôt que subjectum, car il y va bien d'une "topique", d'une géométrie métonymique où les "oppositions" ne sont qu'exceptionnellement "diamétrales", se déclinant selon tous les degrés et les azimuts de l'inclinaison, sur un "plan" ou dans un "espace" à trois dimensions ou davantage: il y a une infinité d'infinités de façons d'être "contre", plus ou moins antinomiques; on s'appuie, se soutient, s'adosse, s'arc-boute aussi les uns "contre" ou "sur" les autres "contre" un adversaire ou un ennemi commun, il y a toutes les nuances obliques de la différence, de la collaboration (co-opération, synergie, symbiose) à l'antagonisme, dans une architecture comme dans une stratégie -- tekhnè, ars, artis, arts et métiers de la différence en tout genre, dans une dynamique des forces où le quantitatif se complique toujours en qualitatif.

Cela complète utilement Deleuze, probablement moins lu en Allemagne, qui réagissait aussi par la différence à l'hégémonie "logique" de l'opposition-négation (Hegel etc.), tout en systématisant peut-être Nietzsche à l'excès, sans tenir assez compte de la résistance, pourtant expresse, de ce dernier au "système". Deleuze qui d'ailleurs assumait bravement une étiquette "métaphysique" plutôt infamante en son temps.

J'insisterais davantage, par déformation ex-professionnelle (Nietzsche était aussi "philologue" de formation), sur l'aspect verbal, linguistique, langagier, grammatical de la question: les notions "logiques" d'identité et de contradiction, comme celles de sujet et d'objet, découlent de la langue, de la nomination, des noms communs et des adjectifs, qui annulent les différences du toujours-différent et toujours-singulier: il faut cesser de distinguer un "arbre" ou un "mouton" d'un autre pour nommer au pluriel des "arbres" ou des "moutons", pour pouvoir compter x ou n arbres ou moutons, pour avoir la notion générique de l'"arbre" ou du "mouton" qui n'est aucun "arbre" et aucun "mouton" particulier ni singulier. L'"idée" platonicienne remonte au néolithique (au moins). Et pour trouver au bout de cette langue-logique, dès son premier mot à vrai dire, les apories de la négation et/ou de la contradiction (c'est quoi, un non-arbre ou un non-mouton ? le contraire d'un arbre ou d'un mouton ? autre chose en tout cas qu'un adversaire ou un ennemi "réels" d'un arbre ou d'un mouton, a fortiori de tel arbre ou de tel mouton).

On s'éloigne apparemment par là du titre de la rubrique "religion", mais elle est chez nous si vaste que ça n'a aucune importance, et d'ailleurs on n'a cessé de s'y débattre avec les mêmes problèmes "logiques". Cf. p. ex. ici; ou là.
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MessageSujet: Re: Oppositions et contraires   Oppositions et contraires Icon_minitimeVen 11 Oct 2024 - 10:43

La contradiction dans l’Organon d’Aristote
Par Juliette Lemaire

La définition aristotélicienne de la contradiction est l’opposition d’une affirmation et d’une négation. Cette définition s’écarte de la manière dont Platon concevait la contradiction ou du moins de ce que l’on peut tirer de la lecture des dialogues. Par rapport à ce que l’on trouve chez Platon, la contradiction aristotélicienne est formelle et en un sens dépersonnalisée. En effet, alors que chez Platon, ce sont toujours des personnes qui se contredisent au moyen des discours, des logoi, chez Aristote, ce sont seulement des énoncés qui s’opposent. On peut d’abord noter qu’alors que Platon utilise surtout des verbes pour signifier la contradiction, Aristote emploie plutôt le substantif antiphasis.

Platon ne thématise pas explicitement la notion de contradiction, même si certains dialogues contiennent des arguments à propos de l’impossibilié de contredire et de celle du discours faux. Ainsi dans Euthydème [16], Platon met en scène deux frères, Euthydème et Dionysodore, qui prétendent pouvoir enseigner la vertu. Socrate leur demande de faire montre de leur savoir. Au lieu de cela, les deux frères vont multiplier les sophismes, i.e. les réfutations viciées, face à trois interlocuteurs : Clinias, un jeune homme aux qualités dialectiques certaines, mais encore corruptible, Ctésippe, l’amant de Clinias, caractérisé par une certaine insolence, et Socrate. Au lieu de maîtres de vertu, Euthydème et Dionysodore vont se révéler maîtres en l’art de l’éristique, i.e. l’art de se battre dans les discussions, et de réfuter tout ce qui est dit, le vrai comme le faux. Euthydème va réfuter Clinias qui affirme que le discours faux est possible. Pour ce faire, Euthydème s’appuie sur une équivalence d’origine parménidienne [17]. Selon cette équivalence, dire, c’est toujours dire quelque chose, et dire quelque chose, c’est dire ce qui est. Dire ce qui est, c’est dire vrai. Donc il est impossible de dire faux [18]. L’impossibilité du discours faux a pour conséquence l’impossibilité de la contradiction [19]. Lorsque deux personnes parlent, soit elles parlent de la même chose, et disent la même chose, à savoir qu’elle est, soit elles ne parlent pas de la même chose. Dans les deux cas [20], elles ne se contredisent pas, figure im1, ouk antilegousi – la contradiction est comme introuvable. Platon présente ces deux paradoxes dans Euthydème, mais ne les résout pas explicitement [21]. Dans le Sophiste cependant, Platon rend explicitement raison du discours faux, à partir de la définition du non-être comme autre et de sa conception du logos, discours, comme combinaison, sumplokè, de verbe et de nom [22]. Dire faux, ce sera alors entrelacer, combiner (sumplokein) des choses qui ne sont pas combinées et donc affirmer un état de chose qui n’est pas – par exemple dire de Théétète qu’il vole, alors qu’il est assis. En posant que le discours faux, figure im2, est bien discours sur quelque chose, et qui dit de ce quelque chose des choses qui ne sont pas, et non pas discours sur le non-être absolu, Platon pose les termes décisifs de la solution au problème du faux, et partant, de la contradiction.

Platon ne donne pas de définition explicite de la contradiction, pas plus qu’il ne résout explicitement le paradoxe selon lequel il est impossible de contredire. Cependant, une certaine notion de la contradiction apparaît dans son œuvre au travers de la façon dont il signifie la contradiction. Ainsi, la syntaxe du verbe figure im3 (antilegein) [23] montre que la contradiction est pensée comme opposition de personnes au moyen des discours ou des paroles. Contredire se distingue de figure im4 (legein) parler tout court : parler, c’est parler à quelqu’un et l’un des modes de la parole est l’opposition. Contredire présuppose que deux personnes se parlent et s’opposent par le discours. Il y a une sorte de double transitivité dans la contradiction : lorsque je contredis quelqu’un, je le contredis à propos de ses paroles [24] et par mes paroles. L’objet de l’antilegein serait à la fois l’interlocuteur et le discours ou le quelque chose sur lequel porte le discours de l’interlocuteur. Dans les emplois intransitifs d’antilegein [25], la signification du verbe est alors « parler contre », au sens de répondre. Platon utilise aussi l’expression figure im5 (enantia legein) pour signifier la contradiction, ou du moins le fait de dire des choses contraires [26]. Il s’agit alors de dire le contraire de ce que les autres disent ou pensent, ou bien dire soi-même des choses contraires. Contredire, c’est donc parler contre quelqu’un (la préposition pros + accusatif de la personne, ou bien datif de la personne), au sujet de quelque chose (la préposition peri + génitif), et dire des choses contraires – soit tenir un discours contraire au discours des autres, soit tenir un discours contraire à son propre discours et en soi-même.

https://shs.cairn.info/revue-l-enseignement-philosophique-2008-3-page-3?lang=fr
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MessageSujet: Re: Oppositions et contraires   Oppositions et contraires Icon_minitimeVen 11 Oct 2024 - 14:18

Article (2008) long et difficile, mais il vaut l'effort: par rapport à Platon et à ce qui le précède, Aristote a un côté rébarbatif, laborieux, fastidieux, d'autant qu'on ne le lit pas mais l'imagine à travers les lunettes de ses reprises scolastiques et de leurs avatars modernes, Descartes, Spinoza, Leibniz, Kant et même Hegel qui transpose la "logique" sur un plan "spéculatif" fort éloigné d'Aristote. Effet d'épouvantail qui m'en a longtemps tenu éloigné: ce sont les lectures "actives", mais attentives, de Heidegger qui m'en ont finalement rapproché.

Le plus souvent ceux qui parlent de "logique aristotélicienne", en bonne ou en mauvaise part -- ça m'est arrivé trop souvent, trop longtemps, surtout dans cette dernière "catégorie" si je puis dire -- ne savent pas de quoi ils parlent. Or la question "de quoi parle-t-on ?" est le souci majeur d'Aristote, avec Platon et Socrate contre les "sophistes", mais aussi contre Platon, sa "dialectique" et son "idéalisme". Et si sa "logique" est essentiellement verbale et grammaticale, s'appuyant sur une analyse de la langue et de la syntaxe grecques, s'il la transpose de façon plus hasardeuse aux "choses" ou "étants" dont on parle (il lui manque notamment à ce point la distinction linguistique moderne entre "signifié" et "référent"), il reste très attentif à délimiter son champ ou son aire d'application, de pertinence, de validité: le "vrai" et le "faux", la (non-)contradiction, ne valent que pour une partie très limitée du langage et du discours, celle des "propositions" ou "prédications" du modèle "S est p", sujet est prédicat: pas pour les "futurs contingents", comme on le voit ici (note 56 et le paragraphe correspondant), pas non plus pour tout ce qui est du mode optatif, jussif, cohortatif, impératif ou performatif, du souhait, de la requête, de la prière, de la bénédiction et de la malédiction. La "logique" doit commencer par reconnaître ses limites, où elle commence et où elle s'arrête (autre "topique").

Comme on l'a vu ailleurs, sous l'apparente univocité d'une négation "logique" se cachent, se traduisent et se trahissent une foule d'attitudes, d'intention et de gestes différents et irréductibles les uns aux autres; de même et autrement il y a à chaque mot, nom, adjectif, verbe, "chose" ou "événement", toute sorte de "contraires" et de "contradictoires", d'"oppositions" et d'"antagonismes" qui en font trembler le "sens" en une "polysémie lisse", dont les diverses acceptions ne se laissent ni cloisonner hermétiquement, ni réduire à un sens unique. Au passage, anti-legein est aussi le verbe de "Luc" dans le texte auquel se référait mon dernier lien, sur le "signe de contradiction".

A l'opposé (au contraire, à l'inverse, à la différence ?) d'Aristote on pense spontanément à Héraclite, qui raffolait de l'expression concise des différences, des oppositions, des contradictions et des contrariétés, des paradoxes et des apories en tout genre, notamment sous la forme S est et n'est pas, fait et ne fait pas... Certes on peut toujours développer, expliquer, élucider de façon conforme à une "logique aristotélicienne" de telles formules: S est ou fait dans tel sens, n'est ou ne fait pas dans tel autre sens (comme le faisait, par exemple, Marcel Conche dans ses commentaires d'Héraclite); n'empêche que la formule "ramassée", "enveloppée", "implicite", "obscure" puisque c'était le surnom d'Héraclite (l'Obscur, ho skoteinos) fait ce que ne fera jamais l'explication, elle oblige son lecteur ou son auditeur à s'étonner et à penser par lui-même, au risque de s'égarer, sans même la conduite d'un maître accoucheur comme le Socrate ou l'Etranger qui mène pas à pas la dialectique platonicienne... Ce serait sans doute trop dire qu'une fois "expliquée" elle perd tout son intérêt, comme une plaisanterie ou une contrepèterie, mais il est bien vrai que son intérêt consiste plus dans le chemin à parcourir, dans le processus même de l'explication à trouver ou à inventer que dans son résultat -- comme une parabole avant qu'elle devienne allégorie.
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MessageSujet: Re: Oppositions et contraires   Oppositions et contraires Icon_minitimeLun 14 Oct 2024 - 10:20

Nietzsche et les charmes de la métaphysique « La logique du sentiment »1
James I. Porter

Trop humain : soumis à des contraintes

19Le passage sur le « besoin d’un horizon limité » et le « rétrécissement de la perspective » cité plus haut nous amène au cœur du présent développement. Ce passage ne démontre pas seulement que les caractéristiques fondamentales de la volonté de puissance – en un mot, la tyrannie qu’elle exerce contre la nature et la raison – sont valables uniformément qu’il s’agisse d’agents actifs ou réactifs. Il montre comment les deux types d’agents sont soumis aux mêmes contraintes. En d’autres termes, plus troublants encore, les deux types d’agents sont soumis à la même nécessité d’agir selon la logique de la forme d’action dénoncée — de se conformer à une sorte de « stupidité », d’ « étroitesse » et de « limitation » — et c’est là, dans le même temps, la source de la « puissance » qu’ils ont ou expriment, ou plutôt qu’ils ont le sentiment d’avoir et d’exprimer. J’aimerais montrer à présent que ces contraintes sont, aux yeux de Nietzsche, foncièrement trop humaines et que, en conséquence, les fameux modèles de surhumanité de Nietzsche sont, en fait, des exemples, à un degré élevé, de la condition trop humaine de l’humanité, condition qui est, en définitive, ce que sa « théorie » de la volonté de puissance décrit. Mon argumentation reposera sur l’idée que la philosophie de Nietzsche implique des contraintes si considérables et si insurmontables pesant sur les moyens humains qu’elles excluent les possibilités surhumaines que semble proposer sa philosophie, par ailleurs.

20Considérons tout d’abord l’idée de surhumanité. L’invention séduisante de Zarathoustra, qui, ne l’oublions pas, n’apparaît qu’à une âme ascétique et enthousiaste s’efforçant de se dépasser et ne lui apparaît qu’en rêve, qui plus est32, nous invite à imaginer un Surhomme, c’est-à-dire la possibilité pour l’humanité d’accéder à une perfection future plus grande – éternelle séduction d’une pensée métaphysique irrésistible ainsi formulée : « Tu es davantage, tu es plus grand, tu es d’une autre origine. »33Mais Nietzsche est tout à fait capable de s’opposer à cette idée dans le temps même où il la défend. Ainsi affirme-t-il, dans le même passage, qu’un esprit plus libre doit rester « sourd » à une telle « séduction métaphysique » et que « sous cette peinture flatteuse et ces couches de fard [probité, amour de la vérité, sagesse] il faut reconnaître et mettre au jour l’effroyable texte original : l’homo natura »34. Mais alors en quoi le Surhomme est-il un exemple de « ce texte éternel et fondamental » de l’homme ?

21Immédiatement après avoir déclaré qu’il était impératif de gratter le vernis superficiel pour retrouver cette « pauvre bête nue et fourchue » qu’est l’homme, « pour retraduire l’homme dans la langue de la nature », Nietzsche formule un second impératif : « Faire que dorénavant l’homme se tienne en face de l’homme comme dès aujourd’hui, endurci par la discipline de la science. »35 Mais il y a ici une défaillance logique, d’une part parce que « ce texte éternel et fondamental de l’homo natura » participe lui-même d’une coloration métaphysique de la réalité humaine (la démonstration de Nietzsche est donc entachée de métaphysique) et, d’autre part, parce que la vision que l’homme a de l’homme l’en exclut nécessairement (lois de la perspective obligent, l’homme ne peut absolument pas se trouver face à lui-même, comme le voudrait Nietzsche), tout comme la nature de l’homme est ce qui gêne et brouille sa vision de la nature elle-même (point sur lequel Nietzsche ne manque pas d’insister, lorsque cela l’arrange). Zarathoustra n’est pas dupe : « Jamais encore il n’y a eu de surhomme. Je les ai vus nus tous les deux, le plus grand et le plus petit homme : / Ils se ressemblent encore trop. En vérité, j’ai trouvé que même le plus grand était... trop humain ! »36 Ce qui est sous-entendu, c’est la possibilité, que j’aimerais examiner à présent, que le surhomme — le concept même de surhomme – soit lui aussi « trop humain ».

22Comment se dépasse-t-on ? La réponse de Nietzsche est contenue dans l’impératif paradoxal : « Deviens ce que tu es. » On serait tenté ici de lui objecter sa propre objection : « Comment vous serait-il possible de ne pas le faire ? A quoi bon ériger en principe ce que vous êtes vous-mêmes, ce que vous ne pouvez pas ne pas être ? »37 En se prenant lui-même comme modèle, Nietzsche affirme, sur un mode hyperbolique assez théâtral, qu’il est parvenu à l’extraordinaire diversité qu’il est en étant devenu ce qu’il est. C’est cet aspect de la pensée de Nietzsche qui a le plus fasciné ses lecteurs, ce qui se conçoit aisément. Nous sommes tous un fragment de chaos (comme il le concède ailleurs), et qui ne préférerait pas se voir comme un « tout » potentiellement cohérent ? D’où cette opinion commune sur Nietzsche : « La masse dépourvue de sens philosophique et artistique demeure animale, tandis que l’homme qui se dépasse, en sublimant ses impulsions, en consacrant ses passions et en donnant du style à son caractère, devient authentiquement humain ou — comme dirait Zarathoustra, qu’enchante le mot über — surhumain. »38 Le dépassement et le reniement de soi seraient donc la manière dont on « s’affirme » pour devenir ce que l’on est ?

https://journals.openedition.org/rgi/718#tocto1n2
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MessageSujet: Re: Oppositions et contraires   Oppositions et contraires Icon_minitimeLun 14 Oct 2024 - 11:54

Nietzsche se contredit tellement qu'on ne peut guère le contredire sans le confirmer et se contredire soi-même: ses seules dupes seraient les "nietzschéens" qui ont tenté de faire du nietzschéisme une doctrine, une vérité, un système cohérent -- malgré les mises en garde expresses du maître qui voulait et ne voulait pas, comme eût dit Héraclite, en être un...

Mais arriver à ne rien dire, à force de se contredire, tout en faisant effectivement penser, et sentir, à chaque phrase, ce ne serait pas rien... -- ce qui nous ramènerait au "nihilisme" que Nietzsche n'a cessé de dénoncer, de débusquer, de traquer, de cerner, de démasquer, sous ses contraires apparents (la religion, la sagesse, la philosophie, la morale, la raison, la science "positive"), jusqu'en lui-même et dans son "oeuvre"; et qu'il aurait peut-être "réalisé", si l'on peut dire, mieux que personne, justement parce qu'il n'a pas fait de la contradiction ou de l'opposition un "système" ou une "méthode", un "instrument" ou un "outil" (fût-ce un marteau) manipulé par un "sujet" transcendant, un maître qui resterait au-dessus et indemne de sa propre pensée, mais parce qu'il en a lui-même joué le jeu sincèrement, avec le sérieux du jeu, du rire et de la danse, lucide dans l'illusion jusqu'à la "folie" incluse, si tant est qu'elle se laisse inclure, enclore ou enfermer quelque part...

Comme je l'ai déjà raconté, je ne suis venu à la lecture de Nietzsche que tardivement et à reculons, avec crainte et tremblement, comme à un ennemi redoutable, non seulement du christianisme et d'une certaine idéologie "progressiste" auxquels je me sentais encore "sentimentalement" attaché, mais de ce que j'étais ou croyais être sur un plan encore plus "personnel": quelqu'un de plutôt "faible", "négatif", "réactif", au moins par certains côtés, tout ce qu'aurait détesté un Nietzsche selon l'idée que je me faisais de lui avant de le lire. Peu à peu la réticence s'est changée en un plaisir croissant, et durable: ça n'a pas fait de moi un "nietzschéen", sinon par moments: nietzschéen d'une phrase et d'une heure, il n'en faut pas plus pour aller son chemin, avec, contre ou sans Nietzsche...

(Je ne sais pas si c'est une recherche automatique qui a fait glisser tes soulignements du "contraire" à la "contrainte", mais il est clair que la "liberté" est un terrain privilégié pour la contradiction et les oppositions, surtout dans un XIXe siècle écartelé entre un scientisme déterministe et une morale du "libre-arbitre". Et le "principe logique de (non-)contradiction", tout comme les oppositions, inimitiés, hostilités, rivalités ou antagonismes "réels", est un système de contraintes. Quoi qu'il en soit tout cet article mérite d'être lu.)
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MessageSujet: Re: Oppositions et contraires   Oppositions et contraires Icon_minitimeLun 14 Oct 2024 - 15:29

Citation :
(Je ne sais pas si c'est une recherche automatique qui a fait glisser tes soulignements du "contraire" à la "contrainte", mais il est clair que la "liberté" est un terrain privilégié pour la contradiction et les oppositions, surtout dans un XIXe siècle écartelé entre un scientisme déterministe et une morale du "libre-arbitre". Et le "principe logique de (non-)contradiction", tout comme les oppositions, inimitiés, hostilités, rivalités ou antagonismes "réels", est un système de contraintes. Quoi qu'il en soit tout cet article mérite d'être lu.)

Quand j'ai lu le texte, j'y ai vu "contraire" au lieu de "contrainte" ...
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MessageSujet: Re: Oppositions et contraires   Oppositions et contraires Icon_minitimeLun 14 Oct 2024 - 15:43

Pas de problème: l'article parlait avant tout de contradiction et les deux notions, bien que distinctes, sont liées, par le sens et l'usage sinon par l'étymologie: con-stringere, lier ensemble, et contrarius, de contra, "contre" -- déjà le double bind ou la double contrainte des contraires. Comme l'arc et la lyre, dirait Héraclite -- non seulement par leur usage, différent, contraire si l'on veut, mais par leur structure commune qui repose sur la tension d'une corde entre deux opposés...
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MessageSujet: Re: Oppositions et contraires   Oppositions et contraires Icon_minitime

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