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| négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12452 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Sam 15 Fév 2020, 13:54 | |
| Qui veut me suivre (venir derrière ou après moi), qu'il se renie lui-même (Marc 8,34//) Avant que le coq (n')ait chanté deux fois, tu m'auras renié trois fois (...) -- Même si je devais mourir avec toi, je ne te renierai(s) pas. Et tous les autres disaient de même (14,30ss//) Mais quiconque me renie devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père qui est aux cieux (Matthieu 10,33//) Il confessa, ne (re)nia pas mais confessa, (que) je ne suis pas le Christ (Jean 1,20) Qui est le menteur, sinon celui qui (re)nie que Jésus (n')est (pas) le Christ ? Tel est l'anti-christ, qui (re)nie le Père et le Fils. Quiconque (re)nie le Fils n'a pas non plus le Père; quiconque confesse le Fils a aussi le Père (1 Jean 2,22s). Si nous renions, lui aussi nous reniera. Si nous sommes infidèles (ou: sans foi), il demeure fidèle: il ne peut pas se renier lui-même (2 Timothée 2,12s). Ce petit échantillon de négations retorses -- sac de "ne", "ne" de vipères ? -- qui se nient comme elles se nouent, réciproquement ou réflexivement, sélectionnées presque au hasard parmi les occurrences du verbe arneomai et de son composé ap-arneomai (à peu près interchangeables dans leur usage néotestamentaire et dont les nuances éventuelles ne correspondent pas, en tout cas, à ce qui distingue en français "nier", "renier", "dénier", "renoncer" etc.), compliquées encore par la syntaxe grecque quelquefois redondante ou ambiguë qui redouble ou non la négation ("nier que... ne ... pas") sans en faire pour autant une affirmation comme notre double négation, forme un "objet intertextuel" remarquable, si l'on veut bien faire un instant abstraction de leurs contextes (évangiles synoptiques et johannique, épîtres johannique et pastorale) et référents (Jésus, Dieu, Pierre, Jean-Baptiste) respectifs qui sont par ailleurs bien connus. Peut-être plus à contempler ou à méditer qu'à analyser ou à interroger, encore que l'un n'empêche pas l'autre, même si on ne peut pas tout faire en même temps. Qu'est-ce qu'un non, qu'est-ce que nier, renier, dénier, renoncer, dénoncer, etc. ? s'il se peut que cela arrive jamais, ou n'arrive jamais ? --- Il me semblait avoir déjà esquissé quelque part -- ici, mais je ne l'ai pas retrouvé tout de suite, alors j'ai recommencé, un peu autrement -- une réflexion sur la polysémie insoupçonnée de la négation, opérateur technique et mystérieux, a priori indispensable ( sine qua non), du langage (on ne peut guère imaginer de langue sans quelque forme de négation). Sous la surface unie et plate d'un simple "non" qui en vaudrait toujours un autre, se presse une foule de verbes, de substantifs, d'adjectifs, d'adverbes, d'actions, de passions, d'opérations, d'affections, de gestes, d'images et de sentiments fort divers. Dire "non", cela peut ressembler à tuer, à frapper, à attaquer, à (se) défendre, à démolir, à arracher, à abattre, à renverser, à brûler, à noyer, à enterrer, à volatiliser, à engloutir, à vomir, à jeter, à rejeter, à renvoyer, à empêcher, à éviter, à écarter, à fuir, à réprimer, à corriger, à couvrir, à cacher, à raturer, à effacer, à laver, à annuler, à abolir, à oublier, à réserver, etc.; et ce serait à chaque fois tout autre chose, bien que tout cela se confonde sous le concept, si c'en est un, de "pure" négation "logique" -- concept moins facile à concevoir qu'il n'en a l'air. Qu'est-ce que, que fait, d'où vient, où va, que vise ce non qu'il n'y a pas "dans la nature", hors langue, hors discours et hors texte, pas plus que de nom ni de nombre d'ailleurs ? Entre Parménide, οὐκ ἔστι µὴ εἶναι, "il n'est pas de ne pas être", et Maître Eckhart: daz niht in der helle brinnet, "c'est le non (le néant, le rien ?) qui brûle en enfer", il y aurait de quoi penser. (Voir aussi ici et là.) |
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| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Lun 17 Fév 2020, 11:35 | |
| Ainsi les justes (ceux qui sont sur la voie de Dieu) sont-ils pour Eckhart « ceux qui sont complètement sortis d’eux-mêmes et qui ne recherchent plus rien de leur en aucune chose, quelle qu’elle soit, petite ou grande ; qui ne cherchent rien ni au-dessous d’eux, ni au-dessus d’eux, ni à côté d’eux, ni même en eux ; qui ne visent ni bien, ni gloire, ni agrément, ni plaisir, ni intérêt, ni intériorité, ni sainteté, ni récompense, ni royaume des cieux, mais qui sont sortis de tout cela, de tout ce qui est leur : c’est de ces gens que Dieu reçoit sa gloire ». Eckhart nous dit que, sur le chemin vers Dieu, toute volonté doit être abandonnée entre ses mains et vouloir ceci ou cela est vacuité : enfer ou paradis, vivre ou mourir, tout est égal à l’homme dans la juste position.
Maître Eckhart a théorisé ce Gelassenheit, couplé à un apophatisme radical, c’est-à-dire à l’idée que l’approche de Dieu n’est possible qu’à partir de ce qu’il n’est pas, plutôt que dans la positivité de ses attributs.
Le but d’Eckhart est d’atteindre ce qui ne se donne pas, un « quelque chose » qui se dérobe à la pensée et qui disqualifie toute qualité. Cela est rendu possible par un certain usage du langage et une certaine mise à mal de l’instance moïque : il s’agit d’atteindre le rien, le vide, le néant pour en faire jaillir autre chose.
Il faut deux temps : celui de la connaissance et celui de sa négation. Ce que je vois, je sens, je sais, ce n’est pas cela qui fait que je sache le divin. Autrement dit, il ne s’agit pas de laisser tout effort de connaissance, mais il s’agit de s’engager dans la ténèbre divine : c’est dans un dépassement de l’intellect que le but de la quête se situe, dans un au-delà de toute raison. Nous voyons qu’il s’agit non pas de se détourner de toutes les manifestations du créé, mais de faire usage de la « docte ignorance » pour remonter, par un travail de négation, vers le caché. https://www.cairn.info/revue-psychanalyse-2011-1-page-65.htm |
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| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Lun 17 Fév 2020, 13:30 | |
| Ce qui est assez remarquable, en ce qui concerne le présent "sujet", non seulement chez Eckhart mais dans toute la théologie "négative" ou "apophatique", comme ses qualificatifs l'indiquent, c'est qu'il faut un supplément de négation, et toujours plus d'un selon la logique inflationniste du supplément, pour mettre en évidence et en question le rôle ordinaire de la négation dans toute affirmation, en l'occurrence dans une théologie supposée "affirmative", "positive", "cataphatique" ou "apophantique"; il faut du "non" pour la "déconstruire" comme il en faut pour la "construire". On n'affirme rien sans nier le contraire, et tous les contraires, et à la limite tous les autres de ce qu'on affirme, c'est une violence et un abus congénitaux au langage et à la logique mêmes, dont on ne sort pas sans s'y avancer ou s'y enfoncer davantage; dont on ne sort pas, donc, sauf à entraîner, par l'excès même de l'excès, l'effondrement du tout, de son oui et de son non, de son dehors et de son dedans.
Leibniz disait, en substance, que les systèmes sont vrais par ce qu'ils affirment et faux par ce qu'ils nient, mais cela encore est une négation subtile; et retorse par définition.
Je renvoie encore, car je l'ai certainement déjà fait et plus d'une fois encore, à un texte remarquable de Derrida consacré à la "théologie négative" et notamment à Eckhart, intitulé "Comment ne pas parler. Dénégations" (dans le recueil Psyché. Inventions de l'autre II, Galilée 1987-2003). II. On ne le trouvera probablement pas en ligne, mais il y est abondamment commenté. |
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| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Lun 17 Fév 2020, 15:49 | |
| En allant toujours plus loin, la théologie apophatique témoigne du plus intense désir de Dieu
Dans la théologie négative, dite aussi apophase, qui parle? Qui produit ces sentences, ces verdicts, ces déclarations? Celui qui désire témoigner d'un désir de Dieu. Dans cette formulation, le génitif est double. Il y a du désir pour Dieu, et aussi du désir chez Dieu. A ce Dieu dont on ne peut rien savoir, on suppose un désir. Lequel? Il se pourrait que Dieu désire qu'on ne sache rien de lui, ce qui légitimerait la théologie négative et aussi une certaine langue poétique, métaphorique, un désir de beauté à la façon d'Angelus Silesius. L'auteur apophatique (par exemple Denys l'Aréopagite, Maître Eckhart) s'adresse à un autre qui l'entend. Ce peut être un disciple ou celui qui est appelé à devenir disciple, celui qui ne sait pas encore, le futur initié. Pour s'adresser à Dieu, il apostrophe ce disciple. Il se tourne vers l'autre pour le tourner vers Dieu, et aussi pour se tourner vers Dieu. Il faut que sa confession soit publique (passage à l'acte, performatif), qu'elle s'adresse aux frères en même temps qu'à Dieu. Une conversion n'exige aucun savoir - si ce n'est le savoir d'un non-savoir, l'accord irréductible au plus secret du secret. Ce n'est pas un faire savoir, c'est un "acte de charité, amour et amitié dans le Christ" (p23). Pour qu'un témoignage survive, il faut qu'il soit écrit, comme celui de Saint Augustin. Un livre est une trace pour les frères à venir, il est l'archive d'une confession qui a déjà eu lieu mais qui suscitera, après, l'amitié ou l'amour des lecteurs. https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-1803101225.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Lun 17 Fév 2020, 18:52 | |
| (Parmi les fils connexes je repense à celui-ci. D'autre part j'ai retrouvé le texte de Derrida dont je parlais à la fin de mon post précédent, et que j'avais lu il y a une dizaine d'années: j'y reviendrai peut-être d'ici quelques jours.) |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Sam 22 Fév 2020, 13:24 | |
| Reprise après relecture, donc, de ce texte passionnant mais que je ne tenterai surtout pas de "résumer" (encore une négation, sinon une renonciation); il s'était partiellement confondu, dans ma mémoire de plus en plus confuse, avec d'autres du même auteur, notamment Sauf le nom qu'il me faudrait aussi relire. Le présent fil s'est trouvé entre-temps, ici même, en croiser plusieurs autres -- sur l'épître aux Hébreux et sa logique (quasi, simili-)platonicienne du "dépassement", allégorique et dialectique, qui conduit à sa façon, comme des "ombres" aux "choses" ou aux "corps", des "hypodigmes" ou "antitypes" terrestres aux "paradigmes" et "types" célestes, et encore sur sa lancée au-delà de tout "ciel", de toute typologie ou typographie céleste, de toute représentation et de tout langage; ou sur le paradoxe formel du nom au-dessus de tout "nom" (Philippiens, Colossiens; p. ex. ici, 19.2.2020) qui pointe autrement vers un au-delà de la nomination, et encore du langage... Ce que je voudrais tenter de souligner, en rejoignant peut-être là un des gestes de Derrida, c'est que le mouvement "sublime", ascendant, superlatif ou hyperbolique de la "théologie négative", qui en niant et déniant toute "prédication" positive ou affirmative sur "Dieu" ("Dieu" est ceci ou cela, sur le modèle " S est p", avec S pour sujet et p pour prédicat), tend vers un "au-dessus" ou un "au-delà" du langage et de la représentation (du symbolique et de l'imaginaire pour parler comme Lacan), atteste aussi par-devers elle et malgré elle une provenance d' en-deçà du langage et de la représentation. Dieu au-delà ou au-dessus de "Dieu", c'est aussi, indéniablement (ce qui revient à dire, par un doublement retors de la négation, qu'on ne peut que le dénier), une sorte de retour à l'indéterminé logiquement préalable à tout "dieu", à tout "monde", à tout "être", à toute "chose", à tout "nom", à toute "forme", à toute "image" -- ce fond sans fond que les mythologies anciennes désignaient comme "abîme", "mer", "océan" et "ténèbre" (cf. Apsu et Tiamat en Mésopotamie, Yamm à Ougarit), incréés jusque dans le premier chapitre de la Genèse; qui trouve aussi une "traduction philosophique" dans l' apeiron d'Anaximandre, le fond indéfini et indifférencié d'où se détachent et où se résorbent toutes les différences, et peut-être dans la khôra de Platon, l'espacement originaire indispensable à l'inscription même de "types" ou d'"idées" avant toutes "choses"; "fonds négatifs" indiscernables par là même, par la même indéfinition, de tous les "absolus positifs" comme "l'être" pur de Parménide. Dans la logique d'un monothéisme ce fond sans fond ne pouvait, à la lettre, qu'être réduit à rien au sens le plus strict, le nihil d'une creatio ex nihilo. Au commencement rien, ou "Dieu" seul, mais impensable et innommable, indiscernable du "rien" qui l'accompagne comme son ombre, sans être "avec" ni "autre chose". "Dieu et rien", le même abîme dans la conjonction "et" que dans les deux autres termes qui ne peuvent être nommés et distingués, a fortiori juxtaposés, qu'après coup. A cet égard Eckhart paraît plus lucide et déjà plus "moderne" que le pseudo-Denys, qui semblait cantonner la via negativa à la "méthode" ou au "moyen" paradoxal d'un progrès ascensionnel: par le "non" toujours en avant, toujours plus haut. Bien avant Hegel ou Heidegger, Eckhart fait en effet apparaître l'équivalence imparable de l'"être pur" et de l'"être rien" en amont ou en-deçà de la nomination de "Dieu" et a fortiori de sa différenciation trinitaire: "avant" d'être nommé "Père", "Fils" ou "Saint-Esprit" il est "Dieu", "avant" d'être nommé "Dieu" il "est", tout court, ce qui revient à dire qu'il n'est rien de nommable, donc qu'"il" n'est pas puisqu'il n'y a pas même de "sujet" pour se distinguer d'un "verbe être", qui dès lors ne veut plus rien dire; même si cet "avant" est purement logique et non chronologique parce qu'il y va, suivant le dogme, de "relations éternelles"; mais le mystère trinitaire peut être aussi une autre façon de ne pas parler de "Dieu", du moins de ne pas le rapporter à "l'être" (c'est entre autres l'hypothèse du Dieu sans l'être de Jean-Luc Marion avec qui Derrida dialogue un peu, où l'"être" dériverait de la relation et non l'inverse; variante "chrétienne" de l'"autrement qu'être" de Levinas). Cela me ramène, par un chemin improbable, aux textes que j'ai cités au début, en mêlant délibérément (mais pas plus que les textes eux-mêmes) négations, dénégations, reniements, renonciations, dénonciations "bons" ou "mauvais", "positivement" ou "négativement" connotés. On pourrait en dire autant des mouvements qui en résultent, "progrès" ou "régression", "avancée" ou "recul", "montée" ou "descente" à chaque fois ambivalents: présumés "bons" ou "positifs", la descente ou l'abaissement du Fils ou de Dieu même dans l'incarnation ou la kénôse, ou ceux du disciple qui se renie lui-même et s'humilie pour servir; "mauvaises" ou "négatives" en revanche, la "chute" du diable ou celle d'Adam; bonnes, l'élévation, l'ascension, la glorification du Fils ou du disciple après la mort, mauvaise celles de l'orgueil du diable ou d'Adam se voulant égal de Dieu... pourtant dans tous les cas il y va de négations (etc.) qui se ressemblent comme deux gouttes d'eau; la négation choisit-elle son sens (directionnel), ascendant ou descendant, progressif ou régressif ? Et le sens (moral, bon ou mauvais, positif ou négatif dans un autre sens encore) de ce sens ? Ne s'abandonne-t-elle pas (interro-négative perverse s'il en est), si tant est qu'elle s'abandonne, à tout sens ou non-sens possible ? A la dissémination même (pour employer un autre mot que Derrida a beaucoup travaillé, dans le sens du "séminal" et du "sémantique", du latin semen et du grec sèma) ? |
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Nombre de messages : 10095 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Ven 12 Mar 2021, 14:40 | |
| Que le disciple opte pour son maître !
Ainsi dans le dit transmis par Jn 12, 26a, Jésus aura utilisé un vocabulaire qui pouvait être compris du disciple ou du serviteur du maître, et qui caractérisait la communauté de vie entre le maître et le disciple, comme dans les écrits rabbiniques. Il aura exhorté celui qui le servait, son disciple, à le suivre.
La tradition évangélique s'est souvenu que Jésus a été délaissé des foules (Jn 6, 66). Il a dû faire face à l'opposition des responsables juifs et envisager une perspective d'échec et de mort (30). A un moment où peu de disciples restaient autour de lui (Jn 6, 67-71), n'aurait-il pas demandé à ceux qui lui étaient fidèles d'opter pour lui et pour sa cause ? Que celui qui le sert, c'est-à-dire que celui qui est son disciple, le suive jusqu'à la fin ! Telle serait la requête exigeante du maître. Les confessions de foi transmises par certaines péricopes évangéliques fortement travaillées (Me 8, 29 ; Jn 6, 68-69) traduiraient à leur manière la réponse des disciples.
Par cette exigence Jésus se démarque pourtant du judaïsme contemporain. En effet, il requiert de son disciple un attachement à sa cause et à sa personne, alors que dans le judaïsme contemporain, le disciple vit avec le maître pour s'initier à la Torah.
Si Jésus a demandé à ses disciples d'opter pour lui et pour sa cause, après sa mort et sa résurrection, on aura compris cette exigence à la lumière de sa destinée. Les disciples ne devaient-ils pas être comme lui (cf. Mt 10, 25) ? Pour le service de sa parole (Ac 6, 4) ou de son évangile (Ep 3, 7 ; Col 1, 23) ils subirent des représailles et ils affrontèrent les épreuves de la mission. Ils rendirent témoignage à Jésus et comprirent leurs peines et leurs souffrances à partir de celles du maître. C'est ce que Paul dit en Ga 6, 1 1-17 ...
... Dans parole transmise par le document Q, on aura interprété en fonction du disciple un terme en Jn 1 2, 26 par le verbe « diakoneô », comme dans le logion de Mt 10, 24-25a (Le 6, 40). On aura aussi explicité comment il faut être disciple de Jésus en imitant le maître par le port de la croix. C'était un aspect important de la catéchèse chrétienne ...
... Marc (Me 8, 34) ajoutera que celui qui veut suivre Jésus doit se renier lui-même. Pour la cause du maître et de l'évangile, le disciple devra donner sa vie, et ce qui fait sa vie. Marc insiste ainsi sur l'exigence du don de la vie.
En Le 9, 23, Luc relira le dit de la triple tradition en précisant qu'il faut porter sa croix chaque jour, c'est-à-dire en portant son poids d'épreuves quotidiennes.
En Jn 12, 26 on aura compris le dit en fonction de la condition du disciple qui serait là où serait son maître. Il aurait à vivre la destinée de celui-ci qui annonçait l'arrivée de l'heure de la glorification du Fils de l'homme et la mort du grain jeté en terre, porteuse de fruit. https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1995_num_69_1_3298 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12452 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Ven 12 Mar 2021, 15:35 | |
| Exemple attardé (1995), mais toujours exemplaire, du genre d'"archéologie fantastique" qui a fait fureur dans l'exégèse du NT des années 1950 à 1970: il ne s'agissait plus de lire les textes, mais de remonter aux "dits", de logia en ipsissima verba, d'un "Jésus historique" qui devait causer araméen et ressembler comme un frère aux rabbins du Talmud (postérieur de plusieurs siècles et de tradition essentiellement pharisienne, mais peu importait en ces temps de judéophilie tous azimuts qui voulaient compenser deux millénaires d'antisémitisme et leur apogée nazi). Cela ferait aujourd'hui sourire (pas tout le monde), mais en attendant ça a quand même rempli des kilomètres de rayons de bibliothèques, universitaires ou "grand public"...
En l'espèce, on aboutit ainsi à l'exact opposé du propos de Jean 12 (première grande conclusion du livre, pour rappel), où le "moi" de "Jésus" se dissocie de toute "identité" humaine, historique, individuelle, ethnique et linguistique, pour être paradoxalement vu de tous (relire tout le chapitre, sans oublier les "Grecs"). Les "disciples" doivent le perdre tout autant que se perdre pour se retrouver autrement avec lui, lui en eux et eux en lui (cf. les développement successifs de la seconde partie du livre, surtout chap. 14ss). |
| | | free
Nombre de messages : 10095 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Ven 12 Mar 2021, 16:40 | |
| "Cette parole est certaine : si nous sommes morts avec lui, nous vivrons aussi avec lui ; si nous persévérons, nous régnerons aussi avec lui ; si nous le renions, lui aussi nous reniera ; si nous manquons de foi, lui demeure digne de foi, car il ne peut se renier lui-même" (2 Tm 2.11-13).
Le verset 12, exprime la notion de "reniement contre reniement" comme en Mt 10.33 : "Quiconque donc se reconnaîtra en moi devant les gens, je me reconnaîtrai moi aussi en lui devant mon Père qui est dans les cieux ; mais si quelqu'un me renie devant les gens, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est dans les cieux" et Lc 12.9 : "mais celui qui m'aura renié devant les gens sera renié devant les anges de Dieu". Ces textes interroge la nature de la fidélité divine. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12452 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Ven 12 Mar 2021, 17:11 | |
| Ce qui rend fascinant le texte de 2 Timothée (citation ostensible -- les citations des Pastorales, Timothée-Tite, sont à mon goût ce qu'elles ont de meilleur -- mais citation de quoi ? Hymne, liturgie, poétique et rythmée en tout cas), c'est la rupture de symétrie ou l'effet de syncope, comme on dit en musique du baroque au jazz, effet de surprise: bercé par la répétition régulière d'un motif, on attend quelque chose et ça ne vient pas, c'est autre chose qui vient, à la place et en retard, différent-différé. On attend "infidèle : infidèle" et c'est le contraire qui arrive, sans qu'on sache si ça vient du texte ou de la citation, si c'est à prendre en bonne ou en mauvaise part, si la "fidélité" ou "fiabilité" du Dieu-Christ est favorable ou non à l'"infidèle-incroyant" (tout cela à la faveur de l'ambiguïté de pisteuô / a-pisteuô, pistos / a-pistos, croyant / incroyant OU fidèle / infidèle, fiable / non fiable, crédible / non crédible ... et ce n'est pas l'"intention" de l'auteur, quand même on pourrait la deviner, qui empêcherait la ritournelle de tourner, en rond et pas tout à fait rond. Soit dit en passant, et en rapport avec une autre discussion récente ( ici à partir du 7.3.2021), on peut remarquer ici une autre impossibilité divine, une impuissance du Tout-Puissant, Christ ou Dieu, les Pastorales ne font plus la différence: il ne pourrait pas se renier lui-même, alors que c'est précisément ce qu'il nous demande selon les Synoptiques (cf. le post initial)... |
| | | free
Nombre de messages : 10095 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Sam 13 Mar 2021, 09:42 | |
| Merci infiniment Narkissos pour tes commentaires passionnants.
Si nous sommes morts avec (lui), avec (lui) nous vivrons (11b). Si nous persévérons, aussi avec (lui) nous régnerons (12a). Si nous (le) renions, lui aussi nous reniera (12b). Si nous sommes infidèles, lui demeure fidèle (13a), Car il ne peut se renier lui-même (13b) (2 Tm 2.11-13)
Nous employons le terme « poème », car la forme est manifestement poétique. On peut même préciser : une poésie de facture sémitique (parallélismes et antithèses), mais manifestement rédigée en grec, car elle n’a rien d’une traduction. Certains préfèrent désigner ces versets comme « un hymne », ou « une confession de foi ». Étant donné qu’on ignore l’origine de ce morceau, dont on a de bonnes raisons de penser que Paul l’a repris et ne l’a pas rédigé lui-même (sauf, de l’avis de beaucoup, la dernière phrase sur la fidélité divine, qui se détache de la structure du poème proprement dit), on reste dans l’incertitude sur son cadre et sa fonction originels. On est frappé par la concision et la vigueur de l’expression, encore plus remarquable dans le texte grec (en français, on est obligé d’expliciter par des compléments : « lui », « le »), qui se prête admirablement à la mémorisation et à la récitation communautaire …
… Il n’est pas le seul à s’interroger sur le rapport entre 12b et 13. L’attention des commentateurs se fixe sur le sens et la place des verbes « renier » et « être infidèle », mais c’est la portée théologique de l’ensemble de cette deuxième partie du poème qui, en définitive, se trouve en cause. A. Weiser, dans son commentaire sur les Pastorales, distingue 5 propositions (il ne prend pas en compte celle de Dornier).
• On a la thèse d’une contradiction. W. Schenk (Die Briefe an Timotheus I und II und Titus) n’hésite pas à voir une contradiction entre l’attestation de la fidélité divine en 13b et le jugement radical du Christ sur les reniements en 12b. Il y aurait, en fait, une critique en 13b de l’idée de « vengeance » inscrite dans la parole de Jésus en Mt 10.33. Pour éviter la contradiction, il faudrait que le reniement annoncé en 12b ne soit pas une condamnation ultime … http://flte.fr/wp-content/uploads/2015/09/ThEv_2011-1-Mini-poeme_pr_dble_fidelite.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12452 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Sam 13 Mar 2021, 11:22 | |
| S. Bénétreau, toujours fiable lui aussi, déploie fort bien les implications ambiguës du texte (il faut le lire jusqu'à la fin pour ce qui concerne le rapport de 12b et 13).
Une citation, poétique ou non mais surtout poétique, déborde par définition son "contexte", si l'on entend par là le texte qui la cite; elle renvoie à un autre (con-)texte, le sien, "source" que les destinataires peuvent connaître, mais qu'en l'occurrence nous ne connaissons pas du tout: chant, récitation d'une liturgie probablement chrétienne, mais qui, pour ce qui est de l'extrait cité, conviendrait aussi bien à n'importe quel "mystère" de n'importe quelle communauté en communion avec son dieu-sauveur: le référent des pronoms existants n'est pas explicité ("lui" pour le démonstratif lointain ekeinos, "celui-là", désignation habituelle du Christ dans les épîtres johanniques, là où le Christ n'est plus présent comme "personnage"; cf. aussi beaucoup plus tard le ekei de Plotin, "là-bas" pour toutes les références à l'Un comme "au-delà (ep-ekeina de l'être [de l'essence, de l'étantité]", epekeina tès ousias), et rien n'oblige à suppléer un pronom où il n'y en a pas (aux v. 11b-13a on pourrait parfaitement comprendre les formules en sun- comme des expressions communautaires, mourir ensemble, vivre ensemble, régner ensemble, sans référence explicite au dieu-sauveur). On retrouverait foncièrement le même type de décalage entre toutes les citations "poétiques" et leurs contextes "prosaïques" respectifs ("hymnes" de Philippiens, Colossiens, Ephésiens, ou encore Prologue de Jean), mais ce décalage est plus ou moins sensible et saisissant selon les cas, en fonction du rapport variable, de nature et de qualité, entre le texte cité et le texte citant -- dans le cas des Pastorales dont la pensée ne brille ni par son originalité ni par sa profondeur (à mon goût bien sûr), c'est le jour et la nuit, et il ne faut attendre aucun "éclaircissement" du "contexte"... (cf. le cas fameux de Tite 1,12, où l'auteur cite un topos philosophique devenu proverbial, le paradoxe du menteur, sans le comprendre).
Reste qu'en-deçà et au-delà de toute interprétation précise, de la signification originelle du texte cité et de l'éventuelle intention du citateur, la rupture formelle entre 12b et 13 est significative: la symétrie rétributive (oeil pour oeil, dent pour dent, si nous le renions il nous reniera, cf. p. ex. 2 Samuel 22,26s//) ne peut pas être le premier ni le dernier mot d'un dieu créateur et sauveur, de l'origine et de la fin, le "jugement" si rigoureux soit-il ne peut être que second et avant-dernier -- en-deçà et au-delà, "tout est grâce"; avec ou sans "dieu" et "salut" d'ailleurs. C'est l'impossibilité structurelle, abysso-fondamentale, l'impuissance radicale de "Dieu" (qui ne peut se renier, mentir ou mourir) plus originaire en un sens que toute puissance d'un "d-Dieu" tout-puissant qui pourrait aussi se renier, mentir ou mourir). Cela, l'"auteur" de 2 Timothée ne l'a certainement pas pensé mais il l'a quand même écrit, et rien que pour ça on pourrait beaucoup lui pardonner. |
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| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Dim 14 Mar 2021, 00:20 | |
| « Se renier soi-même » c’est ainsi peut-être avant tout renoncer à s’imposer de fausses images de ce que nous devrions être. Soren Kierkegaard est un grand spécialiste du désespoir, il a même écrit tout un traité dessus, et il dit que celui qui est vraiment désespéré est celui qui veut se défaire de soi. Il explique ce désespoir ainsi : c’est désirer sans cesse être ce que nous ne sommes pas ; et ne pas consentir à être ce que nous sommes. Jésus nous propose d’en sortir. La foi est d’un grand secours pour cela. Car comment arriver à consentir à être ce que nous sommes bien que nous soyons pas parfait ? La Bonne Nouvelle du Christ est que j’ai déjà été regardé par Dieu et il m’a jugé digne de lui ! Nous avons passé le test d’aptitude et nous avons été reçu. Cela suffit. Nous pouvons veiller sur nous-même, saisir notre propre valeur, nos talents, nos dons et rester souple, ouvert à ce que notre conscience, éclairée par Dieu nous appellera à faire, même si ce n’était pas du tout dans nos plans. Avec Saint-Augustin et LutherJe tire une seconde interprétation possible de cet appel de Jésus à « se renier soi-même » d’une bien intéressante image que Martin Luther a donnée du « péché », notion obscure et pénible s’il en est. Luther dit que le péché est d’être si concentré sur son propre nombril que l’humain se courbe, s’incurve tellement qu’il est comme replié en lui-même. L’homme pécheur est « incurvatus in se ». Cette image est intéressante car le péché n’est alors pas avant tout une question d’actes qu’une question de posture. L’invitation de Jésus à se « renier soi-même » n’est pas à comprendre comme un sacrifice de soi, bien au contraire, elle est un changement de posture : quand nous sommes tout incurvés en nous même, Jésus nous appelle à renoncer à avoir les yeux enfoncés dans notre propre nombril : c’est un appel à se décourber et pouvoir regarder autre chose que nous-même, ou que le sol, se redresser et découvrir qu’il y a d’autres personnes, qu’il y a tout un monde autour de nous et que nous avons un Dieu. La vie prend une toute autre tournure. https://jecherchedieu.ch/temoignages/predication/predication-se-renier-soi-meme-et-porter-sa-croix-marc-8/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Dim 14 Mar 2021, 11:32 | |
| C'est en tout cas -- cet homo incurvatus in se, dans l'esprit d'Augustin et la lettre de Luther -- une piste d'interprétation extrêmement riche et un thème, ou une série de thèmes (enveloppement-développement, pli-dépli, fermeture-ouverture, clôture-éclosion), proprement in-fini(e)(s); dont on pourrait suivre le déploiement, c'est le cas de le dire, bien en-deçà et au-delà de la théologie (philosophie, psychologie, littérature, etc.). Revoir éventuellement ceci.
Nul besoin pour autant de nier (négation déjà, en plus d'un exemplaire) les autres figures de la négation, y compris les plus violentes (haïr, tuer, mourir, mortifier, sacrifier, crucifier, arracher, amputer, rompre, briser, brûler, noyer, effacer, etc.), qui sont aussi dans les textes comme dans la vie, y compris comme moments "négatifs" et "critiques", autrement dit décisifs, des processus apparemment "positifs" et continus qu'on appelle devenir, développement ou croissance. |
| | | free
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| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Lun 15 Mar 2021, 12:50 | |
| Et même lorsque le Christ se veut plus rassurant, son ton n'est pas fait pour plaire : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai moi aussi pour lui devant mon Père qui est aux cieux ; mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est aux cieux. » C'est ici l'image d'un Dieu juge qui s'impose, celui qui faisait trembler Luther, d'un Dieu diviseur de l'humanité en deux parties, celle des rachetés et celle des réprouvés, bref l'image d'un Dieu assumant le rôle qui, généralement, revient à Satan, celui du « dia-bolos » en grec, du diviseur : « N'allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Oui je suis venu séparer l'homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère ; on aura pour ennemis les gens de sa maison. »
Devant Dieu, pour les disciples, c'est l'heure du choix : celui qui demeure attaché à la Parole reçue du Christ lui-même demeurera auprès de lui au moment du jugement ; mais celui qui aura eu honte du Seigneur, celui qui l'aura renié, celui-là, le Christ, au moment du jugement, le reniera également, le destinant à la géhenne. Il n'y a pas ici, chers frères et sœurs, à chercher d'assouplissement exégétique en se réfugiant dans quelque faux-fuyant herméneutique. Pour Matthieu, le Christ n'est pas venu apporter la paix, mais la division, non pas l'accolade amicale et fraternelle, mais le glaive qui transperce, tranche et rompt le lien affectif réputé le plus précieux : celui de la relation familiale que le Décalogue, pourtant, plaçait juste après les commandements dédiés à Dieu lui-même : De « Tu honoreras ton père et ta mère », il n'en est plus ici question. Devant Dieu, en Christ, les liens familiaux, ceux auxquels nous attachons tant de prix, ne valent plus. Cette séparation entre ceux qui auront accepté le nom du Christ et ceux qui l'auront renié, cette séparation doit déjà commencer sur terre, ici et maintenant. Et elle doit concerner tout homme, au cœur-même de son cercle familial : « Qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi ; qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi. » Devant Christ, plus aucune règle, plus aucune convenance humaine ne saurait prévaloir ...
... Ce que l'évangile de Matthieu veut d'abord nous dire ici, c'est que la foi chrétienne est avant tout le lieu d'une décision, d'un choix que nous sommes appelés à faire face à la vie, face au monde et face aux autres. Cette situation valait déjà à l'époque du Christ et dans la première histoire du christianisme : les croyants en Jésus devaient choisir entre oser confesser leur foi, et renoncer au culte de l'empereur par exemple, fût-ce au péril de leur vie, ou renier leur identité profonde pour sauver leur existence et celle de leurs proches. Luther, de son côté, lorsqu'il commente ce passage, insiste de même sur le fait que c'est le lot des croyants de tous les temps que de choisir entre la fidélité au Seigneur et la confiance dans les choses de ce monde. https://oratoiredulouvre.fr/libres-reflexions/predications/la-fraternite-sans-cloture |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Lun 15 Mar 2021, 16:45 | |
| La grande difficulté à mon sens, pour le lecteur ou l'auditeur de Matthieu et a fortiori du NT en général (de fait on est rarement l'un sans l'autre), c'est de prendre chaque texte au sérieux, ne serait-ce que pour pouvoir le lire ou entendre ce qu'il dit, que ce soit "radical" ou "modéré", "raisonnable" ou "déraisonnable", sans neutraliser les textes les uns par les autres. C'est difficile pour un individu parce que pour écouter il faudrait oublier à chaque fois, au moins jouer à oublier tout ce qu'on croit savoir, ce qu'on croit avoir déjà appris et acquis; c'est quasiment impossible pour une communauté qui est précisément constituée par un "savoir" commun, la croyance en une certaine "vérité", l'assurance d'être "du bon côté" et de faire au moins relativement "ce qu'il faut" -- si ce n'est pas mieux ici qu'en face, à quoi bon la communauté ? Or la plupart des textes du NT, Matthieu certainement, sont destinés à une "communauté", qu'ils ne confortent pas dans son "identité" sans la remettre radicalement en question, qui ne sont même audibles qu'à condition de ne pas se sentir "du bon côté", "juste", "sauvé", etc. On a souvent souligné chez Matthieu cette "ponctualité" de l'acte hostile à tout acquis: peu importe ce qu'on a fait de "bien" ou de "mal" dans une histoire individuelle ou collective, c'est (toujours) maintenant que c'est décisif, et quand bien même l'exigence "radicale" est impossible à tenir dans la durée, elle est toujours possible ici et maintenant, fût-ce à titre exceptionnel. (Cf. p. ex. ici ou là). C'est particulièrement difficile à entendre pour un christianisme "paulinien", comme l'est le christianisme occidental et surtout protestant, ce qui n'a rien d'étonnant vu la part de l'"anti-paulinisme" chez Matthieu. Plus généralement, nul n'a sans doute mieux senti et exprimé que Hegel, selon un modèle d'ailleurs "chrétien" de part en part même s'il doit aussi beaucoup à Platon ( Parménide notamment), le "travail" nécessaire du "négatif", comme "moment" incontournable d'un mouvement qui est aussi bien (quoique différemment) celui de l'"esprit", de la "logique" et de l'"histoire". On peut lui reprocher, comme l'a fait Kierkegaard, de neutraliser ce "moment" dans le mouvement général d'une dialectique ( Aufhebung, ce qui est annulé ou supprimé est aussi re-pris, re-levé dans ce qui le dépasse), on ne peut pas pour autant l'éviter (et à sa façon la "dialectique" kierkegaardienne ne l'évite pas). Reste que la "négation" se vit ou se joue plus qu'elle ne se pense, dans un présent à chaque fois unique qu'il faut prendre au sérieux alors qu'il est si facile de le dissoudre dans des généralités. |
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| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Lun 15 Mar 2021, 17:11 | |
| - Citation :
- La grande difficulté à mon sens, pour le lecteur ou l'auditeur de Matthieu et a fortiori du NT en général (de fait on est rarement l'un sans l'autre), c'est de prendre chaque texte au sérieux, ne serait-ce que pour pouvoir le lire ou entendre ce qu'il dit, que ce soit "radical" ou "modéré", "raisonnable" ou "déraisonnable", sans neutraliser les textes les uns par les autres.
Merci Narkissos pour ces commentaires.La radicalité d'un texte ou son aspect hyperbolique devrait nous pousser à prendre du recul, de la distance et de la hauteur pour mieux apprécier le texte en question, en comprendre la réelle portée, la leçon "raisonnable" et être dans le "réel", comprenant que l'exigence "radicale" est impossible à tenir dans la durée, elle est toujours possible ici et maintenant. J'ai le sentiment que la radicalité du texte est un clin d'œil de l'auteur pour nous dire ne me prenez pas trop au sérieux mais tirez la bonne leçon. Cette approche distancié du texte radical peut-être vécu comme une trahison du texte et une forme de lâcheté. Merci Narkissos pour ces commentaires. Peut-on prendre au premier degré comme un principe de vie l'injonction : "qu'il se renie lui-même" Un texte que nous avons déjà cité mais qui est très intéressant : Après la confession de Pierre et la première annonce de la passion-résurrection du Fils de l'homme, Jésus déclare : « Si quelqu'un veut suivre derrière moi, qu'il se renie lui-même et qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive ». Déclaration appuyée par une série de « car», dont le premier nous intéresse directement : « Car celui qui veut sauver sa psuchè la perdra, mais celui qui perdra sa psuchè à cause de moi et de l'évangile la sauvera ». Le mot psuchè est rendu ordinairement par « vie », ce qui peut se défendre, à condition de laisser le contexte définir cette « vie». Le possessif « sa vie » compte : chacun a la sienne et personne n'en a de rechange. C'est pour chacun le bien le plus personnel, le plus précieux, plus que la possession du monde entier et rien ne peut être imaginé qui puisse être donné en échange (v. 36-37). Certaines équivalences sémantiques entre « perdre sa psuchè à cause de moi » et « se renier soi-même (pour) me suivre » au verset précédent font de « perdre sa vie » l'équivalent de « se perdre soi-même», encore qu'il ne soit pas indifférent que l'être individuel d'un sujet soit désigné par ce qui, en lui, fait de lui un être vivant ...
... Il s'agit bien du salut de l'homme en tant qu'être vivant. Il n'est pas question d'opposer une vie corporelle à sacrifier pour obtenir une vie spirituelle. C'est pour l'homme son être vivant qui est en jeu, sa vie à sauver de la mort. L'opposition est entre deux attitudes et deux conduites. Mais passer de l'une à l'autre, c'est changer le sens de la vie et de la mort. L'attachement à Jésus ouvre au sujet la possibilité de sauver sa vie de la mort en passant par la mort. La valeur de la vie redéfinie par la relation à Jésus échappe au pouvoir de la mort. Car le bien le plus essentiel de tout homme s'acquiert par l'abandon de toute volonté de l'obtenir par soi et pour soi. La relation à Jésus sauve l'homme de se perdre en voulant se sauver lui-même. La mise en place de ce principe est plus importante pour la définition évangélique du salut que la description de la vie sauvée de la mort après la mort 3 \ Les seules indications dans le sens d'une représentation concrète de ce salut pourraient être cherchées dans les deux perspectives reliées entre elles de la venue du Fils de l'homme dans la gloire de son Père avec les anges saints et du « Règne de Dieu avec puissance» (8, 38 et 9, 1). https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1985-v41-n1-ltp2121/400141ar.pdf
Dernière édition par free le Lun 15 Mar 2021, 22:06, édité 1 fois |
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Nombre de messages : 12452 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Lun 15 Mar 2021, 19:06 | |
| En effet, c'était là (4.3.2019).D'un autre côté, si le "premier degré" est exclu d'avance, aucun "second degré" ne sera jamais pris au sérieux. En près de deux millénaires, un texte comme Matthieu 5,29s (qui viendrait d'ailleurs de Marc, 9,42ss // Matthieu 18,6ss // Luc 17,2; le retrait de Luc est déjà significatif) a fait beaucoup moins de borgnes, de manchots et d'autres amputés volontaires que de tartufes, mais il a bien dû en faire quelques-uns et il n'aurait rien fait du tout s'il n'avait pas été écrit comme ceux-là l'ont pris, à la lettre. Que l'horreur de la lettre et du "premier degré" puisse déboucher sur un "clin d'oeil" (c'est le cas de le dire) et un "second degré" utiles, cela passe aussi par sa folie littérale, expérimentée, ressentie ou du moins envisagée comme telle. A vouloir expurger les textes de tout risque (aucune Eglise établie, même ancienne ou médiévale, n'aurait laissé écrire une chose pareille sans l'assortir de mille précautions pour la neutraliser), on les ampute aussi de toute "vertu", de toute puissance d'interrogation et de sérieux. Pharmakon, qui ne risque pas le poison ne bénéficiera pas du remède (cf. éventuellement ceci). Il me semble en tout cas que toutes les interprétations "raisonnables" de paroles comme "se renier soi-même", "perdre sa psukhè-âme-vie", "prendre sa croix", etc., restent infiniment tributaires de leur interprétation "déraisonnable", et qu'elles perdent toute leur "vertu" à vouloir s'en dissocier, ce qui est néanmoins pour elles une tentation permanente. (Cf. le motif de la "honte" associé au "reniement" dans le même contexte: quiconque a honte de moi et de mes paroles, Marc 8,38//). J'ajouterais, même si on en a davantage parlé que du "premier degré", qu'il n'y a pas qu'un seul "second degré", et que les "degrés" non "premier(s)" ne se laissent pas forcément ordonner en série (deuxième, troisième, énième). Ce qui est à "perdre" dans "perdre son âme/vie", à "renier" dans "se renier soi-même", à "prendre" dans "prendre sa croix" (toutes expressions qui "au premier degré" sont toujours des figures de la mort, de la mort décidée ou consentie, autrement dit d'une sorte de suicide), au "second degré" ce n'est jamais la même chose: il peut s'agir de renoncer à la richesse, au confort, au pouvoir, à la gloire, à la sécurité ou à la tranquillité, mais tout aussi bien à une certaine image de soi, morale ou religieuse par exemple, comme "juste", "bon", "sauvé"... de sorte qu'on n'en a jamais fini de "perdre" et de "renier", à chaque fois tout peut-être mais autre chose dans chaque nouvelle situation: le sens et la portée du "second degré" peuvent varier à l'infini, ils n'en passent pas moins dans tous les cas par l'univocité scandaleuse du "premier degré"... |
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Nombre de messages : 10095 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Mar 16 Mar 2021, 13:23 | |
| Passages invoqués
Lc 22, 32. Le prophète de l’Ancien Testament commence en présentant un extrait qui, à son avis, décrit sans conteste une conversion religieuse de type Umkehr : Lc 22, 31-34. Il a souligné le « Quand tu seras revenu (kai su pote epistrepsas) » (Lc 22, 32). C’est Jésus qui parle : il anticipe le triple reniement de Pierre (Lc 22, 54-62). Le retour se réfère ici au repentir qui fait suite à une trahison. Jésus annonce que Pierre va revenir de son infidélité, de l’adhésion partielle qu’il avait accordée, par peur, au point de vue de l’adversaire. Revenir c’est démêler ce qui est mêlé, se dégager d’une confusion, comme le suggère l’image du crible utilisée par Jésus dans ce passage. On peut y voir une forme de purification. Jésus met en œuvre la thématique du retour si chère aux prophètes. C’est un exemple type d’Umkehr, sans qu’on puisse forcément parler d’intensification au sens de Rambo … … Lc 18, 28 et Lc 5, 11. Le sociologue des religions brandit alors un autre extrait, bien plus typique à son goût d’une conversion religieuse, et qui permet de repérer le moment décisif de la conversion de Pierre : Lc 18, 28. Pierre évoque les difficultés que rencontre celui qui veut être disciple de Jésus et parle des renoncements : « Pour nous, laissant nos propres biens, nous t’avons suivi. » Dans son Évangile, Luc situe ce moment de rupture lors de la première rencontre de Jésus avec Pierre et ses compagnons. Le récit de cette rencontre se termine sur ces mots : « Ramenant alors les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent » (Lc 5, 11). En Lc 18, 28, Pierre fait référence à ce moment. Dans sa réponse, Jésus renforce la dimension de la rupture ; il souligne la séparation avec ce qui faisait la vie jusqu’à présent : « En vérité, je vous le déclare, personne n’aura laissé maison, femme, frères, parents ou enfants à cause du Royaume de Dieu » (Lc 18, 29). Le changement de groupe d’appartenance est évident. Peut-on parler de Konversion ? Oui, estime le sociologue. La rupture avec le mode de vie passé coïncide avec l’adhésion à un nouveau courant religieux ; pour reprendre les catégories de Rambo, c’est un bel exemple de transition. Mais faut-il parler de transition de traditions ou de transition institutionnelle ? La réponse à cette question dépend de la manière dont on apprécie la nouveauté du système auquel le sujet adhère. La différence n’est pas essentielle pour la discussion. https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2009-1-page-1.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12452 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Mar 16 Mar 2021, 15:14 | |
| Cf. ici 21.1.2021. La problématique de cet article est en partie, en partie seulement, étrangère à notre sujet: il y a évidemment de la "négation" en tout genre dans tous les genres de "conversion", comme il y en a dans tout ce qui est significatif. Il ne s'ensuit pas que toute négation (etc.) puisse s'interpréter selon tel ou tel modèle de "conversion", à supposer qu'il y ait seulement une continuité sémantique et conceptuelle entre tous les "événements" qu'on désigne par ce mot (entre le retour à la case départ, réelle ou imaginaire, l'abandon de l'origine et l'adhésion à l'inconnu, etc., il n'y aurait pas grand-chose en commun, sinon précisément la négation, le "moment négatif" commun non seulement à tout cela mais aussi à tout événement). A moins de l'entendre dans un sens "logique" bien plus fondamental, voire élémentaire, à savoir que la "négation" en soi a un aspect et un effet "conversif", une tendance à retourner les choses et les mots, les propositions et les énoncés, y compris à se retourner elle-même, indéfiniment en principe (double négation = affirmation, non non = oui, - x - = +). Soit dit en passant, la distinction traditionnelle entre "renier" et "renoncer" dans les traductions traditionnelles des mêmes verbes grecs (cf. le post initial) n'aide pas le chercheur qui aborde les textes en français, sans se référer à l'original... |
| | | free
Nombre de messages : 10095 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Mar 16 Mar 2021, 16:31 | |
| Cet article établit un lien intéressant entre reniement et "purification", ainsi que entre reniement et "retour" (" Quand tu seras revenu") avec l'idée que "revenir" c’est démêler ce qui est mêlé, se dégager d’une confusion. J'ai le sentiment que reniement et renaissance peuvent par moment rimer. - Citation :
- Entre Parménide, οὐκ ἔστι µὴ εἶναι, "il n'est pas de ne pas être", et Maître Eckhart: daz niht in der helle brinnet, "c'est le non (le néant, le rien ?) qui brûle en enfer", il y aurait de quoi penser.
Maître Eckhart a théorisé ce Gelassenheit, couplé à un apophatisme radical, c’est-à-dire à l’idée que l’approche de Dieu n’est possible qu’à partir de ce qu’il n’est pas, plutôt que dans la positivité de ses attributs. En cela, il est fils d’une longue tradition qui remonte au néoplatonisme, philosophie qui s’est christianisée via de nombreux pères orientaux, dont je ne retiendrai que le premier à ouvrir cette voie, Pseudo-Denys l’Aréopagite, moine syrien de la fin du ve siècle, qui imprégna fortement le Moyen Âge occidental et influença de façon très particulière la mystique rhénane, dont Maître Eckhart est un des plus éminents représentants, dans cette voie scolastique, conjoignant révélation biblique et raison grecque ... ... La voie mystique : user de la négativité du langage Si la déité est ineffable, alors elle n’est atteignable que quand on l’a dévêtue de tous ses noms, le terme de cette démarche étant le néant divin. C’est un acte de foi : après tout, ce qui est ineffable pourrait rester hors d’atteinte ; ce n’est pas le choix d’Eckhart, qui de façon décidée s’engage vers ce néant. Un sermon d’Eckhart s’intitulant « Paul se releva de la terre, et les yeux ouverts, il ne vit rien », phrase extraite de l’Évangile de Luc, relate la conversion de Saül le juif en Paul le chrétien, qui fut terrassé et aveuglé par la lumière divine venue du ciel alors qu’il cheminait vers les portes de Damas. « Il ne vit rien et c’était Dieu. Dieu est un néant et Dieu est un quelque chose. Ce qui est quelque chose, cela est aussi néant. Dans le sens où il est au-delà de tout, il n’est ni ceci, ni cela. » ... ... Il faut deux temps : celui de la connaissance et celui de sa négation. Ce que je vois, je sens, je sais, ce n’est pas cela qui fait que je sache le divin. Autrement dit, il ne s’agit pas de laisser tout effort de connaissance, mais il s’agit de s’engager dans la ténèbre divine : c’est dans un dépassement de l’intellect que le but de la quête se situe, dans un au-delà de toute raison. Nous voyons qu’il s’agit non pas de se détourner de toutes les manifestations du créé, mais de faire usage de la « docte ignorance » pour remonter, par un travail de négation, vers le caché. https://www.cairn.info/revue-psychanalyse-2011-1-page-65.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12452 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Mer 17 Mar 2021, 01:09 | |
| Je me permets de renvoyer à mon premier post, dernière section, premier paragraphe (juste avant celui que tu cites à propos de Parménide et d'Eckhart): sur la multiplicité des actes ou des gestes que recouvre l'apparente univocité de la négation (non, ne... pas), indispensable à toute langue, à tout langage et à toute logique. "Purification" se diviserait encore, selon les images du feu et de l'eau par exemple, brûler ou laver; "retour", selon le point de vue, par exemple d'Ulysse qui revient à Ithaque ou de Pénélope qui le voit revenir comme un revenant, le retour d'une saison ou d'un souvenir, renaissance et reconnaissance..
La négation, autrement dit le langage qui dès le premier mot nous éloigne irrémédiablement de l'être sans non, ni nom, ni nombre, est aussi ce qui nous y ramène, tel le vaisseau d'Ulysse. |
| | | free
Nombre de messages : 10095 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Jeu 18 Mar 2021, 11:18 | |
| - Citation :
- La négation, autrement dit le langage qui dès le premier mot nous éloigne irrémédiablement de
l'être sans non, ni nom, ni nombre, est aussi ce qui nous y ramène, tel le vaisseau d'Ulysse. « Ne soyez pas comme... », « Ne faites pas comme... ». Étude des formules rhétoriques de démarcation attribuées à Jésus dans l'Évangile de MatthieuMt 6,5 : "Et quand vous priez, ne soyez pas comme (ouk esesthe hôs) les hypocrites (hoi hupokritai), car ils aiment se tenir debout pour prier dans les synagogues et aux angles des chemins, afin qu’ils apparaissent aux humains. Amen, je vous dis : ils reçoivent leur récompense (misthon)".La formulation de Mt 6,5 est parallèle à celle de 6,2 mais à la deuxième personne du pluriel. La démarcation est, d’emblée, exprimée de manière plus nette, car elle fait appel au verbe « être » : « ne soyez pas comme ».Le contre-exemple est le même : les hypocrites.La situation abordée est l’expérience de la prière. Là encore, l’insistance porte sur la discrétion de la démarche. On retrouve la thématique de la récompense (6,5b reprend 6,2b). Quant à la dimension théologique, elle est également explicite. Elle est notée dans le prolongement exprimé en termes positifs : 6b reprend mot à mot la formule de 4b au sujet du Dieu Père « qui voit dans le secret ».Mt 6, 7-8 : "Or, en priant, ne rabâchez pas tout comme (hôsper) les païens (hoi ethnikoi) ; ils pensent, en effet, que par leur excès de paroles ils seront exaucés. Ne leur ressemblez donc pas (mè oun homoiôthète autois), car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous (le) lui demandiez".La prière avait déjà été abordée dans les versets précédents (6,5-6). Ici, le message porte sur le fait de ne pas lui attribuer de l’efficacité en fonction de critères purement quantitatifs, liés au flot de paroles prononcées.Le contre-exemple est celui des païens, dont la démarche est décrite en des termes qui traduisent leur propre perception (« ils pensent », v. 7). Le regard porté par Jésus sur cette pratique est dépréciatif comme le démontre le vocabulaire choisi : rabâcher, excès de paroles.Ce qu’il demande à ses disciples est exprimé sous forme de mise en garde dans une proposition négative utilisant le verbe « ressembler à ».https://www.cairn.info/revue-transversalites-2014-1-page-61.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12452 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Jeu 18 Mar 2021, 12:15 | |
| Sujet ou plutôt objet d'étude très bien trouvé, parce qu'il offre un critère formel de sélection opératoire et significatif -- non pas la simple négation qui concernerait sans doute la grande majorité (je n'ai pas compté) des "commandements" bibliques, interdictions à l'impératif ou au futur (à commencer par les "Dix commandements"), mais interdictions comparatives ou référentielles, ne pas être-faire comme, qui sont beaucoup plus rares et donc plus caractéristiques (on pourrait aussi bien en trouver le modèle dans l'AT, p. ex. dans le Deutéronome, "pas comme les nations"). Dans la démarcation il y a certes du négatif, comme il y en a partout dans le langage, explicitement ou implicitement (la "logique" n'étant jamais que l'explicitation en série de l'implicite, cf. Wittgenstein: A => non non A, etc.; développement aussi où tout revient au même sans jamais revenir au même, cf. Hegel); mais il y a aussi et surtout la ré-férence de la dif-férence, le point de dé-part réel ou imaginaire du mouvement, ce à quoi on continue de se rap-porter alors même qu'on s'en dé-porte, le spectre ou le revenant du nié ou de l'exclu qui hante ce qui le nie ou l'exclut et ne peut qu'entraîner des négations et des exclusions supplémentaires, en série ou en cascade, sans fin mais sans retour non plus à un quelconque commencement. Pas à pas, le non fait le chemin, trace les formes, marque les rythmes, mais ce qui s'exprime ainsi dans le "langage humain" se reconnaît de là en toutes choses, dans le cours même des choses. Artifice suprême, la "nature" même. |
| | | free
Nombre de messages : 10095 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. Ven 19 Mar 2021, 13:35 | |
| 1. Sources philosophiques anciennes de la théologie négative
Cette voie négative en théologie a des références anciennes en philosophie, dans le platonisme et plus encore dans le néo-platonisme (Plotin, Damascios) qui ont servi d’appui aux grands maîtres de la théologie négative, en particulier le Pseudo Denys l’Aréopagyte (VIe siècle) et Maître Eckart (1260-1327)
• Platon Parmi les Dialogues, on citera en particulier le Parménide qui sera abondamment commenté par les théologiens de la voie négative. Le Parménide pose en effet la tension entre l’Un et l’être, tension qui va animer un débat sur les bases métaphysiques de la théologie classique. En effet, si aucun prédicat ne peut être posé pour Dieu, qu’en est-il du prédicat « être » (tiré principalement de la révélation d’Ex 3 : Je suis qui je suis) ? Faut-il aller jusqu’à nier l’être pour parler de Dieu ? Au-delà de l’être, on peut poser l’Un qui « ne participe en aucune façon à l’être ». « Il apparaît bien, au contraire, et que l’Un n’est pas un, et que l’Un n’est pas » (Parménide 141 e) : « Donc à lui n’appartient aucun nom, il n’y en a ni définition, ni science, ni sensation, ni opinion. » L’Un devient un principe en deçà ou au-delà de l’être. La nature du Principe est aporétique, mais ne nous affranchit pas du devoir de penser son exigence. La négation ne conduit pas au silence. Par ailleurs, on trouve chez Platon (comme chez Aristote) un mode de raisonnement, dit aphairesis. Il s’agit d’un raisonnement par soustraction, ou par abstraction qui consiste à écarter, à retrancher, à soustraire pour connaître, d’une forme d’epochê (ex. retrancher la profondeur pour concevoir la surface, retrancher la surface pour concevoir la ligne, etc.). L’aphairesis aboutit à la saisie des formes intelligibles, elle conduit du complexe au simple, du visible à l’invisible ; elle conduit pour Platon à la plénitude concrète, le vrai concret étant l’incorporel et l’intelligible.
2. Quelques références dans l’histoire de la théologie...
• La tradition biblique
Dans la tradition biblique, Dieu reste inconnaissable. Nous avons déjà évoqué le problème de la révélation du nom en Ex 3,14 : à la question de Moïse : « Quel est ton nom ? », Yahvé répond dans le buisson : Je suis qui je suis ; il est irreprésentable et il interdit toute représentation. Plusieurs passages de la Bible font écho de cette interdiction : Exode 20,4 : « Tu ne te feras aucune image sculptée... » ; Ex 34,17 : « Tu ne te feras pas des dieux de métal fondu » ; Lévitique 19,4 : « Ne vous faites pas fondre des dieux de métal. Je suis Yahvé votre Dieu » ; Lv 26,1 : « Vous ne vous ferez pas d’idoles... car je suis Yahvé votre Dieu » ; Deutéronome 4, 15-20 : « Puisque vous n’avez vu aucune forme, le jour où Yahvé, à l’Horeb, vous a parlé au milieu du feu, n’allez pas prévariquer et vous faire une image sculptée représentant quoi que ce soit. » « Dieu se révèle dans l’obscurité » : Ex 19,9 « Yahvé dit à Moïse : "Je vais venir à toi dans une épaisse nuée afin que le peuple entende quand je te parlerai" » et Ex 20,21 : « Le peuple se tint donc à distance et Moïse s’approcha de la nuée obscure où était Dieu. » 13
13 : Voir également I Rois 19 : Elie rencontre Dieu à l’Horeb. « Et voici que Yahvé passa. Il y eut un grand ouragan [...] mais Yahvé n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan un tremblement de terre, mais Yahvé n’était pas dans le tremblement de terre ; et, après le tremblement de terre un feu, mais Yahvé n’était pas dans le feu ; et après le feu le bruit d’une brise légère. Dès qu’Elie l’entendit, il se voila le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la grotte. Alors une voix lui parvint qui dit : "Que fais-tu ici Elie ?" » https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/5170 |
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| Sujet: Re: négations, dénégations, reniements, renoncements, etc. | |
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