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Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: vis-à-vis Dim 03 Nov 2024, 12:49 | |
| Le fer aiguise le fer: un homme ('ish, a priori mâle) aiguise la face de son prochain (voisin, compagnon, ami, proche, ou simplement un autre). -- Proverbes 27,17.
J'ai toujours trouvé ce proverbe ambigu: moins dans son image concrète, qui reste assez curieuse (comment aiguiser un visage, une face, qui est une surface, là où une lame en a au moins deux, et deux quatre ?), que dans le sens ou l'intention de la comparaison ou de la métaphore: on peut l'entendre en bonne et en mauvaise part, et dans plusieurs sens de chaque côté: éveiller, animer, vivifier, stimuler, réjouir, agacer, irriter, exaspérer; amour, haine, gaieté, tristesse, intelligence, sottise, courage, vivacité, découragement, agressivité, rivalité, etc. Le contexte (aphoristique) des Proverbes n'est comme souvent d'aucun secours: si l'on trouve dans le chapitre beaucoup de maximes relationnelles, elles vont aussi dans tous les sens, des relations heureuses, utiles, bénéfiques, aux nuisibles ou catastrophiques. D'autant que le couple que j'ai traduit sous toute réserve par "un homme / son prochain" ('ish / ree`hou) s'entend aussi bien en hébreu de n'importe quelle "paire" de choses qui vont par deux, indépendamment du genre et de l'espèce, par exemple en architecture symétrique (une colonne, une porte, une fenêtre, un côté et son vis-à-vis; on dit aussi dans le même sens x et son frère, sa soeur, etc.), et dans des expressions de réciprocité (l'un l'autre, les uns les autres, comme allèlous en grec, one another en anglais) -- d'où mes hésitations de traduction entre parenthèses.
Si j'y reviens, c'est aussi pour remarquer que du monde antique du proverbe au nôtre beaucoup de choses ont changé dans les "face-à-face" et les "vis-à-vis" en tout genre: médiations, modalisations et modifications de telle ou telle écriture, et d'une lecture plus ou moins répandue, de la poste, de l'imprimerie, du télégraphe, du téléphone, de la radio, du cinématographe, de la télévision, de l'Internet et du smartphone, entre les faces ou les visages, les voix et les corps, les traits et les gestes, les expressions, les actions et les réactions, il y a une infinité potentielle d'interfaces et d'écrans qui délocalisent et disloquent l'espace et le temps du vis-à-vis dans une virtualité quasi infinie: je peux lire, voir et entendre quelqu'un qui est à l'autre bout du monde ou qui est mort depuis longtemps, et ne pas voir ce qui est devant mon nez, derrière l'écran, derrière la page ou à côté -- sans que ça change grand-chose, du reste, à l'effet du vis-à-vis ainsi déplacé, ni à sa polyvalence. Quelles qu'en soient les modalités c'est toujours de l'autre, du social et du relationnel, qui nous forme, nous déforme, nous transforme, la personnalité, le caractère ou l'humeur, les sentiments, les émotions, les croyances et les opinions -- et réciproquement, dans une économie de diffusion et de dissémination ouverte et incalculable, qui ne reviendrait au même qu'en n'y revenant jamais. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: vis-à-vis Lun 04 Nov 2024, 13:08 | |
| La traduction Louis Segond rend ainsi ce proverbe :
Comme le fer aiguise le fer, Ainsi un homme excite la colère d'un homme.
La bible d'étude version semeur 2000 rend le proverbe comme suit:
L'homme s'affine au contact de son prochain tout comme le fer se polit par le fer.
Cela donne deux compréhensions assez différentes. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: vis-à-vis Lun 04 Nov 2024, 13:33 | |
| En effet -- je n'avais pas consulté les traductions, mais celles-ci ne peuvent que diverger et se contredire (entre elles) dès lors qu'elles cherchent à interpréter, à donner un sens (unique) au texte, à trancher l'ambiguïté dans un sens ou dans un autre plutôt que de la respecter comme telle... L'hébreu, lui, a le même verbe ( hdd) dans les deux propositions juxtaposées, pour les deux termes de la comparaison ou du parallélisme, sur les deux plateaux de la balance: c'est justement ça qui fait l'ambiguïté. Ce que le fer fait au fer, l'un le fait à l'autre (et réciproquement), quoi que ce soit, en bien ou en mal. -- Je constate avec soulagement que la NBS a traduit "aiguiser" dans les deux cas, en explicitant en note les deux principaux versants d'interprétation (stimuler, affiner, OU irriter, etc.). Soit dit en passant, bien que le sens concret d'"aiguiser" (affuter, etc., plutôt que polir) ne fasse guère de doute, la forme verbale de l'hébreu ( yhd à la troisième personne de l'inaccompli) le rapprocherait phonétiquement et graphiquement d'un autre verbe, " unir", ce qui ouvrirait encore toute une cascade de sens possibles, au moins à titre de résonances, d'harmoniques ou d'échos secondaires (p. ex., c'est avec ou contre un autre qu'on est ou devient un, etc.). Au fond, la diversité des traductions reflète l'idée que les traducteurs se font non seulement de la traduction en général (science, technique, art, théorie, méthode, etc.), mais surtout du texte qu'ils traduisent: l'idée de "la Bible" comme livre religieux, sacré, voire "parole de Dieu", tend à produire des énoncés clairs et univoques, même s'ils dépendent intégralement de l'arbitraire du traducteur-interprète; cela s'avère particulièrement ruineux dans des textes "sapientiaux", quand ceux-ci visent moins à enseigner, à prescrire ou à ordonner quelque chose qu'à donner à penser ou faire réfléchir, y compris par des phrases ambiguës ou énigmatiques, qui gagnent à le rester... Même "Dieu" gagnerait peut-être à l'idée qu'il soit capable de donner à penser plutôt que de se borner à légiférer ou à juger, à commander ou à interdire, à récompenser ou à punir... |
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