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| Un Jésus pas mièvre | |
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+3Patoune Anagnoste Narkissos 7 participants | |
Auteur | Message |
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free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 24 Mai 2011, 17:25 | |
| Quant à mes ennemis, ceux qui n'ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici et égorgez-les devant moi. " Luc 19,27
Ce verset (encore Luc) montre, par cet appel au meurtre de la parabole des talents, le versant noir de Jésus, un Jésus de colère et de haine. |
| | | VANVDA
Nombre de messages : 1610 Date d'inscription : 09/05/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 24 Mai 2011, 18:09 | |
| Il faut toutefois remarquer que ces paroles ne sont pas celles de Jésus, mais celle du personnage de la parabole; ça amoindrit un peu la violence du verset. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 24 Mai 2011, 23:38 | |
| Bien que ça ne change pas grand-chose à la question de fond, on peut aussi rappeler que cette parabole semble en partie (je veux dire pour la partie qui ne correspond pas à la parabole des talents chez Matthieu: la version de Luc mêle deux paraboles indépendantes) inspirée par l'histoire d'Archélaüs telle que la rapporte Flavius Josèphe (AJ XVII, BJ II): Archélaüs, désigné comme successeur au trône par le testament d'Hérode le Grand, rencontre une forte opposition en Judée et doit aller se faire officiellement investir de la royauté à Rome (cf. Luc 19,12); ses adversaires envoient également une délégation à Rome pour plaider contre lui (cf. v. 14); à son retour il règle ses comptes (2000 crucifixions selon Josèphe). (Cf. aussi un élément comparable chez Matthieu dans la parabole du festin, 22,7.) |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Lun 27 Juin 2011, 16:47 | |
| " Si ta main ou ton pied sont pour toi une occasion de péché, coupe-les et jette-les loin de toi : mieux vaut pour toi entrer dans la Vie manchot ou estropié que d'être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu éternel. Et si ton œil est pour toi une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi : mieux vaut pour toi entrer borgne dans la Vie que d'être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne de feu." Mt 18,8-9 Comment comprendre certaines des paroles très dures et exagérées ? .... surement par une demande d'adhésion entière et totale, mais les mots utilisés sont extrêmes ! |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 28 Juin 2011, 13:05 | |
| Je n'avais pas envie de commenter ce texte mais voici quand même quelques réflexions qui me sont venues à le relire: 1) L'"excès" me semble ici particulièrement efficace parce qu'il s'appuie sur une logique incontestable: SI les prémisses sont vraies -- si en conservant son "intégrité" on court à une perte intégrale, et si l'unique espoir de "salut", même partiel, passe par l'"ablation" d'une part de soi (dans la mesure où je ne suis pas ce que je peux "couper ou arracher et jeter loin de moi", cf. le dialogue sur les mutilations dans Le locataire (chimérique) de Topor & Polanski: je peux me couper un bras et dire "moi et mon bras", mais si on me coupe la tête, dois-je dire "moi et ma tête" ou "moi et mon corps"?), alors il n'y a pas à hésiter! L'horreur est parfaitement rationnelle. 2) Et pourtant on hésite, ou plutôt on n'hésite pas à ne pas prendre un tel commandement "à la lettre". En près de 2000 ans de christianismes toujours portés à prétendre suivre les paroles du Christ plus fidèlement que le voisin, les candidats à l'automutilation n'ont pas été légion (s'ils ne se comptent pas sur les doigts de la main...). Cette exclusion de fait de l'interprétation littérale, même en l'absence de toute justification contextuelle, devient en soi un sujet de réflexion intéressant... 3) A propos de contexte, il faut remarquer que ce logion (visiblement trop gore pour Luc, qui l'omet) est accroché, toujours assez superficiellement, à des péricopes très différentes: "l'exorciste indépendant" chez Marc (9,38ss), emblème des "petits" dont il ne faut pas scandaliser la foi; les "petits enfants" dans Matthieu 18, le commandement sur le "regard adultère" dans Matthieu 5,27ss et chez Justin Martyr (Apologie, I, xv, 1ss). Bref, c'est dans le christianisme primitif une "parole" et une "logique" qui ont marqué, sans qu'on sache très bien quoi en faire... |
| | | Anagnoste
Nombre de messages : 368 Age : 68 Date d'inscription : 12/02/2011
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 28 Juin 2011, 21:13 | |
| Chers tous, cher spermologos,
le 2) de spermologos ci-dessus (et "devient en soi un sujet de réflexion intéressant") m'a fait penser à Origène. Voici un extrait de son article dans Wikipedia :
Pour être entièrement indépendant, Origène vend sa bibliothèque pour une somme qui lui rapporte un revenu quotidien net de 4 oboles, qui lui suffisent en raison de son extrême frugalité. Il donne des leçons publiques à Césarée en Syrie[1] la journée, il consacre à l'étude de la Bible la plus grande partie de ses nuits menant une vie d'ascète rigide. Selon quelques traditions, il portait si loin ce souci que, puisqu'il enseignait à des femmes aussi bien qu'à des hommes il craignit que cette situation pût donner lieu au scandale pour les païens et il suivit à la lettre Matthieu 19:12 (« il y a des eunuques qui se sont faits eux-mêmes eunuques pour le royaume des cieux » et Marc, verset 9:43 (« si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la »), c'est-à-dire qu'il se châtra ; une telle action, si elle a vraiment eu lieu, était en partie, sans doute, due à ce qu'il croyait que le chrétien devait suivre l'enseignement de son maître sans la moindre réserve. Plus tard dans la vie, cependant, il vit des raisons qui auraient dû lui faire juger différemment avant de se décider à un tel acte. Dans son enseignement donné à Césarée, il regretta son geste qu'il attribua à l'erreur que constitue la lecture littérale des Écritures. La vérité historique de cette castration a été mise en doute par quelques disciples. On a supposé que c'était un racontar répandu par les rivaux d'Origène qui s'efforçaient de réduire son importance ou de souiller sa réputation. Il se rendit à Athènes pour secourir les églises d'Achaïe[1].
A une autre fois...
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| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 28 Juin 2011, 23:39 | |
| Bonsoir Anagnoste, J'avais évité la question particulière de la castration parce qu'elle ne me semblait pas une application littérale du logion cité par free (ou alors semi-littérale dans le contexte particulier de Matthieu 5, si on le lit comme un euphémisme sexuel) -- mais plutôt de Matthieu 19,12 (ceux qui se sont faits eunuques pour le règne de Dieu). Cela dit elle est pertinente, car Justin relie aussi ces deux logia (I, xv) et cite un peu plus loin (xxix, 2s) comme un exemple positif de la chasteté chrétienne le cas d'un jeune chrétien d'Alexandrie ayant demandé officiellement au gouverneur Félix, vers 150, l'autorisation d'être castré (la pratique de la castration étant normalement interdite aux chirurgiens sauf dérogation expresse). Ce qui donne à penser que la pratique a pu être relativement répandue dans certains milieux chrétiens, au moins jusqu'à la condamnation formelle du concile de Nicée -- qui semble d'ailleurs s'être contenté d'interdire l'accès aux ordres des "eunuques volontaires" (canon 1), et n'a de toute façon pas mis fin à la pratique de la castration humaine dans le monde chrétien, cf. encore les castrati (généralement involontaires) parmi les chanteurs jusqu'au XIXe siècle.
Pour en revenir à l'interprétation majoritaire, c'est-à-dire figurée, de l'automutilation, je me demande si elle ne constitue pas un moment incontournable de toute recherche de pureté. L'impur, le péché, étant d'abord perçu comme "l'autre en moi" dont je pourrais me dissocier, me couper par le retranchement de ce qui est pourtant une partie de moi-même, tout en étant en quelque sorte de trop, superflue, dispensable. L'ablation en un sens prolonge l'ablution qui lave de la tache ou de la souillure, quand "ça ne part pas", quand "c'est plus profond", quand je suis impliqué. La coupure du signe doit passer entre moi et moi, dans un jeu avec la mort que figurent toutes les incisions, excisions, circoncisions...
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| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 10 Jan 2012, 12:58 | |
| Spermologos : - Citation :
- Qu'il y ait eu parmi les multiples composantes de la nébuleuse proto-chrétienne des "radicaux itinérants" plus ou moins cynicisants qui prenaient à la lettre le dépouillement volontaire, la rupture des liens familiaux et une socialité "alternative", et que ce soit à eux qu'on (et les évangélistes en premier lieu) doive cette tradition, c'est en tout cas une théorie assez largement retenue parmi les spécialistes des évangiles...
On retrouve cette façon radicale de vivre le christianisme en Mt 8,22 : "Mais Jésus lui dit : " Suis-moi, et laisse les morts enterrer leurs morts." et Luc 9,60 : "Mais il lui dit : " Laisse les morts enterrer leurs morts ; pour toi, va-t'en annoncer le Royaume de Dieu." |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Lun 21 Nov 2016, 19:34 | |
| Je rouvre ce fil parce qu'une autre réflexion, sur le thème désormais banal de la "radicalisation" (sous-entendu: "islamique"), m'a rappelé son texte (évangélique) de départ. Ce qui me frappe à parcourir à nouveau la discussion, c'est justement le changement (radical ?) de perspective qui s'est produit dans l'intervalle autour de ce thème: nous ne pourrions plus, me semble-t-il, parler maintenant de "radicalité" comme nous en parlions il y a seulement cinq ans. Le mot et le concept mêmes -- sauf peut-être dans un usage neutralisé par le temps, comme celui des partis "radicaux" (et au départ anticléricaux) issus de la politique française du XIXe siècle et du début du XXe, et encore je ne serais pas surpris que ce qu'il en reste songe à changer d'appellation -- nous auraient-ils été subrepticement confisqués ?
Cf. aussi ici.
[Au passage, une petite anecdote de cuisine de traduction, au cas où ça intéresserait quelqu'un: l'adjectif "radical" et l'adverbe "radicalement" ont fait leur apparition dans la NBS -- citée au premier post de ce fil -- au terme d'une négociation complexe: il s'agissait d'abord d'éviter, pour la traduction de metanoia / metanoeô, la notion traditionnelle de "repentance"; déjà parce que celle-ci paraissait désuète dans les années 1990 (elle est revenue à la mode depuis, non sans ambiguïté d'ailleurs), mais surtout parce qu'elle était sémantiquement faible, trop exclusivement négative au regard du mot grec où domine l'idée de changement: non seulement sentiment négatif à l'égard du passé (regret, remords), mais changement effectif et positif tourné vers l'avenir. Seulement, changement de quoi, s'il fallait traduire la composante "intellectuelle", noia, de metanoia ? Changement d'avis, d'état d'esprit, d'attitude, de comportement, toutes ces précisions utilisées dans les bibles dites "à équivalence dynamique" (Bible en français courant, etc.) paraissaient ou bien trop abstraites, ou bien trop superficielles. J'ai suggéré une sorte de "régression sémantique": le verbe "changer", tout court, fonctionnait parfaitement dans les textes, on y comprenait tout ce qu'il y avait à comprendre sans impression de manque. Mais cette solution, un temps adoptée par le Comité de rédaction, n'a pas survécu à une consultation élargie, qui n'a pas manqué de transformer le problème de traduction-en-contexte en enjeu théologique hors contexte. Par rapport à l'idée de "repentance" (ou même de "conversion", cf. TOB), le "changement" à lui seul semblait en effet trop vague, il ne faisait précisément pas "concept théologique". D'où, en dernier ressort, l'ajout de ce "radical(ement)" qui à mon sens surcharge inutilement la traduction, surtout dans la structure verbe + adverbe...] |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Lun 21 Nov 2016, 22:12 | |
| C'est vrai notre vocabulaire, nos manières de penser, de conceptualiser le monde a changé en quelques années et cela se voit non seulement dans le domaine écrit mais également dans le domaine de l'image.
Je ne serai pas surpris si dans quelques mois voire années Jésus soit représenté à nouveau comme un personnage aimant son Dieu certes, mais nettement plus dynamique que celui présenté dans le courant des années 1970-1990. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 22 Nov 2016, 02:24 | |
| - le chapelier toqué a écrit:
- Je ne serai pas surpris si dans quelques mois voire années Jésus soit représenté à nouveau comme un personnage aimant son Dieu certes, mais nettement plus dynamique que celui présenté dans le courant des années 1970-1990.
Pourrais-tu expliquer un peu ? En particulier, à quoi tu fais allusion "dans le courant des années 1970-1990" ? En attendant, ça me rappelle une discussion encore plus ancienne, que tu avais lancée tout au début de ce forum, sur l'idée d'un Jésus révolutionnaire (idée qui, me semble-t-il, était encore assez présente dans les années 1970, quoique déjà édulcorée par rapport à la décennie précédente). Je crois en tout cas que la figure de Jésus, pour autant qu'elle garde un certain rapport avec ce que le personnage "Jésus" dit et fait dans les évangiles, est difficilement mobilisable dans un sens "conservateur", au service du statu quo d'un "système" religieux, politique, social ou économique quel qu'il soit: elle se prête beaucoup mieux à des revendications contestataires, même "radicales", tant que celles-ci restent minoritaires et n'ont pas de réel pouvoir. Le Jésus des conservateurs en tout genre (intégristes, fondamentalistes, et même "humanistes" qui revendiquent une "culture" chrétienne) me paraît plutôt une sorte d'image sacrée, immobile, silencieuse et intangible (un "Jésus en gloire", si l'on veut), qu'il faudrait défendre contre des profanations -- alors que l'acteur et locuteur principal des évangiles refuse expressément d'être défendu. Pour le dire autrement: le Jésus des évangiles ne peut devenir le Jésus des croisades sans que son faire et son dire soient préalablement neutralisés -- ce qui est peut-être la profanation par excellence. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 22 Nov 2016, 13:08 | |
| Dans les années 1970-1990 il y avait au sein des mouvements évangéliques des représentations de Jésus que je qualifierai de baba cool. Cela différait de l'image d'un Jésus (re)venant sur terre avec armure et armes pour combattre les ennemis de Dieu qui circulait parmi les Témoins.
Bien évidemment Jésus était perçu comme un homme ami de Dieu, son fils, prônant la paix, mais déclarant qu'il était venu sur terre pour opérer une séparation entre des personnes au sein même des familles.
Mais je ne peux m'empêcher de penser que pendant un temps plus ou moins long, 20 années, Jésus a fait l'objet de représentations sous les traits d'un personnage ami des humains, de Dieu et de la paix.
Jésus ne change pas mais ce sont les représentations que l'on se fait de lui qui diffèrent, par l'image et le texte. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 22 Nov 2016, 13:34 | |
| - Citation :
- e]Au passage, une petite anecdote
de cuisine de traduction, au cas où ça intéresserait quelqu'un: l'adjectif "radical" et l'adverbe "radicalement" ont fait leur apparition dans la NBS -- citée au premier post de ce fil -- au terme d'une négociation complexe: il s'agissait d'abord d'éviter, pour la traduction de metanoia / metanoeô, la notion traditionnelle de "repentance"; déjà parce que celle-ci paraissait désuète dans les années 1990 (elle est revenue à la mode depuis, non sans ambiguïté d'ailleurs), mais surtout parce qu'elle était sémantiquement faible, trop exclusivement négative au regard du mot grec où domine l'idée de changement: non seulement sentiment négatif à l'égard du passé (regret, remords), mais changement effectif et positif tourné vers l'avenir. Seulement, changement de quoi, s'il fallait traduire la composante "intellectuelle", noia, de metanoia ? Changement d'avis, d'état d'esprit, d'attitude, de comportement, toutes ces précisions utilisées dans les bibles dites "à équivalence dynamique" (Bible en français courant, etc.) paraissaient ou bien trop abstraites, ou bien trop superficielles. J'ai suggéré une sorte de "régression sémantique": le verbe "changer", tout court, fonctionnait parfaitement dans les textes, on y comprenait tout ce qu'il y avait à comprendre sans impression de manque. Mais cette solution, un temps adoptée par le Comité de rédaction, n'a pas survécu à une consultation élargie, qui n'a pas manqué de transformer le problème de traduction-en-contexte en enjeu théologique hors contexte. Par rapport à l'idée de "repentance" (ou même de "conversion", cf. TOB), le "changement" à lui seul semblait en effet trop vague, il ne faisait précisément pas "concept théologique". D'où, en dernier ressort, l'ajout de ce "radical(ement)" qui à mon sens surcharge inutilement la traduction, surtout dans la structure verbe + adverbe...] "En ce temps-là, quelques personnes vinrent lui raconter ce qui était arrivé à des Galiléens dont Pilate avait mêlé le sang à celui de leurs sacrifices. Il leur répondit: Pensez-vous que ces Galiléens aient été de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, parce qu'ils ont souffert de la sorte? Non, je vous le dis. Mais si vous ne changez pas radicalement, vous disparaîtrez tous de même. Ou encore, ces dix-huit sur qui est tombée la tour de Siloam et qu'elle a tués, pensez-vous qu'ils aient été plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem? Non, je vous le dis. Mais si vous ne changez pas radicalement, vous disparaîtrez tous pareillement."Dans cette exemple, le radicalisme, est présenté sous un aspect positif, comme un moyen d'être sauvé.Ce "radicalisme positif" se retrouve à travers l'explication que donne le Jésus de l'évangile de Matthieu (5), concernant l'application de la loi. Pour le Jésus de l'évangile de Matthieu, la simple obéissance à la loi est insuffissante, "ce Jésus" exige ce que la loi ne requiert pas, nonseulement, le meurtre est contraire à la volonté de Dieu mais même la haine, non seulement l’adultère mais même le regard rempli de désir. C'est une façon excessive d'envisager le rapport entre Dieu et les hommes, qui aujourd'hui se reçu comme une forme d'extremisme. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 22 Nov 2016, 14:30 | |
| @lct: Merci de ces éclaircissements. Il me semble -- pour préciser de mon côté ce que j'essayais de dire -- que la figure du Jésus révolutionnaire, qui culmine dans les années 1960 (cf. l'iconographie quasi christique de Che Guevara, ou le Jésus de l'Evangile selon Matthieu de Pasolini [1964], au ton très agressif qui correspond si bien au texte), évacue progressivement sa violence dans les années 1970, conformément à l'esprit "gnangnan" de l'époque (de Jesus Christ Superstar à Zeffirelli p. ex.) -- le côté "flower power" des années 1960 l'emportant définitivement sur leur côté marxiste ou plus largement "militant" (lutte des classes, des peuples ou des races).
Quant au Jésus "conservateur", j'ajouterai qu'en plus du "Christ en gloire" issu de l'imagerie apocalyptique, il est aussi l'enfant sans défense de la Nativité, que le chevalier chrétien se fait précisément un devoir de défendre. (La propagande islamique contemporaine identifie lourdement l'Occident aux Croisés, et réussit dans une certaine mesure à réactiver ce modèle dans l'islamophobie occidentale, bien au-delà du catholicisme.)
Chez les TdJ, le Christ juge et guerrier de l'Apocalypse domine sans cette contrepartie (le rejet de Noël entraîne une dévalorisation certaine de la Nativité, "Jésus n'est plus un enfant"; du reste, selon la dogmatique jéhoviste il n'est même plus un homme) -- ce qui va de pair avec la "neutralité" politique: on n'a pas à le défendre. Le Jésus acteur et locuteur "révolutionnaire" des évangiles a servi un temps dans la polémique contre la "chrétienté" (le clergé si facilement identifié aux "pharisiens"), mais depuis que cette polémique est passée à l'arrière-plan il ne sert plus à grand-chose (comme chez les "conservateurs" de la "chrétienté" d'ailleurs): ce sont plutôt les "apostats" internes de la Watchtower qui s'en réclameraient contre l'institution (illustration particulière du principe général: il est infiniment plus facile d'utiliser les paroles et les actes de "Jésus" pour attaquer un "système établi" quel qu'il soit que pour le défendre).
La mouvance évangélique, surtout en Amérique, me semble avoir réussi à capter une bonne partie du "flower power" dans les années 1970, à la faveur de l'image du "Jésus cool", et à la canaliser avec le temps dans un sens ultra-conservateur...
@free: comme tu l'as certainement compris, ma remarque de traduction visait surtout à montrer que le mot "radicalement" n'est pas dans le texte (= n'a aucun équivalent formel dans le texte grec) -- le texte lui-même est bien porteur d'une certaine "radicalité", mais le verbe metanoeô ou même le "concept" de metanoia n'y sont pas pour grand-chose.
Concernant Matthieu, il faut remarquer que la "radicalité" de "Jésus" n'y est pas présentée comme un dépassement de la Loi, mais au contraire comme sa seule interprétation vraiment "juste" (cf. 5,17ss). Le "radicalisme" de Matthieu ne se situe pas au-delà de la Loi (et encore moins contre, comme chez Paul ou Marc) mais à l'intérieur de celle-ci. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 29 Nov 2016, 14:41 | |
| Les traductions de la Bible nous offrent des façons différentes de rendre Lc 14,26 :
"Si quelqu'un vient à moi et ne déteste pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple" (NBS) "Si quelqu'un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut être mon disciple" (TOB)
Jésus demande donc à ses futurs disciples de haïr leur père, leur mère, leur femme, leurs enfants, leurs frères, leurs sœurs et même leur propre vie ! On est loin du fameux "Aimez-vous les uns les autres"! |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 29 Nov 2016, 15:55 | |
| C'est une extrapolation hasardeuse de l'usage hébreu de l'opposition symétrique "aimer"/"haïr" ('hb/sn', p. ex. dans le cas de la femme "aimée" ou "détestée" où elle est susceptible d'être interprétée, mais sans garantie, au sens d'"amour plus ou moins grand", donc de "préférence") au grec du NT qui aboutit, dans la TOB (entre autres), à cette sous-traduction manifeste -- outre l'évident intérêt du traducteur plus ou moins apologiste à atténuer une parole qui lui est insupportable.
En revanche, la contradiction avec les différentes formes évangéliques du "commandement d'amour" (qu'il s'agisse d'amour du prochain, c.-à-d. de "n'importe qui", ou des ennemis, comme dans les Synoptiques, ou d'amour mutuel des "élus" en tant que tels, comme chez Jean) n'est pas aussi profonde qu'on pourrait le croire à première vue, car ces commandements s'opposent déjà, chacun à sa manière, à la préférence "naturelle" de l'amour pour les "proches", amour familial et amitié, sans compter l'amour de "soi", qui n'ont précisément nul besoin d'être "commandés". Le commandement de haine des proches et de soi "va plus loin", dans un sens, mais dans un autre il ne fait qu'expliciter (à condition que la traduction ne l'édulcore pas !) ce qui est déjà implicite dans ces "commandements d'amour" (à l'exception peut-être du "comme toi-même", qui vient directement du Lévitique: là il y a bien contradiction formelle avec la "haine de soi", mais cette contradiction ne semble pas avoir beaucoup gêné les évangélistes). Cf. Marc 3,31ss// qui pose d'emblée la "logique" évangélique en la matière. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 06 Déc 2016, 18:44 | |
| Suivre Jésus (selon Luc) fait appel au renoncement qui inclut de se détacher et même de haïr des membres de sa famille et sa propre vie. Jésus quitte sa famille et il demande à ses disciples de faire de même, mais avec lea perspective de retrouver une nouvelle famille :
"Il leur répondit : « En vérité, je vous le déclare, personne n’aura laissé maison, femme, frères, parents ou enfants, à cause du Royaume de Dieu, qui ne reçoive beaucoup plus en ce temps-ci et, dans le monde à venir, la vie éternelle. » (Lc 18,29-30) |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 06 Déc 2016, 21:11 | |
| C'est déjà chez Marc (10,29s) et Matthieu (19,29) -- à ceci près que Luc y ajoute l'épouse (pas le mari !) et la "haine". D'autre part, l'idée de "nouvelle famille" est explicite chez Marc (glose ?), mais elle ne l'est ni chez Matthieu ("au centuple") ni chez Luc ("beaucoup plus"). |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 06 Déc 2016, 21:43 | |
| Ce flou dans les textes a permis à de nombreux charlatans de profiter de la crédulité humaine. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mar 06 Déc 2016, 23:42 | |
| Certes, mais il y a bien aussi de la "radicalité" (dans toute l'ambiguïté de ce mot redevenue brûlante) dans les textes et même derrière les textes (concrètement: une pratique réelle des ruptures familiales dans certaines composantes du christianisme primitif) -- même si la surenchère particulière de Luc a déjà quelque chose d'artificiel (cf. la discussion du 5.4.2011 à la page précédente). |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mer 07 Déc 2016, 12:14 | |
| Peut-être que les auteurs des évangiles ont-ils pensé la prédication de Jésus puis celles de ses disciples sous les traits des prophètes de l'ancien testament? Ces prophètes qui s'en allaient devant les rois et les prêtres pour annoncer les décrets de Dieu, avaient-ils une femme, des enfants, auquel cas ne devaient-ils pas les laisser derrière eux? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Mer 07 Déc 2016, 12:54 | |
| Les prophètes (et les nazir[éen]s) de l'AT constituent certainement des modèles, les "philosophes" (en particulier cyniques, voir la p. 1 de ce fil) également (y compris dans une Palestine très largement hellénisée, plus encore en Galilée qu'en Judée). Mais tout modèle littéraire est aussi un modèle de comportement: la "réalité" et la "fiction" s'inspirent mutuellement. L'idéal s'écrit (se décrit, se raconte), et il se vit aussi: avant, pendant et après que les uns l'écrivent, d'autres le vivent -- rarement les mêmes, encore que ça arrive; il s'écrit peut-être mieux qu'il ne se vit mais il ne fait jamais l'un sans l'autre.
Le problème principal, c'est que les côtés "radicaux" ("antisociaux" notamment) du christianisme primitif deviennent inaudibles (même s'ils sont écrits noir sur blanc, soulignés, hurlés et non chuchotés) dans une société chrétienne ou post-chrétienne. Comme disait à peu près Kierkegaard dans le Danemark luthérien et rationaliste du XIXe siècle, au cas où il viendrait à quelque paroissien l'idée saugrenue de prendre au sérieux ce que le pasteur dit dans son sermon, il suffirait de le regarder vivre pour se rassurer tout à fait. Prendre au sérieux la "radicalité" de l'évangile, dans un tel contexte, ça ne peut être que le fait d'"égarés" ou d'"imposteurs" ("charlatans"). [J'entends bien "ça ne peut... que" au sens d'une nécessité structurelle: il ne peut pas en être autrement; la sincérité des individus impliqués, tenants d'un "christianisme respectable" autant que militants d'une "radicalité chrétienne infréquentable", n'est pas en cause.] |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Jeu 08 Déc 2016, 21:35 | |
| C'est sans doute pour cela que celui ou celle qui essaye de vivre au plus près du texte nous apparaît comme une personne hors du temps. Souvent nous nous surprenons à penser de cette personne qu'il n'est pas possible qu'elle vive vraiment comme elle le laisse entendre.
Parfois nous remarquons un côté obscur dans sa personnalité, alors qu'il s'agit tout simplement d'un reflet de sa personne qui n'a pas été atteint par la lumière de ses convictions. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Jeu 08 Déc 2016, 22:22 | |
| C'est tout le problème de l'"idéal" et des "figures" (modèles) de l'idéal (qu'il s'agisse de Socrate ou de Diogène, de Jésus ou de Mahomet, de Don Quichotte ou de Don Juan, de Gandhi ou de "Che" Guevara). On ne s'en "inspire" (dans un autre contexte, forcément) qu'au risque d'une certaine "tartuferie" (contre-figure de l'idéal), par une sorte de jeu qui n'exclut pas la sincérité, mais qui ne peut pas manquer de la trahir.
Mais se croire ou se prétendre "soi-même", sans idéal et sans modèle, n'est-ce pas plus prétentieux et illusoire encore ? "Jojo se prenait pour Voltaire et Pierre pour Casanova et moi, moi qui étais le plus fier, moi, je me prenais pour moi." |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Un Jésus pas mièvre Ven 09 Déc 2016, 19:39 | |
| - Narkissos a écrit:
- "Jojo se prenait pour Voltaire
et Pierre pour Casanova et moi, moi qui étais le plus fier, moi, je me prenais pour moi." Après combien de bières Monsieur Brel? |
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