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 pensées (ou: feu l'artifice)

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Narkissos

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MessageSujet: pensées (ou: feu l'artifice)   pensées (ou: feu l'artifice) Icon_minitimeVen 13 Mai 2016, 14:37

Voici seulement ce que j'ai trouvé: que le dieu (ha-'elohim) a fait l'humain (ha-'adam) droit, mais eux ont cherché bien des artifices.
Qohéleth 7,29.

Cette sentence bien connue paraît d'ordinaire limpide, voire banale: l'antithèse qu'elle pose entre l'œuvre du dieu et celles des humains ressemble à première vue à l'opposition chrétienne de la création et du péché, et à ses nombreuses variantes (p. ex. "rousseauiste": nature -- humaine y compris -- bonne vs. société et culture mauvaises).

On l'isole d'autant plus volontiers de son contexte que celui-ci est (aujourd'hui) embarrassant, parce que passablement misogyne (v. 25ss) -- pourtant la syntaxe introductive et le vocabulaire (chercher / trouver) l'y rattachent. Il est possible, certes, de nuancer ladite misogynie en discernant dans ce passage une discussion ou un examen, selon un modèle exégétique qui paraît quelquefois fonctionner dans le livre: p. ex.
1) énoncé de la sagesse classique, v. 26;
2) interrogation et suspens du jugement, v. 27-28a;
3) constat négatif de l'expérience, sans véritable conclusion, 28b;
4) déplacement du problème, de hommes/femmes à dieu[x]/humain[s], 29.
[Pour ma part, ça ne me convainc pas trop: le v. 26 semble bien exprimer l'opinion de l'auteur (moi, je trouve...); et si le "une à une" du v. 27 désigne, selon la lecture la plus naturelle, les femmes plutôt que des "choses", l'enchaînement du v. 28 est beaucoup plus simple: il cherche encore "la bonne" (Mrs. Right) et ne l'a pas trouvée.]

Reste, dans ce verset qui se présente au moins comme un élargissement des considérations précédentes, à comprendre ce qui opposerait exactement "les humains" au "dieu". Le nombre, déjà: en principe, 'elohim et 'adam peuvent s'entendre indifféremment comme un singulier ou un pluriel, mais le premier est déterminé au singulier par la syntaxe (accord du verbe), tandis que celle-ci fait glisser le second du singulier collectif ou générique ("l'humain" droit ou juste, adjectif singulier) au pluriel (eux, ils ont cherché). Mais surtout cet "objet" de la "recherche" humaine, lui aussi nombreux (beaucoup de, bien des), que j'ai traduit provisoirement et approximativement par "artifices" (en regrettant de n'y avoir pas songé plus tôt).

Le mot hébreu correspondant dérive d'une racine courante (hšb) qui se traduit souvent par "penser" (quelquefois par "compter"), mais qui a (au moins statistiquement) un sens plus "pratique" que "penser" en français; elle évoque notamment les "projets", "plans", "calculs", "astuces", "ruses", "machinations" de "l'esprit" (en hébreu: du "cœur") -- humain ou divin, d'ailleurs. Le dérivé précis qui apparaît dans ce v. se retrouve du reste dans un sens "technique" et concret en 2 Chroniques 26,15, pour désigner des "machines" ou "engins" de guerre (antiques évidemment). C'est à ce genre de "génie" (militaire ou autre), de pensée-calcul appliquée et intéressée (sans doute toujours à l'œuvre, mais plus discrètement, dans la "pensée" la plus abstraite, théorique, spéculative et prétendument "désintéressée"), avec ses détours, ses médiations (moyens, outils) et ses complications toujours utiles à quelque chose ou du moins escomptés tels, que s'opposerait la "droiture" de l'œuvre du dieu en l'homme, masculin singulier générique embrassant en principe les deux genres (homme et femme) et le nombre indéfiniment pluriel des "humains". A noter toutefois que ces pensées-calculs-machinations-artifices s'expriment, en hébreu, avec une terminaison féminine (comme Qohéleth, d'ailleurs), accordée cependant avec un adjectif (beaucoup = nombreux) au masculin.

Il y a en outre dans le contexte immédiat un autre (?) mot très proche, identique même par l'écriture, qui ne s'en distingue que par la vocalisation (massorétique): hešbôn au lieu de hišbôn; celui-là se laisse traduire (sous toutes réserves) par "raison" ou "réflexion", et il est pris plutôt "en bonne part": v. 25, "la sagesse et la raison-réflexion", 27 "pour trouver la raison-réflexion"; en 9,10, c'est -- entre "œuvre" ou "action" et "connaissance et sagesse" -- l'une des "choses" qu'il n'y aurait plus "au séjour des morts, où tu vas"...

Ce genre d'antithèse suscite naturellement le même type de réflexion que le récit de l'Eden: l'homme "droit", sans calcul et sans artifice, existe aussi peu en fait que l'homme sans connaissance du bon et du mauvais. Il demeure quand même comme une référence impossible, mais irréductible, dans l'entrelacs des complications en tout genre: toutes les "déviations", "perversions", "aberrations" de l'homme-tel-qu'il-est (errare humanum est) ne s'apprécient que par rapport à la simplicité idéale qu'il aurait pu, et en un sens être... (Comme on disait du "ne pas juger": impossible en général, toujours possible ponctuellement, marginalement, en particulier.)

Autant qu'on veuille l'en détacher (et que peut-être elle-même veuille s'en détacher), la maxime finale se rattacherait encore aux élucubrations "misogynes" qui la précèdent par la co(-i)mplication des "genres". Parler de "l'homme" en général et au singulier, collectif, typique ou idéal, en un mot du genre humain, c'est le désigner en-deçà de toute détermination particulière et particulièrement de genre (masculin ou féminin) -- et, quand même, au masculin. Dans le récit de l'Eden, Dieu formait "l'homme" ('adam), puis, de celui-ci, "la femme": "l'homme ('adam) et sa femme", lira-t-on par la suite. Le texte se prête d'avance à toutes les spéculations à venir sur l'androgynie originelle, dont on a déjà amplement parlé, mais lui-même ne décrit pas un être indifférencié, asexué ou bisexué: c'est "l'homme" qui représente le "générique", et la "femme" qui marque après coup en celui-ci la différence des genres; qu'elle lui apporte encore plus loin la "connaissance du bon et du mauvais", ce n'est qu'un pas supplémentaire dans la différenciation et la complication qui sont, de toute façon, son "propre". Même le Christ "second Adam" ou "homme nouveau" en qui il n'y a ni homme ni femme (littéralement "ni mâle ni femelle") est pensé, imaginé, décrit, représenté, raconté comme "un homme". La pensée du genre s'empêtre dans la différence des genres.
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MessageSujet: Re: pensées (ou: feu l'artifice)   pensées (ou: feu l'artifice) Icon_minitimeMar 17 Mai 2016, 16:56

Ce chapitre 7 souligne la domination de Dieu sur le quotidien de l’homme, que celui-ci "subi" sans aucune prise sur les évènements, Dieu peut apporter le bonheur ou le malheur,  sans que l’homme puisse changer quoi que ce soit au cours des choses :

"Regarde l'œuvre de Dieu : qui pourra redresser ce qu'il a courbé ?
Au jour du bonheur, sois heureux, et au jour du malheur, regarde : Dieu a fait l'un exactement comme l'autre, de telle sorte que l'être humain ne trouve rien de son avenir."(7,13-14)


Alors que Dieu a fait les humains droits, son oeuvre est courbée et saurait être redressée. Shocked

La capacité de l'homme a cherché bien des artifices, et peut-être à mettre en parallèle avec l'incapacité de l'homme à saisir l'amplititudde l'action de Dieu :

"tout ce qu'il a fait est beau en son temps ; aussi il a mis la durée dans leur cœur, sans que l'être humain puisse trouver l'œuvre que Dieu a faite depuis le commencement jusqu'à la fin"(3,11)


Dernière édition par free le Mer 18 Mai 2016, 11:49, édité 1 fois
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Narkissos

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MessageSujet: Re: pensées (ou: feu l'artifice)   pensées (ou: feu l'artifice) Icon_minitimeMar 17 Mai 2016, 18:59

Rapprochement délicieux, en effet: 7,13 renvoie aussi à 1,15 (même chose au passif, sans complément d'agent divin: ce qui est courbé ne peut être redressé).

L'homme ne fait sans doute pas que subir: le v. 29 les rend responsables (au pluriel) de leurs pensées-artifices, en plus d'un sens ils les ont cherchées -- de même qu'en Eden nul ne leur donne la connaissance (pas même le serpent !), ce sont eux qui la prennent (ou, plus exactement: la femme de "l'homme").

Mais dans une pensée de la "création continue" (ou de la "providence"), où les dieux font (ou le dieu fait) tout ce qui arrive, cette différence se résorbe aussitôt: vraie rédemption à l'ancienne (comme disait à peu près Nietzsche: les dieux alors avaient plus de classe, ils prenaient sur eux la faute et pas seulement le châtiment), celle que Maître Eckhart retrouvera dans le passage sublime du Benedictus deus qui lui vaudra la condamnation: "Un tel homme est à ce point uni à la volonté divine, qu'il veut tout ce que Dieu veut et selon la manière que Dieu veut. Et si selon quelque manière, Dieu veut que moi aussi j'aie commis des péchés, je ne voudrais pas ne pas les avoir commis."

Quant au fait que la connaissance échoue ("ne trouve pas"), peut-être aussi du fait d'une certaine courbure des choses qui lui dissimule l'avenir comme le passé (bien qu'au fond il n'y ait rien de nouveau sous le soleil !), cf. encore 1,11; 2,16; 3,22; 6,12; 8,7.17; 9,12; 10,14; 11,5.

[Sur la question de "l'erreur humaine", on peut aussi relever le v. 20, qui contrebalance l'éloge classique de la sagesse au v. 19, comme les remarques moralement "pessimistes" des v. 13-15 contrebalançaient celui des v. 10-12. Sans oublier la touche plus originale des v. 16-18, montrant que même la justice et la sagesse sont susceptibles d'excès aussi nuisibles que leur défaut: via mediocritatis ou le juste milieu.

Sur l'asymétrie des "genres", je n'avais pas noté qu'au v. 28 ("un homme entre mille j'ai trouvé, mais une femme parmi elles toutes, je ne l'ai pas trouvée") l'"homme", c'est encore 'adam, le terme supposé "générique" et indifférent à la différence des "genres", ici pourtant -- comme assez souvent -- opposé à la "femme".]
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MessageSujet: Re: pensées (ou: feu l'artifice)   pensées (ou: feu l'artifice) Icon_minitimeMer 18 Mai 2016, 17:47

Citation :
[Sur la question de "l'erreur humaine", on peut aussi relever le v. 20, qui contrebalance l'éloge classique de la sagesse au v. 19, comme les remarques moralement "pessimistes" des v. 13-15 contrebalançaient celui des v. 10-12. Sans oublier la touche plus originale des v. 16-18, montrant que même la justice et la sagesse sont susceptibles d'excès aussi nuisibles que leur défaut: via mediocritatis ou le juste milieu.

J'ai le sentiment que le Qohelet propose une négation de la sagesse humaine et incite les humains à la crainte de Dieu qui est vue comme cette attitude humble ("la touche plus originale") : 

"Ne sois pas juste à l'excès et ne te montre pas trop sage : pourquoi te détruirais-tu ?
Ne sois pas méchant à l'excès, ne sois pas fou : pourquoi mourrais-tu avant ton temps ?
Il est bon que tu retiennes ceci sans laisser échapper cela ; car celui qui craint Dieu trouve une issue en toutes situations."(7,16-18)

Craindre Dieu consiste à tourner son regard vers quelqu'un de plus fort et de plus grand que l'homme :

"Regarde l'œuvre de Dieu ... "(7,13)

Craindre Dieu est préférable à l'intelligence et la sagesse humaine.
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MessageSujet: Re: pensées (ou: feu l'artifice)   pensées (ou: feu l'artifice) Icon_minitimeMer 18 Mai 2016, 18:23

Je signale quand même que la fin du v. 18, en hébreu, n'est pas d'une grande clarté: mot-à-mot "celui qui craint (les) dieu(x) sort avec (ou, en changeant la vocalisation: fait sortir) eux tous"; on traduit aussi "mène tout à bien", mais ça reste de la devinette. D'un autre côté, la première partie du v. (tenir l'un sans lâcher l'autre, garder toutes les options ouvertes) rappelle le "pragmatisme" de 11,6; mais si "l'un et l'autre" renvoie ici aux couples "justice/méchanceté" et "sagesse/folie" des v. précédents, l'idée est beaucoup plus provocante: une dose de "méchanceté" ou de "folie" -- sans excès ! -- peut s'avérer tout aussi nécessaire que leurs contraires.

Dans l'ensemble du livre, en tout cas, l'utilité de la "crainte du (ou des) dieu(x)" (qui correspond à peu près à ce que nous appellerions "la religion" ou "la piété") est aussi contestée que celle de la sagesse: elle non plus ne garantit aucune issue favorable (cf. 8,12s "corrigé" par le v. 14). Même chose pour la notion connexe de "justice" (à peu près l'équivalent de notre "morale"), associée à la sagesse en 7,15ss; cf. 3,16ss; 5,7ss; 8,14; 9,1s.
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MessageSujet: Re: pensées (ou: feu l'artifice)   pensées (ou: feu l'artifice) Icon_minitimeMer 08 Mai 2024, 22:04

Qohélèt, théologien du quotidien
Étienne Nodet and Avital Wohlman

II. Dieu au-delà de la sagesse

Qohélet commence par critiquer Dieu, à cause du non-sens, mais il ne s’adresse pas directement à lui, contrairement aux Psaumes. Dieu est au ciel et lui est sur la terre (5, 1).

Même affligé, Qohélèt fait part de sa sagesse acquise, mais la déception de ne pouvoir saisir ni le début ni la fin fait souffrir. Il en résulte une haine de la vie, au moins intermittente (2, 17). Mais en même temps, les satisfactions de la vie viennent de Dieu, qu’elles résultent des jouissances terrestres ou d’un labeur bien accompli (5, 17-19) ; ce don de Dieu occupe l’homme et lui fait oublier les mauvais jours du passé12, car Dieu a tout agréé (9, 7). Qohélèt lui-même est satisfait d’avoir bien écrit, d’avoir trouvé le mot juste. Mais cela suppose par définition d’avoir plu à Dieu, alors que le pécheur qui l’ignore ou ne s’en soucie pas ne se rend pas compte qu’il amasse pour d’autres qui plairont à Dieu, puisque comme tout le monde il n’emportera rien dans la mort (5, 14-15).

Le sage ne laisse pas de trace comme individu, et même ses bienfaits sont oubliés (1, 11 ; 9, 13-14), car la sagesse de Qohélèt n’est pas un savoir quantifiable (8, 17). Au contraire, elle n’est qu’une indication ou une orientation, et c’est pour cela qu’il écrit : seul le présent compte, mais qu’il soit satisfaisant ou non, il est instable puisqu’il ne dure pas. En outre, il y un moment pour chaque action et un moment pour son contraire (3, 1-Cool : enfanter puis mourir, pleurer puis rire, etc. La succession des moments opposés ne se résout pas dans une temporalité équilibrée, et pourtant Qohélèt ose l’affirmation fonda-mentale que tout ce que fait Dieu convient en son temps. L’admettre est une forme de courage souple, car l’homme doit reconnaître qu’il ne peut le saisir, puisqu’il ne peut échapper au présent strict, « et Dieu fait en sorte qu’on le craigne », pour percevoir du sens. En effet, Dieu seul peut rechercher ce qui a disparu ou n’est pas présent (3, 11-15) ; ainsi, le sens dépasse le sage (8, 17).

Puis Qohélèt perçoit une autre dimension : Dieu ne cajole pas l’homme, il l’éprouve, car l’être humain est peu différent d’une bête. Davantage, il a été créé droit, mais il se perd en calculs et manœuvres (7, 29), car selon son jugement il ne peut comprendre ce que fait Dieu, et il cherchera du sens autrement : Pourquoi Dieu a-t-il courbé certaines choses, alors qu’elles iraient bien mieux si elles étaient droites (7, 13-14) ?

https://journals.openedition.org/rsr/11827#tocto1n2


L’Écclésiaste – Le sage en quête du sens de la vie !
Pierre BERTHOUD*

C) Le besoin de comprendre 

Tous ces passages évoquent d’une manière frappante le malaise que l’être humain éprouve. Il ressent d’autant plus le tragique de la vie que l’homme a dans son cœur la pensée de l’éternité, “le désir de connaître à la fois le passé et le futur”7. L’homme éprouve la réalité du mal, vit à l’ombre de la mort, mais il ne peut s’en satisfaire. Il ressent le caractère disloqué de l’existence fragmentée, mais il a cependant besoin de comprendre, d’avoir un regard englobant. Il aspire à donner, à trouver un sens à sa vie, à la vie. Comme le dit un penseur contemporain:

“Dieu nous a donné un souci pénible, des événements nous arrivent, chacun en leur temps, mais face aux contradictions de la vie, Dieu nous a donné un ardent désir de connaître l’éternité des choses, le plan d’ensemble.” 

Cette pensée revient plusieurs fois dans le développement du Qohélet; nous pourrions ici citer de nombreux exemples. En voici deux: “Au jour du bonheur, nous dit l’Ecclésiaste, sois heureux, et au jour du malheur, réfléchis: Dieu a fait l’un comme l’autre, afin que l’homme ne découvre en rien ce qui sera après lui.”8Et encore: “J’ai vu toute l’œuvre de Dieu, j’ai vu que l’homme ne peut pas trouver ce qui se fait sous le soleil, il a beau se fatiguer à chercher, il ne trouve pas! Et même si le sage veut connaître, il ne peut pas trouver.”9 L’homme bute contre la réalité des choses, il ne peut percer le mystère conflictuel de la vie…

F) Un diagnostic

Comment rendre compte de cet état de choses? L’Ecclésiaste nous apporte-t-il quelque élément de réponse? D’où vient cet état de choses, ce malheur? Quel diagnostic le sage porte-t-il? Voici ce qu’il nous dit: “Dieu a fait l’homme droit, mais il a cherché à raisonner beaucoup.” Telle est la traduction que nous avons dans la Bible à la Colombe. En d’autres termes, il s’est volontairement tourné vers ses propres pensées. La Bible en français courant propose de traduire ce verset ainsi: “Dieu a fait les êtres humains simples et droits, mais ceux-ci ont tout compliqué. Les hommes ont cherché à raisonner beaucoup, à tout compliquer” On pourrait aussi paraphraser: “ont poursuivi leurs propres projets, ils se sont volontairement tournés vers leurs propres pensées”. Cela veut dire qu’ils ont cherché à s’émanciper de la sagesse de Dieu. Ils ont cherché à être leur propre finalité. C’est cela le péché: le fait d’être la mesure de toute chose! Il nous faut assumer notre destinée devant Dieu, être des créatures responsables et réfléchies. Mais le péché consiste à vouloir être sa propre finalité, la mesure de toute chose! C’est alors qu’il faut se poser des questions avant qu’il ne soit trop tard!

Lorsque l’homme rejette Dieu, le point de référence absolu et infini, il cherchera sa raison d’être sur le plan horizontal. Il cherchera une autre raison d’être. Comme le disait un célèbre penseur anglo-saxon, G.K. Chesterton, lorsque l’homme cesse de croire en Dieu, il ne croit pas en rien, mais en autre chose. En d’autres termes, il est contraint, de par sa nature même, à se fabriquer des idoles. Mais en agissant ainsi, il perd aussitôt la clé de l’énigme de la vie marquée par la réalité du péché. En effet, l’homme a besoin, pour se situer dans l’univers, d’un point de référence infini. S’il ne le trouve pas, il cherchera dans le cadre de son horizon limité, mais sans jamais aboutir durablement, ou pour aboutir à la dérive, ayant perdu le nord! Certes, il peut, pendant un certain temps, se fabriquer “du sens”,  Shocked mais cela ne lui apportera pas la sérénité, ni une paix durable.

https://larevuereformee.net/articlerr/n218/l%E2%80%99ecclesiaste-le-sage-en-quete-du-sens-de-la-vie

Chercher un sens aux évènements de la vie et à l'existence ...; Eloigne le croyant de Dieu  Shocked
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MessageSujet: Re: pensées (ou: feu l'artifice)   pensées (ou: feu l'artifice) Icon_minitimeMer 08 Mai 2024, 23:33

Je trouve ces deux articles assez étranges: celui de Nodet et Wohlman (à quatre mains ?) parce que je ne sais pas au juste ce qui est de l'un (que je connais un peu) ou de l'autre (que je ne connais pas du tout), et que j'aurais pour ma part plutôt rapproché Qohéleth de l'épicurisme et du scepticisme que du stoïcisme -- sans préjudice du mélange des idées dans une "philosophie populaire". Il y a peut-être une volonté de se concilier un judaïsme traditionnel, avec les références à Salomon et au Décalogue, mais ça n'explique pas vraiment ce choix du côté hellénistique. Quant à Berthoud, je n'en attendais pas grand-chose, mais je ne m'attendais pas non plus à le voir citer tant de "culture" contemporaine, fût-ce de seconde main (il se trompe p. ex. sur le titre du film de Bergman, L'oeuf du serpent).

Le plus étonnant à mes yeux c'est qu'aucun ne s'interroge sur la notion de "sens" que tous postulent, et qui leur paraît faire défaut à Qohéleth. On peut sans doute voir du "non-sens" dans la "vanité" (hbl-mataoiotès-vanitas), mais c'en est tout au plus un aspect ("cognitif"), très réducteur par rapport à un terme qui évoque aussi bien l'"impermanence" des "choses" et des "êtres", l'inutilité dans une métonymie "économique" (ma yitrôn, que reste-t-il, quel avantage, quel bénéfice, quel profit, qu'est-ce qu'on gagne, à quoi bon), ou, sur un plan affectif, le "malheur" ou la "peine". A tout cela un "sens" ferait, comme on dit, une belle jambe... On peut demander aux dieux la santé, la guérison, la prospérité, la victoire, la libération, la justification, à la rigueur la sagesse ou l'intelligence, mais on leur demande rarement du "sens".

Je ne vois même pas comment on traduirait "sens" ou "signification" en hébreu biblique: on peut parler de traduction d'une langue étrangère, d'interprétation des rêves, des visions ou des signes, mais il n'est jamais question de "sens" des choses ou des événements, encore moins de la vie, du monde ou de l'histoire en général; même en grec qui nommerait plus aisément ce genre d'abstraction, je ne trouve pas d'usage semblable dans le NT ni dans la Septante: quand il y a du "sens" ou de la "signification" dans un texte biblique, c'est généralement la traduction qui l'y a introduite.
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MessageSujet: Re: pensées (ou: feu l'artifice)   pensées (ou: feu l'artifice) Icon_minitimeJeu 09 Mai 2024, 09:11

L'image de Qohelet dans l'exégèse contemporaine [article]
Jacques Chopineau

II. Le monde de Qohelet

«La position de Qohelet est unique dans toute la Bible : il n'existe chez lui aucune ouverture à une communion personnelle et salutaire avec Dieu»

Pis encore :

«L'histoire, œuvre de Dieu, n'est plus lieu de révélation»

La lecture que fait Gorssen est certainement la plus pessimiste : «Il (Qohelet) exprime la désolation profonde d'un Juif qui vit une existence, non sans Dieu, mais sans un Dieu de salut » 

«Il professe une ignorance qui affecte les relations Dieu-homme et sape ainsi l'engagement religieux à la racine même»14

S'il en est ainsi, on peut être tenté de suivre H.-P. Müller15 dans sa tentative pour analyser la structure de la pensée de Qohelet à l'aide de la phénoménologie des religions : le Dieu de Qohelet serait analogue au Grand Dieu Auteur (Urheber) du monde. C'est ce Dieu qui a créé le monde et donné aux hommes les lois et les rites avant de s'en retourner dans une contrée éloignée du ciel. C'est Lui qui garantit l'ordre du monde duquel II s'est retiré. Certes, toutes choses ont été créées belles et bonnes «en leur temps » et l'homme de même (cf. Qoh. 7, 29), et d'autre part, tout ce que fait Dieu est éternel (cf Qoh. 3, 14). Mais la figure de Dieu est aujourd'hui bien éloignée de son agir primordial.

H.-P. Müller reprend et souligne cette opinion selon laquelle Sagesse et déisme peuvent être compris comme deux exemples d'une «structure permanente de la psyché religieuse».

Faudrait-il voir Qohelet en rupture avec la tradition biblique ancienne ? Sans aller aussi loin, E. Glasser remarque que : «... la réflexion sapientiale (de Qohelet) ne peut pratiquement plus intégrer le contenu le plus original de la foi d'Israël : à savoir sa conception du Dieu de l'Alliance et son espérance». Il peut dès lors être perçu comme un homme isolé qui interpelle l'assemblée des croyants : «... il veut convoquer et interpeler l'assemblée d'Israël ; pratiquement, il espère alerter les responsables sur le grave problème qu'il aperçoit personnellement : la foi d'Israël peut-elle assumer ses interrogations ? ». Cette interprétation ingénieuse du titre de Qohelet - celui qui interpelle l'assemblée-ne nous rapproche cependant pas du rôle d'un prédicateur : «Personnellement, Qohelet n'entrevoit pas d'issue.

Ce pessimisme n'est cependant pas désespéré. On peut, avec A.M. Klopfenstein20, refuser l'opinion de Gorssen selon laquelle la piété de Qohelet ne serait qu'une tentative désespérée pour échapper à la vanité de la vie. Qohelet sait que tout vient de la main de Dieu. C'est ainsi qu'il est retenu de sombrer dans le scepticisme total et qu'il demeure dans la mouvance de l'héritage juif israélite.

Il n'en demeure pas moins que plusieurs estimations de la pensée de Qohelet sont marquées par la déception de ne pas y trouver à ce qui est souvent considéré comme le centre de la pensée biblique : la révélation dans l'histoire.

Pour Qohelet, selon Gorssen, «Dieu ne parle plus»1.

Mais ce qu'on sait de l'isolement des prophètes donne difficilement à penser que l'expression «Israël a reconnu Dieu dans l'histoire » 22 ait correspondu à une évidence.

Les affirmations courantes de la théologie biblique ont certainement besoin d'être vues aussi à travers le prisme de la tradition sapientiale : ni dans le passé d'Israël, ni dans l'histoire présente du monde, l'action de Dieu ne peut être perçue comme évidente. Dieu se révèle et, en même temps, son action est mystérieuse. Et ce mystère n'est certes pas une découverte tardive, ni une exclusivité-de la littérature sapientiale.

III. La solitude du sage

Le passage de la communauté à la société, entraîne -aujourd'hui comme hier-la solitude. C'est le lot de Qohelet : seule l'existence d'une communauté orientée vers l'avenir donnerait à toute existence individuelle la possibilité de dépasser les limites de sa propre vie. Et dans une perspective solitaire, le sort du sage n'est pas plus enviable que celui du fou (cf Qoh. 2, 16 ; 9, 2). Le seul bonheur sera donc limité à ce qu'il est possible d'éprouver pour soi-même (3, 22 ; 6, 18 sq ; 9, 7-9, 11, 7 ...). De là, l'importance de la richesse (10, 19).

Mais, même ainsi, malheur à celui qui est seul (4, 10). Surtout s'il n'a pas de fils (4, Cool. Et d'ailleurs, même trouver une compagne n'est pas simple ! (7, 26-29) 29 (29 Soulignons à ce propos la remarquable interprétation proposée par A. Maillot (op. cit. p. 130) pour le verset (discuté) de 7, 27 : «Voyez ce que j'ai trouvé, dit Qohelet : il faut les prendre l'une après l'autre pour se faire une idée». Traduction qui ne rompt pas le contexte de 7, 26-29 : c'est bien de la femme qu'il s'agit !).

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1979_num_59_3_5863
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MessageSujet: Re: pensées (ou: feu l'artifice)   pensées (ou: feu l'artifice) Icon_minitimeJeu 09 Mai 2024, 10:19

Au-delà de sa spécialité (AT), Jacques Chopineau était un penseur original et très intéressant -- je me souviens, ça n'a a priori aucun rapport mais ça rejoindra ce que je disais précédemment du "sens", d'une "leçon" (conférence, colloque, séminaire ?) où il m'avait fait réfléchir en racontant une anecdote: lors d'un séjour à Jérusalem au cours de ses études, il aurait essayé d'expliquer à un confrère israélien l'opposition paulinienne et protestante de la "foi" et des "oeuvres", et se serait ainsi aperçu qu'elle n'est pas énonçable, donc pas pensable, en hébreu (du moins "biblique"): ce qui correspond à la "foi" ('emouna), c'est inséparablement la confiance et la fidélité, ce qui est digne de foi ou de confiance, donc nullement opposable à des "oeuvres"... De même ce qu'on appelle (du) "sens" et qu'on projette inconsidérément sur le texte, fût-ce sous forme négative ou privative (manque de sens, absence de sens, non-sens), si ça n'est pas nommé comme tel ça n'est pas non plus pensé comme tel: tout mot n'a sans doute pas son concept clair et univoque, mais sans mot (notamment substantif, qui est l'indice par excellence du concept) il n'y a pas de concept du tout...

Bien entendu, depuis cet article (1979) les études vétérotestamentaires ont pas mal évolué: ce que ça change surtout sur ce sujet, me semble-t-il, c'est que Qohéleth paraît aujourd'hui moins éloigné, dans le temps, des "traditions bibliques" (Torah, Prophètes, Ecrits notamment sapientiaux) auxquelles il réagit, parce qu'elles-mêmes paraissent désormais beaucoup moins anciennes qu'on l'estimait alors. De sorte qu'il apparaît moins comme un "révolutionnaire" que comme un "conservateur", ce qui correspond grosso modo à la position "sadducéenne" ultérieure; mais pas "exclusiviste" ni "identitaire", au contraire: l'aristocratie sacerdotale est largement ouverte à l'hellénisme, égyptien ou même syrien, jusqu'à la crise maccabéenne au moins (les "réformes" d'Antiochos IV sont soutenues par une partie de la prêtrise). Entre la construction d'un "judaïsme" exclusif (Deutéronome, Josué, Esdras-Néhémie etc.), les développements des Prophètes-livres et les "nouveautés" apocalyptiques (eschatologie, angélologie, résurrection, Daniel, deutéro-Zacharie, Hénoch etc.) la distance n'est pas si grande, les différences traversent souvent les mêmes "livres", et rien n'est encore assez établi et consensuel dans "le judaïsme" (auquel appartient aussi Qohéleth, dans une position d'autant plus centrale s'il est proche du temple et de la prêtrise) pour que ça ne puisse pas être contesté -- la preuve.

Même le "monothéisme", si on l'entend au sens d'un "Dieu" personnel, moral, engagé dans l'histoire, et ainsi de suite. Pour le lecteur moderne, chrétien ou post-chrétien (aussi bien juif ou musulman, d'ailleurs), il va de soi que "les dieux" n'existent pas et que "Dieu", s'il existe, est unique par définition. Il faut faire un effort particulier pour se rappeler que tous les textes "bibliques" (NT compris) sont nés dans un contexte où "les dieux" avaient encore un sens, quelle que soit l'idée qu'on s'en faisait -- même le sens d'un "mono-théisme", quel qu'il soit, en dépendait. Par rapport à ça la façon assez abstraite dont Qohéleth nomme le divin (ha-elohim, les dieux, le dieu, la divinité -- jamais un nom propre ou personnel) est remarquable, mais tout aussi recevable qu'une autre dans la diversité du judaïsme du Second Temple.

Sur l'interprétation du chapitre 7, on pourra relire le post initial de ce fil: c'était le texte de départ.
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MessageSujet: Re: pensées (ou: feu l'artifice)   pensées (ou: feu l'artifice) Icon_minitimeJeu 09 Mai 2024, 11:02

Démesure humaine et crainte de Dieu en Qohélet 7,15-18
Jean-Jacques Lavoie

v 16 : Ne sois pas juste à l’excès

et ne sois pas sage davantage,

pourquoi te détruirais-tu ?


2. Verset 16

35 Plusieurs exégètes supposent que Qo prône dans ce passage une doctrine du juste milieu, mais ils ne partagent pas pour autant la même interprétation. Selon Hungs, la voie du juste milieu équivaut à un agnosticisme éthique et témoigne non pas d’une indignation mais d’une résignation. Sacchi et Scippa affirment que Qo conseille l’aurea mediocritas dans le but de polémiquer contre les Juifs de son temps qui cherchent à faire plus que ce que commande la Loi, et ce, pour avoir quelque chose de plus que la récompense du juste. Ils précisent que le juste, qui est ici rigoureusement fidèle à la Loi, incarne la tendance proto-pharisienne. Certains traduisent l’interdit du v. 16a comme suit : « ne sois pas trop scrupuleux », tandis que d’autres, qui croient que Qo recommande une certaine forme de via media, optent pour la traduction suivante : « ne sois pas trop strict en regard de la loi », c’est-à-dire la Torah, car ni la justice ni la sagesse, c’est-à-dire la Torah elle-même, ne peuvent garantir le bonheur.

37 Ces interprétations, qui supposent que Qo doit être compris tantôt à la lumière de la tendance proto-pharisienne, tantôt à la lumière du contexte socioreligieux où Loi et Sagesse sont identifiées, sont plutôt problématiques, et ce, pour au moins quatre raisons. Premièrement, rien dans le contexte immédiat ne permet de supposer que Qo polémique ici avec des représentants d’une pratique rigoureuse de la Loi. Deuxièmement, il est reconnu que le livre de Qo est antérieur à celui de Ben Sira, dont la première version hébraïque remonte aux années 190 à 180. Troisièmement, Qo n’utilise pas une seule fois le mot twrh et il n’emploie que deux fois le mot mṣwh, « commandement », et ce, dans des textes dont l’interprétation est très controversée (8,5 et 12,13). Quatrièmement, même en supposant que Qo prône ici une voie du juste milieu — ce qui est contestable, comme on le verra —, il est impossible de prouver que l’auteur du livre de Qo connaissait l’Éthique à Nicomaque. À ce sujet, Horton est d’avis que Qo, en 7,16-17, se distingue nettement d’Aristote, dont il ne dépend aucunement, puisqu’il offre une version simple, voire terne, du juste milieu ; selon lui, le juste milieu promu par Qo n’est qu’une attitude exprimant une aversion pour les extrêmes et non un exposé exhaustif des émotions. Kwon et Brütsch estiment plutôt que Qo a ici des affinités avec les sceptiques et les cyniques. Dans sa comparaison avec les textes anciens, Kaiser ne donne pas la priorité à la culture gréco-hellénistique, puisqu’il rappelle que la doctrine du juste milieu se trouve aussi dans le Papyrus Insinger et les proverbes d’Ahikar. Plus catégorique, Lauha refuse d’y voir l’indice d’une influence grecque, car cette voie du juste milieu était un idéal commun aux sagesses anciennes du Proche-Orient. Choi est du même avis, car il estime que cette doctrine du juste milieu est tout simplement universelle.

38 Quelques auteurs sont d’avis que l’enseignement des v. 16-17 n’a rien à voir avec une quelconque doctrine du juste milieu[84]. À mon avis, le raisonnement de Qo ne se rapporte pas à la doctrine aristotélicienne du juste milieu, mais à ce qui vient d’être dit au v. 15, à savoir que la doctrine de la rétribution n’est pas forcément crédible. Pour bien critiquer cette doctrine de la rétribution, Qo s’adresse ici directement à son narrataire, comme c’est le cas en maints autres passages (4,17 ; 5,1.3.5.6.7 ; 7,9.10.13.14.16.17.21.22 ; 8,2.3 ; 9,7.8.9.10 ; 10,4.20 ; 11,1.2.5.6.9.10 ; 12,1.12). De tous ces passages, on peut déduire que le narrataire est un jeune homme (Qo 11,9 ; cf. aussi 9,7-10 ; 12,1.12) qui fréquente la maison de Dieu (Qo 4,17-5,6), un individu qui occupe ou qui va peut-être occuper un poste politique quelconque (Qo 8,3-5) et qui semble appartenir à une classe assez aisée puisqu’il a un serviteur (Qo 7,21).

42 Pour bien comprendre ce double interdit, il faut déterminer le sens des mots hrbh et ywtr. Le mot hrbh, qui apparaît 15 fois en Qo, est un hiphil infinitif absolu, « en faisant beaucoup », utilisé comme adverbe au sens de « beaucoup » (1,16 ; 5,11.19 ; 9,18 ; 11,8 ; 12,12[2x]), « abondance » (2,7 ; 5,6 ; 6,11), « grandement » (5,16) et « nombreux/nombreuses » (11,8[2x]). Le mot hrbh apparaît dans des constructions semblables à deux autres reprises : wk‘s hrbh, « il est chagriné en abondance » (5,16) ; ‘śwt sprym hrbh, « faire des livres en abondance » (12,12). Au v. 16, l’interdit peut être compris de deux façons, selon que le mot hrbh se rapporte au mot ṣdyq (ne sois pas juste beaucoup) ou à l’expression ’l thy (ne sois pas beaucoup juste). Dans le premier cas, c’est la justice en abondance qui est visée ; par contre, dans le second cas, c’est la poursuite en abondance qui est en vue. Dans un cas comme dans l’autre, c’est la démesure qui est visée. Or, cette critique de la démesure, notamment avec l’emploi des racines voisines rbh et rbb, occupe une place importante dans le livre de Qo (cf. 1,16-18 ; 2,7.11 ; 5,2.6.10 ; 6,3.11 ; 7,17 ; 10,14 ; 11,8 ; 12,12).

https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2021-v77-n2-ltp07115/1090559ar/
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MessageSujet: Re: pensées (ou: feu l'artifice)   pensées (ou: feu l'artifice) Icon_minitimeJeu 09 Mai 2024, 11:59

Merci pour cette étude très fouillée, et récente (2021), de J.J. Lavoie. A mon sens le texte est assez clair et simple, si on ne va pas chercher midi à quatorze heures... et si l'on va chercher midi à quatorze heures, ou à n'importe quelle heure sauf midi -- les nombreuses références de cet article illustrent l'ampleur du phénomène -- c'est bien parce qu'on est gêné par un sens "obvie", ce qui ne fait que confirmer l'évidence accessible à n'importe quel lecteur.

Les alternatives herméneutiques que conserve ou construit Lavoie et dans lesquelles il entend trancher me semblent elles-mêmes assez artificielles: une "voie du milieu", c'est précisément ce qui s'oppose à la "démesure", excès ou défaut, dans un sens ou dans un autre; et ça a beau être "universel", c'est quand même par la tradition hellénistique que cette "sagesse" est le plus présente à l'époque et au milieu de Qohéleth, toutes localisations (Judée, Egypte) et écoles (platonicienne, aristotélicienne, cynique, stoïcienne, sceptique, épicurienne...) confondues, comme il se doit dans "l'air du temps".

Là encore, Qohéleth ne paraît "excentrique" que par rapport à une idée traditionnelle, monolithique et foncièrement fausse du "judaïsme" (du Second Temple): dans le judaïsme réel, divers et très largement hellénisé, il est une voix parfaitement recevable, et à vrai dire modérée, raisonnable, voire "centriste" (non seulement d'un centre idéologique par rapport à des extrêmes, mais du centre symbolique que représente autour du temple l'aristocratie sacerdotale, bientôt "sadducéenne").
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MessageSujet: Re: pensées (ou: feu l'artifice)   pensées (ou: feu l'artifice) Icon_minitimeJeu 09 Mai 2024, 12:31

Notes : Ecclésiaste 7:29
Dieu a fait les humains (litt. l’humain, hébreu ’adam) droits : cf. 3.11 ; Gn 1.31. – subtilités : le même terme hébreu apparaît en 2Ch 26.15 avec le sens d’inventions, machines (de guerre) ; c’est le pluriel du mot traduit par raison au v. 25+. Cf. Gn 3 ; Siracide 15.11,14 : « Ne dis pas : “C’est à cause du Seigneur que je me suis écarté”, car ce qu’il déteste, il ne le fait pas (…). Lui-même a créé l’homme au commencement et l’a laissé à son propre conseil. »
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MessageSujet: Re: pensées (ou: feu l'artifice)   pensées (ou: feu l'artifice) Icon_minitimeJeu 09 Mai 2024, 13:22

C'est bien le terme que la NBS avait traduit par "subtilités" que je proposais de (re-)traduire "artifices" dans le post initial, pour souligner le rapport entre le vocabulaire hébreu de la "pensée" et celui du "calcul" (qu'on retrouverait aussi bien dans le logos grec ou la ratio latine), mais aussi de la "machination" (projet, plan, conseil, délibération, conspiration, complot, etc.). Cela rejoindrait cet autre fil plus récent (tekhnè, ars, artis etc.), ainsi que ce que Heidegger appelait Machenschaft, "fabrication", avec le sens péjoratif de "machination(s)" ou d'"agissement(s)" (criminels, ou répréhensibles) -- terme assez présent dans la propagande antisémite mais que Heidegger employait pour sa part de façon beaucoup plus large, dans son analyse de la "technique" moderne en général et de ses effets sur la "pensée"...
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MessageSujet: Re: pensées (ou: feu l'artifice)   pensées (ou: feu l'artifice) Icon_minitimeVen 10 Mai 2024, 08:34

« Jouis avec la femme que tu aimes »
Dominique Rousseau

« Plus amère que la mort, la femme » 

Le Professeur Claude Riveline caractérise les trois formes du commandement dans la Torah : interdiction (michpatim), commémoration (edot), rituel (h’oukim). De quel côté situerons-nous le verset retenu par Lacan : « Jouis de la femme que tu aimes » ? Ce n’est ni le rappel d’un événement biblique du passé (edot) ni l’observance d’un rite concernant la femme aimée. Est-ce une interdiction ? Quelle en serait la formulation ? « Ne jouis pas de la femme que tu n’aimes pas » ? Quelle pensée maintiendrait cette parole de Qohéleth dans le refoulement ? Qu’il y serait justement question de jouir de la femme qui n’est pas aimée ? Car c’est bien ce que la psychologie de la vie amoureuse masculine donne à penser dans sa pathologie de l’impuissance sexuelle : que l’impuissant ne peut que jouir de la femme rabaissée, voire haïe, celle que Qohéleth juge « plus amère que la mort » (Ec 7, 26). Qohéleth est en quête de sagesse, c’est-à-dire en quête d’un sens de l’existence humaine eu égard à l’existence de Dieu. Après une série de maximes et de réflexions tirées de son expérience (Ec 7, 1-10), il n’y parvient pas : « Tout cela, je l’ai mis à l’épreuve par la sagesse. J’ai dit : “j’aurai la sagesse”, Mais elle reste loin de moi. » (Ec 7, 23-24). Qu’est-ce que cela veut dire que de chercher un savoir sur le sens de l’existence ? Cela peut être rabattu sur la question de savoir comment faire pour jouir de la vie – la sagesse, « c’est le savoir de la jouissance ». Nous retrouvons-là non seulement la première partie du début du verset 9 chapitre 7 dans la traduction Segond : « Jouis de la vie avec la femme que tu aimes » mais également la traduction que retient Lacan : « Jouis de la femme que tu aimes. » En effet, dans cette quête de sagesse, Qohéleth « trébuche » sur la femme : « Je me suis appliqué à savoir, à explorer et à chercher la sagesse et la raison, à savoir que la méchanceté est stupide, et la folie démente. » (Ec 7, 25). 

Jusque-là, tout va bien : Qohéleth est parvenu à débrouiller « la sagesse et la raison » d’un côté, de l’autre « la méchanceté » et « la folie ». Ce qui n’a pas été une mince affaire dans la  mesure où la justice peut conduire à la mort et la méchanceté à de longs jours : « Il y a tel juste qui disparaît par sa justice, et tel méchant qui prolonge son existence par sa méchanceté » (Ec 7, 15). 

Tout peut donc se présenter à l’envers. Il faut du discernement. Il faut mettre de l’ordre, distinguer, différencier, démêler. Mais justement, nous dit Qohéleth, quelque chose résiste à l’ordre, n’entre pas dans la répartition sagesse/méchanceté, raison/folie – au fond, dans le battement signifiant de l’ordre symbolique. Quelque chose, ou plutôt quelqu’un, puisqu’il s’agit de la femme, n’entre pas dans la dialectique du sens et de l’insensé dont la garantie est donnée par l’existence de l’Autre divin, le Père : « […] J’ai trouvé un homme entre mille ; Mais une femme entre elles toutes, Je ne l’ai pas trouvée. Voilà seulement ce que j’ai trouvé : C’est que Dieu a fait les humains droits (la plupart des autres traductions, y compris La Septante, disent “l’homme” et non “les humains”) ; mais eux ont cherché bien des subtilités. » (Ec 7, 26-29). Qohéleth n’a pas de mots assez durs pour nommer ce qu’il ne peut nommer . Il y entre une pointe haine.

J. Ellul affirme que ce verset concerne la femme dans une modalité de son être : seulement quand elle est un piège, elle est plus amère que la mort. « […] ce n’est pas la femme en soi qui est piège […] il [Qohéleth] nous déclare qu’il n’a jamais rencontré une véritable femme […], c’est-à-dire la femme telle que Dieu l’a créée, emplissant son être vrai de femme ». Toujours d’après le professeur J. Ellul, « Qohéleth travaille avec la genèse sous les yeux ». Il en veut pour preuve les versets 7 à 12 du chapitre 4. On citera surtout Ec 4, 9-12 : « Deux valent mieux qu’un parce qu’ils ont un bon salaire pour leur travail. Car, Si l’un tombe, L’autre relève son compagnon ; Mais quel malheur pour celui Qui est seul et qui tombe, Sans avoir un autre pour le relever ! De même, Si deux se couchent ensemble, Ils ont chaud ; Mais celui qui est seul, Comment se réchauffera t-il ? Si quelqu’un peut maîtriser Un homme seul, Deux peuvent lui résister ; La corde à trois brins, Ne se rompt pas vite. »

https://www.lacan-universite.fr/wp-content/uploads/2012/06/PRAGMATIQUE-DES-CONCEPTS-18.pdf
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MessageSujet: Re: pensées (ou: feu l'artifice)   pensées (ou: feu l'artifice) Icon_minitimeVen 10 Mai 2024, 11:07

Remarquable carrefour de lectures -- exégétiques, rabbiniques, mystiques, freudiennes, lacaniennes.

Dans le texte hébreu de 9,9 l'impératif n'est toutefois pas de "jouir", mais de "voir ou regarder la vie", r'h hym (la NBS le signale en note) -- à moins d'attribuer à toute cette expression un sens global, "exocentrique" comme disait J.M. Babut, de "jouir" ou de "se réjouir": dans ce cas il ne faudrait pas traduire "jouir de la vie avec" (surtraduction) mais simplement "jouir avec", ce qui se rapprocherait de la formule de Lacan. Cela reste toutefois très conjectural, car -- à ma connaissance  -- un tel sens (global ou exocentrique) de l'expression n'est attesté nulle part (ailleurs). L'usage du verbe r'h (voir, regarder) avec toute sorte de compléments d'objet est archi-courant en général, mais ses modulations, aussi sans complément, sont particulièrement sensibles et soulignées dans Qohéleth (1,8.10.14.16; 2,1.3.12s.24; 3,10.13.16.18.22; 4,1.3s.7.15; 5,8.13.18; 6,1.5s; 7,11.13ss.27.29; 8,9s.16s; 9,9.11.13; 10,5.7; 11,4.7; 12,3): tout est à "voir" et  à "regarder", le bon, le mauvais, le bonheur, le malheur, la vie, la mort, la joie, le plaisir, la peine, la sagesse, la folie-sottise, la vanité-futilité... "Voir ou regarder la vie" mérite au moins d'être entendu sous le "jouir" traditionnel.

Le rapport des sexes, ou des genres, même s'il est vu dans le sens unilatéral du rapport d'un homme à la femme ou aux femmes, une ou innombrables, reste foncièrement ambivalent, puisqu'il est à la fois le meilleur et le pire -- là-dessus les analyses de l'article sont excellentes. Mais je ne suis pas sûr qu'il faille y rapporter, en l'opposant aux passages "misogynes" (notamment 7,26ss, qui rappelle le "contre [les femmes], tout contre" de Guitry), celui de 4,7ss, où il est question de nombre (deux, ou trois, plutôt qu'un) et non de "genre" (cf. fils, frère): même quand il s'agit de "coucher ensemble", pour se réchauffer ou davantage si affinité (ça me rappelle que le "réchauffement" sert aussi d'euphémisme sexuel probable dans l'histoire de David et d'Abishag). C'est plutôt par contresens (courant) qu'on applique ce texte au mariage (hétérosexuel).
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