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 cliniques

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Narkissos

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MessageSujet: cliniques   cliniques Icon_minitimeDim 22 Mai 2016, 14:55

Comme il était à table chez lui (Lévi, cf. v. 14 ? Jésus, cf. v. 1 ?), beaucoup de collecteurs des taxes et de pécheurs avaient pris place avec Jésus et ses disciples, car ils étaient nombreux à le suivre. Les scribes des pharisiens, le voyant manger avec les collecteurs des taxes et les pécheurs, disaient à ses disciples: "Pourquoi mange-t-il avec les collecteurs des taxes et les pécheurs ?" Jésus, qui avait entendu, leur dit: "Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs."
Marc 2,15ss.

C'est, on s'en sera douté, un de mes thèmes favoris (de ceux qu'on appelle aussi dadas) qui me ramène à ce texte: le christianisme comme pathologie assumée. Sans doute est-il (le thème) plus explicite -- diagnostic similaire sous des prescriptions diamétralement opposées -- chez Dostoïevski ou Nietzsche que dans l'évangile. Ici même, la référence "médicale" n'intervient à première vue, sous une forme quasi proverbiale, qu'à titre de comparaison accessoire, d'illustration du "vrai sujet", qui ne serait pas la maladie ni la santé mais le "péché" -- en particulier tel que celui-ci se présente dans le débat différé entre ses conceptions pharisienne (la place des "collecteurs des taxes" ne se comprend guère qu'en fonction des stéréotypes de ce milieu, dont la littérature rabbinique ultérieure fournit d'abondants exemples*) et (proto-)chrétiennes. En toile de fond, bien sûr, le problème plus vaste du rapport à la "Loi" et à cette "frontière judéo-païenne" en train de devenir principalement "judéo-chrétienne", au prix de multiples déplacements de part et d'autre.

A sa lecture, une remarque s'impose, à la fois évidente et nécessaire après bientôt 2000 ans de christianisme entendu comme "religion universelle" par destination, sinon par usage: "Jésus" dit que sa place est auprès des "pécheurs" comme celle du médecin (iatros) auprès des malades. Il ne dit pas, comme le Dr. Knock, que les bien portants sont des malades qui s'ignorent -- autrement dit, que les "justes" seraient de faux justes et de vrais pécheurs, encore plus pécheurs que les autres de ne pas se reconnaître, eux, comme tels. Or cela, un christianisme à vocation universelle ne pourra s'empêcher de le dire et de le penser (notamment par la doctrine du péché universel, puis originel); perdant de vue par la même occasion sa "pathologie" spécifique, la reniant même en dépit de toutes ses "confessions" qui ne seront plus, désormais, que celles du péché de tous, voire: des autres plus que de soi (car "nous", on en est guéris, ou du moins on se soigne)**.

"Etre chrétien", de ce point de vue, ce serait avant tout se reconnaître atteint d'un mal non pas universel et méconnu (ce qui reviendrait, sous l'apparente humilité de la confession, à une prétention de lucidité supérieure, quand ce ne serait pas de guérison accomplie), mais très particulier au contraire. Confession beaucoup moins glorieuse d'un défaut, d'un manque, d'une carence, d'une infirmité, d'une souffrance (d'un pathos; cf. les "Béatitudes", dont toutes les promesses se résument ici à la seule présence de Jésus médecin) appelant "soins" et "traitement", sinon "guérison". Faute de quoi le patient se double inévitablement d'un médecin autoproclamé, au risque de contaminer les autres de son mal et de les empoisonner de sa panacée.

---
* Accessoirement par rapport à mon idée initiale, mais non par rapport au texte, ces "collecteurs des taxes" ("publicains", "péagers", telônès en grec) qui intriguent toujours les lecteurs des évangiles méritent commentaire. Souvent associés aux "prostituées" -- terme susceptible d'un usage à peu près aussi lâche, et toujours aussi méprisant, que celui de "pute" dans nos banlieues -- ils constituent bien au départ une "catégorie socio-professionnelle", celui des percepteurs d'impôts surtout indirects, notamment sur les transports de marchandises (d'où les "péages", comme ce telônion où Jésus, en passant, appelle Lévi, v. 14), pour le compte de l'administration romaine, des cités franches ou des souverains locaux (comme les Hérode en Palestine) qui dépendent plus ou moins étroitement de celle-ci. Pour le judaïsme, en particulier pharisien, ce sont des "pécheurs" exemplaires à plusieurs titres: "collaborateurs" de l'occupant, voire "traîtres" d'un point de vue "nationaliste", rituellement impurs par leur contact régulier avec des "païens", "voleurs" parce que, non rémunérés, ils ne peuvent vivre qu'en prélevant davantage que les pourcentages officiels intégralement reversés à qui de droit, "extorqueurs" et "chicaneurs" parce que tenus responsables de toute fraude par ceux à qui ils rendent compte, ils occupent une "niche" économique viable et souvent rentable, mais socialement inconfortable (ce ne sont pas des "pauvres", puisqu'ils ont le plus souvent acheté leur charge, mais ce ne sont généralement pas non plus des "très riches" -- le Zacchée de Luc 19,1s, en tant que "chef" ou patron d'une société de collecteurs des taxes, arkhitelônès, est une exception -- et jamais des "notables"; même hors du judaïsme ils ne font habituellement pas partie de la "bonne société" gréco-romaine). Le pharisaïsme qui "laïcise" le rituel en le transférant du temple au cadre de la vie domestique et communautaire locale (et en annulant pratiquement la différence entre "prêtre" et "laïc") leur est encore plus hostile que l'aristocratie sacerdotale: un "publicain" pouvait encore, comme n'importe quel juif, aller prier et sacrifier anonymement au temple (cf. Luc 18), dans une synagogue locale il est "grillé" d'office (c'est le cas de le dire). Pain bénit, si l'on ose dire, pour les proto-christianismes qui tendent, eux, à abolir la frontière entre "juif" et "païen" et à redistribuer les cartes religieuses, rituelles et morales.

**Noter, déjà, les modifications du logion de Marc 2,17 dans ses "parallèles" synoptiques:
- entre la maxime "médicale" et son application aux "pécheurs", Matthieu 9,13 insère (comme en 12,7) la citation d'Osée 6,6: "Je veux la compassion-miséricorde-pitié, eleos, et non le sacrifice";
- à la fin, Luc 5,32 précise: "je suis venu appeler non les justes, mais les pécheurs, à la repentance (ou: au changement, metanoia)".
Par la cause ou la motivation (condescendante) d'une part, par l'intention ou la finalité (moralisante) de l'autre, une certaine distance s'insinue entre (le groupe de) "Jésus" et "les pécheurs".
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MessageSujet: Re: cliniques   cliniques Icon_minitimeDim 22 Mai 2016, 23:28

J'aime bien cette idée de maladie que l'on se reconnaît et que l'on tente de guérir tout en étant persuadé que l'on n'y arrivera pas tout seul...
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MessageSujet: Re: cliniques   cliniques Icon_minitimeLun 23 Mai 2016, 03:02

On peut aussi se demander, dans ce cas, ce que ce serait, guérir: devenir comme ces bien portants qui n'ont pas besoin de médecin ?

Comme souvent, il se pourrait que le médecin soigne plus qu'il ne guérit...

---
A la réflexion, il faut peut-être que j'explique (et que je m'explique en même temps) mon titre: cliniques.
Le mot renvoie au "lit" (klinè) des malades; l'examen "clinique" étant, étymologiquement, celui qui se pratique au chevet d'un alité.
Mais ici, le "médecin" est convoqué dans une scène de repas où les convives (Jésus compris, à la place ambiguë de l'hôte, host ou guest, mais alors guest star) sont étendus (katakeimai, sunanakeimai, v. 15), à la romaine. Cette image en évoque beaucoup d'autres au familier de la Bible: celles du joyeux banquet messianique, ou plutôt eschatologique, issue des livres prophétiques (à la fin de l'histoire, on mange, on boit, on s'amuse -- enfin), de la Cène évangélique et de ses répliques dans les multiplications des pains et l'eucharistie chrétienne, avec les problèmes religieux et rituels de "commensalité" inséparables de celle-ci (on ne fait pas "table [mensa] commune", on ne mange pas avec n'importe qui, v. 16; cf. Galates 2). Le rapprochement de toutes ces "couches" (et d'autres encore, quand s'y joindront des "prostituées" ou autres "pécheresses") est hautement significatif, et provocant (cf. encore v. 25s; 7,27ss; Matthieu 8,11//; 11,19//; Luc 7,36ss; 11,37ss; 15,2ss; 22,30 etc.).
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MessageSujet: Re: cliniques   cliniques Icon_minitimeMar 24 Mai 2016, 15:47

Citation :
A sa lecture, une remarque s'impose, à la fois évidente et nécessaire après bientôt 2000 ans de christianisme entendu comme "religion universelle" par destination, sinon par usage: "Jésus" dit que sa place est auprès des "pécheurs" comme celle du médecin (iatros) auprès des malades.

Le texte de Marc soulgne que Jésus est venu pour appeler des hommes pécheurs, sans sous-entendre une quelconque supériorité des "pécheurs" sur les "justes" ou que les "pécheurs" ont une conscience plus aigue de leur état, non, il est juste précisé que Jésus est venu appler ces hommes. Jésus a-t-il exclu les "justes" de son appel ?
Cet appel concerne-t-il la guérison du péché ?
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MessageSujet: Re: cliniques   cliniques Icon_minitimeMar 24 Mai 2016, 17:46

free a écrit:
Jésus a-t-il exclu les "justes" de son appel ?

C'est au moins ce qu'"il" dit, formellement, ici !

Mais cela n'implique en soi (toujours formellement et ici) ni condamnation des justes, ni soupçon sur leur justice. Simplement, ce n'est pas son affaire, à lui: les justes ne sont pas, si je puis dire, sa clientèle ou son public, ce n'est pas à eux qu'il s'adresse.

Evidemment, cela n'est plus pensable dès lors qu'on considère Jésus comme un sauveur (ou médecin) universel (pas forcément au sens où il sauverait tout le monde, mais où nul ne serait sauvé sans lui -- où tout le monde aurait besoin de lui). Il faut alors mettre les "justes" entre guillemets et leur justice en question (ainsi régulièrement chez Luc, 11,42; 16,15; 18,9ss; 20,20).

Citation :
Cet appel concerne-t-il la guérison du péché ?

C'est à peu près, me semble-t-il, la question que je posais ci-dessus (23.5), en réponse (!) au chapelier toqué.

Le texte ne parle pas de guérison. Il ne s'agit pas de faire des pécheurs des justes (de transformer les pécheurs en justes). Ça, ce sera très clairement -- et très radicalement -- le programme de Matthieu (5,6.10.20; 6.1.33; 12,18.20 etc.). Luc, en insistant sur la repentance-conversion, suggère de façon plus floue un rejet ou un écart (au moins affectif) du "péché" rendant possible une "justification" du pécheur, par grâce: cf. spécialement 18,10ss, lointain écho de la théorie paulinienne de Romains et Galates qui constitue en revanche un vrai "système" de justification du pécheur par la mort et la résurrection du Christ; Luc retient le mot de "justification", pas le système paulinien, puisque le pécheur (encore un collecteur des taxes) est chez lui "justifié" en vertu de sa seule repentance (notion très accessoire chez Paul); pour Luc, la "justification" ne signifie rien de plus que la rémission ou le pardon des péchés (notion quasiment absente du corpus paulinien jusqu'à l'épître aux Ephésiens); à noter que chez lui (Luc), les collecteurs des taxes ne sont pas invités à changer de métier, mais à l'exercer aussi honnêtement que possible (3,12s; 7,29; 15,1ss; 19,2ss).

Il y a beaucoup de points communs entre Marc et Paul, notamment une dévalorisation certaine de la Loi. Mais il ne faut pas pour autant projeter le système paulinien sur le texte de Marc. Celui-ci ne dit que ce qu'il dit: Jésus est là pour les pécheurs, ceux qui n'ont aucune chance avec la "justice" pharisienne et dont celle-ci se désintéresse.

Il n'est pas inintéressant que le christianisme primitif se soit pensé, entre autres, comme une "religion du pauvre" (et pas essentiellement au sens propre ou économique du terme: les "collecteurs des taxes", les "prostituées", les "païens" ne l'étaient généralement pas dans ce sens-là). Comme un moyen pour Dieu de s'adresser à des catégories délaissées par les "voies" plus traditionnelles, afin de les "sauver" elles aussi, sans préjudice du "salut" des "justes" par leur "justice". L'islam, à ses débuts, s'est aussi pensé de façon similaire (un monothéisme simple, "brut" ou "basique", pour des peuples -- les Arabes d'abord -- qui n'étaient ni "juifs", ni "chrétiens", et qui n'avaient pas -- encore -- de Livre). Mais ce genre d'auto-compréhension modeste ne survit pas longtemps, et surtout pas au succès historique.

---
En rapport avec la question de la "guérison", qui prolonge naturellement la comparaison médicale, il faut peut-être rappeler qu'un des traits hautement caractéristiques du récit de Marc est l'instantanéité: le texte use et abuse du présent narratif, de l'imparfait aussi qui, avec le même "aspect" verbal ("inaccompli"), place le lecteur ou auditeur dans le moment ou dans le cours de l'action ou de la situation (on y est, comme si on y était), il est par ailleurs truffé d'adverbes du genre "aussitôt, immédiatement". L'"appel" du collecteur des taxes Lévi auquel est accroché notre passage (v. 14) est écrit à l'aoriste (à peu près l'équivalent de notre passé simple, d'action ponctuelle et instantanée aussi), à l'exception du verbe de parole (il lui dit) au présent (indiscernable du passé simple en français !). Mais surtout, comme pour presque toutes les "vocations" de disciples (1,16ss; 3,13ss; 6,7ss; 10,28ss.49ss), l'action et ses enchaînements sont instantanés: Jésus passe, le voit, l'appelle, l'autre lâche tout et le suit, tout de suite, sur-le-champ. Les questions de la durée, qui vont devenir importantes dans les autres évangiles (comment va-t-il vivre ? va-t-il rejoindre une communauté marginale, mais viable, en quête de justice parfaite, comme chez Matthieu, ou exercer ensuite son métier autrement, en essayant à l'avenir de corriger les fautes passées, comme chez Luc ?) ne se posent absolument pas. Ça vaut aussi pour la scène du banquet avec ses résonances eschatologiques ou eucharistiques: tout est accompli dans le moment présent, le passé et l'avenir des personnages ne comptent plus; à vrai dire, dans le texte, ils n'existent pas. De ce point de vue, si "guérison" il y a, elle est dans l'instant même (les guérisons "proprement dites", d'ailleurs, sont aussi instantanées).
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MessageSujet: Re: cliniques   cliniques Icon_minitimeMer 25 Mai 2016, 17:37

Citation :
Mais cela n'implique en soi (toujours formellement et ici) ni condamnation des justes, ni soupçon sur leur justice. Simplement, ce n'est pas son affaire, à lui: les justes ne sont pas, si je puis dire, sa clientèle ou son public, ce n'est pas à eux qu'il s'adresse.

Ce qui me surprend dans ce texte et loin des condamnations de l'évangile de Matthieu par exemple, c'est que le Jésus de Marc 2, ne semble pas disqualifier Les scribes et les pharisiens, du statut de "juste". Comme tu l'indiques, ce Jésus, ne fait pas des scribes et des pharisiens, sa "cible", il reconnait leur justice et s'en sert pour dire que justement, ils n'ont pas besion de lui, en toutcas, dans l'immédiat.
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MessageSujet: Re: cliniques   cliniques Icon_minitimeMer 25 Mai 2016, 23:49

Je pousse sans doute tes deux derniers mots ("dans l'immédiat") au-delà du sens que tu leur donnes: le Jésus de Marc, c'est précisément Dieu (l'esprit, le divin) dans l'immédiat.

Pour mémoire, le "message" programmatique de (ce) Jésus, soit "la bonne nouvelle (l'évangile) de Dieu", c'est: "Le temps est accompli et le règne (ou: le royaume) de Dieu s'est approché. Repentez-vous (ou: changez) et croyez (ou: ayez foi, confiance) dans la bonne nouvelle." (1,14s.)

Où il faudrait pe(n)ser chaque terme:
- le temps, kairos, ce n'est pas le temps théorique ou le temps en général (khronos), présumé indifférent à son "contenu": c'est un temps qualifié, le temps de (faire) quelque chose; la "saison", le "moment", l'"instant" à saisir et à ne pas laisser passer;
- il est accompli, rempli (peplèrotai), mûr comme un fruit à cueillir ou une récolte à engranger;
- ce verbe et le suivant (le règne de Dieu s'est approché) sont au "parfait" de l'action achevée: c'est fait, c'est arrivé, il n'y a plus rien à attendre;
- "s'approcher" s'entend en outre dans un sens "spatial" tout autant (voire davantage) que "temporel": le "règne" ou le "royaume de Dieu" est , toute distance, toute médiation entre Dieu et les hommes est abolie, n'a plus lieu d'être;
- la nouvelle ou l'annonce est bonne, heureuse (le eu- d'eu-aggelion); en dépit de ses effets troublants, inquiétants, menaçants, univoque au fond dans un bon sens, sans réserve ni condition;
- il suffit d'y croire et d'entrer dans le jeu ou dans la danse (croyez dans la bonne nouvelle), maintenant, en rompant avec toute attache du passé (la repentance ou changement d'attitude, metanoia) et toute spéculation sur l'avenir (puisqu'il n'y a plus rien à en attendre qui ne soit déjà là).

Cela met en perspective toute la suite: Jésus appelle ceux qui sont prêts à le suivre, instantanément; ceux-là, ce ne sont pas les "justes" qui vivent et construisent patiemment leur "justice" dans la durée, par un calcul fondé sur la distance de Dieu et la médiation de sa Loi, en fonction d'un jugement, de récompenses et de châtiments futurs. "Les premiers seront les derniers et les derniers premiers", c'est d'abord chez Marc (10,31), et déjà renversable à loisir (le contexte concerne ceux qui ont -- déjà au passé -- tout quitté pour suivre Jésus, et la formule les menacerait tout autant que les "pharisiens" si eux-mêmes considéraient cela comme un investissement ou un capital acquis). Mais les "derniers", s'ils sont humiliés par le fait qu'ils ne sont plus "premiers", que ceux qu'ils tenaient pour "derniers" les ont précédés, leur sont "passés devant", ne sont pas nécessairement exclus pour autant.

[Sur les problèmes que pose, à mon sens, ce type d'appel -- et de réduction -- au présent, voir ici.]
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MessageSujet: Re: cliniques   cliniques Icon_minitimeSam 11 Mai 2024, 10:09

Le thème de la maison dans l'évangile de Marc
Frédéric Manns

2. La guérison du paralytique

L'Evangile de Marc contient cinq controverses galiléennes :

En 2,10 Jésus rappelle son pouvoir de pardonner les péchés.
En 2,17 Jésus se présente comme le vrai médecin.
En 2,19-20 il est l'époux de Sion qui apporte une présence
nouvelle du Dieu de l'alliance.
En 2,25-26 comme héritier de David il est maître du sabbat.
En 3,6 il est le sauveur et le juge.

Ces controverses, dont la portée kérygmatique est évidente, sont plus que de simples disputes d'école. Elles traduisent la conscience de Jésus d'être le Fils de l'homme. A travers le relief historique du passage par l'ancien et le nouveau, l'ensemble des controverses apparaît dans sa dimension temporelle : le pouvoir présent du Fils de l'homme est situé dans le temps et dans l'espace : dans la maison de Capharnaùm. Mais en même temps, il ne dépend d'aucun temps, puisqu'il vient de Dieu. Le pardon divin entraîne la commensalité de tous. Le Fils de l'homme fait éclater les limites du péché par le pardon donné sur la terre, tout comme il fait éclater la compréhension du sabbat et de ses prescriptions. La maison, symbole de l'Eglise, est le lieu privilégié où l'on vit de la présence non controversée de l'époux. Vivant d'un pardon qu'elle reçoit, l'Eglise invite à sa table tous les pécheurs, au nom d'une présence miséricordieuse qui la dépasse. Certains ne peuvent accepter ce dépassement de leur propre justice et contestent cette présence même.

Marc précise que le cadre géographique de la guérison du paralytique est Capharnaùm (49). Mc 2, 1 est un sommaire où il est difficile
de distinguer les éléments traditionnels et rédactionnels. L'expression « il était à la maison » a plus qu'un simple sens adverbial. En oikô sans article peut signifier ici la maison mentionnée auparavant. Si l'expression signifiait simplement « at home » ou dans une maison quelconque, la foule aurait dû se mettre en recherche pour savoir dans quelle maison de la ville Jésus se trouvait.

3. «A table dans sa maison » (Mc 2,15)

L'appel de Lévi est suivi d'un repas auquel participent des publicains et des pécheurs. Jésus avait demandé à Lévi de le suivre. On sait que le verbe suivre n'a pas qu'un sens physique, mais qu'il signifie devenir disciple. Un repas rassemble les invités immédiatement après dans « sa maison ». La majorité des commentaires pense qu'il s'agit de la maison de Lévi. Mais est-ce si sûr que ça ? Il semble plus logique que Lévi ait suivi Jésus dans sa maison et non pas que Jésus ait suivi Lévi dans sa maison (55). Le scandale d'un juif acceptant l'invitation des collecteurs d'impôts aurait été plus grand encore si Jésus avait accepté l'hospitalité de Lévi. De plus, il est fort improbable que les scribes (56) aient accepté d'entrer dans la maison de Lévi. Enfin, au verset 15 le pronom auton renvoie à Jésus. Il serait étrange que le pronom autou renvoie à Lévi.

Ceux qui identifient « sa maison » avec la maison de Lévi le font sous l'influence de la version de l'Evangile de Luc (57). Matthieu par contre parle de « la maison ».

Si l'on maintient ici le sens de la maison de Jésus, le symbolisme de la maison s'enrichit. La maison qui préfigure l'Eglise, n'est pas
seulement le lieu où les malades sont guéris. Elle est le lieu où Jésus invite à table les pécheurs.

https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1992_num_66_1_3186#:~:text=Le%20th%C3%A8me%20de%20la%20%C2%AB%20Maison,communaut%C3%A9%20nouvelle%2C%20l'%C3%89glise.
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MessageSujet: Re: cliniques   cliniques Icon_minitimeSam 11 Mai 2024, 11:10

L'analyse exégétique et thématique, sérieuse, contraste d'autant plus avec les rapprochements archéologiques qu'elle tente ou affecte de tenter (peut-être par diplomatie interne aux franciscains de "Terre sainte" ?): ce qu'on appelle la "maison de saint Pierre" à Capharnaüm (et dont je me souviens, du coup, avoir visité les ruines, moins intéressantes que celles de la synagogue de Tibériade) avait évidemment pu être la maison de n'importe qui, avant que la tradition byzantine s'en empare...

En tout cas l'idée d'une (ou de plusieurs) "maison(s) de Jésus", distincte(s) de celle de "Pierre", est bien lisible dans certains passages de Marc, ce qui s'écarte de l'image traditionnelle (notamment franciscaine !) d'un Jésus absolument pauvre et itinérant, "n'ayant pas où reposer la tête" selon Matthieu, toujours invité et jamais invitant... Je n'irais cependant pas y chercher "de l'histoire".

Par ailleurs, l'observation de la métonymie de la "maison" pourrait encore être affinée: ainsi au chapitre 3 on glisse insensiblement de la maison-royaume divisée, qui à première vue n'est pas un bâtiment, à la maison de l'homme fort, qui en est un puisqu'elle est pillée...

Le présent fil, que j'avais largement oublié, visait surtout le lexique et le thème de la "guérison" (médecin-malade, médecine-pathologie, moins distincts qu'à nos yeux du "miracle" ou de l'"exorcisme"), mais il est vrai qu'ils croisent souvent ceux de la "maison", comme le montre bien cet article.

Dans ma perspective plutôt littéraire, sinon anti-historique, j'interrogerais plus volontiers la façon dont un "christianisme primitif", qui avait comporté des composantes "charismatiques" et "miraculeuses", seulement en partie "guérisseuses" (1 Corinthiens 12,9.28.30), et nullement dominantes (si l'on en juge par le silence du reste du "corpus paulinien" sur les charismes miraculeux en général, et sur les guérisons en particulier), s'est auto-affecté en construisant l'image évangélique d'un fondateur guérisseur (thaumaturge, exorciste...). La chose en soi n'a rien d'original (cf. p. ex. Apollonius de Tyane; même les "historiens" de l'Antiquité ne répugnent pas au récit de miracle, et la "médecine" garde un fondement "sacré", Asklépios-Esculape etc.), mais elle a certainement orienté le christianisme ultérieur (historique, pour le coup) vers des activités "soignantes" et "hospitalières" dans tous les sens du terme, à défaut de miracles. Sur le plan théologique, elle a aussi favorisé une interprétation "sanitaire" ou "(para-)médicale" du "salut" (ce sont des récits de guérison, jusqu'aux exorcismes et aux résurrections, qui illustrent le "salut") et, symétriquement, une interprétation "pathologique" du "péché", du "mal", etc.
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MessageSujet: Re: cliniques   cliniques Icon_minitimeSam 11 Mai 2024, 13:05

La guérison entre salut et santé : la nouvelle donne de l'Église et du monde
Laurent Lemoine

Incursions bibliques et théologiques en dialogue avec la psychanalyse

Il me semble que le concept de guérison se situe à l’interconnexion, à mi-chemin en quelque sorte, de ou entre le concept de santé et le concept de salut. La santé porte une valence profane, qu’elle soit santé du corps (ici, l’organique, l’anatomique) ou de l’esprit (ici, le mental ou le psychique). La guérison porte en elle-même l’idée d’une recherche de sens un peu comme l’Évangile, dans la suite de l’Ancien Testament mais pas exactement comme lui, lie une pathologie comme l’épilepsie à un désordre plus profond que ce que la vie organique exprime, un désordre dû, en l’occurrence, à une possession : le sujet est pris, possédé par un esprit malin, ce dernier pouvant pousser le sujet à des comportements éthiques, spirituels, désordonnés, désorganisés, graves, qui lui nuisent et qui nuisent aussi à son entourage.

Il serait d’ailleurs intéressant de mener un travail spécifique sur l’épilepsie. Cela a été déjà fait, abondamment même, tant cette pathologie n’est pas qu’un désordre anatomo-clinique mais tout autant une désarticulation à la fois du corps et du sens, de la vie biologique, du bios, et de l’ethos, de l’éthique, etc., voire, dans l’Évangile, de la relation à Dieu ! Autrement dit, le terme « guérison » comprend en lui des dimensions qui rayonnent à la fois du côté de la santé et du côté du salut au sens où l’on parle de religion de salut ou de religion révélée. L’épileptique guéri (ou délivré de sa possession, comme de sa maladie) est aussi un homme sauvé qui a recouvert une meilleure santé, un peu comme si recouvrer la santé du corps était signe d’un salut à l’œuvre dans la vie de la personne. C’est d’ailleurs ce que Jésus dit à une autre occasion : « Si vous ne voyez des signes et des prodiges, vous ne croirez pas ! » (Jn 4, 48). On peut traduire aussi par « signe miraculeux » ou, tout simplement, « miracle » : en grec, sèméia, en latin, signa.

L’Ancien Testament comportait déjà des récits miraculeux destinés à faire croître la foi au Dieu sauveur, ce Dieu que Tobie est invité à louer et à faire connaître après que l’archange Raphaël lui a permis de recouvrer la vue (voir Tb 11 et 12). Il me semble, cependant, que le Nouveau Testament amplifie un autre rapport au temps, à l’ordre des générations et à la transmission du mal qui se mettait en place déjà dans l’Ancien Testament, en vérité, très nouveau, lorsqu’en Ézéchiel 18, il est écrit : « celui-ci, le fils, ne mourra pas à cause des fautes de son père, il vivra » (Ez 18, 17). En Jean 9, l’aveugle-né pris dans son roman familial face auquel il est obligé de se situer en raison des questions de l’entourage sur ses parents, va bénéficier d’un miracle du corps qui amène l’homme guéri à confesser sa foi, et à le faire de façon personnelle, subjectivante, si je puis utiliser ce vocabulaire psychanalytique : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » (Jn 9, 35).

l serait intéressant de chercher à savoir ce que la théologie chrétienne entend par « séquelles du péché originel » depuis saint Augustin jusqu’à Luther, en assumant les développements contemporains de cette problématique très liée, en fait, à la transmission de la culpabilité… On retrouve ici les commentaires très contrastés du texte de Paul en Romains 5, 12-21 (et 1 Co 15, 22). Quel genre d’atteinte à la psychè, à la mémoire se cache derrière cette expression de séquelles du péché d’origine ? Je ne peux ici qu’effleurer cet énorme dossier. Je préfère me contenter de souligner qu’en Jn 9, l’aveugle-né doit subir cette question à son sujet, question adressée à Jésus : « qui a péché, lui, ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » (v. 2b). Entendons aujourd’hui : à qui la faute ? Qui est coupable ou qui est responsable ? Et ce dans une transmission directe entre faute des ancêtres et atteinte organique, des yeux, en l’espèce. Jésus, dans le déroulement de l’ensemble du processus historique du miracle, au moyen d’un récit de soi, pourrait-on dire, d’une parole prononcée par le sujet qui émerge, sur sa vie, son histoire, son identité actuelle, Jésus donc, va s’employer à dénouer, ou plutôt, à travers le dialogue, va permettre au sujet de dénouer les liens qui l’enserrent car cet aveugle-né colle à ses parents, colle à l’étiquette symptomatique que les disciples lui assignent un peu comme un mauvais thérapeute qui répondrait stupidement à la demande de son patient : « oui, cher Monsieur, vous êtes bipolaire ! ». Quelle identité ! Ou dans la langue de Molière : « et voilà pourquoi votre fille est muette ! » Jésus adopte une attitude réellement thérapeutique : il va libérer de la transmission mortifère de la culpabilité en permettant à l’aveugle-né de trouver sa place, de se resituer dans l’ordre des générations et dans l’élaboration de son Œdipe parental. Le malade (ou le patient) prend la parole sur son histoire, pour en démêler le sac de nœuds. Alors, sera-t-il guéri ou sauvé ? Plutôt sauvé que guéri, selon moi. Car il sait à qui Il doit, au sens fort de la dette, sa libération au point qu’il peut le confesser : Jésus est un Dieu, est Dieu, alors que le thérapeute ou l’analyste ne peut laisser une dette s’instaurer entre lui qui « guérit » et l’analysant : d’ailleurs, c’est l’analysant qui trouve dans le transfert le levier de, en même temps que les pires résistances à la guérison… On ne demande à aucun patient, je l’espère, au moins, de « croire» en son analyste ! Mais je trouve intéressant de voir Jésus donner les moyens à l’aveugle de naissance de trouver par lui-même le chemin de la guérison. En ce sens, Jésus est thérapeute. Le récit de la guérison de Bartimée, Fils de Timée (ce que veut dire Bar-), pourrait aussi retenir notre attention. Dans ce texte, Jésus demande à la personne qui souffre : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Mc 10, 51). Les médecins, me semble-t-il, se trouvent parfois dans des entretiens avec leurs patients où ils sont amenés à occuper une place analogue : « Où avez-vous mal ? », ce qui suppose que le médecin puisse éradiquer le mal grâce au geste approprié, à savoir, en contexte français en tout cas, essentiellement l’ordonnancede médicaments nombreux et colorés ! Mais pour obtenir une amélioration, voire une refonte de l’organisation psychique, l’analyste, quant à lui, se bornera à ouvrir la première séance avec une question du type : « Qu’est-ce qui vous amène ? » Ainsi, estime-t-il possible d’éviter, au moins au début, d’assimiler psychanalyse et psychothérapie entendue comme suppression des symptômes. L’analyste n’a pas à vouloir quelque chose de particulier pour son patient : il ne se donne aucun plan préfixé pour amener le patient à une conception de la guérison qui correspondrait aux normes des dictionnaires de psychiatrie, ou de ce qu’on appelle parfois la psychiatrie sociale, ou encore aux normes de l’évaluation de la rentabilité libérale-technocratique en vogue actuellement. C’est ce qui déroute l’Etat lorsqu’il veut encadrer l’exercice de la psychanalyse en le confondant avec celui de la psychothérapie, celle-ci étant toujours plus ou moins liée à la rééducation du comportement jugé asocial.

https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2011-2-page-98.htm
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MessageSujet: Re: cliniques   cliniques Icon_minitimeSam 11 Mai 2024, 14:31

Réflexion fort intelligente: on peut regretter amèrement que ce genre de voix catholique (dominicaine cette fois) ne parvienne pas davantage à se faire entendre face à l'obsession (ou l'hystérie) "bioéthique" affichée officiellement par son Eglise (contre l'avortement, l'euthanasie, le suicide, incapable en définitive, par refus de penser son propre mythe fondateur, de penser ensemble "la vie la mort").

Comme je le suggérais dans l'échange précédent, c'est nous qui distinguons "salut" et "santé" ou "guérison", ce que les évangiles ne font pas (ou beaucoup moins) pour autant qu'ils utilisent le même vocabulaire: sôzô, c'est toujours "sauver" même quand c'est "guérir" au degré zéro du récit -- ce que n'ont jamais compris les champions de l'"équivalence dynamique" qui aplatissent les textes et étouffent leurs résonances intertextuelles en traduisant tantôt "sauver", tantôt "guérir", suivant le "contexte": il faut bien entendre "ta foi t'a sauvé(e)" même quand l'histoire racontée est celle de ce que nous appelons une "guérison".

L'orientation "soignante" et "hospitalière" du christianisme au-delà du "miracle", dont je parlais également dans mon post précédent, implique une ouverture à la médecine comme "art" ou technoscience commun, distinct du "religieux" quoiqu'il implique une sorte d'initiation, essentiellement hérité du "paganisme" gréco-romain (Hippocrate et ses suites "humaines" et "profanes", jamais tout à fait détachées cependant de leurs contreparties divines, Esculape etc., et intégrant toute sorte de traditions locales) -- bien qu'elle se soit longtemps arrêtée au seuil de la chirurgie et de la dissection anatomique (on ne pénètre pas, pas trop, dans le corps "sacré"), abandonnées aux juifs ou aux musulmans au moyen-âge... tout en côtoyant la sorcellerie dans la pharmacopée (remèdes, poisons).

Pour rappel, une certaine "technique" (boue, salive, terre, poussière, formules araméennes qui sonnent "magique" dans un texte grec) reste sensible dans les guérisons miraculeuses de Marc et de Jean, malgré la dissemblance de ces textes, alors qu'elle est plutôt atténuée ou évacuée dans Matthieu et dans Luc, qui ne veulent surtout pas confondre le "miracle" comme "puissance" (dunamis) divine avec une "technique".

A propos de l'"épilepsie", qui a longtemps été liée au "sacré" (le "haut mal"), on se souviendra que dans les évangiles elle est aussi bien associée aux astres (les "lunatiques", seleniazomai etc.) qu'aux démons ou "esprits impurs". On sait l'importance qu'elle prendra chez Dostoïevski, je la retrouvais récemment dans l'Alexandre le Grand, Megalexandros, de Théo Angélopoulos, où les disciples du protagoniste (figure transparente de Staline) sont obligés de se retourner pour ne pas le voir pendant ses crises... Le "pouvoir", spirituel, charismatique dans tous les sens de ces termes même quand il est aussi politique, a du mal à accepter l'ambivalence de son origine, aussi "pathologique". Et là-dessus Dostoïevski est indépassable, précisément parce qu'il l'assume (emblématiquement dans L'Idiot), comme le premier "Paul" sa "folie-sottise" -- Nietzsche ne s'y est pas trompé, tout du moins en ce qui concerne Dostoïevski.

Le rapport mystérieux de la mort à la guérison s'illustrerait encore, dans le champ "biblique" et connexe, par celui des repha'im (géants mais aussi ombres des morts, géants-gisants avais-je jadis tenté, sans succès) à Raphaël, le dieu (El) ou l'ange guérisseur (rph, rp' pour "guérir"); voir ici (à partir du 4.7.2011). Quant aux connaissances médicales, pharmaceutiques et occultes, sans frontière très nette, les traditions juives extra- ou para-bibliques les attribuent aussi bien aux "fils de dieu(x)"-veilleurs-anges (Hénoch, Jubilés), ce qui rejoint les "géants", qu'à Salomon comme patron de la Sagesse (divine).

Je signale en passant que nous avons aussi traité, depuis le début de ce fil (2016), de sujets connexes ici ou là.
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MessageSujet: Re: cliniques   cliniques Icon_minitimeJeu 16 Mai 2024, 10:54

Santé avec ou sans salut ?
Constats et problématiques d’une recherche

I. Santé et salut

Amorçons notre réflexion/méditation en soulignant des rapports à travers le jeu de l’étymologie. Déjà la racine du mot méditation (meditari-meditatio) renvoie à l’idée de penser, d’exercer l’esprit ; dans ce champ lexical, nous trouvons le mot mederi qui signifie soigner, d’où viendront des mots comme remède, médicament et, surtout, le mot médecin. Au cœur de ces mots, la racine med renvoie à l’idée de mesure. Le méditant prodigue des soins à quelqu’un ou à quelque chose, il prête attention à, il a à cœur cette personne ou cette chose ; la pratique de la médecine n’est-elle pas un art du prendre soin, un exercice pour trouver la juste mesure en santé ? Quant à la racine latine du mot santé (sanitas), elle renvoie à l’idée de santé du corps et de l’esprit, idée elle-même dérivée de sanus, sain, bien portant (au sens physique et moral). La racine latine du mot salut (salus) renvoie tout d’abord elle aussi au bon état physique, à la santé, puis elle est action de saluer, le salut, lui-même dérivé de salvus, qui signifie être bien portant, en bonne santé, en bon état ; on souhaitait une bonne santé à ceux que l’on rencontrait en les saluant. Théologiquement et bibliquement, le salut est un terme qui prend racine dans l’hébreu et le grec et est associé à l’idée d’arracher, de libérer, de sauver, pour donner le terme de libération ou encore le terme plus concret d’affranchissement, en payant le prix de la rançon. Le sozein de la LXX, qui se répercutera dans les écrits néotestamentaires, c’est concrètement sauver, préserver, prendre soin.

Pourtant, en dépit de cette proximité étymologique, on dirait que la santé et le salut apparaissent aujourd’hui comme deux univers séparés, deux univers en dérive, comme si la santé s’était technicisée et professionnalisée au point d’en perdre sa valence salvifique. La santé est réservée aux professionnels (médecins et autres) et le salut serait affaire de religieux et/ou de spirituels. Cette séparation aurait son origine dans les méditations cartésiennes d’il y a quelques siècles, Descartes inaugurant clairement et distinctement un clivage entre ce qui est de l’ordre du matériel, de l’objectivité et de la science, et ce qui est de l’ordre du subjectif, de l’imagination, voire de la chimère. C’est ainsi que s’est développée une science du corps, qui scrute les diverses mécaniques des systèmes et qui permet de réparer, voire de changer ce qui fonctionne mal ou ne veut plus fonctionner. La médecine s’occupe du corps machine que nous avons et la religion prendrait en charge ce qui est de l’ordre de l’esprit ou de l’âme. L’histoire de cette séparation stricte a aussi eu un impact sur les troubles et les maladies psychiques ou mentales. Devions-nous les traiter comme des éléments du corps ou comme des éléments plus subjectifs, auxquels la médecine n’a rien ou si peu à faire ?

Mais santé et salut n’ont-ils pas aussi un lien avec la souffrance et la maladie, avec le soin et la guérison ? Pour reprendre Dietrich Rössler cité par Thorsten Moos, la santé « n’est pas l’absence de dysfonctionnements, mais elle serait plutôt la force de vivre avec ceux-ci ». Il devient alors nécessaire de mieux saisir ce que sont ces dysfonctionnements, ce qu’est la maladie. Toujours selon Moos, une personne malade est potentiellement affectée selon quatre niveaux de désintégration : elle connaît une désintégration de son corps, une déchirure entre être un corps et avoir un corps ; puis, elle connaît une désintégration sociale, son réseau social se rétrécit comme peau de chagrin ; elle connaît ensuite une désintégration pratique, plusieurs des activités ne lui sont plus possibles ; enfin, elle connaît une désintégration temporelle, le temps acquiert d’autres qualités. En d’autres mots, faire l’expérience de la maladie, c’est faire une expérience de désintégration de son existence humaine, que ce soit un problème d’ordre mécanique ou physique, que ce soit un problème d’un autre ordre (psychique ou mental, relationnel, social, voire religieux ou spirituel). Faire cette expérience de la maladie entraîne une diminution de son identité dans l’espace et dans le temps, identité engagée socialement, ou c’est voir s’effriter sa propre totalité existentielle et relationnelle au gré de l’évolution clinique. À l’inverse, pourrait-on affirmer que la guérison est la réintégration ou la reconstitution de la totalité de la personne qui est dans la maladie douloureusement expérimentée comme désintégrée ?

Rencontrer par exemple son médecin pour une douleur à la poitrine qui inquiète depuis quelque temps fait sens dans la mesure où, si l’omnipraticien soupçonne un problème grave, une référence sera faite au médecin spécialiste, qui possède l’expertise pointue pour investiguer plus à fond, diagnostiquer clairement et traiter conséquemment le patient. Mais qu’arrive-t-il avec des maladies, où des éléments psychiques, des troubles de la personnalité, des états dépressifs sont en cause ? Qu’arrive-t-il lorsque la vieillesse contraint à demeurer alité, esseulé, isolé ? Qu’arrive-t-il lorsque l’angoisse terrifiante de la maladie à la mort glace l’existence ? La maladie décrite par Moos comme désintégration touche aussi des sphères auxquelles les soignants ne peuvent toujours répondre. Si l’intervention chirurgicale ou le traitement médicamenteux aident certaines pathologies, d’autres astuces ou stratégies doivent être entreprises pour vivre avec ces pathologies, pour prendre soin des maladies de l’esprit ou de l’âme, maladies aussi comprises en termes de désintégration. D’autres adjuvants deviennent ici possibles comme la consultation de thérapeutes (psychologue ou psychanalyste), comme l’action de travailleurs sociaux ou encore la présence et le soutien d’intervenants en soins spirituels. Il y a donc des chemins alternatifs pour soigner de telles maladies ou de tels dysfonctionnements aux frontières du corporel. Ces voies complémentaires s’intéressent évidemment à la santé globale et s’efforcent de s’inscrire dans les balises dominantes, reconnues dans le système de santé ; mais tout ce qui évoque la notion religieuse de salut sera globalement laissé de côté, renvoyé aux religieux ou aux théologiens. Une telle éjection du salut du monde de la santé met bien en évidence la division avec laquelle nous comprenons aujourd’hui l’humain. Il est un être finalement divisé en plusieurs parties, parties devenues objet de spécialités pointues, selon les catégories anthropologiques dominantes et les critères favorisés par la rationalité techno-scientifique actuelle.

Mais pourquoi le théologien devrait-il encore et toujours insister sur la notion de salut ? La théologie (religion/spiritualité) n’a-t-elle pas perdu toute pertinence devant les travaux et les recherches des sciences médicales et de la santé ? Ne s’est-elle pas évanouie et dissipée dans le cadre immanent, pour reprendre une formule de L’âge séculier de Taylor ? La notion de salut serait-elle reléguée aux oubliettes depuis que nous avons appris à vivre de manière autonome en modernité ? D’avoir pris en main notre destin et notre liberté et d’avoir ainsi repoussé les frontières des mystères d’antan par le progrès et la science, n’ont-ils pas remis en question notre posture d’être créé, notre dépendance absolue, notre besoin de salut, c’est-à-dire notre besoin de vivre d’une relation avec une puissance supérieure ou transcendante, qui soutient le passage d’un état négatif à un état positif ? Ne sommes-nous pas capables de nous en sortir par nous-mêmes, de fabriquer nous-mêmes ce passage, de nous sauver nous-mêmes grâce à la science et la technologie, de créer notre bien-être et notre bonheur ? Cette capacité humaine aurait ainsi contribué à une mise à l’écart ou au rancart des religions, des spiritualités et de leurs rituels et symboles à travers lesquels les différentes traditions religieuses du monde rappellent la dimension de verticalité du monde et appellent à une compréhension anthropologique spécifique et conséquente, plurielle et ouverte.

Si les représentations de Dieu ne tiennent plus la route dans cet horizon scientifique et médical, et si le salut apparaît suranné pour les contemporains, les religions et les spiritualités deviennent-elles de simples récits du passé, bons à se remémorer lorsque le destin s’acharne et que les explications fortes de la science n’apportent pas le sens attendu ? Car c’est bien de cela dont il est ici question. La médecine qui traite l’organe malade et les autres professions gravitant autour du système de santé réussissent-elles à créer un espace où le soin ouvrira sur un récit biographique d’amour et de sens, où l’inscription de la dignité humaine sera au cœur de l’existence de celui ou de celle en souffrance, peut-être en chemin de guérison, peut-être en fin de vie ? La nécessaire compétence techno-scientifique des soignants-professionnels peut-elle aussi endosser le pallium de la relation humaine, c’est-à-dire écouter, accompagner et soigner même quand rien ne peut plus être fait et que la seule présence devient la mesure du sens ? Car surviendront toujours des anomalies chromosomiques, des violences psychiques et relationnelles, du racisme structurel et des injustices épistémiques, qui écrabouillent, déforment, déstructurent et désintègrent nos humanités ; tout cela fragilise la santé des uns et des autres. Le salut, ce passage du négatif à du positif, est-il imaginable avec nos seules ressources humaines ou doit-il survenir à travers celles-ci, transcender ce qui se trouve au coeur de nos humanités brisées et ambiguës, malades et agonisantes ? Ces dernières questions ouvrent la porte à une reconsidération du rapport entre la maladie, le soin, la guérison, la santé et le salut. Et si le salut était une dimension transcendante de sens et de vie, une transversale au coeur des expertises et des soins qui n’esquivent finalement pas la finitude, l’aliénation et les ambiguïtés de l’existence, mais qui les prennent à bras-le-corps pour cheminer vers la guérison ? Cette reconsidération, je souhaite la faire avec Paul Tillich.

https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2022-v78-n1-ltp07428/1093376ar/
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MessageSujet: Re: cliniques   cliniques Icon_minitimeJeu 16 Mai 2024, 11:48

La référence à Tillich semblait prometteuse, mais elle n'aboutit guère, ici, qu'à des banalités.

La notion de "salut" côtoie certainement celles de "santé" ou de "guérison", mais parmi beaucoup d'autres. Dans la tradition "biblique" c'est d'abord une métonymie du militaire qui s'étend au politique, au juridique, au social, à l'économique: on est "sauvé" de ses ennemis, de ses oppresseurs, et ainsi de suite. Les analogies "sanitaires", "hygiéniques" ou "médicales" arrivent assez tard dans la série, elles sont beaucoup plus importantes dans le NT que dans l'AT, et dans les évangiles que dans les épîtres (antérieures). Rien que cette observation pourrait aider à "déclore" le "sanitaire" (etc.) et à l'ouvrir sur des perspectives plus vastes.

Toutefois l'obsession sanitaire est aussi le symptôme résiduel de l'effondrement de toute autre perspective -- religieuse, philosophique, scientifique, politique, économique... Tant qu'on a la santé (titre de Pierre Etaix)...

Comme on l'a souvent remarqué, le développement des "religions (ou mystères) de salut" (dont le christianisme) à la fin de l'Antiquité correspondait déjà à une perte de repères traditionnels dans tout l'espace gréco-romain (paix, prospérité, communication, urbanisation, cosmopolitisme, communautarisme, individualisme) -- mais le "salut" s'affrontait encore au "négatif", fût-il réduit à la mort individuelle, avec des ressources mythiques et rituelles, éventuellement philosophiques ou gnostiques. Réduit à la "santé" qui n'évite pas la mort, aussi longtemps qu'elle la retarde, il ne peut plus s'y affronter, seulement l'occulter ou la nier, d'où toutes les célébrations d'une "positivité" qui à la lettre ne repose plus sur rien.
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