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 parousia

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Narkissos

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MessageSujet: parousia   parousia Icon_minitimeJeu 26 Mai 2016, 19:28

La question de la présence et du présent -- que je retrouve au détour d'une discussion sur un texte de Marc -- me paraît d'une importance extrême dans de nombreux "domaines" (théologique, philosophique, psychologique, épistémologique, etc.).

On ne compte pas les exhortations (antiques ou modernes, orientales ou occidentales, religieuses ou littéraires, sapientiales ou thérapeutiques, "libertines" ou "spirituelles") à la présence, à vivre au présent (carpe diem etc.): elles s'opposent tantôt au "poids" du passé et de la mémoire, au ressassement et au ressentiment, à la nostalgie, à la culpabilité, au regret ou au remords; tantôt à l'anticipation ou au calcul, à l'espoir ou à l'attente, au désir ou à la peur de l'avenir; tantôt à d'autres formes d'"absence" (imagination, fiction, rêverie, distraction, divertissement, pensée, réflexion, théorie, abstraction) qui nous empêcheraient d'être tout à fait là, ici et maintenant, présents au présent.

Être présent au présent, c'est dans un sens, le plus naturel -- voire l'inévitable; et en même temps (c'est le cas de le dire) ce qui nous est le moins naturel. Impossible d'être "humain", impossible pour un humain d'"être" -- d'exercer une mémoire, une intelligence, une volonté comme dirait saint Augustin; de [se] raconter ou d'écouter une histoire, de lire un texte, de regarder une scène de théâtre ou un écran, de penser [à] quoi que ce soit -- sans soustraire de la présence au présent (cf. le désarroi de certains enfants quand ils voient leur parents lire, et leurs stratagèmes pour les ramener de cette absence inexplicable et insupportable à leur présence); sans ajouter, simultanément, à ce présent un supplément (de réminiscence, d'intention, d'interprétation, etc.) qui est aussi un supplément d'absence; sans détourner et compliquer indéfiniment la prétendue simplicité du présent. (Ce qui rappelle encore un autre verset dont nous venons de parler.)

Je dis prétendue, car le présent n'est jamais aussi simple qu'on le dit. Prenons un arbre: il est là, devant moi, maintenant, présent tout entier, contemporain, identique à lui-même; mais il ne serait pas ce qu'il est ni tel qu'il est sans toutes ces années passées qui lui ont donné la forme qu'il a aujourd'hui, qui ont lentement constitué la différence "interne" de son tronc, de son écorce, de ses racines, de ses branches, de ses feuilles, de ses fleurs et de ses fruits, sans compter les millions d'années qui ont déterminé son "espèce" et la présence de cet "individu" à cet endroit; pas non plus sans la terre qui le porte et le vent qui l'agite, les saisons, le soleil ou la pluie qui le transforment sans cesse, en profondeur et en apparence; pas non plus sans tendre à quelque forme d'avenir, de conservation ou de perpétuation de soi, même à la veille d'être abattu. Retranchons de cela tout l'anthropomorphisme qu'on voudra, reste qu'un arbre ne se réduit pas à sa présence dans un présent donné. En tout cela, certes, il n'y a jamais eu que du présent à l'œuvre: mais du présent différé, espacé de lui-même, différencié et différenciant, qui se lit ou se relève dans sa présence présente comme une absence -- ou la présence d'une trace. Il y a de l'absence (ô combien !) dans toute présence, il n'y aurait pas de présence sans absence. Seul l'absent peut être ou se rendre présent: le mot grec parousia (que les TdJ connaissent bien pour de toutes autres raisons), de par-eimi "être à côté", dit le décalage irréductible qu'implique toute présence, qui la fait différer d'elle-même comme com-présence d'une "chose" à une autre, de quelque chose à quelqu'un ou de quelqu'un à quelque chose, de quelque chose ou de quelqu'un à soi-même.

A propos de TdJ, quand je fréquentais le forum anglophone (et principalement américain) JWD dans les années 2000, j'ai été épaté de l'influence qu'y avait prise un certain "gourou" américain, soudain propulsé de l'obscurité de la nébuleuse New Age sur le devant de la scène médiatique par une émission de télé à grande audience: Eckhart Tolle, dont le premier livre The Power of Now (la puissance du moment présent) est devenu depuis un best-seller (j'en ai déjà parlé ici). Je ne l'ai pas lu dans le texte, mais la réception de sa pensée (largement inspirée  de "méditation" à l'orientale, qui est à peu près le contraire de ce que nous entendons par "méditation") par ses adeptes était intéressante en soi. En gros: essayez de ne penser à rien, ni au passé ni à l'avenir ni à rien d'absent, laissez-vous remplir (et vider) par vos perceptions présentes, pour devenir tout à fait présent au présent. Il y a quelque chose de séducteur, de fascinant, de vertigineux et d'enthousiasmant (dans tous les sens de ces termes) dans la simplicité et la vacuité mêmes de ce type d'injonction. De libérateur, certainement, d'abrutissant aussi. Peut-être l'originalité (et l'efficacité) de Tolle consistait-elle à présenter ce précepte de manière très nue, dépouillée du jargon religieux, ésotérique ou pseudoscientifique qui l'accompagne habituellement.

Au fond, il me semble que les moments les plus exaltants de la religion, sur ses versants théologique et mystique, sur le mode de l'extase ou de l'introspection -- de la philosophie aussi, surtout récente, depuis Heidegger notamment -- consistent aussi à produire de tels moments de "vérité" qui se vivent comme des moments de présence, où la stabilité rassurante d'une réalité établie et connue, dénommée, dénombrée, analysée et synthétisée, s'effondre et cède soudain la place à la présence singulière et insolite d'un réel sans nom, sans nombre et sans histoire: qui est bien ce qui a toujours été là, mais tel qu'on ne l'avait jamais vu ni entendu.

J'éprouve à cet égard un sentiment mitigé, mais intense: de sympathie d'une part (mon intérêt pour la religion, la philosophie, la littérature, l'art est profondément lié à des "moments" de ce genre); de réticence d'autre part, car il y a aussi quelque chose de terriblement trompeur, réducteur et abêtissant dans l'appel à la "simplicité" d'un présent qui est, en fait, toujours inextricablement complexe, et dont la complexité n'est perceptible (à l'homme en tout cas) que partiellement et diachroniquement, par le déplacement et le détour d'un certain nombre d'artifices qui requièrent mille manières d'absence. Entre la simplicité de toute présence et sa complication d'absences en tout genre, il y a peut-être une alternance et des passages, mais sûrement pas de choix définitif.

---

Le rapport de ce sujet à la "parousie" du NT (que la TMN traduisait étymologiquement par "présence") est, dans un sens, purement formel et fortuit: un accident, une coïncidence. Pourtant, dans l'idée "eschatologique" de l'"avènement" (selon la traduction usuelle de parousia) du Christ à la "fin des temps", il reste bien celle d'une présence enfin réalisée qui résoudrait et annulerait toute sorte d'absence: de "Jésus" d'abord, de "Dieu" aussi, de toute l'histoire puisque l'avènement du Messie déboucherait sur le jugement dernier et la résurrection des morts; soit une scène de comparution universelle, de comprésence de tous les temps et de tous les lieux, qui n'ont pourtant été ce qu'ils ont été, en leur présent, que de n'être pas présents ensemble.

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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeVen 27 Mai 2016, 18:43

Le présent est fascinant (pas le temps du verbe) dans le fait que le présent de mon grand-père est mon passé. Mais sans aller aussi loin lorsque je vivais et supportais  Laughing la présence de mon petit-fils il y a 2 jours je n'imaginais pas que 2 jours plus tard ce présent serait du passé. D'ailleurs chaque instants qui passe est déjà un passé et le présent c'est en fait, en partie du moins, un futur à vivre, lorsqu'il sera présent.
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Paraclet

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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeSam 28 Mai 2016, 11:36

Quand je regarde la terre, j'y vois tous les passés et tous les futurs.
Quand je regarde le ciel, j'y vois un merveilleux présent.

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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeSam 28 Mai 2016, 12:00

Le pur présent subjectif, comme flux ininterrompu de perceptions et de sensations, est impensable et indicible, d'où son côté "abrutissant" ou "abêtissant" (ces deux mots renvoyant par la "brute" et la "bête" à l'"animal", qu'on se figure totalement "immergé" dans le présent, en dépit de tout ce qui chez lui, surtout dans les espèces qui nous ressemblent le plus, témoigne aussi d'une capacité de mémoire, d'anticipation, de calcul et de distraction). Pour le penser et le dire, le décrire ou (se) le représenter (même au présent !), il faut en "sortir" (mentalement) par quelque forme d'artifice, de stratagème et d'imposture (se placer à un "point de vue" qui n'est précisément pas le sien, qui n'est à vrai dire le "point de vue" de personne: ce qu'on appelle aussi l'objectivité). Alors on peut s'imaginer un point ou un curseur qui se déplacerait sur une ligne infinie, toujours à mi-chemin "entre" un passé et un futur (ce qui rappellera peut-être une autre discussion), un cadre ou un écran dans lequel défileraient sans cesse des images, des "choses" ou des "événements", une scène où l'on serait toujours en train d'arriver et dont on serait toujours en train d'être chassé (comme l'Eden ?) sans jamais pouvoir la quitter, etc.

On repense, bien sûr, à ce fameux passage (!) de Qohéleth (3,11): "Tout ce qu'il (le dieu) a fait est beau en son temps (= son "présent", cf. v. 1ss); aussi il a mis la durée dans leur cœur, sans que l'être humain puisse trouver l'œuvre que Dieu a faite depuis le commencement jusqu'à la fin."
- Où "la durée" c'est ha-`olam, souvent traduit "l'éternité", déjà en train de devenir "l'âge", "le siècle" ou "le monde" en hébreu tardif (comme l'aiôn grec utilisé ici par la Septante).
- Où le rapport à la proposition suivante (l'homme ne trouve pas) est désespérément ambigu: 'asher (la conjonction qui relie et sépare les deux 'ehyeh du "commentaire" également tardif sur le nom Yhwh en Exode 3, 'ehyeh 'asher 'ehyeh, je suis-serai qui-quoi-que je suis-serai) peut s'interpréter ici dans un sens consécutif (il a mis le `olam dans leur cœur, pour, de sorte que l'homme ne trouve pas) ou adversatif (bien que l'homme ne trouve pas), entre autres.
En tout cas la relation, c'est encore: plus l'homme "pense" (le présent, le temps, l'éternité, le monde), moins il "trouve" (ou "comprend"): pas étonnant que ça débouche aussi sur un (r)appel au présent, en l'occurrence à la jouissance du présent (v. 12ss).

---

@ Paraclet (ou Madeleine):
- Chose intéressante (je trouve), la cosmologie moderne (au moins depuis Einstein) nous fait justement regarder le "ciel" ("physique") comme un "présent différé": ce que nous voyons, maintenant, nous le savons désormais provenir d'"événements" (pour nous) passés, de temps différents d'une planète, d'une étoile, d'une galaxie, d'une nébuleuse à l'autre (en fonction des distances qui sont aussi du temps, mesurées en "années-lumière").
- Dans ta phrase ("merveilleux présent"), la polysémie française fait aussi entendre le présent comme cadeau. Le "présent" temporel nous vient ou nous arrive toujours de quelque part (du passé dans un sens, de l'avenir -- à-venir -- dans l'autre, de la rencontre [heur, heurt] de quelque chose ou de quelqu'un). L'allemand Geschenk de son côté pense le présent-cadeau comme un "envoi" d'une certaine provenance.
- Suivant une étymologie discutable mais extraordinairement féconde, de Platon à Heidegger au moins, l'a-lètheia est aussi une provenance; ce qui sort d'un oubli (lèthè, lanthanô), l'apparition ou la manifestation (le phénomène) d'une latence, la révélation ou le dévoilement du voilé.
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeLun 30 Mai 2016, 17:01

Citation :
Le rapport de ce sujet à la "parousie" du NT (que la TMN traduisait étymologiquement par "présence") est, dans un sens, purement formel et fortuit: un accident, une coïncidence. Pourtant, dans l'idée "eschatologique" de l'"avènement" (selon la traduction usuelle de parousia) du Christ à la "fin des temps", il reste bien celle d'une présence enfin réalisée qui résoudrait et annulerait toute sorte d'absence: de "Jésus" d'abord, de "Dieu" aussi, de toute l'histoire puisque l'avènement du Messie déboucherait sur le jugement dernier et la résurrection des morts; soit une scène de comparution universelle, de comprésence de tous les temps et de tous les lieux, qui n'ont pourtant été ce qu'ils ont été, en leur présent, que de n'être pas présents ensemble.

Narkissos,

Merci pour cette analyse très interessante même si je n'ai pas tout compris.

Certains textes n'annoncent pas l'imminence de la venue Jésus (futur proche ou lointain), ils proclament que cette venue a déjà eu lieu avec sa venue sur terre :

 "mais lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme et sous la loi" (Gal 4,4)

"et disait : Le temps est accompli et le règne de Dieu s'est approché. Changez radicalement et croyez à la bonne nouvelle." (Mc 1,14)

  Jésus renverse les puissances du mal,   le prince de ce monde est jeté dehors, Satan tombe comme un éclair, les démons sont chassés ...

Jn 20,31 affirme :  "C'est maintenant le jugement de ce monde ; c'est maintenant que le prince de ce monde sera chassé dehors."
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeLun 30 Mai 2016, 18:02

Je voulais surtout parler ici de la notion de présent (par opposition au passé et à l'avenir) et de présence (par opposition à l'absence) en général. J'ai peut-être eu tort d'y mêler la parousie du NT, quoique le rapprochement me semble assez naturel et intéressant.

La majeure partie des textes du NT présupposent une "eschatologie" (discours, doctrine, voire scénario de la fin des temps), telle qu'il s'en est développé dans plusieurs courants du judaïsme (pharisien, Qoumrân; mais pas chez les sadducéens ni les hellénistes du genre Philon) à l'approche de l'ère dite chrétienne: le concept même de "Messie" (du mashiah hébreu, nom commun désignant dans la Bible juive n'importe quel "oint", roi ou prêtre) qui, via sa traduction grecque (khristos), va donner son nom au christianisme, en fait partie intégrante: le Messie (avec majuscule), c'est l'Oint de la fin des temps, celui qui assure le passage de "cet âge-ci" à l'"âge à venir". Même lorsque cette eschatologie est considérée comme partiellement ou totalement réalisée, au passé ou au présent (le Messie ou Christ est déjà venu ou déjà là), elle n'en est pas moins présupposée: c'est ce(lui) qu'on attendait pour la fin des temps qui est déjà venu ou déjà là.

---
Comme tu l'as peut-être vu, Marc 1,14s a été brièvement commenté ici.  Dans ce texte, le "temps" accompli ou rempli, c'était kairos, le temps (époque, saison, moment, instant) de qqch. Dans Galates 4,4, en revanche, c'est khronos (le temps ou la durée en général, le temps qui passe indépendamment ce qui s'y passe), avec le substantif bien connu (plèrôma) correspondant au verbe (plèroô) de Marc: to plèrôma tou khronou, la plénitude ou l'accomplissement du temps. Sans anticiper sur les développements gnostiques ultérieurs (où le "plérôme" va devenir le rassemblement même de la [supra-, archi-]divinité dispersée, cf. déjà Colossiens qui s'en rapproche), il y a au moins là l'idée d'un temps arrivé à son terme, d'une sorte de "fin de l'histoire" (time over): lorsque le Messie paraît, par définition, le "temps" du monde (aiôn, kosmos) touche à sa fin. Toute la question (si l'on a décidé de reconnaître un Messie dans l'histoire) est désormais de savoir comment: ou bien on continue de prendre cette phrase au pied de la lettre et elle devient très vite fausse, de plus en plus manifestement fausse à mesure que les années et les siècles passent, en dépit de toutes les acrobaties pour distinguer une venue passée et une venue future (donc un "retour") du Christ (c'est dans ce sens que va se spécialiser la parousia néotestamentaire: avènement futur distinct de la venue passée); ou bien on l'interprète de façon "spirituelle" ou "intérieure". Dans le Christ le temps et le monde ont effectivement pris fin; ou plutôt: prennent fin, pour quiconque y accède, dès lors qu'il y accède. (Cf. déjà 2 Corinthiens 5,14ss.)

Les textes du NT sont écartelés (pour ne pas dire crucifiés) entre ces deux conceptions, "futuriste-réaliste" ou "réalisée-spiritualisée-intériorisée", de l'eschatologie; certains font un choix assez net pour la seconde (p. ex. les premières rédactions de l'évangile selon Jean, l'épître aux Colossiens), d'autres pour la première (Matthieu et Luc*, avec l'idée du "retard de la parousie" qui prend de plus en plus de place, les Pastorales anti-gnostiques)... beaucoup (et notamment les premiers textes pauliniens) oscillent entre les deux.

---
* Encore que Luc (17,21) préserve, à contresens de sa rédaction générale, l'un des logia les plus caractéristiques d'une eschatologie intériorisée: le règne-royaume de Dieu est en vous (cf. Thomas 3; 113).

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Pour revenir à mon point de départ (moins "biblique", plus "existentiel" ou "psychologique" si l'on veut absolument lui coller un adjectif): il me semble qu'à un certain degré d'intensité la "présence au présent" bascule d'elle-même dans une sorte d'extase (ou d'ouverture mentale) qui entrevoit dans le présent l'implication d'une totalité (du temps, du monde, de l'être, du devenir, du réel, de l'imaginaire), laquelle à la fois nous fonde et nous annule; et même, car l'un ne va pas sans l'autre, l'impossible excès de cette totalité (ce rien-qui-n'existe-pas mais qui seul offrirait un "point de vue" sur tout-ce-qui-existe). Autrement dit débouche, "naturellement", sur un "surnaturel" ("réellement" sur un "sur-réel", etc.) qui abolit toutes les oppositions (y compris entre "naturel" et "surnaturel", "réel" et "surréel", etc.). C'est aussi bien une "fin des temps" ou une "fin du monde", mais qui arrive "ici et maintenant", au cours du temps et au milieu du monde (voir ici). Cela ne se produit jamais que dans un "présent" (je repense, la Bible revient déjà, à l'aujourd'hui de l'épître aux Hébreux), pourrait en principe se produire dans n'importe quel "présent", mais en fait ne se produit que rarement, car la perception ordinaire du "présent" comme distinct du passé et de l'avenir, de l'ici comme distinct de l'ailleurs, la seule qui nous permette d'"exister" au quotidien, nous requiert. D'où le caractère exceptionnel, et aussi l'aspect "affolant" ou "abrutissant", d'une telle expérience d'immersion dans un "présent" que pourtant nous ne quittons jamais. Expérience marquante, quelle que soit la façon (religieuse, philosophique, psychologique) dont on se l'explique "après coup", c.-à-d. en tout cas en-dehors de ce "présent"-là (en-dehors étant évidemment à la lettre une imposture, mais une imposture commode et même -- pour nous -- vitale).
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeMer 08 Juin 2016, 21:40

Le présent existe-t-il ? A-t-il le temps d'exister ? En effet le présent ne cesse de devenir le passé, mais n'est pas un avenir ou alors d'une manière fugace.
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeMer 08 Juin 2016, 22:17

le chapelier toqué a écrit:
Le présent existe-t-il ? A-t-il le temps d'exister ? En effet le présent ne cesse de devenir le passé, mais n'est pas un avenir ou alors d'une manière fugace.

Dans un sens, oui, dans l'autre, non !

Si je reprends l'image du cadre, de l'écran (de cinéma, de télévision, d'ordinateur) ou de la scène (de théâtre, d'opéra), et que j'appelle "présent" ce qui (se) passe à un instant t (ou i) dans le cadre (sur l'écran, sur la scène), tu as tout à fait raison: à la limite cet instant-là se réduit à un instantané immobile (arrêt sur image) dont la "réalité ponctuelle" (sans durée) trahit (dans tous les sens du terme) l'essence même de la "réalité" (mouvement, sons, etc. qui n'"existent" pas sans durée, tout ce qui est étant, à vrai dire, le produit de la durée). Si en revanche j'appelle "présent" le cadre lui-même (l'écran, la scène), indépendamment de ce qui (s')y passe, ce "présent"-là est toujours présent, il ne passe jamais, il a (littéralement) tout le temps, il aura été seul (avec tout ce qui sera passé "en" lui ou "par" lui) à "exister" (de ce point de vue, c'est "le passé" et "l'avenir" qui passent pour des illusions).

Cette image est assurément artificielle (il n'y a aucune raison logique a priori de distinguer dans le "présent" un "contenant" et un "contenu"), mais elle a le mérite de montrer que le "présent" est un concept foncièrement paradoxal, qui diffère essentiellement de lui-même. Et on pourrait bien sûr le montrer de mille autres manières, ne serait-ce qu'en considérant que mon présent d'hier (ou d'il y a une seconde) est et n'est pas celui d'aujourd'hui (ou de maintenant), ou que le mien est et n'est pas le tien, même si nous communiquons "en temps réel" ou peu s'en faut, sans parler de la relativité qui réduit objectivement le "présent" à une notion locale (donc à une présence), sinon subjective. On retombe toujours sur notre incapacité de penser le temps sans le "spatialiser" d'une manière ou d'une autre (comme contenant ou contenu p. ex.).
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeJeu 09 Juin 2016, 19:01

Ta réponse ma fait penser à un texte que je viens de lire (un extrait du moins)...

Tous deux, émus, regagnèrent la maison et prirent le thé dans des tasses de porcelaine ancienne, accompagné de brioche à la pâte fine et nourrissante. Ces détails rappelèrent de nouveau à Kovrine son enfance et sa jeunesse. Merveilleux, le présent se fondait en lui avec les impressions ressurgies du passé: son âme en était pleine et il était heureux. Anton Tchekov
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeJeu 09 Juin 2016, 20:08

Marcel n'aurait rien inventé ? Wink
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeVen 10 Juin 2016, 10:58

Je ne sais pas en quelle année Tchékov a écrit ce texte, mais il me semble que Proust n'utilise pas cette notion de présent mais se contente, si tu me permets ce mot, d'évoquer le passé qui lui revient par bribes et qui s'étoffe au fur à mesure que les souvenirs parlent à sa mémoire; il est vrai que j'ai eu comme toi cette pensée à propos de la brioche de Thcékov que j'ai mise en parallèle avec la madeleine de la tante Léonie citée par Proust...
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeVen 10 Juin 2016, 12:29

Tchekhov est mort en 1904, Le moine noir a été écrit en 1893 et publié l'année suivante, Proust commence La recherche en 1907 et la publie à partir de 1913 (doctus cum Google !).

Le (long) chemin de la Recherche, me semble-t-il, conduit du souvenir du passé comme passé (le temps perdu auquel manque précisément, et cruellement, la présence qui en est l'essentiel) au sentiment de la présence de ce passé, éprouvé(e) dans l'instant présent. Si longue que soit la recherche, ce sentiment (le temps retrouvé) arrive de manière instantanée, fortuite et gratuite (au hasard d'une sensation présente, odeur, goût, bruit de sonnette ou heurt d'un pavé, par quoi le présent du présent débouche, s'ouvre, verse soudain sur le présent du passé): il est et n'est pas l'aboutissement de la recherche. (On pourrait même inverser le rapport: c'est le sentiment d'abord éprouvé de la présence du passé qui conduit à l'aventure littéraire de la Recherche.) Ce que je retrouve dans la dernière phrase de ta citation (mais peut-être parce que dans ma tête et sur ce point précis, Proust, contrairement à la chronologie réelle, précède Tchekhov).

Je re-cite ou récite une fois de plus Faulkner (Requiem for a Nun): The past is never dead. It's not even past. Formule encore paradoxale ou contradictoire, dont la "vérité" ne peut jamais être stable ni acquise mais surgit, au détour du chemin, avec l'évidence fugace d'une illumination ou d'une apparition (une épiphanie). Entre-temps, c.-à-d. la plupart du temps, on se demande plutôt avec Villon "où sont les neiges d'antan" (ce qui reste une excellente question).

Ça me rappelle une idée qui s'était imposée à moi au temps où je me dégageais bon gré mal gré de "croyances naïves" (je ne me suis jamais pressé d'en sortir): à savoir, que pour avoir un sens subjectif (ce qui n'était sûrement pas leur raison d'être initiale), le "salut", la "vie éternelle", la "résurrection" ne devraient pas porter sur des personnes, mais sur des instants significatifs, avec leur complexe de sensations, de sentiments et de relations qui de proche en proche impliquent la totalité de l'histoire et du monde, sans pouvoir s'arrêter aux limites d'un "individu" ou d'une "vie". J'ai retrouvé une idée similaire il n'y a pas très longtemps dans un film japonais, After Life (de Hirokazu Kore-eda, 1998) où les défunts après leur mort devaient choisir l'instant de leur vie qu'ils allaient "immortaliser" pour le "vivre éternellement" à l'exclusion de tous les autres -- certains y parvenaient tout de suite, d'autres jamais. J'en suis arrivé pour ma part à la conclusion que nos "instants éternels" ne sauraient trouver meilleure place que celle qui est (a été, aura été) la leur, dans le cours même du temps, et que c'était là même et non ailleurs qu'il fallait les retrouver, d'une façon ou d'une autre. Je n'avais pas encore lu Zarathoustra où la pensée de "l'éternel retour" s'engage précisément de la même manière, cf. le Chant de minuit:
O Mensch! Gib acht!
Was spricht die tiefe Mitternacht?
»Ich schlief, ich schlief—,
Aus tiefem Traum bin ich erwacht:—
Die Welt ist tief,
Und tiefer als der Tag gedacht.
Tief ist ihr Weh—,
Lust—tiefer noch als Herzeleid:
Weh spricht: Vergeh!
Doch alle Lust will Ewigkeit—,
—will tiefe, tiefe Ewigkeit!«

(Ô homme, prête attention !
Que dit le profond minuit ?
"J'ai dormi, j'ai dormi,
D'un rêve profond je me suis éveillé:
Le monde est profond,
Plus profond que ne l'avait pensé le jour.
Profonde est sa peine,
Et sa joie plus profonde encore que son chagrin:
La peine dit: Va-t'en !
Mais toute joie veut l'éternité,
Une profonde, profonde éternité !")
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeVen 10 Juin 2016, 23:47

Narkissos a écrit:
J'ai retrouvé une idée similaire il n'y a pas très longtemps dans un film japonais, After Life (de Hirokazu Kore-eda, 1998) où les défunts après leur mort devaient choisir l'instant de leur vie qu'ils allaient "immortaliser" pour le "vivre éternellement" à l'exclusion de tous les autres -- certains y parvenaient tout de suite, d'autres jamais.

C'est une idée fascinante et cela me rappelle quelques conversations avec des Témoins, alors que j'étais encore actif, à propos de la vie éternelle: comment voudrions-nous vivre dans l'éternité, jeune, très jeune etc...

Narkissos a écrit:
J'en suis arrivé pour ma part à la conclusion que nos "instants éternels" ne sauraient trouver meilleure place que celle qui est (a été, aura été) la leur, dans le cours même du temps, et que c'était là même et non ailleurs qu'il fallait les retrouver, d'une façon ou d'une autre.

Ta conclusion est intéressante même si j'ai de la peine à saisir pleinement le sens que tu attribues à "nos instants éternels" dans le cours même du temps

Narkissos a écrit:
Tchekhov est mort en 1904, Le moine noir a été écrit en 1893 et publié l'année suivante, Proust commence La recherche en 1907 et la publie à partir de 1913 (doctus cum Google !).

J'avoue que sur le coup j'ai été un peu paresseux et qu'il m'aurait été tout aussi facile de trouver, comme tu l'as fait, les renseignements sur Tchékov dans Google. J'assume ma légèreté Embarassed
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeSam 11 Juin 2016, 02:33

le chapelier toqué a écrit:
... j'ai de la peine à saisir pleinement le sens que tu attribues à "nos instants éternels" dans le cours même du temps

C'est très simple mais ça ne se pense pas en une seule fois, la réflexion passe par plusieurs étapes pour revenir, sous un autre angle, à son point de départ (encore une manière de cercle). P. ex.:

1. A notre propre jugement (subjectif) tous les moments de notre vie ne se valent pas, il y en a quelques-uns auxquels nous "tenons", que nous n'aurions jamais voulu "quitter", que nous voudrions "retrouver" -- et beaucoup plus d'autres qui nous indiffèrent ou que nous ne voudrions en aucun cas "revivre". (Plus ou moins sans doute de part et d'autre selon le cas, et sans aller nécessairement jusqu'au parti-pris minimaliste et cruel d'After Life qui réduisait les "bons moments" à un seul instant "ponctuel" -- corollaire logique, toutefois, du présupposé de l'unicité du sujet, fût-il immortel: une seule âme pour toute une vie et toute une éternité).

2. Mais nous savons aussi (objectivement) que tout se tient, et que vouloir ne serait-ce qu'un seul de ces moments c'est aussi vouloir, pour lui, ce qui le précède, ce qui le suit, ce qui l'entoure: de proche en proche, la totalité du "monde" et de l'"histoire", ce qu'on en sait et ce qu'on en ignore, et le pire avec le meilleur. Et comme la volonté n'a pas de prise directe sur le passé, qu'elle ne peut vouloir que le présent ou le futur, c'est vouloir une répétition intégrale de tout, que nous projetions celle-ci sur l'imaginaire d'un "au-delà" ou d'un "avenir" également impensables; et une répétition à l'infini de la répétition, puisque dans chaque répétition le ou les moments choisis passeraient encore.

3. D'un tel "rêve" nous revenons à la "réalité", en nous disant que ces moments-là ont eu lieu, une fois pour toutes, en leur lieu et en leur temps, dans l'histoire unique qui se poursuit et ne se répète pas. Nous le savions bien sûr, mais le détour par la répétition imaginaire leur confère, au retour, une sorte d'"éternité" étrangement heureuse -- éternité grammaticale, celle du "parfait" ou de l'"accompli", une fois pour toutes les fois de sa répétition idéale.

Ce qui revient peut-être à dire que l'"unité", l'"éternité" ou le "sens" des choses, c'est en nous qu'ils se jouent, ici, maintenant, pour toujours. Mais dans un "présent" qui ne se réduit jamais à l'instant, qui co-implique dans sa présence tous les présents, ceux du passé comme ceux de l'avenir.
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeSam 11 Juin 2016, 08:56

Merci d'être entré dans les détails de ton raisonnement. Si je voulais l'imager je pourrais dire que chaque jour est unique et qu'il ne reviendra plus, je peux le revivre par la pensée et encore je vais réinterpréter cette journée en la vivant mieux qu'elle ne l'était ou moins bien qu'elle ne l'a été.

On ne sait baigne jamais 2 fois dans le même fleuve. Heraclite
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeSam 11 Juin 2016, 14:25

Tout "présent" est aussi inséparable de ses "suites" (y compris ce que nous en faisons ultérieurement par le travail de la mémoire, de la réflexion, de l'imagination, du récit, de l'écriture, de l'art, de la vie consciente et inconsciente) que de ce qui le précède et l'entoure. (Cf. encore cet autre fil qui commence à ressembler beaucoup à celui-ci !)

La fameuse sentence d'Héraclite (fragments 12 et 91) est d'autant plus profonde que, contrairement à ce qu'en ont généralement compris les commentateurs anciens, d'une "fois" à l'autre ce n'est pas seulement le fleuve, mais aussi le "on" qui a changé...
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeSam 11 Juin 2016, 21:18

Narkissos a écrit:
La fameuse sentence d'Héraclite (fragments 12 et 91) est d'autant plus profonde que, contrairement à ce qu'en ont généralement compris les commentateurs anciens, d'une "fois" à l'autre ce n'est pas seulement le fleuve, mais aussi le "on" qui a changé...

Il est toujours merveilleux de regarder l'eau couler (sous les ponts ou dans le lit de la rivière) et d'imaginer que depuis des glaciers (le Rhône, le Rhin deux fleuves internationaux, ainsi que l'Aar confluent du Rhin et le Tessin confluent du Pô dans le massif du Gothard [célébré récemment pour l'inauguration du plus long tunnel ferroviaire du monde king lol!  ) cette eau occupe le lit de rivière de la source à la localisation elle passe dans un même instant...

Mais si je m'imagine les personnes s'étant penchées sur ces cours d'eau alors j'ai presque la tête qui tourne...
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeSam 11 Juin 2016, 23:07

Entre le fleuve et le temps, c'est une longue histoire d'amour et de malentendus ! P. ex., du côté du "contenu", le présent du Rhône à Lyon, c'est (au moins en partie) le passé de Genève et l'avenir de Valence...

La "simultanéité" (cf. la contemporanéité de Kierkegaard ou la synchronicité de Jung) est un concept plus compliqué qu'il n'en a l'air (avant même qu'Einstein ne s'en mêle). Dessine-moi le "présent" d'une rame de métro où l'un regarde ses chaussures ou parle avec son voisin pendant que l'autre communique sur son smartphone avec un correspondant à l'autre bout de la ville, du pays ou de la planète, et qu'un autre encore lit le journal, Hugo, Montaigne, le Coran, la Bible ou Platon...
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeDim 12 Juin 2016, 11:13

Le présent est aussi compliqué si l'on regarde notre planète, en effet nous avons la sensation lorsque le jour se lève sur la France, sur la Suisse, sur la Belgique que ce jour se lève en même temps dans d'autres pays proches de chez nous, pourtant il n'en est rien puisque par exemple le Portugal ne se met plus à l'heure d'été comme nos pays en ont gardé l'habitude.

L'aurore est toujours la même mais le temps (horaire) n'est pas le même sur la montre d'un Espagnol ou d'un Portugais qui pourtant sont voisins...
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeDim 12 Juin 2016, 21:12

Entre la Suisse et l'horlogerie aussi, c'est une longue histoire ! ;)

La "mesure du temps" (qui est en fait une synchronisation de mouvements, p. ex. de la rotation des aiguilles d'une montre et de celle de la Terre) est foncièrement conventionnelle, et les décisions politiques ne font qu'y rajouter des couches de conventions supplémentaires. On a beau avoir une seule heure officielle en France, ça n'empêche pas le soleil de se lever et de se coucher plus tôt à Strasbourg qu'à Brest (de Varsovie à Compostelle où les montres sont maintenant à la même heure, il y a près de trois heures d'écart au soleil). Si chacun, comme on dit, "voyait midi à sa porte" (expression du temps des cadrans solaires), ça compliquerait sérieusement l'organisation d'un pays (ou d'une union de pays) moderne, mais avant le télégraphe ça n'avait aucune importance pratique...
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeVen 17 Juin 2016, 11:19

Puisque nous en sommes à parler de montres, horloges (Suisses ou pas...) je voulais juste vous faire remarquer que c'est à cause du chemin de fer que nous avons la même heure à Genève, Chiasso ou Kreuzlingen, Paris, Marseille ou St Malo. Auparavant chaque ville affichait midi selon le temps qu'elle considérait comme raisonnable.

Seulement voilà un train devait arriver et partir à une certaine heure, son temps de parcours connu devait permettre de calculer l'heure d'arrivée d'un convoi.

Nartkissos a écrit:
Entre la Suisse et l'horlogerie aussi, c'est une longue histoire ! Wink

Narkissos si les protestants français n'avaient été obligé de fuir la France pour sauver leur vie je ne sais pas si la Suisse auraient compter parmi les nations horlogères. Ce sont des horlogers venus de France qui ont compris le potentiel a tirer des hommes et femmes perdus dans leur ferme pendant les hivers rigoureux de la vallée de Joux.bounce
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeDim 19 Juin 2016, 17:57

[@lct: j'avais pensé au télégraphe parce que je le croyais plus ancien -- tout dépend quelles techniques précises on compare -- et parce qu'avec lui un message peut effectivement arriver "plus tôt", à l'heure (solaire) de sa destination, que celle où il a été envoyé; d'autre part les grandes lignes ferroviaires (Orient-Express, Transsibérien etc.) qui, dès le XIXe siècle, s'étendaient sur pas mal de fuseaux horaires ne changeaient rien aux heures locales.]

Pour (essayer de) revenir à "mon" sujet, cette phrase un peu énigmatique qui me tourne dans la tête, sur la "parousie" (présence, présent) comme "rendez-vous", dans tous les sens, y compris amoureux ou sommatoire, de la formule: Tout (désir, crainte, pouvoir, vouloir, savoir, devoir) se rend au présent, comme à sa fin.
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeDim 19 Juin 2016, 18:31

Narkissos a écrit:
Tout (désir, crainte, pouvoir, vouloir, savoir, devoir) se rend au présent, comme à sa fin.

Beaucoup de choses peuvent effectivement jouer un rôle dans notre vie dès à présent, mais également dans le futur... ou à la fin
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeLun 13 Mai 2024, 11:46

« Vivre dans le temps présent avec réserve, justice et piété » (Tt), peut-il être désirable ?
Brigitte Cholvy

Vivre une expérience eschatologique : espace et temps accueillants

Cet axe de lecture, développé dès les premières décennies du XXe siècle, se situe sur le registre existentiel. Pour K. Barth, le christianisme doit être une eschatologie, sinon il n’a rien à voir avec le Christ. Le cœur de la foi chrétienne réside dans l’événement qui surgit dans l’existence croyante chaque fois que la verticalité de Dieu entre en contact avec l’horizontalité de la vie humaine. Cette eschatologie « verticale » trouve son lieu de prédilection dans la prédication. L’expérience de la rencontre de la Parole de Dieu, lorsqu’elle est annoncée, écoutée, reçue et vécue par chaque croyant, n’est jamais épuisée et peut être toujours actuelle, malgré son caractère supra-historique.

Proche de Barth sur ce point, R. Bultmann pousse plus loin cette idée toute individuelle de l’eschatologie. La rencontre avec Dieu, qui se produit dans l’annonce de la Parole et dans la prédication, et qui constitue le croyant, le place dans un autre temps, celui de la vie nouvelle, de sorte que, pour Bultmann, c’est finalement l’existence croyante qui est l’existence eschatologique. L’existence du croyant qui est en quelque sorte désaliénée par l’écoute du kérygme, devient véridique, c’est-à-dire déjà en Dieu. Cette focalisation sur l’actualité de la Parole dans la foi du croyant le conduit à insister sur la prééminence de la parole sur l’événement, au point de considérer les événements historiques comme des réalités sans réelle importance pour la foi. Cette insistance toute luthérienne sur l’actualisation du « pour moi » risque d’entraîner une relativisation des faits historiques ce qui ultimement pose la question du rôle de l’histoire et de la pertinence de l’engagement dans le monde.

Dans ce même axe de lecture centrée sur la possibilité d’une expérience personnelle eschatologique, donnant donc la primeur à la subjectivité, la tradition catholique insiste, quant à elle, davantage sur la sacramentalité. Le principe de sacramentalité suppose que Dieu peut être discerné dans et à travers toutes choses considérées comme porteuses de sa présence. « Le » sacrement, c’est-à-dire le signe réel de la rencontre du Dieu invisible, est Jésus-Christ. L’Église à son tour est, de manière analogique, le sacrement de la rencontre de l’humanité et du Christ et les sacrements sont les signes et instruments qui réalisent cette rencontre pour le salut du monde. Ce qu’ils signifient se réalise, y compris par leur dimension de médiation. À cet égard, le lieu eucharistique est par excellence le lieu d’expérience de la résurrection, lieu communautaire où il s’agit d’expérimenter ce que l’Église reçoit, interprète et donne, à part égale des deux tables qui n’en font probablement qu’une car « l’Église a toujours vénéré les divines Écritures, comme elle l’a toujours fait aussi pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la sainte liturgie, de prendre le pain de vie sur la table de la parole de Dieu et sur celle du Corps du Christ, pour l’offrir aux fidèles » 

Mais l’expérience de la rencontre avec le Ressuscité, dans sa Parole et dans son Corps, ne peut pas se passer hors sol. Elle se réalise en un lieu et en un temps nécessairement humains. La question est ainsi relancée et porte non plus sur l’expérience personnelle mais sur la possibilité pour l’espace et le temps d’être accueillants à l’événement eschatologique.

Entre un Schweitzer, qui jugeait l’eschatologie, c’est-à-dire le Royaume, entièrement encore à venir, uniquement comme « conséquence » de l’action de Jésus non encore accomplie, et un Dodd constatant que Jésus affirmait que l’espérance d’Israël s’accomplissait par sa présence (Ga 4, 4 ; Mc 1, 14), que le Royaume était là, qu’il était le Royaume en personne, que donc l’eschatologie était « réalisée », la génération suivante a perçu le caractère unilatéral de ces propositions. Ainsi O. Cullmannproposa une solution qui articule le « déjà-là » et le « pas-encore ». Il ne faut pas choisir car, s’il y a un accomplissement (la venue de Jésus, sa mort, sa résurrection dans une perspective d’accomplissement des prophéties), il y a aussi une attente (la parousie du Christ comme réalisation plénière de ce que Dieu a promis). Il convient de mettre accomplissement et attente en rapport dialectique, de ne pas confondre accomplissement et achèvement et de donner toute son importance au temps qui se déroule pourtant inexorablement. Le temps et l’histoire sont reconfigurés par l’événement unique qu’est la venue, la mort et la résurrection du Christ, compris comme événements décisifs de l’histoire des hommes et du monde. Le temps présent est donc le lieu d’une « histoire du salut » et devient temps intermédiaire entre la résurrection et la parousie, entre premier et second avènement du Christ. Toutefois, pour Cullmann, la victoire étant acquise, le Royaume encore à-venir ne représente pas quelque chose de nouveau par rapport à ce qui a déjà été accompli dans la mort et la résurrection du Christ, même si sa pleine manifestation n’arrivera qu’à la parousie.

Prendre au sérieux le monde et l’histoire et leur nécessaire transformation

Pour comprendre la puissance de Jésus-Christ sur l’histoire, il est extrêmement important d’être attentif à cette distinction intérieure (transcendantale) dans le phénomène historique. Ainsi l’incarnation n’est pas en quelque sorte un « principe », que l’on applique après coup à l’histoire […] ; mais elle est un principe interne de l’histoire elle-même ; elle est sa « consistance » (Col 1, 17), son « fondement ultime » (Ap 3, 14), sa raison d’être primordiale et qui embrasse tout, son « alpha et oméga » (Ap 1, 18), sa « plénitude » (Ga 4, 4 ; Mc 1, 15), sa réalisation concrète, absolue. […] Ce n’est qu’au moment où le fondement qui préside à l’histoire est lui-même pensé d’une manière historique que l’historicité est totalement prise au sérieux.

https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2016-4-page-533.htm
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MessageSujet: Re: parousia   parousia Icon_minitimeLun 13 Mai 2024, 12:52

Que de fils (pluriel de fil) oubliés !

Entre celui-ci (2016) et l'autre (2011) qui avait presque le même titre, il y avait surtout une différence d'intention thématique: ici il ne s'agissait pas (du moins pas à première vue) d'eschatologie, mais de présent et de présence en général, selon l'étymologie de la par-ousia, par-eimi etc. -- encore que le présent (temporel) prête remarquablement à interprétation eschatologique: c'est toujours le dernier moment qu'on ait connu jusque-là...

Depuis nous avons encore beaucoup (trop ?) parlé du "temps" et de ses "aspects", y compris le "présent" comme ponctuel ou duratif, progressif, processif, im-parfait, in-accompli, tendant à la fois vers le futur et vers le passé, mais irréversiblement dans les deux sens...

L'article que tu cites offre un tour d'horizon utile de la théologie du XXe siècle, d'un point de vue catholique. Il ne faut pas y chercher de l'exégèse, mais le (pré-)texte de référence (Tite 2,12s) est quand même intéressant par rapport à ce(s) sujet(s) parce qu'il distingue un "temps présent", durable, "l'âge-monde de maintenant", ho nun aiôn, de la "manifestation" eschatologique (l'epiphaneia, épiphanie, ayant remplacé la parousia-parousie, notamment dans les Pastorales, Timothée-Tite, en passant ou non par l'apokalupsis-apocalypse, "révélation")... L'idée de "réserve" est tentante en français (une façon "réservée" de vivre au présent qui "réserve" des possibilités d'avenir, c'est d'une grande "actualité" écologique, entre autres), quoique son rapport à la sôphrosunè (ici c'est l'adjectif sôphronos, habituellement traduit par "sobre, modéré, pondéré", etc.) soit pour le moins discutable (sôzô ne signifie pas "sagesse" mais "sauver"; il est vrai qu'en anglais to save signifie aussi épargner ou économiser, ce qui ouvre plein de jeux de sens, qui n'ont pas même besoin d'être des jeux de mots, autour d'un "Jesus saves", p. ex.).

Mais c'est aussi l'occasion de (r)ouvrir ce fil à la question de la proximité qui lui est essentielle, et dont il n'a pas encore vraiment parlé si je ne m'abuse: la par-ousia, la pré(s)ence, c'est justement l'être-proche, y compris dans un sens temporel (passé proche, futur proche) représenté sur un mode spatial et linéaire (plus ou moins près, ou loin, sur la ligne, bande ou fresque du temps ainsi spatialisé). "Distance" imaginaire plus ou moins grande d'un christianisme "présent" par rapport à ses "origines" ou à sa "fin" (eschatologies) supposées, c'est déjà la situation tardive des Pastorales, où la distance grandit dans les deux sens, car on se sait à la fois de plus en plus loin de l'origine et pas pour autant plus proche de la fin, puisque les attentes imminentes s'éteignent d'elles-mêmes quand on ne les éteint pas délibérément parce qu'elles paraissent dangereuses: la parousia eschatologique semble s'éloigner autant que le Christ originel (terrestre) qui fait désormais objet de récits (pseudo-)historiques (évangiles). Quant à nous, même sans référence consciente au christianisme, nous sommes aux prises avec un problème analogue, ou symétrique, où nous éprouvons la nécessité et l'impossibilité de sacrifier le proche au lointain, par exemple les générations proches aux lointaines."Voici, je vous enseigne l'amour du lointain", disait Zarathoustra, encore trop tôt et déjà trop tard...

Bien sûr, toutes les questions temporelles sont aussi liées aux spatiales dans notre imagination: quand les représentations de l'origine ou de la fin paraissent trop lointaines, l'origine et la fin ne peuvent plus se penser que comme proches, immédiates, présentes, intimes: Dieu, Christ, l'être, etc., en nous et nous en lui, selon les formules johanniques (entre autres). Mais le jeu ou la danse ne s'en poursuit pas moins de chaque terme, image, idée, avec les autres et ses autres, y compris ses "contraires": présence / absence comme on l'a souligné ici et ailleurs, proche / lointain, secret / manifeste, caché / révélé, et ainsi de suite...
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