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 L'évangile de Thomas

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le chapelier toqué

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MessageSujet: L'évangile de Thomas   L'évangile de Thomas Icon_minitimeDim 03 Juil 2016, 19:59

L’évangile de Thomas présente plusieurs particularités comme nous le voyons dans le logion 11 :
11 Jésus a dit : « Ce ciel passera, et celui qui est au-dessus de lui passera ; ceux qui sont morts ne vivent pas, et ceux qui vivent ne mourront pas. Les jours où vous mangiez ce qui est mort, vous en faisiez quelque chose de vivant ; lorsque vous serez dans la lumière que ferez-vous ? Le jour où vous étiez un, vous êtes devenus deux ; mais quand vous serez devenus deux, que ferez-vous ? »

Voici le commentaire en bas de page :
Voir Mat.24,35―Le jour où vous étiez un : référence au mythe de l’unité perdue. A la suite de spéculations du judaïsme hellénistique, en particulier de Philon d’Alexandrie, Adam, l’homme primordial, était conçu comme une figure androgyne ; la transgression du commandement de Dieu dans l’Eden (Gn 3) aurait eu comme conséquence la perte de l’androgynie originelle et la séparation des sexes. Dans ce contexte, le salut consistait dans la restauration de l’unité primordiale, dans le retour à l’innocence originelle, antérieure au péché.
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Narkissos

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MessageSujet: Re: L'évangile de Thomas   L'évangile de Thomas Icon_minitimeDim 03 Juil 2016, 22:48

Sur les cieux qui passent, on peut aussi comparer Matthieu 5,18//Luc 16,17. A noter que cette idée "apocalyptique" est plus clairement "gnosticisée" dans le logion 111 (c'est devant vous que les cieux seront "roulés", cf. Isaïe 34,4; Psaume 102,25ss; Hébreux 1,10ss; Apocalypse 6,12ss).

La cosmologie est relativement sobre, puisqu'il n'y a "que" deux cieux superposés (dans d'autres textes apocalyptiques ou gnostiques, il peut y en avoir 5, 7, 10, 12 ou davantage). Il serait tentant mais hasardeux de la rapprocher de celle que présuppose 2 Corinthiens 12, puisque (l'"homme" de) Paul est élevé au troisième ciel (du point de vue de ce logion, ce serait donc au-dessus du périssable; mais la référence de Paul peut aussi être à un "paradis" situé au troisième étage d'un ensemble plus "haut", comme dans III Baruch).

L'opposition des morts et des vivants rappelle la réinterprétation johannique (p. ex. Jean 5,24ss; 11,25s) de la distinction eschatologique relative à la "parousie" (1 Thessaloniciens 4; 1 Corinthiens 15). Cf. aussi le "Dialogue du Sauveur" (NH III,5, 139s): "Matthieu dit : « Dis-moi, Seigneur, de quelle manière les morts meurent-ils, et de quelle manière les vivants vivent-ils ? » Le Seigneur dit : « [Tu] m’as interrogé sur une parole [ . . . ] qu’aucun œil n’a vu(e) et que je n’ai entendu(e), excepté de toi. Or je vous le dis, lorsque sera retiré ce qui meut l’homme, on l’appellera “le mort”, et lorsque ce qui est vivant abandonnera ce qui est mort, on appellera “le vivant”. » Jude dit : « Pourquoi donc, en vérité, et pourquoi vit-on ? » Le Seigneur dit : « Ce qui est issu de la vérité ne meurt pas, ce qui est issu de la femme meurt. »"

Sur l'alimentation qui transforme le mort en vivant, cf. logia 7, 60. Le passé peut suggérer un végétarisme (assez répandu dans les mouvements proto-chrétiens, "gnostiques" mais aussi "judéo-chrétiens", entre lesquels les "frontières" sont plus poreuses qu'on ne l'a longtemps imaginé). Il y a une variante de ce passage attribuée aux naasséniens (= ophites, "adorateurs du Serpent" en référence à la relecture du récit de l'Eden) dans les Refutationes d'Hippolyte, V, viii, 31s, où le contraste est meilleur: "que ferez-vous quand vous mangerez du vivant ? Ce vivant ce sont des êtres rationnels, des intelligences, des hommes -- ces perles que le grand Être sans forme a jetées dans l'ouvrage d'ici-bas".

De même en ce qui concerne la différence sexuelle à partir de l'androgynie originelle, il manque la conclusion attendue, "devenir un" (cf. logia 4, 22,4ss, 49, 103).

(Ces quelques éléments rassemblés en grande partie à partir du lien déjà indiqué dans l'autre fil, où il a déjà beaucoup été question de cet évangile, montrent en tout cas combien l'annotation de la Pléiade est déficiente.)
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MessageSujet: Re: L'évangile de Thomas   L'évangile de Thomas Icon_minitimeVen 22 Mar 2024, 12:48

Bernard Luguern
La clé de l’Évangile selon Thomas

Beaucoup de commentateurs ont été troublés par le manque apparent de logique dans l’agencement des 114 paroles (ou logia) de l’Évangile apocryphe selon Thomas qui a été redécouvert à Nag Hammadi en Égypte en 1945. Pourtant, la clé de ce texte est mentionnée juste après le préambule qui indique que « Celui qui découvrira l’interprétation de ces paroles ne goûtera pas à la mort. »  Le deuxième logion (ou parole) de l’Évangile selon Thomas est capital pour sa compréhension, car l’apôtre y propose un itinéraire spirituel en sept étapes, que j’appelle les provinces du Royaume. Ce sont autant d’expériences à vivre, avant de parvenir à la dernière étape, l’union avec le Divin. Jésus emploie l’image de la «  chambre nuptiale» pour symboliser cette union mystique.

Voici le texte de ce logion, dans la version qui a été retrouvée à Oxyrhynque en Égypte :Jésus a dit : « Que celui qui cherche, ne cesse de le faire jusqu’à ce qu’il trouve. Et, quand il aura trouvé, il sera bouleversé. Et, étant bouleversé, il sera émerveillé et il régnera sur le Tout. Et, régnant sur le Tout, il trouvera le repos »

Première étape : «Celui qui cherche» Les aléas de la vie font souvent que l’on s’interroge sur son sens et que l’on remette en cause la notion de « bonheur » telle que proposée par la société. Ou bien des rencontres, des conférences ou des lectures nous laissent entrevoir l’existence d’une autre réalité au -delà de ce qui est visible. On se tourne alors vers différents écrits philosophiques ou spirituels, on « cherche ». Cette étape est la première province du Royaume. Elle consiste essentiellement en une prise de conscience des limites de sa vie actuelle.

Deuxième étape : Cher cher jusqu’à ce que l’on trouve.
 
Notre Guide nous explique qu’il faut vraiment s’impliquer pour profiter de cet enseignement. Cela passe, par exemple, par des relectures ou des méditations de ses paroles. Mais que doit-on chercher exactement ? Il s’agit notamment de savoir qui nous sommes vraiment, d’où nous venons, quelle est la vraie réalité, et quel est le sens de notre existence. La clé de cette investigation est révélée au logion suivant, il s’agit de la Connaissance de sa vraie nature, autrement dit
de la Gnose. C’est l’un des sésames pour trouver l’épanouissement spirituel et le bonheur. Cette démarche caractérise la deuxième province, même si cette quête approfondie ne se limite pas à cette étape. Dans la première province, on décide de chercher, et, à partir de la deuxième, on s’investit dans cette quête.

Troisième étape : On a trouvé !
Dans la troisième province, on atteint un palier, on connaît l’objet de sa quête, la Gnose, et on l’a comprise. Ce sont cependant toujours des connaissances théoriques. L’expérimentation se produit à partir de l’étape suivante.

Quatrième étape : Une fois que l’on a trouvé, il faut s’attendre à être bouleversé.

Le mot « bouleversé » ici est plutôt à prendre au sens de déstabilisé. En découvrant d’autres réalités, nous perdons nos certitudes. C’est la première fois que Jésus (ou qu’un autre représentant du Divin) se manifeste concrètement à nous, il fait irruption dans notre vie  et nous perdons nos repères habituels, d’où cette déstabilisation. Nous pouvons être tiraillés entre notre vie quotidienne et l’appel du Divin. Si nous réussissons à résoudre ces conflits en nous, nous accédons alors à la province suivante, où nous entrevoyons la récompense.

Cinquième étape : Du bouleversement, on passe à l’émerveillement.

Une fois que nous avons vraiment compris ce qui nous arrive, alors nous nous émerveillons. La déstabilisation initiale fait place à une sorte de béatitude. La mystique béguine Marguerite Porete parlait « d’étonnement émerveillé » pour caractériser cet état. Notre vie est totalement transformée en découvrant des réalités inouïes et insoupçonnées jusque-là. C’est une province dans laquelle Jésus ne ménage pas sa peine pour nous attirer à lui. Nous pouvons sentir son amour lors de certaines intériorisations et nous avons parfois des avant-goûts de la septième province.

Sixième étape : On règne alors sur le Tout.

Arrivé à ce stade, le marcheur prend conscience de sa nature divine et du fait qu’il appartient à un «Tout», qu’il n’est  pas seul. Il a alors accès aux ressources divines illimitées. Le résident de cette province sent une puissance et une connaissance infinies à portée de sa main, comme certains mystiques, saints, guérisseurs ou maîtres spirituels l’ont expérimenté. Il faut cependant préciser que, dans cette avant-dernière étape, les effets sont intermittents, on n’est pas toujours « connecté ».

Septième étape : En plus de régner sur le Tout, on trouve le repos.

C’est l’apothéose  ! La vie devient alors comme ces béatitudes que certains mystiques ont connues, une entière félicité. Le « repos» est à la fois la finalité et le moyen : le terme de« repos » de l’âme est synonyme de bonheur permanent dans la bouche de Jésus, mais aussi du calme intérieur qui permet de trouver ce bonheur. On peut y voir un clin d’œil à la création du monde selon l’Ancien Testament, Dieu y prenant du repos le septième jour, une fois son œuvre achevée. Ce « repos » est un mélange de joie ineffable et de détachement. Plus rien ne nous trouble. Cela  peut être comparé à un état extatique, pendant lequel on se noie dans l’Infini divin, on se confond avec Lui, comme la rivière qui se jette dans l’océan. Bien entendu, il y a différentes modulations de cet état suivant les moments et nos occupations.

https://www.academia.edu/41752673/La_cl%C3%A9_de_l%C3%89vangile_selon_Thomas
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Narkissos

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MessageSujet: Re: L'évangile de Thomas   L'évangile de Thomas Icon_minitimeVen 22 Mar 2024, 13:09

Sans surprise, l'évangile de Thomas comme beaucoup de textes "gnostiques" ou autres redécouverts ces derniers siècles a été pain bénit pour des myriades de gourous autoproclamés, avec plus ou moins de talent et de succès d'audience...

Pour ma part les néo-gnosticismes ne m'intéressent pas plus que les autres néo- qui essaient de ressusciter artificiellement des religions ou des philosophies défuntes (à sa façon le jéhovisme était comme toutes les sectes chrétiennes modernes un néo-christianisme, prétendant ressusciter le christianisme primitif, et cette expérience-là m'a suffi).

D'un point de vue exégétique, ce n'est évidemment pas parce qu'on trouve une gradation (effet stylistique courant, je pense au hasard dans le NT à Romains 5 ou 2 Pierre 1) dans un logion de Thomas qu'il faut en faire des "étapes", encore moins une "clé" pour l'interprétation de l'ensemble du livre, encore moins une "méthode" initiatique ou ésotérique à prétention universelle (ce qui est déjà une contradiction dans les termes).

Plus généralement, je suis sans doute devenu "allergique" à toutes les idées de progrès, de croissance, d'évolution, de dépassement, même quand je les retrouve chez mes "auteurs préférés", du XIXe siècle surtout depuis Hegel (Aufhebung), p. ex. chez Kierkegaard ou Nietzsche (stades sur le chemin de la vie, âges de l'homme, surhumain, trans- ou ultra-humain).

J'ai souvent eu l'impression de "tout comprendre" en un instant, et d'"avoir toujours su" ce que je comprenais là. Cela peut sonner "gnostique" ou "mystique", ce serait aussi bien "socratique" ou "psychanalytique", cela se retrouverait sans doute dans beaucoup de religions et de philosophies, différemment selon les époques, les lieux et les milieux, ce serait en fait extrêmement banal. Si c'est une "illusion" elle n'en est pas moins "réelle", elle est peut-être essentielle au sens même du "réel". Mais mon expérience, qui vaut ce qu'elle vaut, c'est que ça ne sert à rien, en tout cas ça ne me sert à rien, je n'en garde rien, rien sur quoi construire, pas même de chemin à suivre, rien à faire travailler, produire et fructifier, comme l'esclave inutile ou paresseux des paraboles, ou pire parce que je ne saurais même pas garder ou conserver intact ce que j'aurais reçu. A peine une trace comme le souvenir d'un rêve. C'est peut-être la temporalité de la "grâce", tout autre que celle d'un "progrès". Et de ce point de vue ça me convient tout à fait que la progression rhétorique ou poétique du logion précité culmine dans la négativité du "repos" qui l'annule (du nul et de l'anneau), comme la "création" de la première page de la Genèse; c'était aussi un mot clé de l'épître aux Hébreux, "médio-platonicienne" comme on sait.
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MessageSujet: Re: L'évangile de Thomas   L'évangile de Thomas Icon_minitimeMer 27 Mar 2024, 12:52

Johanna B R A N K A E R
Université Catholique de Louvain

L ’IRONIE DE JÉSUS DANS LE LOGION 114 de l’Evangile de thomas

Le logion 114 de / 'Évangile de Thomas pose un défi aux interprètes. Sa saveur misogyne semble difficile a concilier avec le dépassement de la dualité homme/femme que l 'on trouve ailleurs dans cet écrit. Une lecture ironique permet de comprendre ce logion a partir du fonctionnement global du texte.

Le dernier logion de l’Evangile se/on Thomas (ÉvTh) met en scène Marie en même temps que Pierre et Jésus. Marie est un des rares personnages qui apparaissent de manière individualisée dans cet evangile1. Le logion 114 la situe dans une discussion portant sur le statut des femmes parmi les disciples (ou par rapport a ceux-ci) :

114. Simon Pierre leur dit: Que Marie sorte de parmi nous, car les femmes ne sont pas dignes de la vie. Jésus dit: Voici, moi, je vais la guider afin de la faire mâle, en sorte qu'elle devienne elle aussi un esprit vivant semblable a vous, males, car toute femme qui se fera male entrera dans le Royaume des cieux.

Analyse du logion 114

Avant de proposer une solution au caractère étrange du dernier logion de l’EvTh, regardons-le de plus près. Il s’agit de la deuxième apparition de Simon Pierre dans l’EvTh. Dans le logion 13, il était un des deux disciples qui parlaient d ’une manière inadéquate de Jésus, quand celui-ci leur avait demande de dire a quoi il ressemblait. Dans le logion 114, Pierre prend lui-même l’initiative de parler en demandant que Marie sorte. Ce faisant, il s’arroge une certaine autorité dans le groupe (« nous »). Il n’est pas précise de quelles personnes ce groupe est compose : en font, en tout cas, partie Simon Pierre, Jésus et d ’autres hommes encore, probablement les disciples.

L’autorité de Pierre est une donnée traditionnelle que l’on trouve également dans les évangiles canoniques. Ses deux apparitions dans l’EvTh permettent de le considérer comme le représentant de l’ensemble des disciples et même de l’Eglise « institutionnelle ». Dans le logion 13, les deux disciples individualises a part Thomas sont Pierre et Matthieu, le premier représentant sans doute la tradition apostolique, le second peut-être la tradition (écrite) des évangiles. L’inadéquation des christologies professées par Pierre et Matthieu est mise en évidence par le double refus de Thomas de parler, d’abord a Jésus, ensuite aux autres disciples. Thomas y apparaît comme le disciple accompli, celui qui n ’a plus besoin de maître et qui a atteint un niveau de connaissance qu’il ne peut partager avec les autres disciples.

Dans le logion 21, Marie parle des disciples sans s’impliquer. Tout comme Salomé, elle a un statut particulier: sans appartenir au groupe que le narrateur désigne comme « les disciples », elles sont dans une plus grande proximité que ceux-ci avec Jésus. Salomé partage même sa table et son lit avec lui. Si, dans le logion 114, Marie se trouve dans le groupe des disciples, c’est du a cette proximité et non pas a son intégration au sein du groupe.

La raison de l’exclusion de Marie est le fait qu’elle est femme, « car les femmes ne sont pas dignes de la vie ». Dans son argument, Pierre recourt a la conception de la vie dans le sens ou Jésus l’utilise, c’est-a-dire le salut et non pas la vie biologique. Si la conception de la vie renvoie aux représentations que Jésus utilise dans l’EvTh, l’exclusion des femmes n ’y apparaît nulle part11. Sauf si la première phrase dans le dialogue avec Salomé - « deux se reposeront sur un lit, l’un mourra, l’autre vivra » (61) - devait être comprise dans ce sens12. La perception positive de Salomé et la suggestion qu’elle est digne d’entendre les
mystères de Jésus (62) - contrairement aux disciples, - rend cette interprétation cependant peu certaine.

Si Simon Pierre demande l’exclusion de Marie en particulier, l’autre personnage féminin de l’EvTh, Salomé, est également concerne par son argumentation qui vise les femmes en général. On peut rapprocher l’une de l’autre ces deux femmes, qui apparaissent dans des contextes ou la notion de « disciple » est thématisée. Marie demande a Jésus a quoi ressemblent ses disciples (21); Salomé se déclare disciple elle-même (61). L’absence de présuppositions théologiques chez les femmes les met en contraste avec ceux qui sont désignés comme disciples par le narrateur. Salomé est digne des mystères de Jésus (62), Marie sera guidée dans le Royaume (114). Les deux femmes semblent ainsi constituer une seule figure, celle du « vrai » disciple libéré d ’éventuelles conceptions religieuses et culturelles traditionnelles13. C’est sans doute précisément en recourrant a des catégories relevant des traditions religieuses que Simon Pierre exige
l ’exclusion des femmes.

Jésus semble reconnaître la validité de l’argument de Pierre, car il propose de faire Marie male en sorte qu’elle puisse devenir un esprit vivant comme les autres. La féminité de Marie est donc présentée comme un défaut, a moins qu’il n ’y ait une certaine ironie dans la réponse de Jésus, hypothèse sur laquelle nous reviendrons plus loin.

Comme souvent dans l’EvTh, il y a un glissement de sens entre la question des disciples (en l’occurrence Pierre, leur représentant) et la réponse de Jésus. Si celui-ci semble accepter l’argumentation de Pierre, il ne fait pas ce que celui-ci a demande, c’est-a-dire écarter Marie du groupe présent. La solution au problème proposée par Jésus ne va pas dans le sens de l’exclusion de Marie, comme Simon Pierre l’avait demande. Cette solution consiste en trois étapes: il la guidera, il la fera mâle, elle deviendra un esprit vivant.

L’emploi du pronom personnel indépendant anok met en relief le fait que c’est Jésus lui-même qui guidera la femme. On ne peut mesurer l’importance de cette action de Jésus que si on lit ce logion a la lumière du logion 3, ou il est question de guides trompeurs. Marie a le privilège d’être guidée par Jésus, elle a la certitude de ne pas être trompée comme certains autres (parmi lesquels il faut probablement compter les disciples). Alors que les guides trompeurs empêchent ceux qui les écoutent d’entrer dans le Royaume, l’accès en est certainement ouvert si c’est Jésus lui-même qui joue le rôle de guide.

Jésus guide Marie d’abord pour la faire male. Il semble ainsi partager les catégories de pensée de Pierre: en tant que femme, Marie n’est pas digne du salut; il faut la faire male. Si le logion 22 pose comme condition d ’accès la Aufhebung de la dualité sexuelle (le masculin et le féminin devenant un seul être), le logion 114 préfère clairement le masculin au féminin. La masculinité est présentée comme une étape supérieure a la féminité. Si on interprète cette transformation a la lumière du logion 22 (« si bien que l’homme ne soit pas homme et que la femme ne soit pas femme »), on pourrait imaginer qu’en devenant male, Marie ne reste pas femme et transcende donc sa condition cosmique.

Arrivée a la troisième étape, Marie est elle-même le sujet de la phrase: elle deviendra un esprit vivant. Si c’est Jésus qui la rend male, elle devient elle-même un esprit vivant. La vie renvoie ici au salut: c’est en tant qu’esprit - être incorporel et donc asexue, - que l’on parvient a cet état. La parole de Jésus semble impliquer que les disciples (Pierre et les autres a qui il s’adresse) l’ont déjà atteint: une fois devenue esprit vivant, Marie leur ressemblera, eux qui sont (déjà?) males. Cette image des disciples contredit la manière dont Jésus les présente ailleurs dans l’EvTh: ils persistent dans l’ignorance, résultat de leur fidélité aux catégories et
pratiques religieuses traditionnelles.

https://www.brepolsonline.net/doi/pdf/10.1484/J.APOCRA.2.3017506
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Narkissos

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MessageSujet: Re: L'évangile de Thomas   L'évangile de Thomas Icon_minitimeMer 27 Mar 2024, 16:16

Je n'accède pas à la totalité de l'article -- cette fois-ci c'est apparemment un problème d'abonnement, collectif dans les établissements universitaires, payant pour les particuliers (P.S.: j'ai réessayé dans une grande bibliothèque municipale, pas universitaire, et ça ne marche pas mieux) -- mais le peu que j'en vois m'amuse déjà pas mal. En principe, des étudiants de textes anciens devraient avoir, ou apprendre, un certain recul par rapport aux critères présents de la "morale" et du "politiquement correct", or il n'en est rien, ils jugent et cataloguent sans vergogne tous les textes de tous les temps d'après les critères du jour, comme si ceux-ci étaient universellement et rétroactivement valables, intemporels, transcendants et indiscutables. Le féminisme contemporain passe par le "langage inclusif" et la féminisation des noms traditionnellement masculins, donc -- paradoxalement quand on prétend par ailleurs "déconstruire" les notions de "genre" -- par une "genrisation" extrême, qui souligne les différences de sexe au moment même où on voudrait les neutraliser. Je suis tombé récemment, par hasard, sur un texte de Yasmina Reza qui revendiquait d'être "écrivain", pas "écrivaine", j'ai repensé aussitôt à Jacqueline de Romilly qui rappelait malicieusement que "l'homme embrasse la femme", que le masculin en français joue à peu près le rôle d'un neutre, quoique en grec ou en latin le masculin grammatical (anthrôpos, homo) peut aussi être générique et représenter les deux sexes, par rapport au neutre grammatical il (le masculin) "personnalise" plutôt qu'il ne "sexualise". La cerise sur le gâteau étant, dans les deux versions (anglaise / française) du résumé ou abstract de cet article, la traduction d'"antifeminist" par "misogyne" (ou le contraire), qui me semble un sommet d'aberration.

En ce qui concerne Thomas, il est clair que le texte que nous lisons (d'après le codex de Nag Hammadi ou les papyrus d'Oxyrhynque) a une histoire littéraire et rédactionnelle longue et complexe; comme pour les "livres bibliques", celle-ci est particulièrement sensible au début et à la fin (surtout à la fin dans un codex), cette "couverture" qui se prête mieux que le corps du "livre" aux additions (encore que dans un recueil quasi aphoristique comme EvTh les insertions soient plus faciles n'importe où que dans un récit ou un discours suivi). Quoi qu'il en soit de l'histoire ou de la préhistoire particulière du logion 114 (le dernier), qui peut être un ajout très tardif, il faut une certaine prudence quand on le compare au reste. Moyennant quoi il ne fait guère de doute que "Pierre" y joue un rôle de repoussoir et que la réplique de "Jésus" est ironique, mais on ne peut guère apprécier cette ironie si l'on n'a pour référence que les critères du XXIe siècle (l'article est de 2005, et ça ne s'est pas arrangé depuis). En fait des lecteurs (ou lectrices) qui sont déjà incapables de comprendre la "misogynie" d'un Sacha Guitry ou d'un Groucho Marx ne gagnent pas grand-chose à tenter de remonter le temps, surtout s'ils (ou elles) ne se laissent pas interroger par ce qu'ils (ou elles) lisent...

---

A propos de l'"émerveillement" du logion 2, je suis retombé sur ceci: c'est apparemment au logion 29 le même terme en copte, sous formes verbale et substantivée, que le second terme de ce champ lexical au logion 2 -- le premier, traduit aussi par "troubler", n'apparaîtrait qu'au 2 dans le codex. Sur le rapport complexe de l'étonnement ou de l'émerveillement à la peur, qui joue aussi dans la réaction aux "miracles" des évangiles canoniques, voir aussi entre-temps cette discussion (à partir du 28.3.2024).
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MessageSujet: Re: L'évangile de Thomas   L'évangile de Thomas Icon_minitime

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