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 bénédictions, malédictions, etc.

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Narkissos

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MessageSujet: Re: bénédictions, malédictions, etc.   bénédictions, malédictions, etc. - Page 2 Icon_minitimeMer 16 Mai 2018, 12:13

Cf. supra 24.3.2017 (sur le Psaume 109,28) et 14.4.2018 (sur Nombres 6).

Il y a en effet une très intéressante "agonistique" de la bénédiction et de la malédiction dans de nombreux textes bibliques, avec des "joutes" incantatoires et toute sorte de stratégie ou de tactique: une bénédiction annulant et remplaçant une malédiction, ou le contraire, une malédiction en retournant une autre contre son auteur; cf. p. ex. Balaam (supra 23-4.4.2017), les différents "Michée" (Juges 17 et 1 Rois 22), Jérémie contre les autres prophètes, les prophètes contre les prêtres, etc. Dans le passage du psaume 109 que tu cites, le langage s'écarte formellement du mode de la prière vers celui de la bénédiction/malédiction au jussif (on ne parle plus à la divinité, à la deuxième personne = tu, on appelle directement le bien ou le mal sur un tiers, à la troisième personne -- du subjonctif en français). C'est en effet le registre "magique" de la parole efficace par elle-même, mais relativement efficace puisqu'elle peut toujours être renversée, déjouée, contrée ou neutralisée par une autre parole de même nature.
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MessageSujet: Re: bénédictions, malédictions, etc.   bénédictions, malédictions, etc. - Page 2 Icon_minitimeMer 16 Mai 2018, 16:22

Citation :
Il y a en effet une très intéressante "agonistique" de la bénédiction et de la malédiction dans de nombreux textes bibliques, avec des "joutes" incantatoires et toute sorte de stratégie ou de tactique: une bénédiction annulant et remplaçant une malédiction, ou le contraire, une malédiction en retournant une autre contre son auteur; cf. p. ex. Balaam (supra 23-4.4.2017), les différents "Michée" (Juges 17 et 1 Rois 22), Jérémie contre les autres prophètes, les prophètes contre les prêtres, etc.



Le récit de Juges 17 rapporte l'histoire d'un fils qui rend à sa mère l'argent qu'il lui avait volé et celle-ci s'empresse de le bénir :

"dit à sa mère : « Les onze cents sicles d’argent qu’on t’a pris et à propos desquels tu as proféré une malédiction que tu m’as même répétée, eh bien, cet argent, je l’ai ; c’est moi qui l’avais pris ! » Sa mère dit : « Sois béni du SEIGNEUR, mon fils ! » (17,2)

L'insistance du fils sur la malédiction prononcée par sa mère suggère que c'est la crainte des effets de la malédiction qui le pousse à restituer l'argent à sa mère. D'un autre côté la mère en cette circonstance apprend avec stupeur qu'elle a maudit son propre fils sans le savoir. Pour contrecarrer les effets de la malédiction, la mère va d'abord prononcer une bénédiction et ensuite rendre une partie de l'argent à son fils, car garder cette argent aurait confirmé qu'il lui a bien été volé et donc confirmer la malédiction.  Elle le lui rend sous la forme d'objets de culte pour son fils, une manière de conjurer la malédiction qu'elle a prononcé.

En Malachie 2,2 ; on retrouve une expression intéressante, "je maudirai vos bénédictions" :

"Si vous n'écoutez pas, si vous ne décidez pas de donner gloire à mon nom, dit le SEIGNEUR (YHWH) des Armées, j'enverrai parmi vous la malédiction et je maudirai vos bénédictions ; oui, je maudis votre bénédiction, parce que vous ne vous décidez pas." Mal 2,2
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MessageSujet: Re: bénédictions, malédictions, etc.   bénédictions, malédictions, etc. - Page 2 Icon_minitimeMer 16 Mai 2018, 18:14

En Juges 17 ('lh, v. 2) il s'agit de malédiction "conditionnelle" et/ou "anonyme" (malédiction "contre X" comme la plainte du même nom, qui vise un coupable sans savoir qui il est, mais aussi quiconque le saurait et ne le dirait pas et se rendrait ainsi maudit par complicité ou par association): cette notion est impliquée dans beaucoup d'autres, p. ex. le serment ou l'alliance qui supposent, explicitement ou non, une sorte d'auto-malédiction du même type: malheur à moi (ou nous) si je mens, si je ne fais pas ce que j'ai juré de faire, si je fais ce que j'ai juré de ne pas faire, si je ne dis pas ce que je devrais dire, si je trahis, si je désobéis, si je déserte, si j'abandonne, etc. Dans la langue biblique cela aboutit à des formules tronquées ou allusives, comme "qu'ainsi me fassent les dieux (le dieu, Yahvé) et qu'ainsi ils y ajoutent, si" (sans préciser en quoi consiste le "ainsi"), ou le plus étonnant (pour ceux qui apprennent l'hébreu) "sinon", 'm-l', qui paraît inverser hypothétiquement le sens de la phrase alors qu'en fait il l'affirme et la renforce d'un serment : "si-non x" <=> "que je sois damné si non-x" <=> "assurément x".

(Bien sûr un des motifs de la rédaction "deutéronomiste" de ce récit et des suivants est de discréditer les sanctuaires et les cultes concurrents de celui de Jérusalem -- même si d'après le "grand récit" le sanctuaire est alors à Shilo: ici Ephraïm, plus loin Laïsh-Dan, Guibéah etc. Dans le cas du chap. 17, il s'agit de placer une "malédiction" au départ et ainsi à la base de toutes les "bénédictions" qui peuvent en sortir, et ainsi de les invalider comme d'un vice congénital.)

En Malachie 2,2 c'est un autre verbe plus courant, 'rr (depuis Genèse 3, avec un jeu de mots supplémentaire sur le serpent "avisé" et "nu", 'rm): il ne s'agit plus de malédiction conditionnelle ni anonyme mais effective; cependant la logique générale est la même: la malédiction divine annule et inverse les bénédictions humaines (et notamment sacerdotales). Mais le dieu à son tour peut l'inverser (3,10). (Autre forme de conditionnalité, d'une malédiction réversible et donc provisoire, que le Dieu peut lever et retourner en bénédiction dès lors que ses conditions sont remplies.)
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MessageSujet: Re: bénédictions, malédictions, etc.   bénédictions, malédictions, etc. - Page 2 Icon_minitimeJeu 17 Mai 2018, 10:17

De nombreux récits bibliques rapportent des formules magiques ou d'incantations de malédictions et de bénédictions. Le cas de Shiméi qui maudit David est intéressant :

" Shiméi parlait ainsi en le maudissant : Dehors, dehors, sanguinaire, homme sans morale ! Le SEIGNEUR fait retomber sur toi tout le sang de la maison de Saül, à la place de qui tu es devenu roi ; le SEIGNEUR a confié la royauté à Absalom, ton fils ; tu l'as mérité, ton malheur, car tu es un homme sanguinaire !" 2 Sam 16, 7-8

Un compagnon de David propose de couper la tête de celui qui maudit David (v 9), peut-être afin de d'affaiblir ou de supprimer la malédiction. David refuse que son compagnon intervienne et accepte comme châtiment de Dieu la malédiction de Shiméi, "S'il maudit, c'est que le SEIGNEUR lui a dit : « Maudis David ! » Qui donc peut lui dire : « Pourquoi agis-tu ainsi ?"
Pourtant David fait promettre à son fils Salomon de faire mourir Shiméi et au moment même où Shiméï est mis à mort, Salomon déclare : "Toi, tu sais tout le mal que ton cœur sait avoir fait à David, mon père ; le SEIGNEUR fera retomber ce mal sur ta tête." 1 R 2, 44

Salomon, superstitieux, espère annuler les effets de la malédiction prononcée contre son père, en tuant Shiméi. 


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MessageSujet: Re: bénédictions, malédictions, etc.   bénédictions, malédictions, etc. - Page 2 Icon_minitimeJeu 17 Mai 2018, 12:07

C'est un cas très intéressant et complexe.

Personnellement j'éviterais de "psychologiser" les personnages, dans des récits manifestement composites, au-delà de ce que chacun de ces récits fait effectivement de "psychologie". 2 Samuel 16 nous montre un David acceptant sa malédiction et ne comptant que sur Yahvé pour la retourner (un peu dans l'esprit des Lamentations p. ex.); quand la roue tourne et que Shiméi demande sa grâce (chap. 19) David jure de ne pas se venger (et qui dit serment dit auto-malédiction conditionnelle: le rompre, c'est se maudire soi-même, cf. supra). L'attitude de David dans son "testament" à Salomon (1 Rois 2,8s) est tout autre: c'est lui qui peut paraître "superstitieux" (malgré l'anachronisme du concept) plutôt que Salomon, en craignant que la malédiction originelle ne pèse de quelque manière sur sa dynastie. Salomon, lui, n'apparaît que comme le "sage" qui trouve le prétexte formel pour se débarrasser de Shiméi sans se rendre coupable (v. 36ss).

Ce qui est assez évident pour un lecteur moderne, c'est qu'il n'y a aucune "morale" dans tout ça -- au sens où il entend "morale", morale psychologique des intentions subjectives bonnes ou mauvaises: la bénédiction et la malédiction fonctionnent selon une logique formelle, quasi objective et automatique, à l'instar de la formule "magique". Le calcul de David et de Salomon en 1 Rois 2 ne les rend pas "coupables" (ils le seraient indiscutablement pour un lecteur "moral"), il aboutit à la neutralisation formelle de la "malédiction".

Pourtant tout cela est encore à relativiser dans la perspective générale de Samuel-Rois qui multiplie les "malédictions" sur la dynastie de David (faute de David avec Bethsabée et meurtre d'Urie qui "expliquent" les déboires à venir, y compris la révolte d'Absalom et la malédiction de Shiméi; "idolâtrie" de Salomon, et toute la série des "mauvais rois"). Bref, il y a une quantité de "points de vue" dans les mêmes "livres" qui ne se réduisent pas à une idéologie cohérente -- pas même celle d'un "dernier rédacteur".
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MessageSujet: Re: bénédictions, malédictions, etc.   bénédictions, malédictions, etc. - Page 2 Icon_minitimeDim 03 Jan 2021, 11:40

Citation :
P.S.: En repensant à la tartuferie des TdJ qui se seraient fait arracher la langue plutôt que de dire "bonne année" le moment venu -- alors qu'ils disaient sans même y réfléchir "bonne journée", "bonne nuit", "bonne semaine" ou "bonnes vacances", et que leur Collège central envoyait jadis aux filiales, je ne sais plus si c'était en janvier, en septembre ou en octobre, une lettre annuelle souhaitant à tout le monde une "bonne année de service" -- je me suis dit qu'il suffirait d'employer le mot de "bénédiction" au lieu de "voeu" ou de "souhait" (c'est essentiellement la même chose) pour que d'un seul coup tout ce rituel paraisse non plus "païen", mais "biblique" (bien sûr la "bénédiction" est aussi "païenne" que juive ou chrétienne, mais peu importe).

Merci de nous avoir rappelé ce fil très intéressant … Je reste toujours surpris par le nombre de sujets passionnants que nous avons abordé.



Parole et expérience

La bénédiction paraît plus « efficace » que la grâce, d’abord parce qu’elle se manifeste physiquement : la corporéité et les sens sont impliqués comme lieux de médiation de la proximité de Dieu, en lien avec une parole personnellement adressée qui affirme ce qui est donné. Elle marque la personne qui la prend au sérieux et ainsi permet de vivre l’« expérience » d’un don personnel d’une force, d’une aide, d’un accompagnement, selon les formulations qui l’encadrent.

Un autre atout de la bénédiction, comme on le constate dans les textes bibliques, est qu’elle n’est pas réservée – en principe – à des personnes particulièrement méritantes, parce qu’elle n’est pas liée à une performance accomplie, mais précisément à une vulnérabilité et donc à une nostalgie ! On ne bénit pas la personne qui a réussi ou bien agi, car dans ces cas-là, on la récompense ou on la loue. Mais on bénit la personne précisément en cela qu’elle a besoin de force, de courage et de proximité ! Il est donc également accessible à chacun·e, et précisément à celles et ceux qui se sentent oublié·es ou négligé·es, de demander une bénédiction. De même, toute personne, même celle qui se sent insignifiante, peut être appelée à bénir autrui, pourvu qu’elle soit reconnue dans cette tâche et donc dans cette « autorité » par l’autre. L’élitisme serait donc complétement absurde, et même contraire au sens même de la bénédiction.
https://wp.unil.ch/lescahiersiltp/precher-celebrer/la-benediction-un-nouveau-langage-pour-dire-la-grace/
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MessageSujet: Re: bénédictions, malédictions, etc.   bénédictions, malédictions, etc. - Page 2 Icon_minitimeDim 03 Jan 2021, 12:47

Dans la Bible comme dans l'Antiquité en général on "bénit" (brk, eulogeô etc.) aussi les dieux, les rois, les puissants, les riches, même si chaque contexte ou chaque type de rapport entre bénissant et béni colore ou connote différemment la "bénédiction". Reste que la bénédiction (et le risque de malédiction qui la suit comme son ombre) souligne en effet une certaine dépendance du béni, non seulement à l'égard de l'instance divine invoquée le cas échéant, mais encore du locuteur de la bénédiction: le riche a besoin de la bénédiction du pauvre (et donc de se montrer généreux), le roi de celle de ses sujets (et donc d'être un bon roi, ou du moins un roi juste), même les dieux ont intérêt à être de bons dieux pour être bénis... Que resterait-il de cela dans un monothéisme (plus ou moins) strict, que signifierait "bénir Dieu" quand "Dieu" n'aurait besoin de rien, voilà de vraies questions -- questions idiotes sans doute, mais qui n'en signalent pas moins les apories du monothéisme et, au-delà, de toute pensée de l'un, autrement dit de toute pensée tout court: tôt ou tard on retombe bien sur l'asymétrie fondamentale et abyssale de "quelque chose", ou même d'un "rien", qui n'aurait aucun besoin de "nous", alors que "nous" aurions besoin de "lui"...
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MessageSujet: Re: bénédictions, malédictions, etc.   bénédictions, malédictions, etc. - Page 2 Icon_minitimeLun 11 Jan 2021, 17:23

"Mais je vous dis, à vous qui écoutez : aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous détestent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous injurient. Si quelqu'un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l'autre. Si quelqu'un te prend ton vêtement, ne l'empêche pas de prendre aussi ta tunique. Donne à quiconque te demande, et ne réclame pas tes biens à celui qui les prend" (Luc 6,27-30).




Prenons un exemple : en Romains 12 : 14 il est dit : « Bénissez ceux qui vous persécutent, bénissez et ne maudissez pas. » Prise isolément, cette parole est une variante de la parole de Jésus que Luc 6 : 28 et Matthieu 5 : 44 empruntent aux logia sous deux formes différentes. Dans Luc, elle est formée de quatre membres : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous maltraitent. » Matthieu lui donne une forme à deux membres qui combine le premier et le dernier des éléments qui figurent en Luc : « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent ». Très probablement, cette dernière formulation est secondaire. Sans aucun doute, celle qu'on trouve chez Paul l'est aussi, la preuve en soit l'additif : «Bénissez et ne maudissez pas » qui donne une explication parénétique de l'exhortation à l'amour de l'ennemi. Par ailleurs, le fait que les mots mêmes de la parole primitive aient été permutés est le signe typique que celle-ci a été en usage dans la tradition orale des Eglises, où Paul l'a puisée. On trouve un fait très analogue dans la formulation ultérieure de ce même logion, qui réapparaît dans Did. 1 : 3 sous la forme suivante : « Bénissez ceux qui vous maudissent et priez pour vos ennemis, mais jeûnez pour ceux qui vous persécutent. » Il s'agit là d'une variante de Luc 6 : 28, complétée par un troisième membre qui intègre davantage la parole à la vie de l'Eglise.

Les chrétiens doivent jeûner pour ceux qui les persécutent. Nous faisons un pas de plus vers l'application ecclésiale du logion de base avec Polycarpe dans sa lettre aux Philippiens 12 : 2 et suivants, où il exhorte à l'intercession : « Pro regibus et potestatibus et principibus atque pro persequentibus et odientibus vos et pro inimicis crucis. ». C'est-à-dire : la règle d'intercéder pour les autorités se trouve intimement liée à l'exhortation de Jésus à prier pour les persécuteurs. Mais à ces derniers viennent s'ajouter les hérétiques, les « ennemis de la croix » . C'est d'eux que l'Eglise a fait l'expérience et le logion du Seigneur doit valoir pour eux aussi : l'Eglise n'exclut personne de son amour. C'est ainsi qu'elle met en valeur l'exhortation de Jésus dans la situation historique où elle se trouve. https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1967_num_47_1_3859
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MessageSujet: Re: bénédictions, malédictions, etc.   bénédictions, malédictions, etc. - Page 2 Icon_minitimeLun 11 Jan 2021, 23:22

Peut-être serait-il opportun de relire ce fil depuis le début.

Les préceptes relatifs à la bénédiction unilatérale et au refus de toute malédiction, y compris des "ennemis", appartiennent au "fonds commun" du christianisme primitif, toutes tendances confondues, qu'ils soient mis dans la bouche de "Jésus" (Matthieu, Luc) ou non (Romains, Jacques, Didachè, etc.). Ils sont aussi contredits dans tous les corpus néotestamentaires, aussi bien dans les évangiles synoptiques (cf. les ouai = "malheur à X" ou "quel malheur pour X" de Marc, multipliés par Matthieu à l'adresse notamment des "pharisiens", construits de façon symétrique aux "béatitudes" chez Luc) que dans les épîtres pauliniennes (les "anathèmes"; même Jacques qui évite la contradiction formelle en n'employant ni ouai ni anathema fait sensiblement la même chose, p. ex. par rapport aux "riches" du chap. 5), sans que personne ne s'en inquiète expressément.

Rien dans le texte de Polycarpe n'identifie les "ennemis de la croix" aux "hérétiques" (cela ne repose que sur un rapprochement douteux avec Philippiens 3,18). Que la prière pour les "hérétiques" (sans préjudice de leur identification) ne soit pas recommandée, à défaut d'être interdite, c'est aussi explicite en 1 Jean 5 par exemple.

Quant à faire de "l'Eglise" le sujet ou la détentrice de "l'amour", pour en "exclure" ou non qui que ce soit, cela soulèverait encore bien d'autres questions...
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MessageSujet: Re: bénédictions, malédictions, etc.   bénédictions, malédictions, etc. - Page 2 Icon_minitimeSam 13 Avr 2024, 15:51

L'ostensible symétrie, sur ce thème, des deux "récits de création" de la Genèse, maintes fois relevée ici et ailleurs -- le premier ne fait que bénir, le second ne fait que maudire -- a naturellement été organisée en séquence temporelle ou quasi temporelle, narrative ou logique (p. ex. au sens de la dialectique hegelienne, thèse / antithèse dépassable en synthèse, Aufhebung) sinon historique: bénédictions d'abord, malédictions ensuite, selon le schème création (bonne) / chute ou péché (mauvais), ouvrant la possibilité d'une éventuelle rédemption qui annulerait et surmonterait (aufheben) la malédiction seconde et restaurerait ou accomplirait (en mieux) la bénédiction originelle; carotte, bâton, super-carotte, mais aussi super-bâton quand la malédiction tourne à l'enfer et à la damnation par opposition à un "salut" extra-ordinaire, mouvement perpétuel de surenchère lancé dès la suite du récit. On aurait pu croire avec Noé à la fin de la malédiction et au retour à une bénédiction exclusive (5,29; 9,1ss), mais aussitôt la malédiction ressort (même si c'est de la gueule de bois de Noé) et retombe sur Canaan (9,25), comme elle s'était déjà aggravée avec Caïn (4,11), de sorte que l'histoire ou la pseudo-histoire continue...  jusqu'aux ultimes tableaux de l'Apocalypse (22,3) dans la Bible chrétienne. Plus rares ont été les interprétations "synchroniques", entendant bénédiction et malédiction comme deux aspects du même, deux lectures antagonistes et complémentaires de la même "réalité", "existence" ou "condition": c'est peut-être ce que suggérait un certain paulinisme, notamment celui de l'épître aux Galates (chap. 3) qui associait la bénédiction à un Christ maudit (ce devant quoi reculait 1 Corinthiens 12,3), et ses échos luthériens: semper simul peccator et justus (et poenitens), on pourrait dire aussi bien "toujours à la fois maudit et béni", du "chrétien" (Christ en allemand) comme du Christ (Christus).

Le vocabulaire latin et français qui ramène le lexique plus diversifié de l'hébreu ou du grec à un "bien" et un "mal" dire (bien dire = bénir, béné-diction, comme le grec eu-logeô/logia, mal dire = maudire, malé-diction), fait ressortir le contraste (asymétrique, lui) du "bon" et du "bon-et-mauvais" dans les deux récits: écart entre le "sacré" ("sacerdotal") qui bénit (c'est la fonction principale du prêtre, même Nietzsche s'en souvient) et la "connaissance" sapientiale, laquelle est surtout l'affaire du serpent: aucun verbe "cognitif" dans le premier récit, même si "voir que c'était bon" peut s'intituler "jugement" (axiologique, jugement de "valeur" si l'on veut, mais sans corollaire négatif: rien n'est jugé mauvais); de l'autre côté, on peut douter que Yahvé-dieu ait jamais goûté de l'arbre qu'il interdit, malgré les suggestions contraires du serpent (3,5, 'elohim, il n'y a que dans la bouche du serpent que "Yahvé" n'est pas nommé, comme dans le premier récit) et de Yahvé-dieu lui-même (3,22, "comme nous"). Pour rappel, ce n'est pas à l'homme ni à la femme, mais au serpent et à la terre-sol ('adama) -- reliés toutefois par la "poussière" que le serpent mange et à laquelle l'homme retourne -- que s'attache directement la "malédiction" ('rr, 3,14.17; à la lettre, la femme n'est pas promise à la poussière, elle devient au contraire "vivante" comme "mère des vivants"; mais son premier fils conçu "avec Yahvé" sera bien maudit, de la terre-sol, par un mystérieux échange de sang et d'exil -- maudit mais aussi "signé" et protégé; la poussière reviendra en bonne part dans la bénédiction d'Abraham, avec les étoiles du ciel et le sable de la mer, 13,16).
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MessageSujet: Re: bénédictions, malédictions, etc.   bénédictions, malédictions, etc. - Page 2 Icon_minitimeVen 19 Avr 2024, 13:09

LA BÉNÉDICTION, UN NOUVEAU LANGAGE POUR DIRE LA GRÂCE ?
ÉLISABETH PARMENTIER

6. D’UNE BÉNÉDICTION « POUR SOI » À UNE BÉNÉDICTION OFFERTE

Alors qu’on affirme que pour le salut seul Jésus-Christ est agissant, la bénédiction permet une action importante des croyant-e-s, appelé·es à « être une bénédiction » pour les autres.

La tentation de la bénédiction est de vouloir la capter pour soi, d’en faire SON bénéfice. Ce combat pour soi et ses privilèges est magistralement présenté dans une bénédiction particulière, celle de Jacob… sur plusieurs épisodes et 20 ans de vie (Gn 27ss) !

Nous en faisons ici une courte lecture théologique (non pas exégétique) : Entre les jumeaux Ésaü et Jacob, la succession des bénédictions patriarcales, qui devait aller du père au fils aîné, sort de ses gonds : Jacob vole la bénédiction à son frère aîné Ésaü en trompant leur père Isaac ! Et c’est même comme si une fois cette parole donnée, Isaac ne pouvait pas la reprendre. Ésaü demande :

« bénis-moi aussi mon père ! Est-ce qu’il ne te reste pas une bénédiction ?». Normalement oui, mais ici c’est de la bénédiction de la « promesse » qu’il s’agit et non d’une simple bénédiction de prospérité. Isaac trouve une formule de second rang, qui relève plutôt du constat de ce que sera sa vie loin de la terre riche, dans des combats et au service de son frère, avec pourtant aussi une promesse de libération (27,39-40).

Mais l’importance de la bénédiction de Jacob, en contraste, est frappante. Elle est à ce point puissante qu’elle a été doublée d’une malédiction (27,29) : « Maudit qui te maudira, béni qui te bénira » ! Plus encore, fait frappant, Isaac va re-bénir Jacob une seconde fois (ce qu’il refuse à Ésaü !), lorsque Rébecca l’aura persuadé de fuir chez Laban. C’est là qu’Isaac lui accorde, cette fois-ci en toute connaissance de cause, la bénédiction d’Abraham : « Que le Dieu puissant te bénisse, te rende fécond et prolifique pour que tu deviennes une communauté de peuples ! Qu’il te donne la bénédiction d’Abraham à toi et à ta descendance, pour que tu possèdes le pays de tes migrations, le pays que Dieu a donné à Abraham » (28,3-4). S’il est question de prospérité, celle-ci n’est que l’expression d’une foi plus fondamentale : c’est bien de la relation avec le Dieu vivant qu’il s’agit ici !

De plus, chose encore plus scandaleuse, le récit biblique va suivre le traître, et Dieu va même le poursuivre avec sa bénédiction divine cette fois-ci, assortie d’une promesse de soutien (28,13), et accompagnée d’anges ! Une super-bénédiction bordée d’efficacité de toute part. Elle n’évite pourtant pas à Jacob quelques déconvenues : après 20 ans à l’étranger, des malhonnêtetés de son beau-père qui lui fait épouser deux femmes, et des rivalités entre celles-ci, Jacob va revenir dans son pays et retrouver son frère.

Il finit par devoir prendre ses responsabilités, faire face à la conséquence de sa tromperie, persuadé que son frère veut se venger. Un juste retour des choses, penseront les lecteurs/trices soucieux-ces de justice. Mais Dieu lui conserve son soutien, et une bénédiction étrange va advenir, qui le transformera de manière décisive. Dans un combat de toute une nuit, contre un adversaire dont on ne sait s’il est Dieu, démon, humain ou ange, quelqu’un « se roula avec lui dans la poussière jusqu’au lever de l’aurore » (32,25) Jacob prend le dessus, mais, tout aussi étrangement, lui dit : « je ne te laisserai pas partir sans que tu m’aies béni ». Pourquoi une demande de bénédiction d’un apparent ennemi ? (Gn 32,27).

Mais cet apparent ennemi, qui a partagé avec lui la poussière humaine le bénit en lui donnant un nouveau nom : Israël (avec l’explication « que Dieu se montre fort »). Ainsi, Jacob, meurtri et blessé, est pourtant doublement victorieux : « l’autre » lui fait obtenir une bénédiction issue d’un combat contre un ennemi très puissant (contre la mort, contre sa propre tromperie, contre l’angoisse ?). Et, autre victoire, le nom qu’il reçoit (qu’il ne se donne pas à lui-même !) indique le sens de sa destinée, en disant ce qu’il est « en vérité » dans le lieu qui n’est autre que la « Face de Dieu » !

Les textes qui suivent montrent que le fruit n’en sera pas une vie réussie, malgré le pardon de son frère, puisqu’il sera poursuivi de difficultés issues des rivalités entre ses fils, attisées par sa propre attitude. Il est donc loin de représenter un personnage idéal, mais en lui s’accomplit la promesse, c’est-à-dire la ligne qui oriente le peuple d’Israël vers son destin. Depuis l’alliance avec Abraham sa descendance se voit confier, à travers la bénédiction accomplie, la mission : que toutes les familles de la terre soient bénies « en lui » (12,3), donc à travers son témoignage et son obéissance, et sous sa conduite.

La « face de Dieu », ici si clairement tournée vers Jacob, est précisément aussi pour les chrétiens la perspective de la formule de bénédiction qui revient dans la bénédiction d’Aaron « Que le Seigneur tourne sa face vers toi et te donne sa paix ». Il n’y a donc pas seulement un don, ici exemplaire, mais c’est un don pour un engagement envers autrui. La bénédiction n’est-elle donc pas pure gratuité de don ?

https://wp.unil.ch/lescahiersiltp/files/2017/04/CahiersILTP_Parmentier_Varia_PP_Benediction_Mars2017.pdf
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Narkissos

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MessageSujet: Re: bénédictions, malédictions, etc.   bénédictions, malédictions, etc. - Page 2 Icon_minitimeVen 19 Avr 2024, 14:50

Elisabeth Parmentier était déjà connue comme théologienne féministe en un temps où c'était encore rare, je vois que sur le tard elle a accédé à de hautes fonctions universitaires, suisses et protestantes... à ce propos je note que le féminisme typographique, ou écriture dite inclusive, féminise les accords traditionnellement masculins, mais ne masculinise pas pour autant les féminins (p. ex. avec "personne").

Au risque d'abuser d'un cliché quelque peu galvaudé en analyse narrative (notamment cinématographique), on pourrait dire que la bénédiction et la malédiction deviennent dans la Genèse des protagonistes à part entière, plus importants que les personnages qu'elles transcendent en passant de l'un à l'autre... Sur la "face de Dieu" (El, Yahvé), voir aussi ce fil; et celui sur les Nombres en ce qui concerne les "bénédictions sacerdotales".

Cela m'a rappelé des souvenirs personnels, des rares "sermons de bénédiction" qu'il m'est arrivé de faire dans des Eglises protestantes, notamment pour un mariage et une "présentation" (substitut d'un baptême d'enfant pour ceux qui préfèrent cette formule): à chaque fois j'ai été saisi par l'extraordinaire paradoxe qu'il y avait à "bénir" des événements de la vie ordinaire, familiale, naturelle et sociale, au nom d'un "Jésus-Christ" qui, comme "crucifié", était l'exact contraire de tout ce qu'on pouvait souhaiter à quelqu'un en le bénissant... une "vie réussie", comme dit benoîtement l'auteure, ou autrice. Dans le protestantisme courant -- comme cela ressort des rares références à "Jésus-Christ" dans l'article, ou la conférence -- le problème se résout par la voie substitutive, ou vicaire: il a souffert pour que nous ne souffrions pas, il est mort pour que nous ne mourions pas, à la limite (cf. Galates que j'évoquais dans mon post précédent) il a été maudit pour que nous soyons béni(e)s: la "bénédiction" comme le "salut" serait une affaire réglée une fois pour toutes, on se demanderait alors pourquoi la rechercher, la prononcer ou la recevoir, sinon comme simple rappel d'un fait accompli. Bien entendu le protestantisme n'a pas manqué de voix pour s'élever contre cette interprétation simpliste qui ramenait le christianisme au plus banal eudémonisme -- je pense à Kierkegaard ou à Bonhoeffer -- mais ça n'a guère eu d'effet en général face au repoussoir catholique (dolorisme perçu comme "masochisme" au moins depuis Sacher-Masoch).

Quant au rapport de la bénédiction et de la malédiction à la transcendance ou aux hiérarchies, sociales ou métaphysiques, il faudrait relire l'ensemble de ce fil (p. ex. supra 3.1.2021) pour se rappeler que ce n'est pas si simple -- on peut certes être béni ou maudit par un dieu, un prêtre, un père ou une mère, un présumé "supérieur", mais aussi et tout aussi "efficacement" par un "inférieur": le dieu ou le roi par ses sujets, le vainqueur par le vaincu, le suzerain par le vassal, le riche par le pauvre, le mendiant, le maître ou le patron par l'esclave ou l'ouvrier, etc. C'est le côté subversif de la bénédiction et de la malédiction qui tend plutôt à corriger les rapports de force qu'à les conforter -- à condition évidemment que le fort y croie, ou le craigne; ou bien, sait-on jamais, que la bénédiction-malédiction soit réellement efficace...
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