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 le poids du silence

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Narkissos

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MessageSujet: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeDim 11 Mar 2018, 17:57

Charge de Silence.
On m'appelle
(ou peut-être, d'après plusieurs versions grecques: appelez les gardes) de Séir:
Veilleur, où en est
(litt. quoi de) la nuit ? Veilleur, où en est la nuit ?
Le veilleur répond:
Le matin vient, et aussi la nuit.
Si vous demandez
(ou: si vous voulez demander), demandez,
revenez, venez !

Isaïe 21,11s.

Ce sont les films de Bela Tarr -- où il y a pas mal de citations de la Bible, notamment des Prophètes, mais pas celle-là dans ce que j'ai vu -- qui m'ont rappelé ce petit chef-d'œuvre d'ambiguïté sinistre, par une affinité d'atmosphère.

A commencer par le titre: massa' doumah, cela peut se traduire "charge de silence", mais le mot pour "charge" signifie "oracle" dans les textes prophétiques (cf. v. 1, 13, etc.; dans certains milieux piétistes on parlait naguère de "fardeau" pour un message divin; cf. l'utilisation ironique du même terme en Jérémie 23,33ss), et doumah qui signifie "silence" rappelle le nom propre, ethnique et géographique, d'Edom (= Séir, cf. "Esaü"; deux manuscrits hébreux portent "Edom", la Septante transcrit "Idumée").

Accroché ici assez artificiellement, entre un oracle-charge sur Babylone (v. 1ss) et un autre sur "le désert" (v. 13ss; la racine `rb, d'où dérive le mot "arabe", peut s'appliquer à toutes sortes de régions arides, ce qui convient assez bien au contenu de l'oracle qui vise des nomades; mais aussi, par homonymie et à contresens géographique, "l'Occident", le pays du soir ou du couchant, cf. le mot Maghreb qui vient de la même racine sémitique: c'est ainsi que l'a compris la Septante), à la faveur de la représentation du prophète ("voyant" dans un manuscrit de Qoumrân, "lion" selon le texte massorétique) comme veilleur sur une "tour de garde" ou de guet (miçpa = watchtower) au v. 8, cet anti-oracle aramaïsant (`th pour "venir", comme dans le fameux "maranatha") caractérise remarquablement l'effet dés-espérant d'une prophétie qui s'annule elle-même à tout voir venir, à voir trop loin en quelque sorte: le matin, et encore la nuit (soit: ce qui intéresse celui qui pose la question et la suite qui ne l'intéresse pas, dont il préférerait ne rien savoir). Et ainsi de suite, serait-on tenté d'ajouter, mais on pourra toujours y revenir, si l'on y tient, pour interroger et recevoir le même genre de réponse.

Ou: comment parler pour ne rien dire, dès lors qu'il n'y a rien à dire ou que ce qu'il y aurait à dire se neutralise lui-même, comme une succession absurde de jours et de nuits vides... Par contraste cela met assez en lumière, si l'on peut dire, ce qu'on demande en fait à un "prophète": un matin sans soir ou un jour sans nuit, autrement dit non un avenir mais une fin de l'histoire, qu'on voudrait sans doute lumineuse, mais qu'on préférerait encore sombre à la poursuite d'une histoire sans fin.

On peut en rapprocher, dans les malédictions de la Torah, Deutéronome 28,67.
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeLun 12 Mar 2018, 14:14

Au chapitre 21 du livre d’Ésaïe, au plus fort de l’expérience éprouvante d’un siège, une interrogation retentit, adressée à la sentinelle de l’imminence qu’est le prophète et répercutée par elle : « Veilleur, où en est la nuit ? ». Impossible de ne pas reconnaître là une interrogation aussi vieille que l’homme lui-même, qui prend appui, évidemment, sur l’expérience physique de l’obscurité nocturne, mais qui la déborde aussi pour s’étendre au tout de l’existence aussi bien collective que personnelle : la nuit est-elle le destin de nos vies, de notre monde et de notre histoire, ou nous achemine-t-elle vers la venue du jour ? Le texte biblique accueille cette interrogation et la laisse résonner avec toute la perplexité angoissée qui s’y exprime, mais en lui proposant une orientation fondamentalement éthique : « Le veilleur répond : vient le matin, et puis la nuit. Si vous le voulez, interrogez, convertissez-vous, revenez » (Es 21, 11-12). Il prend acte d’abord de l’expérience d’une alternance constitutive : les fantômes de la nuit, sans doute, s’évanouissent à la clarté apaisante du jour, mais ce dernier, à son tour, doit bien décliner pour céder la place à la nuit qui lui succède. Et cette réalité toute en mouvements et contrastes invite à laisser l’interrogation se prolonger en écoute d’une parole qui, plaidant « la cause d’une alliance entre la nuit et le jour  », appelle à une conversion faisant retour à l’essentiel. Est-il possible de recueillir le sens pour aujourd’hui de cette articulation entre inquiétudes humaines et inspiration biblique ? Il faut partir pour cela de notre actualité historique pour voir si et comment elle peut encore trouver dans les traditions spirituelles dont elle provient des ressources signifiantes susceptibles de provoquer et d’aiguiser la vigilance de son discernement.

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2012-4-page-421.htm#re2no2
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeLun 12 Mar 2018, 15:30

Je ne vois pas trace d'un "siège" dans cet oracle -- dans le livre d'Isaïe en général, oui, mais il s'agit de Jérusalem et non d'Edom... (bien sûr, l'article brasse une telle masse de littérature qu'on ne peut pas lui demander d'être attentif à chaque texte et à chaque contexte de ses citations).

D'autre part, si le thème de la "conversion" a été lu depuis longtemps dans ce passage, il repose intégralement sur le verbe "revenez"... qui peut signifier "revenez à Dieu" ou quelque chose de ce genre quand le contexte le suggère, ce qui n'est précisément pas le cas. Evidemment, ça changerait tout: convertissez-vous, revenez à Dieu ou à de meilleurs sentiments, puis revenez interroger et vous obtiendrez une meilleure réponse... mais le texte ne dit ça que si on le lui fait dire, et il n'en continue pas moins de dire autre chose que ce qu'on lui demande -- en quoi il se prolonge  jusque dans ses interprétations forcées.
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeLun 12 Mar 2018, 15:59

Cette sentinelle, du haut de tour de garde, à la question de savoir si le désastre qui frappe Edom va se terminer, n'apporte pas une réponse précise mais sa ré­ponse est une sorte d’é­nigme, si la ca­la­mité passe, ce ne sera que pour re­ve­nir. Et si l’on re­vient le consul­ter on n’en saura pas da­van­tage. Il n'apporte pas d'espoir, n'annonce pas un "happy-end" ou une échéance, c'est un oracle du silence, il dit rien et en même temps, il dit tout, "après les nuages, le beau temps". J'ai sentiment que l'oracle, dit aux voix qui l'interrogent, "que voulez-vous que je vous dise, vous me posez une question insoluble". La seule certitude que possède la sentinelle, c'est que si l'aurore va bientôt poindre, la nuit lui succèdera à nouveau. Le guetteur est lucide sur sa capacité à prédire le futur ou au contraire, sa situation privilégiée et stratégique, lui permet d'arriver au constat, "Le matin vient, et la nuit aussi". Une leçon, pour tous les guetteurs modernes auto-proclamés.
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeLun 12 Mar 2018, 16:25

Excellent résumé. Un peu comme si tu demandais l'heure et qu'on te réponde "il est 14 h 25, mais ça ne va pas durer". L'infirmité de la réponse est celle de la réalité même, de ce sur quoi la question porte, mais il faut un excès intempestif de la réponse sur la question pour la mettre en évidence.
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeLun 12 Mar 2018, 16:31

Narkissos a écrit:
Excellent résumé. Un peu comme si tu demandais l'heure et qu'on te réponde "il est 14 h 25, mais ça ne va pas durer". L'infirmité de la réponse est celle de la réalité même, de ce sur quoi la question porte, mais il faut un excès intempestif de la réponse sur la question pour la mettre en évidence.


Ce texte me semble être un cas unique de guetteur énigmatique et qui apporte une réponse de l'instant qui ne laisse pas préjuger de l'avenir, tout est possible.
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeLun 12 Mar 2018, 16:50

"Unique" dans sa formulation précise, sans doute. Mais d'un autre côté les textes dits "prophétiques" laissent souvent apparaître une lassitude ou une exaspération de la "prédiction" (p. ex. celui de Jérémie référencé plus haut), dont témoigne aussi le "dépassement" du "prophétisme" dans l'"apocalyptique" ou l'"eschatologie": il ne faudrait rien de moins qu'une "fin du monde" pour que les attentes de "salut" et de "jugement" soient satisfaites, une bonne fois pour toutes, tout accomplissement "historique" et par là-même sujet à renversement ultérieur étant perçu comme insatisfaisant.

Paradoxalement, ce "dépassement du prophétisme" rejoint par là son exact contraire, la position du "sage" qui sait que l'expérience humaine ne sortira jamais de l'alternance du "jour" et de la "nuit", du "bonheur" et du "malheur" toujours relatifs. L'anti-prophète et l'anti-apocalypticien par excellence, c'est Qohéleth; mais dans l'apocalyptique même le "prophète" se fait "sage" (cf. Daniel).
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeMar 13 Mar 2018, 11:27

Au moment de la rédaction d’Isaïe, Édom se trouve sur le chemin de la puissante armée assyrienne. Certains habitants d’Édom aimeraient vivement savoir quand la nuit de l’oppression prendra fin pour eux. Quelle est la réponse ? “ Le garde a dit : ‘ Le matin doit venir, et la nuit aussi. ’ ” (Isaïe 21:12a). Cela ne présage rien de bon pour Édom. Un semblant de matin s’annoncera à l’horizon, mais il sera bref, illusoire. La nuit (une nouvelle période sombre d’oppression) suivra rapidement le matin. L’image convient tout à fait à l’avenir d’Édom. L’oppression de l’Assyrie prendra fin, mais Babylone sera la puissance mondiale suivante et décimera Édom (Jérémie 25:17, 21 ; 27:2-Cool. Ce cycle se répétera. L’oppression babylonienne sera suivie de l’oppression perse, puis de l’oppression grecque. Il y aura ensuite un bref “ matin ” à l’époque romaine, lorsque les Hérodes (d’origine édomite) obtiendront le pouvoir à Jérusalem. Mais ce “ matin ” ne durera pas. Au bout du compte, Édom tombera définitivement dans le silence, disparaîtra de l’Histoire. Le nom Douma correspondra parfaitement à sa condition finale.

 Le garde termine son bref message par ces paroles : “ Si vous voulez interroger, interrogez. Revenez ! ” (Isaïe 21:12b). L’expression “ Revenez ! ” se rapporte peut-être à la succession interminable de ‘ nuits ’ qui attend Édom. Ou bien le prophète invite peut-être les Édomites qui veulent échapper au sort de la nation à se repentir et à ‘ revenir ’ vers Jéhovah. Dans les deux cas, le garde invite à interroger encore.

https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1102000037
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeMar 13 Mar 2018, 12:43

Même les publications de la Watch ont plus de "substance" lorsqu'elles s'astreignent à suivre et à commenter un texte (biblique)...

Le gros défaut des explications "historiques" de ce genre, qui s'étalent sur des siècles (des Assyriens aux Romains en l'occurrence), c'est qu'elles ne correspondent au "point de vue" de personne, si ce n'est de l'"historien" professionnel ou amateur... C'est une "objectivité" sans "subjectivité" correspondante, hormis celle du "sujet savant", qu'il soit bien ou mal informé. Les "auteurs" et les "destinataires" d'un texte, comme tous ses lecteurs successifs, n'ont jamais connu qu'une seule époque, la leur.
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeMer 21 Mar 2018, 13:26

Citation :
Paradoxalement, ce "dépassement du prophétisme" rejoint par là son exact contraire, la position du "sage" qui sait que l'expérience humaine ne sortira jamais de l'alternance du "jour" et de la "nuit", du "bonheur" et du "malheur" toujours relatifs. L'anti-prophète et l'anti-apocalypticien par excellence, c'est Qohéleth; mais dans l'apocalyptique même le "prophète" se fait "sage" (cf. Daniel).

Le guetteur ne tente pas de prédire une aurore qui n’existe pas encore et à laquelle beaucoup aspirent, en oubliant la réalité de la nuit. Il refuse d'annoncer un futur abstrait et radieux au point de faire oublier aux yeux de ses interlocuteurs le sens concret de la nuit, qui est la seule réalité de l'instant. La seule certitude qui l'habite est qu'il fait encore nuit et l’aube se lèvera. Le guetteur ne se considère pas comme un devin, un astrologue mais comme une personne qui fait l'expérience de l'instant présent, au même titre que ses questionneurs. Il est en position de dialoguer avec ses interlocuteurs et de partager son ignorance avec ceux qui le questionnent. La sentinelle est donc l’homme du dialogue nocturne, le compagnon du temps des questions sans réponses, même s'il sait que ceux qui le questionnent attendent des prédictions réjouissantes. J'apprécie l'idée que le "prophète" n’est pas un vendeur de futurs qu’il ne connaît pas.


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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeMer 21 Mar 2018, 14:00

Il ne faudrait en effet pas se lasser de répéter -- à contresens de l'usage ordinaire de notre langue, qui aura toujours le dessus ! -- que la "prédiction" n'est pas l'essentiel de la "prophétie" biblique. Le "prophète" (nabi') dans Samuel-Rois (qui font partie des "Premiers Prophètes" selon la classification du canon hébreu) est d'abord un "inspiré", un "enthousiaste" ou un "énergumène" au sens premier de ces mots: habité et agité par une divinité ou un esprit, une puissance étrangère, toujours au voisinage ambigu de la "folie" (cf. ce que Platon dit aussi de la mania "mantique"): musicien, danseur (transe), à l'occasion thaumaturge (cf. Elie-Elisée), itinérant ou sédentaire, solitaire ou en troupe (les "fils des prophètes"), il peut délivrer des "oracles" (paroles du dieu, sur le présent ou l'avenir immédiat de ceux qui l'interrogent), comme le "prêtre" lié à un sanctuaire. Avec le développement des grands livres "prophétiques" (les "Derniers prophètes" en terminologie hébraïque, du recueil des Douze "petits" prophètes aux grands ensembles d'Isaïe, Jérémie, etc.), le "prophète" devient tout autre chose, plutôt un écrivain et un poète (toujours porteur de "paroles du dieu", prédictives ou non, mais de beaucoup plus grande ampleur). Ce "néo-prophétisme" est aux antipodes du prophétisme ancien, et entre souvent en opposition frontale avec lui: on ne compte plus les oracles contre "les prophètes" -- nous disons spontanément "faux prophètes", mais en général le texte ne le dit pas, pas en tout cas au sens d'imposteur ou de charlatan qui se ferait passer pour un prophète alors qu'il ne l'est pas (ce sens qu'on pourrait dire "rationaliste" avant la lettre ne fait qu'émerger dans certains textes de Jérémie ou d'Ezéchiel, où les prophètes "inventent", "de leur propre cœur", ce que personne ne leur a "inspiré");  il parle tout au plus de "prophètes de mensonge", c.-à-d. de prophètes qui ne disent pas la vérité en telle ou telle circonstance mais dont la "qualité" de prophète, le "métier" pour ainsi dire, n'est pas remis en cause pour autant -- du reste, quand un prophète ne dit pas la vérité, ce peut être parce que son dieu ou son esprit l'a trompé, cf. 1 Rois 22.

De sorte que l'"anti-prophétisme" des livres "prophétiques" est quelquefois bien plus radical que ne l'imagine le lecteur, si celui-ci pense "vrai prophète" contre "faux prophète". C'est l'économie même de la révélation prophétique qui peut être mise en question (comme celle du temple et de la prêtrise, de la loi, de la sagesse ou de la royauté par ailleurs). Cf. notamment Zacharie 13 (dans un contexte plutôt "apocalyptique" ou "post-prophétique"). Mais même une perspective comme celle de Jérémie 31 (la "nouvelle alliance") est profondément subversive du prophétisme en général: là où tous connaîtraient Yahvé, il n'y aurait pas plus besoin de "prophètes" que de "prêtres", de "sages" ou de "scribes"... (Je note au passage que le terme "prophète" est totalement absent du deutéro- et du trito-Isaïe, chap. 40ss.)


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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeMer 21 Mar 2018, 16:08

On a souvent comparé les prophète à des devins, des "diseurs de bonne aventure", des personnes connaissant d'avance le cours des événements. Mais en a-t-il vraiment été ainsi ? Prenons l'exemple du prophète Isaïe au 8e siècle avant notre ère.

Les circonstances historiques des oracles prophétiques d'Isaïe sont connues. Menacée par le royaume d'Israël et par la Syrie qui s'étaient unis contre elle, Jérusalem craignait pour sa survie et se préparait à faire alliance avec l'Assyrie. Dans ce contexte, le prophète Isaïe rappelle le caractère unique de l'alliance conclue avec Dieu. Car il en est certain, Jérusalem ne survivra que si elle met sa foi en Dieu, et en lui seul. Pour appuyer cette affirmation, Isaïe donne un signe au roi Achaz : sa jeune femme est enceinte. Et il ajoute ceci : "avant que l'enfant qui doit naître n'ait atteint l'âge de raison, ceux qui menacent Jérusalem auront disparu" (Is 7,10-17).

Quelques années plus tard, à l'occasion de l'avènement du nouveau roi, Ézéchias, Isaïe clamera sa joie (Is 9). Mais Ézéchias décevra son attente. Et le prophète projettera son espérance sur un autre envoyé de Dieu, un nouveau David (Is 11). Est-ce le signe que le prophète Isaïe s'est trompé ? Par-delà cette question, ce que vit Isaïe illustre bien l'originalité de la parole prophétique.

Une parole incarnée
Enraciné dans un peuple, au 8e siècle avant J.-C., Isaïe est moins l'homme de l'avenir que du présent et de l'aujourd'hui. il parle pour les hommes de son temps. il discerne dans son histoire et celle de son peuple les signes de la présence de Dieu. Il lance des appels à l'espérance ou à la conversion. Car ce qui intéresse Isaïe, comme tout prophète biblique, "ce n'est pas de deviner le futur, mais bien de changer le présent" (J.-P. Prévost).

Homme de son temps, Isaïe est également l'homme de la mémoire. Il sait comment Dieu a parlé et agi dans le passé. Il n'oublie pas l'alliance conclue entre Dieu et son peuple (Is 7,9). Et c'est en se référant aux lignes maîtresses de l'histoire de son peuple - une histoire qui est habitée et conduite par Dieu - qu'il interprète le présent.

Enfin, homme de la mémoire et interprète du présent, Isaïe est tourné vers l'avenir. Comme témoin de la continuité et de la fidélité de l'action de Dieu dans l'histoire de son peuple, sa parole est donc ouverte à l'avenir, qu'il s'agisse d'un avenir de jugement (5,1-7) ou de salut (27,2-5). Cependant, même lorsqu'il est le messager d'un avenir extraordinaire ou lointain (Is 11,1-9), le lieu de sa parole prophétique est d'abord l'aujourd'hui de son peuple.

Une parole risquée
C'est un autre aspect de la parole prophétique. Parce qu'elle dérange les autorités en place, la parole d'Isaïe est une parole risquée. Parole parmi d'autres, elle peut être contestée également par ceux qui prétendent, eux aussi, parler au nom de Dieu. Surtout, comme on le voit deux siècles plus tard avec le prophète Jérémie, lorsque cette parole semble contredire ce que Dieu a toujours fait (Jr 23 ; 26-29). Mais - est-il bon de le rappeler ? - Isaïe, comme tous les prophètes, ignore si ce qu'il a annoncé se réalisera. C'est le grand risque de la parole prophétique.

 https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/199
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeMer 21 Mar 2018, 16:34

Le cas d'"Isaïe" représente exemplairement la transition entre les deux types de "prophète" dont je parlais dans le post précédent -- pour faire vite, le prophète-"inspiré" et le Prophète-"livre". Au plan biographique, c'est un "inspiré" mais pas un "énergumène" anonyme: un "prophète de cour" (comme le seront encore ceux de Sédécias que Jérémie combattra), un "courtisan" au sens ancien, "notable" ou "noble", "conseiller officiel" de plusieurs rois; autrement dit un "politique", un "sage" qui combine nécessairement l'analyse rationnelle, à la fois théologique et stratégique, avec sa technique "mantique" (qui au départ est bien de même nature que toute "divination", "voyance", etc.). Au plan bibliographique, c'est un "grand nom" autour duquel va se constituer tout un recueil énorme s'étalant sur plus de trois siècles d'écriture (où non seulement le nom propre d'"Isaïe", mais le terme même de "prophète" va complètement disparaître, comme je le signalais plus haut).

En ce qui concerne l'oracle évoqué ici (21,11s), rien n'indique le moindre rapport avec le personnage d'Isaïe ou sa situation historique; hormis le fait de son inclusion dans le livre. (L'oracle précédent, sur "Babylone", n'a de sens qu'à partir du VIe siècle, soit bien après l'époque d'Isaïe.)
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeMer 21 Mar 2018, 17:40

Citation :
De sorte que l'"anti-prophétisme" des livres "prophétiques" est quelquefois bien plus radical que ne l'imagine le lecteur, si celui-ci pense "vrai prophète" contre "faux prophète". C'est l'économie même de la révélation prophétique qui peut être mise en question (comme celle du temple et de la prêtrise, de la loi, de la sagesse ou de la royauté par ailleurs). Cf. notamment Zacharie 13 (dans un contexte plutôt "apocalyptique" ou "post-prophétique"). Mais même une perspective comme celle de Jérémie 31 (la "nouvelle alliance") est profondément subversive du prophétisme en général: là où tous connaîtraient Yahvé, il n'y aurait pas plus besoin de "prophètes" que de "prêtres", de "sages" ou de "scribes"... (Je note au passage que le terme "prophète" est totalement absent du deutéro- et du trito-Isaïe, chap. 40ss.)

"Mais voici l'alliance que je conclurai avec la maison d'Israël, après ces jours-là — déclaration du SEIGNEUR : Je mettrai ma loi au dedans d'eux, je l'écrirai sur leur cœur ; je serai leur Dieu, et eux, ils seront mon peuple. Celui-ci n'instruira plus son prochain, ni celui-là son frère, en disant : « Connaissez le SEIGNEUR ! » Car tous me connaîtront, depuis le plus petit d'entre eux jusqu'au plus grand — déclaration du SEIGNEUR. Je pardonnerai leur faute, je ne me souviendrai plus de leur péché." Jer 31, 33 ss 

On peut noter qu'il n'y a pas d'intermédiaire qui participe à l'élaboration de l'alliance, c'est Dieu lui-même qui contracte cette nouvelle alliance, comme l’attestent les formes verbales : "je conclurai, je mettrai ma Loi au fond d’eux-mêmes, je l’écrirai sur leur cœur, je vais pardonner …". L'humain est devenu le partenaire de Dieu,  il est question d'une alliance personnelle et non indifférenciée et globale.

"Celui-ci n'instruira plus son prochain, ni celui-là son frère", point n’est besoin de médiation, toute délégation est inutile, ce texte annonce la disparition de la fonction d'enseignant des scribes, des prêtres et des prophètes, qui ont déçus et n'ont pas été à la hauteur :

"Comment pouvez-vous dire : Nous sommes sages, la loi du SEIGNEUR est avec nous ! C'est bien pour le mensonge que s'est mis à l'œuvre le stylet mensonger des scribes !" (Jer 8, Cool
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeMer 21 Mar 2018, 18:10

Cf. aussi Isaïe 11,9: "Car la terre est/sera remplie de connaître-Yhwh, comme les eaux couvrent la mer."

Où il n'y a plus de distance, il n'y a plus de médiation, ni de hiérarchie, ni de conflit (cf. ce qui précède); mais pas non plus de manque, de désir, ni d'histoire. Fin du monde rassasié par la plénitude, comme dans les derniers tableaux de l'Apocalypse, ou chez Baudelaire: le monde s'endort dans une chaude lumière. Horizon ultime du prophétisme et de toutes ses suites, à quoi tend peut-être, au fond, tout désir -- à sa fin comme à son assouvissement et à son extinction.

[Traductions musicales ici (à partir de 14'17'') ou là.]

P.S.: est-on bien sûr que Yahvé ait renoncé à noyer l'humanité ?

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Le mot "silence", dans le titre de ce fil et celui de l'oracle d'Isaïe 21,11s, me fait penser à l'humour de Proverbes 17,28: "Même l'imbécile, quand il se tait, passe pour sage: qui tient ses lèvres fermées est intelligent." Cela concerne évidemment toute sorte de bavardage, y compris "sapiential" ou "philosophique", mais le "prophétisme" et plus généralement la "théologie" ou la "religion" ne sont pas de reste.

"Comment ne pas parler", c'était le sous-titre que Derrida avait choisi pour son article Dénégations, consacré à la "théologie négative" du moyen-âge; une "théologie" qui naturellement parlait autant que les autres, sinon davantage, mais s'efforçait précisément de "parler pour ne rien dire", (hyper-)consciente qu'elle était de l'inadéquation de tout langage à son "objet", surtout quand il s'agit de "Dieu". Ce qui aurait pu se traduire, si l'on peut dire, par un simple "silence" (mais le "silence" n'est jamais si simple qu'il y paraît, et encore moins facile) requérait en fait l'usage systématique de la négation et de la contradiction pour annuler toute proposition. Dire tout et son contraire, c'est aussi un moyen de ne rien dire (à cet égard notre oracle peut paraître exemplaire, aussi quant à l'économie de moyens); c'est même le seul quand on a commencé à parler, ce qui est toujours déjà le cas.

De proche en proche, cela me rappelle aussi le psaume 65,2, assez étonnant dans le texte massorétique: "pour toi le silence (doumiya, variante de douma) [est] louange" -- qu'on corrige généralement d'après la Septante: "à toi la louange convient (dômiya)". Cf. cependant 62,2, qui n'est pas si loin: "Devant Dieu mon âme est silence (doumiya)". Et celui-ci.
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeJeu 22 Mar 2018, 13:58

Citation :
De proche en proche, cela me rappelle aussi le psaume 65,2, assez étonnant dans le texte massorétique: "pour toi le silence (doumiya, variante de douma) [est] louange" -- qu'on corrige généralement d'après la Septante: "à toi la louange convient (dômiya)". Cf. cependant 62,2, qui n'est pas si loin: "Devant Dieu mon âme est silence (doumiya)". Et celui-ci.

"Il est bon d'attendre en silence le salut du SEIGNEUR" Lm 3, 26

Attendre l'intervention salutaire de Dieu, n'implique pas de gesticuler, de spéculer et de se laisser aller à des hypothèses , ce texte exhorte les croyants au silence et à la contemplation de l'acte divin ("Garde le silence devant le SEIGNEUR, et attends-le" Ps 37, 7).
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeJeu 22 Mar 2018, 15:51

Je tombe sur une note exceptionnellement abondante de Gesenius au sujet de la racine dmm (cf. aussi, dans les contextes évoqués précédemment, Psaumes 37,7; 62,6; 131,2 et Lamentations 3,28): elle pourra paraître extravagante au regard des critères de la linguistique moderne, mais elle n'en est pas moins intéressante si on la lit bien telle qu'il la présente: il ne s'agit pas d'étymologie mais de phonétique, et plus largement d'associations de formes sonores et d'idées: silence et immobilité (comme dans l'anglais quiet ou still), cessation en tout genre, mutisme et stupeur, stupéfaction, stupidité (cf. dumm, dumb), étonnement (thauma, stunning), mythe et mystère même (muô), tout cela forme une constellation de sons et de sens qui passe les langues et laisse... sans voix.

Dans ce jeu de signes et de significations, la mort occupe une place centrale: douma est un autre nom du she'ol (Psaume 94,17; 115,17).
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeDim 07 Juil 2019, 12:38

A lire (éventuellement).
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeDim 07 Juil 2019, 21:13

Merci d'avoir signalé ce texte fort ardu, mais qui paraît si riche en même temps. Si j'ai bien compris l'auteur du texte veut démontrer que Heidegger a tenté de mettre à part Dieu et le logos.
Il relève également une différence à propos du silence celui qui règne dans la nature = stille ; et celui établi par des personnes = schweigen. Le premier serait le fait de Dieu.
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeDim 07 Juil 2019, 23:24

Merci de ton commentaire: je suis en train de lire les "Cahiers noirs" de Heidegger dans une traduction française inutilement emberlificotée (comme elles le sont presque toujours), du coup j'ai eu l'idée d'aller voir sur le Wikipedia allemand comment ses compatriotes expliquaient sa terminologie particulière, ou son usage particulier du vocabulaire commun, ce qui par comparaison paraît beaucoup plus simple, même pour moi qui connais mal l'allemand... C'est là que j'ai remarqué le néologisme de "Sigetik" ou "sigétique", qui m'a rappelé ce fil et fait découvrir cet article, dont j'ai voulu noter la référence.

Heidegger à part (dont on pourrait aussi chercher, sur ce point comme bien d'autres, des "sources" encore plus proches chez les mystiques allemands comme Eckhart où le concept de "silence", Stille, est tout aussi... essentiel), la valorisation gnostique de la sigè ("silence") antérieure et supérieure au logos (et parfois au noûs) dans les "généalogies" des "éons" ou émanations divines méritait en effet d'être relevée ici. Elle serait d'ailleurs elle-même à rapprocher de textes "apocalyptiques" comme 4 Esdras (6,39; 7,30ss), et d'autres dont nous avions un peu parlé sur un autre fil (21.1.2011). Pour se faire une idée de l'importance de cette notion dans les textes de Nag Hammadi (que ni Bultmann ni Heidegger ne pouvaient connaître avant la fin des années 1940), voir là (traductions françaises ici).
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeDim 07 Nov 2021, 13:31

En relisant (avec intérêt) le présent fil et ses liens, ainsi que celui-là, écrit entre-temps à partir d'un autre texte mais revenant à peu près au même thème, je constate que ni ici ni là nous n'avons évoqué (sauf erreur de ma part) le passage et la formule bibliques qui sont certainement les plus connus et les plus souvent cités à propos de "silence", dans la "théophanie" de l'Horeb-Sinaï à Elie en 1 Rois 19,12b: qwl dmmh dqh / qol demama daqqa, où l'on retrouve la racine dmm (cf. supra 22.3.2018) et qui pose des problèmes en cascade aux traducteurs, aux exégètes et aux interprètes. Voix-son-bruit de fin silence, sound of silence, c'est en effet une contradiction insoluble si l'on entend (!) "son" et "silence" comme des "contraires", incompatibles entre eux, opposés sous la forme d'une alternative: ou bien "son", ou bien "silence". Et pourtant ça dit très bien ce que ça veut dire, par opposition différentielle avec le spectacle bruyant qui précède (v. 11-12a) et qui est celui de la "théophanie ordinaire", si l'on peut dire (p. ex. les théophanies à Moïse au même endroit dans l'Exode). Effet de "silence", non le silence absolu (s'il y a jamais rien de tel), mais le moins par rapport au plus. La Septante évite la difficulté logique, oxymore, paradoxe ou aporie, mais perd aussi le "silence", en parlant de "son d'une brise légère" (phônès auras leptès) -- encore une notion de poids, favorisée peut-être par la proximité de la "voix-son-bruit" (qol) et du "léger" (qal) en hébreu (le grec précise aussi, par contraste avec les négations précédentes, "et là [le] Seigneur [était]"). D'un pas de plus, la Vulgate transforme la voix-son-bruit en souffle ou sifflement, sibilus aurae tenuis.

Il est clair en tout cas que le "silence" est relatif et différencié, selon qu'il se rapporte au langage ou au discours, au vacarme ou au bruit ordinaire, ou encore à la musique qui le précèdent et/ou le suivent. On peut même parler du silence d'un écrivain ou d'un peintre, à propos de la cessation définitive ou provisoire d'une oeuvre qui n'est pourtant pas sonore. Et d'un silence éloquent, ainsi celui de Yahvé en 1 Rois 19 qui donne aussitôt lieu à une parole et à un dialogue audibles (v. 13ss).

(J'écoute, en écrivant, une fois n'est pas coutume, la Música callada -- musique tue, ou silencieuse -- de Mompou.)

---

Dans un autre sens encore, on pourrait compter parmi les "silences de Dieu" ou "des dieux", à côté de ceux qu'ils s'imposent s'ils ne leur sont pas essentiels, ceux qu'ils imposent aux autres, aux hommes (humains, mortels) en particulier: longue histoire, depuis les versions mésopotamiennes et pré-bibliques du "déluge", motivé par le vacarme des hommes qui trouble le repos des dieux (Atrahasis VII), jusqu'à la (bavarde) rhétorique paulinienne par exemple, qui tient à ce que toute bouche soit fermée (Romains 3,19), en passant par les oracles "prophétiques" qui tentent de faire le silence, ne serait-ce que pour se faire entendre (Deutéronome 27,9; Isaïe 41,1; Jérémie 47,5; 48,2; Ezéchiel 26,13; Amos 5,13; 8,3;  Habacuc 2,20; Sophonie 1,7; Zacharie 2,13; cf. Psaume 8,2; 65,7; Lamentations 2,10; 3,28 etc.).
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeLun 08 Nov 2021, 11:22

En cherchant sous la référence 1 Rois 19, 12b voici ce que j'ai trouvé :

Références Croisées
Job 4:16
Une figure d'un aspect inconnu était devant mes yeux, Et j'entendis une voix qui murmurait doucement:

Zacharie 4:6
Alors il reprit et me dit: C'est ici la parole que l'Eternel adresse à Zorobabel: Ce n'est ni par la puissance ni par la force, mais c'est par mon esprit, dit l'Eternel des armées.
https://saintebible.com/1_kings/19-12.htm
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeLun 08 Nov 2021, 12:45

Les correspondances intertextuelles établies (surtout automatiquement ou semi-automatiquement) dans une langue et une traduction données (ici probablement la King James Version anglaise) fonctionnent plus ou moins bien dans une autre, mais les "mitraillettes à versets" (comme disait cabri) de l'Internet ne s'arrêtent généralement pas à ce genre de détail.

La similitude verbale (à 1 Rois 19,12b) de Job 4,16(b; pour rappel, c'est la première tirade d'Eliphaz) est encore plus nette en hébreu, puisqu'on y retrouve deux mots sur trois, dmmh wqwl 'šm`, soit le "silence" (dmmh-demama) et la "voix" (qwl-qol, qui se traduit aussi, selon les contextes, par "son" ou "bruit"). Le traducteur (tardif) de Job en grec (Septante, LXX) y a peut-être pensé, puisqu'il emploie les mêmes équivalences que son collègue et prédécesseur de 1/3 Rois, la "brise" (aura) et la "voix" (phônè). Mais la syntaxe de Job diffère, en hébreu et en grec: (un) silence / (une) brise ET (une) voix (son, bruit) j'entend(i)s (šm`/ akouô); il n'est pas certain que le "silence" soit pris en hébreu comme l'objet du verbe "entendre" au même titre que la "voix" (j'entendis un silence et une voix, OU il y eut un silence, et j'entendis une voix), alors qu'en grec la "brise" l'est clairement (double accusatif: j'entendis une brise et une voix). Dans les deux cas cependant on peut hésiter entre simultanéité et succession (ensemble le silence ou la brise et la voix, OU d'abord le silence ou la brise puis la voix). D'autre part qwl-phônè en Job 4,16 semble(nt) bien signifier "voix", introduisant aussitôt un discours direct (v. 17), tandis qu'en 1 Rois 19,12 on reste dans l'indétermination voix-son-bruit (de fin silence), puisqu'il faut de nouveau une (autre ?) "voix" (qwl) pour introduire la parole (question) de Yahvé à la fin du v. 13.

La référence à Zacharie, en revanche, est plus thématique que verbale, puisque là l'"esprit" c'est rwh-rouah et pneuma, qui correspondraient plutôt verbalement en 1 Rois 19 au v. 11, pour le "vent" (rwh TM, pneuma LXX) où Yahvé / (le) Seigneur n'était pas. (En Job 4, la rwh ou le pneuma sont destructeurs au v. 9, souffle des narines ou de la colère, 'p / orgè, et ambigus au v. 15, un "souffle" ou un "esprit", divin sans doute mais inquiétant.)
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeMar 09 Nov 2021, 11:43

Le bruissement de la langue, il l’oppose au bredouillement. Le bredouillement, c’est ce que l’on produit quand on veut corriger la parole orale, qui est irréversible ; paradoxalement, pour se reprendre il faut alors ajouter. Ce n’est plus vraiment de la langue, c’est comme le raté d’un moteur, signalant du même coup la peur que la marche vienne à s’arrêter. Le bredouillement est le signe sonore d’un échec qui se profile dans un fonctionnement, il résume les dysfonctions du langage. Le bon fonctionnement tout au contraire, c’est le bruit qui marche bien et qui s’affiche dans un être musical, le bruissement. Le paradoxe ici vient de ce que ce qui marche bien n’a pas de bruit. Le bruissement c’est alors le ténu, le brouillé, le frémissant, signe d’une évaporation même du bruit. Roland Barthes s’est-il souvenu d’Élie à l’Horeb, du Dieu qui ne passe devant son prophète ni dans le fracas du vent, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans « le bruissement d’un souffle ténu », littéralement « le bruit d’un silence ténu » (1 Rois 19) ?

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2008-2-page-153.htm



(Jean 3) de la voix du souffle quand on ne sait pas d’où vient le vent ni où il va


http://www.ethikos.ch/4636/comment-parler-du-dieu-absent
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence Icon_minitimeMar 09 Nov 2021, 12:54

Deux textes profonds et sensibles, dans des styles opposés (le "lyrique" de Corina Combet-Galland, que nous avons déjà eu l'occasion d'apprécier, p. ex. ici, et le "télégraphique" du blog suisse) -- je ne résiste pas à tenter, sous toutes réserves, une traduction de la citation d'Eckhart (déjà transcrite en allemand moderne) qui conclut le second: "Tout ce qui est propre à la nature divine, cela est aussi propre à la nature juste et divine de l'humain; ainsi l'humain fait (opère, effectue) tout ce que Dieu fait (idem): avec Dieu il a créé le ciel et la terre, il est témoin/producteur de la Parole éternelle (du Verbe éternel), et sans un tel humain Dieu ne voudrait rien faire."

Le bredouillement ou bégaiement (telles la bouche et la langue lourdes qu'Exode 4 prête à Moïse) joue paradoxalement de la parole et du silence, et j'y vois pour ma part quelque rapport à l'écriture (dont Moïse est aussi la référence "canonique", en plus d'un sens): la volonté contradictoire, auto-invalidante, de parler et de ne pas parler, le désir et la peur de l'un et de l'autre, qui se traduisent en accident, en obstacle, en hiatus, en empêchement, en confusion, en réitération ou en diversion de la parole, c'est un peu vouloir parler comme on écrit, interrompre, arrêter, effacer, recommencer, corriger ou raturer indéfiniment sa (propre ?) parole comme un texte. Dans l'écriture (graphè) aussi quelle qu'elle soit, la parole passe par le silence, par l'extinction de la voix et du souffle-esprit, par la "lettre" (gramma) dite morte, signe et tombeau (sèma, sèmeion), s'abandonnant bon gré mal gré à la reprise ou à la relève différée, jamais certaine, d'une autre voix et d'un autre souffle ou esprit (lecture, qr', ana-gnôsis, toujours "à haute voix" jusqu'à la fin de l'Antiquité, cf. saint Augustin; mais encore "interprétation", traduction, tradition et trahison en tout genre) qui en feront, le cas échéant ce qu'ils voudront ou pourront. Le même peut-être, par la différance même, mais cela n'est jamais assuré, ni à celui qui écrit ni à celui qui parle.
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