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 le poids du silence

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Narkissos

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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeLun 27 Mai 2024, 12:00

Entre Eckhart et Lacan il y a (surtout) Heidegger...

La "théologie" d'Eckhart est tout aussi "rationnelle" (au sens du XIIIe siècle scolastique, de la logique d'Aristote relue et réinterprétée par les maîtres, notamment parisiens) que "mystique" ou "négative", dans la tradition plus ancienne et néo-platonicienne du pseudo-Denys: aussi "apophantique" qu'"apophatique" (ça n'en a pas l'air, mais c'est -- presque -- le contraire). La grande découverte de cette époque, qu'Eckhart n'est certes pas le seul à faire mais qu'il illustre admirablement, c'est que les deux voies a priori opposées se rejoignent. Coincidentia oppositorum, dira un peu plus tard Nicolas de Cues, au fond tout sauf une coïncidence (fortuite): le langage poussé ou reconduit à ses limites par la logique même se tait, au-delà comme en-deçà il ne veut plus rien dire. Mais il faut beaucoup parler pour ne rien dire, une fois qu'on a commencé; et on a toujours déjà commencé, on en a toujours déjà trop dit pour ne pas continuer, ne fût-ce qu'à se contredire...

Il y faut même une persévérance à se contredire à mesure qu'on dit, à effacer, suspendre, barrer, raturer ce qu'on écrit, qui confine à la manie, à l'obsession, à la hantise, à la compulsion, au réflexe, au mécanisme, avec toute l'apparence de la folie ou de la stupidité: fond sans fond, chose sans chose, lieu sans lieu, rien de plus facile que d'imiter superficiellement ou de caricaturer un tel langage et pourtant celui-ci s'impose (cf. Blanchot, et "l'écriture du désastre"). "Prenez, buvez, c'est mon sans", avait, je crois, osé quelque part Derrida (et sinon il est assez riche en la matière pour que je lui prête aussi ce calembour graphique)...

On peut deviner que ça fait du bien quand ça s'arrête: the rest is silence, dernier mot de Hamlet; en anglais cela se renverse, le rest étant "reste" et "repos".
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeLun 27 Mai 2024, 14:40

Anthropologie du silence
David LE BRETON
Faculté des Sciences sociales
Université de Strasbourg II

3. La peur du silence

L’écrivain J. Abbey s’installe dans un désert de l’Ouest américain. « Seul dans le silence, je comprends un instant l’effroi que beaucoup éprouvent en présence du désert primordial, la peur inconsciente qui les pousse à domestiquer, altérer ou détruire ce qu’ils ne peuvent pas comprendre, à réduire le sauvage et le préhumain à des dimensions humaines. Tout plutôt que d’affronter directement le préhumain, l’autre monde qui n’effraie pas par le danger ni l’hostilité, mais par quelque
chose de pire : son implacable indifférence ». L’homme est guetté par le silence, il se sent captif, saisi par une forme immatérielle qui pèse sur ses paroles ou ses gestes et réfrène son action. Souvent le silence appelle l’inquiétude car il ouvre une métaphysique du lieu ou de la présence de l’autre. Il y a une sorte d’écoute du silence, un œil invisible qui renvoit à une intériorité exigeante. Si certains individus s’établissent en lui comme en un refuge et y trouvent un lieu propice à un retour sur soi, d’autres s’en effraient et n’ont de cesse de s’en défendre. « D’où provient l’inquiétante étrangeté qui émane du silence, de la solitude, de l’obscurité ?, s’interroge Freud... Nous ne pouvons rien dire, si ce n’est que ce sont là vraiment les éléments auxquels se rattache l’angoisse infantile qui jamais ne disparaît tout entière chez la plupart des hommes ». Otto, de manière proche, observe que l’art occidental ne dispose que de deux moyens, l’un et l’autre négatif, pour faire référence au numineux : le silence et l’obscurité.

La question du silence soulève celle de l’ambivalence du sacré, elle livre l’homme à l’ambiguïté. Le sacré arrache à l’ordinaire de l’existence en procurant une plage de temps ou d’espace saturée d’être. Il cristallise une valeur, une différence sensible qui hiérarchise subtilement des moments ou des objets particuliers (une maison, un jardin, la nuit, le silence, la fête, etc.). Le mysterium tremendum du numineux est ce qui fait frissonner l’homme et lui fait ressentir la fragilité de sa condition. « Le sentiment qu’il provoque peut se répandre dans l’âme comme une onde paisible, note Otto ; c’est alors la vague quiétude d’un profond recueillement », manifestant « le silencieux et humble tremblement de la créature qui demeure interdite en présence de ce qui est dans un mystère ineffable, au-dessus de toute créature». Mais l’autre versant est celui de l’effroi devant cette condition, l’impression de se perdre face à une présence écrasante et inintelligible. La relation au silence appelle ainsi, selon les circonstances et les individus, la paix ou l’angoisse.

« Et lorsque l’Agneau ouvrit le septième sceau, il se fit un silence dans le ciel, environ une demi-heure », dit l’Apocalypse de Jean. Si le silence résonne soudain comme une rupture du bruissement coutumier du monde, il induit l’angoisse. L’ennemi est là, dans les ténèbres, qui avance et les animaux se taisent, le vent lui-même suspend son souffle, l’avancée du crime et de la mort semble aller de pair avec un monde en attente, aux aguets de l’irréparable, et ce bruyant silence est une alerte lancée au sens de l’homme avisé qui ne perçoit rien de naturel dans l’effacement brutal des sons. Il signe alors la marque tangible d’un danger qui se ramasse sur soi pour fondre bientôt sur sa proie. Rilke traduit la même expérience à Paris. Alors qu’il vient de stigmatiser le bruit, il enchaîne soudain sur « quelque chose qui est plus terrible : le silence. Je crois qu’au cours de grands incendies il doit arriver, ainsi, parfois, un instant de tension extrême : les jets d’eau retombent, les pompiers ne montent plus à l’échelle, personne ne bouge. Sans bruit, une corniche noire s’avance, là-haut, et un grand mur derrière lequel le feu jaillit s’incline sans bruit. Tout le monde est immobile et attend, les épaules levées, le visage contracté sur les yeux, le terrible coup. Tel est ici le silence ». Image de mort, force colossale qui s’apprête à broyer l’homme.

https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/1999-v7-n2-theologi227/005014ar.pdf
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeLun 27 Mai 2024, 15:12

Dans cette abondance de citations littéraires et judicieuses, il en manquerait au moins une, celle d'Atrahasis-Gilgamesh qui explique le déluge par le bruit que font les hommes (cf. supra 7.11.2021): les dieux les avaient créés pour qu'ils se chargent de leurs tâches et qu'eux-mêmes, les dieux, puissent enfin se reposer, mauvais calcul: voilà qu'avec les mortels et leur activité ils ne peuvent plus dormir. Si la "technique moderne" a lourdement aggravé le problème, tout en développant ses solutions (boules Quies, etc.), le problème lui-même, et sa conscience, ne datent pas d'hier...

"Le silence me casse les oreilles", disait une pensionnaire de la Maison Tellier exilée une nuit de samedi à dimanche à la campagne, dans Le plaisir de Max Ophüls, d'après Maupassant...

La référence à l'Apocalypse fait ressortir, par contraste, que le "silence" (sigè, substantif) est très peu thématisé dans le NT, contrairement à ce qu'il sera, par exemple, dans les textes "gnostiques" (chercher "silence" ici) ou dans la tradition "orthodoxe" grecque, alexandrine et byzantine (hésychasme), plus marginalement latine (théologie négative, ordres silencieux, quiétisme); et à ce qu'il était déjà dans des textes judéo-hellénistiques comme la Sagesse ou 4 Esdras (cf. supra 7.7.2019). Comme si la parole nouvelle de la "nouvelle religion", logos ou euaggelion, avait cru un temps, mais pas très longtemps, pouvoir faire l'économie du silence -- c'est d'ailleurs ce qui s'est reproduit dans la plupart de ses "renouveaux", réformes, réveils, schismes, qui ont habituellement entraîné un surcroît de discours, de débat, de bavardage (avec quelques exceptions d'autant plus remarquables, Quakers p. ex.).
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeMar 28 Mai 2024, 11:27

Toute la nuit jusqu’à l’aurore

« N’oubliez jamais que, jusqu’au jour où Dieu daignera dévoiler aux hommes les secrets de l’avenir, la plus grande sagesse d’un homme consistera en ces deux paroles : espérer et attendre » -  A. Dumas, Le comte de Montecristo

Pour parler, la bouche ne suffit pas, parfois même ce qu’elle dit ne sert pas. Nous parlons aussi avec le corps, avec des gestes qui souvent sont plus forts, plus clairs, universels et radicaux que les paroles dites et écrites. Ces autres paroles précèdent parfois celles de la bouche, d’autres fois elles les suivent et expliquent ce que les paroles dites ne parviennent pas à dire. Il arrive que les seules paroles que nous ayons à disposition pour parler, ou les seules que nous comprenions, soient celles de nos mains et de notre chair. Les paroles de la langue ne sont bonnes et belles que précédées, accompagnées et suivies par celles du corps, parce que les paroles désincarnées ne peuvent exprimer la vie.

« En ce temps-là le Seigneur avait parlé par le ministère d’Isaïe fils d’Amoç : "Va, lui avait-il dit, dénoue la toile de sac que tu as sur les reins, ôte les sandales que tu as aux pieds" ; et il fit ainsi, allant nu et déchaussé » (Isaïe 20, 2). Isaïe reçoit l’ordre de parler à ses gens par son corps nu et déchaussé. Il exécute l’ordre prophétique, dont le sens ne lui est révélé que plus tard : « YHWH lui dit alors : "Mon serviteur Isaïe est allé nu et déchaussé pendant trois ans, signe et présage contre l’Égypte et la Nubie. De même en effet le roi d’Assyrie emmènera les prisonniers égyptiens et les déportés nubiens, jeunes gens et vieillards, nus et déchaussés, les fesses découvertes" » (20, 3-4).

Nous entrons toujours davantage au cœur de la vocation d’Isaïe. Sa nudité (qui peut avoir été un fait historique) nous révèle une autre dimension essentielle de la prophétie. Il est des moments dans la vie d’un prophète où il comprend clairement qu’il doit agir, accomplir une action sans même en comprendre la signification. Il voit alors clairement ce qu’il doit faire (« YHWH parla et dit… »), mais il n’a aucune certitude, parfois aucune idée du pourquoi, ni du sens de ce geste. Nous comprenons que nous devons quitter un travail, interrompre une relation, entrer au couvent ou en sortir, mais nous ne savons pas pourquoi nous le faisons, ou ne sommes pas du tout sûrs que le sens que nous donnons à ce choix, et/ou que d’autres lui donnent, soit le bon. C’est parfois des années plus tard que ce sens apparaît, ou encore à la fin de la vie, sinon jamais, mais nous avons continué à ‘marcher nus et déchaussés’ dans la ville, jusqu’au bout.

Pour les prophètes, marcher est plus important que d’en comprendre le sens, parce que le sens principal est la voix qui te dit de marcher. On trahit la vocation quand on cesse de marcher nus et déchaussés, non quand on n’en comprend plus le pourquoi. L’expert du signe n’a pas à s’interpréter pas lui-même. L’exégète doit être un autre. Les prophètes sont des signifiants qui ignorent leur propre signification. C’est en cela que réside la gratuité-pauvreté-obéissance-chasteté de leur vie, dans cette incapacité de connaître le sens de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font.

On comprend alors clairement une chose des prophètes qui vaut pour tout être vivant, certainement pour les humains : nous ne sommes pas maîtres du sens ultime de nos actions, de notre vie, de sa direction et de son sens. Nous sommes à nous-mêmes un mystère. Nous rencontrons parfois un herméneute qui nous explique en partie notre action, notre histoire, et cela nous réjouit beaucoup ; mais l’interprétation de toute la partition ne nous est pas donnée. Nos symphonies sous le soleil, même grandioses, merveilleuses et héroïques, sont toujours inaccomplies.

Encore émerveillés par son geste prophétique, nous poursuivons notre chemin en compagnie d’Isaïe, et, tournant la page, nous découvrons dans le chapitre suivant l’un des plus beaux chants de la Bible. C’est le Shomèr ma-millàilah?: « Veilleur, où en est la nuit? ».

« Car ainsi m’a parlé le Seigneur : "Va, place le guetteur, qu’il annonce ce qu’il verra… Qu’il fasse bien attention, qu’il redouble d’attention…". Alors le guetteur a crié : " À mon poste de guet, monseigneur, je me tiens tout le jour, à mon poste de garde, je reste debout toute la nuit" » (21, 6-Cool.

Se placer en sentinelle est la réponse d’Isaïe au commandement même de YHWH : "Va". Il devient un signe muet qui parcourt les villes, nu et déchaussé ; il se poste aussi en guetteur ‘tout le jour’ et ‘toute la nuit’. Il erre sur la terre, et il reste au poste de guet. La sentinelle est le prophète - parmi les multiples images de la vocation prophétique, de toute authentique vocation humaine, celle de la sentinelle est celle que j’aime le plus.

Ce guetteur aperçoit les chars, les chevaux, les cavaliers, il voit la chute de Babylone. Mais le métier-rôle-mission de ce guetteur est encore un autre. Le texte prend un envol poétique inattendu, et la sentinelle passe de son rôle de guetteur d’ennemis à une voix au cœur d’un mystérieux et merveilleux dialogue : « On me crie de Séïr : "Veilleur, où en est la nuit ?" Le veilleur répond : "Le matin vient et de nouveau la nuit. Si vous voulez encore poser la question, revenez" » (21, 11-12).

C’est une cime de la poésie d’Isaïe, un sommet de la conscience de l’humanité. Un verset plus grand que son auteur, plus grand que le déjà immense livre d’Isaïe. Des paroles gratuitement données sans lien avec la lamentation sur les villes, ni même, peut-être, avec la théologie d’Isaïe. Elles étaient inutiles à son discours et pouvaient ne pas y être. Paroles incompréhensibles dans le contexte, et que chaque génération, chaque lecteur, a dû interpréter et réinterpréter sans en saisir le sens. Un verset que seuls devraient commenter les grands poètes, les vrais maîtres spirituels, ceux qui ont connu les interminables nuits des cachots et des ‘lager’, celles des longues maladies, les leurs comme celles d’autrui. "Où en est la nuit ? " Ces paroles, nous pouvons tous les prier, les chanter, les laisser nous chanter.

Le poème nocturne du guetteur signifie plein de choses ; peut-être le sens premier qu’y mit le premier auteur a été perdu pour toujours. C’est la prière de l’attente et de l’espoir durant la nuit, de l’espérance et de l’attente de Dieu, de l’ami, de la paix, du paradis, de la justice, de l’amour qui devrait revenir et ne revient toujours pas. C’est le chant de la lutte pour ne pas perdre la foi, quand on sait que l’aube viendra, sans savoir quand, tandis qu’il fait nuit. Ce sont les pleurs des nuits de l’âme. Ainsi se révèle le mystère de la vocation prophétique, des charismes d’hier et d’aujourd’hui.

Le prophète est la sentinelle de la nuit. Il n’est pas homme ou femme de lumière, n’habite pas midi. Il sait : la nuit ne durera pas toujours, l’aube se lèvera ; mais il ne sait pas quand, et il fait encore nuit. Comme tous, il habite la nuit, ignore quand viendra l’aube. Il n’appelle pas la nuit ‘jour’, il n’allume pas de feu pour éliminer l’obscurité. Il connaît la nuit, elle est son heure ; il ne donne pas de réponses qu’il ne peut donner.

Le prophète n’est pas un astrologue. Ni devin ni aruspice, il ne sait pas lire les étoiles. Ce n’est pas son métier. Il est ‘celui qui se tient là’, à son poste de guet nocturne. Là, il espère, attend, ignore, comme tous, avec tous. Il dialogue avec les passants, parle avec les pèlerins de la nuit : ‘si vous avez des questions, demandez, demandez encore, venez questionner’. Il n’a pas de réponses à donner, mais il écoute les questions. Il ne chasse pas les questionneurs, au contraire il les invite à demander, à revenir et revenir encore.

Le prophète est donc l’homme et la femme du dialogue nocturne, le compagnon et la compagne du temps des questions sans réponses. Il répond en donnant ses deux seules certitudes : il fait encore nuit et l’aube se lèvera. Il ne connaît pas les temps, ne se risque pas à prédire l’aurore. L’espérance prophétique ne nie ni la nuit ni l’aube, et sa fidélité consiste à savoir y rester dans l’ignorance, en invitant les passants à poser des questions. Les prophètes aiment le temps qui est le leur, et, sans pouvoir répondre, dialoguent avec ceux qui cherchent des réponses. Et tandis qu’ils dialoguent, apparaissent les premières lueurs du jour. Il n’est pas de plus belle aurore que celle qui nous surprend en compagnie des prophètes honnêtes.

La fausse prophétie nie la nuit ou nie l’aube. Le prophète est tenté de se transformer en devin, de prédire une aurore qui n’existe pas encore et à laquelle beaucoup aspirent, en oubliant la réalité de la nuit. Ces faux prophètes trahissent la vérité de la nuit. Au lieu de rester solidaires de ceux qui ignorent le temps, ils pensent éliminer l’obscurité en offrant la certitude de l’heure du jour, comme si sa connaissance pouvait effacer le fait qu’il fait nuit. Ils parlent d’un futur abstrait et font perdre à leurs interlocuteurs le sens concret de la nuit. ‘Eschaton’ sans histoire, paradis sans terre, temps sans lieu, résurrection sans croix.

Le prophète n’est pas un vendeur de futurs qu’il ne connaît pas, pas un technicien du temps ; il n’est qu’un ignare habitant de la nuit.

Il y a aussi des faux prophètes qui nient l’aurore, en annonçant honnêtement qu’il ‘fait encore nuit’, sans dire que ‘le jour viendra’. Cette tentation frappe les prophètes honnêtes, qui au long de la nuit, entourés de vendeurs de fausses consolations, pensent que la seule solidarité possible avec les passants est de nier la fin de la nuit, d’éterniser l’obscurité, de supprimer l’attente, l’espérance et la foi. L’histoire perd l’eschaton ; on reste à jamais crucifiés.

Les vrais prophètes savent habiter l’écart entre la nuit et l’aube, savent rester dans leur ignorance et celle des pèlerins nocturnes, fidèles à leur poste de guet. Ils accompagnent et remplissent la nuit de leurs paroles, sans cesse à l’écoute de ceux qui leur demandent : « Guetteur, où en est la nuit ? ».

https://www.edc-online.org/fr/publications/articles/articles-de-luigino-bruni/series-biblique/a-l-ecoute-de-la-vie/12386-toute-la-nuit-jusqu-a-l-aurore.html
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Narkissos

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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeMar 28 Mai 2024, 12:13

Riche méditation sur notre texte de départ (Isaïe 21,11s): si elle n'en retient ni le poids, ni le silence (malgré la coïncidence, en exergue, d'Alexandre Dumas et de douma, Edom / silence !), elle suggère un rapport discutable, mais intéressant, avec le chapitre précédent (20), et par là avec un autre thème connexe, la nudité (si non è vero, è bene trovato, comme on dit dans la langue de l'auteur)... D'ailleurs ce billet m'a évoqué deux autres réminiscences italiennes, celle de la conversion de saint François d'Assise, qui aurait ôté tous ses vêtements au beau milieu de son village; et celle de la mère qui n'a pas de quoi nourrir ses enfants et leur interdit de se lever, en leur répétant à longueur de journée è ancora notte, il fait encore nuit, dans Uccellacci e uccellini, la comédie philosophique géniale de Pasolini, d'ailleurs largement inspirée de saint François...

C'est l'occasion de remarquer que le "quoi de la nuit" (cf. post initial) est beaucoup plus ambigu que sa traduction habituelle, "où en est la nuit" -- comme s'il ne s'agissait que de se situer dans sa durée spatialisée, représentée comme toujours de façon linéaire: vers le début, vers le milieu ou vers la fin, selon le système antique des "veilles", d'un temps qui "passe" indifféremment... La question interrogerait aussi bien sur le "contenu" de la nuit, ce qui s'y passe, ou encore ce qui en vient comme d'une source ou d'une origine (m-, ek, apo, ex, ab, from, von, de provenance)... La nuit remue, dirait Michaux, silencieusement ou avec d'autres bruits que ceux du jour (de la Stille Nacht à la stillte Stunde, l'heure la plus silencieuse, de Zarathoustra), l'absence de ceux-ci révélant ceux-là comme la disparition du soleil la lune et les étoiles), elle prépare l'aurore comme une naissance ou une résurrection, heureuse ou malheureuse...
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeMer 31 Juil 2024, 12:59

Silentium claustrale non sit mutum, nec loquax
Silence matériel et silence spirituel chez les réguliers en Occident (xie-xiie siècle)

L’ambiguïté du silence : de l’allégorie à l’intériorité

Au monastère, le silence n’est pas seulement une obligation prescrite par la règle et les coutumes, c’est aussi une réalité biblique qu’il faut comprendre. Le silence perd alors de son univocité et de son caractère contraignant puisque, comme toute réalité biblique, le silence est polysémique6. Il peut être ainsi conçu de manière négative lorsqu’il est entendu non pas au sens propre, mais comme une métaphore employée dans un sens moral. Lorsqu’il est critiqué, le silence n’est pas compris comme absence de parole (il serait certes paradoxal pour des moines d’inviter au bavardage !), mais comme signe de privation. C’est le cas chez le bénédictin Guibert de Nogent qui en fait même une clé d’interprétation de la Bible :

On emploie le mot de silence dans les Écritures lorsque quelqu’un ne parle à Dieu ni par la prière ni par la vie, comme il est dit : Alors que toutes choses étaient plongées dans le silence (Sg 18, 14). Ce silence est rejeté en tout lieu (Amos 8, 3), lorsque l’esprit qui sert Dieu, non pas temporairement mais durablement, tient pour haïssable cette mauvaise absence de parole [taciturnitas]7.

Au sens figuré, parler, c’est donc prier et agir pour Dieu, mais silencieusement. Cette relativité du silence se vérifie dans le cas de l’interprétation allégorique, lorsque certains passages bibliques invitaient en contexte chrétien à interpréter le silence par rapport à la parole de Dieu, et particulièrement à son Verbe, le Christ. Le cas le plus net est fourni par l’exégèse des versets de Sagesse 18, 14-15 : « Alors que toutes choses étaient dans un profond silence et que la nuit était au milieu de sa course ; ton Verbe tout puissant, ô Seigneur, s’élança du ciel, depuis ton trône royal. » En raison de son utilisation dans la liturgie comme antienne ou introït au temps de Noël, le passage est toujours interprété par les religieux dans un sens allégorique : le Christ, Parole du Père, est celui qui rompt le silence en se manifestant dans la nuit de l’histoire. Le silence, dans ces conditions, devient une allégorie de l’humanité et de son devenir historique. La formulation connaît des précédents comme chez le moine réformateur Pierre Damien : dans un sermon pour la fête de l’apôtre saint Barthélemy, le bénédictin définit le medium silentium comme un silence nocif, car c’est la période intermédiaire au cours laquelle les prophètes se sont tus sans que les apôtres aient encore pris la parole ; c’est donc le moment du règne silencieux du diable et de l’Empire romain païen8.

Cette conception négative du silence comme privation du salut peut être articulée à une théologie de l’histoire plus complexe dont trois auteurs très influents donnent des exemples. C’est le cas avec le chanoine régulier Hugues de Saint-Victor :

Trois silences ont précédé la grâce. Le premier fut aveugle et sourd, le second sourd, le troisième muet. Le premier silence fut avant la Loi, quand l’homme ne pouvait pas voir par lui-même la mort et n’entendait pas autrui et donc ne recherchait pas de remède. Le second silence fut sous la Loi, quand l’homme voyait la maladie grâce à la Loi, mais n’écoutait cependant pas les prophètes et ne recherchait pas de remède par la grâce. Le troisième silence fut sous les prophètes, lorsque l’homme voyait la maladie et entendait grâce aux prophètes, mais ne demandait pas le remède pour son pardon. Avec la grâce, le silence a complètement disparu9.

Dans ce passage, l’auteur pousse dans ses derniers retranchements la transposition métaphorique, car si l’on conçoit bien que le silence soit muet, il est plus difficile de comprendre en quoi il est sourd ou aveugle. En fait, le mot « silence » désigne ici un état de l’humanité et une étape de l’histoire du salut que l’Incarnation a rendus caduques. Avec l’Incarnation, il n’y a plus de place pour le mauvais silence.

Dans ses Sententiae, Bernard de Clairvaux présente une conception moins optimiste, car son but n’est pas seulement de rendre compte d’un événement salutaire, mais d’appeler son auditoire monastique à la conversion10. L’abbé de Clairvaux articule l’exégèse du triple silence à une théologie de l’histoire où le silence, tenu pour une privation du bien, joue un rôle jusqu’à la fin des temps et notamment auprès de ses moines. Pour cela, il décale le cadre temporel. En effet, si le premier silence va d’Adam à Moïse comme chez Hugues de Saint-Victor, le deuxième silence s’étend des prophètes à l’Incarnation et surtout le troisième silence dure jusqu’au retour du Christ pour le jugement dernier11. Au temps de la loi naturelle, de la loi écrite et de la grâce, le silence désigne alors l’inertie de l’homme qui refuse d’accomplir la loi de Dieu.

Enfin, dans son très influent De claustro animae, le chanoine Hugues de Fouilloy décale le silence cette fois-ci en amont : le silence a valeur cosmique en ce qu’il concerne même les anges, car le texte distingue le silence angélique avant la chute du diable, le silence des hommes après la chute, le silence au ciel des hommes et des anges qui n’aura pas de fin12. Ce découpage sociologique du silence (à chaque catégorie de locuteurs son type de silence) est important, car il fait correspondre l’interprétation allégorique du silence à une hiérarchie des silences. Le silence matériel et humain du moine est relatif et n’a de sens que par rapport au silence angélique : selon une tradition bénédictine remontant à Cluny, le silence au monastère a valeur d’un sacrement ; imitant le silence angélique, le silence transitoire de l’âme fait anticiper le silence éternel13. Faire ainsi du silence angélique le modèle communicationnel par excellence nuance quelque peu la théologie du Verbe et le rôle des médiateurs humains, car il fait de toute parole un état imparfait. Au ciel il n’y aura plus besoin de langage, car comme le dit l’auteur : « Lorsque paraîtra le juge de nos œuvres lors du jugement, les paroles d’exhortation cesseront et lorsque nous échapperons aux angoisses de la vie présente pour être reçus dans la contemplation des joies, nous n’aurons plus besoin d’entendre les paroles des docteurs14. »

https://books.openedition.org/psorbonne/88822?lang=fr
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeMer 31 Juil 2024, 13:51

Encore une excellente étude médiévale et monastique -- il y en a déjà eu plusieurs dans ce fil -- qui montre à nouveau combien le silence est lié au secret, avec la même ambiguïté ou plurivocité de l'un et de l'autre qui se combinent et se démultiplient (en mille-feuilles, en cascade, en abyme, lisse ou strié), où l'écriture en tiers, ou en supplément lui-même infini, ne fait que compliquer les choses: à la fois silencieuse et prononçable, lue, récitée à haute voix ou à voix basse, "intérieurement", mémorisée "par coeur", remémorée, murmurée, psalmodiée, chantée; mais aussi explicite, claire, apophantique ou cataphatique et potentiellement bavarde, sentencieuse, pédante, pontifiante, dogmatique, ou bien obscure, cryptée, énigmatique, allégorique, aphoristique, poétique, économe, laconique, lapidaire, taciturne, fermée, scellée ou entrouverte à l'interprétation, au déchiffrage ou au décryptage de quelques-uns, clercs, élus, gnostiques, qui à leur tour enseignent ou gardent le secret, oralement ou par écrit, dans des cercles plus ou moins larges, concentriques ou excentriques, vers des filiations continues ou discontinues et résurgentes: il y a bien des couches, strates ou phases, de parole et de silence, dans le jeu d'un secret ou d'un mystère.

Au passage, le "silence au ciel" me rappelait par contraste les "langues des anges", et l'ambivalence de la glossolalie, bruyante mais incompréhensible sans interprétation elle-même "charismatique" dans 1 Corinthiens, et les gémissements inexprimables de l'esprit-souffle dans Romains: autres combinaisons de parole et de silence, et d'écritures, sans compter l'aporie temporelle, in-, a-, trans- ou alter-temporelle de l'"éternité": silence, parole, voix, son, bruit, écriture, dessin ou signe, cela ne se conçoit que "dans le temps" (fût-ce la demi-heure apocalyptique) et l'"espace" ou l'"espacement" (différance, khôra) qui en est rigoureusement inséparable.
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeJeu 01 Aoû 2024, 13:06

Conférence d’Ysabel de Andia : « L’hymnologie des noms divins et le silence devant l’Ineffable chez Denys l’Aréopagite »

Le silence devant l’Ineffable

Le silence

Nous avons vu que, dans le premier chapitre des Noms divins, Denys disait qu’il faut honorer « d’une part le secret de la Théarchie, secret au-dessus de l’intellect et de l’essence, avec un respect sacré de l’intellect qui s’interdit toute investigation, et, d’autre part, les réalités ineffables, avec un chaste silence » (DN I, 2, 589 B).

Le « respect sacré » et le « chaste silence » sont la réponse de l’homme au « secret » divin.

Le « respect » (εὐλάβεια), terme du vocabulaire religieux indique à la fois la crainte des dieux, la réserve, la révérence, le respect et la piété envers eux, comme le dit Plutarque (voir Numa 22).

Le silence (σιγή) est exigé du célébrant dans la célébration des mystères païens : « Garde le silence, ô myste ! » (Orac. Chald. 132).

C’est une forme de prière dans le néoplatonisme : Plotin dit qu’il faut être « unis à Dieu, présent dans le silence » (Enn. V, 8 [13] 11, 5-6) et Proclus que « c’est par le silence qu’il faut célébrer l’ineffabilité de l’Un et sa causalité sans cause, supérieure à toutes les causes » (Theol. plat. II, 9 [58, 23-24]). Car « l’Un est plus ineffable que tout silence » (Theol. plat. II, 11 [65, 13]). « Comment, en effet l’âme pourrait-elle s’unir au plus ineffable de tous les êtres autrement qu’en faisant taire en elle-même toute parole inutile ? » (Trois études sur la Providence, III, 54, 17-19).

De même selon Damascius : « Celui-là [l’Indicible], c’est par un silence parfait qu’il faut l’honorer, et d’abord même par une inconnaissance parfaite, celle qui tient toute connaissance pour indigne » (De prim. princ., t. I, 5). Enfin Porphyre dit, dans le De abstinentia (II, 34), qu’il faut prier « par le silence pur » (διὰ σιγῆς καθαρᾶς).

Pour Denys l’Aréopagite, plusieurs termes disent l’au-delà de la parole : le silence (σιγή), l’absence de parole (ἀλογία) ou de voix (ἀφωνία) et l’Ineffable (Ἀφθέγκτος).

Il y a différents silences chez Denys : 1) le silence (σιγή) comme « respect » devant les réalités ineffables, 2) le silence comme absence de la parole (ἀλογία) et 3) l’union sans parole avec l’Ineffable (Ἀφθέγκτος), 4) dans la « Ténèbre plus que lumineuse du silence initiateur du secret » (ὁ ὑπέρ-φωτος τῆς κρυφιομύστου σιγῆς γνόφος) (MT I, 1, 997 B).

Le silence comme « respect sacré » du secret de la Déité

Le silence est dit « chaste » ou « sage » (σώφρον) car il ne cherche pas à pénétrer le « secret au-delà de l’intellect » (τὸ ὑπὲρ νοῦν). Denys se tait devant les réalités qui le dépassent. Ce sont les derniers mots de la Hiérachie céleste : « Nous avons souci tout ensemble de maintenir notre propos dans de justes proportions et d’honorer par notre silence le secret qui nous dépasse (καὶ τὴν ὑπὲρ ἡμᾶς κρυφιότητα σιγῇ τιμήσαντες) » (CH 340 B).

Dans ce texte de la Hiérarchie céleste, comme dans le précédent des Noms divins, le silence « honore » (τιμέω) le « secret » divin.

Non seulement l’homme, mais aussi l’Ange se taisent devant l’Ineffable.

L’ange, dit Denys dans le chapitre des Noms divins sur le mal, « fait resplendir sans mélange en lui-même, autant que possible, la bonté du silence du Sanctuaire inaccessible (τὴν ἀγαθότητα τῆς ἐν ἀδύτοις σιγῆς) » (DN IV, 22, 724 B).

Il faut se tourner vers la Théologie mystique pour découvrir le silence à la fois comme terme de la remontée vers Dieu et comme attribut de la Ténèbre elle-même qui est nommée « Ténèbre lumineuse du silence ».

https://journals.openedition.org/rsr/10530#tocto2n9


Dernière édition par free le Jeu 01 Aoû 2024, 14:41, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeJeu 01 Aoû 2024, 14:38

Remarquable conférence -- je me demande combien de temps elle a duré -- sur (le pseudo-)Denys que j'ai lu il y a fort longtemps (dans ma phase "mystique tous azimuts", entre jéhovisme et théologie académique): confluence non moins remarquable du néo-platonisme et du christianisme hellénistique, surtout alexandrin, dont alors j'ignorais à peu près tout (le pseudo-Denys croisait en revanche dans mes lectures une mystique occidentale plus tardive, Eckhart ou saint Jean de la Croix, et des textes orientaux en tout genre, bouddhistes, taoïstes, soufis)... Comme on peut toujours regretter une absence, même dans une étude d'une telle richesse, je regrette celle de Philon, "médio-platonicien" si l'on veut, en-deçà ou en amont de la bifurcation entre judaïsme et christianisme, qui des siècles plus tôt annonce et éclaire, par anticipation rétrospective, tout ce ruissellement religieux et philosophique (les deux catégories sont souvent indistinctes à ce stade), tantôt divergent tantôt convergent. Et des "gnostiques", rejetés (presque) autant par Plotin que par la "grande Eglise", pour des raisons différentes.

Outre le "silence" et le "secret" ou le "mystère", et les ténèbres qui en sont la contrepartie ou la traduction optique (si l'on peut dire), on notera le développement sur les "noms divins", là encore largement anticipé dans une perspective juive, hellénophone et septuagintique (lecteur et commentateur de la Septante grecque), par Philon: les noms "puissances" ou "facultés" (dunameis), utiles, significatifs mais radicalement inadéquats, dans une perspective juive marquée par un Yahvé devenu theos et kurios en devenant "Dieu" unique, absolu (monothéiste), et en changeant de langue, ça y est déjà, comme nous avons eu souvent l'occasion d'en parler (l'héritage jéhoviste y est pour quelque chose).
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeMer 07 Aoû 2024, 14:31

Le silence inouï

Christophe Henning

Nous avions rendez-vous à la sortie d’une petite gare de campagne, au nord de Rome. A l’heure dite, il arrive en personne, m’embarque sans façon jusqu’à sa maison, ouverte sur la campagne. Quelques civilités échangées sur la route. Pas un mot de plus. Une fois arrivés, l’entretien peut commencer. J’ai sorti mon petit enregistreur. Je suis à l’écoute, curieux de cueillir la moindre pensée de l’écrivain. Première question. L’homme au visage buriné reste concentré. Erri de Luca m’impressionne. J’ai commencé avec une interrogation banale, assez large… Il reste immobile, avant d’aligner une phrase laconique. Un moment de panique saisit le journaliste que je suis : la réponse ne pouvait me suffire, j’allais rentrer bredouille. Inutile de revenir à la charge. Bien au contraire : laisser le climat s’établir… L’ambiance, la lumière d’automne qui, par la fenêtre, jouait avec les reflets dans la petite pièce, le regard concentré de mon interlocuteur, le pépiement des oiseaux. L’instant suspendu forçait à l’attente. Le silence invitait à la patience. Et voici que germait, en mots murmurés, une autre réponse, qui traversait l’attente. Le silence était comme nécessaire, intrinsèquement enchâssé dans la rencontre. Il n’était pas le préambule à la parole, mais faisait partie de ce que nous partagions. Le silence, comme une part de la confidence. « Il y a des personnes à qui l’intention ne vaut rien, seul le hasard leur est propice, écrit Erri de Luca. Le silence conservait à notre rencontre le bénéfice d’un événement fortuit. Il était la complicité requise. Celui qui la dévoile la fait disparaître. »

Le métier de journaliste offre la chance rare d’approfondir la manière d’user du silence dans un entretien. Le rythme même de la question, du va-et-vient de la parole donne le ton, la tonalité de la rencontre. Une phrase en suspens permettra à la pensée de s’approfondir, de mûrir. Le silence vient « dire » une connivence, une compréhension qui ne signifie pas une compromission. L’entre-deux de l’échange valide l’écoute et intensifie la parole. Le journaliste de presse écrite aura bien du mal à retranscrire ce « silence inouï » sur le papier. A la radio, le silence pourrait restituer cette proximité… Mais à l’antenne, trop souvent, la moindre miette de silence est bannie. Faire droit au silence est pourtant nécessaire, laisse poindre un sens inédit. Un tremblement, une hésitation : cette intensité dramatique du silence s’entend… Pourvu qu’on le laisse exister : par peur du vide, le bavardage comble chaque ouverture. Si les volets sont tirés et les fenêtres verrouillées, le vent ne s’engouffrera pas dans la maison. Mais alors, comment donner un peu d’air ?

Bien sûr, le silence peut n’être que du vent… Impossible communication, espace vide, néant d’une absence. Le silence peut pourrir une relation professionnelle, miner une vie conjugale, assécher l’échange. C’est le pesant silence d’une rencontre ratée, d’une béance stérile. Blancs interminables dans une conversation, qui disent la gêne, ou bien l’ennui, l’enfermement, la rencontre impossible. A l’image de cette mère de famille qui rassemblait mari et enfants autour du repas, alors qu’aucune phrase n’était échangée : la perspective angoissante transformait la préparation culinaire en supplice. Silence effrayant d’une cellule familiale où il n’y avait rien d’autre à partager… qu’un plat de pâtes ! Tout le contraire du silence des réfectoires monastiques où les retraitants, goûtant la même soupe, communient mystérieusement à la joie simple du repas.

« Le silence n’est pas vu et il est perçu par l’oreille du dedans. Il n’est pas vu et il devient palpable. Il n’est pas vu et il est possible de le toucher à la façon d’un océan », explique Marie-Madeleine Davy. Le silence ne fait pas de bruit. Mais le silence n’est pas rien. Celui qui est à l’écoute de l’inouï entend ce silence… Dans la complicité de conversations amoureuses ou amicales. Silences encore à la fin d’un film, à l’instant où le chef d’orchestre s’immobilise, prêt à faire jaillir une œuvre. L’inouï, c’est encore le blanc de la page en début ou en fin de chapitre dans un livre, cet espace vierge comparable au silence. Il est aussi très simple, à la manière de Philippe Delerm, ce silence concentré qui s’installe quand, au restaurant, chacun plonge dans la carte : il ne se dit rien, et déjà s’instaure le plaisir de partager le repas. Silence concentré, ponctué par quelques questions rituelles… « Entrée ou dessert ? »

De concert en tête-à-tête, il est des silences tonitruants plus chargés de sens que n’importe quelles paroles, et qui ne les remplacent pas non plus. Le silence a une signification, qui révèle l’excès de sens, le trop-plein indicible, et le vertige de l’inconnu. Il trahit aussi le vide effrayant du néant quand il n’y a plus rien à dire, à se dire, sinon une absence. Les anciens amants n’ont plus rien à partager, eux qui communiaient auparavant d’un simple regard… Il n’y a plus personne pour nous répondre : silence de la solitude absolue, limite et fin de toute relation. Inouï ou inaudible : le silence garde cette ambivalence qui aiguise l’attention. « Un ange passe »… Est-il messager d’une présence réelle ou d’une absence cruelle ?

« Il existe en nous un bon et un mauvais silence, explique le poète Claude Vigée. Le bon silence, c’est celui de l’écoute, de l’ouverture de l’âme à l’art, à la lumière et à la nuit, à la parole initiale dont toutes les autres ont pu sortir dans la durée d’une vie.  » Ces « silences » que nous ne percevons pas et qui nous font frôler le ciel… Dans sa grotte, le prophète Elie espère la visite de Dieu qui n’est ni dans le feu, ni dans le tonnerre, ni dans le séisme mais… dans « un bruit de fin silence », énonce la traduction de la Bible Bayard. Alors qu’André Chouraqui reconnaît « une voix, un silence subtil » qui n’est autre que Dieu. Tel un désert, lieu de la rencontre, voilà l’immensité discrète du silence… Subtil, indicible, inouï, il est à portée d’oreille.

https://www.cairn.info/revue-etudes-2011-3-page-377.htm
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeMer 07 Aoû 2024, 15:25

Polyphonie sur le silence... la part philosophico-politique, d'Agnès Cugno sur Machiavel, est aussi intéressante, en rapport avec notre discussion sur le "secret", surtout à son point de départ.

"Bon" et "mauvais" sont peut-être ici des mots de trop, comme tous les autres. Ce qui donne un "sens" ou une "valeur" au silence, c'est toujours ce qui le précède, ce qui le suit ou ce qui l'entoure, et qui en parle sans y être, même s'il en vient, s'il y va ou s'il y retourne. A la rigueur un témoignage, vrai ou faux, et qui convaincra d'autant moins qu'il est solitaire (testis unus, testis nullus; Niemand zeugt für den Zeugen, personne ne témoigne pour le témoin, écrivait Celan). Une trace ouverte et fermée à l'interprétation (hermétique, herméneutique).

Je repensais à Silesius dont nous avons parlé il n'y a pas longtemps (mais je n'ai plus le texte sous la main, ni donc sous les yeux), qui disait en substance que le solitaire essentiel l'est aussi bien au milieu d'une foule -- le "seul" en allemand, Ein-sam etc., et spécialement pour Silesius, c'est l'un , l'unique de l'unité d'en-deçà de "Dieu" et de tout "être" ou "étant", de qui ou de quoi que ce soit; comme le monakhos en grec, d'où "moine", originellement "ermite", du désert (eremos), qui n'est devenu "cénobite", c'est-à-dire "communautaire", de koinônia = "communion", que dans un deuxième temps et par quasi-contresens...
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeJeu 08 Aoû 2024, 11:49

Silence : pour que l’altérité se produise
Armanda de Saint-Maurice

« Fais silence et écoute, Israël », dit Moïse au peuple. « Aujourd’hui tu es devenu un peuple pour Yahvé ton Dieu. Tu écouteras la voix de Yahvé ton Dieu… » (Dt 27,9-10). Dans ce discours le silence, l’appartenance et l’écoute forment trois volets qui constituent Israël en tant que la « part personnelle [de Dieu] parmi tous les peuples » (Ex 19,5-6). Faire silence et écouter, voilà la clé ; seuls le silence et l’écoute nous relient à l’autre, à notre moi profond, à la possibilité de la parole comme un chant.

Angelus Silesius, poète et un des plus sublimes mystiques chrétiens, propose lui aussi le silence et l’écoute comme deux faces de la même réalité :

Dès que tu penses à Dieu, en toi tu L’entends ; Si tu faisais silence et restais calme, Il parlerait sans cesse.

Le silence n’a pas à être l’expérience du vide radical, le mutisme des choses et de l’univers, expérience de marche assoiffée au désert où toute délivrance n’est que mirage. Le silence ouvre des portes grandes ouvertes vers « autre chose », vers un Autre qui me parle et même vers un autre moi proche du chant. En effet, c’est dans le silence que ma voix personnelle prend essor, car ma voix profonde n’est que réponse, pôle de dialogue, fruit d’un ne-pas-pouvoir et d’un ne-pas-devoir être seul. Le silence et le désert permettent que notre solitude, comme la coque dure d’un fruit, éclate et que dans l’entre-deux s’instaure le don.

L’Israël biblique est familier de l’expérience du déplacement – centre de la vocation d’Abraham – au-delà de toute réalité familière, de l’investissement de l’inconnu, comme attente fidèle d’une promesse qui le rendra « fécond à l’extrême » (Gn 17,6), comme distance irréductible de la patrie perdue en faveur de la « terre promise ».

Dès sa naissance collective dans le désert le peuple l’a bien appris, tout en y piétinant pendant quarante années de souffrance et miracle, meurtri et famélique, nourri de manne et d’eau du rocher, rencontrant l’inouï au Sinaï dans la crainte et le tremblement, sous l’éclair et le tonnerre de la toute première Révélation de l’Autre divin.

Le désert, où règne le silence, est pour Israël le lieu mythique de la grande rencontre. Les prophètes y invitent de tout temps, car le désert est l’endroit où se dessine la nouvelle route : « Oui, je vais mettre en plein désert un chemin »… (Is 43,19). Osée s’exprime au sujet du peuple/épouse par une image nuptiale énoncée par l’Autre divin : « C’est moi qui vais la séduire ; je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur » (Os 2,16).

Le silence et le désert sont en eux-mêmes le lieu de l’instauration d’un double chant qui est celui des amants, dans l’éloignement de la multitude. Les amants cherchent d’ailleurs d’eux-mêmes cette solitude accompagnée ; où sont les amants s’instaure l’éloignement par rapport à la foule. Le silence est la possibilité du double chant amoureux, le chant du moi et de l’Autre.

De nos jours, on ne sait guère que le silence et le désert constituent toujours un passage obligé vers l’émergence de la voix propre et authentique, et que cette voix authentique est encore aujourd’hui donnée comme la voix d’un Autre ; et que je deviens moi-même dans cette rencontre. Même si le silence est peu prisé à une époque de vitesse et de tapage, de voix dissonantes et conflictuelles, de fragments et débris où le sens est continuellement humilié, dénigré et mis à mort, les poètes cherchent encore à récupérer le registre de cette inclinaison dialogique du moi, comme si la voix authentique et créatrice de la personne ne pouvait qu’être donnée par une instance autre et qui cependant est à ma portée puisque je peux la ressentir, l’énoncer : « Je est un autre »…


https://www.cairn.info/revue-sigila-2012-1-page-99.htm
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeJeu 08 Aoû 2024, 13:24

Merci pour ce beau texte, dont je goûte particulièrement les références portugaises (Sophia de Mello Breyner Andresen, que je ne connaissais pas); la célébration du hassidisme et de ses suites, vers la fin, me laisse aujourd'hui un goût plus amer, car il aboutit aussi à Gaza, parmi bien d'autres culs-de-sac historico-géographiques et politiques -- mais rien ni personne n'est responsable ou comptable de ses suites, ou bien tout et chacun l'est depuis la nuit des temps, ce qui reviendrait au même si jamais rien revenait au même.

L'inspiration, l'ek-stase, l'aliénation, l'altération ou l'altérité du prétendu "sujet" (je est un autre, etc.), c'est aussi une certaine irresponsabilité: ouverture, brèche, faille, interruption de la responsabilité, qui appelle et suscite une autre ré(s)ponse, y compris l'absence de ré(s)ponse, comme celle du mort qui ne répond plus de rien ni de personne, à rien ni à personne. Passage à vide, débrayage, point mort, case silence, ténèbres ou désert, hiatus ou solution de continuité, dis-cours dans le cours ordinaire de la parole et de la pensée, de la vie ou de l'histoire, dont il n'est même pas dit qu'il en change le cours ou le régime (révolution, réforme, conversion, etc.): il peut aussi bien passer inaperçu.

Au passage, le verbe skt que la TOB traduit par "faire silence" en Deutéronome 27,9 n'apparaît nulle part ailleurs (hapax legomenon) dans la Bible hébraïque -- mais on le trouve par exemple dans ce qui reste du texte hébreu du Siracide, 13,23. On l'a aussi traduit par "faire (ou prêter) attention", en synonyme plus strict d'"écouter", šm`, shema` Yisrael, etc. -- mais il faut bien se taire pour écouter, même si ce n'est pas à proprement parler le silence; et faire taire une infinité de voix pour en écouter une...

De fil en aiguille, cela me fait penser au rapport problématique du "silence" et de la collectivité, groupe, communauté, famille, nation, religion, Eglise, secte, couvent (cf. l'article précédent dans sa section monastique)... et à l'habitude du Deutéronome (notamment) de s'adresser à "Israël" au singulier (tu, toi). Le "désert" ne serait assurément pas silencieux pour un peuple (sans parler de la vraisemblance de la chose) comme pour un Moïse, un Elie ou un David. D'ailleurs les récits le soulignent, le peuple murmure, crie, se lamente, quand il ne chante pas pour le veau ou taurillon d'or... Se taire à plusieurs, fût-ce à deux ou trois, c'est assurément plus difficile et plus rare que tout seul.

A une tradition chrétienne et idéaliste qui célébrait le caractère originel et originaire, initial, initiateur  et initiatique de la parole (du "Dieu dit" de la Genèse au logos au commencement -- arkhè -- dans le Prologue de Jean), une tradition philosophique moderne, phénoménologique et/ou existentialiste par exemple, a plutôt opposé la "réponse", toujours seconde et toujours initiale d'un autre point de vue, "subjectif": on (chacun) commence toujours par répondre, compulsivement, à une parole qui nous (le) précède, prévient, appelle, interpelle, ordonne ou interroge: "me voici", "c'est moi", "oui, oui", simple geste ou regard irrépressible, qu'on peut décrire avec enthousiasme dans une spiritualité de l'amour ou une éthique de la responsabilité, ou bien de façon tragique, comme une aliénation archi-originelle (Levinas donne à entendre le double aspect de la chose, Artaud exemplairement le second, horreur absolue de n'avoir jamais pu être soi, auteur et initiateur de quoi que ce soit et surtout de sa parole, toujours déjà exproprié par la parole de l'autre, avec ou sans majuscule): c'est toute l'ambiguïté de ce que l'anglais exprimerait en responsibility et responsiveness, on dirait peut-être aujourd'hui réactivité, capacité de répondre et incapacité de ne pas répondre. A cet égard, le silence se situerait à la fin, comme dans les évangiles: on finirait par ne plus répondre, après avoir beaucoup parlé, et toujours d'abord répondu. Chemin long ou court, mais toujours infiniment l'un et l'autre, de la parole-réponse compulsive au silence, passant éventuellement par la réponse décalée par rapport à la question, à la demande, à l'ordre pré-cédent (réponses de Socrate, de Jésus, à vrai dire de tous les personnages tant soit peu intéressants de l'histoire ou de la littérature; ou de Bartleby, I would prefer not to, ou de Jonas...).
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeLun 12 Aoû 2024, 13:27

Les Pères du désert d’Égypte : utopie et silence
Jean-Baptiste Bernard

9 Les ermites, d’abord égyptiens, étaient familiers de cette idée selon laquelle dans la réclusion et la solitude se construit un rapport authentique et personnel à la divinité. Chrétiens, ils transforment la démarche des adorateurs de Sérapis, par l’apport des Écritures. La Bible abonde en figures de solitaires, quittant tout pour le désert, lieu privilégié de la rencontre avec Dieu : Moïse, Élie, Jean-Baptiste, le Christ lui-même pendant les quarante jours de sa tentation, sans oublier le grand patriarche Abraham. Mais dans la Bible, le désert et sa solitude ont avant tout une fonction de transition : aller au désert, c’est chercher la confirmation d’une vocation. Le désert est le lieu de la préparation, de l’initiation : ainsi de l’Exode, qui confirme la vocation d’Israël à endosser le rôle de « peuple élu », représentant, dans ses errements, tous les errements humains, dans sa sainteté, toute la perfectibilité de l’homme. Au niveau individuel, le désert est le lieu où se forme la parole prophétique, celui où le prophète, jusqu’au Christ, assiste à la genèse, en lui, du verbe divin. L’initiation, dans la solitude et l’ascèse, au pouvoir de la parole divine, débouche invariablement sur un retour à l’humanité vers qui cette parole est projetée.

10 Les ermites ne peuvent prétendre suivre le même parcours initiatique : quand Antoine s’en va au désert, en 269, tout a déjà été révélé. Il s’agit alors de faire la synthèse des héritages biblique et polythéiste : le désert reste le lieu de la rencontre personnelle avec Dieu, mais vidée de la motivation prophétique. Reclus dans le désert — la nature de l’espace désertique garantissant la réclusion —, l’ermite cherche la relation personnelle qu’y ont connue les prophètes et les patriarches, mais selon le même mode que les reclus du Serapeum et les Thérapeutes, celui d’une méditation permanente d’un corpus existant, et non d’une parole délivrée directement par la divinité9. Il faut, bien entendu, nuancer cet aspect : pour l’ermite, si la révélation est pratiquement fixée — nous sommes dans les siècles de définition du canon —, elle n’en sollicite pas moins, en lui, une aptitude unique à la recevoir. La recevoir, et non la comprendre : hormis dans la vie écrite par Athanase10, l’ermite enseigne plus volontiers par ellipse qu’en exposant une interprétation du texte révélé. L’ermite est avant tout, dans sa relation au corpus biblique, celui qui cherche non à comprendre mais à entendre, à mettre en œuvre, non à gloser. Il est le récepteur de la parole révélée dans son dynamisme signifiant : il entre en résonance, il se consacre au silence et à la prière brève, pour ne pas interférer intellectuellement avec l’altérité absolue qui se manifeste dans la parole qu’il médite en permanence (la « rumination » des textes bibliques).

11 Cette vocation de l’ermite, bien qu’elle opère une synthèse originale du point de vue judéo-chrétien et de la tradition locale, se définit néanmoins spécifiquement en regard du référent égyptien. En effet, le rôle de l’Égypte dans la Bible, d’une part, et, de l’autre, le contexte historique entourant les premiers ermites sont déterminants dans la construction du projet des Pères.

12 La terre d’Égypte, dans la tradition judéo-chrétienne, a un rôle ambivalent. Terre de l’« abomination païenne », de la tentation, de l’oppression, elle est aussi terre de confirmation. Le peuple d’Israël, en Égypte, est tour à tour réduit en esclavage, persécuté pour sa différence et tenté par le paganisme, avant de suivre l’appel de Yahvé. Il en va de même pour certains personnages importants de la geste biblique : Joseph, fils de Jacob, et surtout Moïse. Pour le peuple élu, sans cesse à la recherche de son identité, de ses institutions et de son territoire, l’Égypte représente un miroir inversé, le paradigme antithétique de sa propre vocation, sans commune mesure avec d’autres peuples, comme les Philistins, bien qu’ils jouent un rôle comparable.

13 Sans entrer en profondeur dans les aventures des patriarches comme séquences d’un même récit de l’« origine », il importe d’avoir à l’esprit cette équation fondamentale : l’Égypte est, pour Israël, la possibilité de s’assimiler au monde, le contre-modèle à la fois séduisant et repoussant qui nécessite la différenciation radicale d’Israël vis-à-vis des autres peuples. Ainsi, c’est le référent égyptien qui structure l’opposition entre Révélation et religion qui est à l’origine de la recherche de la « Terre promise », dans l’Exode. Pour les juifs puis pour les chrétiens, il s’agit, après la sortie d’Égypte, de suivre un Dieu qui parle, qui se révèle par la bouche des prophètes puis du Christ, et se révèle essentiellement pour parler des relations possibles avec lui, au contraire de la religion, perçue dans la Bible comme un culte figé dans des catégories morales et des marchandages propitiatoires, dont l’Égypte pharaonique, avant d’autres peuples, est le parangon. Les ermites sont particulièrement sensibles à cette dynamique de la Révélation, parole qui tranche les constructions spéculatives et les rituels humains, au point de rompre avec leur humanité pour mieux l’entendre au désert.

Du bon usage de la connaissance au désert du langage

27 L’autre aspect des activités d’Antoine intéressant du point de vue du mythe à venir est celui de sa prédication. En effet, elle pose les termes qui sont devenus définitoires d’une forme de « mythe de la connaissance » dans les traditions chrétiennes. Nous l’avons mentionné, bien qu’il aspire à la solitude, Antoine ne refuse pas de recevoir des visites, et prend la parole quand on le sollicite : au désert, devant ses visiteurs et ses disciples de plus en plus nombreux, en Alexandrie, pendant les persécutions et les débats qui divisent la communauté face aux thèses d’Arius. Le silence de ses solitudes nourrit la parole de ses prédications : il ne faut pas céder aux charmes de l’intelligence, la vérité du christianisme ne s’entoure pas de démonstrations mais entre en rupture avec la rhétorique des philosophes, des polythéistes et des hérésiarques. On est bien loin, alors, de Thomas d’Aquin. Lors d’une controverse avec des philosophes et des prêtres grecs de cultes polythéistes, Antoine affirme :

Vous êtes au comble de l’incrédulité en cherchant des raisonnements, des discours, mais nous, ce n’est pas dans le langage persuasif de la sagesse (I Cor.,II, 4), grecque que nous démontrons. Nous persuadons par la foi qui renverse l’armature des discours21.

L’ermite, une fois encore, obéit aux injonctions de l’apôtre Paul :

Prenez garde qu’on ne vous emporte avec la philosophie, ce vain leurre qui s’inspire de la tradition humaine et des éléments du monde, mais non du Christ22.

28 La philosophie, dans cette occurrence paulinienne, prend le sens des traditions religieuses antiques, autant que des raisonnements systématiques des philosophes, au sens où nous entendons aujourd’hui ce terme, comme le précise le traducteur23. Ainsi, tant les connaissances et les exégèses sapientiales des religieux juifs et polythéistes que celles des philosophes et des savants sont impropres à mener vers la « connaissance » authentique, celle de Dieu par la révélation de son christ. Cela a deux effets : le raisonnement est dépouillé de sa fonction herméneutique pour devenir la structure qui donne à l’illusion son apparente vraisemblance, et la parole elle-même se distingue des stratégies discursives pour devenir une dynamique de performation, et non d’explication. Antoine se méfie autant des connaissances et du savoir qu’il valorise une parole spécifiquement vouée à « toucher » l’homme, à l’émouvoir au sens premier du terme de « mise en mouvement ». Parole performative puisqu’elle crée en l’homme non une connaissance mais un désir de vivre en relation avec la divinité : la parole révélée de la Bible comme celle de la prière doit engager l’homme au-delà de son intelligence, l’en dépouiller même pour mettre en branle, en lui, le principe spirituel, l’âme.

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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeLun 12 Aoû 2024, 14:37

Article instructif, d'un auteur manifestement éloigné de la théologie (et de l'orthographe, au point de confondre régulièrement "martyr" et "martyre"), mais l'éclairage, décalé, n'en est pas moins éclairant. Il m'a rappelé le génial Simon du désert (Simón del desierto, 1965) de Buñuel, dont le protagoniste ermite, après avoir surmonté toutes les tentations d'un diable féminin, finit dans l'ennui mortel d'une boîte de nuit où sa tentatrice lui dit (en substance): d'ici tu ne pourras plus t'échapper... iconoclaste et spirituel, dans tous les sens du terme.

En Egypte hellénistique et romaine, dans les siècles du tournant de l'ère chrétienne, d'Alexandre à Constantin, on ne saurait tracer de frontière nette entre les "païens" des cultes égyptiens devenus "mystères" au même titre que ceux de Grèce et des empires successifs, les "juifs" (comme Aristobule, le pseudo-Aristée ou Philon), les "chrétiens" plus ou moins orthodoxes ou hérétiques, y compris "gnostiques", qui partagent des pratiques similaires en dépit des divergences ou oppositions théoriques: entre le monakhos, quelle que soit son appartenance nominale (qui lui est d'ailleurs foncièrement indifférente dans la mesure où il est digne de ce nom, cherchant la solitude et l'unité), et les luttes de pouvoir des écoles, sectes ou communautés organisées et hiérarchisées des grands centres urbains qui se concurrencent, la distance est considérable. Il n'en est pas moins remarquable que l'"évêque", homme de pouvoir et de la grande ville, éprouve le besoin de se référer au "mythe" de l'ermite du désert (pléonasme), comme contre-type de son propre pouvoir inévitablement "mondain", politique, économique, social...

Cette lecture délibérément anachronique (on cite Barthes etc., on aurait pu aussi citer Austin pour parler de "performatif", speech acts) soulignerait plutôt l'aspect "utilitaire" du "silence", utile pour passer d'un type de "parole" (autoritaire, dogmatique, théorique, scientifique, didactique, péremptoire, constatif, prédicatif, informatif, politique, médiatique, magistral) à un autre, autrement et discrètement efficace, qui vaudrait par ce qu'il fait, par l'effet qu'il produit (mais il y a aussi du "performatif", ô combien ! dans toutes les paroles autoritaires, etc.) -- comme par un passage à vide (point mort, débrayage, syncope, etc.), lâcher-prise entre prise et reprise. Reste à savoir si le "silence" est un "moyen" ou une "fin", de la parole en l'occurrence (cf. échange précédent).

Tout dépend, peut-être, de la façon dont on comprend la fin, par exemple dans les évangiles la résurrection: dénouement triomphal qui réduirait tout ce qui le précède au statut de préambule ou de péripétie dépassée, ou bien épilogue sur un silence qui reste, irréductiblement, dernier, fin de l'histoire -- histoire qu'on peut relire et rejouer tant qu'on voudra sans aboutir à autre chose. Même le dernier mot de Hamlet -- the rest is silence -- n'empêche pas le supplément d'un épilogue, ni la reprise de la même pièce le lendemain ou l'année suivante... Pourtant toute suite, toute reprise, se sait avant-dernière, devant le dernier mot toujours déjà tu qui n'en est pas un.
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeVen 13 Sep 2024, 16:13

Silence d'une demi-heure

Quelque part, dans la grande dramaturgie de l'Apocalypse, toute bruissante de cataclysmes et de trompettes, il est rapporté ceci : « Il se fit un silence dans le ciel, environ une demi-heure » (Ap 8,1). Pause, césure, entracte. Moment de mesurer et de reconstituer les forces en présence. Peut-être nous faudrait-il pareille éclaircie, pareille trêve, pareille vacance au milieu de l'immense bouleversement qui nous arrive, et dont on aurait tort de croire qu'il ne revêt que des formes spectaculaires. Un silence dans le ciel contemporain. Un temps pour nous apercevoir. Un temps pour passer au crible. Un temps pour évaluer le désuet, pour accueillir le neuf, pour sérier le pérenne. « Un temps pour jeter » (car il y a manifestement beaucoup à jeter), et « un temps pour ramasser » (Qo 3,5-6) ce qui reste. « Un temps pour [nous] taire » (Qo 3,7) surtout, car c'est ainsi que l'on fait silence – c'est cela qui étend le bienfait du silence.


Lors même que nous fermerions tous les étiers qui amènent à nous – en nous – l'océan de l'actualité, lors même que nous nous tiendrions étrangers à la diversité des faits, imperméables à l'écume des jours, nous sentirions, avec une acuité de baromètre, que, sous ses épiphénomènes qui s'attirent la réclame, sous ses divertissements qui donnent le change, toute l'actualité se résume à la gestation d'un monde nouveau, d'un homme nouveau, sans qu'il nous faille pronostiquer hâtivement dans le sens de la catastrophe, ni dans celui de je ne sais quel messianisme séculier et béat. Ce qui nous arrive – à grands pas – revêt, pour les esprits lucides, une telle gravité que nous éprouvons le besoin d'en mêler la désignation expresse au bonjour que nous nous échangeons chaque matin, de nous l'avouer les uns aux autres comme un secret qui nous pèse, et de faire porter là-dessus les conversations dont s'entretiennent nos plus profondes amitiés. Que si nous sommes honnêtes, les uns face aux autres et au plus intime de nous-même, ce qui nous arrive convainc inexorablement d'obsolescence, non seulement les discours dont s'enveloppaient nos certitudes, mais la substance de nos certitudes elles-mêmes. S'il y eut, par exemple, un triomphalisme ecclésiastique antérieur au second concile du Vatican (et que l'œuvre comme l'esprit du Concile entendaient avec raison ramener à plus de modestie), il a pu exister aussi – il faut bien le reconnaître – un certain triomphalisme concomitant au Concile lui-même et à ses lendemains qui chantaient encore : c'est ce triomphalisme-là qui, à son tour, se voit aujourd'hui humilié, et qui doit bel et bien mourir. Comme doit aussi mourir le triomphalisme recrudescent de ceux qui croient voir un avenir dans une affirmation catholique identitaire, marquée par cette étroitesse qui invalide tous les instincts de protection. La « sécurité » religieuse a moins que jamais, comme les autres, l'assurance du triomphe.

L'entracte « apocalyptique » que nous évoquons est donc à prendre au sérieux, et nous ne pouvons décidément nous dispenser d'être nous-mêmes les artisans du silence dans le ciel. Le silence n'est pas un accident : il sera d'autant plus profitable qu'il sera notre œuvre. Car « le temps pour parler » (Qo 3,7) – pour désigner la grande métamorphose civilisationnelle que nous vivons – doit être rigoureusement contemporain d'« un temps pour se taire » : un temps pour nous rendre compte – tout bas – de la question que pose à nos mots, à nos dogmes, à nos institutions, à nos méthodes, la figure contingente, et néanmoins souveraine, du monde (1 Co 7,31) qui advient ; un temps pour nous dépouiller de la mythologie et pour faire allégeance au mystère ; un temps pour envisager courageusement l'inadéquation des vieilles outres à la fermentation du vin qui nous travaille. La prudence – comme la stratégie – évangélique elle-même ne nous invite-t-elle pas à nous « asseoir pour examiner » (Lc 14,31) ? La « session » s'accompagne volontiers du silence. « Il est bon pour l'homme […] que, solitaire et silencieux, il s'asseye […], qu'il mette sa bouche dans la poussière : peut-être y a-t-il de l'espoir » (Lm 3,27-29). Le maître-mot de l'époque ne serait-il pas dès lors un mot de la philosophie antique, remis naguère à l'honneur par Edmund Husserl et la phénoménologie, à savoir l'épochè ou « suspension » du jugement, ou plutôt, en l'occurrence, du psittacisme et de la parole paresseuse ? Un attendre-voir, un écouter-voir qui se hausserait, en somme, au statut d'attitude religieuse et d'exercice spirituel. Aussi faudrait-il enjoindre à tous les fonctionnaires de la parole publique – et très spécialement aux clercs – de se taire pendant un demi-siècle avant d'ouvrir à nouveau la bouche, et de cesser d'être les faux-monnayeurs de vérités que n'a pas éprouvées la fournaise. La cloche qui résonne appelle au silence : l'économie de la parole est aussi – et sera certainement de plus en plus – une manière de se rendre avec piété à l'église.

Par François Cassingena-Trévedy

https://www.revue-etudes.com/article/silence-d-une-demi-heure/18022
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeVen 13 Sep 2024, 17:26

On en oublierait presque que dans l'Apocalypse c'est le ciel même qui se tait, pour écouter ou entendre, voire sentir (comme en italien, sentire pour écouter, entendre), avec ou tel l'encens, les prières des saints -- relire la suite, 8,1ss; et 10,4 où le ciel parle, tonne, mais refuse qu'on écrive ce qu'il dit... Pour rappel, cette pause (entracte, interlude, intermission) ménage aussi la transition des sceaux aux trompettes, le dernier élément d'une série ouvrant sur la série suivante, selon le système de différance infinie de la fin qui n'arrive jamais ou n'en finit pas d'arriver (poupées russes, danse des voiles, mille et une nuits); même la proclamation solennelle de la fin du temps (khronos, 10,6) relance le temps...

Les textes auxquels on renvoie généralement à propos de 8,1 (p. ex. Nestle-Aland 27 ad loc.) sont plutôt ceux où le ciel fait taire la terre (Zacharie 2,[13, au lieu de 17]; Habacuc 2,20; Sophonie 1,7; Sagesse 18,14).

Cf. Hölderlin, ici ou là -- le manque, l'absence ou le silence des dieux aide, la poésie aussi, le temps que les mortels soient à nouveau capables de les entendre tonner... mais ça risque de durer plus d'une demi-heure.
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MessageSujet: Re: le poids du silence   le poids du silence - Page 3 Icon_minitimeAujourd'hui à 15:11

Citation :
Dans un temple perdu en haut d'une montagne se tenaient quatre moines. Ils avaient décidé de faire ensemble une retraite de plusieurs jours dans un silence absolu. Ils devaient rester du matin jusqu'au soir en position de zazen, la position de méditation.
Le premier soir, la nuit tomba, le froid était vif.
La bougie s'est éteinte, dit le plus jeune des moines.
-- Tu ne dois pas parler. Nous devons observer un silence total, fit observer un moine plus âgé.
-- Pourquoi parlez-vous au lieu de vous taire, comme nous en étions convenus ? lança avec humeur le quatrième moine.
-- Je suis le seul qui n'a pas parlé ! conclut avec satisfaction le quatrième moine.

Oscar Brenifier et Isabelle Millon, Sagesse des contes zen -- exercices philosophiques, Eyrolles 2014, p. 122 -- gratia lct.

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