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 silences de Dieu

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Narkissos

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MessageSujet: silences de Dieu   silences de Dieu Icon_minitimeJeu 12 Aoû 2021, 15:01

Yahvé, ton dieu (possessif féminin), (est/sera) en ton sein[/i] (idem), puissant, sauveur;
il exulte(ra) de joie sur toi
(idem), il se tait (taira) dans son amour;
il se réjouit (réjouira; ou danse[ra]) sur toi
(idem) avec des cris d'allégresse...
Sophonie 3,17.

Une seule proposition (celle que j'ai soulignée) m'avait marqué dans ce verset, que j'ai d'ailleurs mis un moment à retrouver. Bien sûr il faut relire le contexte où tout s'explique, le référent féminin (fille [de] Sion / Jérusalem / Israël, v. 14ss), les images érotiques qui s'ensuivent et n'ont rien d'exceptionnel chez les "Prophètes" (cf. p. ex. Isaïe 62); même le silence a priori surprenant, et aussitôt contredit par les "cris d'allégresse", se comprend aisément comme absence de reproche, de jugement ou de condamnation (v. 15); il n'en fait pas moins l'objet d'une hésitation textuelle, depuis la Septante, entre les racines hébraïques h et h, que seul un trait de lettre sépare en graphie dite araméenne ou carrée: au lieu de "il se taira dans son amour", on pourrait aussi comprendre "il te renouvellera dans son amour" (ainsi LXX) ou "il (te ?) renouvellera son amour". La leçon "massorétique" garde cependant tout son intérêt, avec ou sans rapport à l'autre: il serait bon que "Dieu" se taise, ne fût-ce que pour se "renouveler"; leçon assez singulière en tout cas dans la Bible, où "Dieu" -- comme les hommes, du reste -- ne semble presque jamais las de parler; et fort différente des versions plutôt sinistres du "silence de Dieu", réprobateur ou indifférent, qu'on peut trouver ailleurs dans la Bible (p. ex. du point de vue "prophétique", dans 1 Samuel, 3,1; 8,18; 14,37ss; 28,6 ou encore Isaïe 42,14; Amos 8,11; Habacuc 1:13; voir aussi Job, 19,7; 30,20; 35,12; Psaumes, 18,42; 22,3; 28,1; 35,22; 83,2; 109,1 etc.) et davantage encore dans les théologies subséquentes. (Voir éventuellement cette discussion en partie connexe, à partir d'un tout autre texte.)

Je signale, au moins à titre de curiosité, que le verbe h peut correspondre à deux racines différentes (homonymie plutôt que polysémie), et que celle qui n'évoque pas le "silence" signifie creuser, labourer, travailler, etc. Elle n'est généralement pas retenue dans ce contexte, mais si elle l'était on aurait, à la place du "silence" et sans correction du texte massorétique, une image "érotique" supplémentaire. Quoi qu'il en soit, le rapprochement du "silence" et du "travail" (creuser, labourer, etc.) est au moins un "jeu de mots" possible en hébreu, et pas inintéressant non plus.
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MessageSujet: Re: silences de Dieu   silences de Dieu Icon_minitimeLun 16 Aoû 2021, 09:59

V. 17 : La raison de cette prospérité, c’est la présence du Seigneur lui-même au cœur de la ville (17a), présence salutaire (17b), rénovatrice (17d) – si l’on retient pour cette dernière épithète la version des Septante : « Il te renouvellera par son amour ». La leçon du texte massorétique est plus sibylline : « Il se taira/gardera le silence dans son amour ». Comment, en effet, concilier ce silence avec la jubilation et les cris de joie du verset 17e ? La difficulté se résout si on interprète le verbe « se taire » comme « mettre fin à sa colère », ou encore « n’avoir plus rien à dire contre quelqu’un ». Dans ses grandes lignes, le sens correspond à celui des Septantes : l’amour de Dieu pour son peuple couvre la multitude de ses péchés. Il dépasse la stricte justice et ne tient plus compte des fautes. http://www.guerisonetdelivrance.com/medias/files/sophonie.pdf
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MessageSujet: Re: silences de Dieu   silences de Dieu Icon_minitimeLun 16 Aoû 2021, 10:46

Quant à l'exégèse du verset nous sommes bien d'accord, et sur le sens vraisemblable du texte massorétique et sur la fragilité de ce dernier (la suite aussi, comme on le voit, est très abîmée).

Pour ne pas compliquer davantage, j'avais laissé inachevé (points de suspension) le dernier vers: on le complète habituellement en corrigeant les premiers mots du verset suivant, qui est de toute façon incompréhensible en l'état; soit "... avec des cris d'allégresse, comme au / en un jour de fête" (les amateurs de Hölderlin apprécieront l'écho, Wie wenn am Feiertage). L'intérêt que je vois à cette formule (intérêt assez décalé par rapport à mon "thème", le "silence", mais peu importe), c'est qu'elle fait apparaître la parenté profonde, et cependant peu apparente, entre l'"eschatologie" (même s'il ne s'agit ici que d'une eschatologie relative, restauration future dans le cours de l'histoire et non changement d'"âge" ou de "monde") et le "rituel": à bien des égards l'eschatologie prend la relève du rituel, le bonheur futur est décrit comme une fête (rituelle ou "religieuse"); ce qui peut aussi bien aboutir à l'abandon du rituel qu'à sa réinterprétation comme anticipation de l'avenir. (Cf. p. ex. Isaïe 30,29; Ezéchiel 36,38; en mauvaise part, Lamentations 2,7.22; entre les deux, Osée 12,9; à l'inverse, comme souvenir heureux, Psaume 42,4. Et bien sûr la conclusion de la section dite "apocalyptique" de Zacharie, chap. 14, où une eschatologie absolue s'énonce en termes de sacralisation ou de consécration totales: tout l'espace et ce qu'il contient "sacré" comme le temple, tout le temps comme la fête.)
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MessageSujet: Re: silences de Dieu   silences de Dieu Icon_minitimeLun 16 Aoû 2021, 11:57

So 3,14-17 : la joie eschatologique


II convient tout d'abord de compléter les v 14-17 avec les premiers mots du v 1 8, ce qui permettrait de restituer au dernier vers de l'unité le stique manquant. Mais, dans son état actuel, le texte hébreu n'est guère intelligible. La plupart des commentateurs adoptent la leçon des LXX qui suppose keyôm môcéd, « comme au jour de la fête » ou plutôt « comme au jour de la rencontre ».


Ces versets forment une unité, nettement délimitée par l'inclusion de deux termes placées en position chiastique : « crie (de joie) ... réjouis- toi i (v 14)/ dans la joie ... dans les cris de joie berinnàh (v 17). Bien plus, S. Munos Iglesias a finement dégagé une structure chiastique de l'ensemble de l'unité : « les thèmes des v 14-15 sont repris, mais en ordre inverse, aux v 16- 18a » :


A Invitation à la joie (v 14)            Joie de Dieu (17c- 18a) A'
B Nouvelle attitude divine (15ab)   Nouvelle attitude divine (17d) B'
C YHWH à Sion (15c)                   YHWH à Sion (1 7ab) C
D Rien à craindre (15d)               Rien à craindre (16) D'


Une telle disposition favoriserait plutôt l'hypothèse d'un oracle d'une seule venue. Pourtant, les v 1 6b- 1 6 contiennent les éléments essentiels de l'oracle de salut, tel que l'a dégagé C. Westermann (43) : l'adresse à un destinataire présenté ici sous les traits d'une collectivité personnifiée ; l'exposé des motifs, formulé dans le cadre d'une proposition nominale (« Le Seigneur est avec toi »), suivie d'une proposition verbale « il se réjouit de toi ». Les v 1 6b- 1 7 pourraient donc bien représenter une unité autonome. D'ailleurs, les v 1 4- 1 5 offrent une forme analogue : l'invitation à la joie et l'adresse (v 14), les interventions de Dieu (« YHWH a levé tes sentences », la présence de YHWH en son sein) et les conséquences (« ne crains pas ») (v 1 5). Ici l'ordre est bouleversé et l'on peut se demander si ce n'est pas l'indice d'une intervention rédactionnelle. L'éditeur aurait voulu aboutir à la structure chiastique relevée plus haut. Du reste, la tonalité des v 1 4- 1 5 est plus hymnique, celles des v 1 6- 1 7 plus oraculaire .- le v 1 4 a l'allure d'un invitatoire, suivi du développement des motifs de louange, avec des verbes au perfectif : « il a levé... détourné... manifesté sa royauté ». Ici, la leçon des LXX doit avoir la préférence : elle suppose le verbe màlak « il règne » plutôt que le substantif mèlèk « roi ». Cette lecture s'harmonise parfaitement avec la séquence des deux premiers verbes eux aussi au qatal. On rejoint ici la célèbre formule des Psaumes du Règne « YHWH màlak » (Ps 93,1 ; 96,10 ; 97,1 ; 99,1), ce qui confirme la coloration psalmique de So 3,14-15. Toutefois, à notre avis, la leçon actuelle proviendrait d'une relecture intentionnelle. Dans sa volonté de faire correspondre les deux versets, le rédacteur aurait aligné 3,1 5ba sur 1 7aa (44). Dans la section des v 16-17, la coloration hymnique disparaît : nous sommes en présence d'une simple promesse de salut ; les trois verbes, qui suivent l'invitation « ne crains pas » la mention de la présence divine (proposition nominale), sont au yiqtol, c'est-à-dire, dans le contexte, au futur (v 17b) : « il se réjouira... il sera ému (45)... il jubilera... ». Dans ces conditions, la finale du v 15 « tu n'auras plus à craindre le mal », au yiqtol, après des verbes au qatal (v 1 5a.a après correction) pourrait- être une addition du rédacteur, qui lui permettait de boucler la disposition chiastique de l'ensemble des v 14-17 (cf supra la correspondance entre D et D').  https://www.persee.fr/docAsPDF/rscir_0035-2217_1986_num_60_1_3044.pdf
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MessageSujet: Re: silences de Dieu   silences de Dieu Icon_minitimeLun 16 Aoû 2021, 14:46

Excellente étude (sur l'ensemble du livre), illustrant à merveille que le problème majeur de l'exégèse consiste toujours à déterminer son "objet" (à savoir quel texte on lit, analyse, commente, interprète): pendant de nombreuses décennies la recherche de l'"original" a obnubilé toute l'attention, au détriment du "secondaire" (ajouts tardifs, transitions "rédactionnelles", gloses etc.), jusqu'à ce qu'on prenne conscience que ledit "original" était le plus souvent inaccessible ou sans intérêt -- selon ce que j'appelle le "théorème de l'oignon": on enlève couche après couche à la recherche d'un "centre" et il n'y en a pas, ou alors immangeable. Le balancier est ensuite retourné vers des lectures "globales", avec une frustration symétrique: le "tout" est trop hétéroclite pour fournir un "sens" satisfaisant -- parce que le "dernier rédacteur" ne maîtrise pas plus l'ensemble des matériaux (qui lui sont pour la plupart imposés) que le "premier auteur" (qui ignore naturellement ce qu'il adviendra de son texte, ce qui y sera ajouté et ce qui en sera retranché ou modifié, ne serait-ce que par une nouvelle situation de lecture). Bref, il faut se contenter plus modestement de "micro-contextes" pour y trouver du sens, un sens ni premier ni dernier, en devenir. C'est ce qui donne tout son prix au "verset" (cf. le titre de la présente rubrique), malgré tout le mal qu'on a pu dire (moi aussi) de la citation de "versets" hors contexte (à vrai dire c'est moins la citation, même tronquée, qui est contestable que ce qu'on en fait, notamment quand on l'utilise comme une pierre ou une brique dans la construction d'une doctrine qui lui est totalement étrangère). On trouve parfois son bonheur dans un chapitre, dans un paragraphe, dans un verset ou dans une seule phrase...

Comme je l'ai sûrement déjà dit, je suis plutôt méfiant à l'égard des analyses "structurelles", parce que les structures qu'elles mettent au jour ne correspondent pas nécessairement à une "intention", qu'elle soit "originale" ou "secondaire". En parlant et en écrivant, nous produisons spontanément, sans le vouloir, des effets de structure, de "chiasme" par exemple, qu'on peut toujours analyser après coup mais dont on ne peut généralement rien déduire de particulier, sinon des généralités sur la langue et le style (et des comparaisons: il y a assurément plus de "chiasmes" en hébreu qu'en français, en "poésie" qu'en "prose", dans une langue ancienne qui suppose une autre économie de l'écriture et de la mémorisation -- mais en cherchant bien je suis sûr qu'on trouverait encore des chiasmes chiadés sur Twitter, et que leurs auteurs en seraient les premiers surpris).

En ce qui concerne 3,17, Renaud ne nous dit rien sur le "silence" puisqu'il suit (avec d'excellentes raisons, cf. note 45) la correction du texte massorétique d'après la Septante (cf. mon premier post). En revanche il nous fait remarquer (même si logiquement il ne peut rien en tirer lui-même) que le "silence" était déjà en 1,7 (has, peut-être une onomatopée comme le hush anglais correspondant à notre "chut"): mais là c'est Yahvé qui impose le silence, selon un modèle encore plus courant (cf. p. ex. Amos 8,3; Habacuc 2,20; Zacharie 2,13 avec la même formule; et avec un autre vocabulaire, Deutéronome 27,9; Isaïe 41,1; 47,5; Amos 5,13). Il y aurait aussi beaucoup à dire (!) sur ce désir d'imposer le silence, de la part des dieux et de toute sorte d'"autorités" -- de faire taire les oppositions, les critiques, les commentaires, les bavardages (cf. "Paul" et "que toute bouche soit fermée", qui contresigne et contredit le propos "positif" de l'épître aux Romains sur la grâce, la foi et la "confession"... de la "bouche"; cela me rappelle toujours cette scène onirique et hilarante de 8 1/2 de Fellini, où le réalisateur fatigué d'entendre les commentaires d'un intellectuel le fait pendre d'un claquement de doigts).
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MessageSujet: Re: silences de Dieu   silences de Dieu Icon_minitimeMar 17 Aoû 2021, 11:13

Wackenheim, Quand Dieu se tait, Coll. Théologies, Paris, Cerf, 2002, 190 p.

Avec le motif du silence de Dieu, l'ouvrage de notre ancien Collègue s'inscrit à première vue dans le sillage d'une longue tradition de théologie négative et apophatique. On sait qu'à l'époque moderne, cette veine de la théologie ne s'est pas démentie et connaît même un net regain d'intérêt. Il y a d'abord, depuis la fin du xvme siècle, les développements philosophiques et théologiques sur l'abaissement et la mort de Dieu. Au xxe siècle, l'interrogation s'est surtout cristallisée autour d'un terrible constat : le silence de Dieu à Auschwitz. L'a. connaît très bien l'ensemble de la littérature ancienne et récente sur le thème et en informe en permanence sa réflexion. Mais il fait également œuvre novatrice et envisage son entreprise comme un essai. Partant du fait qu'« en ce début d'un nouveau millénaire (...) le paysage spirituel de l'Occident continue de s'éloigner de l'anthropologie sémitique où s'était développé le symbolisme biblique », il ajoute : « Tout se passe comme si l'image d'un Dieu proche et omniprésent cédait peu à peu la place à celle d'un Dieu qui s'efface et se tait. Bien des chrétiens se disent beaucoup plus impressionnés par l'apparent mutisme de Dieu que par ses communications verbales. Le Dieu de la Révélation biblique aurait-il désormais perdu l'usage de la parole ? Ses messages d'autrefois consignés dans l'Écriture ne parleraient-ils plus à l'homme d'aujourd'hui » (12). La réflexion, qui entend se situer à l'intérieur de l'adhésion de foi, se trouve aussitôt placée devant l'alternative : déchiffrer, comme le fait en permanence le croyant, les langages de Dieu, ou interroger les voies mystérieuses d'un Dieu créateur et sauveur qui souvent semble se taire (15). Devant le silence de Dieu, les situations du croyant et de l'incroyant sont ici paradoxalement très proches.

L'ouvrage est divisé en huit chapitres. Après l'exposition des objectifs, thèmes et critères, l'auteur passe en vue six propositions traditionnelles du christianisme, que la situation actuelle impose d'interroger à frais nouveaux : Dieu nous parle par la création, par ses témoins, par l'histoire, par la Bible, en Jésus Christ et par l'Église. Chaque chapitre donne lieu au déploiement riche, concis et précis d'un dossier qui revisite les lieux traditionnels de la foi. Mais chaque étape soulève également de nombreuses interrogations. La logique des propositions traditionnelles est mise à l'épreuve des questionnements contemporains à partir des sciences bibliques, historiques et humaines. Chaque développement amène successivement à faire le point du trajet parcouru et à dégager les questions soulevée par le dossier : « Un tel discours est-il intelligible et plausible aujourd'hui ? Sinon il faudra bien mettre en cause l'axiome qui le sous-tend, à

https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_2003_num_77_1_3661_t1_0113_0000_2
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MessageSujet: Re: silences de Dieu   silences de Dieu Icon_minitimeMar 17 Aoû 2021, 11:53

L'ouvrage semble surtout consacré, sans surprise, aux formes "classiques" (et néanmoins aussi, voire surtout "modernes") du "silence de Dieu" -- celles que je qualifiais de "sinistres" dans mon post initial, par contraste avec Sophonie 3,17 (selon l'interprétation courante du TM), mais bien sûr c'est plus compliqué que ça, surtout si on y mêle la question de la théologie dite "négative" ou "apophatique" (un Dieu qui ne peut être l'objet d'un discours ne saurait guère en être le sujet).

En tout cas cette recension a le mérite de rappeler un point que nous avons jusqu'ici négligé, à savoir le rapport tout aussi complexe de la "parole" à l'"acte", ou négativement du "silence" à l'"inaction", qui joue dans tous leurs aspects (positifs et négatifs). Autant on peut opposer les paroles aux actes, autant le plus souvent ils se confondent -- encore plus naturellement en hébreu où dbr-davar correspond indifféremment à "parole" et à "événement" ou "acte", au "mot" et à la "chose". De fait, quand il est question du "silence de Yahvé / Dieu" en mauvaise part, depuis les Prophètes ou les Psaumes, il s'agit aussi, voire surtout, de son "inaction": pourquoi gardes-tu, jusqu'à quand garderas-tu le silence <=> pourquoi ne fais-tu rien, jusqu'à quand ne feras-tu rien (face au malheur, à l'injustice, à l'oppression, à la catastrophe, etc.). Cela vaudrait d'ailleurs tout autant en bonne part, dans la lecture traditionnelle de Sophonie 3,17: que Dieu se taise, dans un contexte de bonheur, cela signifierait, dans le registre de la "parole", qu'il ne fasse plus de reproche, qu'il ne prononce plus de menace, de jugement ou de condamnation, et dans le registre des "actes" qu'il cesse de frapper, de châtier ou de punir (cf. v. 15).
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MessageSujet: Re: silences de Dieu   silences de Dieu Icon_minitimeMer 24 Juil 2024, 14:44

Parole et silence : une approche biblique
Jean-Michel Poirier

Le premier récit de création (Gn 1, 1-2, 4a)

D’emblée, la Bible nous situe face à la Parole, celle de l’acteur divin : « Alors Dieu dit… » (Gn 1, 3). Cette parole survient sur fond de tohu-bohu, que Gn 1, 2 décrit comme un milieu hostile à la vie humaine. Les images négatives s’entassent : « tohu » et « bohu », soit désertique et inhospitalier ; « ténèbre » sur « abîme » ; « vent de Dieu », c’est-à-dire violent, « sur la face des eaux ». Un mouvement agite ce milieu, mais en boucle stérile, fermée sur elle-même: « un vent de Dieu tournoyant sur la face des eaux ».

Qu’est-ce donc que ce silence d’avant la parole ? Un tumulte qui ne laisse aucun sens émerger ? Sans doute n’est-il pas gros de promesses puisque la parole divine vient trancher dans ce milieu fusionnel, effectuant une séparation originelle, première d’une série qui ordonne en distinguant. Les versets 2 à 5 nomment par cinq fois la lumière, depuis la parole qui l’appelle à l’existence jusqu’à sa nomination en « jour ». Le passage par la phase de séparation (au verset 4) n’est pas anecdotique. En réalité, il décrit ce que la parole divine effectue au cœur même de l’indifférencié tohu-bohu : elle partage comme un glaive, faisant advenir la vérité et la vie – qui pour la sagesse sont tout un. De ce point de vue, le silence initial est plutôt de l’ordre d’un brouhaha que la parole efficace fait taire (nous verrons plus avant comment la parole de jugement de Salomon correspond à cette opération salvatrice). Mais on peut aussi le considérer comme un terreau indispensable à l’effectuation de l’œuvre divine de création. D’ailleurs, l’expression « vent de Dieu », qui indique en première lecture un vent très violent , introduit le nom même d’Elohim au sein du chaos primordial. C’est dire que celui-ci n’est pas indépendant de Dieu. De plus, dans le texte biblique, la Parole n’a pas le premier mot : avant que ne s’élance le premier wayyo’mer Elohim, il y a quelque chose. La parole ne se confond donc pas avec le réel, et le chaos initial pourrait bien voiler un en deçà où se tient un sens précédant toute prise de parole. D’ailleurs la Sagesse ne déclare-t-elle pas avoir été créée par YHWH comme « prémices de son œuvre, avant ses œuvres les plus anciennes », « établie dès le principe, avant l’origine de la terre » (Pr 8, 22) ? Partant de là, la première page de la Bible égrène dix paroles divines sans que, pour l’instant, un autre locuteur ne réponde. Autour d’elles se déploie un silence riche de sens.

Le silence instauré entre les huit premières, énoncées sur les éléments de la création, n’est pas synonyme de néant puisque dans cet espace s’effectue le grand passage du chaos à l’existence en un ordre soigneusement organisé. Ce silence fourmille de vie, d’abord séparation entre les éléments primordiaux, puis surgissement de corps et de vivants portant leurs propres semences. Ézéchiel entendait là un grand bruit (Ez 37, 7), qui n’est pas sans rapport avec « le bruit pareil au grondement de la mer » annonçant le retour de Dieu dans son temple (Ez 43, 2). Certes, du point de vue de Dieu, parler et faire coïncident. Gn 1, 3 l’exprime de la manière la plus brève qui soit. Mais du point de vue du lecteur ou de l’auditeur, le faire ne se déplie qu’après l’énonciation de la parole. Diffractés dans le texte, parole et silence ne sont donc que les deux faces d’une même réalité, « non point récit, non point langage, nulle voix qu’on puisse entendre, mais pour toute la terre en ressortent les lignes et les mots jusqu’aux limites du monde » (Ps 19, 4-5).

Aux deux dernières paroles, qui s’adressent à l’humain, créé simultanément homme et femme, ne succède aucune apparition d’êtres nouveaux. Elles fixent au couple primordial une mission et précisent les conditions de son exercice sans qu’il soit question de la réalisation de cet ordre. Serait-ce alors que la parole reste en suspens, ineffectuée ? Ou bien qu’elle appelle l’homme à lui porter réponse, c’est-à-dire à parler à son tour ? Le silence du septième jour incline vers la seconde interprétation. Car le septième jour, Dieu se tait et rien ne se fait. Cependant, ce jour-là est partie intégrante de la création puisque « Dieu termina au septième jour le travail qu’il avait fait. Il cessa au septième jour tout le travail qu’il avait fait. Dieu bénit le septième jour, il le consacra car alors, il avait cessé tout son travail, que lui, Dieu, avait créé en faisant » (Gn 2, 2-3). Trop souvent le créer est réduit au faire. Or celui-là déborde celui-ci. Créer intègre plusieurs phases toutes indispensables : faire se séparer, faire (du neuf), cesser de faire et bénir. De même que le créer ne s’arrête pas au faire, il ne cesse pas avec l’abstention de parole divine. Celle-ci a besoin du silence final dans lequel elle résonne pour s’épanouir en bénédiction. Les chants de louange qui célèbrent la vie et le Créateur de toute vie (par exemple, celui que fait monter le Ps 104) ne viennent pas rompre ce silence : ils l’expriment et en résonnent. Mutatis mutandis, on peut dire de cette louange ce que Jankélévitch écrit de la musique : « le silence est le désert où fleurit la musique, et la musique, cette fleur du désert, est elle-même une sorte de mystérieux silence ».

Dans la semaine inaugurale, le septième jour est le seul à être consacré par Dieu : le silence dans lequel la parole se résout est donc, lui aussi, consacré par Dieu comme sceau final posé sur la parole créatrice. Dès lors, ce silence devient, selon la belle définition de Joseph Rassam, « le lieu où se tient toute présence sans laquelle aucune parole n’aurait de sens». Dieu était présent au chaos (Gn 1, 2). Désormais, l’humain et les êtres vivants sont présents à la Présence qui, dans son silence, les appelle à la communion.

Le silence du septième jour est enfin un temps donné à la création pour exister devant Dieu , c’est-à-dire, du point de vue de la parole, un silence qui ouvre à l’interlocuteur l’espace de la réponse. Il est donc autant silence d’accomplissement que silence inaugural d’une nouvelle prise de parole, attendue par Dieu qui parla le premier. La pertinence, la qualité et donc la vérité de cette nouvelle parole sont mesurables à la façon dont elle s’ajuste à la parole divine primordiale. Car « la parole vraie est toujours la réponse à une attente. Voilà pourquoi c’est par le silence et dans le silence que se réalise l’accord de la parole et de la vérité. La parole se trouve accordée à la vérité lorsqu’elle répond à cette attente que la vérité suscite dans l’esprit. » Une réflexion sur le silence du Samedi saint permettra de confirmer cette approche du sabbat, septième et dernier jour de la création.

https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2005-HS-page-93.html
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MessageSujet: Re: silences de Dieu   silences de Dieu Icon_minitimeMer 24 Juil 2024, 15:07

Sur cet article, voir ici 10.11.2021.

Ce n'est pas parce que "tohu-bohu" a pris une connotation sonore en français (confusion plutôt bruyante, vacarme) que la formule correspondante en avait une en hébreu, même si on peut toujours l'inférer du contexte de Genèse 1, abîme océanique (tehom-mayim) et souffle-vent (rouah). Rien ne dit non plus que le dieu qui se repose au septième jour regarde ou écoute sa "création": il l'a assez regardée avant (cf. les r'h, "et Dieu vit", v. 4, 9, 10, 12, 18, 21, 25, 31), entre parole-événement d'"être" ou d'"advenir" (au jussif ou à l'indicatif, "soit x", "qu'il y ait x", et "x fut" ou "il y eut x"), de séparation (h-bdl) et de nomination (qr', appeler) ou de bénédiction (brk)...

Pour rappel, dans les mythes mésopotamiens antérieurs à la Genèse (Atrahasis-Gilgamesh), les dieux créent les hommes pour les charger de leurs travaux et se reposer, or le bruit que font les hommes les empêche précisément de dormir (mauvais calcul). D'où la tentative, ratée aussi, du déluge pour les exterminer.

C'est aussi l'occasion de remarquer que dans le premier récit, le "d/Dieu(x)", 'elohim pluriel singulier, est le seul à parler, y compris au pluriel (faisons l'homme à notre image): du dialogue et de la polyphonie, il n'y en aura qu'à partir du second récit (homme, femme, serpent, Caïn, etc.), où "Yahvé-'elohim" devient lui-même interlocuteur comme les autres, et même interrogateur...
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MessageSujet: Re: silences de Dieu   silences de Dieu Icon_minitimeJeu 25 Juil 2024, 13:44

Du silence dans la prière

La prière naît du silence

Le cri qui ouvre la prière matinale ne peut jaillir que d’un silence : silence de la nuit, silence de la création, silence de la créature. Et déjà ce silence est prière ; sans lui, la Parole ne pourrait pas se dire. Après le mystère de la nuit, le mystère de l’espérance de l’aube entre dans nos vies et féconde un silence de foi. Tantôt c’est l’Esprit qui fait « surgir dans le silence la Parole qui nous recrée1 », Esprit qui « fait tressaillir le silence au fond de toute créature2 ». Tantôt c’est l’Emmanuel « Jésus, Verbe et réponse, qui vient ébranler nos silences [pour] libérer notre voix3 ».

Le silence, frémissement, vibration, confère poids et densité aux mots qu’il habille de chair. Alors, l’effleurement de l’Esprit sur les lèvres du priant le fait sortir du silence et sa bouche peut publier les louanges du Seigneur.

La prière se nourrit du silence

La psalmodie donne au psaume une réelle dynamique interne. D’une certaine manière, on peut dire que la psalmodie fonde la parole dans le silence au rythme de la respiration pour laisser sourdre la prière. C’est pourquoi, après le psaume et la reprise de l’antienne, il est fécond de respecter un silence qui peut éventuellement s’ouvrir sur une oraison psalmique. Ainsi, l’attitude spirituelle modelée par le psaume ne se trouve-t-elle pas rompue. Il en va de même après la lecture de la parole de Dieu où un temps de silence favorise l’intériorisation, car il convient de laisser en nous « mûrir le grain en ton silence[4] » pour lui donner une réponse d’acquiescement. Après les intercessions, le silence extérieur permet de laisser monter en soi des intentions plus personnelles.

La prière conduit au silence

Naturellement, la prière née du silence retourne au silence. Grégoire de Naziance traduit bien cette attitude née de l’incapacité de nos mots à dire l’indicible : « Quelle hymne te dira, quel langage ? Aucun mot ne t’exprime[5] ». Ainsi l’Église des priants balbutie-t-elle devant l’ineffable splendeur de Dieu : « Ô toi, l’au-delà de tout. »

Le silence peut aussi être le signe de la souffrance indicible telle que Jésus lui-même l’a éprouvée : tes effrois m’ont réduit au silence (Ps 87, 17), « L’angoisse me force au silence […] puisque la croix me fait violence[6] », dont le comble tient dans cette oxymore « La Parole en silence… ». Le Verbe de Dieu se tait et « se consume pour nous », il entre dans le silence pour que jaillisse la Parole vivante et éternelle.

Ainsi, convient-il de nous aventurer dans le désert de la prière, où Dieu nous conduit, nous nourrit, nous abreuve et nous sauve, pour que « nous goûtions le silence de Dieu[7] » et reconnaissions que son Esprit est venu nous habiter quand « le silence en nous dit son passage[8] ».

https://liturgie.catholique.fr/celebrer-en-toutes-occasions-sacramentaux/liturgie-des-heures/histoire-et-spiritualite/17610-du-silence-dans-la-priere/
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MessageSujet: Re: silences de Dieu   silences de Dieu Icon_minitimeJeu 25 Juil 2024, 14:28

C'est surtout dans ce fil-ci, bien qu'il soit parti d'un tout autre texte, que nous avons parlé du rapport du "silence" à la prière, aux psaumes, à la "psalmodie" entre parole et chant (en anglais on dit to chant, à ne pas confondre avec to sing), à la "méditation" (qui me rappelle encore cet autre fil, car ce qui se traduit souvent par "méditer" dans les bibles françaises évoque aussi un murmure, entre parole et silence), à la "théologie négative" ou "apophatique".

Les philosophes et les religieux, théologiens ou mystiques (l'un n'empêche pas l'autre), ont ceci de commun que le "silence" (secret, mystère, etc.) les rend intarissables, il les fait parler, écrire, chanter, poétiser, créer sans fin, ou sans autre fin que la leur. On peut évidemment ironiser là-dessus à loisir, mais aussi affiner son oreille, pour entendre dans la parole même ce qui témoigne du silence, même si aussi cela le trahit.

Puisque sur l'autre fil presque parallèle nous parlons aujourd'hui même de Wittgenstein, c'est l'occasion de rappeler à quel point sa vie a été exemplaire d'un rapport compliqué, mais hautement signifiant, de sa parole et de son écriture "philosophique" au silence: un seul court livre publié tôt, en 1918, presque tout le reste à titre posthume.

---

Je note, presque au hasard tant les thèmes du silence et du secret y reviennent continuellement, dans L'écriture du désastre, de Blanchot, p. 51 (cf. de l'autre côté sur Wittgenstein):
"Garder le silence. Le silence ne se garde pas, il est sans égard pour l'oeuvre qui prétendrait le garder -- il est l'exigence d'une attente qui n'a rien à attendre, d'un langage qui, se supposant totalité de discours, se dépenserait d'un coup, se désunirait, se fragmenterait sans fin."

Ou, p. 86:
"Le silence est peut-être un mot, un mot paradoxal, le mutisme du mot (conformément au jeu de l'étymologie [je précise, moi et non pas Blanchot: celle du mot "mot", muttum associé aussi au murmure, comme le "mystère" en grec; on retrouverait la même ambiguïté dans notre motus, même si pour le coup c'est du latin de cuisine française]), mais nous sentons bien qu'il passe par le cri, le cri sans voix, qui tranche sur toute parole, qui ne s'adresse à personne et que personne ne recueille, le cri qui tombe en décri. Le cri, comme l'écriture (de même que le vif aurait toujours précédé la vie), tend à excéder tout langage, même s'il se laisse reprendre comme effet de langue, à la fois subit (subi) et patient, la patience du cri, ce qui ne s'arrête pas en non-sens, tout en restant hors sens, un sens infiniment suspendu, décrié, déchiffrable-indéchiffrable."
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