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 Faut-il toujours dire la vérité ?

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Narkissos

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MessageSujet: Re: Faut-il toujours dire la vérité ?    vérité - Faut-il toujours dire la vérité ?  - Page 2 Icon_minitimeVen 09 Aoû 2019, 19:31

Lien (bis.)

Parmi les oracles à tiroirs du père Lacan (qui avait bien lu Heidegger), j'aime bien aussi: "Moi, la vérité, je parle."

Puisque ta citation nous ramène indirectement à 2 Thessaloniciens, c'est peut-être la notion (par ailleurs banale) d'"amour de la vérité" (2,10) qui mériterait ici (ou ailleurs) plus ample réflexion. Comment la notion "noétique", "logique", "épistémologique" ou "cognitive" de "vérité", liée à la "connaissance" et au "langage", et à leur rapport ou non-rapport à leur "autre" supposé (réel ou réalité présumés totalement ou partiellement "hors-langage"), se trouve également liée à des notions affectives (amour en l'occurrence, mais on pourrait dire aussi désir ou crainte: on peut désirer et/ou redouter la "vérité") et du même coup "volitives" (volonté, nolonté, vouloir ou ne pas vouloir la "vérité" -- en espagnol p. ex., querer dit aussi bien "aimer" que "vouloir" -- avec toutes les notions corollaires de décision, de jugement, de délibération, d'arbitrage et d'arbitraire, de libre- ou de serf-arbitre) -- ou encore "légales", "morales" ou "éthiques" (devoir, exigence, impératif de vérité). Ce qui me rappelle, dans le désordre, les "amis de la vérité" du jargon jéhoviste de ma jeunesse et les interrogations du dernier ou de l'avant-dernier Nietzsche (Généalogie de la morale): pourquoi -- au fait -- vouloir la vérité ? Tout le débat philosophique habituel sur le caractère connaissable ou non, dicible ou non, impossible ou inévitable, bénéfique ou maléfique de "la vérité" laisse dans l'ombre ces questions abyssales, sur ce qui fait qu'on la recherche ou qu'on la fuit, et que le plus souvent on ne fait pas l'un sans l'autre...
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MessageSujet: Re: Faut-il toujours dire la vérité ?    vérité - Faut-il toujours dire la vérité ?  - Page 2 Icon_minitimeLun 12 Aoû 2019, 10:21

« C’est la vérité », dit le menteur : il ne pourrait pas mentir autrement. « Je sais de quoi je parle », dit l’imbécile : il lui faudrait autrement accepter de se taire. Et l’homme intelligent qui se trompe ne se trompe, tout est là, qu’autant qu’il croit avoir raison. La vérité est notre norme à tous, explicite ou implicite, et, pour chacun, son exigence. Saint Augustin l’avait bien vu : nous aimons tous la vérité, et le menteur autant que l’honnête homme. « J’ai rencontré bien des gens avec la volonté de tromper, mais personne qui admît d’être trompé... » Et cela suppose un amour du vrai (« Ils aiment donc la vérité, vu qu’ils ne veulent pas être trompés... ») aussi universel, disait-il, que l’amour du bonheur. À voir comme les gens sont malheureux, cela n’est guère encourageant. On aime surtout ce qu’on n’a pas : l’erreur est le plus probable, peut-être ; et il se pourrait que le mensonge, entre nous, ou le malentendu, fût la règle. Mais l’amour demeure, et l’illusion du vrai. « Les hommes aiment tellement la vérité — c’est encore saint Augustin qui l’écrit — que, quoi qu’ils aiment, ils veulent que ce soit la vérité. » Il y a là un mirage qui mérite d’être pensé.

Trois exemples : l’amant, le militant, le prêtre.

« Je t’aime, dit-il, mon amour, ma vie, ma merveille… » Bien sûr, il exagère (il ne serait pas amoureux autrement) ; mais bien sûr aussi : il y croit. La passion est ce délire, et cette exagération sincère. C’est la cristallisation de Stendhal : croire vrai, de l’autre, tout ce qu’on désire aimer en lui. Sa beauté, son humour, son intelligence, sa sensualité, sa profondeur… Et ce charme surtout, ce charme obscur et mystérieux, cette poésie des commencements… Il leur faudra longtemps, plus tard, pour se pardonner mutuellement de n’être que ce qu’ils sont (et point le rêve que l’autre s’en était fait), et pour s’aimer quand même. Et beaucoup se perdront là, dans ce désert… Car c’est un véritable renversement qu’il faut effectuer, et difficile, une véritable conversion : non plus croire vrai ce que l’on aime (aimer l’autre… tel qu’on le rêve), mais aimer ce qu’on connaît (aimer l’autre, tel qu’il est). Conversion à l’autre, conversion au réel : soumettre, non plus la vérité à l’amour, mais l’amour à la vérité.

Le militant. « Nous sommes le parti de la vérité » Ou bien : « le parti de la justice, de la liberté… » Maïs le parti de la justice, c’est celui qui veut (ou peut) vraiment l’instaurer. Et le parti de la liberté : celui est le mieux à même, en vérité, de la défendre… Tout mot d’ordre, quel qu’il soit, suppose ainsi cette prétention au vrai. Et toute politique est dogmatique en ce sens, qui ne se nourrit que de l’illusion de sa vérité. Si les hommes politiques croyaient avoir tort (ou seulement s’ils savaient qu’ils n’ont ni tort ni raison), feraient-ils encore de la politique ? Tout militant aime la vérité, mais chacun n’aime que la sienne.

Enfin, le prêtre. Ce que dit saint Augustin vaut aussi pour lui (ou contre lui) : il voudrait que ce qu’il aime soit vrai… Il aimerait bien, par exemple, que l’âme soit immortelle, qu’il existe un Dieu bon et tout-puissant, que l’histoire ait un sens (providentiel)… Et il y croit. On peut appeler foi toute croyance qui soumet ainsi la vérité (ce qu’elle croit vrai) à son amour (ce qu’elle aime, ce qu’elle désire). Ainsi croient-ils en Dieu et en la vie éternelle, parce qu’autrement, comme ils disent, « ce serait trop triste… » L’espérance leur tient lieu de preuve. « Le contraire de désespérer — dit Kierkegaard —, c’est croire. » La foi est une espérance dogmatique.

Vérité (religieuse) de l’amant, du militant, du prêtre : je crois en toi parce que je t’aime. Amour et rêve, espérance et foi, labyrinthes et mirages… Cela s’appelle aussi : prendre ses désirs pour la réalité — ce qui est (Freud le dira) la définition même de l’illusion. Dure leçon : la vérité de l’illusion, c’est l’illusion de la vérité.

https://www.cairn.info/education-philosophique--9782130458975-page-172.htm?contenu=resume


En lisant cet article, je me suis demandé si la volonté d'aimer le réel (les choses et le êtres tels qu'ils sont) n'est pas aussi une utopie.


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le chapelier toqué

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MessageSujet: Re: Faut-il toujours dire la vérité ?    vérité - Faut-il toujours dire la vérité ?  - Page 2 Icon_minitimeLun 12 Aoû 2019, 11:16

Lorsque l'on rencontre une personne et que l'on se prend à l'aimer, que voit-on? Une projection de nos fantasmes. Nous avons ainsi l'image réelle de la personne et en surimpression ce que nous recherchons chez autrui sans que nous puissions nous en rendre vraiment compte.

Ce n'est qu'après quelque temps dès que l'illusion n'opère plus, que nous découvrons alors la personne comme elle nous apparait et pas forcément comme elle est. Tout n'est qu'illusion. Sommes-nous prêts à supporter la découverte?
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Narkissos

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MessageSujet: Re: Faut-il toujours dire la vérité ?    vérité - Faut-il toujours dire la vérité ?  - Page 2 Icon_minitimeLun 12 Aoû 2019, 11:42

Dans les parages de la vérité, amour et volonté sont également suspects. (Sur ce point Nietzsche me paraît, à la lettre, incontournable, même si Comte-Sponville réussit, dans ce court article du moins, à le contourner. Pourtant la thèse de la Généalogie de la morale -- pour le dire vite, que la "volonté de vérité", notamment "scientifique", est une variante de l'"idéal ascétique", soit un retournement pervers du désir contre le désir -- se retourne elle-même facilement: renoncer à cette "volonté", ne serait-ce pas un tour d'ascèse et de perversion supplémentaire ?)

Le problème de "la vérité" (Dieu sait combien ce mot nous aura occupés !), c'est d'abord celui de son concept ou de son signifié: savoir de quoi on parle quand on emploie ce mot, c'est-à-dire précisément, la plupart du temps, (savoir) qu'on ne le sait pas. Autrement dit, que "la vérité" est avant tout une question (justement celle du Pilate johannique) et éventuellement une tâche ou une œuvre, "poétique" ou "poïétique" dans toute l'ambiguïté du terme ("faire la vérité", alètheian poiein, formule encore johannique qui a tant marqué saint Augustin, facere veritatem). Ce qui a priori ne la rend pas particulièrement "aimable", et n'en fait pas non plus un "devoir".

Le chapelier toqué a écrit:
Ce n'est qu'après quelque temps dès que l'illusion n'opère plus, que nous découvrons alors la personne comme elle nous apparait et pas forcément comme elle est. Tout n'est qu'illusion. Sommes-nous prêts à supporter la découverte?

Tu fais bien, je trouve, de souligner ce double aspect: la désillusion (seconde) n'est pas nécessairement plus vraie, ou moins illusoire, que l'illusion (première)...
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MessageSujet: Re: Faut-il toujours dire la vérité ?    vérité - Faut-il toujours dire la vérité ?  - Page 2 Icon_minitimeLun 12 Aoû 2019, 13:05

Citation :
Le problème de "la vérité" (Dieu sait combien ce mot nous aura occupés !), c'est d'abord celui de son concept ou de son signifié: savoir de quoi on parle quand on emploie ce mot, c'est-à-dire précisément, la plupart du temps, (savoir) qu'on ne le sait pas. Autrement dit, que "la vérité" est avant tout une question (justement celle du Pilate johannique) et éventuellement une tâche ou une œuvre, "poétique" ou "poïétique" dans toute l'ambiguïté du terme ("faire la vérité", alètheian poiein, formule encore johannique qui a tant marqué saint Augustin, facere veritatem). Ce qui a priori ne la rend pas particulièrement "aimable", et n'en fait pas non plus un "devoir".

Il parait normal que des personnes qui pensaient être dans la "vérité" et être la "vérité", soient (pré)occupées par le concept de "vérité". L'être humain est traversé par un paradoxe, la volonté qu'on lui dise la "vérité" (qu'on lui parle en vérité) et la peur d'entendre ou d'affronter la "vérité" (ce qui implique qu'il préfère par moment le mensonge ou une vérité édulcorée).


LACAN ET LA RECHERCHE DE LA VERITE


L'inconscient échappe à toute définition ; il désigne l'homme lui-même dans cette dimension de son mystère qui ne donne aucune prise à sa conscience.
Parler à l'homme de l'inconscient, c'est lui rappeler ce qu'il s'applique à oublier ; c'est le sauver de cet oubli que tout est organisé pour favoriser en cette fin du vingtième siècle. C'est lui rappeler en effet que son centre est ailleurs qu'en lui-même. C'est lui faire découvrir que le chemin à suivre n'est pas celui que Descartes a inauguré.
« Je pense, donc je suis. »
Cette déduction sur laquelle Descartes prend appui va-t-elle lui permettre de connaître ce "Je" qui pense ? Lacan réplique: "Je ne suis pas ce que je pense." La vérité ainsi formulée jaillit de la découverte de l'inconscient, autrement dit de l'homme lui-même. La reconnaissance de l'inconscient permet à l'homme d'avoir accès à sa réalité; loin de s'enfermer dans les limites de sa vie consciente, il doit s'ouvrir à une relation qui le constitue, à une relation avec l'Autre
Une telle relation suscite une recherche: la recherche de la vérité de la vérité sur l'Autre et inséparablement, de la vérité sur l'homme, constitué par sa relation à l'Autre.


LA VERITE

Jacques Lacan: un homme; donc un chercheur de vérité.
La vérité. Ce que désigne ce mot fait peur. Chacun, comme Pilate, réagit en disant: "Qu'est-ce que la vérité ? et en s'en allant, sans attendre la réponse.
Lacan a découvert, grâce à Freud, le moyen d'entendre la réponse. "Freud, écrit-il, a su laisser, sous le nom d'inconscient, la vérité parler."
Laisser parler la vérité. Voilà le moyen, le seul, de la connaître. Aucun savoir ne donne accès à cette connaissance. Ecouter la vérité est l'unique nécessaire. Si la conscience peut entendre la vérité, elle s'y ferme souvent. L'inconscient est la voix de la vérité refoulée; plus précisément, il est la voie, c'est-à-dire le chemin par lequel elle passe, lorsque l'homme a refusé de l'entendre.
Ici prend place l'intervention du psychanalyste. Il se tait; mais il invite à parler, pour chercher à entendre la vérité qui va passer par des chemins inattendus, la vérité dont va peut-être accoucher l'homme qui parle, non sans douleur.
Ce que Lacan invite le psychanalyste à écouter, est-ce le malade ? C'est bien plutôt la vérité que celui-ci a refoulée la vérité de son désir. C'est ce type d'écoute qui fonde sa méthode de psychanalyste.
Il s'agit d'écouter la vérité pour la dire. Mais Lacan sait "qu'il est impossible de dire toute la vérité c'est par cet impossible que la vérité tient au réel."
Le réel est en effet inaccessible dans sa plénitude. Nous le réduisons à ce que nous en savons, Mais nous pouvons nous ouvrir à la connaissance du réels et répondre ainsi au désir profond qui nous constitue. Mutiler ce désir nous rend malades, psychologiquement, ou spirituellement. La santé, comme la sainteté exige que nous cherchions la vérité, et, pour cela, que nous l'écoutions parler.

LA PAROLE

Nous pouvons répondre ici à notre question initiale, "Pourquoi Jacques Lacan parle-t-il?" Car il parle encore depuis sa mort.
On lui a reproché son style, et l'obscurité qui le caractérise. Il réplique: "il suffit de dix ans pour que ce que j'écris devienne clair pour tous."
En effet chaque fois qu'un homme est porteur, non d'un savoir à communiquer, mais d'une parole invitant à chercher la vérité et, pour cela, à l'écouter, il se heurte à un refus qui se masque souvent derrière une accusation: "Ce qu'il dit est impossible à entendre." (Cf Evangile selon S.Jean 6,60)
Lacan n'a pas parlé pour autre chose que pour ouvrir la porte à la Parole qui vient d'ailleurs, qui est la Parole de l'Autre et dont l'inconscient atteste la présence; cette présence est réelle et elle est manifestée dans sa réalité par la peur qu'elle provoque, et le refus d'écouter qui est le fruit de cette peur. [url=https://www.oedipe.org/actualites/inedits de lacan/lettresamarc/sept81]https://www.oedipe.org/actualites/inedits%20de%20lacan/lettresamarc/sept81[/url]
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MessageSujet: Re: Faut-il toujours dire la vérité ?    vérité - Faut-il toujours dire la vérité ?  - Page 2 Icon_minitimeLun 12 Aoû 2019, 13:45

Ça marchera peut-être mieux avec ce lien.
,
Parenthèse anecdotique: Je suis en train de lire, bien tardivement, un peu de Hegel (l'Encyclopédie); curieusement dans un sens, logiquement dans un autre, il me rappelle beaucoup Lacan, malgré la distance des époques et des disciplines: un goût, un sens, un génie du système, d'inspiration théologique dans les deux cas quoique transposé à un tout autre "domaine"; et en même temps un art(ifice) de la langue qui a un côté "bateleur" et "mystificateur" -- l'un et l'autre ont, en leur temps, été aussi largement vénérés qu'intensément détestés.

J'ai été fasciné par le système lacanien vers la fin de ma brève période de théologie systématique -- autant que je l'avais été par celui, ouvertement théologique ou plutôt christologique, de Karl Barth au début (lequel devait aussi beaucoup à Hegel par son "antithèse" kierkegaardienne). Le propre du système, c'est de rendre intelligible et cohérent ce qui ne l'est pas forcément -- mais au fond c'est au même "besoin" (désir, tentation ?) qu'avait répondu pour moi, de façon beaucoup plus grossière mais aussi cohérente à sa manière, le "système" jéhoviste dans mon adolescence... Il est plus facile de changer de système que de renoncer au système, c.-à-d. à une certaine forme d'"intelligence" globale, totalisatrice et surplombante -- seule la fréquentation des textes, par ce qui précisément en eux relève du "réel" et résiste au "système", y oblige.
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MessageSujet: Re: Faut-il toujours dire la vérité ?    vérité - Faut-il toujours dire la vérité ?  - Page 2 Icon_minitimeLun 12 Aoû 2019, 15:50

On a donc cette première formulation qui fait de la vérité une vérité qui prend la parole, une vérité qui parle et témoigne ainsi d’un sujet à la première personne du singulier, d’un « je ». Quand la vérité parle, c’est « je » qui parle. La vérité ne parle jamais qu’à la première personne du singulier parce qu’elle ne peut pas être sans que ne soit engagé un sujet de l’énonciation. On notera que la formule « moi, la vérité je parle » se trouve dans un article consacré à « la chose freudienne ». C’est donc à propos de cette chose freudienne qu’est l’inconscient que Lacan évoque la vérité. La vérité est ce qui parle. Elle est cette chose qui parle en nous en étant à la fois ce qui nous est le plus étranger, le plus énigmatique, et le plus intime. La vérité — celle de l’inconscient — consiste en ceci que « ça parle » et lorsque « ça parle » il arrive que « je » parle. C’est pourquoi, la vérité parle là où nous n’en savons rien, là où ne voulons rien en savoir et non pas là où nous supposons la dire et la savoir. C’est en ce point que se retourne le sujet cartésien du « je pense donc je suis » en un « je suis là où je ne pense pas ».

Si la vérité parle comment se dit-elle ? Comment la vérité de l’inconscient prend-elle la parole ? À cette question, la réponse de Lacan — ici encore en continuité
de Freud — consiste à défaire un simple rapport d’opposition entre la vérité et le mensonge ou entre la vérité et l’erreur. C’est un second élément à noter. La vérité
qui parle et qui, parlant, dit « je » est une vérité rejetée, refoulée, exclue, parce que la vérité est toujours douloureuse, dérangeante ou insupportable. Elle n’est pas cette sorte de vérité dont on contemple la beauté avec ravissement, mais celle dont on se détourne, celle qui souvent nous horrifie et qu’on préfère réduire au silence. C’est une vérité exclue qui fait sans cesse retour — d’où la thèse de Lacan selon laquelle le refoulé n’est rien d’autre que le retour du refoulé — et là où elle a été censurée elle prend des chemins détournés pour se dire. Soutenir que la « vérité parle », c’est non seulement affirmer que l’essence de la vérité est de se dire, mais aussi qu’elle est plus puissante que la volonté de ne rien en savoir ou de la bâillonner. Quoi qu’on fasse, la vérité trouve toujours le moyen de parler. Là où on cherche à la faire taire, elle revient sous de multiples déguisements pour prendre la parole et comment mieux se déguiser que sous son contraire, c’est-à-dire dans le mensonge. C’est pourquoi, sur ce plan, même si le mensonge est l’envers de la vérité, il n’est rien d’autre en réalité que son expression ou la façon dont elle se manifeste quand on ne veut ou ne peut rien en savoir. Le mensonge est la vérité qui parle, comme le manifeste classiquement la dénégation où le « ce n’est pas ça » veut dire « c’est ça ».


Peut-être d’ailleurs est-ce de cette façon qu’on peut comprendre cette phrase de l’Évangile où Jésus déclare « je suis la vérité », à côté de ceci qu’il dit être le chemin et la vie (cf. Jn 14,6). En disant qu’il est la vérité, il ne dit pas qu’il révèle quelque chose comme la vérité, mais que la vérité est la révélation du « je » qui parle. D’une certaine manière, il ne révèle rien d’autre que ceci que la révélation n’est pas révélation de quelque chose, mais de quelqu’un. Il est d’ailleurs frappant de constater que, dans l’Évangile de Jean, Jésus déclare sans cesse qu’il va révéler ce qu’il a entendu auprès de son Père et qu’il n’en dit jamais rien (« Je n’ai pas parlé de moi-même, mais le Père, qui m’a envoyé, m’a prescrit lui-même ce que je dois dire et annoncer. Et je sais que son commandement est la vie éternelle. C’est pourquoi les choses que je dis, je les dis comme le Père me les a dites » - Jn 12,49-50). https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2015-v71-n1-ltp02142/1033684ar.pdf


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MessageSujet: Re: Faut-il toujours dire la vérité ?    vérité - Faut-il toujours dire la vérité ?  - Page 2 Icon_minitimeLun 12 Aoû 2019, 17:17

Excellent article -- on regrettera décidément J.D. Causse.

On pourrait souligner que le "je" du Christ johannique se dit précisément "la vérité" en tant qu'il renvoie, non à l'identité réflexive d'un "soi", mais à un autre (d'où aussi la "vérité" en question peut être dite "chemin" et même "vie": cf. la suite, "qui m'a vu a vu le Père", et tous les "non pas moi, mais le Père / celui qui m'a envoyé"). C'est bien la place et la fonction de toute "vérité" que de se référer à un "réel" qu'elle n'est pas mais qu'elle représente, ou dont elle témoigne, et qui ne saurait se manifester que par elle -- ou, selon les termes du Prologue, la place et la fonction du logos que d'être parole, expression, vérité ou "exégèse" (v. 18) d'un autre que nul n'a jamais vu ni entendu. Du "je est un autre" de Rimbaud aux formulations heideggériennes de la vérité (alètheia) comme déclosion ou désabritement d'un "e(s)tre" dont le fond demeure inaccessible, sinon par la parole de l'être-là, les résonances de ce motif sont innombrables.

D'autre part, le rapport ou non-rapport de la vérité (ou du logos) à l'écriture est aussi l'objet du débat (différé comme il se doit) entre Lacan et Derrida.
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MessageSujet: Re: Faut-il toujours dire la vérité ?    vérité - Faut-il toujours dire la vérité ?  - Page 2 Icon_minitimeLun 10 Jan 2022, 11:08

Les tics de l'actu-LE MENSONGE-Pascale Seys

https://www.youtube.com/watch?v=GRn92oXQZos
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MessageSujet: Re: Faut-il toujours dire la vérité ?    vérité - Faut-il toujours dire la vérité ?  - Page 2 Icon_minitimeLun 10 Jan 2022, 13:38

[La vidéo suivante, d'un tout autre auteur (Raoult) et sur un tout autre sujet, est aussi intéressante, elle rejoint d'ailleurs sur la fin le thème de la "vérité" du côté de la "science": bien que la "science" en un sens ne s'occupe que de "vérité" et ne se justifie que par elle, elle ne saurait énoncer de "vérité" absolue ni définitive, et ce à mon avis (Raoult ne le dit pas, mais il n'en est pas loin) pour plus d'une "raison". Si, avec Popper, on définit le "scientifique" (non le "sujet" mais l'"objet" de la "science", non l'individu ou la communauté "scientifique" mais les "disciplines scientifiques", leurs fins, leurs moyens, leurs méthodes, leurs résultats le cas échéant) comme le "réfutable" (falsifiable en anglais), une "vérité scientifique" est par définition provisoire, donc pas une "vérité" du tout au sens ordinaire, ou alors elle n'est plus "scientifique" -- à cet égard la "vérité scientifique" se rapprocherait plutôt de la "vérité judiciaire" qui, comme on ne le sait que trop, inclut souvent l'"erreur judiciaire". Mais plus profondément la "vérité scientifique", surtout vulgarisée et médiatisée, est comme toute "vérité" tributaire du langage et spécialement de la nomination qui assigne à des "choses" infiniment variables des identités fixes -- ce qui se vérifie, si l'on peut encore dire, admirablement dans le domaine technoscientifique de la médecine: "le Covid", "le virus", "la maladie", "la pandémie", ce sont autant de mots qui donnent artificiellement une illusion d'identité et par là même d'intelligibilité verbale à un "phénomène" ou à un "événement" essentiellement changeant, en désignant arbitrairement des "choses" constantes là où il n'y a que du mouvant.]

J'ai relu (avec plaisir) ce fil, pour éviter de répéter ce qui y a déjà été dit -- j'y introduirais tout au plus, ce qui est une autre façon de dire des choses déjà dites, la notion de sincérité qui peut être une nuance utile: celui qui croit "dire la vérité" est tout au plus "sincère", ce qui exclut en principe le "mensonge" mais ne met pas à l'abri de l'"erreur" -- pourtant même la "sincérité" est faussée quand elle s'attache à une "cause" ou à une "intention" (religieuse, politique, morale) plutôt qu'aux "faits" (nous en savons quelque chose).

Le topo de Pascale Seys met toutefois en évidence un aspect "esthétique" ou plutôt "callistique" de la "vérité" (mentir ce n'est pas beau) dont nous n'avons guère parlé, et qui est profondément lié à la tradition philosophique grecque où le beau et le bon, ou le bien (to kalon k'agathon), sont indissociables du "vrai" (surtout chez Platon et dans son innombrable postérité). C'est à cette tradition que Nietzsche s'est le plus constamment opposé, parce qu'elle transforme le "monde vrai" (donc bel et bon) en "fable", ou en "arrière-monde" déconnecté de toute "réalité", à la limite en antithèse absolue du "monde réel" (donc en erreur et en mensonge suprêmes). Entre la "vérité" (éventuellement moche) et la "beauté" (probablement fausse) il n'y a pas forcément à choisir, mais force est de constater que pour nous elles ne vont plus de pair (de fait c'est plutôt le mensonge qui se justifie par la volonté "artistique" d'enjoliver les choses, de rendre la "vérité" moins laide, mais aussi moins "vraie")...
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MessageSujet: Re: Faut-il toujours dire la vérité ?    vérité - Faut-il toujours dire la vérité ?  - Page 2 Icon_minitimeLun 10 Jan 2022, 14:08

Citation :
[La vidéo suivante, d'un tout autre auteur (Raoult) et sur un tout autre sujet, est aussi intéressante, elle rejoint d'ailleurs sur la fin le thème de la "vérité" du côté de la "science": bien que la "science" en un sens ne s'occupe que de "vérité", elle ne saurait énoncer de "vérité" absolue ni définitive, et ce à mon avis pour plus d'une "raison".

J'avais déjà visionné cette vidéo du Pr RAOULT et j'avais noté la question des 35% d'infections post-vaccinales ... Il ne va pas se faire que des amis.


Étienne Klein

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Physicien et philosophe des sciences, directeur du Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière au CEA de Saclay, auteur notamment de « Le goût du vrai », paru en 2020 aux éditions Gallimard.


OUI

La science est parvenue à de nombreuses reprises, parfois au prix de longues années de controverses, à apporter des réponses claires et convaincantes à des questions bien posées. Ces « vérités » peuvent encore évoluer, évidemment, mais sont peu susceptibles d’être complètement remises en cause. Toutefois, la formulation de certaines d’entre elles doit être remaniée pour tenir compte de l’évolution des connaissances. La science n’aurait pas de sens si elle n’avait pas pour horizon l’idée de vérité, mais il faut toujours rester prudent et précis dans la façon d’énoncer les vérités dites « de science ». L’un des problèmes que nous avons actuellement, c’est que l’on confond la science et la recherche, qui sont pourtant deux choses très différentes. Il existe d’une part un corpus de connaissances scientifiques en lequel on a toutes les bonnes raisons d’avoir confiance, et d’autre part des questions dont la réponse n’est pas encore connue. Un chercheur a conscience de ce que l’on sait et de ce que l’on ne sait pas : chercher, c’est douter ! Mais si l’on confond science et recherche, alors l’idée de doute, consubstantielle à la recherche, colonise l’idée même de science, et on en vient à dire : « la science, c’est le doute ». Mais si la science, c’est le doute, alors pourquoi nous interdirions-nous de la contester à partir de notre propre « ressenti », de nos croyances, de nos convictions ? Cela promeut en outre l’ultracrépidarianisme (comportement qui consiste à donner son avis sur un sujet sans pour autant posséder de compétences crédibles.) : tous ces soi-disant experts qui parlent avec beaucoup d’assurance de sujets qu’ils ne maîtrisent guère ! Confondre science et recherche a donc des effets ravageurs.

(Mon commentaire : Les scientifiques ne sont-ils pas influencés par leur "propres ressentis", "leurs croyances" et "leurs convictions" ... En sont-ils totalement déconnectés ?). 

Dominique Costagliola

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Épidémiologiste, directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Sorbonne Université, Inserm), Grand Prix de l’Inserm 2020 pour l’ensemble de ses travaux, notamment sur le VIH et la Covid-19.

OUI, MAIS

Plus qu’une réalité, je pense que la vérité scientifique est un objectif à atteindre, car les connaissances se construisent jour après jour. Elles se fabriquent à plusieurs et peuvent évoluer dans le temps. Il arrive par exemple que l’on apprenne quelque chose pendant sa formation, et que l’on découvre finalement au cours de sa carrière que c’était faux ! D’ailleurs, je préfère parler de connaissances scientifiques plutôt que de vérité. Et il faut avoir l’humilité suffisante pour penser que, peut-être, nous n’avons pas tout vu, pas tout compris d’un phénomène. À ce propos, j’aime comparer la science à un endroit que j’aime tout particulièrement : le jardin sec du Ryoan-ji, à Kyoto, au Japon. Dans ce jardin, 15 pierres sont disposées sur un lit de cailloux parfaitement ratissés. Où que l’on se place pour contempler ce jardin, on ne voit jamais plus de 14 pierres à la fois. C’est la même chose lorsque l’on met en place un dispositif expérimental pour étudier scientifiquement un fait : on voit peut-être 14 pierres, mais on ne sait pas s’il y en a en réalité 15 ou bien des dizaines de milliers ! Garder cela en tête permet de rester modeste par rapport aux découvertes que l’on fait. Il faut aussi bien comprendre que les connaissances scientifiques ne peuvent pas être considérées de manière isolée, en dehors de leur contexte historique ou politique par exemple. Et qu’il est normal qu’il existe des débats d’idées entre communautés d’experts. Car c’est aussi comme cela que l’on peut espérer tendre vers la vérité scientifique.

https://www.frm.org/nos-publications/actualites/la-verite-scientifique-existe-t-elle
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Narkissos

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MessageSujet: Re: Faut-il toujours dire la vérité ?    vérité - Faut-il toujours dire la vérité ?  - Page 2 Icon_minitimeLun 10 Jan 2022, 14:48

J'aurai au moins appris un mot amusant (quoique la notion soit plutôt banale), qui ne devrait pas être difficile à placer dans la conversation par les temps qui courent, pourvu qu'on ne rechigne pas à la cuistrerie... Wink

Le problème, c'est qu'on ne peut pas (et/ou on peut de moins en moins) distinguer en fait ce qu'il faudrait distinguer en droit ou en principe: la "vérité", la "science" (= connaissance, savoir, mais aussi discipline ou méthode), la "technique" (impliquée aussi bien dans la "recherche" que dans la "science appliquée", notamment en médecine), l'"éducation", la "politique", la "sociologie", la "psychologie", la "morale", l'"économie", la "finance", l'"industrie", la "communication", et bien sûr le "langage" qui traverse et surdétermine tous les "champs" juxtaposés ou superposés mais plus du tout délimitables entre eux. L'"idéal de vérité" peut rester intact et affecter diversement toutes les couches de ce millefeuille, mais il n'est accessible nulle part, sauf à se confondre avec l'ensemble dans un sens à la fois tautologique et totalitaire. Et pour peu que l'ensemble résiste à l'unité, à l'uniformité et à l'unanimité absolues, les divergences et les contestations n'en feront pas pour autant l'économie de la "vérité", elles aussi devront s'y référer pour se faire entendre ou se justifier, ne serait-ce qu'à leurs propres yeux: la "vérité" censée assurer l'accord universel assure en fait le désaccord sans fin (le Yahvé littéralement "dia-bolique" de Babel ne l'aurait d'ailleurs pas voulu autrement).
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Faut-il toujours dire la vérité ?
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