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| L'homme, un être de désir | |
| | Auteur | Message |
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free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: L'homme, un être de désir 24.09.18 13:13 | |
| "Tout le travail de l'être humain est pour sa bouche, et pourtant son désir n'est pas comblé.
Que reste-t-il de plus au sage qu'à l'homme stupide ? Quel avantage a-t-il, le pauvre qui sait, pour marcher devant les vivants ? Mieux vaut voir de ses yeux que de laisser aller son imagination : c'est encore là futilité et poursuite du vent." Qo 6,7-9
Le désir semble contradictoire, il traduit une puissance d'exister, il colore la vie et d'un autre côté, il confronte l'homme à l'impuissance d'un désir insatisfait. Pourtant vivre, c'est désirer. La sagesse bouddhique propose l'extinction du désir comme seul moyen d'apaiser la souffrance du désir insatiable. On ale sentiment que l'homme est condamné à connaitre la frustration d'un désir inassouvi ou l'ennui d'une vie sans désir. C’est clair pour Qohélet, le désir est illimité et l’être humain n’est donc jamais satisfait. Le v 9 ; est traduit de différentes façons :
"Mieux vaut voir de ses yeux que de laisser aller son imagination" (NBS)
"Mieux vaut la vision des yeux que le mouvement de l’appétit"(TOB) |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: L'homme, un être de désir 24.09.18 14:50 | |
| Le désir est ce qui fait souffrir l'homme, lorsque ce dernier est en passe d'acquérir quelque chose; son plaisir est au maximum à l'instant d'obtenir ce vers quoi il s'est tourné de toutes ses forces.
Et puis après commence l'horrible processus de l'habitude, ce qui était nouveau devient banal l'homme le voit journellement et ainsi nait son insatisfaction... |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12457 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: L'homme, un être de désir 24.09.18 17:47 | |
| En Qohéleth 6,7ss, "désir", "imagination" ou "appétit", c'est "l'âme" (npš-nephesh). Toutes traductions légitimes, même si on peut en regretter l'incohérence.
Personne, je pense, n'a posé aussi radicalement la question que "Paul" en Romains 7, en discernant dans la "loi", sous l'espèce du dernier commandement du Décalogue, l'interdiction du désir (epithumia) même, quel qu'en soit l'"objet" -- raison de plus pour ne pas le traduire par "convoitise". |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: L'homme, un être de désir 25.09.18 9:37 | |
| - Citation :
- Et puis après commence l'horrible processus de l'habitude, ce qui était nouveau devient banal l'homme le voit journellement et ainsi nait son insatisfaction...
Qohélet avait compris que l’être humain n’est donc jamais satisfait, "Tous les torrents vont à la mer, et la mer n'est pas remplie" (1,7) ; "ses propres yeux ne sont jamais rassasiés de richesses" (4,8 et "s'il n'est pas rassasié de bonheur" (6,3). Le Ps 131,2 ; encourage la satisfaction et le contentement : " Au contraire, je me suis fait calme et tranquille, comme un enfant sevré avec sa mère ; je suis avec moi-même comme un enfant sevré" - Citation :
- Personne, je pense, n'a posé aussi radicalement la question que "Paul" en Romains 7, en discernant dans la "loi", sous l'espèce du dernier commandement du Décalogue, l'interdiction du désir (epithumia) même, quel qu'en soit l'"objet" -- raison de plus pour ne pas le traduire par "convoitise".
C’est pourquoi, à un moment donné, Lacan surprend son auditoire en insérant dans son propos, sans le signaler, un passage du chapitre 7 de l’Épître aux Romains où il a remplacé malicieusement « péché » par « Chose », donc cet objet maternel et incestueux que l’être humain cherche sans jamais pouvoir le retrouver puisqu’il a toujours déjà été perdu :"Est-ce que la Loi est la Chose ? Que non pas. Toutefois je n’ai eu connaissance de la Chose que par la Loi. En effet, je n’aurais pas eu l’idée de convoiter si la Loi n’avait dit — Tu ne convoiteras pas. Mais la Chose trouvant l’occasion produit en moi toutes sortes de convoitises grâce au commandement, car sans la Loi la Chose est morte. Or, moi j’étais vivant jadis, sans la Loi. Mais quand le commandement est venu, la Chose a flambé, est venue de nouveau, alors que moi, j’ai trouvé la mort. Et pour moi, le commandement qui devait mener à la vie s’est trouvé mener à la mort, car la Chose trouvant l’occasion m’a séduit grâce au commandement, et par lui m’a fait désir de mort" La loi nous interdit l’accès à la Chose qui nous manque toujours — et qui est en vérité impossible à avoir —, mais elle donne aussi de la désirer, c’est-à-dire qu’elle nous donne d’être animé par un désir qui se trouve toujours relancé et dont l’accomplissement coïnciderait avec l’extinction du désir, donc sa mort. La dialectique du désir organise tout un art de la transgression avec des modalités possibles de la jouissance. Si nous désirons ce qui nous est interdit, la loi est en effet ce que nous transgressons constamment, de bien des manières, sans jamais récuser ce à quoi elle fait obstacle. Si nous pouvions atteindre ce qu’elle interdit — ce qui est impossible puisque le manque est constitutif de l’humain — nous serions dans la désolation, le chaos et la mort du désir. En ce sens, Paul peut affirmer que la loi est ce qui nous rend démesurément pécheur. Il y a un nœud impossible à défaire de la loi, du désir et de la transgression. Et, d’une certaine façon, la découverte paulinienne consiste à montrer que le transgresseur est moins celui qui se moque de la loi que celui qui s’efforce de lui être fidèle parce qu’en réalité la loi elle-même engendre sa propre transgression. C’est pourquoi, la loi révèle une face mortifère dans la recherche d’un bien. De son côté, Georges Bataille a éclairé ce même aspect en situant la jouissance de la transgression dans un rapport au sacré et le lieu d’une érotique. Lacan a repris de Paul toute une dialectique de la loi et du désir qui éclaire l’expérience de la psychanalyse, notamment en ce qu’elle se distingue de cette autre forme de la transgression qu’est la perversion.La question est alors de savoir s’il y a un dépassement de la dialectique paulinienne de la loi et de sa transgression, c’est-à-dire finalement ce que la tradition biblique a mis sous le nom de « salut ». La résolution paulinienne de la loi peut être interprétée à la lumière du développement proposé par Lacan, dans L’éthique de la psychanalyse, à propos de la loi qui tout à la fois interdit et soutient le désir puisque nous désirons ce que nous ne pouvons pas avoir et que, de ce fait, nous nous représentons comme interdit. Cela nous constitue comme pécheur et fait aussi de nous des êtres de désir. En ce sens, il n’existe pas de désir, donc d’être humain, sans qu’il ne soit toujours pécheur. Seul pourrait se dire sans péché celui qui serait totalement réconcilié avec le manque constitutif de son être.https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2012-v68-n3-ltp0550/1015253ar/ |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12457 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: L'homme, un être de désir 25.09.18 10:52 | |
| Merci encore de ce très bon article -- Causse me semble décidément y mettre de la méthode, ce qui n'est pas du luxe dans ce "théo-lacanisme" francophone que j'ai connu, dans les années 80-90, sous des formes plus "sauvages" qui partaient, comme on dit, dans tous les sens (Dolto, Balmary, Ansaldi, etc.).
D'un point de vue clairement plus "théâtral" que "thérapeutique", il me semble important de dire aussi que tous les rôles doivent être joués pour que le drame existe: et le désir brut, violent, irréfléchi, opaque à lui-même, et son auto-destruction tragique, et tous ses modes de transaction et de composition avec la "réalité", plus ou moins médiocres ou retors, et aussi toutes ses formes de repli, du "bourgeois" à l'"ascétique" (Lacan a aussi une compréhension assez profonde du bouddhisme, même si ce n'est manifestement pas sa "voie"). Le "désir" même ne se déploie que dans la différence qui suppose toutes les positions et tous les parcours, dans la différence de leurs proportions (différences relatives, mesurées, tolérables dans des "masses" relativement "normales", différences exceptionnelles des anomalies et des marges en tout genre). Il y a des positions et des parcours "types", "remarquables", qui se présupposent les uns les autres et entre lesquels il n'y a aucune raison générale de "choisir" -- il n'y a que des raisons particulières qui ne constituent même pas forcément des choix, dans la "distribution" générale de la pièce, des masques et des personnages... Une telle vision "détachée" n'étant elle-même pas meilleure que les autres, mais un "rôle" parmi les autres, nécessaire comme les autres. |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: L'homme, un être de désir 25.09.18 13:40 | |
| Ainsi, je n'aurais pas su ce qu'était le désir si la loi n'avait pas dit : Tu ne désireras pas."
En effet, quand Paul déclare, d’une certaine manière, que « la loi fait le péché », il élabore une dialectique subtile où la loi est à la fois ce qui interdit et ce qui suscite le désir. La loi donne de désirer ce qu’elle interdit.
"N'aimez pas le monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui ; car tout ce qui est dans le monde, le désir de la chair, le désir des yeux et la confiance présomptueuse en ses ressources, tout cela n'est pas du Père, mais du monde.Or le monde passe, et son désir aussi ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure pour toujours." 1 Jean 2, 15-17
Être né de Dieu, suppose-t-il de faire mourir tout désir ?
Le désir est de nature ambiguë. Tour à tour, il est manque (Platon, Sartre), ou production (Hegel). Il est à la fois un creux au cœur de l’homme et une création authentique. Si le désir est un manque perpétuel car il n’est jamais totalement satisfait, il est aussi le mouvement par lequel on peut accroître les perfections de son être. http://www.vox-populi.net/spip.php?article186 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12457 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: L'homme, un être de désir 25.09.18 18:44 | |
| Il y a quand même, me semble-t-il, une grosse différence entre le texte paulinien et son interprétation lacanienne (et plus généralement psychanalytique, psychologique et moderne): que la loi produise le désir en l'interdisant, pour "nous" c'est une vertu équivoque, un "bien" et un "mal" à la fois, voire un "mal" pour un "bien". Chez "Paul" c'est une catastrophe, univoque; pas irrémédiable sans doute, mais dont le remède est hétérogène, ressortit à un tout autre régime: non plus la "loi" mais la "foi", l'"amour", la "grâce", l'"esprit", etc. Toutes choses qui peuvent aussi générer du "désir" mais autrement que dans l'économie de la "loi" (il est d'ailleurs très intéressant d'observer les mentions positives du désir dans les textes pauliniens, qui peuvent relever du lapsus, de l'incohérence involontaire, mais aussi d'une affirmation tout à fait délibérée et significative; cf. p. ex., pour epithumeô et epithumia, Galates 5,16s; Philippiens 1,23; 1 Thessaloniciens 2,17).
Une question plus fondamentale est peut-être celle du "sujet du désir": qui ou qu'est-ce qui "désire" ? La réponse unanime de la psychanalyse (sauf peut-être chez Jung, ou du moins de façon beaucoup plus profonde et nuancée), c'est MOI, ou JE -- non sur un mode indicatif mais impératif, non comme un "fait" mais comme une "injonction", emblématiquement dans le mot d'ordre de Freud, wo Es war, soll Ich werden (là où "ça" était, où il y avait du "ça", JE dois advenir, il faut que J'advienne). Assumer son désir, se l'approprier, le faire sien, "ne pas céder sur son désir" comme dit Lacan, c'est le devoir fondamental, l'"impératif catégorique" de la psychanalyse (ce qui n'a rien à voir avec le fait de "réaliser" ou non son désir; une fois qu'on l'a "assumé" on peut aussi bien y renoncer). Il me semble que le paulinisme dit tout autre chose: ce qui "désire" ce n'est jamais "moi", c'est "le péché", "la chair", les "membres", l'"âme" au sens "animal", "le diable", "la loi", "les puissances cosmiques" etc., OU BIEN "Dieu", "le Christ", "l'Esprit", "l'amour", "la foi", etc. La part du "sujet", "humain", "personnel", est beaucoup plus réduite, c'est seulement ce qui passe d'un "désir" à l'autre comme d'un "régime" ou d'un "empire" à l'autre, sans en être jamais l'origine. Plutôt par la voie du "mystère" dans la version paulinienne (mourir / ressusciter avec le Christ), plutôt par la voie de la "révélation" dans la version johannique (reconnaître en Dieu, dans le Christ, dans l'Esprit son origine véritable), sans toutefois exagérer les oppositions car les deux "systèmes" ont beaucoup en commun. Dans un sens, la pensée johannique (et gnostique) paraît se rapprocher davantage de la pensée moderne parce qu'elle fait une part plus belle, et même "divine", au "sujet" -- mais à une condition exorbitante pour un "sujet" moderne: de ne pas se croire "autonome", de ne pas se prendre pour sa propre "origine".
--- En revenant au post initial (je m'aperçois après coup que nous sommes dans la rubrique "un jour, un verset", et je regrette un peu d'avoir fait dévier le sujet vers l'épître aux Romains), je trouve très intéressant le rapprochement entre le stéréotype "psy" "l'homme-être-de-désir" et ces textes de Qohéleth qui parlent de npš, ce mot qu'on a généralement traduit psukhè, puis anima, puis "âme" (etc.). Il y va bien du "désir", de l'"appétit", de l'"imagination" si l'on veut, mais encore plus largement de l'"affect", de la "sensibilité" et de l'"animal". Or cela nous emmène assez loin de la psychanalyse, surtout lacanienne, qui réserve le concept de "désir" à l'homme en tant que celui-ci a affaire au "langage" et au "symbole", et par là à l'"imaginaire". L'âme, le désir, l'affect, cela vient de beaucoup plus loin que "l'homme" et que "le langage" -- Spinoza l'entendait peut-être mieux que beaucoup d'autres parce qu'en vertu de sa tradition juive il entendait encore npš dans "l'âme", et pas seulement la "chose pensante" (res cogitans) et "rationnelle" de Descartes, héritier de la scolastique chrétienne et aristotélicienne (où l'âme était devenue ce qui différenciait "l'homme" de "l'animal", en tant que zôon logikon ou animal rationale). |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: L'homme, un être de désir 26.09.18 8:43 | |
| - Citation :
- En revenant au post initial (je m'aperçois après coup que nous sommes dans la rubrique "un jour, un verset", et je regrette un peu d'avoir fait dévier le sujet vers l'épître aux Romains), je trouve très intéressant le rapprochement entre le stéréotype "psy" "l'homme-être-de-désir" et ces textes de Qohéleth qui parlent de npš, ce mot qu'on a généralement traduit psukhè, puis anima, puis "âme" (etc.). Il y va bien du "désir", de l'"appétit", de l'"imagination" si l'on veut, mais encore plus largement de l'"affect", de la "sensibilité" et de l'"animal".
À mon avis, la traduction par « être-de-désir » a l’avantage de souligner que le mot npš désigne à la fois la faim, l’appétit, le désir et l’individu, le moi, l’être concret. Cette traduction a également l’avantage de bien rendre compte du sens du mot npš non seulement dans les trois autres versets du chapitre 6 (Qo 6,2.3.9), mais aussi dans les trois autres passages du livre (Qo 2,24 ; 4,8 ; 7,28). En outre, cette traduction du mot npš par « être-de-désir » respecte le double sens du v. 7b. En effet, travailler pour se nourrir ne saurait combler l’être humain, car celui-ci a certes des besoins matériels, mais il est avant tout défini comme un être-de-désir. Par ailleurs, sachant que travailler pour sa bouche, c’est aussi travailler pour son bonheur, il n’est pas étonnant que Qohélet utilise le mot npš pour affirmer que c’est le bonheur qui n’arrive pas à satisfaire l’être humain qui est un être-de-désir. En effet, un examen du livre de Qo indique que le désir par excellence de l’être-de-désir est le désir de bonheur (ṭwb / ṭwbh : Qo 2,24 ; 4,8 ; 6,3), qui se caractérise par des réalités concrètes : le manger et le boire (Qo 2,24), la richesse, les ressources et la gloire (6,2) et la rencontre d’une femme (Qo 7,28 ; voir 9,7-10). En somme, tout le labeur de l’être humain a beau avoir pour but de lui procurer du bonheur (Qo 6,7a), l’être-de-désir qu’il est le condamne à rester un être insatisfait (Qo 6,7b). Il n’y a donc de satisfaction que restreinte et de bonheur que limité.https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2014-v22-n2-theologi02419/1035691ar/ |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12457 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: L'homme, un être de désir 26.09.18 11:10 | |
| Pour moi, "être-de-désir" n'est pas du tout une traduction (je surréagis sans doute à cette formule que j'ai trop entendue dans des discours pétris de psychanalyse mal digérée), mais une définition (comme "système de choses" pour aiôn); utile cependant dans le commentaire ou la méditation pour comprendre ce qui est à penser dans npš, psukhè, anima ou même "âme", à condition (mais c'est difficile) que ça ne noie pas les textes dans le prêt-à-penser d'une théorie psychologique particulière ou éclectique.
L'article de Lavoie est extraordinairement riche et intéressant; en particulier sur le rapport entre "désir" et "mort", là encore non pas comme généralité psychologique mais dans le texte même de Qohéleth (le désir, l'appétit vital de "l'âme" se retourne en désir de la mort, au sens le plus subjectif du génitif: "l'âme" est insatiable comme "la mort" qui l'engloutit; la conclusion du Cantique des cantiques dit à peu près la même chose de l'"amour").
(Accessoirement, c'est aussi une excellente illustration du rapport "signal/bruit" dans l'exégèse "professionnelle": entre la masse des "données", des "hypothèses", des "sources secondes", commentaires, études, thèses, qu'il faut brasser, discuter, évaluer, réfuter pour produire une exégèse techniquement recevable, et les remarques véritablement utiles qui s'en dégagent -- dont 80% au moins, à vue de nez, se dégageraient aussi bien d'une lecture attentive du texte, sans passer par là -- la disproportion est hallucinante. C'est aussi ce qui m'avait frappé dans les cours d'exégèse: entre la première approche du texte à la première séance et les conclusions de la dernière, les différences étaient minimes, mais entre-temps on avait passé plusieurs mois à discuter et à écarter systématiquement des hypothèses dont on savait au premier coup d'œil qu'on ne les retiendrait pas.) |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: L'homme, un être de désir 28.09.18 13:03 | |
| - Citation :
- L'article de Lavoie est extraordinairement riche et intéressant; en particulier sur le rapport entre "désir" et "mort", là encore non pas comme généralité psychologique mais dans le texte même de Qohéleth (le désir, l'appétit vital de "l'âme" se retourne en désir de la mort, au sens le plus subjectif du génitif: "l'âme" est insatiable comme "la mort" qui l'engloutit; la conclusion du Cantique des cantiques dit à peu près la même chose de l'"amour").
" Assurément, le vin est traître : l'homme hautain ne reste pas tranquille, il élargit son gosier comme le séjour des morts. Comme la mort, il est insatiable. Il attire à lui toutes les nations, il rassemble auprès de lui tous les peuples." Ha 2,5"Le séjour des morts et le monde des disparus ne peuvent être rassasiés ; de même les yeux de l'homme ne peuvent être rassasiés." Pr 27,20 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12457 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: L'homme, un être de désir 29.09.18 9:48 | |
| N.B.: en Habacuc 2,5 c'est encore npš (nephesh), traduit(e) concrètement par "gosier" à cause de l'image de la gueule grand ouverte, toujours prête à tout engloutir, comme la mort ou le she'ol; la traduction doit nécessairement varier pour faire apparaître au mieux le sens le plus apparent dans chaque contexte, mais elle perd aussi quelque chose en variant, qu'elle ne peut compenser qu'en note: on voit bien qu'ici les sens abstraits "désir" ou "appétit", pour être moins "imagés", resteraient foncièrement justes, et qu'on ne parle pas d'autre chose en disant "gosier", "désir" ou "appétit" que de ce qu'on appelle ailleurs (ou non) "âme". Autrement dit, la "polysémie" n'est pas constituée en l'occurrence de plusieurs "sens" hermétiquement séparés les uns des autres, entre lesquels il faudrait "choisir le bon" en oubliant tout à fait les autres, mais d'un continuum sémantique présentant ici et là des aspects particuliers, dont chacun fait cependant résonner tout l'ensemble (âme, désir, appétit, faim et soif, bouche qui aspire, qui dévore, mais aussi qui parle, demande, exige, séduit, trompe et attire, on parle toujours de la même "chose" dans l'immense diversité de "ses" manifestations, par lesquelles elle communique aussi avec d'autres "mots", sinon d'autres "choses": les "yeux" p. ex. qui expriment également "l'âme", "le désir", etc.).
En ce qui concerne Qohéleth, il est tout à fait plausible que ses références "psychologiques" à la npš-désir (etc.) se doublent d'allusions "théologiques" à la npš-âme, telle qu'elle est investie à son époque par le désir religieux sous influence perse puis hellénistique: survie de l'âme, récompenses et châtiments dans l'au-delà, réincarnation parfois, en attendant éventuellement la résurrection des corps, le jugement dernier, et "l'âge à venir" du pharisaïsme (entre autres). Lui-même n'est pas dépourvu d'influences hellénistiques, mais plutôt du côté "matérialiste" de l'épicurisme: c'est le plaisir (modéré) qui constitue le meilleur antidote au désir sans fin, lequel se traduit sans doute concrètement par l'avidité, la convoitise, la violence, l'injustice dans les comportements sociaux, mais aussi par la prolifération délirante de l'imaginaire religieux (je crois me souvenir de la formule "déambulations de l'âme", de la première TMN en 6,7; "pérégrinations de l'âme" est peut-être encore plus évocateur). |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: L'homme, un être de désir 04.10.18 13:11 | |
| Mais l’essentiel en la matière est que ce texte accompagna Lacan sa vie durant. On peut sans doute regretter qu’il n’ait pas donné de ce texte une interprétation plus large, comme il l’avait si magistralement fait pour l’Hamlet de Shakespeare ou pour l’Antigone de Sophocle, que son intérêt semble s’être arrêté à quelques versets du chapitre 9 (7 à 9) « Jouis de la vie avec la femme que tu aimes ... car c’est là ta meilleure part dans la vie ». Il en tire cette conclusion que Qohélet est un traité de la jouissance, traité plutôt raté d’une jouissance impossible puisque, ajoute-t-il, « c’est de l’aimer [cette femme, meilleure part de notre jouissance] qu’on ne peut en jouir ». Mais il lui arriva aussi de tirer de Qohélet des réflexions d’une énigmatique profondeur : « Tout est vanité sans doute, vous dit-il, jouis de la femme que tu aimes. C’est-à-dire fais anneau de ce vide qui est au centre de ton être »(1) Puisque je mets mes pas dans les siens, c’est une esquisse de cette exégèse nécessaire que je vais tenter ici. http://psythere.free.fr/article.php?id_article=59 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12457 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: L'homme, un être de désir 04.10.18 14:32 | |
| A chacun son (ou sa) Qohéleth, sans doute, c'est aussi la richesse de ce livre. Je repense à celui (ou celle) de Marguerite Duras, dans Les enfants, qui le (ou la) résume au leitmotiv de son protagoniste, à la fois "génial" et "attardé": "C'était pas la peine." |
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