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| allongement de l'espérance | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mar 20 Nov 2018, 13:22 | |
| C'est en effet très explicite chez Luc, mais implicite ailleurs (encore l'iceberg): dans toutes les paraboles où il y a un roi, un maître, un père ou un marié absent et qu'on attend, on peut lire la même chose; et même partout où il y a quelque chose qui pousse ou qui travaille, une action ou une passion qui demande du temps. A la limite, le "retard de la parousie" spécifiquement chrétien (qui suppose un "Messie" déjà venu et à re-venir) ne se distingue plus très bien d'autres eschatologies juives (venue d'un ou de plusieurs Messies, du Fils de l'homme, d'Elie, ou de Dieu même) ou des exigences encore plus générales du récit, entre autres didactique, pédagogique ou mystagogique (parabole, allégorie, conte, fable, midrash, dont le "sens" dépend de toute façon d'une "fin"). La littérature juive et chrétienne, orthodoxe ou hérétique de cette époque montre bien que les mêmes histoires circulent sans problème d'un milieu à l'autre, de ceux qui croient dur comme fer à une "eschatologie" futuriste, imminente ou lointaine, à ceux qui n'y croient absolument pas, mais qui les comprennent (les mêmes histoires) tout autrement. |
| | | free
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Ven 23 Nov 2018, 17:39 | |
| - Citation :
- C'est en effet très explicite chez Luc, mais implicite ailleurs (encore l'iceberg): dans toutes les paraboles où il y a un roi, un maître, un père ou un marié absent et qu'on attend, on peut lire la même chose; et même partout où il y a quelque chose qui pousse ou qui travaille, une action ou une passion qui demande du temps.
"Tenez-vous prêts, la ceinture aux reins et les lampes allumées. Vous aussi, soyez semblables à ces hommes qui attendent que leur maître revienne des noces, afin de lui ouvrir sitôt qu'il arrivera et frappera. Heureux ces esclaves que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller ! Amen, je vous le dis, il se mettra à son tour en tenue de travail, il les installera à table et il viendra les servir. Qu'il arrive à la deuxième ou à la troisième veille, s'il les trouve ainsi, heureux sont-ils !" Lc 12, 35-38 Un récit qui fonde le retard de la parousie et qui introduit une belle idée, le maître qui installe à table les esclaves et il les sert. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Ven 23 Nov 2018, 17:50 | |
| L'idée est d'autant plus remarquable qu'elle est contredite en 17,8 ! (Mais que peut une négation devant une image ? Cf. aussi 22,27; Jean 13,4ss etc.).
En rapport avec mon post précédent, on peut noter que les images de l'eschatologie imminente (p. ex. "comme un voleur dans la nuit", sans aucun "signe" annonciateur) sont aussi celles qui conviennent le mieux à l'absence totale d'eschatologie ou au report indéfini de l'eschatologie: il suffit qu'elles se transfèrent de la "fin du monde" à la mort individuelle, ce qui se fait, si je puis dire, tout naturellement. Cette nuit ou n'importe laquelle, mais sans faute, et alors, maintenant.
Par contre, là où la pensée du retard complique le scénario eschatologique par des signes, des délais ou des péripéties intermédiaires (cf. supra 2 Thessaloniciens 2, mais aussi ici, dans une moindre mesure, "la deuxième ou troisième veille"), c'est le sérieux même de l'eschatologie qui en pâtit, autant dans sa version cosmique qu'individuelle. Contrairement à la visée des paraboles de la vigilance constante, corollaire d'un "n'importe quand", le "signe avant-coureur" fait écran entre "soi" (ou le présent) et "la fin". (Le plus beau contresens de la Watchtower à cet égard est peut-être son interprétation de 1 Thessaloniciens 5: "quand ils diront 'Paix et sécurité'", i.e. n'importe quand, alors qu'ils ne s'y attendront pas, devient un "événement" futur, pénultième ou antépénultième, qu'on attend avant "la fin" et qui la retarde d'autant...). |
| | | free
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Lun 26 Nov 2018, 14:53 | |
| "Ceux qui s'étaient réunis lui demandaient : Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? Il leur répondit : Il ne vous appartient pas de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous recevrez de la puissance quand l'Esprit saint viendra sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et en Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre." Ac 1,6-8
A la question des disciples relatives à l'imminence des temps de la fins, le "Ressuscité" leur répond qu'il ne leur appartient de connaitre les temps et les moments que les Père a fixé et qu'ils vont devenir ses témoins jusqu'aux extrémités de la terre, ainsi loin de leur donner une réponse temporelle, Jésus leur confie un programme d'activité qui s'entend sur la durée et qui provoque un allongement de la parousie. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Lun 26 Nov 2018, 18:57 | |
| Chez les TdJ la "parousie" s'allonge, parce qu'elle est d'emblée conçue comme une durée (<=> les "derniers jours"), une partie au moins de la durée de l'attente; si par contre on y voit l'événement attendu, ultime et plus ou moins ponctuel (la venue, l'avènement du Christ <=> la "fin du monde"), elle est retardée, ou plus exactement elle met plus longtemps à venir qu'on ne l'imaginait (petite nuance !).
Il va de soi que le "temps de l'Eglise", qui constitue l'objet et la matière mêmes des Actes, suppose un tel "retard"; mais là encore, ce qui est explicite dans Luc-Actes est implicite dans la totalité du NT; non seulement dans les épîtres et l'Apocalypse qui parlent d'Eglises et s'adressent à des Eglises, mais aussi dans les (autres) évangiles, dès lors que par exemple ils parlent d'"apôtres", présupposant une "suite" (ecclésiale) -- outre l'évidence encore plus implicite, mais non moins évidente, que ce sont des livres d'Eglise, produits dans l'Eglise et pour l'Eglise, telle ou telle Eglise ou tel ou tel type d'Eglise. C'est dire qu'une eschatologie vraiment imminente, où la vie et la mort de Jésus déboucheraient immédiatement sur l'avènement du règne de Dieu ou du Fils de l'homme (ce que suggèrent certains énoncés évangéliques) n'est plus dans les textes qu'un lointain souvenir, sinon une construction rétroactive. Au fond, le concept même de "parousie" ou d'"épiphanie" (= manifestation), autrement dit d'un retour du Christ distinct d'une "première venue", est absolument indissociable du "retard". Et le "retard de la parousie" est presque un pléonasme... |
| | | free
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mar 27 Nov 2018, 13:00 | |
| - Citation :
- Il va de soi que le "temps de l'Eglise", qui constitue l'objet et la matière mêmes des Actes, suppose un tel "retard"; mais là encore, ce qui est explicite dans Luc-Actes est implicite dans la totalité du NT; non seulement dans les épîtres et l'Apocalypse qui parlent d'Eglises et s'adressent à des Eglises, mais aussi dans les (autres) évangiles, dès lors que par exemple ils parlent d'"apôtres", présupposant une "suite" (ecclésiale) -- outre l'évidence encore plus implicite, mais non moins évidente, que ce sont des livres d'Eglise, produits dans l'Eglise et pour l'Eglise, telle ou telle Eglise ou tel ou tel type d'Eglise.
Luc 21,24 en faisant allusion à "des temps des nations" désigne peut-être aussi le temps de l'Eglise jusqu'à la parousie. Ce sont surtout les nations qui ont adhéré à la foi chrétienne, alors que la plus grande partie du peuple juif n'a pas reconnu en Jésus son Messie. En Rm 9-11, Paul y voit un signe de miséricorde envers les nations mais il entrevoit le salut d'Israël à la fin des temps, une fois que la totalité des nations soit entrée dans l'Eglise :"Car je ne veux pas, mes frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous ne vous croyiez pas trop avisés : Israël est devenu obtus, en partie, jusqu'à ce que la totalité des non-Juifs soit entrée. Et c'est ainsi que tout Israël sera sauvé, comme il est écrit : Le libérateur viendra de Sion, il détournera de Jacob les impiétés" Rm 11,25-26A cette reconnaissance du Messie par tout Israël est suspendu la venue du Christ :"Car, je vous le dis, vous ne me verrez plus désormais, jusqu'à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! " Mt 23,39 et la résurrection des morts semble-t-il : "Car si leur mise à l'écart a été la réconciliation du monde, que sera leur réintégration, sinon une vie d'entre les morts ?" Rm 11,15 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mar 27 Nov 2018, 14:12 | |
| Il y a aussi, bien sûr, une dimension d'histoire "profane", je veux dire politique et militaire, en Luc 21, il suffit de lire le contexte -- siège et prise de Jérusalem, destruction du temple, disparition de toute autonomie judéenne sous un joug romain renforcé, de la première à la seconde guerre juive (66-73, 132-135); ce discours emprunte tout naturellement le langage "prophétique" des catastrophes d'Israël et de Juda, notamment la (première) destruction du temple à l'époque néo-babylonienne (les 70 ans de Jérémie sont déjà des "temps des nations", petite part de vérité du russellisme !); jusque dans le chapitre 11 de l'Apocalypse on retrouvera le même langage et les mêmes images, transmis et renouvelés quasiment sans discontinuer par l'apocalyptique (déjà transposition des 70 ans de Jérémie aux 70 semaines de Daniel, donc de l'empire néo-babylonien à l'empire hellénistique des Séleucides; puis, évidemment, à Rome dans la littérature juive subséquente; cf., pour l'image de Jérusalem foulée au pieds par les nations, Zacharie 12,3 LXX; Psaumes de Salomon 17,25).
Il n'empêche que l'histoire "religieuse" s'y superpose presque parfaitement: pour les "chrétiens", qui sont dans leur immense majorité des pagano-chrétiens dès qu'ils se nomment et se reconnaissent comme tels (même d'après les Actes, c'est à Antioche, non à Jérusalem, qu'ils sont appelés "chrétiens" !), les temps des "nations" sont aussi bien ceux de l'Eglise que de l'Empire, alors même que dans la réalité l'Eglise et l'Empire sont encore très loin de se confondre. Dans les mêmes paraboles-allégories évangéliques (p. ex. les vignerons en Marc 12), les thèmes du châtiment des mauvais (= la guerre judéo-romaine, lue comme châtiment divin) et du transfert de l'héritage aux bons (le passage d'Israël à l'Eglise, qui devient même une autre "nation" en Matthieu 21,43 !) sont indissociablement mêlés. L'acte de naissance du "christianisme" historique coïncide avec celui du "judaïsme rabbinique" (d'où l'idée des "frères jumeaux", p. ex. chez André Paul), et la date (au moins symbolique) est 70 apr. J.-C.: c'est à partir de là qu'ils "existent" (séparément), sans préjudice de la "gestation" complexe qui précède et qu'on peut d'ailleurs retracer bien avant "Jésus". Cela signifie aussi que toute l"histoire" de l'Eglise, des apôtres et de Jésus dans les Evangiles et les Actes est essentiellement une invention rétrospective d'origine et de provenance, quels que soient les éléments "historiques" qui s'y trouvent. Et, pour expliciter si besoin est le rapport à notre sujet, que le "retard de la parousie" fait partie intégrante du "christianisme": aussi loin qu'on remonte dans ses propres traces, il est toujours déjà là.
--- En Matthieu 23,39, il y a une correspondance assez énigmatique, avec ce qui précède (21,9, l'accueil des foules de Jérusalem, citation du même psaume 118) et avec ce qui suit (26,64: désormais [à partir de maintenant, même expression] vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la puissance et venant sur les nuées des cieux, mixte du Psaume 110 et de Daniel 7). A la lettre, cela implique des choses assez curieuses par rapport aux synthèses habituelles: 1) Jésus n'est pas le Fils de l'homme (c'est le Fils de l'homme céleste qu'on voit dès qu'on cesse de voir le Jésus terrestre); 2) la vue du Fils de l'homme, qui est normalement l'acte final de l'eschatologie (24,29s, "aussitôt après" la tribulation associée à la chute de Jérusalem), est immédiate -- le retard est à peine suggéré par le fait qu'on le voit "assis" avant de le voir "venir" (déjà chez Marc; mais les marques d'imminence, "désormais = dès maintenant" et "aussitôt", sont de Matthieu).
--- Par rapport aux évangiles, la problématique de Romains 9--11 paraît exclusivement "religieuse" -- je n'entre pas dans les questions de datation: la récitation consensuelle la situe au moins une décennie avant la chute de Jérusalem, mais cela me paraît très fragile, sans être pour autant strictement "réfutable" (en ce qui concerne Romains, il n'est question de Jérusalem que dans les "suppléments", après la conclusion de 15,13). Quoi qu'il en soit, il y a là une identité "juive" et "chrétienne" déjà bien démarquées l'une par rapport à l'autre, et tout ce qui importe à l'auteur est de l'interpréter "théologiquement" et "téléologiquement", comme à la fois un fait providentiel et utile, un moyen en vue d'une fin, qui "sert" à quelque chose: d'où le schéma d'une incrédulité provisoire d'Israël, pour le salut des "païens", aboutissant à un salut général qui est manifestement l'œuvre de la pure grâce de Dieu, puisque personne ne le mérite, chaque catégorie ayant "failli" à un moment ou à un autre. Un concept clé est celui de plèrôma, "plénitude" ou "totalité", qui s'applique tantôt aux juifs et aux païens (11,12.25; comparer 13,10 où l'amour est le "plérôme" de la loi), et là encore il y a un effet de retard "utile"; la "plénitude" d'Israël est retardée pour que soit constituée celle des païens, selon un schéma classique de l'apocalyptique (il faut attendre jusqu'à ce que soit complété le nombre des élus, cf. 4 Esdras 4,35s ou l'Apocalypse "de Jean", p. ex. chap. 6 et 14; cf. aussi Testament de Zébulon 9: "il ramènera tous les païens au zèle pour lui, et vous retournez sur votre terre, et vous le verrez à Jérusalem, à cause de son nom").
Dernière édition par Narkissos le Mar 27 Nov 2018, 17:13, édité 1 fois |
| | | le chapelier toqué
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mar 27 Nov 2018, 16:41 | |
| Cela signifie-t-il que la seconde venue du Fils de l'homme a déjà eu lieu au premier siècle et que l'attente actuelle dépend d'une mauvaise interprétation des textes? |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mar 27 Nov 2018, 17:53 | |
| C'est plus compliqué que ça, parce que les textes mêmes (et souvent les mêmes textes !) contiennent des énoncés logiquement incompatibles entre eux. Par exemple, il y a des textes évangéliques qui identifient "le Fils de l'homme" au "Jésus" terrestre ("le Fils de l'homme est venu") et d'autres qui l'en distinguent ("quand le Fils de l'homme viendra", il n'est pas dit qu'il re-viendra). Il y a des textes qui identifient le "retour" du Christ à sa résurrection ou à l'expérience chrétienne de l'Esprit (p. ex. Jean 14, Colossiens, Ephésiens), et d'autres, ou d'autres passages des mêmes textes, qui maintiennent une attente future (parousie ou épiphanie). Les discours eschatologiques ou les paraboles des Synoptiques qui supposent déjà une "attente" et un "retard" en limitent quelquefois la durée (cf. Matthieu 10,23; 16,28; 24,34 etc. -- auquel cas l'attente a bel et bien été déçue !), ailleurs ils semblent l'ouvrir à l'infini (28,18ss). Une "bonne" interprétation des textes, à mon sens, respecte avant tout ce qu'ils disent et leurs différences -- il y a dans le NT des traces d'attente imminente, relativement proche ou lointaine, et d'ignorance ou de refus de toute attente. La seule chose qui lui soit impossible, c'est de donner une réponse unique et univoque à une question générale (le Christ est-il revenu ou doit-il revenir ?). Paradoxalement, seule une "mauvaise" interprétation, qui en fait n'est pas du tout une interprétation mais une doctrine ou un scénario plaqué artificiellement sur les textes, peut faire ça... |
| | | le chapelier toqué
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mar 27 Nov 2018, 19:09 | |
| 23 Quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre. Car, vraiment je vous le dis, quand le Fils de l’homme arrivera, vous n’aurez pas terminé le tour des villes d’Israël.
Mat. 10,23
Il y a quelques années cela permettait au Collège central d'expliquer que les Témoins n'auraient pas le temps de prêcher dans tous les pays avant la fin... |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mar 27 Nov 2018, 19:57 | |
| On a parfois l'impression que "Matthieu" multiplie exprès les difficultés de son propre texte (contradictions, doublets, croyances et perspectives déjà "dépassées" un peu plus loin -- ici la mission au seul Israël devant déboucher sur l'arrivée du Fils de l'homme -- invraisemblances de toute sorte, de la "naissance virginale" à la "résurrection générale" du récit de la Passion ou l'histoire des gardes soudoyés qui suggère insidieusement une autre explication au récit du tombeau vide: les disciples sont venus enlever le corps). Bien sûr, c'est en partie l'effet des rédactions successives, mais même par rapport à Marc on dirait que quelqu'un en rajoute (en matière d'eschatologie, pourquoi rajouter un "immédiatement après" au chapitre 24 quand on est, par définition, encore mieux placé que son prédécesseur pour savoir que rien n'a eu lieu "immédiatement après" ?); en tout cas personne ne cherche à "corriger" ni à "harmoniser" le texte pour le rendre plus vraisemblable. Tout se passe comme si -- c'est une impression de lecteur très "subjective", mais tenace en ce qui me concerne -- le but était autant de faire douter que de faire croire (même dans la dernière apparition, la plus spectaculaire, quelques-uns doutent...).
On peut deviner là quand même, sous toutes réserves, une sorte de cohérence -- "antipaulinienne" au sens large, c'est sans doute le trait le plus constant de cet évangile: si ce n'est justement pas pour lui la "foi" qui "sauve" -- du moins pas au sens où l'entend le paulinisme depuis l'épître aux Romains; chez Matthieu comme chez Jacques "la foi sauve" par l'acte, par l'observance radicale de la loi telle que Jésus l'interprète, non "seule" et "sans œuvres" -- alors l'essentiel n'est pas de "croire" (ceci ou cela) ni d'"être cru"; ni la croyance, ni la crédibilité. |
| | | free
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mer 28 Nov 2018, 12:30 | |
| "Paul répondit : Que ce soit pour un peu ou pour beaucoup, je souhaiterais, s'il plaît à Dieu, que non seulement toi, mais encore tous ceux qui m'écoutent aujourd'hui, vous deveniez tels que, moi, je suis — à l'exception toutefois de ces liens !" Ac 26,29
Ce texte escompte-t-il une histoire de longue durée avec l'expression "Que ce soit pour un peu ou pour beaucoup" ( «Qu'il faille peu ou beaucoup de temps») ? |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mer 28 Nov 2018, 13:02 | |
| Je n'y aurais pas pensé !
C'est une simple reprise formelle de la boutade d'Agrippa: "pour un peu (en oligô) tu me persuaderais de faire le chrétien !" (v. 28), qu'on peut aussi entendre de plusieurs manières (il s'en faudrait de peu, en peu de temps, un peu, etc.). Le tout dans le style un tantinet "maniéré" des Actes qui s'étend à (presque) tous les (inter-)locuteurs. La réplique de Paul, du coup, est au moins aussi ambiguë: kai en oligô kai en megalô (variante pollô): et en peu et en grand/beaucoup, on peut le comprendre de pas mal de façons, selon qu'on aura compris Agrippa: en peu et/ou en beaucoup, qu'il s'en faille de peu ou de beaucoup, tôt ou tard, et ainsi de suite. L'effet est surtout celui d'un échange de bons mots entre gens cultivés et intelligents, qui se comprennent à demi-mot et dont la sympathie (on dirait aujourd'hui la "complicité") intellectuelle et morale l'emporte sur leur opposition de point de vue et de circonstances. A cet égard c'est très réussi, même si le sens n'est pas clair et encore moins précis. On peut toujours y voir un enseignement théologique, mais il restera équivoque.
L'arbre (à peine le rameau) ne doit bien sûr pas cacher la forêt: tout le projet des Actes, c'est de déployer l'Eglise dans le temps comme dans l'espace, et le discours-programme du chapitre 1 que tu as mentionné plus haut est à cet égard tout à fait explicite. On tourne la page de l'attente imminente pour passer à l'expansion aux confins de la terre (tout au moins l'empire romain). L'eschatologie n'est pas niée ni actualisée, elle ne se confond pas non plus avec le processus historique (le Christ reviendra du ciel, il n'est pas simplement le résultat ou l'aboutissement de l'expansion de l'Eglise), mais elle est très clairement repoussée sine die (c'est aussi vrai de l'ultime conclusion de Matthieu, soit dit en passant). |
| | | free
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mer 28 Nov 2018, 13:19 | |
| Quelle volonté se cache derrière la sentence "le règne de Dieu est au milieu de vous" ?
Je trouve les textes suivants assez énigmatiques :
"Et il dit aux disciples : Les jours viendront où vous désirerez voir un seul des jours du Fils de l'homme, et vous ne le verrez pas. On vous dira : « Il est là-bas ! » ou : « Il est ici ! » N'y allez pas, n'y courez pas. En effet, comme l'éclair brille d'une extrémité du ciel à l'autre, ainsi sera le Fils de l'homme en son jour. Mais il faut d'abord qu'il souffre beaucoup et qu'il soit rejeté par cette génération." Lc 17, 22 ss
L'introduction est assez mystérieuse : "Les jours viendront où vous désirerez voir un seul des jours du Fils de l'homme, et vous ne le verrez pas."
La fin du texte pose un intermède ou une période intermédiaire avant la venue du fils de l'homme : "il faut d'abord qu'il souffre beaucoup et qu'il soit rejeté par cette génération". |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mer 28 Nov 2018, 13:57 | |
| Luc c'est encore plus compliqué que les Actes, parce que sous le vernis d'unité des deux livres qui ne les harmonise que tardivement et superficiellement, il subsiste des traces de théologies très différentes, juxtaposées sans articulation profonde.
Le dialogue des v. 20s pourrait être tout à fait "gnostique" (absence d'eschatologie ou eschatologie spiritualisée, actualisée, intériorisée: le règne-royaume de Dieu est en vous, au-dedans de vous, ça reste le sens le plus évident de la phrase même si le "contexte" en dissuade); la suite est tout autre: "les jours du Fils de l'homme" (v. 22) suggèrent l'identification de celui-ci au Jésus terrestre (donc: un Fils de l'homme déjà venu), qui aura disparu et qu'on attendra à nouveau; et ce qui vient encore après combat d'autres annonces d'eschatologie sensible et matérielle, p. ex. politique (notez le jeu des sens de la vue et de l'ouïe, du temps et de l'espace: vous ne le verrez pas mais si l'on vous dit qu'il est ici ou là n'y allez pas), par une annonce d'eschatologie instantanée (un jour, une nuit) et universelle, sans aucun "signe avant-coureur" (l'éclair, etc.; c'est aussi le sens des références au déluge et à Sodome, dans la suite et contre d'autres traditions: événement soudain, imprévisible et immanquable). |
| | | free
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Jeu 29 Nov 2018, 15:33 | |
| Le retard de la parousie (La parabole des talents)
L'expression «longtemps après» (25,19) s'accorde avec mon Seigneur tarde» (24,48) et «comme l'époux tardait» (25,5). Le maitre de 25,14-15 est devenu Ie Seigneur qui, après être resté longtemps absent , «arrive». Le temps de son absence correspond au moment présent, dans lequel on doit faire fructifier les talents. L'absence prolongée du maitre est suivie par l'arrivée du Seigneur : c'est le futur de la parousie, le moment soudain ou le maitre va arriver (24,50), l'heure précise (minuit) ou les vierges s'éveillent, c'est-a-dire, l'heure ou les chrétiens ressuscitent et l'Époux céleste arrive (25,5-6)21. Le futur commence avec la parousie du Fils de l'homme (25,31). Cette parousie aura un délai, qui est accepté sans problemes par la majorité de la communauté matthéenne: il n'y a ni déception vis-a-vis du retard, ni «enthousiasme» irréfléchi face a la Naherwartung~O~r,. la présence d'un retard reste une donnée typiquement matthéenne. Le retard sera long (25,19), mais a un moment donné le Fils de l'homme arrivera (25,5) de façon inattendue et imprévisible (24,50) https://core.ac.uk/download/pdf/39058387.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Jeu 29 Nov 2018, 16:16 | |
| En effet, le "retard" (de la parousie ou de l'eschatologie en général) est tout aussi clair chez Matthieu que chez Luc; la différence, c'est qu'il y coexiste ostensiblement avec son contraire (10,23 etc.), que Luc tend plutôt à masquer (en distinguant autant que possible la "venue du Fils de l'homme", chapitre 17, de la chute de Jérusalem, chap. 21) ou à réfuter (19,11ss; 21,8 ). Cela suggère au moins chez "Matthieu" (je n'entends pas nécessairement par là un "auteur") une certaine indifférence à la contradiction, au plus un goût certain de la contradiction (voir supra). D'autre part, l'eschatologie soudaine ou instantanée (sans "signe" précurseur) se marie très bien avec toutes les perspectives temporelles: elle peut être proche (= Nah-erwartung) ou lointaine, et même individuelle (la mort de chacun, proche ou lointaine, absolument certaine et imprévisible quant au quand, où et comment, comme équivalent personnel de "la fin du monde", quoi qu'il en soit de "la fin du monde" -- je me rappelle mon père, TdJ, qui appelait sa mort "mon Harmaguédon personnel"). |
| | | free
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mar 26 Mar 2019, 13:45 | |
| Ils crièrent : Jusqu'à quand, Maître saint et vrai, tardes-tu à juger, à venger notre sang en le faisant payer aux habitants de la terre ? Une robe blanche fut donnée à chacun d'eux, et il leur fut dit de se tenir en repos quelque temps encore, jusqu'à ce que soient au complet leurs compagnons d'esclavage et leurs frères qui allaient être tués comme eux."Ap 6,9-10
La question de 6,10 illustre une foi chrétienne non encore arrivée à maturité. Le souci apocalyptique de connaître la date de la Fin y est latent. La première réponse en 6,11 y colle encore en s’orientant déjà autrement. Jean déplace le centre d’intérêt. La nouveauté de sa réponse tient à ce que l’intervention décisive de Dieu a déjà eu lieu : son jugement en faveur de Jésus qu’il a ressuscité témoigne que les derniers temps sont déjà inaugurés. Le « quand » de la consommation n’a plus désormais la même urgence ni la même importance. Ce qui est primordial, c’est le « comment » : comment participer à la victoire pascale du Christ ? Jean cherche à faire prendre conscience de ce fait à ses auditeurs et à les faire entrer ainsi dans cette « nouveauté ». S’il adopte le genre apocalyptique, c’est que celui-ci correspond à la situation historique troublée de ses destinataires, mais il renouvelle celui-ci de l’intérieur à la lumière du mystère pascal saisi comme réponse divine à la question posée.
Ceci ressort de la structure même de la section. En effet, Jean situe le cri des martyrs au cœur même de l’ouverture du livre scellé par l’Agneau, manifestant ainsi que ce dernier a reçu pouvoir sur le déroulement de l’histoire, chargé qu’il est de mener à son terme le dessein de Dieu. Le scandale devant la non-intervention divine est ainsi exorcisé d’avance. Le cantique nouveau des Vivants et des Anciens (5,9-12) le déclare : c’est en raison même de sa mort que l’Agneau a reçu un tel pouvoir et une telle gloire. Son sang versé est célébré pour son efficacité prodigieuse au bénéfice des gens de toutes nations qu’il rachète et dont il fait le peuple de Dieu. Jean fait donc jouer en opposition la perception négative qu’ont les « égorgés » du sang qu’ils ont versé et la réalité positive, infiniment féconde, du sang versé par l’Agneau. Cette dialectique se résout à la fin de la section, dans la vision de 7,9-13 où la foule innombrable de toutes tribus, peuples et langues (cf. 5,9) apparaît à Jean vêtue de robes blanches (cf. 6,11) : « ils ont lavé leurs robes dans le sang de l’Agneau » (7,14). Cette métaphore « surréaliste », mais profondément théologique, connote l’effet purificateur du sang du Christ sur les fidèles et, plus encore, la communication de sa puissance victorieuse. Le « salut » leur est donné (7,10.16-17). https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2007-3-page-371.htm
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| | | Narkissos
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mar 26 Mar 2019, 15:16 | |
| La question "jusqu'à quand (?)", question par excellence de la "patience" et de l'"impatience" avec tout son "pathos" et sa "passion", n'a pas attendu le christianisme ni l'"apocalyptique" pour se poser, c'est l'une des toutes premières questions (peut-être même avant "pourquoi") de la souffrance universelle: dans les textes "bibliques", qui ne sont évidemment pas non plus les premiers, cf. p. ex. Isaïe 6,11; Jérémie 4,21; 12,4; 23,26; 47,5s; Habacuc 1,2; 2,6; Zacharie 1,12; Psaumes 6,4; 13,2; 62,4; 74,9s (où on note que c'est la fonction même d'un "prophète" que d'y répondre); 79,5; 80,5; 82,2 (question du dieu suprême à ses "collègues"); 89,47; 90,13; 94,3; 119,84; Daniel 8,13; 12,6. Cette question, du reste, le dieu ou ses représentants l'assument eux-mêmes et l'adressent aussi bien et peut-être aussi souvent (je n'ai pas compté les occurrences) aux "hommes", au "peuple", aux "méchants" ou aux "infidèles" (Exode 10,3; 16,28 etc.). Vue sous cet angle, la question spécifiquement "chrétienne" du retard de la parousie, rapportée à la venue, au retour ou à la manifestation d'un Christ supposé déjà venu, au moins en partie, n'est qu'un cas particulier d'une question perpétuelle.
[En marge: l'"outil" anglophone que j'ai utilisé pour retrouver les références ci-dessus m'a rappelé que l'anglais, comme pas mal d'autres langues, a une tout autre façon de dire "jusqu'à quand", how long, proprement "combien longtemps": l'accent porte sur la durée et non sur sa fin (terminus ad quem). Notre façon de dire "jusqu(es)'à quand" correspond mieux, formellement, à celles de l'hébreu -- et du grec "biblique" le plus souvent -- qui visent aussi le terme de la période, de l'action ou de la passion considérée.] |
| | | free
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Jeu 11 Juil 2019, 14:01 | |
| "Prenez donc patience, mes frères, jusqu'à l'avènement du Seigneur. Le cultivateur attend le précieux fruit de la terre, plein de patience à son égard, jusqu'à ce qu'il en ait reçu les produits précoces et tardifs. Vous aussi, prenez patience, affermissez votre cœur, car l'avènement du Seigneur s'est approché. Ne soupirez pas les uns contre les autres, mes frères, pour que vous ne soyez pas jugés : le juge se tient aux portes. En matière de souffrance et de patience, mes frères, prenez pour exemples les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur. Nous disons bienheureux ceux qui ont enduré. Vous avez entendu parler de l'endurance de Job, et vous avez vu la fin que le Seigneur lui a accordée, car le Seigneur est plein de tendresse et de magnanimité." Jac 5, 7-11
Nous retrouvons dans ce texte 2 notions en tensions, d'un côté l'importance d'attendre, de patienter à travers l'image du cultivateur qui accepte le temps de la maturation afin de récolter même les fruits "tardifs" et d'un autre côté l'idée de proximité de la venue du Seigneur avec des expressions très fortes, "Seigneur s'est approché", "le juge se tient aux portes". |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Jeu 11 Juil 2019, 15:26 | |
| Ambiguïté supplémentaire, les deux formules peuvent évoquer aussi bien un "présent" qu'un "futur": au v. 7 le parfait du verbe eggizô, celui de la proclamation de Jésus selon Marc 1 (le règne de Dieu / la parousie du Seigneur s'est approché[e]), peut appeler autant la traduction "est là" que "est proche", selon qu'on apprécie la valeur d'accomplissement du parfait (<=> "l'approche est terminée"). Et c'est encore un parfait qu'on retrouve au v. 9 pour le verbe histèmi, le juge s'est posté-installé => se tient (déjà) aux portes -- les portes, pour ne rien simplifier, n'étant pas seulement l'endroit par où un juge arriverait comme un roi ou n'importe qui, mais aussi celui où précisément il juge (cf. Matthieu 24,33// etc.). C'est dire que si ces formules conservent une valeur eschatologique future, comme le suggère l'exhortation à la patience, c'est selon le modèle d'eschatologie soudaine et imprévisible qui n'attend aucun "signe précurseur" -- soit l'"imminence" du "n'importe quand désormais", anytime now (cf. le voleur dans la nuit, etc.), qui n'est pas pour autant nécessairement "proche". Et que cette eschatologie peut également être considérée comme "présente", au moins au sens de "déjà commencée". |
| | | free
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mar 13 Aoû 2019, 10:22 | |
| "Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui, selon sa grande compassion, nous a fait naître de nouveau, par la résurrection de Jésus-Christ d'entre les morts, pour une espérance vivante, pour un héritage impérissable, sans souillure, inaltérable, qui vous est réservé dans les cieux, à vous qui êtes gardés par la puissance de Dieu, au moyen de la foi, pour un salut prêt à être révélé dans les derniers temps. Ainsi vous êtes transportés d'allégresse, quoique vous soyez maintenant, pour un peu de temps, puisqu'il le faut, attristés par diverses épreuves, afin que la qualité éprouvée de votre foi — bien plus précieuse que l'or périssable, quoique éprouvé par le feu — se trouve être un sujet de louange, de gloire et d'honneur à la révélation de Jésus-Christ. Vous ne l'avez pas vu, mais vous l'aimez. Maintenant même vous ne le voyez pas, mais vous mettez votre foi en lui et vous êtes transportés d'une joie indicible et glorieuse, tandis que vous obtenez le salut comme aboutissement de votre foi." 1Pi 1, 3 ss L'espoir d'un retour prochain du Christ soutient certes, l'espérance des communautés, mais ne la conditionne pas. Le centre de gravité, c'est la résurrection glorieuse (1,3), si bien que même si les délais se prolongent (voir la seconde épître de Pierre), l'espérance chrétienne ne perd rien de sa joyeuse certitude. L'héritage promis ne craint pas les atteintes du temps (1,4). Surtout l'intensité de l'amour permet de rejoindre déjà Celui à qui nous appartenons en raison de notre baptême. Il n'y a donc pas à décrire à l'avance le bonheur de l'au-delà. Sur ce point, la première épître de Pierre est d'une grande discrétion. Il suffit d'entrevoir que pourra être l'épanouissement de notre attachement actuel au Christ, « Lui que nous aimons sans l'avoir vu; en qui nous croyons sans le voir encore (1,. https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/200546.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mar 13 Aoû 2019, 11:02 | |
| En changeant de perspective, on pourrait se dire que les évangiles sont précisément une réponse à -- ou un produit de -- ce désir de voir (et d'entendre) ce Christ qu'on aime sans l'avoir vu. Comme une parousie ou une épiphanie littéraires (mais aussi bien rituelles, dans la mesure où ils sont destinés à une lecture liturgique et communautaire). Il est d'ailleurs symptomatique que des références expresses au récit évangélique (outre l'"événement" de la crucifixion-résurrection) n'apparaissent que dans la Seconde de Pierre -- notamment au chapitre 1, autour de la transfiguration qui constitue le centre et, dans un double sens, le "sommet" des Synoptiques. La lecture de l'évangile est en quelque sorte une parousie anticipée (comme la transfiguration même dans l'économie des Synoptiques, et peut-être absente du quatrième parce que celui-ci est tout entier transfiguration, cf. la récurrence du "voir sa gloire", 1,14; 2,11 etc.).
Sans doute parce que j'ai revu hier, pour la énième fois, le Stalker de Tarkovski, je me dis que le christianisme n'est jamais aussi profond que dans son "originalité post-apocalyptique" qui consiste à avoir, en un sens et en plus d'un sens, dépassé "l'eschatologie" et la "fin du monde", autrement dit l'indépassable. |
| | | free
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| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mar 13 Aoû 2019, 15:38 | |
| A une époque déjà plus tardive, les auteurs des Pastorales préfèrent le mot épiphanie, ou le verbe correspondant, pour dire aussi l’avènement dernier du Seigneur (1 Tm 6, 15 ; 2 Tm 4, 1.18 ; Tt 2, 13 ; cf. aussi 2 Th 2, 3). Là encore, le mot est largement connu dans le monde hellénistique pour signifier la joyeuse manifestation (épiphanie) d’un roi ou la manifestation divine. Lors de sa parousie le roi fait son épiphanie : il se manifeste à tous durant sa visite. Toutefois, le mot épiphanie tend moins la pensée vers l’avenir que le mot parousie. A l’époque des Pastorales, disons en l’an 85-90, un certain déplacement de l’espérance chrétienne s’est déjà effectué, comme nous le verrons. La fièvre d’une attente, d’une venue immédiate du Seigneur, est pour une part tombée.Par la suite, après l’an 70 surtout, ce temps de l’attente s’élargit déjà quelque peu. C’est le temps de la patience : « Prenez patience, frères, jusqu’à la Parousie du Seigneur », comme l’écrit l’auteur de la Lettre de Jacques (Jc 5, 7-. L’attente prochaine du Seigneur reste assurément une conviction toujours véhiculée par la tradition, mais son immédiateté paraît alors moins accusée ou presque oubliée. Les formules sont plus ou moins conservées, mais l’acuité de l’attente est bien émoussée : témoin, cette phrase tirée des Pastorales, rappelant « la manifestation de notre Seigneur Jésus-Christ que (Dieu) fera paraître aux temps opportuns » (Καιροίc δίοιc,) 1 Tim 6, 14-15). Cette dernière expression est prudente ; l’auteur ne s’engage plus dans des supputations hasardeuses.Les communautés helléno-chrétiennes, surtout, ont pour une large part « déconnecté » en quelque sorte la manifestation du Seigneur d’un temps à venir où elle s’inscrivait jusque-là, pour l’exprimer d’abord sur le registre de l’intériorité de la vie chrétienne personnelle ou de la vie ecclésiale, dans le « déjà-là » de l’Esprit Saint. On parle alors facilement d’eschatologie réalisée pour dire la mutation en question (malgré la contrariété des termes ici utilisés. Bref, il s’opère un certain changement du regard visant le présent plus que l’avenir (suivant l’axe horizontal ou temporel) et touchant les cieux plus que la terre (suivant l’axe vertical ou spatial). Ces tendances s’expriment, il est vrai, à des degrés très divers, allant de la pensée équilibrée d’un Paul ou d’un Luc à une présentation johannique où l’espérance semble parfois absorbée par le présent du salut.Ainsi Paul s’attache-t-il déjà à montrer la nouveauté eschatologique chrétienne maintenant à l’œuvre dans la vie du croyant. L’Esprit vit en lui, et le salut est une réalité actuelle. Plus encore, dans la Seconde Lettre aux Corinthiens, l’Apôtre parle de la « transformation » chrétienne, au sens précis donné plus haut à ce mot : « Nous tous qui, le visage dévoilé, reflétons la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, de gloire en gloire. » (2 Co 3, 18). Le chrétien, comme Moïse autrefois et comme Jésus lors de sa Transfiguration, a lui aussi anticipé d’une certaine manière la transformation finale. L’Esprit situe déjà le croyant au sommet du Sinaï. Une telle transformation proleptique est ici d’autant plus remarquable à relever que l’Apôtre voudra exprimer peu après la réalité de la résurrection du croyant, mais justement sans utiliser le vocabulaire résurrectionnel hérité de la tradition judéo-chrétienne : dans 2 Co 5, 1-10, il n’est plus question que de « revêtir le Christ ». Paul cherche à l’évidence un vocabulaire nouveau susceptible de faire passer le message de la tradition dans la langue des Nations.Dans le cercle paulinien, l’auteur de Colossiens maintient assurément l’attente du Seigneur (Col 3, 4), mais cette attente est pour une part absorbée par la résurrection déjà consommée : « Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ assis à la droite de Dieu. C’est en haut qu’est votre but, non sur la terre « (Col 3, 1). Cette fois, le regard se déplace vers le ciel, et l’on attend moins la Venue (la parousie) du Seigneur que sa manifestation (épiphanie). La tension vers l’avenir s’amenuise et disparaît presque ; car il importe désormais de « conquérir la vie éternelle » (1 Tm 6, 14). Le vocabulaire de la vie éternelle se substitue à celui du royaume, chez Jean en particulier. L’eschatologie juive et judéo-chrétienne, dominée par les antithèses temporelles « monde présent » et « siècle à venir », laisse la place à l’opposition entre la terre et le ciel (He 3, 1 ; 6, 4 ; 8, 4-5 ; etc.). L’attente du temps à venir cède le pas à l’attente du ciel (cf. He 11, 16 : « C’est à une meilleure patrie qu’ils aspirent »), ce qui n’empêche pas « les forces du monde à venir » d’être déjà à l’œuvre parmi les croyants (He 6, 5). Comme l’écrit C. Spicq, en ramassant la théologie de l’Epître aux Hébreux : « Dès maintenant l’accès à Dieu est réalisé ; l’avoir tend à l’emporter sur l’espoir ou plutôt l’objet de celui-ci n’est plus tant dans l’avenir que dans l’invisible, le monde céleste supratemporel » https://books.openedition.org/pusl/7473?lang=fr |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: allongement de l'espérance Mar 13 Aoû 2019, 16:49 | |
| Texte riche et intéressant (il faut le lire intégralement, car les ellipses invisibles entre les extraits de ton "collage" produisent quelques anachronismes apparents qui ne sont pas du fait de l'auteur).
Outre le sempiternel problème de la datation (absolue ou même relative) des textes néotestamentaires, je remettrais à nouveau en cause le paradigme général de l'origine unique (qui était encore, certes, presque consensuel au début des années 1980): faut-il faire dériver toutes les "eschatologies" ou "aneschatologies" du NT d'un et un seul modèle "judéo-chrétien" (que celui-ci soit ou non représenté par 1 Thessaloniciens, c'est encore une autre affaire) ? Pour ma part, on l'aura compris, je n'en suis pas du tout convaincu, je pense que l'"eschatologie réalisée" ou l'"absence d'eschatologie" qui caractérisent les premières strates du quatrième évangile et certains logia peuvent être tout aussi anciennes que tel ou tel "scénario" eschatologique. Mais surtout je ne vois pas trop de quel point de vue et selon quels critères (sinon ecclésio-dogmatiques) on pourrait distribuer de bons et de mauvais points aux textes en estimant celui-ci "trop" ceci ou "trop" cela, ou celui-là au contraire "équilibré"... |
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