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 l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ?

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Narkissos

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MessageSujet: l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ?   vouloir - l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ? Icon_minitimeDim 03 Mar 2019, 17:35

Ayant appelé la foule avec ses disciples, il leur dit: si quelqu'un veut me suivre (litt. suivre derrière moi, cf. v. 33), qu'il se renie lui-même, prenne sa croix et me suive. Car quiconque veut sauver son âme / sa vie la perdra (apollumi), et quiconque perdra son âme / sa vie -- à cause de moi et de la bonne nouvelle -- la sauvera; que sert en effet à un homme de gagner le monde entier et de perdre (zèmioô) son âme / sa vie ? que donnerait (ou: que ne donnerait pas ?) un homme, en effet, en échange de son âme / sa vie ? (Marc 8,34ss).

Ce texte, avec ses nombreux "parallèles", est si connu, cité, récité à la lettre ou approximativement que le lecteur en oublie de le lire et perd de vue le malaise "logique" qu'il a forcément éprouvé un jour ou l'autre à sa lecture, si tant est qu'il l'ait jamais lu.

Le malaise tient d'une part au flottement de la traduction, sinon du "sens", de psukhè-psyché = "âme" OU "vie"; d'autre part à l'apparence d'enchaînement "logique" des propositions reliées par une série de gar ("car", "en effet" <=> "parce que"), comme si chacune expliquait ou justifiait la précédente. Or quand on essaie de comprendre cette "logique", ça ne marche pas, ou ça marche mal, et rien n'y fait: surtout pas de changer le sens de psukhè d'une phrase à l'autre, ce qui dissoudrait la "logique" de l'ensemble aussi sûrement que si on en supprimait les articulations logiques. Pour ne rien dire de l'interprétation la plus courante qui consiste à changer le sens de psukhè dans la même proposition: perdre sa vie pour sauver son âme, comme s'il ne s'agissait pas de la même "chose", comme s'il s'agissait à la limite du "contraire" -- et en effet l'"âme" immortelle ou non, mais sur-vivant à la mort, serait aussi bien un antonyme qu'un synonyme de la "vie". Si en revanche on maintient l'unité de la psukhè (qu'on peut remplacer dans le texte par un "x", toujours le même quelle que soit sa définition ou son indéfinition), le paradoxe se reporte de l'objet (psukhè "âme" ou "vie" et dès lors peu importe) sur le premier verbe, non pas "perdre" (apollumi / zèmioô) ou "sauver" (sôzô) mais "vouloir" (thelô): peu importe de quoi on parle, ce qu'on veut c'est ce qu'on empêche, plus on le veut plus on l'empêche (ce qui rejoint de nombreux énoncés similaires, de la sagesse "orientale" -- bouddhisme, tao -- à la psychologie occidentale moderne).
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le chapelier toqué

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MessageSujet: Re: l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ?   vouloir - l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ? Icon_minitimeDim 03 Mar 2019, 18:46

Ne pourrait-on pas lire le texte comme l’impossibilité pour quiconque de sauver, volontairement, son âme ?

On ne peut tenter de sauver sa vie, son âme en voulant suivre le maître, car le suivre c’est déjà accepter de se perdre.

Mais l’homme en un sens n’est-il pas déjà perdu ?
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Narkissos

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MessageSujet: Re: l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ?   vouloir - l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ? Icon_minitimeDim 03 Mar 2019, 23:38

Merci de tes réflexions, qui me paraissent très pertinentes -- on peut trouver dans ce sens un écho de ce passage en 10,17ss, la péricope du riche qui débouche sur l'idée d'un salut impossible aux hommes, quoique possible à Dieu (v. 27); et encore un peu plus loin à Gethsémani (ou Gethsémané), avec Jésus lui-même qui après avoir invoqué la toute-puissance (ou toute-possibilité) du Père (qui était aussi celle de la foi, 9,23) renonce à sa propre volonté (14,36). Parcours "initiatique", si l'on veut, de Jésus lui-même, un Jésus à qui il faudrait du temps pour s'appliquer ce qu'il exige de ses "suiveurs" -- du moins chez Marc.

Pour revenir à l'articulation "logique" de 8,34ss (j'avais interrompu mon premier post plus tôt que je ne le souhaitais): il me semble que la psukhè joue ici le rôle qu'a chez Tillich le "souci ultime" (ultimate concern) -- c'est justement ce que les v. 36s mettraient en évidence: ce sans quoi "le monde" même ne vaut rien, ce contre quoi on échangerait tout même si l'on n'a rien à donner en échange, voilà ce qu'il faudrait "renier". Peu importe comment on le définit ("l'âme" ou "la vie", par exemple, et Dieu sait que ça peut être différent, voire contraire), chacun en a un, et c'est à lui qu'il s'agirait de renoncer en renonçant à "soi-même" ou à sa "volonté". Ce qui même pour Jésus n'irait pas de soi.

Cela me paraît rejoindre d'une certaine façon le "commandement impossible" de Romains 7 -- le dixième commandement du Décalogue tronqué de ses objets: "tu ne désireras pas", voilà l'impossible posé paradoxalement comme nécessaire. Il en va du "salut" comme de n'importe quelle "convoitise", du "bien" comme du "mal".
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MessageSujet: Re: l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ?   vouloir - l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ? Icon_minitimeLun 04 Mar 2019, 12:17

Lecture philosophique et lecture théologique de la Bible chez Paul

Ricoeur

Daniel Frey

Université de Strasbourg

 

 

 

Que la méditation sur la mort puisse rejoindre la question du bienfondé des représentations religieuses, c’est ce qui apparaît encore dans le second des grands textes repris dans ce volume, intitulé sobrement "ʺLa mort"ʺ. On y découvre Ricœur tentant à nouveau de se défaire de l’imaginaire de la mort, et plus particulièrement de l’imaginaire de survie qui amène le sujet à se représenter après la mort et à s’interroger sur la nature de l’existence des morts. Il s’agit pour le philosophe de croiser "ʺdeux lignes de pensée"ʺ. Dans la première, il tente de mener jusqu’à son terme le travail de deuil à soi-même : ce qui est visé, c’est un détachement à soi, conduit jusqu’à renoncer à l’idée de sa propre résurrection. Dans sa méditation, Ricœur commence par la nécessité de se détacher de soi, de se libérer de l’obsession de soi. Il rencontre sur ce cheminement les Mystiques rhénans. Il évoque plus particulièrement le détachement’, selon Maître Eckhart, poussé jusqu’au renoncement aux projections imaginaires du soi identitaire après la mort du corps propre : le même […] dans le même temps, celui de la propre vie avant la mort et celui des survivants qui me survivront : voilà ce qu’il faut perdre. La mort est vraiment la fin de la vie dans le temps commun à moi vivant et à ceux qui me survivront. La survie, c’est les autres." Ricœur précise que ce n’est pas l’héroïsme d’un tel renoncement, d’allure stoïcienne, qui le rend désirable. C’est plutôt sa portée éthique, puisque le détachement à soi a ceci de singulier qu’il amène à un "transfert sur l’autre de l’amour de la vie": ʺAimer l’autre mon survivant. Cette composante ‘agapè’ du renoncement à la survie propre complète le ‘détachement’ en deçà de la mort: il n’est pas seulement perte, mais gain: libération pour l’essentiel. Les grands mystiques rhénans ne se sont pas seulement ‘niés’, mais rendus disponibles pour l’essentiel."ʺ54 Ils se sont par la--‐‑même donnés à autrui, dans une vie active où le service (fondation d’ordre, enseignement) vérifiait et éprouvait la générosité de leur détachement à eux‑mêmes.

 
Le salut ne serait donc, selon le philosophe, qu’une ultime forme du souci de soi auquel la religion chrétienne appellerait à renoncer. À cet instant des méditations, le dépassement de l’attente pour soi d’une résurrection – non--‐‑souci de son propre salut – rejoint l’interprétation d’un logion de Jésus affirmant que celui qui voudra sauver sa vie la perdra, et que celui qui la perdra la sauvegardera. C’est en effet à travers ce paradoxe, rapporté à six reprises dans les Évangiles (Mc 8, 35; Lc 9, 24; Lc 17, 33; Mt 10, 39 et Jn 12, 25) que Ricœur tente de "ʺpenser ensemble"ʺ les deux lignes de pensées précédemment évoquées, résumées en deux formules concises: "ʺle détachement parfait"ʺ d’une part et "la confiance dans le souci de Dieu" d’autre part. Ricœur, se référant aux travaux de l’exégète Xavier Leon--‐‑Dufour, voit dans ce logion (selon lui très vraisemblablement authentique) "l’union paradoxale du détachement parfait" que Jn 12, 25 exprime au plus près: "Qui s’attache à son existence la perd et qui ne s’attache pas à son existence en ce monde la gardera envie éternelle." Mais une fois encore, le philosophe refuse de concevoir cette vie gardée comme une survie des défunts parallèle aux temps des vivants. "ʺC’est ici"ʺ, note--t--il, "ʺque la motivation fondamentale de Jésus est exemplaire, dans la mesure où l’idée de service reverse sur le futur des survivants le sens la mort immanente." Selon Ricœur, la certitude affichée par Jésus dans les Évangiles est sans aucun doute une projection de la foi pascale des disciples, qui empêche de dire que Jésus est mort comme un homme ordinaire. L’hymne de Philippiens 2 ne nous renvoie aucunement à la certitude qu’aurait eu ce dernier de ressusciter, mais à son obéissance, vécue comme service d’autrui : "ʺc’est précisément en ce nœud que [se] conjuguent le détachement de soi, par obéissance à la mission, et le report sur les autres. Mourir au bénéfice de. Ce lien, qui a été théorisé dans une théologie sacrificielle douteuse comme substitution victimaire, est au cœur des Chants du Serviteur Souffrant comme mourir pour."
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MessageSujet: Re: l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ?   vouloir - l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ? Icon_minitimeLun 04 Mar 2019, 14:09

Merci pour ce texte, aussi émouvant qu'intéressant -- Ricœur est sans doute, parmi les philosophes récents, celui qui s'est efforcé de penser au plus près de la tradition chrétienne (protestante en particulier), à la limite entre théologie et philosophie sans renoncer (!) ni à l'une ni à l'autre dans leur "intégrité" respective.

Sans rouvrir complètement (mais c'est difficile de ne pas le rouvrir un peu) le paradoxe abysso-fondamental du rapport "négatif" à "soi" (reniement, renoncement, crucifiement, détachement, abandon, etc. -- autant de "métonymies du suicide" dont toutes les nuances importent), dont nous avons tant parlé par le passé (une des dernières fois en date sous l'angle du bouddhisme), et en me tenant autant que possible à Marc (en essayant de ne pas glisser trop vite vers ses "parallèles", même "synoptiques", qui disent toujours un peu autre chose), quelques remarques supplémentaires:

- Si l'on traite les différentes propositions de Marc 8,34ss comme des logia indépendants (ce qu'ils sont sans doute aussi), en faisant abstraction de leur articulation "logique" et "rédactionnelle" (la série des gar, "car", "en effet"), on peut discerner deux idées très différentes, à la limite incompatibles entre elles: 1) il faut se perdre, et le meilleur moyen de ne pas y arriver consisterait à le "vouloir" (v. 34s: noter au v. 34 "si quelqu'un veut me suivre", comme "quiconque veut sauver sa psukhè", adressé ostensiblement à la "foule" réunie aux "disciples"; différence remarquable par rapport à toutes les situations où Jésus appelle nommément tel ou tel à le suivre, ou à ceux qui suivent sans qu'on les appelle ni en demander la permission, cf. 1,17ss; 2,14s; 3,7; 5,24.37; 10,21.28.32.52; 14,51.54; 15,41); 2) il y a un "soi", une psukhè "vie" ou "âme", qu'il ne faudrait perdre en aucun cas (v. 36s). L'articulation logique centrale, "(1) CAR (2)", constitue en soi un paradoxe formel qui fait écho au paradoxe fondamental ("se perdre" sous quelque forme que ce soit) sans se confondre avec lui.

- On peut naturellement évacuer ce problème "logique" en disant que l'articulation est superficielle (elle l'est aussi): des logia effectivement contradictoires sont réunis à la faveur de coïncidences verbales (psukhè "mot-crochet"), leur relation en fait ne se laisse pas penser, et surtout pas selon la logique d'un "car". Mais ce non-rapport de surface, puisqu'il est exprimé dans le texte comme un rapport logique, oblige à y chercher un rapport plus profond -- qui ne sera peut-être plus tout à fait logique, mais pas non plus un non-rapport. Par exemple: nécessité d'identifier ou du moins de nommer son "souci ultime", ce qu'on ne voudrait absolument pas perdre (vie ou âme) et que pourtant on perdra de toute façon (v. 36s), pour pouvoir, et justement sans le vouloir, y "renoncer" (v. 34s).

Pour revenir à Frey et à Ricœur, le motif du "mourir-pour" n'est pas tout à fait absent de Marc, 10,45; 14,24, même s'il n'est pas du tout apparent en 8,34ss. En revanche on peut noter que le premier de ces textes répond aussi à un "vouloir" (être le premier, 10,35s.43s, cf. déjà 9,35; et juste après, le miracle de 10,51 qui inverse pour ainsi dire la charge du "vouloir" par rapport au premier miracle, 1,40s -- de Jésus au miraculé qui va en l'occurrence "suivre" Jésus sans que celui-ci ne lui demande rien, et sans qu'il demande rien lui-même au-delà de la vue, 10,52).
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MessageSujet: Re: l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ?   vouloir - l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ? Icon_minitimeLun 04 Mar 2019, 16:17

La parole de Jésus qui nous intéresse a la force provocante d'un paradoxe. Il joue sur l'opposition de « sauver» et «perdre», mais de telle façon que ces deux termes contraires se conjuguent sur deux parcours opposés : un vouloir sauver conduit à perdre, un perdre conduit à sauver. Tout dépend du terme qui occupe la première position. La différence entre les deux parcours s'exprime, dans le premier membre de chacune des deux phrases, entre « celui qui veut sauver sa vie» et « celui qui la perdra à cause de moi et de l'évangile ». La première formule considère un sujet au moment du vouloir faire : il veut sauver ; le second sujet est pris au moment du faire : il perd. De plus, le premier n'a de rapport qu'à « sa vie» (relation sujet-objet), le second a de plus rapport à « moi et l'évangile » (relation sujet-sujet). Le moment du vouloir est celui où le sujet perçoit ou apprécie la valeur pour lui de l'objet à acquérir ou conserver. Le premier sujet l'évalue en fonction de lui-même, comme un bien à soi à ne pas perdre. Le second, au moment de l'action, affirme la relation sujet-sujet au détriment de la relation sujet-objet (les deux sont donc supposées en conflit) : il traite « sa vie » comme un bien à perdre pour un autre bien représenté par la relation à Jésus et l'ordre de valeurs auquel elle lui donne accès. Il y a donc opposition de deux évaluations de « sa vie» par chacun selon qu'il est ou non relié à Jésus.

La relation du sujet à « sa vie» s'inverse au terme du parcours de chacun : qui veut sauver perd, qui perd sauve. en ce sens que /sauver/ présuppose /ne pas perdre/ et /perdre/ présuppose /ne pas sauver/. Mais ici, « sauver sa vie» présuppose « la perdre à cause de moi», si bien que cette expression du texte prend la place de /ne pas perdre/ sur le carré. À l'opposé « vouloir sauver sa vie » prend la place de /ne pas sauver/. Le paradoxe enfreint une certaine logique pour en instaurer une autre.

Quel est le lien logique entre « sauver » et « perdre » ou « perdre » et « sauver » dans l'enchaînement de ces deux verbes sur chacun des deux parcours? À la rigueur, on pourrait dire de quelqu'un qu'il a perdu sa vie en voulant la sauver pour accuser le contraste entre son vouloir et son non-pouvoir. Vérité d'expérience assez banale : il ne suffit pas de vouloir pour réussir. Mais ici le contraste joue entre deux estimations de « sa vie » par deux sujets. Il est clair que, pour le second, perdre ce qui fait de lui un vivant ne peut représenter le pouvoir de se l'approprier. La perte à cause d'un autre a valeur de don et le salut réalisé par cette perte ne peut être lui aussi qu'un don. En termes de sémiotique, on dira de nouveau que la perte conditionne le salut en ce sens que celui-ci constitue la sanction, la reconnaissance en valeur, du faire constitué par la perte. Nous retrouvons la structure sous-jacente à la formule : « Ta foi t'a sauvé ».

La valeur de l'acte de perdre sera manifestée par l'attribution de ce qui a été perdu. Cette valeur n'est pas attachée à la perte comme telle, mais à la perte « à cause de moi». Puisqu'en perdant «sa vie», le sujet l'a estimée au prix de sa relation à Jésus, « sa vie » lui revient avec ce prix-là, comme un don attribué en reconnaissance de cette relation. Inversement, qui veut sauver sa vie en l'estimant à la seule valeur qu'elle représente pour lui-même, la perdra avec cette valeur-là et avec celle dont la prive l'absence de relation à Jésus. L'échec remplit ici la fonction d'une sanction qui manifeste l'erreur de jugement de valeur porté sur « sa vie».



Nous avons insisté sur le rôle de sanction que joue la perte ou le salut final dans la formule de Jésus. Pour tenir compte de sa force paradoxale, il faut ajouter que l'affirmation anticipée de la sanction future prend bel et bien la forme d'une attribution de pouvoir à chacun des deux sujets opposés. La formule tend à laisser à chacun la responsabilité ou de sa perte ou de son salut, si bien que vouloir se sauver est défini comme le pouvoir de se perdre, tandis que se perdre à cause de Jésus constitue le pouvoir de se sauver. Nous rejoignons ici le pouvoir faire attribué à la foi dans la formule: «ta foi t'a sauvé». Interprète du destinateur, Jésus peut poser la règle du « qui perd gagne » comme règle du monde du gratuit dont il parle.

https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1985-v41-n1-ltp2121/400141ar.pdf
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MessageSujet: Re: l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ?   vouloir - l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ? Icon_minitimeLun 04 Mar 2019, 17:45

Article utilement complémentaire (malgré le métalangage sémiotique qui, déjà attardé dans les années 80, finit par revêtir la patine d'un charme désuet Smile ).

J'avais mis entre tirets la précision "à cause de moi et de la bonne nouvelle (l'évangile)", parce qu'elle pose un problème évident (à tout lecteur en principe, qu'il s'en rende effectivement compte ou non: on ressent là aussi un certain "malaise" sans forcément parvenir à l'exprimer et à le définir). L'"évangile" comme "terme technique" du christianisme et de l'Eglise, surtout sans complément, sonne comme un anachronisme dans la bouche de "Jésus", même si le narrateur "marcien" en est coutumier (1,1.14s; 10,29; 13,10; 14,9[; 16,15]; les parallèles synoptiques et les variantes de Marc souvent l'évitent ou le précisent, par ex. comme "bonne nouvelle du royaume/règne"). "A cause de moi" pourrait paraître plus "naturel", mais c'est justement le plus douteux dans la tradition textuelle (absent de P45, du Codex de Bèze etc.).

On peut donc choisir de lire le logion avec ou sans l'incise. Sans, le paradoxe est indéniablement plus fort, plus net, plus strict, à la limite "aporétique", il y a une vraie contradiction (au moins formelle) qu'on ne peut pas évacuer comme seulement "apparente" ou "accidentelle". Avec, il y a en effet comme un passage dans l'impasse, et dans un sens qui rejoint alors l'idée du "mourir-pour" (cf. supra Ricœur). Ce qu'on ne pourrait pas faire tout seul parce qu'on ne peut pas le "vouloir" (se perdre), on pourrait le faire pour un autre, personnel (Jésus) ou impersonnel (l'évangile). Ce n'est certes pas le même "pour" (ici heneken, plutôt "à cause de"; en 10,45 anti, "à la place de" et en 14,24 huper, "en faveur de") mais ça passe quand même à la rigueur. On peut aussi, pendant qu'on y est, rattacher cela à la conjonction de l'amour de Dieu et du prochain en 12,30ss, bien que sur ce thème Marc en fasse beaucoup moins que d'autres.

J'avais également omis de ma citation initiale le logion du v. 38, parce que la psukhè n'y apparaît pas -- mais formellement il est aussi relié à ce qui précède par un gar: Car quiconque aura honte de moi et de mes paroles dans cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aussi aura honte de lui quand il viendra dans la gloire de son Père avec ses saints anges. (Logion qui se rattache à son tour très naturellement à la suite en 9,1, même en l'absence de connecteur "logique".) La "honte de moi" peut renvoyer au "à cause de moi" du v. 35, mais aussi au v. 34 et à ce qui précède (la croix, la Passion dont Pierre le premier ne veut pas entendre parler).
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MessageSujet: Re: l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ?   vouloir - l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ? Icon_minitimeMar 05 Mar 2019, 11:03

"Celui qui cherchera à sauvegarder sa vie la perdra, et celui qui la perdra la préservera." Luc 17,33

Nous pouvons noter que le "à cause de moi" est absent de ce texte et que Luc inscrit cette affirmation dans un contexte apocalyptique ("et que celui qui sera aux champs ne retourne pas non plus en arrière").  le seul lien qui me semble relier ce texte avec son contexte est l'avertissement "Souvenez-vous de la femme de Loth", elle n'a pas accepté la perte et le renoncement et elle l'a payé de sa vie.  


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MessageSujet: Re: l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ?   vouloir - l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ? Icon_minitimeMar 05 Mar 2019, 12:16

Il y a "à cause de moi" (heneken emou) en Luc 9,23ss (le "parallèle" le plus proche de Marc 8 // Matthieu 16; on trouve aussi chez Matthieu un doublon de 16,25 en 10,39, dans le contexte de la "mission", avec dans les deux cas "à cause de moi" -- mais pas "l'évangile"). Sur le "bric-à-brac eschatologique" de Luc 17, cf. ici: on voit bien comment le même logion peut prendre un "sens" différent, eschatologique ou non et/ou de tel ou tel type d'eschatologie, au gré d'une "mise en contexte" très artificielle. En l'occurrence, l'idée de ne pas retourner chez soi (cf. Marc 13,14ss, dans le contexte de la prise de Jérusalem) se rattache vaguement à l'histoire de Lot et de Sodome (où il s'agit plutôt de partir de chez soi); et le sort distinct de la femme de Lot séparée des siens appelle à son tour la suite (v. 34) sur la séparation des plus proches, où l'idée de "détachement" ne jouera pourtant plus aucun rôle.

Par ailleurs, on peut élargir la perspective à tous les jeux verbaux et conceptuels qui tournent autour de la notion de "perdre" et de ses différents antonymes (vs. "sauver", vs. "trouver", vs. "chercher", etc.): Matthieu 5,29s; 10,6; 15,24; 18,14; Marc 2,22//; Luc 15; 19,10; Jean 6,12.39; 12,25; 17,12; 18,9 (etc.; de même chez Paul et dans tout ce qui s'ensuit). Et on pourrait poursuivre autour de chaque antonyme qui a aussi d'autres antonymes que "perdre". L'intérêt de la chose, si elle ne mène à aucune "conclusion" et encore moins à une "doctrine" ferme, c'est qu'elle fait apparaître le jeu d'un langage qui finit par tracer le contour d'une "identité" religieuse et littéraire ("chrétienne", "évangélique").
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MessageSujet: Re: l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ?   vouloir - l'âme ou la vie, perdre ou sauver, vouloir ? Icon_minitime

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