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 eschatologie banalisée

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Narkissos

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MessageSujet: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeSam 09 Fév 2019, 17:12

Parmi les nombreuses divergences et contradictions de l'eschatologie du Nouveau Testament et de la littérature juive, païenne ou chrétienne avoisinante -- si nombreuses qu'on oublierait facilement la principale, présence ou absence d'eschatologie pour commencer, p. ex. dans le sadducéisme, la tradition judéo-hellénistique d'Alexandrie, le johannisme et les (autres) "gnoses" -- il en est une que nous avons souvent évoquée mais qui mérite peut-être un examen plus attentif, ou une certaine réflexion: de l'idée d'une "fin des temps" prévisible ou non (avec ou sans "signe" avant-coureur, qu'on voit venir ou qu'on ne voit pas du tout venir, comme le voleur dans la nuit, 1 Thessaloniciens 5 etc.) découle aussi une vision complètement différente du "temps de la fin", période anormale, troublée, terrible, ou au contraire parfaitement normale. Ce schéma eschatologique (l'un ou l'autre) rejaillit nécessairement sur la lecture de ses "modèles", vétérotestamentaires (de l'Ancien Testament, Bible hébraïque ou Septante grecque) pour l'essentiel. Ainsi le déluge ou la destruction de Sodome et Gomorrhe (etc.), qui dans la Genèse semblent plutôt répondre à des crimes divino-humains extraordinaires (avec un certain effet de symétrie d'ailleurs, violence co-impliquant dans les deux cas des dieux ou des anges, des hommes et des femmes), peuvent être décrits comme survenant dans des périodes tout à fait ordinaires, paisibles et prospères: voir Matthieu 24,37ss, pour le déluge seulement, et surtout Luc 17,26ss qui développe et combine les deux références (déluge / Sodome). A noter que pour Sodome (etc.) il y avait déjà un précédent vétérotestamentaire, peut-être antérieur au récit de la Genèse (lequel semble au moins pour partie un doublet de Juges 19, qui à partir d'un crime extraordinaire mais purement humain entraîne, au lieu de destruction divine, une opération militaire laborieuse): Ezéchiel 16,46ss n'attribuait la destruction des villes légendaires (probablement imaginées à partir de la topographie insolite de la région de la mer Morte) qu'à leur prospérité et à leur indifférence morale, indépendamment de tout "crime" remarquable.

Toujours est-il que ce mélange d'eschatologies contradictoires dans le NT aboutit à un paradoxe que je force à peine en l'énonçant ainsi: la fin du monde qu'on ne voit pas venir, on la voit d'autant moins venir qu'on la voit venir. Le jour et l'heure que non seulement on ne sait pas (Marc 13,32ss//) mais qu'on ne pense pas (Matthieu 24,44; Luc 12,46 etc.) discréditent tout "signe" et toute interprétation (depuis Marc 13, où tout ce qui se présente comme "signe" est aussitôt récusé comme tel). L'eschatologie en somme se neutralise elle-même, elle s'auto-immunise (s'immunise contre elle-même). L'habitude évangélique ou chrétienne d'attendre, puis de faire semblant d'attendre la fin du monde dans les époques les plus platement ordinaires se retourne en machine à normaliser l'anormal le plus flagrant (ou le plus é-norme), qui continue de fonctionner de façon dangereusement efficace bien au-delà du christianisme (religieux). La civilisation née (entre autres) d'une certaine idée de la fin du monde serait justement celle qui ne pourrait plus croire à la fin du monde, surtout quand elle la verrait venir ou la produirait elle-même.

On repense à saint Augustin écrivant La Cité de Dieu (soit la version la moins eschatologique possible du christianisme depuis le rejet des gnostiques) en plein effondrement de Rome: ce qui nous semble, a posteriori, un mélange hautement paradoxal d'aveuglement à l'"actualité" et de lucidité visionnaire, puisqu'en se détournant de l'histoire immédiate et de ses perspectives imminentes vers une éternité intemporelle il ouvrait au christianisme un long avenir historique (le moyen-âge et tout ce qui s'en est suivi, jusqu'à nos propres présent et futur éventuel). A titre beaucoup plus anecdotique, je repense à mon père TdJ qui, avant 1975, répliquait en citant les textes susmentionnés ("à une heure que vous ne pensez pas") à ses coreligionnaires fascinés par cette date: "Ça n'arrivera pas cette année-là, puisque vous vous y attendez" (sans voir, ou sans vouloir voir, ce qu'un tel raisonnement avait de ruineux pour toute eschatologie).
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeLun 11 Fév 2019, 13:26

"Veillez donc, puisque vous ne savez pas quel jour votre Seigneur viendra." Mt 24, 42

"C'est pourquoi, vous aussi, soyez prêts, car le Fils de l'homme viendra à l'heure que vous ne pensez pas." Mt 24,44

Le fait de "veiller" est inutile puisque le Fils de l'homme viendra à l'heure que vous ne pensez pas, ainsi le Fils de l'homme viendra a moment ou rien ne laissera présager qu'il arrive, voir au moment qui paraitra ne pas être l'instant choisi, il n'en aura aucune caractéristique, "et ils ne se doutèrent de rien jusqu'à ce que le déluge vienne et les emporte tous".
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeLun 11 Fév 2019, 14:23

"Inutile" dans un sens, essentiel dans un autre: la vigilance, la préparation, l'attente détachées de tout avenir prévisible deviennent une exigence permanente et absolue, elles s'intériorisent ou se spiritualisent comme l'eschatologie elle-même. Au prix d'une indiscernable ambiguïté, entre surface et profondeur paradoxale si l'on veut: entre comédie ou hypocrisie de l'attente, faire semblant d'attendre quand on n'attend rien, et attendre toujours, vraiment, même si l'on ne peut rien attendre de précis. Ambiguïté indépassable car au fond les deux "attitudes", si contradictoires soient-elles, sont corollaires, elles ne cessent de se renvoyer l'une à l'autre, ne serait-ce sur un mode métaphorique ou métonymique. Qui attend un avenir qu'il ne voit pas venir est obligé de l'attendre autrement, et qui attend sans rien attendre attend quand même comme s'il attendait quelque chose ou quelqu'un. Il y a là un jeu qui peut être superficiel ou profond, et qui ne peut pas être l'un sans être aussi l'autre.
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeLun 11 Fév 2019, 14:28

Le protocatholicisme est né d'une déception eschatologique : telle est la thèse fameuse, et influente, d'Albert Schweitzer et de son école, celle qu'on appelle l'école de « l'eschatologie conséquente ». Comme la fin tardait à venir, comme on attendait toujours en vain que se réalise la promesse de la Venue glorieuse, le « Dieu de l'espérance » s'est mué en Dieu de la Présence sacramentelle ; les cœurs ont regardé en-haut plutôt qu'en avant (sursum corda !), vers le ciel plutôt que vers l'avenir ; l'Église s'est installée sur la terre avec le statut d'institution divine − l'Église catholique. L'eschatologie dans sa forme néotestamentaire a connu une éclipse presque totale. L'espace central qu'elle avait occupé a été investi tout autrement : par la discipline des mœurs, l'expérience mystique, la spéculation mystique et, surtout, par les « mystères » liturgiques ou « sacrements ». http://flte.fr/wp-content/uploads/2015/08/ThEv2006-1-Eschatologie_catholicisme.pdf
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Narkissos

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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeLun 11 Fév 2019, 22:36

Blocher est prudent jusqu'en ses audaces: on s'apprête à protester qu'il n'y a rien de tel qu'une (et une seule) "eschatologie néotestamentaire" et on s'aperçoit, en le relisant, qu'il n'a pas exactement dit ça, qu'en vérité il n'a rien dit pour son propre compte, se contentant de rendre à Schweitzer ce qui est à Schweitzer et se gardant bien pour sa part de préciser quelle "parcelle de vérité" il en retient du côté du NT. Naturellement, il se garde tout autant d'indiquer que dans le NT même il y a tension, concurrence et parfois combinaison, entre une perspective temporelle et "horizontale" (la fin future) et une perspective intemporelle et "verticale", "charismatique", "mystique", "gnostique" ou "ecclésiastique" selon le cas (le salut éternel au présent, le ciel déjà sur terre ou la terre déà au ciel, etc.); avec des passages pourtant clairs de l'une à l'autre, par exemple dans les "deutéro-pauliniennes" (Colossiens-Ephésiens).

La pirouette finale qui oppose la simplicité évangélique de la "Parole de Dieu" à la complexité du catholicisme historique et moderne (d'ailleurs excellemment décrite entre-temps, du point de vue d'un théologien évangélique) est encore plus remarquable sous ce rapport. Que cette simplicité recouvre des problèmes herméneutiques et dogmatiques encore plus complexes que son repoussoir catholique, il ne le nie même pas puisqu'il n'en dit rien, et on ne saurait le lui reprocher puisque ce n'est pas le sujet.

Ce que j'appelais "eschatologie banalisée" me semble en fait un résultat, effectif mais involontaire (il arrive sans que personne ne l'ait voulu), de l'affrontement ou de la simple juxtaposition de toutes les eschatologies (futuristes, réalisées, actualisées, intériorisées ou spiritualisées) et "aneschatologies" du NT. Schweitzer, selon un schéma "évolutionniste" quasiment inévitable à son époque, éprouvait le besoin de poser à l'origine du christianisme une eschatologie futuriste, dont toute la suite dériverait pour le meilleur ou pour le pire (au sens de la dérivation et de la dérive, de la génération et de la dégénérescence, de la transformation et de la déformation, du dévoiement ou de la perversion). Ce schéma nous apparaît aujourd'hui irrecevable pour autant que nous avons appris à lire la différence dès l'origine, ou, ce qui revient au même, à nous passer d'origine (unique) -- à voir dans "le christianisme", indissociable dès lors de l'"Eglise", du "catholicisme" (au sens "universel" et non "occidental") et de l'"orthodoxie", une émergence plutôt qu'une origine, la condensation ou la concrétion d'une nébuleuse, la fusion ou fédération progressives de mouvements ou mouvances précédemment hétéroclites. Cela en tout cas ne change pas grand-chose à "mon" sujet, qui est plutôt un paradoxe à la fois historique et logique de l'eschatologie même, singulièrement dans ses versions "chrétiennes": plus on veut la prendre au sérieux, moins on le peut, non seulement à cause de circonstances extérieures (au premier chef le passage du temps et des générations), mais en raison même de son "contenu" contradictoire; et du fait même de cette contradiction, on ne peut pas non plus s'en débarrasser complètement. L'"imprévisible" déjoue toute "prévision" eschatologique, ce qui à la fois conforte et inquiète l'indifférence à l'eschatologie.
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeMer 13 Fév 2019, 11:29

Luc 17, 20 ss ; souligne l'idée que "Le règne de Dieu ne vient pas de telle sorte qu'on puisse l'observer", aucun évènement particulier ne doit précéder la venue du règne de Dieu et que la venue du Fils de l'homme ne sera pas un évènement secret, réservé à des initiés mais un fait qui s'imposera à tous :  "comme l'éclair brille d'une extrémité du ciel à l'autre, ainsi sera le Fils de l'homme en son jour". Je note que Luc 17 ne reprend pas les encouragement à "veiller" ou à la "vigilante" que l'on retrouve chez Matthieu et indique l'imprévisibilité et la soudaineté de la venue du Fils de l'homme : "deux personnes qui seront sur un même lit, l'une sera prise et l'autre laissée". L'histoire démontre que cette imprévisibilité peut justement susciter une "attente active", une volonté de scruter les évènements pour y discerner un signe avant-coureur (alors que Luc 17 décourage cette démarche inutile) mais aussi, le temps passant, provoquer une certaine apathie ou à faire semblant d'attendre et d'y croire.  

Certains textes de l’évangile de Thomas ne  prône pas l’attente de quelque chose de nouveau, mais le rétablissement de quelque chose de perdu :

« Le Royaume est au-dedans de vous » (3), « Ce que vous attendez est venu, mais vous ne le connaissez pas » (51), « Le royaume du Père s’étend sur la terre et les hommes ne le voient pas » (113).  « Les disciples dirent à Jésus : “Dis-nous comment sera notre fin ?” Jésus dit : “Avez-vous donc dévoilé le commencement pour que vous vous préoccupiez de la fin, car là où est le commencement, là sera la fin.” » (Évangile de Thomas, 18)



Lohfink part de l'idée qu'au niveau de l'eschatologie chrétienne il ne saurait être question de maintenir la conception de la temporalité que reflète le Nouveau Testament. Le royaume de Dieu ne peut plus aujourd'hui être compris comme quelque chose qui se réalise à la fin du temps historique. Nous ne pouvons pas du tout situer la venue de Dieu en un temps particulier. L'accomplissement de l'histoire ne se situe pas à un hypothétique point final dans la succession linéaire du temps, mais doit être compris comme ayant lieu en chaque point du temps historique (Greshake/Lohfink, p. 61). D'autre part, la rencontre définitive avec Dieu ne peut se faire qu'à travers la mort (Lohfink renvoie à ce sujet à Thomas d'Aquin, Somme Théologique III suppl. q. 78 a. 1 : ... non erit reditus ad immortalitatem nisi mediante morte; cf. p. 61). Lohfink conclut de là que la venue du royaume de Dieu ne peut qu'être située au moment de la mort de chaque individu. https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1992_num_23_4_2591
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeMer 13 Fév 2019, 13:25

Je ne l'avais pas remarqué, mais tu as raison: beaucoup d'exhortations à la "vigilance" (si l'on regroupe sous ce titre des motifs qu'il faudrait peut-être distinguer, "veille" ou "éveil" opposés au sommeil, et "attention" comme celle du garde qui doit non seulement être éveillé mais surveiller, être attentif à quelque chose d'extérieur, au moins dans l'image; "préparation" de celui qui est "prêt", à tout ou à quelque chose de précis, etc.) sautent en effet chez Luc (par rapport à Marc et à Matthieu ou à une éventuelle source "Q"). Il en reste toutefois, cf. p. ex. 12,35ss ou 21,36.

Luc 17,20ss combine deux "eschatologies" tout à fait différentes en soi: 1) une eschatologie complètement "intériorisée" ou "spiritualisée" (v. 20s), qui se confond à la limite avec une absence d'eschatologie (future) et consonne en effet avec l'évangile selon Thomas ou les premières strates de l'évangile selon Jean; 2) une "eschatologie" future mais imprévisible, dépourvue de tout "signe" avant-coureur, qui reporte son accent parénétique (d'exhortation pratique) de la vigilance (inutile) de l'événement extérieur sur la préparation de soi-même "en tout temps" (v. 22ss). Elles sont logiquement incompatibles, quoiqu'elles aient en commun le même trait d'"intériorisation" (de l'eschatologie elle-même dans le premier cas, de la vigilance dans le second); et le fait est qu'elles ont pu être ressenties, contre toute "logique" apparente, comme complémentaires (à preuve leur juxtaposition dans le texte).

J'ai trouvé l'article de Disse sur von Balthasar (que j'ai lu jadis sur les Pères de l'Eglise, mais dont je connaissais peu la théologie personnelle) extrêmement intéressant. La chose me semble d'un côté (pour tout ce qui touche à la "conscience de Jésus", conscience du "Jésus historique" ou conscience historique de Jésus) fort naïve, mais ce genre de naïveté créatrice (von Balthasar parle de Dramatik, je n'exclurais pas pour ma part la "fiction" de la "dramaturgie", et dans la rédaction des évangiles et dans la lecture et l'interprétation que nous en faisons) est peut-être nécessaire pour appréhender l'autre côté, disons philosophique et théologique, de l'eschatologie: une certaine corrélation du "temps", de l'"histoire" et de l'"éternité" qui n'est possible qu'à partir d'un point de vue "existentiel" et "phénoménologique": c'est sans doute là que la proximité de Bultmann et de Heidegger, dans le sillage de Kierkegaard et de Husserl, a été la plus féconde malgré leurs nombreux malentendus.

Pour le dire aussi simplement que possible: il y a un point de vue (de la "foi", que ce soit celle de "Jésus", des "auteurs", des auditeurs ou des lecteurs du NT, à l'époque comme aujourd'hui, à chaque fois un "ici" et un "maintenant") d'où toutes les perspectives s'alignent et où toutes les contradictions se résolvent: l'éternité, le temps, l'histoire, le passé, le présent, l'avenir, Dieu, Jésus, le royaume, le monde, la création et la fin du monde, tout cela ne fait plus qu'un. C'est une "illusion de perspective" si l'on veut, mais il n'y a pas de perspective sans illusion ni d'illusion sans jeu (ludique et dramaturgique). On ne comprendra jamais rien à la "théologie" ni à quoi que ce soit d'autre, histoire dite "vraie" ou fictive, conte, fable, légende, mythe, épopée, tragédie, comédie, roman, nouvelle, poésie, cinéma, si l'on ne joue pas le jeu, si l'on ne joue pas à y "croire" d'une manière ou d'une autre. J'allais dire "même partiellement ou provisoirement", mais l'expérience même nécessite de lever (partiellement ou provisoirement !) cette réserve: quand on croit on croit, sans réserve, et c'est pour autant qu'on croit qu'on voit ce que la foi seule donne à voir dans le temps de l'expérience. Temps eschatologique alors en un sens, chaque fois unique, premier dernier.
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeMer 13 Fév 2019, 15:15

L'incertitude de la parousie a été un puissante incitation à être vigilant, ce qui présuppose que les croyants/lecteurs/auditeurs de l'époque étaient conscient de ne pas vivre la fin mais l'attente de la fin :


"Comme le marié tardait, toutes s'assoupirent et s'endormirent" Mt 25,5

"Longtemps après, le maître de ces esclaves arrive et leur fait rendre compte" Mt 25,19

On assiste à un déplacement de la prédication, si l'appel se fait pressant, ce n'est plus parce que la parousie est imminente mais en raison de l'ignorance du délai. Les croyants font l'expérience d'un présent qui s'allonge, ce qui implique l'importance de la fidélité dans la durée qui est menacée par les activités du quotidien ("les gens mangeaient et buvaient, se mariaient et mariaient leurs enfants"). L'assoupissement spirituel est le danger qui guette le croyant qui ne doit pas se préoccuper du moment de la parousie mais d'être vigilant. Cet impératif de vigilance se double d'un constat : l'aspect inattendu et imprévisible de la fin, ne laisse aucun moyen au croyants de se préparer à cet évènement.  
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeMer 13 Fév 2019, 15:59

C'est d'autant plus vrai que dans les textes du NT l'"attente imminente" (Naherwartung) n'est quasiment jamais une expérience présente (ni à l'"auteur" ni à ses "destinataires"), mais un récit ou une fiction du passé. Les évangiles et les Actes re-présentent les "apôtres" et parfois "Jésus" dans une telle attente, mais pour ceux qui écrivent comme pour ceux qui lisent c'est du passé, révolu, avec lequel on a déjà pris une distance avant même d'écrire ou de lire. En 2 Thessaloniciens la "fiction pseudépigraphique" opère de façon similaire (voir ici, 15.11.2018): on y voit "Paul" aux prises avec une Naherwartung contemporaine (de lui !), mais pour l'auteur et les lecteurs réels de l'épître fictive c'est encore du passé. Le contexte réel des textes eschatologiques, c'est toujours déjà le retard de l'eschatologie; autrement dit, le retard fait partie intégrante de l'eschatologie (depuis Daniel par exemple, où l'on voit pathétiquement s'accumuler les délais supplémentaires dans les conclusions successives). Hors même de toute "fiction" d'ailleurs: quand on croirait vraiment la fin imminente, songerait-on à écrire ?

(Les fameuses expressions de la "dernière génération" -- Marc 13//, mais aussi "nous les vivants" en 1 Thessaloniciens 4 ou 1 Corinthiens 15 -- ne sont à cela qu'une exception partielle: on est dans le "proche" mais déjà plus dans l'"imminent", si l'on y a jamais été -- et alors on n'écrivait pas encore. L'expérience du "retard", après la "tribulation" de Jérusalem dans un cas et avec la mort des plus anciens croyants de l'autre, est prise dans le tissu même du texte.)

---
Pour revenir dans la ligne de mon post précédent: il me semble évident qu'une eschatologie ne peut sortir de la banalité, n'être prise au sérieux, qu'à partir d'un présent existentiel et subjectif (c'est là presque tout Kierkegaard): maintenant, la fin, au plus proche la mort, ma mort ou mes morts, mes proches morts ou la mort de mes proches, dès lors que s'abolit l'illusion (purement statistique, et de toute façon provisoire) d'une quelconque "distance de sécurité" entre "maintenant" et "la fin". A partir d'un tel "maintenant" où tout peut finir, dans un sens virtuel ou potentiel mais aussi le plus réel, effectif ou actuel du verbe "pouvoir", je peux commencer à saisir, ou à ressaisir, ce qu'il en est d'une "eschatologie", forcément imminente, forcément retardée aussi tant que je suis là, et de son "Dieu" ou de sa "fin du monde". Ainsi et seulement ainsi je deviens "contemporain", comme disait Kierkegaard, d'une eschatologie réelle, profondément historique, "historiale-destinale" comme on traduit habituellement le geschichtlich-geschicklich de Heidegger, peu importe dès lors qu'elle ait été par le passé "historique" au sens banal (historisch) ou non. En ce sens le passage historique (au sens banal) de "l'eschatologie cosmique" à "l'eschatologie individuelle", centrée sur la mort (cf. supra Blocher sur l'eschatologie catholique), est tout sauf un accident, puisqu'il n'y a jamais eu d'"eschatologie" qu'à partir d'une (prise de) conscience de "la mort" (y compris celle du Christ pour le monde, pour l'Eglise ou pour moi). C'est à partir de la certitude paradoxale de la mort, irréfutable mais inassimilable, qu'il y a de l'eschatologie comme il y a de la "religion", de la "foi" et de la "pensée", et quand il y en a il y en a partout -- c'est ce qu'on appelle un "horizon", ou une "perspective". Mais hors de ce "point de vue" la "banalisation" de l'eschatologie est inéluctable, qu'elle résulte du simple passage du temps ou aussi de ses contradictions particulières.
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeMer 13 Fév 2019, 22:48

L’attente peut paraitre pour un temps, intéressante, puis susciter un désintérêt, voire un rejet d'une chose d’insupportable. Sans doute parce que l’on y a cru par intérêt, par jeu et puis le temps passant on perd cette envie de jouer. Alors vient le temps de la désillusion et le temps du questionnement, des questionnements ; donc l’attente vécue comme un moment important de la vie, puis l’abandon plus ou moins marqué de cette attente participent à l’étape du questionnement nécessaire à notre réflexion sur la vie, sur la mort.
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeJeu 14 Fév 2019, 02:04

Par-delà l'eschatologie imminente ou lointaine mais toujours future, actualisée ou banalisée, il y aurait encore l'eschatologie périmée ou dépassée: retour peut-être à l'en-deçà de toute eschatologie, au temps bienheureux ou du moins pas si malheureux où l'on se contentait de vivre et où l'on n'était pas trop mécontent de mourir... (cf., en remontant un certain cours de l'histoire: les sadducéens, Qohéleth, la Genèse et une bonne partie de la Bible hébraïque, et l'innocent paganisme d'avant le dualisme perse ou néo-judéen).

Puisque nous -- derniers participants de ce forum -- avons en commun d'être passés par une certaine expérience d'eschatologie réactivée à la sauce jéhoviste, je confesserai à nouveau ceci: je crois bien ne pas trop me tromper en disant, quoique avec mes mots d'aujourd'hui, que je n'ai jamais été vraiment attiré par l'"avenir" nunuche qu'elle proposait (le paradis terrestre). En revanche, j'ai été tout à fait séduit, à l'adolescence, par l'occasion inouïe qu'elle m'offrait d'être dispensé d'avenir, de la responsabilité de me construire un avenir, de faire des "plans" ou des "projets". Puisqu'un Dieu prétendait se charger de l'avenir et qu'il y avait tout un petit monde d'adultes pour y croire ou faire semblant d'y croire, l'aubaine était trop belle de me décharger de cet avenir qui m'avait par moments intensément angoissé, mais le plus souvent prodigieusement ennuyé. C'était bien "la fin du monde" plus que "le monde nouveau" qui me convenait, même dans "le monde nouveau" pour autant que celui-ci n'était plus de ma responsabilité. Qu'il n'arrive jamais n'était pas un problème, tant que durait le jeu d'y croire, suffisamment du moins pour ne pas avoir à assumer la responsabilité d'un avenir.

Que de tels sentiments, au fond parfaitement "nihilistes", soient en fait répandus, même à leur insu, parmi les amateurs d'"eschatologie" modernes ou anciens, du judaïsme tardif ou des "premiers chrétiens" à l'adventisme ou au dispensationalisme du XIXe siècle, c'est ce que pour ma part je ne peux m'empêcher de soupçonner, sans pour autant être capable ni même désireux de le prouver. (Voir aussi ici.)
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeJeu 14 Fév 2019, 10:42

Ce qui a pu attirer, m'attirer c'est le fait de lire la promesse d'un monde au sein duquel les jeux de pouvoir seraient différents qu'ils le sont dans la vraie vie. J'étais comme un enfant fasciné par ce que l'on m'apprenait et comme un papillon de nuit attiré par une "certaine lumière" tirée de la Bible.

Les explications que j'entendais faisait tinter à mes oreilles des promesses d'un avenir brillant qui échappait à toute logique. Était-ce un malheur, un bien, il est bien difficile de le dire à présent. Mais pendant quelques instants au sortir de ce rêve tout éveillé, j'avais l'impression d'avoir la bouche pâteuse comme au lendemain d'une soirée un peu trop arrosée.

Sans doute avais-je besoin de m'échapper du présent, des ennuis, des soucis que je ne parvenais pas à canaliser, à accepter. Mais c'était pour tomber dans d'autres soucis, désillusions qui seraient plus difficiles à oublier.


Je ne reproche rien à personne, j'ai bien voulu croire à tout ce que l'on me disait; telle la cité mythique de l'Atlantide exerçant sa fascination les explications présentées m'ont laissées sans défenses convaincu que c'était bien la réalité qui m'était enfin dévoilé.


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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeJeu 14 Fév 2019, 11:36

Citation :
En revanche, j'ai été tout à fait séduit, à l'adolescence, par l'occasion inouïe qu'elle m'offrait d'être dispensé d'avenir, de la responsabilité de me construire un avenir, de faire des "plans" ou des "projets". Puisqu'un Dieu prétendait se charger de l'avenir et qu'il y avait tout un petit monde d'adultes pour y croire ou faire semblant d'y croire, l'aubaine était trop belle de me décharger de cet avenir qui m'avait par moments intensément angoissé, mais le plus souvent prodigieusement ennuyé. C'était bien "la fin du monde" plus que "le monde nouveau" qui me convenait, même dans "le monde nouveau" pour autant que celui-ci n'était plus de ma responsabilité. Qu'il n'arrive jamais n'était pas un problème, tant que durait le jeu d'y croire, suffisamment du moins pour ne pas avoir à assumer la responsabilité d'un avenir.

Narkissos,

Tu résumes ce que de nombreux TdJ ressentent, inconsciemment et sans vraiment cerner les ressorts qui les font agir et réagir. Le chemin est déjà tracé par Dieu, il définit notre identité, pas besoin de s'en construire une, de définir des valeurs et des objectifs, on se laisse porter par Dieu et ses représentants, ainsi pas d'angoisse existentielle (en apparence), pas de questionnement.

Attente de la fin place le croyant qui l'espère, dans une tension incroyable qui aboutit inévitablement à faire semblant d'attendre ou de jouer le jeu de l'urgence des temps. Comment concilier le fait de vivre comme si la fin devait arriver demain et le fait de vivre un quotidien d'une grande banalité et répétitif, ou l'on doit se préoccuper de faire des courses, définir les repas du jour, faire les devoirs aux enfants .... ?
Comment avoir le sentiment de vivre une époque unique et exceptionnelle, celle qui verra l'intervention de Dieu et continuer à vaquer à ses occupations et préoccupations du quotidien, alors que la situation réclamerait de tout plaquer ?
On ne peut pas vivre en permanence en situation d'urgence, dans une attente imminente, ce qui implique que celui qui attend la fin, joue le jeu de l'attente, il fait semblant d'y croire et il continue de vivre son quotidien.

Même les textes les plus convaincus de l'imminence de l'arrivée de Dieu, doivent concéder une attente qui se prolonge, un sentiment de retard qui débouche en fin compte sur la nécessité d'attendre encore et encore, avec la conviction que cette fin arrivera sans faute, même si les évènements clament le contraire :

 "Car c'est encore une vision pour le temps fixé, elle aspire à son terme, elle ne mentira pas. Si elle tarde, attends-la, car elle se réalisera bel et bien, elle ne sera pas différée." Ha 2,3





Concernant 1 Th 5, 1-3 : "Pour ce qui concerne les temps et les moments, vous n'avez pas besoin, frères, qu'on vous écrive. En effet, vous savez vous-mêmes parfaitement que le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit.  Quand ils diront : « Paix et sécurité ! », alors la destruction arrivera sur eux à l'improviste, comme les douleurs de l'accouchement sur la femme enceinte, et ils n'échapperont en aucun cas."



C'est l'un des plus formidables contresens qu'il était possible d'imaginer.
Ce passage s'inscrit dans une conception eschatologique où la fin doit arriver sans AUCUN signe avant-coureur: comme un voleur dans la nuit (voir le contexte).
"Quand ils diront: 'Paix et sécurité!'" n'a rien d'un "cri" ou d'une proclamation exceptionnelle, c'est la description générale d'une époque normale, prospère, où justement on n'attend pas la fin du monde (cf. "c'est à une heure que vous ne pensez pas"); cette formule joue exactement la même fonction que "ils mangeaient, ils buvaient, se mariaient etc." dans Luc 17 p. ex.
Faire de l'expression de l'absence de signe un signe supplémentaire, il fallait le faire... c'est fait!


https://etrechretien.1fr1.net/t146-les-derniers-jours
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeJeu 14 Fév 2019, 12:37

L'eschatologie, en effet, se banalise toute seule. Avec le temps, comme chantait Ferré. Plus elle a joué et misé sur le temps, plus elle y perd.

Mais en même temps tout ce qui se joue, même "Dieu", même "l'éternité" la plus intemporelle, absolue ou abstraite, ne peut pas se jouer ailleurs ni autrement qu'avec et dans le temps. Et tout y perdre, sauf d'avoir joué et d'avoir fait de son temps le lieu de quelque chose (peut-être une constellation, quand même rien n'aura eu lieu que le lieu: c'est le coup de dés de Mallarmé).

Sur Habacuc 2,3, voir (encore) ici (11.11.2018). Et éventuellement (sur le chapitre 3, mais il y en a aussi comme un écho).

Concernant 1 Thessaloniciens 5, il faut également noter (v. 4s) l'un des plus subtils passages d'une eschatologie à l'autre (du modèle futuriste-horizontal-imprévisible au modèle présent-vertical-réalisé), à la faveur d'un jeu de mot(s) sur le seul mot "jour". On attend le jour qui vient comme un voleur dans la nuit (!), mais quand on est "fils de la lumière" et "fils du jour" on n'attend là que ce qu'on a et ce qu'on est déjà. Fin glissement de l'acception "temporelle" du "jour" = date, instant, à l'acception "qualitative" ou "essentielle" du jour = lumière, qui fait basculer toute l'eschatologie dans l'ontologie, du "jour" qu'on attend au "jour" qu'on est, ou dont on est.


Dernière édition par Narkissos le Jeu 14 Fév 2019, 13:22, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeJeu 14 Fév 2019, 13:21

Citation :
Concernant 1 Thessaloniciens 5, il faut également noter l'un des plus subtils passages d'une eschatologie à l'autre (du modèle futuriste-horizontal-imprévisible au modèle présent-vertical-réalisé), à la faveur d'un jeu de mots sur le mot "jour". On attend le jour qui vient comme un voleur dans la nuit (!), mais quand on est "fils de la lumière" et "fils du jour" on n'attend là que ce qu'on a et ce qu'on est déjà. Fin glissement de l'acception "temporelle" du "jour" = date, instant, à l'acception "qualitative" ou "essentielle" du jour = lumière, qui fait basculer toute l'eschatologie dans l'ontologie.



Merci Narkissos pour cette explication concernant les v 4-5 : "Mais vous, frères, vous n'êtes pas dans les ténèbres, pour que ce jour, tel un voleur, vous surprenne ;
car vous êtes tous fils de la lumière et fils du jour. Nous n'appartenons pas à la nuit ni aux ténèbres."

La suite du texte (5, 6-10) illustre bien ton analyse : "Donc ne dormons pas comme les autres, mais soyons vigilants et sobres. Ceux qui dorment, c’est la nuit qu’ils dorment, et ceux qui s’enivrent, c’est la nuit qu’ils s’enivrent ; mais nous qui sommes du jour, soyons sobres, revêtus de la cuirasse de la foi et de l’amour, avec le casque de l’espérance du salut. Car Dieu ne nous a pas destinés à subir sa colère, mais à posséder le salut par notre Seigneur Jésus Christ, mort pour nous afin que, veillant ou dormant, nous vivions alors unis à lui."

Le texte souligne bien que les croyants sont déjà "du jour", par contre le v 10 ; précise "veillant ou dormant, nous vivions alors unis à lui" , le fait de dormir semble devenir annexe.

Le v 1 ("Pour ce qui concerne les temps et les moments, vous n'avez pas besoin, frères, qu'on vous écrive") indique que toute curiosité est vaine et déplacée, les fidèles savent tout ce qu'ils doivent et peuvent savoir
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeJeu 14 Fév 2019, 13:35

En effet, il y a un glissement similaire (plus verbal que logique) et presque symétrique du couple "jour / nuit" et du couple "veille / sommeil", lequel est pris d'abord dans un sens "moral" ou "spirituel" (être éveillé, vigilant, sobre, comme il sied au jour, et non dans l'inconscience ou la débauche de la nuit, ça c'est "important"), puis dans un sens "physique" et moralement ou spirituellement indifférent (être vivant ou mort, comme au chapitre 4, cela n'a plus aucune "importance"). La différence "spirituelle" se détache sur fond d'indifférence "physique", mais les deux notions contradictoires ne fonctionnent que par leur rapport (paradoxal).
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeJeu 14 Fév 2019, 14:08

En "rencontrant" le bouddhisme ou l'enseignement de Bouddha, je me suis rendu compte combien la nature humaine est susceptible de se tromper, de se représenter comme jouant un rôle qu'elle n'a pas, qu'elle n'a jamais eu à jouer.


Les temps, les époques changent; les civilisations disparaissent et avec elles toute une façon de penser, d'imaginer le présent et surtout le futur. L'avenir n'apparait jamais plus beau qu'à travers le prisme de nos croyances, de nos espoirs. Depuis le début du 20e siècle, du moins il me semble en être ainsi, l'homme (au sens de Mensch) est en mesure de manifester non seulement un esprit de liberté, mais de vivre cette liberté. Il se retrouve, cet homme, face à ses croyances et essaye de les vivre sans prendre conscience que ce qu'il triture entre ses doigts, ce qu'il cogite dans sa tête; de nombreux penseurs, philosophes l'ont fait avant lui et ont sans doute, dans une certaine mesure, influencés ses pensées.


Ce qui était considéré comme convenable, réaliste dans le passé devient soudainement caduque, dépassé. Ce n'est plus le groupe qui occupe les pensées, mais l'individu; cela provoque un changement évident dans la forme de pensée ayant trait à la fin du monde. Il ne s'agit plus de concevoir une fin d'un mode de pensées, on imagine une fin pour chaque individu. Bien sûr il vient alors à l'esprit la mort que nous connaitrons chacun à un moment ou à un autre; mais ce n'est pas de cela dont il est question, il s'agit d'imaginer son vécu rattaché à celui d'un culte, d'une culture visant à disparaitre parce que l'entité divine le décide ainsi.


La fin du monde, et non la fin d'un monde s'est ainsi imposée petit à petit et l'on y a ajouter toutes sortes d'artifices comme on décore un sapin de Noël en y ajoutant au fur et à mesure de plus en plus de choix d'idées personnels.
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeJeu 14 Fév 2019, 14:20

La parabole de la semence qui pousse toute seule illustre le fait que le règne de Dieu arrive par un processus lent, naturelle et ordinaire, sans que l'homme n'ai à s'en préoccuper :


"Il disait encore : Il en est du règne de Dieu comme d'un homme qui jette de la semence sur la terre ; qu'il dorme ou qu'il veille, nuit et jour, la semence germe et croît sans qu'il sache comment. D'elle-même la terre porte du fruit : d'abord l'herbe, puis l'épi, enfin le blé bien formé dans l'épi ; et sitôt que le fruit est mûr, on y met la faucille, car la moisson est là." Mc 4, 26-29




Le cas de Marc 4,26ss est particulièrement intéressant parce qu'il ne comporte aucune eschatologie explicite, et pourtant ça ne change rien: c'est la structure même du récit, de n'importe quel récit (en l'occurrence la parabole la plus élémentaire et la moins allégorique, qui ne dit que ce qu'elle dit et non ce qu'elle voudrait dire), qui est eschatologique, par essence -- qui tend vers une fin. Et la fin est toujours arbitraire, péremptoire, tranchante comme la faucille et comme l'entame (et donc aussi la "fin") d'un cercle qu'on ne peut tracer qu'en commençant et en finissant quelque part, quoique le cercle même ne commence ni ne finisse nulle part. Pour le paysan l'épi et la moisson c'est une fin, mais c'est aussi le grain qu'il va semer pour un nouveau cycle. L'arbre est "dans" la graine comme sa "fin" dans le "commencement" (image privilégiée de l'entéléchie d'Aristote), mais la graine est aussi bien la "fin" de l'arbre, et le "fruit" la "fin" de la graine, de l'arbre et du verger du point de vue de celui qui cueille ou récolte. Une "histoire" est toujours un segment de sens (au sens sémantique et directionnel, du début à la fin), dé-fini, découpé et prélevé arbitrairement par quelqu'un sur une continuité qui n'a, en soi, aucun "sens".

Il y a un ridicule consommé à raconter "l'être", "le monde" ou "la vie" comme une "histoire". Mais d'une part on ne peut pas s'en empêcher, d'autre part il n'est pas certain que ce soit plus ridicule que de raconter "sa" vie ou sa journée comme une "histoire", "vraie" de surcroît, alors qu'on en invente l'enchaînement à mesure qu'on la raconte, traçant entre les "événements" une ligne logique et narrative parmi cent ou mille autres possibles. Et puisque nous sommes là et que nous sommes ainsi, qui sait si l'être, le monde ou la vie n'ont pas voulu, par nous, se raconter des histoires -- s'ils ne tendent pas eux-mêmes à l'historicité et à la narration, comme (et donc) à une "fin" ? Entre le grotesque et le sublime, entre l'éclat de rire et l'extase mystique, l'oscillation est irrépressible.

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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeJeu 14 Fév 2019, 15:32

Et pendant que l'"eschatologie" se banalise et s'auto-immunise à force de s'affirmer, de se contredire, de se répéter, de se corriger, de se réfuter ou de s'actualiser, une "fin du monde", relative certes mais beaucoup plus large qu'une "civilisation" et plus longue que l'"histoire" (au moins écrite), se produit sous nos yeux qui ne peuvent plus la voir ni la reconnaître comme telle, puisque son nom et son concept mêmes sont (sur-)occupés, banalisés et disqualifiés d'avance. L'histoire et la civilisation de l'eschatologie qui auront produit la fin de leur monde seront peut-être les dernières à le savoir.
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeJeu 14 Fév 2019, 16:14

"Après avoir dit cela, pendant qu'ils regardaient, il fut élevé et une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme ils fixaient le ciel, pendant qu'il s'en allait, deux hommes en habits blancs se présentèrent à eux  et dirent : Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous là à scruter le ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière que vous l'avez vu aller au ciel." Act 1, 9-11

La venue du Christ est souvent dépeinte comme étant spectaculaire(Mt 34,30 ou la nuée ne dérobe pas au regard et ou le Fils arrive dans la gloire et la puissance), or Act 1, décrit une venue en catimini, en secret et réservée à des initiées.
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeJeu 14 Fév 2019, 16:41

C'est peut-être un reste de doctrine jéhoviste (de la "parousie invisible"), car à part ça je ne vois pas très bien comment on pourrait rien déduire de tel du texte des Actes (si l'ascension rend invisible, le retour, logiquement, doit rendre à nouveau visible !). L'auteur prend toutes ses précautions pour distinguer la venue (future et lointaine) du Christ de celle de l'Esprit (à la Pentecôte), mais il ne fait nulle part du "retour du Christ", même repoussé sine die, un événement "secret". Cf., au contraire et au hasard, 3,21; 10,42; 17,31.
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeJeu 14 Fév 2019, 17:09

Narkissos a écrit:
C'est peut-être un reste de doctrine jéhoviste (de la "parousie invisible"), car à part ça je ne vois pas très bien comment on pourrait rien déduire de tel du texte des Actes (si l'ascension rend invisible, le retour, logiquement, doit rendre à nouveau visible !). L'auteur prend toutes ses précautions pour distinguer la venue (future et lointaine) du Christ de celle de l'Esprit (à la Pentecôte), mais il ne fait nulle part du "retour du Christ", même repoussé sine die, un événement "secret". Cf., au contraire et au hasard, 3,21; 10,42; 17,31.

Merci pour ces précisions.

Lorsque les évangiles font allusions aux "jours de Noé" en rapport avec "l'avènement du Fils de l'homme", ce n'est pas pour souligner l'inconduite ou la violence des contemporains de Noé mais pour indiquer qu'ils étaient absorbés par les activités quotidiennes, conscient que les croyants vont être confrontés à une attente longue et que le véritable danger consistera à oublier la parousie, à tomber dans l'assoupissement spirituel et à se lasser d'attendre.
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeJeu 14 Fév 2019, 18:25

Il faudrait sans doute mieux distinguer entre "les évangiles" (et même à l'intérieur de chacun) que je ne l'ai fait dans mon post initial -- j'ai une excuse, c'était accessoire par rapport à mon propos, logiquement inaudible, sur une eschatologie qui se rend elle-même inaudible (CQFD).

Matthieu n'est pas aussi allergique au "signe" que Marc (le refus de tout signe en Marc 8,11s devient "signe de Jonas" et "signes des temps" en Matthieu 12,38s et 16,1ss). Dans le discours eschatologique, il n'y avait pour tout "signe" chez Marc que ceux des "faux christs et faux prophètes" (13,4.22); chez Matthieu il y a aussi un "signe du Fils de l'homme" (24,30), quoiqu'il se confonde avec sa venue même (ce n'est donc pas un "signe précurseur" ou "avant-coureur", même si "le Fils de l'homme" au ciel n'est pas exactement "Jésus"); Luc, dans sa perspective d'eschatologie lointaine, rajoutera encore des "signes célestes" (21,11.25), mais suffisamment extraordinaires pour qu'on ne les confonde pas avec des événements ordinaires, du moins c'est ce qu'il pouvait (naïvement) espérer.

Reste que toute la fin du chapitre 24 de Matthieu (v. 36-51) et le chapitre suivant contrent l'impression de "prévisibilité" qui se dégage quand même, fatalement, d'un "discours eschatologique" répondant (fût-ce à côté de la question) à la question du "signe" (v. 3). Ce que faisait aussi, beaucoup plus brièvement, son modèle marcien (Marc 13,32-36). Dans ce contexte, la référence aux "jours de Noé" introduite par Matthieu (24,37ss) prend tout son sens: on aurait beau prévoir, l'essentiel resterait imprévisible, et c'est l'imprévisible qui serait décisif, séparant les plus proches dans un jugement strictement individuel et instantané (l'un pris l'autre laissé). Luc détachera tout ce morceau du discours eschatologique (pour séparer autant que possible la venue ultime du Fils de l'homme de la chute de Jérusalem, chap. 21) et il associera le déluge à Sodome, dans un bric-à-brac de logia eschatologiques en tout genre (17,20ss) où on retrouve pêle-mêle: de l'eschatologie réalisée et spiritualisée (v. 20s), future, universelle et non locale (v. 22ss), imprévisible (v. 26-29), laissant quand même un temps de réaction décisive (v. 30-33), on se demande pourquoi puisque le jugement est individuel (v. 34s), sans compter le proverbe des aigles-vautours qui revient comme une réponse énigmatique à la question "où", celle déjà des v. 22ss (v. 37). -- Toute tentative de trouver une logique à cet enchaînement est de la seule responsabilité du lecteur.

Cette collection hétéroclite (comparable pour la forme "collection" à l'Evangile selon Thomas ou même aux Proverbes, indépendamment de la nature et du contenu des sentences rassemblées) a cependant le grand mérite d'illustrer le type de parole "prophétique" que l'eschatologie suscite, en milieu "chrétien" comme ailleurs: des sentences justement, brèves, péremptoires, définitives, qui partent dans tous les sens mais frappent l'imagination et marquent la mémoire, et peuvent ensuite être placées, déplacées et replacées dans toute sorte de "contextes". Ce n'est ni l'oracle circonstancié (quoique souvent ambigu) qui sort tout chaud de la transe du nabi', inspiré, voyant ou devin à l'ancienne face à une demande précise, ni le poème ou la prose poétique savamment élaborés du prophète-écrivain qui est plus écrivain que prophète, pas non plus la mise en scène apocalyptique de la vision et de l'interprétation du prophète-sage instrumental, mais encore moins les scénarios formellement cohérents et plausibles (au moins pour leur public) qu'en tirent les eschatologies modernes, religieuses (adventistes, dispensationalistes, etc.) ou sécularisées (p. ex. progressistes).
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeLun 18 Fév 2019, 11:46

"Que le Dieu de paix lui-même vous sanctifie totalement, et que votre esprit, votre âme et votre corps soient parfaitement gardés pour être irréprochables lors de la venue de notre Seigneur Jésus Christ. Celui qui vous appelle est fidèle : c’est lui encore qui agira."  1 Th 5,23-24



Le chapitre 5 est rempli de recommandations pour être prêt et pour ne pas être surpris par ce jour de l'avènement du Fils, pourtant le texte ci-dessus souligne l'idée qu'en réalité, c'est la constance avec laquelle Dieu appelle qui sauve et le fait qu'il prépare les croyants en vue du jour de la parousie du Christ. Ainsi toutes les recommandations de Paul peuvent paraître superflues face à l'élection divine, qui ne réclame pas une préparation particulières en vue de le venue du Christ.
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MessageSujet: Re: eschatologie banalisée   eschatologie banalisée Icon_minitimeLun 18 Fév 2019, 12:16

C'est encore plus lapidaire en grec: fidèle qui vous appelle, qui aussi fera (poièsei).

La "parénèse" (exhortation) paulinienne ne peut s'accorder à la théologie paulinienne qu'avec cette double lecture qui est souvent explicite (p. ex. Philippiens 2,13) et encore plus souvent implicite: tout ce qu'il faut faire, c'est Dieu (le Christ, l'Esprit) qui le fait (en vous, en nous). Ou, comme le dit saint Augustin, da quod jubes, jube quod vis, ce qui sonne encore mieux en français (donne ce que tu ordonnes, ordonne ce que tu veux). Il n'y a là, en principe, aucune place pour une autonomie, un "libre-arbitre" et une "responsabilité" au sens où les entend la modernité (dans la ligne de tous les anti-paulinismes et de la pensée non paulinienne en général).

La "loi" (nomos) suppose et "gère" un régime d'absence ou de "vacance" d'autorité ou de pouvoir, entre un temps législatif passé (celui où la loi est écrite ou promulguée) et un temps judiciaire futur (celui où d'éventuelles transgressions sont éventuellement jugées et punies); c'est ce qu'il faut faire, ce qu'on sait qu'il faut faire parce que c'est écrit ou mémorisé, en l'absence de quelqu'un qui dise au présent et d'autorité ce qu'il faut faire, maître, roi ou dieu vivant et présent, capable d'ordonner et d'imposer (d'enforcer comme dit l'anglais) im-médiatement sa volonté sans écart possible. Dans cette absence et sous la médiation de la loi je suis "libre" de faire ou de ne pas faire, et "responsable" devant une instance future (retour du maître, du roi, du dieu, comme juge de ce qui s'est fait ou non en son absence). Le régime de la loi a ainsi un rapport profond à l'eschatologie qui pointe vers la fin de l'absence, au moins sous sa forme judiciaire. C'est ce qui rend assez compliquée, mais intéressante aussi, la coexistence du rejet de la loi et du maintien d'une eschatologie dans la théologie paulinienne, sous la forme plus ou moins "dialectique" d'un "déjà / pas encore". Dans un sens, le johannisme est beaucoup plus simple et cohérent: dans la présence (de Dieu / du Christ / de l'Esprit, lui en nous et nous en lui), il n'y a pas plus de place pour une eschatologie que pour une loi qui présupposent la même absence.


Dernière édition par Narkissos le Mar 19 Fév 2019, 11:34, édité 1 fois
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