|
| Jacob le patriache et Jacob le tricheur | |
| | |
Auteur | Message |
---|
free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Jeu 05 Sep 2019, 11:10 | |
| Israël a pour ancêtre Jacob le trompeur
Os 12, 3-15 :
Jacob n'était pas né qu'il dupait déjà de son frère. Une fois devenu homme, il s'est battu contre Dieu. Il combattit contre un ange, il l'emporta, si bien que l'autre pleura, demanda grâce et lui donna rendez-vous à Béthel. C'est là qu'il nous a parlé, lui le Dieu de l'univers. Celui qu'on nomme “le Seigneur” a dit : «Tu reviendras vers ton Dieu. Pratique la bonté et respecte le droit, et ne cesse jamais de compter sur ton Dieu. Les Cananéens, ces voleurs, utilisent des balances faussées. Et toi Éfraïm, tu dis: “C'est vrai, je me suis enrichi, j'ai fait fortune. Mais il n'y a pas de mal à faire des bénéfices, ce n'est ni un crime ni même une faute!” Eh bien, moi le Seigneur, je suis ton Dieu depuis que tu étais en Égypte. Je te ramènerai à la vie des nomades, comme au temps de notre rencontre. J'ai confié ma parole aux prophètes. Je leur envoyais toutes sortes de visions et par leur intermédiaire, je propose toutes sortes de paraboles. Les gens de Galaad ont été de vrais malfaiteurs; il ne reste rien d'eux. Au sanctuaire à Guilgal ils offraient en sacrifice taureau après taureau. Mais aujourd'hui leurs autels ne sont plus que des tas de pierres dans les champs.» Jacob s'était enfui en Haute-Mésopotamie. Il se mit au service d'un autre pour le prix d'une femme. Et pour le prix d'une autre femme, il se fit gardien de troupeau. Mais c'est grâce à un prophète que le Seigneur fit sortir Israël d'Égypte. Et c'est aussi un prophète qu'il chargea d'être le berger de son peuple. Mais les gens d'Éfraïm ont causé au Seigneur une blessure amère. Aussi leur maître rejette-t-il sur eux les conséquences de leurs crimes. Il leur fait payer leurs affronts (Nouvelle Français courant)
Vers 750 av. J.C., le prophète Osée évoque une double origine du peuple d’Israël.
1. Une origine patriarcale, où Osée raconte la geste de Jacob de manière plutôt négative : la supplantation d’Ésaü (v. 4a), le combat avec Dieu (v. 4b) et avec l’Ange (v. 5a), la rencontre et la conversation avec Dieu à Béthel (v. 5b), la promesse du retour à Béthel (v. 7), l’enrichissement frauduleux de Jacob (v. 9-10), la fuite chez Laban l’Araméen (v. 13a), le travail du patriarche pour acquérir une femme (v. 13b).
2. Une origine prophétique : celle de Moïse et d’un groupe d’anciens esclaves venus d’Égypte — période d’harmonie caractérisée par la présence des prophètes et des visions (v. 10-11) et par l’exode d’Égypte sous la garde spéciale du prophète Moïse (v. 14). L’opposition du v. 13c (« et pour une femme, il garda ») et du v. 14b (« par un prophète, il fut gardé ») est symptomatique : dans le premier cas, la racine shâmâr, à l’actif, désigne la conduite humaine intéressée et mercantile du patriarche Jacob qui garda les troupeaux de son oncle Laban pour obtenir la main de sa fille, Rachel ; dans le second cas, la même racine, au passif, décrit la protection divine accordée au peuple par le ministère de Moïse, le prophète par excellence .
Pour Osée, le peuple est placé devant un choix crucial : l’identification à Jacob, aux patriarches et donc à une certaine forme de polythéisme ; ou l’identification à Moïse et au Dieu unique, Yahvé. Comme on le voit, Jacob est associé à la fraude et aux idoles (v. 8-9) ; Moïse est associé au séjour du désert et à la rencontre du Sinaï (v. 10) et donc au Dieu des fiançailles et de l’exode (v. 14 ; cf. Os 2,16).
On reconnaît ici le parti pris d’un prophète du Nord qui oppose en bloc les origines patriarcales (benê Jacob et benê Israël, ici identifiés) qui supposent l’adoration du dieu des pères et du dieu El, d’une part, et les origines prophétiques (Moïse, le prophète, identifié ici au véritable Israël) qui suggèrent le choix du Dieu Yahvé, d’autre part. Pour Os 12,10a (« Moi, je suis Yahvé, ton Dieu, depuis le pays d’Égypte ») qui a été repris comme introduction solennelle au décalogue (Ex 20,2), il n’y a pas d’autre Dieu, il n’y a pas d’autre El que Yahvé, le Dieu de Moïse.
Osée, au chapitre 12, fait allusion à l’histoire de Jacob et de Moïse comme à une geste littéraire complète, parfaitement connue et intégrée par ses auditeurs. Cela signifie qu’elle date de bien avant lui et fait partie de la mémoire collective du peuple. Il est impossible, dans ce cas, d’en faire une création littéraire du temps de Josias.
Cette critique d’un point précis au sujet des traditions littéraires anciennes ne retire rien à l’intérêt du livre concernant les textes plus récents de la Bible et surtout concernant les découvertes archéologiques. C’est dans ce domaine surtout que l’apport des auteurs est original et fait la preuve de leur grande expérience du terrain. https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2004-3-page-446.htm |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Jeu 05 Sep 2019, 16:10 | |
| On retrouve l’importance, comme dans le cycle de Jacob, du mot et du thème de la tromperie (mirmah, qui exprime le mensonge volontaire, parfois la violence, le fait de donner exprès du faux à son interlocuteur) ; il apparaît au début, au milieu et à la fin du chapitre (vv. 1, 8 et 15) : « Éphraïm m’entoure de mensonge et la maison d’Israël d’imposture » (v. 1) ; « Canaan a dans la main une balance trompeuse, il aime à frauder » (v. ; « Éphraïm a fait à Dieu une peine amère [ou trompeuse] » (v. 15). La crise politique du présent est exprimée avec ces mots très forts. Éphraïm pervertit la réalité, il l’enveloppe, la ficelle de mensonge. La tension arrive à son paroxysme au verset 8 : la « balance trompeuse » est l’expression maximum de l’injustice, signe de l’horreur sociale au Proche-Orient ancien. Et la juxtaposition, à la fin de ce verset, des deux verbes « frauder » et « aimer » montre à quels extrêmes en est arrivée cette société.Dans le cycle de Jacob, nous l’avons évoqué plus haut, ce mot-clé de « tromper-tromperie » apparaît à trois reprises (Gn 27,35 ; 29,26 et 34,13), il représente un axe fort de la première structuration du cycle de Jacob autour de l’ancêtre comme trickster, personnage rusé, truqueur, transgresseur de lois et de frontières, que l’on trouve dans beaucoup de récits mythologiques (il procède par farces, tricheries et magie pour changer le cours des évènements, arriver à ses fins et changer de statut ; cf. Ulysse dans l’Odyssée, Renart le goupil ou, en Afrique noire, l’Enfant malin).La crise politique, mise en évidence par le prophète dans la première partie de son discours, lui permet de poser à nouveau la question des origines et de tenter de se débarrasser de ce personnage encombrant en en faisant une critique en règle et en lui substituant un autre modèle.Au verset 7, l’affirmation : « Toi donc tu reviendras chez ton Dieu : garde la fidélité et la droiture » s’oppose aux dénonciations du verset 1 : la fidélité et la droiture sont le contraire de l’imposture et du mensonge et, pour donner tout son poids à l’imposture, le discours du prophète va accumuler les exemples tirés des aventures de l’ancêtre Israël ; ce dernier n’est pas présenté comme un modèle, bien au contraire.Au verset 10, au cœur de la strophe centrale, une formule d’auto-présentation divine introduit une relecture du passé (v. 9), sur lequel il est impossible de revenir. Mais Yhwh propose un autre passé, une autre légende d’origine pour le peuple du Nord, située en Égypte et soulignant l’intervention des prophètes. Alors qu’Éphraïm* « multipliait » les mensonges et les violences (v. 3), Yhwh « multipliait » les visions et les prophètes (v. 11). Cette autre origine ne doit plus être cherchée dans la généalogie, comme l’a fait Jacob qui a accepté d’être esclave pour avoir une descendance et a travaillé comme serviteur pour s’assurer une lignée par des femmes. Il s’agit donc d’abandonner l’ancêtre et de regarder devant, avec les prophètes. https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/200300.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Jeu 05 Sep 2019, 21:32 | |
| Brèves remarques (à la faveur d'une connexion de fortune):
- re: le premier article (Van Cangh): pour comparer des récits (en l'occurrence Genèse-Exode / Osée) il faut avant tout se garder de les mélanger (ex.: "Moïse" n'est pas nommé dans le texte d'Osée, il ne l'est d'ailleurs que très rarement dans l'ensemble du corpus des "Prophètes" où, plus généralement, les points de contact avec la Torah = Pentateuque sont peu nombreux).
- le dossier de Corinne Lanoir (2e lien) me paraît beaucoup plus intéressant, les autres extraits disponibles à partir du sommaire (suivre les liens) méritent également d'être lus (notamment sur les analogies des récits concernant Jacob et Moïse dans la Genèse et l'Exode). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Ven 06 Sep 2019, 14:48 | |
| La tromperie est très présente dans leS récit des patriarches, tels qu'ils sont rapportés dans le livre de la Genèse :
1) Jacob profite de la faim qu'’Ésaü éprouve devant son plat de lentilles pour lui acheter ce qu’il convoite, le droit d’aînesse (25,29-34).
2) La ruse que Rébecca met au point avec Jacob pour empêcher que la bénédiction du vieil Isaac aille à son fils aîné, Esaü : "Il répondit : Ton frère est venu par tromperie et il a pris ta bénédiction" (27,35).
3) Les manœuvres de Laban pour garder Jacob à son service (29,23-29 ; 30,25-28) et les combines du gendre pour capter la richesse du beau-père en respectant les termes de leur contrat (30,31–31,1) |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Ven 06 Sep 2019, 17:30 | |
| La ruse est aussi la force du faible, le seul atout de celui (ou celle) qui n'a de son côté ni le droit de la puissance ni la puissance du droit (ce qui, quoi qu'on en dise, revient toujours au même) -- celui-là n'a d'autre recours que l'astuce, autrement dit une certaine forme d'intelligence (ou: l'épine dans la chair de Nietzsche). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Lun 09 Sep 2019, 09:55 | |
| "Dans le ventre de sa mère il a saisi son frère par le talon, et dans sa vigueur, il a lutté avec Dieu." Os 12, 4 (NBS)
"Jacob n'était pas né qu'il dupait déjà de son frère" (NFC)
"Quand Jacob était encore dans le ventre de sa mère, il a pris la place de son frère." (Parole de vie)
L'expression "il a saisi son frère par le talon" emporte-t-elle l'idée de duper ou de supplanter ?
La lutte avec Dieu semble être présentée sous un mauvais jour, présentant Jacob comme un opportuniste violent et présomptueux. Le v 5 est intriguant : "Il lutta avec un ange et l’emporta, il pleura et le supplia." ... On sait pas trop QUI pleure et supplie, l'ange ou Jacob ??
Un extrait d'un article :
Cette tentative de Jacob débouche sur une surprenante solitude et sur l’agression qu’il va subir au gué de Yabboq (Gn 32, 23-33). Là, un « homme », sans nom au début du combat mais qui se révèle en finale être « Dieu », lutte avec Jacob toute la nuit, jusqu’à l’aurore. La difficulté survient alors, là où Jacob ne l’attendait pas, il doit faire face à un adversaire plus redoutable que son frère Ésaü. Et la raison d’être de cette agression divine contre Jacob n’est certainement pas donnée dans le récit de Gn 32, 23-33. Pourquoi Dieu est-il survenu pour attaquer Jacob à un moment où sa quête est sur le point d’aboutir et, surtout, sans qu’il lui révèle les motivations de cette agression ? Le récit reste muet sur ce point, mais des exégètes anciens et modernes suggèrent que Jacob devait être « corrigé » de ses fraudes multiples, de sa rouerie et de sa présomption avant de bénéficier de la grâce divine. Il paraît vraisemblable que dans les milieux prophétiques du royaume du Nord, milieux marqués par une certaine mouvance exclusiviste, l’histoire de Jacob était relue de façon très critique. Osée évoque l’épisode de la lutte de Jacob avec Dieu dans un contexte qui insiste sur le caractère bagarreur de Jacob : dans sa force virile, il lutta avec Dieu (Elohîm). Ce caractère bagarreur de Jacob évoqué par Os 12, 4 ne reflète pas nécessairement une forme antérieure du récit du combat de Jacob au Yabboq par rapport à la version de Gn 32, 23-33. Elle peut s’interpréter dans le cadre de l’appréciation fortement négative que le poème d’Os 12 donne de la figure du patriarche. Mais dans sa forme finale, le livre de la Genèse donne également un lointain écho à la critique prophétique lorsque, dans sa prière en Gn 32, 10-13, Jacob confesse son indignité en disant : « Je suis trop petit par rapport à toutes les bontés et la fidélité que tu as faites à ton serviteur. »
Dans ce récit, le nouveau nom de Jacob s’interprète en lien avec sa lutte avec Dieu et avec les hommes : « On ne t’appellera plus Jacob, mais Israël, car tu as lutté (kî-?ârîtâ) avec Dieu (Elohîm) et avec les hommes (nâshîm) et tu l’as emporté (v. 29). » Ce nouveau nom de Jacob, Israël, est dans ce texte interprété très librement comme si Dieu n’était pas le sujet, mais l’objet du combat. On se demande souvent ce que l’addition « et avec les hommes » devrait signifier dans cette explication du nom d’Israël. La seule solution possible, même si elle peut paraître forcée, consiste à la rapporter aux conflits de Jacob avec Ésaü (Gn 25-27) et avec Laban (Gn 29-31). Manifestement dans l’histoire de Jacob cet « homme » qui lutte avec lui toute la nuit jusqu’à l’aurore pourrait également symboliser chacun de ses adversaires humains (Ésaü, Isaac, Laban). Autrement dit, on peut se demander si Jacob ne luttait pas avec Dieu lui-même lorsqu’il s’en prenait à chacun de ses adversaires humains. En tout cas dans ce récit du combat de Jacob à Peniel (Gn 32, 23-33), le seuil de différence entre adversaires humain et divin n’est pas explicitement établi. https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2010-4-page-479.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Lun 09 Sep 2019, 12:25 | |
| - free a écrit:
- L'expression "il a saisi son frère par le talon" emporte-t-elle l'idée de duper ou de supplanter ?
Bonne question: l'usage de la racine `qb (qui se prête à tous les jeux de mots sur "Jacob") en Osée 12,4 est loin d'être clair, et la traduction est forcément influencée, à tort ou à raison, par la formule différente et concrète de Genèse 25,26, 'hz b-`qb (où `qb est un nom et non un verbe) "saisir par le talon". Rien ne garantit que la même image soit impliquée dans le texte d'Osée, mais rien n'indique non plus qu'un usage "figuré" ou "moral" du verbe signifie "duper" (NFC = Nouvelle français courant ?) ou "tromper" plutôt que "supplanter" (ou "talonner", rattraper et éventuellement dépasser, attaquer par l'arrière, l'emporter sur, prendre la place de, etc.). Ruse ou agressivité (et de quel genre) dans une rivalité, ce n'est évidemment pas la même chose et il faut choisir, un peu au hasard, à moins d'en revenir à la référence anatomique (talon) qui est tout sauf certaine dans ce contexte. - Citation :
- On sait pas trop QUI pleure et supplie, l'ange ou Jacob ??
En effet on ne le sait pas vraiment, quoique l'absence de conjonction avant bkh (pleurer) marque une certaine rupture dans l'enchaînement des verbes, indice possible (sans plus) d'un changement de sujet (Jacob lutte et l'emporte, l'ange pleure et supplie). (Je rappelle, en substance, la lecture très "antijudaïque" de Simone Weil: rien de plus terrible, quand on lutte avec Dieu, que de gagner...). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Lun 09 Sep 2019, 15:35 | |
| Pourquoi le livre d'Osée nous propose-t-il une version aussi négative du récit de Jacob ? - Citation :
- La ruse est aussi la force du faible, le seul atout de celui (ou celle) qui n'a de son côté ni le droit de la puissance ni la puissance du droit (ce qui, quoi qu'on en dise, revient toujours au même) -- celui-là n'a d'autre recours que l'astuce, autrement dit une certaine forme d'intelligence (ou: l'épine dans la chair de Nietzsche).
Isaac implora le SEIGNEUR pour sa femme, car elle était stérile. Le SEIGNEUR eut pitié de lui, sa femme Rébecca devint enceinte, mais ses fils se heurtaient en son sein et elle s’écria : « S’il en est ainsi, à quoi suis-je bonne ? » Elle alla consulter le SEIGNEUR, qui lui répondit : « Deux nations sont dans ton sein, deux peuples se détacheront de tes entrailles. L’un sera plus fort que l’autre et le grand servira le petit. » Quand furent accomplis les temps où elle devait enfanter, des jumeaux se trouvaient en son sein. Le premier qui sortit était roux, tout velu comme une fourrure de bête : on l’appela Esaü. Son frère sortit ensuite, la main agrippée au talon d’Esaü : on l’appela Jacob. Isaac avait soixante ans à leur naissance." Gen 25, 21-24
Toute l'ambiguïté du patriarche se résume dans la signification de son nom ; "du nom Jacob, Ya'aqob, du verbe hébreu 'aqab, tromper ou supplanter" et la description que nous offre Gn 25,27 : "Jacob était un homme tranquille". Nous pouvons observer que la réalisation des paroles de Yhwh ("le grand servira le petit") emprunte rapidement les chemins de la ruse et de la dissimulation. Si Yhwh maitrise les évènements, pourquoi la ruse et la dissimulation ? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Lun 09 Sep 2019, 16:02 | |
| L'auteur du texte d'Osée n'a probablement jamais lu "la Genèse" telle que nous la lisons: "la Genèse" et "le livre d'Osée" représentent sans doute deux développements foncièrement différents d'une même "tradition" narrative sur Jacob = Israël, qui se sont certainement influencés mutuellement (par attraction et par répulsion) au fil de leurs rédactions successives: cette "tradition" commune n'est à vrai dire lisible nulle part, nous ne pouvons que la deviner par la comparaison des textes existants.
Le traitement "négatif" du personnage de Jacob dans le livre d'Osée s'explique assez facilement: c'est une prophétie "critique" du royaume du Nord (Jacob <=> Israël <=> Ephraïm <=> Samarie par opposition à Juda <=> Jérusalem), dont la réception par les scribes de Juda (de l'époque de Josias, après la prise de Samarie, au retour de l'exil à Babylone) n'a pu qu'accentuer le caractère "critique".
La perspective de la Genèse est beaucoup plus complexe: Yahvé lui-même doit ruser avec un "droit d'aînesse" (ou de "primogéniture") qui va de soi sans qu'il l'ait lui-même institué nulle part. Dans cette affaire, le "dieu de Jacob" n'est pas moins "tricheur" que son protégé, il assume au contraire toutes les tricheries de ce dernier (dès la "prophétie" prénatale) comme des moyens pour mener à bien son dessein... |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Mar 10 Sep 2019, 11:18 | |
| 35,15 : P mentionne ici l’institution du sanctuaire de Béthel, qui est pourtant souvent contesté ailleurs dans l’Ancien Testament (Osée, Amos, ainsi que le deutéronomiste vont rejeter ce sanctuaire). Mais visiblement, cela ne gêne pas P, qui préfère respecter la tradition en faisant passer Jacob par Béthel.
On constate que les récits patriarcaux, et surtout ceux concernant Jacob, sont très mal vus de l'école deutéronomiste, qui consacre un grand effort à produire une histoire d’Israël qui n’ait pas besoin des antécédents patriarcaux (une histoire qui s'étend de Dt 1 à 2 R 25). Pourtant, les Deutéronomistes connaissent ces ancêtres dont ils s'efforcent de dissimuler le souvenir. Pour eux, la "vraie" histoire d'Israël commence en Egypte. Mais pour cela, ils doivent bien expliquer comment le peuple en est venu à "naître" en Egypte. Cette explication est fournie dans la fameuse confession de Dt 26,5 : "Mon père était un Araméen en perdition (ou errant)". Cette formule doit être entendue dans un sens dépréciatif : d'abord, l'ancêtre n'est pas nommé (donc, son nom ne mérite même pas d'être transmis!), il était un Araméen (donc, pas un Israélite!) et il était en train de périr (donc, il n'était pas le "Jacob, chef de clan, promis à un brillant avenir"!). Jacob (car il ne peut s'agir que de lui) est donc un ancêtre anonyme et méprisable. Et ce n'est que lorsque Yhwh sauvera et choisira sa descendance échouée en Egypte que naîtra le "vrai" peuple d'Israël. La véhémence de cette coupure montre bien que la tradition jacobienne n'était pas inconnue des auteurs de l'école deutéronomistes, mais qu'elle faisait l'objet d'un refoulement systématique (dans le prolongement d'Os 12).
Mais une question se pose alors : pourquoi cette histoire patriarcale a été récupérée par P ?
La réponse la plus vraisemblable consiste à dire que P repense toute l’histoire des origines d’Israël en conférant à l’histoire des patriarches une fonction nouvelle, un rôle fondamental dans le cadre d'un ensemble beaucoup plus vaste. C’est lui qui réconcilie les deux traditions, patriarcale et mosaïque. P est un théologien qui utilise les récits uniquement en fonction de leur valeur théologique, et non pour le plaisir de raconter. Il reconstruit l’histoire d’Israël en l’intégrant dans une vision universelle de l’histoire humaine. Cette histoire de l’humanité, chez P, se déroule en plusieurs périodes successives. http://www.unige.ch/theologie/distance/cours/ats1/lecon3/jacobp.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Mer 11 Sep 2019, 00:22 | |
| Le cadrage de cette étude (fort intéressante au demeurant) de J.D. Macchi sur la seule rédaction "P" (selon la reconstruction d'A. de Pury) ne doit pas faire perdre de vue la perspective d'ensemble de la Genèse -- p. ex., en ce qui concerne Béthel, non seulement la révélation décisive à Jacob au chap. 28, mais déjà Abra(ha)m au chap. 12 (v. 8 et 13,3). La dissonance délibérée de la Genèse en général avec le deutéronomisme ne se limite pas à la rédaction sacerdotale (= "P"). Pour revenir à la question du "droit d'aînesse" (cf. mon post précédent), dont la Genèse prend systématiquement le contrepied (Ismaël / Isaac, Esaü / Jacob, Ruben / Juda ou Joseph), il ne faut pas oublier que c'est aussi une loi "deutéronomiste" (Deutéronome 21,15ss) qui est renversée (par les ruses de Jacob ou par de toutes autres circonstances, dont Yahvé comme "dieu des pères" n'est jamais absent). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Jeu 12 Sep 2019, 11:43 | |
| Merci Narkissos pour ces précisions.
On constate que le narrateur éprouve beaucoup de scrupules à faire passer Jacob pour un trompeur "par nature", dès sa naissance, la seule allusion à ce fait se retrouvera dans la bouche d'Esaü (sous la forme d'une question seulement et sans aucune autorité car il avait méprisé le droit d'ainesse) qui semble faire un rapprochement entre le verbe "tromper" et le nom "Jacob" :
"Esaü reprit : « Est-ce parce qu’il s’appelle Jacob que, par deux fois, il m’a supplanté ? Il a capté mon droit d’aînesse et voici que maintenant il a capté ma bénédiction. Ne m’as-tu pas réservé une bénédiction ? »(Gen 27,36).
L'auteur, avant ce texte, emploie d'autres verbes qui lui permettent d'éviter le verbe "tromper", lorsqu'il relate sa naissance de Jacob, il n'établit pas un lien direct entre son nom et la tromperie : "Après quoi sortit son frère, dont la main tenait le talon d'Esaü ; et on l'appela du nom de Jacob (« Il talonne ») . Isaac avait soixante ans lorsqu'ils naquirent." (25,26)
En (27,12) l'auteur préfère un verbe qui a le sens de "se moquer de quelqu'un", au lieu de "tromper" : "Peut-être mon père me tâtera-t-il, et il croira que je me suis moqué de lui ; ce n'est pas une bénédiction, mais une malédiction que je ferai venir sur moi !"
Enfin en (27,35) Isaac le narrateur met le verbe "frauder" dans la bouche d'Isaac : "Il répondit : « Ton frère est venu en fraude et il a capté ta bénédiction. »"
Lien. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Jeu 12 Sep 2019, 12:52 | |
| "Supplanter" (= prendre la place de, pour le verbe `qb de 27,36a, qui joue sur le nom "Jacob" comme 25,26 avec le substantif `qb vocalisé `aqev = "talon") et "tromper", ce n'est pas la même chose... La "première fois", si elle renvoie à l'épisode du plat de lentilles, ne suppose aucune "tromperie" -- à la rigueur un abus de faiblesse, mais Esaü vend son droit d'aînesse en toute connaissance de cause. Ce qui est traduit ci-dessus par "capter" en 27,36b n'est que le verbe très courant lqh, "prendre". Il n'y a qu'en 27,35 qu'on trouve, dans la bouche d'Isaac, un mot signifiant effectivement "tromperie" ou "fraude" (mrmh/mirma, comme en Osée 12). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Jeu 12 Sep 2019, 16:25 | |
| RAPPEL d'une citation déjà fournie :
Dans le cycle de Jacob, nous l’avons évoqué plus haut, ce mot-clé de « tromper-tromperie » apparaît à trois reprises (Gn 27,35 ; 29,26 et 34,13), il représente un axe fort de la première structuration du cycle de Jacob autour de l’ancêtre comme trickster, personnage rusé, truqueur, transgresseur de lois et de frontières, que l’on trouve dans beaucoup de récits mythologiques (il procède par farces, tricheries et magie pour changer le cours des évènements, arriver à ses fins et changer de statut ; cf. Ulysse dans l’Odyssée, Renart le goupil ou, en Afrique noire, l’Enfant malin). https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/200300.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Jeu 12 Sep 2019, 16:54 | |
| Il n'est parfois pas inutile de vérifier les références: le mot de tromperie n'est pas en 29,26 mais le verbe correspondant (rmh) est au v. 25, et quant à la chose, elle est de Laban et non de Jacob; en 34,13 le mot y est (mrmh-mirma), mais il s'agit cette fois des fils de Jacob...
Soit dit en passant, la ruse est aussi très présente dans les récits des Juges ou de David. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Ven 20 Sep 2019, 16:53 | |
| - Citation :
- Soit dit en passant, la ruse est aussi très présente dans les récits des Juges ou de David.
L'exemple le plus caractéristique de ruse est celui d'Ehoud au chapitre 3 du livres des Juges :" Les Israélites crièrent vers le SEIGNEUR, et le SEIGNEUR leur suscita un sauveur, Ehoud, fils de Guéra, un Benjaminite, qui était gaucher. Les Israélites envoyèrent par lui un tribut à Eglôn, roi de Moab. Ehoud se fit une épée à deux tranchants, longue d'une coudée, et il la mit à sa ceinture sous ses vêtements, à son côté droit. Il présenta le tribut à Eglôn, roi de Moab ; or Eglôn était un homme très gras. Lorsqu'il eut achevé de présenter le tribut, il renvoya les gens qui l'avaient apporté. Mais lui, il revint depuis les Statues qui sont près du Guilgal, et il dit : O roi, j'ai un message secret pour toi. Le roi dit : Silence ! Et tous ceux qui étaient auprès de lui sortirent. Ehoud vint donc vers lui alors qu'il était assis dans la chambre fraîche qui lui était réservée, à l'étage. Ehoud dit : J'ai une parole de Dieu pour toi. Eglôn se leva de son siège. Alors Ehoud avança la main gauche, tira l'épée de son côté droit et la lui planta dans le ventre. La poignée même entra après la lame, et la graisse se referma sur la lame, car il ne retira pas l'épée du ventre ; puis il sortit par-derrière." Jg 3,15-22 C'est Dieu qui sélectionne Ehoud comme sauveur. Le récit raconte une ruse, une dissimulation et un mensonge.Le fameux récit de l’exploit d’Ehoud en Jg 3,met en scène un meurtre rendu possible par une ruse habile, qui semble être approuvé par Dieu. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Ven 20 Sep 2019, 17:14 | |
| Non seulement le dieu approuve la ruse, mais dans de nombreux cas c'est lui qui la suggère (par oracles prophétiques, rêves, visions etc.), quand il ne l'emploie pas lui-même contre son peuple parce qu'il ne dispose pas du pouvoir de le châtier sans cause, lorsqu'il en a envie (e.g. 2 Samuel 24). Moralité (si l'on peut dire): un dieu moins puissant est aussi plus malin... |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Lun 23 Sep 2019, 14:40 | |
| Jacob et l'identité d'IsraëlLa tradition de Jacob est la plus ancienne tradition patriarcale. Elle peut remonter au début de la monarchie; d'aucuns pensent même à l'époque pré-monarchique. Dans sa forme actuelle, l'épopée de Jacob fait de lui l'ancêtre immédiat d'Israël par la naissance de ses douze fils, c'est-à-dire les éponymes des douze tribus. La construction d'un Israël en douze tribus est probablement une construction tardive, ce qui n'est pas le cas du milieu tribal, clanique, qu'on peut deviner derrière les récits de Gn 25-36. Comment Jacob, un ancêtre du Nord, devient-il l'ancêtre de tout Israël? Par un changement de nom. Ce changement est mis en scène de manière dramatique dans le récit de la lutte avec "un homme" en Gn 32,23-32, qui constitue le point culminant de l'histoire de Jacob. Sur le chemin de retour, Jacob craint la rencontre avec son frère Esaü, qui a de bonnes raisons de lui en vouloir (32,2-22), mais au lieu d'être attaqué par son frère, il est attaqué par "quelqu'un" qui s'avère être, dans la suite du récit, un "représentant de Dieu". Après que cette lutte a eu lieu, la rencontre avec le frère se déroule d'une manière pacifique et réconciliatrice (33,1-17). C'est comme si la lutte avec Dieu avait rendu inutile la lutte entre les deux hommes. C'est lors de cette lutte que Jacob reçoit son nouveau nom, "Israël". Il est possible que le récit vise d'abord à donner une étiologie à Israël, nom construit avec la racine srh, "combattre"; et avec "El", "Que El combatte". Ce récit où Jacob devient "Israël" fait du Patriarche un précurseur de Moïse. Le fait qu'il fasse passer les siens au gué (v. 23-24) fait allusion au passage de la Mer (Ex 14); la question du Nom divin (v. 28) va être reposée par Moïse (Ex 3,13); et comme Moïse (Nb 12,, Jacob fait l'expérience d'une intimité normalement impossible avec Dieu (v. 31). (A noter également que le récit de l'attaque de Moïse en Ex 4,24-26 est construit en parallèle à Gn 32,23-32).L'histoire de la lutte peut également être lue comme un condensé des conflits qui structurent le cycle de Jacob: le conflit avec son frère Esaü (cf. déjà 25,20-23) et le conflit avec son oncle Laban (derrière ses récits se reflètent peut-être les cohabitations difficiles entre Israël, Edom, et les royaumes araméens). Cette situation de conflit est presque contagieuse dans la mesure où les deux femmes de Jacob, Léa et Rachel, vont également se battre via des enfantements interposés. Le cycle de Jacob est donc tout autre chose qu'une peinture idyllique des relations humaines; les conflits sont soulignés plutôt que camouflés; et même le héros, Jacob-Israël, n'apparaît pas sous un jour entièrement positif. Il est dépeint comme un trickster, un magouilleur et un tricheur qui s'empare par la ruse des droits de son frère aîné (Gn 27) et qui s'enrichit par des combines qui évoquent la magie (30,25-42). Et pourtant, Yhwh lui réitère ses promesses (Gn 28,10-22) et change son identité. Les promesses faites à Israël ne dépendent donc pas des qualités morales du destinataire. http://www.unige.ch/theologie/distance/cours/ats3/lecon4/lecon4.htmQuel en fut le résultat ? Les bêtes ayant une couleur ou un pelage anormaux et qui constituaient le salaire de Jacob devinrent plus nombreuses que celles de couleur normale, unie, et qui étaient la part de Labân. Ayant obtenu les résultats escomptés, Jacob pensa probablement qu’il le devait à son stratagème des bâtons rayés. En cela il partageait sans aucun doute la conception erronée, mais répandue, selon laquelle ce genre de procédé peut avoir une incidence sur la progéniture. Cependant, par un rêve, Dieu lui fit savoir qu’il en allait tout autrement.Dans son rêve, Jacob apprit que sa réussite ne provenait pas des bâtons, mais de certains principes génétiques. En effet, alors que Jacob ne s’occupait que des animaux de couleur unie, la vision lui révéla que les boucs étaient en réalité rayés, mouchetés et tachetés. Comment était-ce possible ? Malgré leur couleur uniforme, ces boucs étaient apparemment des hybrides issus des croisements qui avaient eu lieu dans le troupeau de Labân avant que Jacob ne commence d’être payé. Ainsi, certaines de ces bêtes portaient dans leurs cellules reproductrices des facteurs héréditaires qui donneraient aux générations ultérieures une robe tachetée ou mouchetée, conformément aux lois de l’hérédité découvertes par Gregor Mendel au siècle dernier. — Gn 31:10-12. https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1200002279#h=16:0-17:483 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Mar 24 Sep 2019, 17:48 | |
| L'histoire des bâtons (Genèse 30) sollicite tellement l'ingéniosité anachronique des fondamentalistes, apologistes et concordistes (outre la référence aux "lois" génétiques de Mendel et à leurs caractères "récessifs", on trouve sur Internet d'intéressantes théories vétérinaires sur les bienfaits des infusions de peuplier !), que ceux-ci en oublient le (con-)texte: en Genèse 31 c'est Jacob qui raconte le rêve à Léa et Rachel pour attribuer à Dieu la responsabilité de sa prospérité aux dépens de leur père et minimiser d'autant le rôle de son stratagème, dont il se garde d'ailleurs bien de parler -- ce qui peut tout autant être lu comme une ruse supplémentaire de sa part... |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Mer 25 Sep 2019, 11:07 | |
| - Narkissos a écrit:
- L'histoire des bâtons (Genèse 30) sollicite tellement l'ingéniosité anachronique des fondamentalistes, apologistes et concordistes (outre la référence aux "lois" génétiques de Mendel et à leurs caractères "récessifs", on trouve sur Internet d'intéressantes théories vétérinaires sur les bienfaits des infusions de peuplier !), que ceux-ci en oublient le (con-)texte: en Genèse 31 c'est Jacob qui raconte le rêve à Léa et Rachel pour attribuer à Dieu la responsabilité de sa prospérité aux dépens de leur père et minimiser d'autant le rôle de son stratagème, dont il se garde d'ailleurs bien de parler -- ce qui peut tout autant être lu comme une ruse supplémentaire de sa part...
"Jacob entendit les propos des fils de Laban, qui disaient : Jacob a pris tout ce qui appartenait à notre père ; c'est avec ce qui appartenait à notre père qu'il a acquis toute cette richesse. Jacob remarqua que le visage de Laban n'était plus envers lui comme d'habitude. Alors le SEIGNEUR dit à Jacob : Retourne au pays de tes pères, au lieu de tes origines ; je serai avec toi. Jacob fit appeler Rachel et Léa qui étaient aux champs, près de son petit bétail. Il leur dit : Je remarque que le visage de votre père n'est plus envers moi comme d'habitude ; mais le Dieu de mon père a été avec moi. Vous savez vous-mêmes que j'ai servi votre père de toutes mes forces. Or votre père a essayé de me tromper, et il a changé dix fois mon salaire ; mais Dieu ne lui a pas permis de me faire du mal. S'il disait : « Les tachetées seront ton salaire », toutes les bêtes faisaient des petits tachetés ; s'il disait : « Les rayées seront ton salaire », toutes les bêtes faisaient des petits rayés. Dieu a dépouillé votre père de son troupeau, et il me l'a donné." (Gn 31,1ss)
Effectivement Jacob me semble particulièrement retors, puisqu'il se présente comme une victime (seulement) en accusant Laban de l'avoir trompé en passant sous silence toutes ses manigances et en attribuant à Dieu (seulement) son succès et sa prospérité. Jacob manipule ses deux épouses puisque Rachel et Léa finissent par dire à Jacob :
"Toute la richesse dont Dieu a dépouillé notre père nous revient, à nous et à nos fils. Maintenant, fais tout ce que Dieu t'a dit." (31,16) et "Rachel vola les teraphim de son père" (31,19).
Le récit lui-même emploie le verbe "tromper" concernant la fuite de Jacob : "quant à Jacob, il trompa Laban, l'Araméen, en s'enfuyant sans l'informer de son départ." (31,20)
trompa : litt. vola le cœur de, de même aux v. 26-27n ; cette formule rappelle l’acte de Rachel (v. 19) ; cf. 2S 15.6 https://lire.la-bible.net/verset/Genèse/31/20/TOB Rachel vola les teraphim de son père
Cela nous rappelle l'esprit de dissimulation que le livre d'Osée prête à Jacob en rapport avec sa richesse et à la volonté de Jacob de se faire passer pour un "saint" et un innocent : "Canaan a dans sa main des balances fausses, il aime à opprimer. Ephraïm dit : A la vérité, je suis devenu riche, j'ai acquis de la fortune, mais ce n'est que le produit de mon travail ; on ne trouvera chez moi aucune faute qui soit un péché." (Os 12,8-9)
Il est probable que le texte face référence à l'affaire du bétail moucheté et rayé et à la façon malhonnête de Jacob de s'enrichir. Osée 12, ignore la justification théologique du comportement de Jacob que propose Genèse 31. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Mer 25 Sep 2019, 12:22 | |
| (C'est -- toujours ! -- la note de la NBS sur le texte de la TOB.)
Là encore (cf. supra 9.9.2019), la prudence s'impose: on ne sait pas exactement à quelle "histoire de Jacob" l'auteur ou le rédacteur d'Osée se réfère, et ce n'est probablement pas tout à fait celle(s) que NOUS lisons dans la Genèse...
Réciproquement, ça me paraît un contresens de projeter le jugement moral d'Osée sur les récits de la Genèse: Jacob ruse et trompe, avec la complicité de son dieu, et rien ne dit ici que c'est "mal". |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Mer 25 Sep 2019, 14:10 | |
| Le récit de la réconciliation de Jacob et d’Ésaü met en évidence la "malice" et l'intelligence de Jacob. Gn 32, 2-22 nous dit de quelle manière Jacob se prépare à cette rencontre avec Ésaü. Jacob nourrit les plus grandes craintes quant à la réaction d’Ésaü qu'il a trompé, aussi il prépare se rencontre avec son frère d'une manière à amadouer celui-ci et en plusieurs étapes (Gn 32, 4-22). D’abord il répartit ses biens et sa famille en deux camps espérant ainsi exposer une seule partie de ses biens et de sa famille en cas de représailles d’Ésaü. Ensuite il envoie une succession de présents importants à son frère pour atténuer peu à peu sa colère avant leur rencontre :
"là que Jacob passa la nuit. Il prit parmi les biens qu'il avait acquis de quoi faire un présent à Esaü, son frère : deux cents chèvres et vingt boucs, deux cents brebis et vingt béliers, trente chamelles, avec les petits qu'elles allaitaient, quarante vaches et dix taureaux, vingt ânesses et dix ânes. Il les confia à ses serviteurs, chaque troupeau séparément, et il dit à ses serviteurs : Passez devant moi et mettez un intervalle entre chaque troupeau. Il donna cet ordre au premier : Quand tu rencontreras Esaü, mon frère, et qu'il te demandera : « A qui appartiens-tu ? Où vas-tu ? A qui appartient tout ce qui est devant toi ? », tu répondras : « A Jacob, ton serviteur ; c'est un présent qu'il t'envoie, mon seigneur Esaü. Lui-même nous suit. » Il donna le même ordre au deuxième, au troisième et à tous ceux qui suivaient les troupeaux : C'est ainsi que vous parlerez à mon seigneur Esaü, quand vous le trouverez. Vous direz : « Jacob, ton serviteur, vient lui-même derrière nous. » Car il se disait : Je l'apaiserai par ce présent qui me précède, et ensuite je paraîtrai en sa présence ; peut-être m'accueillera-t-il favorablement !" (Gn 32, 14-22). Enfin Jacob échelonne sa famille dans un certain ordre : les servantes avec leurs enfants sont placés en première position, suivis ensuite par Léa avec ses enfants ; Rachel et Joseph en dernière position. Est-ce pour attendrir Ésaü ou pour faire en sorte que Rachel et Joseph soient moins exposés en cas d'attaque ?
Jacob sollicite également l'aide de son Dieu : "Délivre-moi, je te prie, de la main de mon frère, de la main d'Esaü !" (32,12) mais pour garantir la protection de son clan, il prend des mesures préventives, sait-on jamais, si son Dieu reste sans rien faire.
Le récit des retrouvailles de Jacob et d’Ésaü est entrecoupé de l'histoire de la lutte entre Dieu et Jacob (Gn 32, 23-33). Le récit ne précise pas pourquoi Dieu attaque Jacob, je ne pense pas que comme le suggère certains commentateurs que se soit pour corriger Jacob pour ses tricheries, puisque Jacob a agi aisni avec le soutient de son Dieu. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Mer 25 Sep 2019, 14:36 | |
| - free a écrit:
- Est-ce pour attendrir Ésaü ou pour faire en sorte que Rachel et Joseph soient moins exposés en cas d'attaque ?
L'un n'empêche pas l'autre ! Prévoir toutes les éventualités, parer au pire sans compromettre le meilleur, ne pas présumer du divin, c'est toute la "sagesse", biblique et antique en général, où la "ruse" du serpent côtoie la "sagacité" du bon intendant -- c'est foncièrement la même chose. - Citation :
- Le récit ne précise pas pourquoi Dieu attaque Jacob, je ne pense pas que comme le suggère certains commentateurs que se soit pour corriger Jacob pour ses tricheries, puisque Jacob a agi aisni avec le soutient de son Dieu.
Je ne le pense pas non plus: d'ailleurs l'adversaire reste mystérieux, seul Jacob le nomme "Dieu" ('El). La "théologie" (au sens propre) dominante de la Genèse, notamment dans les relations entre Jacob et Laban, mais aussi entre Abraham ou Isaac et Abimélech, ou plus loin Joseph et le pharaon, est expressément inclusive, à l'encontre du Deutéronome: les dieux des uns et des autres ne sont que les figures du Même. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Mer 25 Sep 2019, 16:04 | |
| Je suis surpris de constater que le récit insiste sur l’idée de soumission de la part de Jacob qui appelle Ésaü son seigneur ("Jacob répondit : Mon seigneur, tu sais que les enfants sont délicats ... - 33,12). Une façon encore d'amadouer Ésaü ?
Ésaü propose de faire route avec son frère Jacob mais Jacob refuse cette offre en évoquant la délicatesse de sa caravane chargée d’enfants ainsi que des troupeaux (33, 12-17). Jacob refuse la proposition d'Ésaü et par la même manifeste la méfiance de celui qui a lui-même beaucoup trompé (Ésaü est en tête de quatre cents hommes). Dans ce chapitre Ésaü apparait toujours comme celui qui est berné ou manipulé, Jacob finit toujours par obtenir ce qu'il veut tout en affirmant que son seul soucis est de trouver grâce aux yeux de son frère : "Je t'en prie, mon seigneur, que je trouve toujours grâce à tes yeux !" (33,15). |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur Mer 25 Sep 2019, 16:46 | |
| On peut noter que dans un cas tout à fait similaire (31,24), c'est le dieu même qui intervient pour dissuader Laban, furax d'avoir été floué par Jacob même si c'est un juste retour des choses, de se venger... Dieu de Laban en l'occurrence identique à celui de Jacob, malgré la différence des invocations (v. 53). |
| | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: Jacob le patriache et Jacob le tricheur | |
| |
| | | | Jacob le patriache et Jacob le tricheur | |
|
Sujets similaires | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |