Etre chrétien ou pas?

apporter une aide et fournir un support de discussion à ceux ou celles qui se posent des questions sur leurs convictions
 
PortailPortail  AccueilAccueil  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  ConnexionConnexion  
-45%
Le deal à ne pas rater :
Four encastrable Hisense BI64213EPB à 299,99€ ( ODR 50€)
299.99 € 549.99 €
Voir le deal
-35%
Le deal à ne pas rater :
Philips Hue Kit de démarrage : 3 Ampoules Hue E27 White + Pont de ...
64.99 € 99.99 €
Voir le deal

 

 Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge

Aller en bas 
3 participants
Aller à la page : 1, 2, 3  Suivant
AuteurMessage
free




Nombre de messages : 9921
Age : 63
Date d'inscription : 21/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeMar 22 Oct 2019, 13:45



"Lorsqu'il fut près d'arriver en Egypte, il dit à Saraï, sa femme : Je sais que tu es une belle femme. Quand les Egyptiens te verront et qu'ils diront : « C'est sa femme ! », ils me tueront, et toi, ils te laisseront la vie. Dis que tu es ma sœur, je te prie, afin que je sois bien traité à cause de toi, et que grâce à toi j'aie la vie sauve. Lorsque Abram arriva en Egypte, les Egyptiens virent que la femme était fort belle. Les princes du pharaon la virent aussi et firent son éloge auprès du pharaon ; alors la femme fut emmenée chez le pharaon. Quant à Abram, on le traita bien à cause d'elle ; Abram reçut du petit bétail et du gros bétail, des ânes, des serviteurs et des servantes, des ânesses et des chameaux." Gn 12,11-16

La Genèse rapporte 3 versions (Gn12,10-20 // Gn20 // Gn26) d’une même histoire avec des changements au niveau des acteurs et des lieux, l’intrigue principale restant pourtant la même : un patriarche fait passer sa femme pour sa sœur auprès d’un roi étranger. Dans ces textes le roi étranger est présenté sous un jour favorable, en Gn 12, Pharaon montre énormément de respect envers Abraham et Yhwh, en Gn 20,  le roi Abimélek est montré de manière positive comme un souverain juste. Le comportement d'Abraham est ambigu, par deux fois Abraham livre Sarah à un roi étranger et il ment concernant le lien de parenté qui le lie à Sarah. Motivé par la convoitise et la peur, Abram se préoccupe essentiellement de lui-même en semant la mort dans la maison de Pharaon (la stérilité toute la maison d'Abimélek)  . Lorsque Pharaon affirme : "Du coup je l'ai prise pour femme. Maintenant, voilà ta femme, prends-la et va-t'en !" , nous pouvons imaginé qu'il a consommé la relation avec Sarah, d'ailleurs le récit de Gn 20, prend la précaution de préciser que Dieu veilla à ce qu' Abimélek ne puisse toucher Sarah. Chaque fois qu'Abraham livre sa femme et qu'il ment, c'est l'intervention de Yhwh qui lui permet de sortir de l'impasse ou il s'est mis, ce n'est pas une morale ou un regret particulier qui lui ont ménagés une sortie honorable.  
Revenir en haut Aller en bas
le chapelier toqué

le chapelier toqué


Nombre de messages : 2602
Age : 77
Date d'inscription : 31/08/2010

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeMar 22 Oct 2019, 17:53

Lorsque j'ai découvert pour la première fois l'histoire d'Abraham et particulièrement le mensonge utilisé face à Pharaon, je me suis demandé quelle genre de confiance ce patriarche avait-il mis en son Dieu…
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 12269
Age : 65
Date d'inscription : 22/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeMar 22 Oct 2019, 18:16

Sans revenir sur le sempiternel problème de la morale anachronique, je vais bien devoir répéter ce que j'ai dit il n'y a pas si longtemps à propos de Jacob -- à savoir que la ruse, qu'elle soit d'ailleurs plus ou moins intelligente, habile ou efficace, est l'arme du faible, et que cela vaut tout autant pour les dieux que pour les humains.

Les histoires imaginaires ou traditionnelles des origines du peuple juif (israélite, hébreu, peu importe ici) reflètent sa condition historique réelle: celle d'un petit peuple constamment ballotté entre des nations ou empires beaucoup plus grands et puissants que lui, avec une longue expérience de la vassalité, des invasions, des occupations, des exils et de la diaspora, et dont l'autonomie précaire tient toujours à des jeux d'alliance et d'allégeance hasardeux. Il y a bien parfois dans les textes des accès de toute-puissance fantastique, comme dans l'Exode, déjà dans Genèse 14 où le brave Abram se retrouve soudain chef d'une coalition internationale victorieuse. Mais dans la plupart des cas les acteurs (Yahvé inclus) sont relativement modestes et donc ils rusent. On n'a pas un dieu puissant, encore moins tout-puissant, capable d'éviter tous les désagréments à ses fidèles, mais un dieu qui comme eux fait ce qu'il peut -- les "fléaux" qui atteignent le pharaon ou Abimélek relèvent d'ailleurs d'une justice immanente et impersonnelle (voir ici), qui au fond n'est même pas du ressort des dieux (cf. Oedipe à Thèbes).
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9921
Age : 63
Date d'inscription : 21/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeMer 23 Oct 2019, 10:51

Les récits de Gn 12 et 20, posent la question du mariage entre frère et sœur ("De plus, il est vrai qu'elle est ma sœur, fille de mon père ; seulement, elle n'est pas fille de ma mère, et elle est devenue ma femme." - 20,12) que condamnera le Lévitique : "Tu n'exposeras pas la nudité de ta sœur, fille de ton père ou fille de ta mère, née dans la maison ou née hors de la maison" (18,9). Certains commentateurs y ont vu la référence à des coutumes de l'époque qui permettaient le mariage entre un homme et sa sœur, d'autres soutiennent que dans l’histoire de Gn 12,10-20, Abraham ment et que  Gn 20 cherche simplement à atténuer le mensonge.


Un extrait :



Soeur ou épouse? Deux fois, Abraham fait passer Sarah pour sa soeur : une fois avec Pharaon, et une autre fois avec Abimelekh. Ce comportement étrange a fait l'objet de beaucoup d'interprétations.

     - d'abord, une question de base : Pourquoi l'épisode se reproduit-il deux fois? Il y a l'explication "philologique" : souvent le récit biblique se dédouble entre la version "yahviste" et la version "élohiste" (il y aurait même, dans ce cas, une troisième version, celle qui implique Isaac et Rébecca). Explication d'historien valable dans une logique scientifique, mais qui ne nous concerne pas ici. Autre explication : entre les deux épisodes, il n'y a pas que répétition, il y a changement, progrès. Selon le talmud, le progrès ne concerne que Sarah, qui n'est pas consentante la deuxième fois, alors qu'Abraham n'a rien appris (Gen R. 52,4). Encore faut-il analyser la nature de ce progrès (voir plus loin).

     - parce qu'ils sont vraiment demi-frère et demi-soeur, et donc que leur relation est d'une certaine façon incestueuse (v. généalogie). En se comportant de cette façon, Abraham exprime un aspect de la vérité.

     - parce qu'Abraham ne réussit pas à considérer Sarah comme une véritable épouse. Cela renvoie aux dysfonctionnements du couple.

     - interprétation positive : Abraham accepte une dépossession. Il préserve une marge d'inconnaissance entre l'homme et sa femme.

     - interprétation un peu trop moderne : Le "Dis que tu es ma soeur" biblique signifierait "tu es mon égale". Selon un midrach, Sarah se plaint à dieu, et dieu lui répond : "Tout ce que je fais, je l'accomplis pour toi, et tous diront : C'est à cause de Saraï, la femme d'Abram" (Gen R 41,2). Un jour, cette égalité sera vraie. Un jour, Sarah sera récompensée selon ses mérites.

     - il y a aussi une explication plus perverse. Sarah se serait vengée parce qu'Abraham ne reconnaît pas sa beauté. Il ne s'en aperçoit qu'en présence des autres. Dans cette perspective, c'est Sarah qui aurait cherché une sorte de confrontation avec Abram en "se donnant" à Pharaon (dont on ne sait pas si il l'a prise). Mais dans le cas d'Abimelekh (qui ne l'a pas prise), cette justification ne fonctionne pas. https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0501030359.html
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 12269
Age : 65
Date d'inscription : 22/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeMer 23 Oct 2019, 13:00

Ce genre de texte est évidemment une aubaine pour les grilles d'interprétation de toute époque, de tout milieu et de toute tendance (historique, littéraire, juridique, moral, scientifique, psychologique, psychanalytique, structuraliste, etc.). Ce qui ne contribue qu'à sa richesse, tant qu'on ne se met pas en devoir de trouver "la bonne" (interprétation).
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9921
Age : 63
Date d'inscription : 21/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeMer 23 Oct 2019, 13:10

Nous avons vu que, dans notre histoire, la force de la transmission opère horizontalement par des jeux de passation circulaires et d’échanges duels. Pour les naissances concomitantes de Joseph et de Dinah, cela a pu aller jusqu’à l’interversion des sexes, mais c’est l’étonnante révélation qui suit, énoncée à propos de la naissance de Ruben, qui nous permet de prendre toute la mesure de ce prodige : « Il était un d’un couple de jumeaux, l’autre enfant étant une fille. Et il en fut ainsi pour onze des enfants de Jacob. Tous excepté Joseph naquirent en jumeau avec une fille. Et la sœur jumelle et le frère se marièrent ensemble » (Ginzberg 1988 : 362)33. Joseph, le premier né de Rachel, ferait donc paire avec Dinah la dernière née de Léah.

33. On trouve déjà cette mention dans Rachi (Pentateuque 1971 : 243-245). L’échange auquel procède Léah, fait écho aux théories de la conception propres à la Cabale, dont, on l’a dit, la vulgarisation fut très rapide. La Lettre sur la sainteté (1986 : 51-53) mentionne à ce propos la possibilité de changer in utero le sexe de l’embryon par le « renversement des lettres », leur permutation. Ce qui est dit des enfants de Jacob renvoie à une croyance plus générale qui veut que les humains soient créés par deux : un homme, une femme et les couples ainsi formés se rencontreront et se marieront plus tard. Cette gémellité – ou sororité, dont on trouve des traces dans la fréquence avec laquelle les patriarches font passer leur femme pour leur sœur, c’est le cas d’Isaac avec Rébecca, d’Abraham avec Sarah – renvoie à la création initiale : une double création puisque dans la Genèse, avant la naissance d’Ève à partir d’Adam, il est d’abord dit : « Dieu créa l’homme à son image, il le créa homme et femme. » Aussi les variantes mythiques prêtentelles à Dieu plusieurs essais parmi lesquels une figure d’androgyne. Dans cette perspective le couple est destiné à refaire ce Un divisé. On retrouve cet idéal dans d’autres cultures et ce sont les alliances royales qui le prennent en charge : ainsi en Iran et dans l’Égypte ancienne (cf. Bonte 1994). https://journals.openedition.org/lhomme/123?file=1
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 12269
Age : 65
Date d'inscription : 22/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeJeu 24 Oct 2019, 12:35

Pour rappel, cet article intéressant avait déjà été cité ici (3.10.2019).

Où il y a du sexe et du langage, du corps et des figures, des lettres et des chiffres, il y a du symbole, et inversement (sum-bolon, c'est aussi le jeu de l'un et du deux, de la séparation et de l'union) -- dans le Cantique des cantiques (p. ex. 4,9--5,2; 8,1ss) ou chez Baudelaire ("mon enfant, ma soeur") comme chez Freud... Cf. aussi ici ou .

Les récits de la Genèse n'en ont pas moins leur propre logique narrative, qui apparaît clairement à une lecture simple (cursive) mais qu'on perd facilement de vue quand on commence à aller chercher midi à quatorze heures ailleurs, aussi bien dans la bien et mal nommée "archéologie biblique" (cf. à ce sujet ici, hier) que dans la psychanalyse: en l'occurrence, les "patriarches" (Abram/Isaac) sont explicitement motivés par la peur (d'être tués pour leur femme; encore le point de vue du "faible" qui contraint à la "ruse", "tromperie" et "mensonge" compris) et implicitement par des avantages matériels (ils sont bien traités à cause de leur "soeur"). Ce que comprend spontanément n'importe quel lecteur tant qu'on ne se mêle pas de lui "expliquer" les textes par des considérations hors textes.
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9921
Age : 63
Date d'inscription : 21/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeVen 25 Oct 2019, 13:39

Pourquoi Abraham a-t-il usé de ce stratagème?

La peur d'être exploité en tant qu'immigré ("Abram descendit en Egypte pour y séjourner en immigré, car la famine pesait sur le pays" - 12,10), une réalité qu'atteste Ex 22,20 : "Tu n'exploiteras pas l'immigré, tu ne l'opprimeras pas : vous avez été des immigrés en Egypte". Une autre raison explicite dans le texte, les puissants désirent la femme des autres (voir David et Bethsabée en 2 Sam 11 et 12).

Le texte de Gn 12, contient un problème de chronologie, puisque le texte indique qu'Abraham avait 75 ans (12,4), ce qui suppose que Sarah devait avoir entre 65 et 70 ans. Comment Sarah pouvait-elle être qualifiée de "fort belle", donc de désirable à un âge aussi honorable ? Je rappelle que Gn 12 laisse ouverte la possibilité que Pharaon ait eu des rapports avec Sarah alors qu’en Gn 20 il est dit explicitement que le roi ne l’a pas touchée.  

En Gn 12, la richesse d’Abraham vient des dons qu’il reçoit à la suite de l’intégration de Sarah dans le harem du Pharaon ; en Gn 20, les cadeaux sont donnés en tant que compensation du dommage moral. Nous pouvons en conclure que Gn 20 a été écrit dans le but d’atténuer le récit de Gn 12.
 
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 12269
Age : 65
Date d'inscription : 22/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeVen 25 Oct 2019, 17:48

Tu me sembles citer en partie cet article de Jan Joosten, qui mérite en effet d'être lu; de même que celui de Römer dont tu as donné le lien ici aujourd'hui même.

Je repense avec un peu de retard à la remarque du chapelier toqué ci-dessus, concernant la "foi" d'Abraham: peut-être faut-il d'autant plus de "foi" pour se fier à un dieu qui n'est pas "tout-puissant" (contrairement à la traduction habituelle mais assurément fausse de Shadday, 17,1 etc. -- la Septante n'y est d'ailleurs pour rien qui "traduit" en l'occurrence 'el shadday, non par "theos pantokratôr" qui est plutôt la correspondance de Sabaoth, [dieu] "des armées", mais par ho theos sou, "ton dieu"). Il n'y a pas de contradiction entre la ruse, mensonge compris, et la "foi" en un dieu relativement faible, d'autant que celui-ci ruse et ment aussi et inspire éventuellement aux siens le même type d'astuce. Mais naturellement on est très loin alors du "Dieu" de la tradition monothéiste ultérieure, à qui la "morale" ne coûte rien parce qu'il fait tout ce qu'il veut.
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9921
Age : 63
Date d'inscription : 21/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeLun 28 Oct 2019, 11:56

Citation :
Tu me sembles citer en partie cet article de Jan Joosten, qui mérite en effet d'être lu; de même que celui de Römer dont tu as donné le lien ici aujourd'hui même.
Effectivement, j'ai lu ces 2 articles avec beaucoup de plaisir. L'article de JOOSTEN m'a interpellé sur la question de LA morale, l'absence de morale de certains personnages et de l'histoire, ce qui n'exclut pas d'y trouver UNE morale ou des leçons de morales ou des questions sur la morale :

L’origine du motif littéraire de la sœur-épouse L’attestation multiple fait surgir la question de la teneur du motif littéraire. Qu’est-ce qui explique la popularité de ce récit raconté, transmis et finalement préservé dans le texte  biblique en plusieurs versions ? Depuis Hermann Gunkel, on aime à qualifier le récit de légende, dont le but principal était de divertir. Le narrateur et son auditoire se délectent des détails du récit : l’intelligence de l’ancêtre, la beauté de sa femme, l’assistance divine au moment crucial. Dans cette lecture, le moment religieux est accessoire et les questions morales ne figurent pas à l’horizon : la légende ne critique pas le mensonge du patriarche, au contraire ; elle n’est pas non plus sensible aux questions de pudeur – Pharaon a pu coucher avec Saraï, cela importe peu. Malgré le grand prestige de Gunkel, cette approche me semble erronée. Pour commencer, l’élément religieux est loin d’être accidentel dans ce récit. La notion selon laquelle Dieu ou les dieux veillent sur le respect des normes humaines – postulat  partagé par la Bible et la littérature du Proche-Orient ancien – sous-tend l’intrigue tout entière. Sans elle, le récit n’a pas de sens. Dieu veille sur le mariage et tiendra rigueur à l’adultère ; Dieu veille sur la personne de l’étranger, que l’on ne peut léser impunément. La morale, non plus, n’est pas absente. Le récit fait surgir une foison de questions difficiles : est-il permis de mentir pour éviter un danger mortel ? Peut-on tirer profit des  bénéfices obtenus à la suite d’un tel mensonge ? Jusqu’où doit aller la bienveillance qu’il faut avoir envers l’étranger ? Où le roi se situe-t-il par rapport à la loi ? Quelles conséquences la transgression de normes fondamentales entraînera-t-elle si elle est inconsciente ? Si ces questions ne sont pas énoncées explicitement, cela relève du style laconique du récit  biblique. Il ne faut pas en déduire que le lecteur n’est pas censé se les poser. Parmi ces questions, plusieurs sont traitées dans les textes législatifs du Pentateuque : le respect pour l’étranger  ; la place du roi par rapport à la loi  ; le statut des transgressions inconscientes.

Il s’agit toutefois de questions sur lesquelles il est difficile de légiférer, voire de règles dont il est difficile de s’assurer que, une fois établies, elles seront observées. Elles relèvent de l’éthique plus que de la loi. Le motif de l’ancêtre qui dit de sa femme qu’elle est sa sœur  permettait de faire réfléchir à ces questions et à inculquer un sens éthique. Il semble que la  popularité du motif littéraire est directement liée à son contenu moral. https://www.academia.edu/29080434/Abram_et_Sara%C3%AF_en_%C3%89gypte._Composition_et_message_de_Gen%C3%A8se_12_10-20
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 12269
Age : 65
Date d'inscription : 22/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeMar 29 Oct 2019, 02:49

Ce n'est évidemment pas parce que l'on est en désaccord, théorique ou pratique, avec une "morale" (au sens du "contenu" déterminé, de tel ou tel précepte moral) que l'on sort de la "morale" (en tant que "domaine"). A cet égard le plus "immoral" des discours ou des récits reste toujours "moral", c'est son rapport à la morale en général et à une morale en particulier qui fait son intérêt.

Encore ne faut-il pas se tromper sur la "morale" de référence, même a contrario: il y a d'évidentes tensions significatives entre la Genèse et le reste de la Torah, surtout avec le Deutéronome (monothéisme inclusif vs. monolâtrie exclusive, etc.), aussi, plus partiellement et accessoirement, avec certains textes sacerdotaux (indifférence aux lois rituelles, comme dans le cas de l'épouse effectivement [demi-]soeur dans l'"explication" de Genèse 20). Mais quand on reproche à Abraham de mentir, ce n'est pas à la Torah qu'on le compare -- celle-ci interdit bien le parjure sous l'angle "sacral" (sacrilège, profanation du nom divin), mais nulle part sauf oubli de ma part, le "mensonge" en tant que tel...
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9921
Age : 63
Date d'inscription : 21/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeMar 29 Oct 2019, 10:43

En lisant les différents commentaires concernant Abraham, il apparait que Gn 12, semble prendre le contre-pied de la tradition de l’Exode en effectuant un retournement de la tradition de l’Exode, hostile à l’Egypte. Exode présente un Pharaon qui ne veut pas reconnaître le dieu des Hébreux et refuse de laisser partir le peuple, en  Gn 12,, c'est l'inverse, Pharaon réagit positivement à la manifestation de Yhwh et laisse partir Abram.
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 12269
Age : 65
Date d'inscription : 22/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeMar 29 Oct 2019, 17:18

Cet aspect de la question -- qui vaudrait aussi pour son homologue (anachroniquement) philistin Abimélek, pour le pharaon bienveillant du roman de Joseph, mais aussi pour à peu près tous les vis-à-vis "païens" des patriarches (p. ex. les habitants de Sichem, Melchisédek, etc.) -- me semble en effet beaucoup plus significatif de "l'esprit" de la Genèse, toutes rédactions et additions confondues (ce que j'appelais plus haut le monothéisme inclusif, où le dieu des patriarches est au fond celui de tous), que les considérations moralisantes et anachroniques sur le comportement des patriarches eux-mêmes. Et à vrai dire il met aussi ce dernier en perspective: les personnages principaux de l'histoire ne sont nullement les "meilleurs", mais ça n'a aucune importance.
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9921
Age : 63
Date d'inscription : 21/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeMer 30 Oct 2019, 11:40

A première vue, l’histoire d’Abraham et des patriarches apparaît donc comme un prologue au grand récit de Moïse et de la sortie d’Egypte. Pourtant, l’histoire d’Abraham et celle de Moïse n’ont pas toujours fait partie d’une même narration. D’abord on peut facilement lire l’histoire d’Abraham pour elle-même, elle ne prépare pas nécessairement à une suite, comme le montre sa délimitation par les notices sur la naissance et la mort du patriarche (Gn 11,26-27; 25,7-10). De même, la compréhension de l’épopée de Moïse ne nécessite pas de connaissance préalable de l’histoire patriarcale, les quelques allusions à Abraham, Isaac et Jacob qu’on y trouve ont été ajoutées tardivement par des rédacteurs voulant souligner le lien entre les deux histoires. On peut, sans problème, lire l’histoire de l’exode et de Moïse sans connaissance préalable d’Abraham. On trouve d’ailleurs dans la Bible hébraïque un certain nombre de « résumés historiques» qui parlent de l’exode sans faire le lien avec la tradition patriarcale. Ainsi, le Psaume 136 passe du rappel des œuvres du Dieu créateur directement à l’épopée de l’exode sans mention des patriarches; de même, le rappel de l’histoire d’Israël, en Ezéchiel 20, commence avec la révélation de YHWH à son peuple en Egypte.

Et lorsque Dieu, suite aux transgressions d’Israël, veut, à deux reprises, faire de Moïse l’ancêtre d’un nouveau peuple (Ex 32,10: « Je vais les supprimer et faire de toi une grande nation» ; Nb 14,12: « Je vais le priver de son héritage et de toi je ferai un peuple plus grand et plus puissant que lui»), Moïse s’oppose à ce plan et réussit à convaincre Dieu de donner à son peuple une nouvelle chance. Moïse est ici un intercesseur, celui qui plaide la cause d’Israël face à YHWH.

Cette fonction rejoint celle de médiateur qui résume le mieux le rôle de Moïse dans la Torah. C’est grâce à Moïse qu’Israël a connaissance des lois que Dieu révèle à Israël pour lui permettre d’exister en tant que peuple de YHWH. Moïse, le médiateur, et Abraham, l’ancêtre, c’est ainsi qu’on pourrait résumer la fonction de ces deux figures.
https://www.academia.edu/10764184/T._R%C3%B6mer_La_construction_dAbraham_comme_anc%C3%AAtre_oecum%C3%A9nique_RSB_2014_pp._7-23
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 12269
Age : 65
Date d'inscription : 22/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeMer 30 Oct 2019, 15:12

Excellent article à lire intégralement et attentivement -- il met en lumière beaucoup de détails qui ne sont pas souvent remarqués tout en produisant une vision d'ensemble intelligible, ce qui est plutôt rare (mais pas chez Römer).
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9921
Age : 63
Date d'inscription : 21/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeMer 30 Oct 2019, 15:39

Narkissos a écrit:
Excellent article à lire intégralement et attentivement -- il met en lumière beaucoup de détails qui ne sont pas souvent remarqués tout en produisant une vision d'ensemble intelligible, ce qui est plutôt rare (mais pas chez Römer).


J'ai ressenti un grand bonheur à lire cet article, d'ailleurs un autre extrait :

Il est assez clair que la figure (littéraire) d’Abraham est plus récente que celle de Jacob. Les attestations d’Abraham en dehors du Pentateuque sont plus fréquentes que celles de Jacob et ne se trouvent pas dans des textes préexiliques. Le texte souvent commenté d’Ez 33,34 montre qu’Abraham fut un ancêtre revendiqué par la population non exilée de Juda qui s’appuie sur lui pour légitimer son droit à la terre. Si ce texte date de la fin du VIe siècle, il nous apprend qu’Abraham est une figure connue, liée à la terre, probablement sur le mode de l’autochtonie. La référence à Abraham et Sarah en Es 51,1-3 va dans le même sens. Il semble que ce texte réagisse à Ez 33,24, en apportant un message d’espoir aux « habitants de ces ruines», décriés en Ez 33,24ss. Ici, Abraham et Sarah sont liés au thème de la descendance. Ces références, qui ne mentionnent ni Jacob ni la provenance d’Abraham d’ailleurs, confirment qu’on peut, en effet, très bien entendre et lire l’histoire d’Abraham comme un récit d’ancêtre indépendant. C’est le récit de la quête d’une descendance, de la légitimation d’un territoire et de l’explication des liens généalogiques avec des tribus et peuples voisins. https://www.academia.edu/10764184/T._R%C3%B6mer_La_construction_dAbraham_comme_anc%C3%AAtre_oecum%C3%A9nique_RSB_2014_pp._7-23
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 12269
Age : 65
Date d'inscription : 22/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeMer 30 Oct 2019, 20:44

Le "grand récit biblique" -- celui qu'on apprend dans tous les catéchismes et qu'on en retient toute sa vie, si l'on n'y regarde pas de plus près, l'enchaînement création-déluge-patriarches-esclavage-exode-désert-conquête-juges-monarchie-schisme-exils-etc. -- repose beaucoup plus sur sur la "reliure" rédactionnelle ou simplement canonique des livres bibliques que sur leur propre contenu narratif. Il faut absolument briser ce cadre "méta-narratif" pour pouvoir entendre les récits bibliques proprement dits, non seulement chacun pour soi mais dans leurs véritables relations intertextuelles -- ainsi il y a bien une sorte de dialogue entre la Genèse et le Deutéronome p. ex., mais qui n'a rien à voir avec une "suite".
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9921
Age : 63
Date d'inscription : 21/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeJeu 31 Oct 2019, 11:43

Dans sa forme actuelle, l'histoire d'Abraham réunit les préoccupations de différents courants du judaïsme, ce qui explique le caractère úcuménique d'Abraham.

Ainsi, les Philistins qui apparaissent souvent comme l'ennemi par excellence d'Israël, sont représentés en Gn 20 comme des "craignants Dieu". Abraham et le roi philistin règlent leur problèmes par un pacte d'amitié et de loyauté. De même, l'image du Pharaon d'Egypte en Gn 12 diffère nettement de celle qu'en donne le livre de l'Exode. Les Ammonites et les Moabites, souvent accablés dans les oracles prophétiques, sont généalogiquement rattachés à Abraham via Loth (Gn 19,30ss). Les difficultés territoriales entre ces deux chefs de clan sont réglées d'un commun accord. Et même si la naissance de Moab et Ammon se fait de manière incestueuse, on ne met jamais en question le lien de parenté qui les lie à Abraham.

Restent les relations avec les différentes tribus proto-arabes. En Gn 25, certaines de ces tribus descendent d'Abraham via sa deuxième femme Qetoura. Mais le récit le plus impressionnant se trouve en Gn 16, un texte qui veut préciser le statut d'Ismaël (ancêtre des Ismaélites) par rapport à Abraham. Sarah, étant stérile, convainc Abraham de coucher avec Hagar, sa servante. Mais lorsque Hagar se trouve enceinte, le conflit éclate entre les deux femmes, conflit qui provoque la fuite de Hagar. Cependant, Yhwh s'occupe de Hagar. L'envoyé de Dieu va la trouver dans le désert et lui adresse l'oracle suivant: "Je multiplierai tellement ta descendance que l'on ne pourra la compter" (16,10). Et c'est exactement la même promesse de descendance qui est adressée à Abraham (cf. Gn 13,16). La matriarche des tribus arabes bénéficie d'un statut tout à fait particulier. La suite du récit confirme cette impression. L'oracle de naissance que l'ange de Yhwh adresse à Hagar (Gn 16,11-12) a une coloration quasi-messianique, puisque les textes parallèles se trouvent en Es 7 (annonce d'un messie à venir) et en Luc 1 (annonce de la naissance de Jésus). L'explication qui est donnée au nom d'Ismaël souligne le lien étroit entre Yhwh et les Ismaélites. Le nom Ismaël est, en effet, expliqué par "Yhwh a écouté" (Gn 16,11). Pour le narrateur, le nom divin "El"(qui se transformera plus tard en "Allah"), à partir duquel est construit le nom propre "Ismaël", est à identifier au nom de Yhwh. Selon Gn 16, Yhwh n'est pas seulement le Dieu d'Israël, il est aussi le Dieu des Arabes. Et le texte originel de Gn 16,13, altéré par la suite par des éditeurs "orthodoxes", suggérait apparemment que Hagar ait pu voir Yhwh face à face et rester en vie! Cette théologie universaliste est donc présente dans la plupart des chapitres qui constituent le cycle d'Abraham. Le récit sacerdotal de Gn 17 montre la même sympathie pour Ismaël, car il participe à l'alliance. Cette alliance est, après celle avec Noé, la deuxième que Dieu conclut. On peut en conclure que l'école sacerdotale conçoit l'humanité en trois cercles qui se "rétrécissent": Gn 9 inclut toute l'humanité et Dieu est appelé Elohim; Gn 17 inclut les deux descendants d'Abraham et Dieu s'appelle El Shadday. Selon P, il ne s'appellera Yhwh qu'après la vocation de Moïse et son alliance avec Israël au Sinaï (cf. la présentation systématique par P en Ex 6,2-Cool.

Lorsque Dieu promet de donner le pays à Abraham, ce don n'implique pas, selon les textes de la Genèse, l'expulsion des autres peuples qui vivent sur cette même terre. Et quand les textes évoquent le don du pays pour la descendance d'Abraham, cette descendance se constitue apparemment à partir des deux fils d'Abraham: Ismaël et Isaac. Comme l'a suggéré le regretté Jacques Pons, la constitution du cycle d'Abraham peut s'expliquer comme une réaction contre une approche trop nationaliste de l'identité du peuple de Yhwh. Abraham devient alors une figure d'intégration qui permet le dialogue avec les autres. Ce n'est pas par hasard si c'est Abraham, et non Moïse, qui est devenu l'ancêtre théologique commun des juifs, chrétiens et musulmans.  http://www.unige.ch/theologie/distance/cours/ats3/lecon4/lecon4.htm
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 12269
Age : 65
Date d'inscription : 22/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeJeu 31 Oct 2019, 17:35

Bien que ce soit tentant pour des raisons politiques ou diplomatiques, il faut être attentif à ne pas projeter sur l'"Ismaël" de la Genèse, ni sur les `rbym (d'où "arabe[s]") de la bible hébraïque qui peuvent désigner toute sorte de groupes nomades ou semi-nomades (comme notre mot "bédouin"), une "identité arabe", ethnique, géographique et linguistique, qui n'émergera comme telle que des siècles plus tard et que l'islam lui-même, avec sa relecture des récits de la Genèse, contribuera largement à fédérer. Le sens de l'interprétation n'est évidemment pas réversible, sauf à prêter aux textes une valeur "prédictive" de manière quasi fondamentaliste. Quand on parle d'Abraham comme père des juifs, des chrétiens et des musulmans, on emploie un langage interconfessionnel et transhistorique qui combine artificiellement le discours successif et divergent des trois religions, on n'est certainement plus dans un commentaire exégétique de la Genèse qui vise à exposer ce que celle-ci pouvait signifier pour ses auteurs et ses premières générations de lecteurs.
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9921
Age : 63
Date d'inscription : 21/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeLun 04 Nov 2019, 17:28

Il est difficile de se faire une idée exagérée de ce qu’Isaac représente pour Abraham. Les deux hommes sont liés par un triple lien : biologique, puisque Isaac est la descendance physique d’Abraham ; juridique, puisque Isaac est son seul fils légitime, son héritier ; et religieux, la preuve tangible de la fidélité de Dieu à sa promesse, l’incarnation à lui seul de la bénédiction divine. Or, c’est précisément à cause de cette valorisation extrême du fils que celui-ci devient l’objet de la demande divine. L’ordre de Dieu est paradoxal : non seulement c’est lui qui a donné Isaac à Abraham à un âge où cela semblait humainement impossible, mais de plus Dieu s’est lié par une promesse solennelle à réaliser son histoire en ce fils : « J’établirai mon alliance avec Isaac, que Sara t’enfantera » (Gn 17, 21 ; voir aussi 21, 12). En même temps, l’ordre divin est cohérent. La question se pose en effet qui du donateur ou du fils donné comptera le plus pour Abraham. Maintenant qu’il a son fils promis, l’aimera-t-il plus que ce Dieu par qui tout a commencé ?

On conclura de tout cela que la ligature d’Isaac est une vraie épreuve, à laquelle Abraham se soumet. Le verbe hébreu « éprouver » (nissah) peut avoir plusieurs connotations, selon les contextes. Parfois le sens voulu est celui d’ « expérimenter » : David ne peut marcher vêtu d’une armure, parce qu’il n’est pas expérimenté (1 S 17, 39). Parfois le sens est plus proche de notre « essayer » : « Si j’essayais de placer un mot, en serais-tu peiné ? » (Jb 4, 2). Mais le plus souvent, le verbe implique une mise à l’épreuve, un examen: la reine de Saba met Salomon à l’épreuve par des énigmes ; les Israélites mettent Dieu à l’épreuve, et inversement. Dans notre chapitre, c’est ce dernier sens qui convient, comme le montre le déroulement de l’histoire. Dieu demande à Abraham de faire quelque chose de moralement et religieusement impensable. Cependant, ce qu’il recherche n’est pas qu’Isaac meure, ni qu’Abraham le tue. Son but est de vérifier comment Abraham se situe par rapport à lui.

L’intrigue

Si la démarche mise en scène en Gn 22 est un vrai test, la question se pose à qui ce test doit bénéficier. Beaucoup de commentaires répondent que le test sert à faire connaître la foi d’Abraham à tous les hommes. Dieu lui-même connaît l’issue de l’histoire depuis le début, mais il crée l’occasion qui permet de faire éclater le mérite d’Abraham de façon manifeste. D’autres commentateurs soulignent l’intérêt d’Abraham : en parcourant l’épreuve il a établi sa stature de façon objective (voir en ce sens déjà l’Épitre de Jacques 2, 20-24).  
https://www.academia.edu/19723650/L_%C3%A9preuve_d_Abraham_ou_la_ligature_d_Isaac_Gen%C3%A8se_22_Une_lecture_du_texte_h%C3%A9breu
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 12269
Age : 65
Date d'inscription : 22/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeMar 05 Nov 2019, 03:23

Excellent article (encore), qui rejoint d'une autre manière ce que je disais plus haut du point de vue des "faibles" -- dieux compris, à leur mesure.

En définitive, le principal obstacle à la lecture (pourtant simple) des textes bibliques c'est la théologie monothéiste "classique" (qui pourtant en résulte): si l'on présuppose un Dieu tout-puissant et omniscient, on ne comprend strictement rien à tout ce que dit et fait le personnage "Dieu" dans les récits. Il faut s'imaginer qu'il joue toujours la comédie en faisant semblant de ne pas savoir ce qu'il sait et de ne pas pouvoir ce qu'il peut; et ce faisant c'est la vérité qu'on lui refuse -- à lui comme aux textes.
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9921
Age : 63
Date d'inscription : 21/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeJeu 07 Nov 2019, 12:19

"Or le SEIGNEUR avait dit : Cacherai-je à Abraham ce que je vais faire, alors qu'Abraham va devenir une nation grande et forte, et que toutes les nations de la terre se béniront par lui ? (...)  Abraham s'approcha et dit : Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le méchant ? Peut-être y a-t-il cinquante justes au milieu de la ville : vas-tu vraiment supprimer ? Ne pardonneras-tu pas à ce lieu à cause des cinquante justes qui s'y trouvent ? Jamais tu ne ferais une chose pareille : mettre à mort le juste avec le méchant, de sorte qu'il en serait du juste comme du méchant, jamais ! Le juge de toute la terre n'agirait-il pas selon l'équité ? (...)  Abraham dit : J'ose encore te parler, Seigneur... peut-être s'en trouvera-t-il là vingt. Il répondit : A cause de ces vingt-là, je n'anéantirai pas. Abraham dit : Je t'en prie, Seigneur, ne te fâche pas si je parle encore une fois : peut-être s'en trouvera-t-il dix. Il répondit : A cause de ces dix-là, je n'anéantirai pas. Lorsqu'il eut achevé de parler à Abraham, le SEIGNEUR s'en alla, et Abraham retourna chez lui." Gen 18, 17ss 

Nous avons déjà analysé cet épisode et ce que l'on appelle "la prière d’intercession d'Abraham" mais il n'est pas inutile d'y revenir. En lisant le texte, j'ai été frappé par la question que Dieu se pose la question : informera-t-il ou non Abraham du châtiment qu'il s'apprête à infliger aux gens de Sodome ?
Ensuite Abraham entre en négociation avec Dieu, l'intercession prend l'allure d'un  marchandage, ou Abraham interpelle Dieu et il le force à agir en conformité avec ce qu'il est. Abraham ne laisse aucune alternative à Dieu, il DOIT agir avec justice, sous entendu qu'Abraham entrevoit la possibilité que Dieu ne le fasse pas. Dans son marchandage Abraham n'est pas allé jusqu'à un seul juste.







Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 12269
Age : 65
Date d'inscription : 22/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeJeu 07 Nov 2019, 16:18

Comme le remarquait Th. Römer dans un article référencé plus haut, il y a une analogie évidente entre le rôle d'intercesseur attribué ici à Abraham et celui de Moïse en Exode 32 ou Nombres 14; mais aussi, dans la Genèse même, avec celui d'Abra(ha)m ou d(e H)agar en faveur d'Ismaël -- il y va à chaque fois du destin de "nations", Ismaélites qu'il ne faut pas s'empresser d'identifier aux "Arabes" dans le cas d'Ismaël, Ammonites et Moabites dans le cas de Lot(h), Jacob-Israël que remettent autrement en question la "ligature-sacrifice" d'Isaac et les accès destructeurs de Yahvé dans l'Exode ou les Nombres.

Le rôle de l'intercesseur était d'ailleurs certainement encore plus important dans les traditions "pré-bibliques", ou du moins antérieures à la Torah, puisqu'il est déjà battu en brèche par les "Prophètes": cf. dans ce rôle "Noé, Dan(i)el et Job" en Ezéchiel 14 (où le personnage intermédiaire est plus proche du Danel d'Ougarit que du futur Daniel biblique, encore que celui-ci aussi intercède pour son peuple), ou l'intercession refusée à Jérémie
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9921
Age : 63
Date d'inscription : 21/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeVen 08 Nov 2019, 11:34

Citation :
Le rôle de l'intercesseur était d'ailleurs certainement encore plus important dans les traditions "pré-bibliques", ou du moins antérieures à la Torah, puisqu'il est déjà battu en brèche par les "Prophètes": cf. dans ce rôle "Noé, Dan(i)el et Job" en Ezéchiel 14 (où le personnage intermédiaire est plus proche du Danel d'Ougarit que du futur Daniel biblique, encore que celui-ci aussi intercède pour son peuple), ou l'intercession refusée à Jérémie.

"Quant à toi, ne prie pas pour ce peuple, n'élève pour eux ni cri ni prière, n'intercède pas auprès de moi, car je ne t'entendrai pas." Jé 7,16 

"As-tu donc rejeté Juda, as-tu de l'aversion pour Sion ? Pourquoi nous frappes-tu sans qu'il y ait pour nous de guérison ? Nous espérions que tout irait bien, mais il n'y a rien de bon ; un temps de guérison, mais c'est l'effroi ! SEIGNEUR, nous connaissons notre méchanceté, la faute de nos pères ;  car nous avons péché contre toi. A cause de ton nom, ne méprise pas, ne rabaisse pas le trône de ta gloire ! Souviens-toi ! Ne romps pas ton alliance avec nous ! Parmi les futilités des nations, en est-il qui fassent pleuvoir ? Est-ce le ciel qui donne les ondées ? N'est-ce pas toi, SEIGNEUR, notre Dieu ? C'est en toi que nous mettons notre espérance, car c'est toi qui as fait tout cela." Jé 14, 19-22


Jérémie  se fait intercesseur, il prie pour le peuple même lorsque Dieu lui demande d’arrêter d’intercéder pour celui-ci. Paradoxalement il comprend cet ordre comme une invitation à l’intercession. J'ai le sentiment que l'intercession s'adresse à un Dieu qui reste un inconnu, mystérieux et dont on ne connait pas l'étendue de sa colère, qui fait craindre la possibilité d'une destruction totale d'une nation, ce qui nécessite l'intercession afin de clamer une colère éventuellement sans limite.


Citation :
Comme le remarquait Th. Römer dans un article référencé plus haut, il y a une analogie évidente entre le rôle d'intercesseur attribué ici à Abraham et celui de Moïse en Exode 32 ou Nombres 14; mais aussi, dans la Genèse même, avec celui d'Abra(ha)m ou d(e H)agar en faveur d'Ismaël -- il y va à chaque fois du destin de "nations", Ismaélites qu'il ne faut pas s'empresser d'identifier aux "Arabes" dans le cas d'Ismaël, Ammonites et Moabites dans le cas de Lot(h), Jacob-Israël que remettent autrement en question la "ligature-sacrifice" d'Isaac et les accès destructeurs de Yahvé dans l'Exode ou les Nombres.

Mais la tradition juive va plus loin : elle enseigne que la stricte justice ne doit jamais être appliquée. Cela, nous l’apprenons d’Abraham le Patriarche :

"Or, l’Éternel avait dit : « Tairai-Je à Abraham ce que Je veux faire ? Abraham ne doit-il pas devenir une nation grande et puissante, et une cause de bonheur pour toutes les nations de la terre ? Si Je l’ai distingué, c’est pour qu’il prescrive à ses fils et à sa maison après lui d’observer la voie de l’Éternel, en pratiquant la vertu et la justice ; afin que l’Éternel accomplisse sur Abraham ce qu’Il a déclaré à son égard. » L’Éternel dit : « Comme le décri de Sodome et de Gomorrhe est grand ; comme leur perversité est excessive, Je veux y descendre ; Je veux voir si, comme la plainte en est venue jusqu’à Moi, ils se sont livrés aux derniers excès ; si cela n’est pas, J’aviserai. » Les hommes quittèrent ce lieu et s’acheminèrent vers Sodome ; Abraham était encore en présence du Seigneur. Abraham s’avança et dit : « Anéantirais-Tu, d’un même coup, l’innocent avec le coupable ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans cette ville : les feras-Tu périr aussi, et ne pardonneras-Tu pas à la contrée en faveur des cinquante justes qui s’y trouvent ? Loin de Toi d’agir ainsi, de frapper l’innocent avec le coupable, les traitant tous deux de même façon ! Loin de Toi ! Celui qui juge toute la terre serait-Il un Juge inique ?" Genèse XVIII, 17-25.

Deux racines sont ici employées, apparemment synonymes mais en fait distinctes : tsedeqa et mishpat (versets 18 et 25). La justice du juste permet à la miséricorde divine de s’exercer, l’existence de cinquante justes (tsadiqim) dans la ville de Sodome entraîne obligatoirement l’application de la miséricorde divine pour tous les criminels qui les entourent. C’est le sens littéral des versets 24 et 25 :

"Loin de Toi Seigneur d’agir de la sorte, en mettant à mort et les justes et les méchants de sorte que (le mérite) des justes aurait un sort identique aux crimes des méchants. Le Juge (shofet) de toute la terre n’agirait donc pas selon la justice (mishpat)."

De quelle justice peut-il s’agir ici ? La justice stricte exigerait que les cinquante (puis quarante-cinq, quarante, trente, vingt, dix) justes soient sauvés et les méchants, punis. C’est ce que l’hébreu désigne par le mot din .  Or Abraham plaide pour une toute autre justice (en hébreu mishpat), celle qui est tempérée par la miséricorde. A contrario, dans un texte antérieur à celui-ci, Dieu se révèle comme le Juge qui ne trouvera pas de raison de juger selon la tsedaqa et donc Il sera contraint d’appliquer le din.

"Sache, Abram, que ta postérité sera étrangère dans un pays qui ne sera pas le sien, elle sera asservie et opprimée durant quatre cents ans. Mais le peuple qui asservira (tes enfants) Je le jugerai (dan, racine din) car le crime des Emorites n’a pas atteint à ce jour la limite extrême " Genèse XV, 13-16.

https://www.cairn.info/revue-pardes-2001-1-page-129.htm#re3no3
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 12269
Age : 65
Date d'inscription : 22/03/2008

Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitimeVen 08 Nov 2019, 16:35

Dans mon post précédent, accidentellement tronqué, j'avais dû remarquer aussi qu'au chapitre de l'intercession la Genèse se distingue surtout par l'humour: Dieu se prête de bonne grâce au marchandage d'Abraham, mais toute cette négociation ne servira finalement à rien, puisqu'il n'y a pas dix justes -- donc les villes seront détruites -- mais  Lot et ses filles seront sauvés quand même.

Il y a évidemment une forte tension logique entre la notion d'intercession et celle de justice, rétributive ou distributive, mais strictement individuelle (sur ce point encore les "Prophètes", p. ex. Ezéchiel 18, précèdent apparemment la Torah, Deutéronome 24) -- elle arrive d'ailleurs à son paroxysme dans le Coran qui insiste sur l'absence de toute intercession au jour du jugement; et pourtant le droit islamique laisse plus de place au pardon que le droit occidental, Allah est rahman et rahim, etc.

Le commentaire talmudique est fort intéressant -- même si les définitions rabbiniques des termes hébreux ne se laissent pas toujours réinscrire telles quelles dans les textes bibliques. Par coïncidence, j'écoutais il y a quelques jours un commentaire de Nikita Mikhalkov sur son excellent film 12 (remake russissime des Twelve Angry Men de Lumet) où il disait quelque chose de très semblable: à ses yeux les Américains accordaient une foi absolue à la loi, au droit, à la justice, les Russes au contraire privilégiaient le sentiment, la compassion, la miséricorde, le coeur. Que tant de cultures différentes et contrastées disent d'elles-mêmes et par opposition aux autres des choses si semblables, c'est déjà remarquable.
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
Contenu sponsorisé





Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Empty
MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge Icon_minitime

Revenir en haut Aller en bas
 
Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge
Revenir en haut 
Page 1 sur 3Aller à la page : 1, 2, 3  Suivant
 Sujets similaires
-
» Qui est vraiment le père du mensonge ?
» Le Patriarche Abraham
» La dîme, Abraham et la loi de Moïse
» Sara Abraham et Abimelec
» Abraham était-il vraiment un homme de foi?

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Etre chrétien ou pas? :: RELIGION :: BIBLE: ANCIEN TESTAMENT-
Sauter vers: