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| du sommeil au réveil | |
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Auteur | Message |
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free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: du sommeil au réveil Jeu 17 Déc 2020, 12:11 | |
| La mort est un « sommeil »
Il faut donc chercher ailleurs les causes d’une telle analogie, loin de la simple observation visuelle. Cette association a comme but principal d’euphémiser la mort, de supprimer ce qui fait d’elle l’altérité absolue, de la rapprocher d’un état connu, rassurant, que traverse l’homme chaque jour : le sommeil. Le discours de Socrate à la veille de sa mort est, à cet égard, révélateur : la mort n’est peut-être qu’une nuit sans rêves. À la Renaissance, Montaigne reprend le raisonnement socratique au livre III des Essais : « Si c’est un anéantissement de notre être, c’est encore amendement d’entrer en une longue et paisible nuit. Nous ne sentons rien de plus doux en la vie, qu’un repos et sommeil tranquille et profond sans songes ». Comment craindre la mort dans ces conditions ? La conséquence immédiate d’un tel raisonnement est également faite pour rassurer : si la mort est un sommeil, l’agonie n’est qu’une autre forme de l’endormissement. Point de douleur là où la conscience glisse progressivement ailleurs, dans la douceur À la suite d’un grave accident, Montaigne décrit ainsi ce qui ressemble fort à une agonie : « Il me semblait que ma vie ne me tenait plus qu’au bout des lèvres : je fermais les yeux pour aider (ce me semblait) à la pousser hors, et prenais plaisir à m’alanguir et à me laisser aller. C’était une imagination qui ne faisait que nager superficiellement en mon âme, aussi tendre et aussi faible que tout le reste : mais à la vérité non seulement exempte de déplaisir, ainsi mêlée à cette douceur, que sentent ceux qui se laissent glisser au sommeil. Je crois que c’est ce même état, où se trouvent ceux qu’on voit défaillants de faiblesse, en l’agonie de la mort : et tiens que nous les plaignons sans cause, estimant qu’ils soient agités de grièves douleurs, ou avoir l’âme pressée de cogitations pénibles ». G. Matthieu-Castellani commente ainsi ce passage : « Plaisir de mourir, mourir de plaisir : ce plaisir est d’une qualité tout autre que le plaisir viril ; il est tout d’abandon, de laisser-aller, d’alanguissement, de glissement ; c’est un plaisir féminin, marqué par la liquidité, l’effusion (…) un plaisir à la surface du corps, à la surface de l’âme, senti “au bout des lèvres”, aux “bors de l’ame”, un plaisir oral comme celui de l’infans, arrosé du lait maternel ».
La mort serait donc rapprochée du sommeil pour une autre raison : celle de sa ressemblance avec l’état prénatal. P. Ariès cite la réaction des sept dormants d’Ephèse, contenue dans La légende dorée de J. de Voragine, s’écriant à leur réveil, après un très long sommeil : « Or, de même que l’enfant dans le ventre de sa mère vit sans ressentir de besoins, de même nous aussi, nous avons été vivant, reposant, dormant et n’éprouvant pas de sensations ! ». Pour E. Morin, cette ressemblance entre le sommeil, la mort et la vie fœtale est essentielle : « L’idée d’éternel sommeil n’aurait été qu’une idée à la surface de l’expérience, aussitôt démentie par elle, si elle ne s’était alourdie, épanouie et poursuivie dans la tiède communication de toutes les profondes analogies de la mort. C’est le sommeil originaire que retrouve le mort. Il y a triple analogie entre le sommeil nocturne des vivants, le sommeil de la mort et le sommeil fœtal. Ils se tiennent tous trois au niveau des “sources élémentaires” aux “tréfonds de toute vie”. Notre petite vie est baignée d’un grand sommeil. Le sommeil notre berceau, le sommeil notre tombeau, le sommeil notre patrie, d’où nous sortons le matin, où nous rentrons le soir, et notre vie, le court voyage, la durée entre l’émergement, l’unité première et l’engloutissement en elle ». Maternel, doux et accueillant, le sommeil profond gomme tout ce que la mort peut avoir d’effrayant : la coupure définitive avec les êtres chers, les douleurs de l’agonie, l’Inconnu absolu. https://www.cairn.info/journal-l-information-litteraire-2008-4-page-21.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: du sommeil au réveil Jeu 17 Déc 2020, 13:21 | |
| Merci (encore) pour cette très belle collection de textes, qui gagnent à être lus et relus lentement.
Envoûtante floraison culturelle, littéraire, religieuse, philosophique, artistique, autour de l'expérience la plus commune et la plus profonde, toujours plus proche de chacun qu'il ne l'imagine -- l'expérience même, unique par quelque bout qu'on la touche sans jamais pouvoir la saisir ou la (com-)prendre: sommeil, rêve, réveil, vie, naissance, amour ou mort. Chaque "culture" et chaque "époque" ne l'aborde pas moins avec ses propres vaisseaux, au point où ils s'y échouent ou y chavirent: pour nous ce seraient peut-être les notions du "sujet" et de l'"objet" (du "subjectif" et de l'"objectif"), de "soi" et de l'"autre", de la "réalité" et de la "fiction", mais cela reviendrait toujours au même, si jamais rien revenait au même. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: du sommeil au réveil Mer 23 Déc 2020, 22:19 | |
| Jésus les accuse surtout de manquer de confiance en sa propre personne : «Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi ! » {Jn 14, 1). Pour exiger ainsi de ses familiers une confiance absolue en toute situation, même s'il dort, ne leur a-t-il pas donné assez de preuves de son autorité absolument nouvelle ? Il est ici pour eux plus que le témoin sans défaillance de l'abandon biblique ; il se montre capable de dompter, comme Dieu, et le vent et le monstre marin.
En dressant, face au désarroi de ces hommes pourtant croyants et aguerris par leur métier, le geste souverain de Jésus, la narration confère au récit de miracle un sens qui lui ajoute une dimension symbolique. Le sommeil du Maître n'est plus seulement la conséquence normale de la fatigue due à une journée harassante ; il signifie de façon exemplaire la confiance que l'homme doit avoir en Dieu ; il révèle une qualité unique de cette confiance, telle qu'elle est vécue seulement par le Fils de Dieu à l'égard de son Père ; autant que par son apostrophe véhémente, Jésus en dormant invite les disciples apeurés à découvrir, à travers son silence ou son absence apparente, la présence de Celui qui peut tout. https://www.nrt.be/fr/articles/la-tempete-apaisee-1551 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: du sommeil au réveil Jeu 24 Déc 2020, 00:22 | |
| Cette étude de 1965 permet de mesurer ce qui a changé dans l'exégèse du NT en un peu plus d'un demi-siècle -- l'élément le plus évident étant sans doute qu'on n'irait plus, sauf "fondamentalisme" caractérisé, chercher un "événement" derrière les récits évangéliques, surtout quand on dispose d'autant de modèles littéraires (Jonas, Psaume 104, Hymnes de Qoumrân etc.), pour lui ajouter une interprétation "post-pascale"... La comparaison synoptique reste toujours valable, mais elle occulte les relations internes à chaque évangile.
L'extrait que tu cites (p. 10, 906 de la revue) concerne Marc 4, qui ne gagne guère à être expliqué par Jean: dans Marc la "foi" est le plus souvent sans "objet" direct ou indirect, ici comme en 2,5; 5,34.36; 9,19.23s; 10,52; 11,22 (malgré la plupart des traductions, la "foi de dieu" n'est pas la "foi en Dieu"); 15,32; les exceptions sont rares et souvent anachroniques par rapport au cadre narratif: "la bonne nouvelle" ou "l'évangile", 1,15, "en moi" pour les "petits qui croient en moi" seulement 9,42, "que quelque chose arrive", 11,23s; "Jean-Baptiste" 11,31; il ne s'agit pas ici (tout du moins pas explicitement) de croire "en Jésus", la référence est à la "foi" qui sauve de façon quasi magique ou automatique, peu importe qui l'a ou "croit", en qui ou en quoi. Par contre il serait plus significatif de mettre en valeur le thème du sommeil et du réveil chez Marc, d'autant que lui selon toute vraisemblance ne dépend pas d'un texte antérieur (dormir, 4,27 quelques lignes plus haut; 5,39; 14,37ss; éveiller di-egeirô, cf. egeirô [r]éveiller ou [re]lever, 1,31; 2,9ss; 3,3; 5,41; 6,14ss; 9,27; 10,49; 12,26 etc.).
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A écouter: BWV 140 (sur les dix vierges). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: du sommeil au réveil Mar 08 Fév 2022, 15:52 | |
| — Le sommeil : nous en savons l'importance, au plan évidemment du corps mais aussi au plan de la psyché. Le corps dort, notre conscience diurne dort, mais nous sommes éveillés dans notre subconscience (cf. le rêve !). Et là se fait tout un travail. Cf. Ps 127,2b : « En vain vous levez-vous matin, vous couchez-vous tard, et mangez-vous le pain de douleur. Il en donne autant à ses bien-aimés pendant leur sommeil ». Ps 30,6 : « Le soir les pleurs, le matin l'allégresse. »
On parle de repos restaurateur, régénérateur. Pourquoi l'est-il ? Parce que l'homme y respire dans tous les sens du mot, et aussi en profondeur, à son insu. Quel énorme travail se fait en chacun de nous pendant le sommeil ! Un travail de fourmi, de « métabolisme » au sens physique mais aussi au sens psychique voire spirituel. Dirai-je : un travail d'ange ? Le sommeil : une plongée dans le monde invisible ? Ainsi, le symbole de Nicée qui dit que Dieu est le Créateur des réalités visibles et des réalités invisibles. Ces dernières peuvent être identifiées comme la réalité angélique.
Il y a une respiration de l'âme, comme à notre insu. Et cela comme réalité universelle.
https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1999-v55-n3-ltp2165/401253ar.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: du sommeil au réveil Mar 08 Fév 2022, 17:01 | |
| Décidément les discussions du jour me rappellent des souvenirs (la racontouse, dirait Queneau): j'ai "croisé" Siegwalt et Bourguet en différentes circonstances, ils m'ont tous deux impressionné, par une certaine "originalité" et une ténacité certaine dans des directions pourtant très différentes (le luthérien Siegwalt poursuivant sa théologie systématique dans l'indifférence quasi générale, le réformé Bourguet, par ailleurs excellent exégète, se faisant "ermite" aux antipodes de sa tradition), mais je n'aurais pas songé à les rapprocher sans cet article -- qui du reste serait tout aussi pertinent aux thèmes du "silence" ou de la "prière"... Sur le "travail" du sommeil, cf. aussi ici. J'ai failli repartir au quart de tour sur la confusion du "mystère" et de la "gnose", mais comme Siegwalt nuance ses distinctions à mesure qu'il les pose, ce n'est vraiment pas nécessaire. Et ce serait le comble de se fatiguer en vain sur un tel sujet... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: du sommeil au réveil Mar 08 Fév 2022, 17:36 | |
| Du « sommeil sans réveil » à la résurrection comme réveil
Ils étendirent tapis et tissu de lin sur le pont du vaisseau creux, afin qu'il dormît sans se réveiller, à la poupe. Il monta à bord et se coucha, en silence ; eux s'installèrent un à un près des tolets, en bon ordre, et ils détachèrent le câble de la pierre trouée. En même temps que, penchés vers l'avant, ils faisaient de leur rame jaillir l'eau saumâtre, en même temps tombait sur les paupières d'Ulysse un sommeil profond, sans réveil, très doux, ressemblant à la mort de très près. (Odyssée 13, 73-80)
https://www.persee.fr/doc/gaia_1287-3349_2010_num_13_1_1545 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: du sommeil au réveil Mar 08 Fév 2022, 22:49 | |
| Cf. supra (à partir du) 15.12.2020 (j'ai quand même relu tout l'article avant de penser à vérifier...).
Sans revenir sur ce qui a déjà été dit (notamment sur la "métaphore" de l'éveil ou du réveil, qui n'est pas à confondre mais se confond quand même avec celle du lever ou du relever, relèvement, redressement, érection, surrection), on peut méditer l'ambivalence générale de l'image: se réveiller (du sommeil ou de la mort), est-ce un bien ou un mal ? Tout dépend pour qui, pour le dormeur ou pour l'éveillé, ou encore pour d'autres présumés éveillés, ceux qui l'aiment, qui désirent le voir éveillé ou vivant, qui ont besoin de lui, ou qui au contraire lui en veulent et désirent le faire "payer" ou lui faire "rendre des comptes"; et pour le dormeur-mort lui-même, si l'on peut dire, tout dépendrait encore si son sommeil est paisible, heureux ou malheureux, rêve ou cauchemar (cf. Hamlet). Tous ces motifs et motivations se mêlent inextricablement dans la notion de "résurrection", qui peut passer pour une récompense ou pour un châtiment, voire un invraisemblable acharnement envers ces morts qu'on ne laisserait pas dormir en paix, alors même que pour leur part ils ne demandent (plus) rien. L'idée m'avait déjà effleuré quand j'étais TdJ (tenant alors la mort, selon la doctrine officielle, pour inconscience et inexistence absolues, ni rêve ni cauchemar): une fois mort, fût-ce "dans l'espérance de la résurrection", peu m'importerait d'être "ressuscité" ou non; à la limite de cet "irréel" imaginaire "je" préférerais plutôt ne pas l'être -- sans compter tous les tours et retours de passe-passe impliqués dans une telle "imagination" (je me souviens d'une vieille dame rencontrée en "prédication" qui m'avait dit: "Je voudrais m'endormir un soir et me réveiller morte le lendemain", il y va au fond de la même contradiction chaque fois qu'on se pense ou s'imagine mort). J'y étais revenu ici, à propos du fameux cas de Samuel en 1 Samuel 28, où le mort se plaint d'être dérangé... |
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