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| Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 | |
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| Sujet: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Jeu 14 Mai 2020, 15:57 | |
| "Je passai près de toi, je t'aperçus en train de te débattre dans ton sang et je te dis : Vis dans ton sang ! Je te dis : Vis dans ton sang ! Je t'ai multipliée par dix mille, comme les pousses des champs. Et tu t'es développée. Tu grandis, tu devins d'une beauté parfaite ; tes seins se formèrent, ta chevelure poussa. Mais tu étais nue, entièrement nue. Je passai près de toi et je te regardai : c'était ton temps, le temps des amours. J'étendis sur toi le pan de mon vêtement, je couvris ta nudité, je te fis un serment, je contractai une alliance avec toi — déclaration du Seigneur DIEU — et ainsi tu m'appartins". (Eze 16,6-
Yhwh choisit Jérusalem comme épouse pour les raisons suivantes : parce que sa beauté était parfaite, elle avait une belle chevelure, ses seins se formèrent et enfin elle était entièrement nue ... C'était donc le temps des amours. Ez 16 nous invite à considérer que des seins ont contribué au devenir de Dieu comme époux de Jérusalem et que ce Dieu a été sensible aux temps des amours et la nudité de Jérusalem. IL y a quelque chose de très humain dans cette divinité.
Les versets suivants donnent l'impression que Yhwh prépare son épouse à la nuit de noce :
"Je t'ai lavée avec de l'eau, j'ai rincé le sang qui était sur toi et je t'ai parfumée. Je t'ai habillée d'étoffe brodée, chaussée de dauphin, drapée de fin lin, couverte de soie. Je te parai d'ornements : je mis des bracelets à tes mains, un collier à ton cou, je mis un anneau à ton nez, des boucles à tes oreilles et une couronne de splendeur sur ta tête. Ainsi tu fus parée d'or et d'argent et tu fus vêtue de fin lin, de soie et d'étoffe brodée. Tu mangeais de la fleur de farine, du miel et de l'huile. Tu devins de plus en plus belle, digne de la royauté" (16,9-13). |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Jeu 14 Mai 2020, 18:30 | |
| Avec Ezéchiel ça n'en reste pas à l'érotisme soft, on est souvent plus près de la pornographie, de la scatologie et du gore (voir le reste du chapitre et l'ensemble du livre, en particulier le chap. 23; et encore, les traductions euphémisent, je ne connais guère que Chouraqui, dans son français bien à lui, qui se montre à la hauteur de l'obscénité, si l'on peut dire)...
Quoi qu'il en soit des développements successifs du livre et des rédactions qui en ont certainement transformé le style, tantôt en l'atténuant tantôt en l'aggravant, il y a dans cette violence ("graphique" au sens anglais du mot qui correspond à peu près chez nous à "explicite", "crue" ou "cruelle") quelque chose d'essentiellement pathologique (variante de "passionnel"), qui tient peut-être en partie au choc de l'exil à Babylone pour un prêtre de Juda réduit au prophétisme dans sa forme la plus corporelle, avec une forte conscience de l'"impureté" rituelle de ce nouveau contexte (cf. p. ex. chap. 4ss), avant toute expression verbale et a fortiori littéraire. Toutefois le schéma "matrimonial" du prophétisme écrit remonte apparemment plus loin (cf. Osée pour l'Israël du Nord avant Jérémie, Ezéchiel, le deutéro-Isaïe, etc.).
Je n'ai pas vraiment étudié la question, mais il me semble que cette façon "prophétique" ou plus généralement "biblique" de mêler politique, religion, droit, morale, sensualité et affectivité dans la forme d'une "scène de ménage" divino-humaine est assez originale, sinon unique dans la littérature antique: les dieux des mythologies polythéistes ont des vies sexuelles et sentimentales riches, entre eux et avec des mortel(le)s, mais elles n'impliquent pas (à ma connaissance) des figures ethniques ou politiques (au sens de cité, polis), même quand celles-ci sont féminisées et plus ou moins divinisées (Athena est déesse avant de se rapporter à la ville, Roma c'est sans doute le contraire); la sexualité et le "mariage sacré" (hieros gamos) jouent un rôle central dans les religions de fertilité et de fécondité du Levant, mais l'épouse c'est une déesse (Anat ou Ashéra), même si le mythe est ritualisé par l'union du prêtre et d'une prêtresse ou par la "prostitution sacrée" en général. Les fameux traités assyriens qui ont inspiré le "deutéronomisme" ne sont pas dépourvus d'affect à double tranchant (tu aimeras le roi d'Assyrie comme toi-même, sc. tu y as tout intérêt), mais je ne pense pas qu'ils y associent d'image matrimoniale, comme l'"alliance" de Yahvé comparée à un mariage. Peut-être le dieu hébreu, privé de parèdre par son évolution monolâtrique, reporte-t-il toute sa passion et sa jalousie sur ses villes-sanctuaires et ses nations, Samarie ou Jérusalem, Israël ou Juda; ça aboutit en tout cas à des amalgames remarquables: ainsi "l'adultère", dans ce genre de contexte, c'est aussi bien le culte d'autres divinités que Yahvé que l'idolâtrie comme culte des images (y compris de Yahvé), l'alliance politico-militaire avec d'autres nations (p. ex. l'Assyrie ou l'Egypte contre l'empire néo-babylonien), ou encore, à la lettre, la sexualité dans le culte même de Yahvé (p. ex. prostitution sacrée), voire l'impureté rituelle associée au sexe en général dans les codes sacerdotaux; tout cela tend à se confondre en une attraction-répulsion indistincte mais intense, en particulier chez Ezéchiel. Et c'est aussi dans ce livre "furieux" que s'élabore une bonne partie des concepts et des règles qui vont s'énoncer de façon juridique dans la Torah, surtout dans ses sections "sacerdotales". |
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| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Ven 15 Mai 2020, 20:19 | |
| Ainsi, le v. 7 présente la puberté de la jeune femme-Jérusalem qui devient nubile au v. 8b (le temps des amours), affinant l’image jusqu’à la présenter sans vêtement et nue. Sans mentionner les menstruations comme signe de cette période de vie, l’hagiographe réfère plutôt à ce qui suscite le désir de l’homme et qu’il qualifie comme l’ornement des ornements. Dans ce contexte érotique, j’ai précisé que le poil dont il est question au v. 7f est celui du pubis, supposant que celui des aisselles ou des jambes ne provoque pas l’effet escompté. J’ai identifié de même entre parenthèses, le phallus des images de mâle (v. 17c) puisque l’expression commandait une référence aux attributs sexuels; ainsi de suite pour le v. 25c où ce sont davantage les jambes que les pieds qui s’entrouvrent à tout passant (62), les vs 26a et 28a qui mettent l’accent sur la ‘mâlitude’ des fils d’Égypte et d’Assour; et sur leur grand pénis puisque le prophète lui-même se fera plus explicite dans ce sens avec le même mot chair dans son oracle au en Éz 23,2063. Le point culminant de cette imagerie érotique, aux dires des auteurs64, est le v. 36b avec la nébuleuse expression découlant de l’akkadien s’être répandu ta cyprine, référant au lubrifiant vaginale d’une femme excitée sexuellement. https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/11023/Perreault_Pierre_2014_memoire.pdf?sequence=2&isAllowed=y |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Ven 15 Mai 2020, 22:12 | |
| En effet, à côté d'Ezéchiel, même le Cantique des cantiques est soft... Mais ce qui peut "choquer" un lecteur moderne venu d'une culture ou d'une éducation chrétienne ou post-chrétienne n'est probablement pas ce qui choquait le plus les premiers (et sans doute assez rares) auditeurs du texte. Ce qui en tout cas me semble remarquable et "transculturel", même si cela se développe et s'apprécie diversement d'une culture à l'autre, c'est l'ambivalence foncière de l'imagerie sexuelle, la même au fond pour le rapport de Yahvé à son ou ses "épouse(s)" que pour l'"adultère" ou la "prostitution" dénoncées. La même "chose" suscite tantôt le désir et tantôt la répulsion, et avec la même violence, selon le point de vue et le moment (ambivalence aussi très bien exprimée par l'histoire d'Amnon et Tamar, dans 2 Samuel: la haine ou l'aversion est à la hauteur de l'amour, l'émotion ou la passion change de signe sans changer d'intensité; hainamoration, écrivait Lacan). L'ascétisme et la mystique qui construiront la relation au divin comme une anti-sexualité ne feront d'ailleurs qu'exprimer autrement la même ambivalence (voir là-dessus notamment Bataille; et éventuellement ce fil). |
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| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Dim 17 Mai 2020, 10:51 | |
| - Citation :
- En effet, à côté d'Ezéchiel, même le Cantique des cantiques est soft... Mais ce qui peut "choquer" un lecteur moderne venu d'une culture ou d'une éducation chrétienne ou post-chrétienne n'est probablement pas ce qui choquait le plus les premiers (et sans doute assez rares) auditeurs du texte.
Le puritanisme chrétien a bien du mal a expliquer l'aspect pornographique de ce texte : " Tu t'es prostituée avec les Egyptiens, tes voisins au membre énorme, tu m'as contrarié en multipliant ta prostitution" membre énorme : litt. grands de chair, expression qui a été comprise comme un euphémisme sexuel inspiré de certaines représentations des dieux égyptiens ; cf. 23.20. "Ainsi parle le Seigneur l’Éternel à Jérusalem : Par ton origine et ta naissance, tu es de la terre du Cananéen ; ton père était l’Amorrhéen et ta mère une Héthienne" (16,3). Ce verset et les suivants ne concernent pas spécialement la population de Jérusalem et ne lui attribuent point une origine jébusienne, c’est-à-dire amorrhéenne ou héthienne, comme on l’a cru. Il s’agit d’Israël lui-même dès l’époque de ses origines les plus reculées, lorsque de Canaan il vint habiter en Égypte et y tomba dans la plus douloureuse servitude. De la terre du cananéen. C’était de là que venait Israël ; Ézéchiel profite de cette circonstance pour reprocher au peuple d’avoir toujours eu, en quelque sorte, du sang cananéen dans les veines et de trahir, moralement parlant, une extraction païenne. Ce reproche n’a de valeur qu’autant que le prophète sait parfaitement que l’origine du peuple, matériellement parlant, est toute différente. Les Amorhéens et les Héthiens étaient les peuples du pays de Canaan du milieu desquels sortaient les Israélites au moment de leur émigration en Égypte. https://www.levangile.com/Bible-Annotee-Ezechiel-16.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Dim 17 Mai 2020, 11:28 | |
| Il ne faut pas demander à un commentaire "orthodoxe" ou "conservateur" du XIXe siècle (La Bible annotée en l'occurrence), pas plus qu'à un "fondamentaliste" du XXe ou du XXIe, ce qui est pourtant la condition préalable de toute lecture: oublier, autant que possible, tout autre texte pour ne lire que celui qu'on est en train de lire -- et par "autre texte" j'entends aussi le "grand récit biblique", écrit nulle part dans la Bible, qui met bout-à-bout des narrations dominantes: Création-Chute-Déluge-Patriarches-Egypte-Exode-Désert-Conquête-Juges-Royauté-Schisme etc.
En Ezéchiel 16 il n'est question que de Jérusalem (ni de Juda ni d'Israël, à peine de Samarie "soeur aînée" v. 46ss, cf. le chapitre 23 où le parallélisme des deux villes-filles sera beaucoup plus suivi); et de son origine "cananéenne", autrement dit autochtone (ni mésopotamienne comme Abraham, ni syrienne comme Jacob, ni égyptienne comme Moïse; mais pas "pure" pour autant, comme l'indique la combinaison "Amorite-Hittite" qui fait référence à l'histoire immémorialement compliquée de la région). En ce qui concerne Jérusalem, même l'historiographie biblique dominante a dû prendre en compte ce caractère autochtone, en attribuant à David sa conquête (et non à Josué malgré quelque hésitation, comparer Josué 10; 15; Juges 1). Pour ne rien dire de l'évidente continuité qui se reflète dans la tradition onomastique de sa "prêtrise royale" associée au dieu "Ts(ç)édeq" (secondairement interprété comme substantif abstrait, "justice"): Mechiçédeq, Adoni-çédeq, Ts(z/ç)adoq, Sédécias-çdq-yh[w], et jusqu'aux "sadducéens" (et zadoqites opposés à ces derniers dans les textes "sectaires" de Qoumrân). En Ezéchiel 16 il n'y a ni "descente" en Egypte ni "remontée" (exode-conquête, contrairement cette fois au chapitre 20), les Egyptiens restent des "voisins" (v. 26). |
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| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Dim 17 Mai 2020, 15:24 | |
| "Quelle faiblesse de cœur tu as eue — déclaration du Seigneur DIEU — en faisant toutes ces choses, qui sont l'œuvre d'une maîtresse prostituée ! Quand tu as bâti ton cabanon à l'entrée de chaque chemin et que tu as fait tes monticules sur toutes les places, tu n'étais même pas comme la prostituée : tu te moquais du salaire. La femme adultère reçoit des étrangers à la place de son mari. A toutes les prostituées on donne un cadeau ; quant à toi, c'est toi qui as donné ton cadeau à tous tes amants : tu les as gagnés par des présents, afin de les attirer à toi, de toutes parts, dans ta prostitution. Tu as fait le contraire des autres femmes dans ta prostitution : on ne te recherchait pas ; en donnant un salaire au lieu d'en recevoir un, tu as été le contraire. (16,30-34)
La divinité accuse Jérusalem du péché d’orgueil, d’adultère mais surtout de la perversion liée à la prostitution, Jérusalem a fait de sa beauté une abomination (v25), pire elle pervertit la perversion en inversant le rôle d'une prostituée :
"A toutes les prostituées on donne un cadeau ; quant à toi, c'est toi qui as donné ton cadeau à tous tes amants : tu les as gagnés par des présents, afin de les attirer à toi, de toutes parts, dans ta prostitution. Tu as fait le contraire des autres femmes dans ta prostitution : on ne te recherchait pas ; en donnant un salaire au lieu d'en recevoir un, tu as été le contraire" |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Dim 17 Mai 2020, 17:33 | |
| Le vocabulaire de l'insulte ne rechigne pas à la contradiction (cf. tout ce qu'on peut traiter de "pute" en français vulgaire, ancien et moderne), au moins autant que la "perversion" réelle et supposée. A noter que la "faiblesse de cœur" ( 'mlh lb) peut dénoter autant la bêtise, conformément à l'aspect "intellectuel" du " coeur", que l'inconstance sentimentale... |
| | | free
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| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Lun 18 Mai 2020, 10:25 | |
| Le texte met en évidence que les humains ont tendance a répéter les expériences passées et à être des victimes du comportement familiale :
"Tout faiseur de maximes t'appliquera cette maxime : « Telle mère, telle fille ! » Tu es bien la fille de ta mère, qui a eu en aversion son mari et ses enfants ; tu es bien la sœur de tes sœurs, qui ont eu en aversion leurs maris et leurs enfants. Votre mère était une Hittite, et votre père un Amorite"(''44-45).
Pourtant la divinité savait que Jérusalem avait été rejetée à la naissance par ses parents (v4-5), donc potentiellement capable de sacrifier ses enfants (v. 20-21) et de haïr son mari comme l'a fait sa mère. La divinité n'a pas su anticiper le comportement "prévisible" de son épouse. Dieu souffre du dépit amoureux, une vit une situation prévisible mais il s'en prend après son épouse Jérusalem, manifestant son impuissance qu'il gère par la colère et sa jalousie. Dieu n'a rien pu faire face à la "faiblesse de cœur"/ bêtise de Jérusalem. Comme Narkissos l'a souligné, Yhwh ait été séduit, subjugué par la beauté de Jérusalem ("Tu étais très belle") et c'est cette même beauté qui a précipité l'échec de de leur union. Nous retrouvons en Yhwh toutes les contradictions et les émotions de l'humain qui vit une déception sentimentale. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Lun 18 Mai 2020, 12:31 | |
| La logique "génétique", d'hérédité ou d'atavisme au sens le plus large, est pourtant celle que combat directement le chap. 18 (d'après un autre proverbe célèbre, "les pères ont mangé les raisins verts, mais ce sont les dents des fils qui ont été agacées" <=> les parents boivent et les enfants trinquent, assez proche donc de "tel père tel fils" ou "telle mère telle fille"), en lui opposant un principe de rétribution individuelle dont s'inspirera en partie le Deutéronome (en partie: pour la justice humaine, 24,16, non pour la justice divine qui est toujours rétribution à la troisième ou quatrième génération, selon le Décalogue du chap. 5).
La référence assez obscure et sans doute secondaire à la faute de la mère renvoie à la scène initiale de l'enfant "exposé" (= abandonné à la mort), probablement (sur)interprétée après coup dans le sens d'une naissance illégitime (adultère de la mère ou mère déjà "prostituée"). Les gentilices "Hittite" et "Amorite" sont des vestiges de l'histoire ancienne et compliquée de la région au IIe millénaire (empire de Hatti, royaume d'Amurru) qui demeurent dans la langue du milieu du Ier millénaire, même en l'absence de souvenir ou de tradition précis: origine autochtone et déjà mixte, donc "impure" selon une logique sacerdotale, de Jérusalem. |
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| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Lun 18 Mai 2020, 16:35 | |
| Les deux sœurs : Sodome et Samarie (16,44-58)
Le second oracle du chapitre compare Jérusalem à deux villes connues pour avoir été châtiées par Dieu à cause de leur conduite immorale : Sodome détruite par le feu du ciel à cause de son impudicité (Gn 19), et Samarie rayée de la carte en raison de son idolâtrie (2 R 17,7-18). Le prophète introduit sa comparaison par le proverbe : « Telle mère, telle fille », Les v. 45-52 appliquent ce proverbe à Jérusalem, qui connaîtra le même sort que les deux villes maudites. Le deuxième volet de la comparaison (v.53) est introduit : le Seigneur restaurera les deux sœurs dans leur honneur originel, pour que le péché de Jérusalem apparaisse en pleine lumière. À ce point du chapitre, le jugement est sans équivoque. Le contraste avec la suite n’en sera que plus grand.
L’alliance restaurée
En cinq versets, la situation tragique de Jérusalem va se retourner : la ville va être restaurée et l’alliance renouvelée. Alors même que les v. 35-52 suggéraient que Jérusalem n’avait aucun espoir à attendre de la miséricorde de Dieu, voilà qu’il promet une restauration fondée sur l’alliance conclue au temps de l'Exode. Si le peuple a oublié son Dieu, ce dernier n’a pas oublié Jérusalem. Ce pardon immérité rafraîchira la mémoire de Jérusalem et lui procurera honte et confusion pour ses péchés. Il lui fera comprendre qui est son Dieu. Le dernier verset se termine par cette reconnaissance : « Tu sauras que Je suis le Seigneur ».
Jugement et salut
Le jugement de Dieu ne se comprend que par rapport à l’alliance. Jérusalem a rompu l’alliance; le Seigneur agira de la même manière envers elle. Mais il y a un retournement spectaculaire entre ce qui est dit aux versets 44-59 et le v. 60 : « J'agirai avec toi comme tu as agi ! Je me souviendrai de l’alliance avec toi ». Cette formule dit bien l’essentiel du texte, le cœur du lien entre jugement, alliance et salut. Parce que Jérusalem n’a pas su demeurer fidèle à Dieu, elle porte les conséquences de ses fautes.
Mais l’amour indéfectible de Dieu – seul fondement de l’alliance – pardonnera et restaurera Jérusalem. Au cœur de l’exil, c’est une lumière d’espoir qui jaillit. Jérusalem va de nouveau avoir la faveur de Dieu. Elle se relèvera de la destruction et tout Israël avec elle. « J'établirai mon alliance avec toi, alors tu connaîtras que je suis le Seigneur, afin que tu te souviennes, afin que tu sois honteuse et que, de confusion, tu ne puisses plus ouvrir la bouche lorsque je t’absoudrai de tout ce que tu as fait » (v.63). https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/200112.html
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| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Mar 19 Mai 2020, 00:57 | |
| Comme toujours (cf. supra 17.5.2020), le lecteur en sait trop pour lire un texte et un seul à la fois: ici Sodome n'est nullement associée à l'"impudicité", seulement à la prospérité, à l'insouciance et à l'indifférence sociale; "telle mère telle fille" ne s'applique pas directement à la relation de Jérusalem à ses "soeurs" (Samarie et Sodome) mais bien à la "mère hittite" du premier oracle (comme quoi le second qui lui ajoute des "soeurs" n'est pas seulement un "autre oracle", indépendant, mais bien un développement ultérieur du premier); Samarie est qualifiée de "grande soeur" conformément à l'ordre historique: elle est capitale avant Jérusalem et de bien plus grande importance politique jusqu'à sa chute, aucune référence ici à la conquête de David ni au règne idéal de Salomon; de même les sacrifices d'enfants sont expliqués tout autrement qu'au chapitre 20 (qui suppose la tradition de l'Exode tout à fait absente du chapitre 16) où ils seront un "mauvais commandement" de Yahvé. Bref, le "livre d'Ezéchiel" est le fruit d'une rédaction très complexe dont chaque texte doit être analysé séparément.
On peut noter en passant que le désir de "fermer la bouche" à tout "droit" se retrouvera beaucoup plus tard dans l'épître aux Romains (3,19s), pour laquelle c'est la condition même d'une "grâce" -- qu'elle soit imméritée et ne puisse nullement être revendiquée comme un "droit" ni comme une "justice".
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| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Mar 19 Mai 2020, 10:54 | |
| - Citation :
- On peut noter en passant que le désir de "fermer la bouche" à tout "droit" se retrouvera beaucoup plus tard dans l'épître aux Romains (3,19s), pour laquelle c'est la condition même d'une "grâce" -- qu'elle soit imméritée et ne puisse nullement être revendiquée comme un "droit" ni comme une "justice".
"Moi, j'établirai mon alliance avec toi, et ainsi tu sauras que je suis le SEIGNEUR (YHWH), afin que tu te souviennes, que tu aies honte et que tu n'ouvres plus la bouche en raison de ta confusion, quand je ferai pour toi l'expiation de tout ce que tu as fait — déclaration du Seigneur DIEU" (16,62-63) La divinité me semble être prisonnière de son amour, elle répudie l'épouse infidèle mais Yhwh ne peut se résoudre à une séparation définitive, il est aliéné à son épouse, enfermé dans son alliance et ne peut que pardonner, le pardon de Dieu est inconditionnel (cela me fait penser à "la femme du boulanger", le mari fait honte à sa femme avec pomponette mais il l'accepte quand même, il n'envisage pas sa vie sans sa femme). Effectivement, ce chapitre renvoie à la "grâce" de l'épitre aux Romains, notamment au chapitre 11 :"Du point de vue de la bonne nouvelle, certes, ils sont ennemis, à cause de vous, mais du point de vue du choix de Dieu, ils sont aimés à cause de leurs pères. Car les dons de la grâce et l'appel de Dieu sont irrévocables" (11,28-29).Dieu ne peut pas faire autrement que de pardonner, il doit être fidèle à son alliance (à cause de leurs pères) et l'amour qu'il destine aux juifs (te d'une manière plus générale, aux humains) est irrévocable. Le pardon se définit alors avant tout comme une alliance qui se projette sur ce qui devient et non sur le mea culpa d’un passé. L' alliance inconditionnelle permet le pardon avant même que Jérusalem reconnaisse sa faute et s’amende, ces conditions au pardon divin. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12412 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Mar 19 Mai 2020, 11:42 | |
| Dans d'autres textes du livre d'Ezéchiel (p. ex. chap. 20; 36; 39; 43), ce caractère (relativement) "gratuit" de la restauration s'expliquera tout autrement que par "l'amour" (qui, compris ainsi, serait encore la compulsion d'un enchaînement à l'être aimé, tout autre chose donc qu'une "liberté" ou une "grâce"; ce qui était déjà le modèle dominant chez Osée): Yahvé aurait souci de son propre "nom", bafoué parmi les nations par l'humiliation de son peuple, même quand c'est lui qui le châtie (mais là encore ce serait tout sauf "libre" et "gratuit", ce serait la contrainte d'un "respect de soi" médiatisé par le miroir de l'"opinion"; on retrouvera le même modèle dans l'intercession de Moïse en Exode 32 -- que vont dire les Egyptiens ?). |
| | | free
Nombre de messages : 10055 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Mar 19 Mai 2020, 16:43 | |
| Le procédé est particulièrement fréquent dans l’utilisation par le prophète de la racine znh (le verbe et ses trois noms dérivés) qui réfère à la prostitution, et dont on décompte 21 occurrences entre les versets 15 à 41 du chapitre 16. Si la définition littérale du verbe zônâh est d’agir comme une prostituée, se prostituer, forniquer, la littérature prophétique depuis Osée (VIIIe siècle ANE) a progressivement stigmatisé son sens d’illégalité et d’opprobre religieux. Pourtant, la prostitution n’est pas illégale dans l’Israël ancien et l’opprobre était essentiellement social, lié au fait qu’une prostituée professionnelle est une femme ‘autonome’ ne dépendant de l’autorité ni du père ni du mari, statut peu enviable dans cette culture. Quand Ézéchiel l’utilise, la racine znh peut désigner la prostitution légale d’une femme autonome, comme nous l’avons interprétée aux vs. 30c et 31c, à laquelle on peut rattacher ( / ta hauteur (v. 25a) et même de couleurs (tissus), / aux couleurs variées (v. 18a) et / ta plateforme (v. 31a), en référence au lieu où la prostituée pratiquait son métier. Les prophètes avant Ézéchiel ont abondamment utilisé znh en lien avec l’idolâtrie d’Israël pour les dieux Baal et Moloch, ce à quoi notre prophète fait allusion dans les vs 17 à 21 où il est question d’idoles avec lesquelles Jérusalem fornique (v. 17d et v. 20d), et auxquelles elle offre de la nourriture et sacrifie ses enfants. Au v. 16, le mot / hauts lieux, réfère à cette notion de prostitution-idolâtrie ; de plus, l’utilisation de / tu as forniqué sur eux, dans la phrase qui suit, peut laisser entendre qu’il est question ici de prostitution sacrée ou de rites sexuels dans les temples dédiés aux divinités cananéennes de la fécondité73. Autres formes de prostitution-idolâtrie dans la littérature prophétique sont les traités politiques d’Israël avec ses voisins, l’Égypte, Assour et Chaldée, alliances que le prophète relève à répétition à partir du v. 26 avec la même racine. Enfin, un dernier sens utilisé dans Éz 16 pour zônâh : il désigne l’adultère, soit une relation sexuelle illicite au sens de la loi israélite pour laquelle la femme et l’homme fautifs doivent subir la mort (Dt 22,22-27 et aussi Gn 38,24; Lv 20,10; 21,9). Le verbe na’af (v. 32) désigne spécifiquement « commettre l’adultère »; mais il est clairement établi que les racines znh et n’p sont des synonymes en ce qui concerne la notion d’adultère comme l’utilisation de znh aux v 33a et 33d l’illustre très bien. Ainsi l’auditeur, et l’auditeur israélite particulièrement, est-il bousculé et tenu ‘sur le bout de sa chaise’ par les multiples significations dont un seul mot le bombarde. Et au final, je crois qu’il n’y a pas d’élagage à faire mais plutôt recevoir d’une seule bouchée toutes les significations possibles : The reader need not choose one of these interpretive options to the exclusion of the other. Ezekiel’s language is brimful of multiple levels of meaning (Pfisterer-Darr 2002: 1234). C’est pourquoi j’ai traduit la racine par « se prostituer » et/ou « forniquer » et par leurs noms correspondants, sans en préciser davantage la signification. https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/11023/Perreault_Pierre_2014_memoire.pdf?sequence=2&isAllowed=y |
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| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 Mar 19 Mai 2020, 20:58 | |
| Cela rejoint en grande partie ce que j'essayais de dire plus haut, et plus brutalement, du vocabulaire nécessairement polysémique ou métonymique de l'insulte (ou plus généralement du langage péjoratif, dépréciatif, etc.): il y a toujours là une riche palette de sens distincts qui se confondent, l'insulte même (etc.) dépend de leur distinction et de leur confusion, et du passage de l'un(e) à l'autre. Quand on traite quelqu'un de "pute", qu'il s'agisse d'une "professionnelle", d'une femme mariée ou d'une compagne jugée "infidèle" en particulier, d'une femme quelconque jugée "libre", "provocante", "dévergondée", "aguicheuse", "allumeuse", d'un homme politique jugé vénal ou traître à un parti ou à une cause, d'un commerçant ou d'un subalterne jugé particulièrement servile, on mobilise une nébuleuse de sens distincts et parfois contradictoires dont l'effet insultant tient justement au fait que celui auquel on pense renvoie à tous les autres. Bien sûr la palette de sens convoqués est complètement différente dans une autre "culture", notamment antique (autres conceptions du "mariage", de la "fidélité", de l'"adultère", de la "prostitution" sacrée ou profane, de la "politique" conçue non en termes de parti et de cause mais d'allégeance à un souverain ou à un suzerain, de la "religion" comprise comme alliance et appartenance, soumission, crainte et service, etc.), mais elle est tout aussi large et fonctionne toujours par la confusion plus ou moins consciente de sens distincts. |
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| Sujet: Re: Les relations passionnelles entre Yhwh et Jérusalem - Ez 16 | |
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