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| communication paradoxale | |
| | Auteur | Message |
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Narkissos
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| Sujet: communication paradoxale Jeu 13 Aoû 2020, 02:18 | |
| Et il dit: Va, et tu diras à ce peuple: Entendez d'entendre, et ne comprenez pas; voyez de voir, et ne connaissez pas. Rends gras le coeur de ce peuple, pesantes ses oreilles, et barbouille ses yeux, de peur qu'il ne voie de ses yeux, n'entende de ses oreilles et ne comprenne de son coeur, ne se retourne et ne soit guéri.Isaïe 6,9s. J'aurais pu -- j'ai failli -- ajouter cette référence classique (cf. Marc 4,12; Matthieu 13,14s; Luc 8,10; Actes 28,26s; Romains 11,6) à un précédent fil sur le "métier" de prophète; mais si l'expérience de ne pas être écouté, entendu, compris, cru, suivi, obéi, son anticipation ou son savoir-d'avance, sont des traits communs de la "vocation" prophétique (Jérémie, Ezéchiel, etc., et tous les résumés deutéronomistes sur les prophètes non écoutés), c'est encore autre chose que celle-ci consiste à le produire, fût-ce par un effet de style. Il y va en effet abondamment du style, poétique, fascinant, éblouissant, et de la performance auto-réalisatrice de l'acte de parole et d'écriture, chez les "prophètes écrivains" ou "Prophètes-livres", qui n'en finissent pas d'obscurcir ce qu'ils illustrent et d'illuminer l'aveuglement qui en résulte. Ce qui reste, les citations en témoignent, un modèle de l'auto-(in)compréhension du ou des "mystères" chrétiens (cf. p. ex. ici). On peut aussi caractériser comme effet ou figure de style cette façon hyperbolique de parler et d'écrire, de confondre dans l'ivresse de la langue tout ce qu'une intel-ligence analytique sobre s'efforcerait au contraire de distinguer, d'organiser et de (re)distribuer pour y comprendre quelque chose -- causalités, responsabilités, intentions, volontés, interactions, oppositions, circonstances -- en les attribuant à des "acteurs" différents, dieu(x) et hommes, vivants et morts, bons et mauvais, choses et événements, sans oublier l'impondérable, par exemple sous le nom de "hasard" ou de "liberté". Comme s'il s'agissait de ressaisir le tout dans un unique événement sans autre ni dehors, dont plus rien ni personne ne se distingue, pas plus le dieu ou son prophète que ses interlocuteurs ou destinataires. Geste "monothéiste", "monopanthéiste" ou "moniste" par excellence (en ce sens le récit de vocation programmatique d'Isaïe vaut également d'introduction au "deutéro-Isaïe"), mais encore moment incontournable de n'importe quelle pensée, pour autant que celle-ci provient et retourne, en-deçà et au-delà de toute opération analytique et synthétique, à l'unité sans couture de l'histoire ou de l'événement, toutes distinctions et oppositions, réalités et fictions incluses et résorbées, qui n'auront été qu'ensemble, y compris les unes contre les autres, ce qu'elles sont. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: communication paradoxale Jeu 13 Aoû 2020, 11:17 | |
| Ces paroles sont énigmatiques, le lecteur de ce texte se demande : Comment le prophète peut-il recevoir de Dieu l'ordre d'endurcir le cœur de ceux auxquels il va s'adresser ?Cela est d'autant plus frappant que dans les versets précédents, le prophète rapporte d'abord ce qu'il a vu et entendu : "mes yeux ont vu le Roi, le SEIGNEUR (YHWH) des Armées !" (6,5) et "J'entendis le Seigneur qui disait : Qui enverrai-je ? Qui ira pour nous ?" (6, Le vocabulaire de l'endurcissement est très fort et expressif : "Engourdis le cœur" ; "rends-le dur d'oreille" et "ferme-lui les yeux". En clair, l'obstination du peuple est attribuée à l'action divine et cte "engourdissement peut même atteindre les prophètes et les visionnaires enfin d'empêcher le peuple de se repentir :"Attardez-vous et soyez stupéfaits ! Fermez les yeux et devenez aveugles ! Ils sont ivres, mais ce n'est pas de vin ; ils titubent, mais ce n'est pas sous l'effet de l'alcool. Car le SEIGNEUR a répandu sur vous un souffle de torpeur, il a fermé vos yeux (les prophètes), il a voilé vos têtes (les visionnaires). Toute cette vision est pour vous comme les mots d'un livre cacheté que l'on donne à un homme qui sait lire, en disant : « Lis donc cela, je te prie ! » et qui répond : « Je ne peux pas, car il est cacheté. » Ou comme un livre que l'on donne à un homme qui ne sait pas lire, en disant : « Lis donc cela, je te prie ! » et qui répond : « Je ne sais pas lire. » (Es 29,9-11)Es 63,17 rend Dieu responsable de la situation d'égarement et du péché du peuple :"Pourquoi, SEIGNEUR, nous fais-tu errer loin de tes voies ? Pourquoi nous fais-tu refuser obstinément de te craindre ? Reviens, à cause de nous, tes serviteurs, pour les tribus qui constituent ton patrimoine !" (63,17).Le prophète écrit que le péché est une conséquence de la colère de Dieu. Il semble que la motivation de l'endurcissement soit d'empêcher que la repentance du peuple n'ait lieu avant la punition pour les fautes passées. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: communication paradoxale Jeu 13 Aoû 2020, 13:53 | |
| Parmi les nombreux problèmes de traduction que pose un tel texte, il faut rappeler que le " coeur" en hébreu est aussi "intellectuel" qu'"affectif", ce qui entraîne des contresens en série: par exemple l'"endurcissement du coeur" qui suggère en français la dureté, l'insensibilité, voire la cruauté quand il est plutôt question d'abrutissement ou d'abêtissement. Il faut souvent choisir entre un "sens abstrait" et des "images concrètes", au détriment de ces dernières qui en l'occurrence sont plutôt d'abondance (graisse du coeur, poids des oreilles, enduit, baume, crème ou fard sur les yeux). Accessoirement ta citation du chapitre 29 me rappelle cette "méditation" déjà ancienne mais qui m'avait marqué, puisque je m'en souviens. Et jusque dans le trito-Isaïe (63) et dans d'innombrables échos, notamment néotestamentaires (p. ex. Romains 1), cette idée persistante que "Dieu" ne saurait être étranger à aucune errance, à aucune aliénation, à aucun éloignement de "lui" -- toutes choses qui se trouvent dès lors intégrées dans le "mystère", son "mystère" même (comme dirait en substance saint Augustin, tu es partout, tu es toujours là, interior intimo meo, plus intime à moi que moi-même, comment se fait-il que moi, si souvent, je n'y sois pas ? Et Heidegger si proche malgré lui, pour qui "l'oubli de l'Être" fait partie intégrante de "l'histoire de l'Être"). |
| | | free
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| Sujet: Re: communication paradoxale Ven 14 Aoû 2020, 10:26 | |
| - Citation :
- Accessoirement ta citation du chapitre 29 me rappelle cette "méditation" déjà ancienne mais qui m'avait marqué, puisque je m'en souviens.
Je trouve qu'il y a quelque chose de pervers à donner un livre avec l'impossibilité de le lire soit parce qu'il est cacheté ou soit parce qu'il est remis à une personne qui ne sait pas lire. Un extrait de l'article : En lisant (ou en croyant lire) cela, nous nous mettons spontanément à la place de l'infortuné (non-)lecteur, mis en demeure de l'impossible, et nous compatissons à son embarras. Nous soupçonnerions même une certaine cruauté de la part du donneur d'ordre et de livre (sinon de leçon), qui sait peut-être (le texte n'en dit rien) que le livre est "scellé" et/ou que le lecteur ne sait pas li(v)re. On pourrait toutefois (et avec une certaine vraisemblance contextuelle, si instable que soit le contexte) envisager la scène d'un autre point de vue. Le locuteur, lui, ne saurait pas li(v)re, il saurait qu'il ne le sait pas, et il se tournerait, peut-être avec toute une communauté inquiète, vers le livre et le lecteur présumé, comme on se tourne vers un "prophète" ou un "voyant" à défaut de "prophète" et de "voyant", en espérant de la lecture à haute voix du livre quelque chose comme un oracle ou une parole d'un dieu jadis vivant et présent, aujourd'hui absent sinon mort. Dans ce cas, la gêne du (non-)lecteur s'efface devant la déconfiture générale, quoique celle-ci aggrave incalculablement celle-là. " méditation" Le livre d'Esaïe (du moins certaines de ses parties) ne présente-t-elle pas le schéma suivant : 1) Le peuple pèche, 2) Endurcissement provoqué par la divinité, 3) Punition et 4) Repentance. Le but de l'endurcissement est d'empêcher que la repentance n'ait lieu avant la punition. Une fois que le peuple a payé sa faute, Dieu procède à un renversement : "Les yeux de ceux qui voient ne seront plus hagards, et les oreilles de ceux qui entendent seront attentives. Le cœur des hommes légers sera intelligent pour comprendre, la langue de ceux qui balbutient parlera vite et nettement" (Es 32,3-4). |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: communication paradoxale Ven 14 Aoû 2020, 14:03 | |
| Tout "schéma", global, synthétique et rétrospectif par définition, a les qualités de ses défauts et inversement: il rend en effet intelligibles des grands ensembles (tels le "livre d'Isaïe", a fortiori "l'Ancien Testament" ou "la Bible") en y faisant apparaître une "logique" et/ou un "processus" (logiciel, protocole, algorithme, etc.) communs et invariants, mais au prix d'un nivellement des différences qui ne permet plus d'entendre chaque texte et de le prendre au sérieux pour ce qu'il dit, lui et lui seul.
Sous cette réserve générale, ton "schéma" me paraît tout à fait valable, il est même justifié dans le "contexte" du chapitre 6 par l'enchaînement direct de l'ordre de mission et de communication paradoxale sur la question "jusqu'à quand" et la réponse qu'elle appelle.
On peut cependant remarquer que les citations hors-contexte du NT (particulièrement nombreuses pour les v. 9s, voir supra) jouent en sens inverse, en dégageant des micro-textes, versets ou phrases, de toute détermination contextuelle ou schématique, pour en faire autre chose: par exemple, l'obscurcissement volontaire non plus comme phase ou moment d'un processus logico-temporel, mais comme dimension structurelle d'un "mystère" permanent. |
| | | free
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| Sujet: Re: communication paradoxale Ven 14 Aoû 2020, 14:20 | |
| - Citation :
- J'aurais pu -- j'ai failli -- ajouter cette référence classique (cf. Marc 4,12; Matthieu 13,14s; Luc 8,10; Actes 28,26s; Romains 11,6) à un précédent fil sur le "métier" de prophète; mais si l'expérience de ne pas être écouté, entendu, compris, cru, suivi, obéi, son anticipation ou son savoir-d'avance, sont des traits communs de la "vocation" prophétique (Jérémie, Ezéchiel, etc., et tous les résumés deutéronomistes sur les prophètes non écoutés), c'est encore autre chose que celle-ci consiste à le produire, fût-ce par un effet de style.
Jean 12,40 reprend également le même thème : "Malgré tous les signes qu'il avait produits devant eux, ils ne mettaient pas leur foi en lui, de sorte que soit accomplie la parole du prophète Esaïe, qui a dit : Seigneur, qui a cru ce qu'il nous a entendus dire ? Et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé ? S'ils ne pouvaient pas croire, c'est qu'Esaïe a encore dit : Il a rendu leurs yeux aveugles et leur cœur obtus, pour qu'ils ne voient pas avec leurs yeux, qu'ils ne comprennent pas avec leur cœur et qu'ils ne fassent pas demi-tour : je les aurais guéris ! C'est ce qu'a dit Esaïe, parce qu'il a vu sa gloire et qu'il a parlé de lui" (Jean 12,37-41). Jean souligne le manque de foi des Juifs devant les signes qu'accomplit Jésus. L'accent porte sur l'aveuglement, (l'audition a été éliminé), pour Jean "croire" c'est "voir", ce qui implique que "ne pas croire" revient à refuser de voir la gloire de Dieu. Dans le cas de ce récit ce n'est pas Dieu qui est à l'origine de l'aveuglement. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: communication paradoxale Ven 14 Aoû 2020, 16:31 | |
| J'avais en effet omis (accidentellement) cette référence, merci de l'avoir mise en évidence.
A mon avis, dans cette citation c'est toujours "Dieu" qui produit l'aveuglement, mais sans plus passer par le prophète -- du point de vue johannique, du reste, les fonctions de "dieu" et de "prophète" tendraient à se fondre dans l'unique figure du Christ: c'est lui dont Isaïe a vu la gloire (cf. 6,1), et "Isaïe" est ici aussi bien le nom du livre (cf. la citation de 53,1 LXX au v. 38) que du prophète, dont la mission consistait à aveugler dans le texte hébreu (massorétique) d'Isaïe 6, mais non plus dans la citation de Jean 12.
Il faut bien sûr tenir compte, entre le texte hébreu d'Isaïe et la citation grecque de l'évangile selon Jean, de la médiation partielle de la Septante: celle-ci n'a pas perdu les "oreilles", mais elle a éliminé la difficulté principale de l'hébreu, à savoir qu'à la fois "Dieu" et le "prophète" -- "Dieu" par le "prophète" -- provoquent l'obscurcissement (assourdissement, abrutissement): dans la Septante en effet, seul le peuple est en cause: "car le coeur de ce peuple est devenu gras, etc."; ou si l'on interprète à la rigueur le passif comme "divin", "a été rendu gras" (sous-entendu alors: par Dieu). A cet égard la citation de Jean, quoique en partie dépendante de la Septante, se rapproche du texte hébreu, en faisant à nouveau de "Dieu" (sans le prophète, mais indistinct du "Christ") le sujet effectif de l'action. |
| | | free
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| Sujet: Re: communication paradoxale Dim 16 Aoû 2020, 12:50 | |
| "Maintenant, mes frères, je sais que vous avez agi par ignorance, tout comme vos chefs. Dieu a accompli de cette façon ce qu'il avait annoncé d'avance par la bouche de tous les prophètes : que son Christ souffrirait. Changez donc radicalement, faites demi-tour, pour que vos péchés soient effacés ; qu'ainsi des temps de réconfort viennent du Seigneur, et qu'il envoie le Christ qui vous a été destiné, Jésus. C'est lui que le ciel devait accueillir jusqu'aux temps du rétablissement de tout ce dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes d'autrefois" (Ac 3,17-21).
Ce texte laisse entendre qu'en rejetant Jésus, les Juifs ont accompli le dessein de Dieu, Pierre exonère même les chefs du peuple de toute culpabilité. La mort du Christ était incluse dans le dessein de Dieu, puisqu’elle faisait l’objet de prophéties explicites, comme en témoigne encore l’apôtre Pierre :
"Car les habitants de Jérusalem et leurs chefs n'ont pas reconnu Jésus ; ils ont méconnu les paroles des prophètes qui sont lues chaque sabbat ; ils les ont accomplies en le jugeant. Sans trouver aucun motif de condamnation à mort, ils ont demandé à Pilate de l'exécuter. Ayant accompli tout ce qui était écrit à son sujet, ils l'ont descendu du bois et l'ont mis dans un tombeau" (Ac 13,27-29). |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: communication paradoxale Dim 16 Aoû 2020, 15:36 | |
| Pierre n'y est sans doute pas pour grand-chose, mais l'ensemble Luc-Actes, en effet, mixe allègrement les diverses notions de "prophétie" héritées du judaïsme et celles, gréco-romaines, de nécessité et de destin, au profit de son propre schéma (pseudo-)historique qui constitue, depuis, la trame de tous les catéchismes et continue de grever les conceptions modernes et sécularisées de l'histoire: une "grande histoire" pour ainsi dire écrite à l'avance dans les grandes lignes, à laquelle en tout cas personne ne pourrait rien changer, peut-être pas même "Dieu", mais qui laisserait cependant une place, dans le détail, à la responsabilité et à la liberté de chacun, à l'exhortation, à la persuasion, à la repentance, à la conversion, à la rémission, à la grâce, à la providence particulières. Ce n'est plus le dieu qui aveugle ou trompe ponctuellement sous le coup de la colère, pour aller jusqu'au bout de son châtiment (celui d'Isaïe 6 serait plutôt de ce genre), ni celui qui répond au fil du temps et des événements à des attitudes collectives ou individuelles (le potier de Jérémie, le dieu d'Ezéchiel qui ne châtie plus que des individus en fonction de leur situation finale, etc.), encore moins le Dieu absolu du deutéro-Isaïe qui assume l'intégralité des événements petits et grands, bons et mauvais.
On peut aussi remarquer qu'à ce stade la référence "prophétique" est on ne peut plus vague et générale: "tous les Prophètes" (cf. Luc 24,25ss; Actes 3,18ss; 10,43) ont annoncé que le Christ souffrirait, voilà une affirmation qui n'aurait aucune chance de convaincre un lecteur tant soit peu familier de l'AT -- seul Isaïe 53 est effectivement cité dans ce sens, dans le dialogue de Philippe et de l'eunuque éthiopien au chapitre 9, qui pose d'ailleurs la question cruciale du référent (de qui le Prophète parle-t-il, de lui-même ou d'un autre ?) sans vraiment se donner la peine d'y répondre, ou du moins d'argumenter. Il ne s'agit plus de prouver quoi que ce soit, le texte ne s'adresse qu'à des convaincus, et peu susceptibles de mettre en question ce qu'ils lisent, ainsi qu'à des prosélytes potentiels, notamment romains, qui peuvent adopter ou refuser globalement l'évangile de la grande Eglise mais ne sont guère en mesure de le discuter d'après des textes (a contrario, les fameux Béréens du chapitre 17 servent d'argument d'autorité: ceux qui étaient en situation de vérifier l'ont fait, circulez...). |
| | | free
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| Sujet: Re: communication paradoxale Mar 18 Aoû 2020, 13:16 | |
| " Mais jusqu'à ce jour, le SEIGNEUR ne vous a pas donné un cœur pour connaître, des yeux pour voir, des oreilles pour entendre" (Dt 29,4) " ainsi qu'il est écrit : Dieu leur a donné un esprit de torpeur, des yeux pour ne rien voir, des oreilles pour ne rien entendre, jusqu'à ce jour" (Rm 11, Romains 11,8 qui cite Deutéronome 29,3 qui exprime la même idée qu'Esaïe 6, Dieu lui-même est celui qui endurcit et Paul assimile cette attitude à un "mystère" : " Car je ne veux pas, mes frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous ne vous croyiez pas trop avisés : Israël est devenu obtus, en partie, jusqu'à ce que la totalité des non-Juifs soit entrée" (Rm 11,25). |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: communication paradoxale Mar 18 Aoû 2020, 14:28 | |
| La "citation" de Romains 11,8 est en fait un mélange de Deutéronome 29,3 et d'Isaïe 29,10.
Ce qui, dans le contexte de Romains 9--11, s'applique à l'"aveuglement" (assourdissement, etc.) supposé d'Israël d'un point de vue chrétien-paulinien, et se situe toujours dans une perspective eschatologique (temporelle, narrative, "historique" même si l'histoire en question est en bonne partie imaginaire) aboutit quand même au v. 32 à une conclusion-sommaire qui englobe et résume l'histoire, ce qu'elle ne peut faire sans la dépasser de quelque manière, la considérer complétée, terminée, d'au-delà ou d'au-dessus (Dieu a enfermé tous = tout le monde dans la désobéissance, pour avoir compassion de tous).
Le risque, évidemment, à se placer soi-même au point de vue de la révélation accomplie et de la clarté absolue, en réservant à d'autres l'aveuglement, fût-il provisoire, avec une certaine condescendance plus ou moins bienveillante, est de s'aveugler parfaitement à son propre aveuglement et de ne plus pouvoir recevoir aucun éclaircissement de nulle part. Aucune notion de révélation n'y échappe sans doute, aucune n'est non plus totalement inconsciente de ce danger ("Paul" lui-même s'y montre assez sensible ailleurs, p. ex. 1 Corinthiens 13). Vu l'importance de la thématique de la cécité (surdité, etc.) dans le NT et dans la Bible en général, c'est un vaste problème... |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: communication paradoxale Mar 25 Aoû 2020, 15:09 | |
| En effet, chez Matthieu, l'explicitation et l'extension de la citation d'Isaïe 6,9s (selon la Septante) semblent aboutir à justifier l'ensemble du processus (paraboles => incompréhension, cet enchaînement du moins reste inchangé) par une cause "morale" -- surtout si l'engourdissement du cœur n'est plus compris en grec, comme il l'était en hébreu, au sens d'incapacité mentale ou intellectuelle (cf. https://etrechretien.1fr1.net/t553-cardiologie-biblique ). Ce déplacement n'est de toute façon possible qu'à la faveur de la traduction grecque, car en hébreu l'aveuglement-assourdissement-abrutissement est entendu comme une conséquence du message prophétique (noter les impératifs dans les traductions françaises d'Isaïe 6,9 qui suivent l'hébreu). Paradoxalement, l'allusion de Marc serait donc plus proche du sens "originel" d'Isaïe (hébreu) que la citation formelle et étendue de Matthieu (d'après le grec).
Marc 8,14-18 (que tu cites en partie) est aussi remarquable par la manière d'anti-logique (ou de logique anti-arithmétique ou anti-économique) qu'il semble dégager des récits de miracles en les interprétant comme des paraboles (les deux "genres" sont plus proches qu'il n'y paraît*). En l'espèce, la leçon est tirée des deux "multiplications des pains" (doublet peut-être accidentel dans la tradition pré-évangélique, cf. aussi les échos d'Actes 6,1ss où les nombres 12 et 7 se retrouvent, avec une tout autre fonction, à propos de distribution de nourriture): quand il y en a moins (cinq pains) pour plus (cinq mille personnes), il reste davantage (12 > 7 paniers) que quand il y en a plus (sept pains) pour moins (quatre mille personnes). Ce dialogue étonnant est sévèrement abrégé par Matthieu (16,5ss), qui explique en revanche le "levain" comme une métaphore de l'"hypocrisie", et complètement éliminé par Luc (12,1 -- logiquement, car il a aussi éliminé, comme Jean, la seconde multiplication des pains !), qui ne conserve que le logion initial assorti d'emblée de l'explication matthéenne. https://etrechretien.1fr1.net/t1031-a-vous-le-mystere-du-regne-de-dieu-a-ete-donne-mais-pour-ceux-du-dehors-tout-arrive-en-paraboles |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: communication paradoxale Mar 25 Aoû 2020, 17:26 | |
| Sur la Septante d'Isaïe 6,9s à laquelle ce vieux post fait allusion, cf. supra 14.8.2020 -- à cinq ans d'intervalle, les deux discussions se complètent utilement. |
| | | free
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| Sujet: Re: communication paradoxale Mer 26 Aoû 2020, 11:18 | |
| "nous ne faisons pas comme Moïse qui se mettait un voile sur le visage pour éviter que les Israélites ne voient la fin d’un éclat passager. Mais leur intelligence s’est obscurcie ! Jusqu’à ce jour, lorsqu’on lit l’Ancien Testament, ce même voile demeure. Il n’est pas levé, car c’est en Christ qu’il disparaît. Oui, jusqu’à ce jour, chaque fois qu’ils lisent Moïse, un voile est sur leur cœur. C’est seulement par la conversion au Seigneur que le voile tombe" (2 Co 3,13-.16).
Ce texte semble indiquer que les juifs étaient dans l'incapacité de comprendre l'ancienne alliance, puisqu'un "voile" demeurait sur ces écrits qui obscurcissait l'intelligence des juifs, il a fallut attendre la venue du Christ pour que ce voile disparaisse.
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| | | Narkissos
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| Sujet: Re: communication paradoxale Mer 26 Aoû 2020, 11:51 | |
| Pour une discussion relativement récente de ce passage, voir p. ex. ici (il y en a sûrement plusieurs autres dans les archives du forum). En tout cas, à la faveur de ce "midrash" de l'Exode -- encore un retournement antijudaïque d'une façon très "juive" de lire des textes "juifs" -- c'est bien toujours le même thème (aveuglement-assourdissement-abrutissement) qu'on retrouve. On remarquera quand même que chez Paul, contrairement à Luc-Actes notamment, il ne s'agit pas d'un schème purement chronologique (avant tel événement, "la venue du Christ" entendue dans un sens historique et passé, on ne pouvait pas comprendre, après on peut -- pourvu qu'on soit au bon endroit, dans l'Eglise et sous le robinet du Saint-Esprit): "le Christ" c'est indissociablement "la gloire" et "l'image de Dieu", "le Seigneur" (= Yahvé) et "l'Esprit", et c'est aussi ce que Moïse contemplait, mais non "les fils d'Israël" (à cause du voile précisément). Autrement dit, tout est question de point de vue et d'orientation du regard (dans toute sa métonymie bien entendu). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: communication paradoxale Mer 26 Aoû 2020, 16:06 | |
| L’Ancien Testament situe dans la sphère du mystère l’endurcissement que provoque Dieu :
"Car c'est du SEIGNEUR que venait leur entêtement à faire la guerre à Israël, afin que celui-ci puisse les frapper d'anathème, sans leur faire grâce, et les détruire, comme le SEIGNEUR l'avait ordonné à Moïse" (Jo 11,20).
"Le roi n'écouta pas le peuple ; la tournure prise par les événements venait de Dieu, pour que le SEIGNEUR réalise la parole qu'il avait dite par l'intermédiaire d'Ahiya de Silo à Jéroboam, fils de Nebath" (2 Chro 10,15). |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: communication paradoxale Mer 26 Aoû 2020, 16:49 | |
| Les formules de l'hébreu ne sauraient être traduites littéralement sans prêter à contresens, mais elles sont toujours intéressantes: en Josué l'"entêtement" consiste à "fortifier" ou "renforcer" (hzq) les "coeurs" (avec, comme toujours, une connotation plus intellectuelle ou mentale que sentimentale ou émotionnelle pour les "coeurs", mais qui n'exclut pas la notion de "courage" telle que l'entendait l'ancien français, cf. "haut les coeurs" ou "coeur de lion"); en 2 Chroniques c'est un substantif unique et peut-être abstrait, nesibba, de sbb = tourner, contourner, entourer etc., qui peut aussi bien signifier le "tour des choses" ou la "tournure des événements" que l'enveloppement ou l'encerclement des "victimes-coupables" circonvenues, comme qui dirait "entortillées" ou "roulées dans la farine"; ce qui est remarquable, c'est que dans les Chroniques ce genre d'action divine est parfaitement compatible avec l'idée d'une stricte rétribution individuelle: autrement dit, Yahvé peut très bien tromper les hommes, pourvu qu'ils le méritent; le contre-exemple apparent et célèbre de 1 Chroniques 21, l'épisode du recensement où "Satan" ou "un adversaire" (selon l'interprétation de l'absence d'article) remplace Yahvé (// 2 Samuel 24) dans le rôle du pousse-au-crime, s'explique dans la mesure où sans cela la colère de Yahvé resterait injustifiée (comme elle l'est dans Samuel).
Est-ce "mystérieux" pour autant ? Je n'en suis pas sûr, car tout cela répond à chaque fois à une "logique" (narrative) relativement claire, bien que ce ne soit pas toujours la même et encore moins la nôtre; ce sont des clés d'intelligibilité (pourquoi-comment) que le rédacteur, narrateur et commentateur introduit dans le récit des "événements" pour leur donner un sens. Naturellement, cela ne correspond pas à notre concept moderne d'histoire qui suppose des acteurs "libres", ou du moins seulement déterminés par leur interaction et leur rapport de force, leur raison et leurs passions, leur intelligence ou leur sottise, le hasard ou les circonstances, sans qu'aucun dieu s'en mêle. |
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