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 séparé cherche désir

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MessageSujet: Re: séparé cherche désir   séparé cherche désir - Page 2 Icon_minitimeMer 27 Jan 2021, 13:20

Commentaire biblique
de Proverbes 18.1

Qui se tint à l’écart : qui se sépare de la communauté et se désintéresse de la chose commune, ne recherche que la satisfaction de ses inclinations personnelles et la réalisation de ses propres désirs. Sur cette voie, il en vient (second membre) à se mettre en opposition habituelle avec les vues et les vrais intérêts de la société en général ou du corps auquel il appartient (cité, Église). Il éprouve un vif dépit (montre les dents ; voir Proverbes 17.14) de tout ce qui se dit ou se fait de bon autour de lui. Condamnation du séparatisme.
Ce qui réussit (thouschia). Voir Proverbes 2.7, note. https://www.levangile.com/Bible-Annotee-Proverbes-18.htm
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Narkissos

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MessageSujet: Re: séparé cherche désir   séparé cherche désir - Page 2 Icon_minitimeMer 27 Jan 2021, 14:16

Un commentaire suisse et protestant du XIXe siècle associe tout naturellement (c.-à-d. culturellement et historiquement) "l'Eglise" et la "cité"... quant au "séparatisme", il n'a pas pris une ride. Smile

"Montrer les dents" est une façon (assez farfelue du point de vue d'une lexicographie plus récente, mais peu importe) de relier les sens des quasi-homonymes gl` et glh (colère et dévoilement, cf. le début du fil).

Pour revenir à la question de la "moralisation" et/ou de la "sacralisation" des textes sapientiaux en général et des Proverbes en particulier: comme on l'a souvent remarqué, notre "morale" comporte de toute façon une grande part de "sacré" inconscient, et l'appartenance d'un texte à "la Bible" la décuple, faisant du moindre lieu commun du "bon sens" un "jugement divin". Il est assez clair à un lecteur distancié que les Proverbes ne menacent pas les solitaires ou les sectaires, pas plus que les imbéciles, les vaniteux, les naïfs, les imprudents, les paresseux ou les ivrognes de la damnation éternelle: ils se contentent d'observer et de décrire des comportements typiques et leurs conséquences, souvent avec bienveillance et humour; mais on n'empêchera pas un lecteur religieux de les prendre comme des sentences divines de salut ou de perdition, avec le plus grand sérieux, et dès lors il faudra bien qu'il les affronte comme telles.

Je me souviens qu'au moment de ma sortie du jéhovisme, j'ai ressenti ce proverbe et un certain nombre d'autres (p. ex. 22,3) comme un avertissement ou une menace (feu rouge), qu'il me fallait effectivement "transgresser" pour avancer.  Et il faut effectivement les "transgresser" pour s'apercevoir qu'on n'est ni le premier ni le dernier à le faire, et qu'on peut avoir d'excellentes raisons de le faire; de fait, la Bible est également pleine de "modèles" religieux (prophètes, justes, martyrs, sans parler de Jésus) dont le comportement se situe aux antipodes d'une "sagesse" prudente et conservatrice, dans tous les sens du terme, mais un lecteur croyant ne perçoit guère cette contradiction tant qu'il n'y est pas engagé lui-même.
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MessageSujet: Re: séparé cherche désir   séparé cherche désir - Page 2 Icon_minitimeJeu 28 Jan 2021, 13:05

Citation :
Je me souviens qu'au moment de ma sortie du jéhovisme, j'ai ressenti ce proverbe et un certain nombre d'autres (p. ex. 22,3) comme un avertissement ou une menace (feu rouge), qu'il me fallait effectivement "transgresser" pour avancer.  Et il faut effectivement les "transgresser" pour s'apercevoir qu'on n'est ni le premier ni le dernier à le faire, et qu'on peut avoir d'excellentes raisons de le faire; de fait, la Bible est également pleine de "modèles" religieux (prophètes, justes, martyrs, sans parler de Jésus) dont le comportement se situe aux antipodes d'une "sagesse" prudente et conservatrice, dans tous les sens du terme, mais un lecteur croyant ne perçoit guère cette contradiction tant qu'il n'y est pas engagé lui-même.

"Hommes, c'est vers vous que je crie, c'est aux humains que je m'adresse " (Pr 8,4)

La Sagesse du livre des Proverbes ne cherche pas à réagir contre les particularismes, et présenter une vision plus universelle du salut, ouverte à tous les humains, quelle que soit leur appartenance ethnique. Cette Sagesse s'adresse aux individus, non pas à une nation particulière.
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MessageSujet: Re: séparé cherche désir   séparé cherche désir - Page 2 Icon_minitimeJeu 28 Jan 2021, 14:22

Dans le livre des Proverbes comme dans tant d'autres il faut distinguer la "couverture" tardive (chap. 1--9 / 31) de l'intérieur, qui est lui-même plus manifestement composite que le "corps" d'autres "livres bibliques": non seulement les "proverbes" sont des maximes ou des aphorismes le plus souvent déconnectés les uns des autres, mais ils sont encore explicitement classés dans plusieurs "collections" distinctes avec des titres spécifiques (Salomon 10,1, Salomon-Ezéchias 25,1, Agur 30,1), outre les passages dont l'analyse littéraire suggère une provenance distincte (notamment égyptienne, Sagesse d'Amenémopé etc.).

Plus généralement, la sagesse ancienne ne s'occupe pas du tout de "salut" au sens chrétien du terme (au-delà de la mort, immortalité de l'âme, résurrection, jugement dernier etc.), cette notion n'apparaît distinctement dans la littérature juive qu'à l'époque hellénistique, même si elle se fonde en partie sur un héritage perse un peu plus ancien. Son horizon c'est la bonne vie ou le bonheur, dans le cadre d'une vie naturelle qui ne songe pas à nier la mort ni à en triompher, et où il s'agit simplement d'en tirer le meilleur parti. C'est encore vrai chez Qohéleth, quoique cette perspective se durcisse et se fasse plus polémique face aux tendances eschatologiques du judaïsme tardif -- dans les Proverbes en général c'est encore une évidence paisible, parce qu'incontestée.
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MessageSujet: Re: séparé cherche désir   séparé cherche désir - Page 2 Icon_minitimeJeu 28 Jan 2021, 14:38

M. Fox défend trois axes : il n’y avait aucune école de sagesse ; les auteurs de la littérature de sagesse ne formaient pas une faction à part ; mais on peut à bon droit parler de littérature de sagesse, d’instruction pour une vie réussie. La littérature de sagesse est un genre heuristique, utile pour comparer des ouvrages à la fois semblables et différents. D. Miller se donne pour but de discerner l’intuition initiale qui a conduit à l’identification d’une littérature de sagesse et d’évaluer son potentiel. Il retient que les livres sapientiaux possèdent trois caractéristiques : une rhétorique persuasive, une focalisation sur une vie réussie et une épistémologie enracinée dans l’expérience humaine. A. Schellenberg montre qu’on peut continuer à parler de tradition de sagesse et distinguer les livres sapientiaux du reste de la Bible sur la base de notions telles que l’immutabilité de l’ordre du monde et une conception conservatrice de la société, une focalisation sur la création et une indifférence à l’histoire d’Israël. Elle nomme chaque fois, cependant, des passages de ces mêmes livres qui font exception ! Parce que ces livres ont en commun des postulats théologiques et idéologiques, il est légitime de parler d’une compréhension sapientielle du monde. K. Dell part de l’observation que le proverbe est la forme de base de la sagesse et que c’est à partir du livre des Proverbes que s’est établi un genre littéraire. https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2017-3-page-493.htm
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MessageSujet: Re: séparé cherche désir   séparé cherche désir - Page 2 Icon_minitimeJeu 28 Jan 2021, 20:10

Avec ou sans "écoles", la "sagesse" transgresse toutes les frontières catégorielles parce qu'elle provient de toute sorte de "sources", comme son contenu l'atteste: israélite (ou judéenne) ou non, levantine, égyptienne ou mésopotamienne, paysanne ou citadine, populaire, agricole, artisanale, commerciale, royale ou aristocratique, administrative, orale ou écrite (scribes), sacerdotale (qu'on pense aux liens de Qohéleth avec le sadducéisme); même si le prophète est a priori l'antithèse du sage, puisqu'ils ont des méthodes opposées (révélation divine vs. observation et réflexion humaine), ils finissent par se réunir dans l'"apocalyptique" où le visionnaire est à la fois prophète et déchiffreur de secrets (donc sage, cf. Joseph ou Daniel). D'ailleurs la "couverture" des Proverbes (largement postérieure aux collections qu'elle renferme, a fortiori aux maximes individuelles) donne déjà à sa Sagesse ("personnifiée", sinon divinisée à l'instar de la Ma'at égyptienne) un ton "prophétique": hormis le genre féminin, le discours de la Sagesse à la fin du chapitre 1 (v. 20-33) pourrait aussi bien être un discours de Yahvé dans la bouche d'un prophète.
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le chapelier toqué

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MessageSujet: Re: séparé cherche désir   séparé cherche désir - Page 2 Icon_minitimeMer 03 Fév 2021, 19:22

Dans un précédent message j'ai écrit :

Citation :
Dans le discours "Anapanasati Sutta" L'enseignement de l'attention à la respiration, le Bouddha donne quelques consignes sur la façon de respirer soit d'inspirer et d'expirer en ayant en pensée d'abord les différents organes du corps puis ce qui concerne le mental.

Lorsque le méditant prend conscience de l'impermanence, il peut observer "la disparition progressive du désir".

Cela lui permettra en fait de "contempler le lâcher-prise".

Et Narkissos a répondu :


Narkissos a écrit:
A la limite, désirable ? (Naaaaan ! Wink)

Ce genre de contradiction (désirer ne plus désirer, comme s'attacher au détachement, etc.) et la conscience qu'on en prend éventuellement (ce qui est encore autre chose) peuvent néanmoins être des moments utiles, sinon nécessaires, d'un cheminement -- outre que ce type de pensée est aussi rare que précieux dans une société qui a tellement valorisé le "désir", sans forcément mieux le comprendre, qu'elle se sent désemparée sans lui.

Contempler la disparition progressive du désir n’emporte pas l’idée de désirer le non-désir, mais bien plutôt de laisser notre/nos désirs s’estomper comme une averse orageuse d’été se terminant par une petite pluie fine laissant ensuite la place au soleil.
Lorsque l’on prend de l’âge (je sais de quoi je parle) de nombreux désirs de notre enfance, de notre adolescence voire de notre vie de jeune adulte ne présentent plus d’intérêts ou du moins plus le même intérêt car nous ne sommes plus en mesure d’en profiter ou d’accomplir telle activité qui nous avait tant passionnée auparavant.
Il est possible de comprendre plus aisément cette idée de disparition progressive du désir, sans se sentir pénalisé, puni, brimé. Le regard que l’on peut porter sur le monde qui nous entoure et sur nous-même n’est plus aussi audacieux, agressif ; il est apaisé.
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MessageSujet: Re: séparé cherche désir   séparé cherche désir - Page 2 Icon_minitimeMer 03 Fév 2021, 21:11

C'est plus précisément à cette phrase:
le chapelier toqué a écrit:
La disparition du désir est donc regardée comme un bienfait pour un bouddhiste.
que répondait ma réponse (taquine)...

Je t'avais cependant bien compris, je crois, mais j'apprécie tout autant ta nouvelle formulation.

Elle me fait penser a contrario à une certaine gériatrie, persécutrice par bienveillance, qui s'acharne à prolonger, à entretenir ou à stimuler le désir ou l'intérêt là même où ceux-ci s'éteignent naturellement et heureusement, incapable de laisser laisser aller. Ironie de l'époque, il peut même y avoir de la "méditation" ou de la "pleine conscience" au programme des "activités"...
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MessageSujet: Re: séparé cherche désir   séparé cherche désir - Page 2 Icon_minitimeVen 05 Fév 2021, 11:21

L’histoire de Joseph et de ses frères tourne autour de cela : la trahison. Trahison du père, trahison d’un frère. Même Jacob dans son histoire de jeune homme trahit d’emblée. Joseph, « le confrère en oniromancie » (dixit Freud), quant à lui, n’est pas un traître, mais il a constamment affaire à la trahison. Qu’est-ce que la trahison du point de vue analytique ? Dans l’optique de l’évaluation du rapport de l’action au désir, la trahison – la formule est devenue banale – serait de « céder sur son désir ». Qui cède sur son désir est-il quelqu’un de comique ? Oui, d’une certaine façon. Dans la mesure où il renvoie à l’impossibilité de soutenir la visée absolue qui définit et oriente l’expérience tragique, le comique a bien à voir avec la dégradation du désir et avec le pathétique. Comique et pathétique vont ensemble. Pensons à Jacob endeuillé par la perte de Joseph quand ses fils lui rapportent « les preuves » que son préféré est mort. Du point de vue phénoménologique, on pourrait dire qu’il est plutôt du côté de l’impuissance que de la trahison. Autrement dit, on peut céder sur son désir par impuissance à le soutenir, ce qui n’est pas tout à fait la même chose que de le trahir, bien que l’impuissance soit une forme de trahison. La trahison stricto sensu renverrait plutôt au sérieux et même quelquefois au sinistre, à cette gravité morose qui signe les voies de la prudence et du service des biens, ce que Lacan appelait « l’esprit de sérieux », disant d’ailleurs que ce n’était rien d’autre que « l’esprit de série ». https://www.cairn.info/revue-les-lettres-de-la-spf-2016-2-page-51.htm
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MessageSujet: Re: séparé cherche désir   séparé cherche désir - Page 2 Icon_minitimeVen 05 Fév 2021, 12:19

Article délicieux du début à la fin -- autant les "interprétations psychanalytiques" des textes ("bibliques" ou autres) sont souvent décevantes quand elles se veulent "strictes" et n'aboutissent qu'à une "mécanique (autrement) dogmatique", autant une distance "psychanalytique" reste une ressource formidable pour une lecture intelligente.

En tout cas le lien est profond entre le présent "sujet" et celui-ci: là où il y a désir, il est inséparablement de mort et de vie, et choix et refus du choix, et trahison dans la fidélité et fidélité dans la trahison, et compromis, négociation ou transaction et intransigeance, et tragique et comique... D'une manière ou d'une autre, tout tire son sens d'une fin qui n'a aucun sens, et finit par le lui rendre sans pour autant lui en donner un.
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MessageSujet: Re: séparé cherche désir   séparé cherche désir - Page 2 Icon_minitimeDim 18 Avr 2021, 13:07

Citation :
Par bien des chemins différents on peut en revenir à une banalité, profonde néanmoins: la séparation, la solitude, l'exil, tout cela a des avantages et des inconvénients... mais les chemins sont eux-mêmes, comme souvent, plus intéressants que leur point d'arrivée (ou de retour). Ainsi ce qui passe a priori pour un éloge de la société et de la socialisation, voire du troupeau, peut se retourner en son contraire: le solitaire tend à perdre de vue une certaine "réalité" commune et son "sens commun", mais sa distance lui permet aussi de les voir de plus loin et tout autrement (ce qui évoque, dans ma médiathèque particulière, aussi bien le Fool on the Hill des Beatles que le solitaire-solidaire du "Jonas" de Camus).



2 Camus, plus que nulle part ailleurs, y évoque la complexité des relations humaines, mélange de solidarité, parfois fraternelle, de silence et de solitude. Cette complexité de sentiments émane de l’état d’esprit de Camus face à son exil, à la crise algérienne et à ses
doutes identitaires. Roger Quilliot résume ainsi cette période de la vie de Camus :

Tout d’abord, l’atmosphère de solitude, d’exil, dans laquelle il entreprend cette troisième partie de son œuvre : exil parisien, solitude de l’écrivain devenu trop célèbre et du même coup accablé de corvées, jalousé, souvent ; sentiment douloureux d’être prisonnier de ses œuvres, de son vocabulaire, d’une certaine image inexacte que la critique et le public ont composé de lui. (Quilliot, 2002 : 2038)
Non seulement il s’interroge sur la valeur et le sens de son œuvre, non seulement il se découvre envié, contesté, sans bien comprendre pourquoi, mais il en vient à douter du sens de son action et de son propre visage. (Quilliot, 2002 : 2040) Tout entier prisonnier de la littérature et des littérateurs, [il a] cette angoisse de l’homme prisonnier de sa légende et de son métier. (Quilliot, 2002 : 2053)

4 Bien que « La Femme adultère » ouvre ce recueil, nous commencerons notre étude centrée sur la thématique de la solitude et la solidarité  avec une lecture de la cinquième nouvelle « Jonas ou l’artiste au travail », pour deux raisons : la première parce qu’elle
nous fournit les deux mots clés à notre étude – solitaire et solidaire (Camus, 2002 : 1654) – et la deuxième parce que la transition progressive de l’ironie, qui établit une distance entre l’auteur et son personnage, vers un ton plus sérieux aboutissant au drame final – laisse deviner des affinités plus profondes entre Camus et Jonas. Ainsi, cette nouvelle met en scène un artiste peintre un peu candide, victime d’un grand succès qu’il attribue à son étoile. En effet, son espace vital est progressivement envahi par des admirateurs qui se disent ses amis – « Ce fut le moment aussi où le succès de Jonas lui valut beaucoup d’amis » (Camus, 2002 : 1634) –, et par des disciples, bref par tout un éventail mondain, qui lui ôte toute vie privée. Prisonnier de cette multitude, sa solitude augmente alors que [size=13]diminue sa production artistique, jusqu’au moment où il ne réussit plus à produire. Cette dégradation s’accompagne d’une réflexion intérieure et si, pendant un temps il cherche dans l’isolement, l’alcool et les femmes une échappatoire à cette crise, il pense trouver [size=13]une solution à son problème en construisant une soupente dans son appartement qui, pendant qu’il peindrait, l’isolerait des autres hommes sans toutefois s’éloigner d’eux. Cherchant « ce secret qui n’était pas seulement celui de l’art » (Camus, 2002 : 1652) il va se [size=13]reclure de plus en plus et, finalement, éviter tout contact avec les autres qui, à part son ami Rateau, finissent par ne plus fréquenter sa maison. C’est dans cet isolement presque total qu’il prend conscience du besoin qu’il a des autres et il en est heureux (Camus, 2002 : 1654). Bien qu’ayant pris la décision de ne plus travailler, les bruits de la rue et surtout ceux, plus familiers, de sa femme et de ses enfants, signes de la présence des autres, semblent réveiller en lui son étoile. Épuisé, il s’évanouit, mais on peut supposer qu’il aura retrouvé son inspiration. Reste le fruit de son isolement, de ses réflexions : « Rateau regardait la toile, entièrement blanche, au centre de laquelle Jonas avait seulement écrit, en très petits caractères, un mot qu’on pouvait déchiffrer, mais dont on ne savait s’il fallait y lire solitaire ou solidaire » (Camus, 2002 : 1654). De cette crise intellectuelle et artistique, on pourrait conclure que, dans la perspective de Camus, il ne peut y avoir de solidarité sans solitude et que la solitude, comme source de création artistique, est intrinsèquement liée à la solidarité. Il est vrai que sans la présence des autres, Jonas ne parvient pas à créer. Dans son interprétation de la fin de cette nouvelle Raymond Gay-Crosier affirme :



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MessageSujet: Re: séparé cherche désir   séparé cherche désir - Page 2 Icon_minitimeDim 18 Avr 2021, 15:15

Camus est un des rares auteurs que j'aie un peu lus avant ma période de quasi-illettrisme volontaire (environ six ans, de l'abandon du lycée juste après le bac de français, donc avant la terminale et la philosophie, jusqu'au Béthel où on m'a encouragé à lire "de bons livres" pour améliorer mon écriture en traduction, je n'avais plus lu que la "littérature" de la Watch, en anglais ou en français, bible incluse heureusement) -- et à qui je sois revenu aussitôt après. Je le retrouve toujours avec grand plaisir, fût-ce par des extraits comme ceux de cet article (Le renégat et Le malentendu m'avaient aussi particulièrement marqué).

Au(x) temps où je lisais Camus (au lycée L'étranger et La Peste, après la parenthèse La chute, les nouvelles et le théâtre), je n'étais pas du tout conscient des critiques qui l'accablaient, tant du point de vue littéraire que philosophique, la politique n'étant jamais tout à fait absente des unes et des autres. Tant mieux parce que je l'aurais peut-être "snobé", comme tant d'autres, et je serais alors passé à côté d'une réelle profondeur.

Ce qui me paraît paradoxalement décisif dans Jonas -- et sans doute d'autant plus que j'ai lu Derrida entre-temps, mais ça m'avait frappé dès le départ -- c'est l'indécision graphique  du "solitaire OU solidaire", entre lesquels on ne peut trancher qu'arbitrairement (on ne décide que dans l'indécidable, c'est ça la décision ou il n'y a pas de décision du tout), et tout aussi bien (on ne peut que) balancer indéfiniment. L'impossibilité de s'arrêter à une "conversion" définitive, sinon par la mort ou le silence imposé, est aussi le thème du Renégat.

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MessageSujet: Re: séparé cherche désir   séparé cherche désir - Page 2 Icon_minitimeLun 19 Avr 2021, 11:03

« Hautaine solitude »

Les lecteurs de Camus auront sans doute reconnu la provenance du premier titre qu'affiche le présent article : il s'agit des trois derniers mots, mis au pluriel et devenus interrogation, de « Jonas ou l'Artiste au travail », cinquième nouvelle de l'Exil et le Royaume, recueil publié en 1957, l'année du prix Nobel. Camus était au faîte de la renommée, mais sentait ne plus s'appartenir ni trouver le temps nécessaire pour mener à bien son oeuvre, sollicité qu'il était de partout. Cette nouvelle, écrite quelques années avant sa publication, est une réflexion sur les servitudes de la création artistique. Dans une lettre en date du 15 février 1953, il écrivait à un ami qui lui reprochait sa « hautaine solitude » : « [...] mon oeuvre ne m'a pas libéré, elle m'a asservi. Et si je la poursuis, c'est que je n'y puis rien et que je la préfère à tout, même à la liberté, même à la sagesse ou à la vraie fécondité et même, oui même, à l'amitié. » Il est aussi difficile au véritable artiste d'échapper à l'appel de l'acte créateur qu'au prophète Jonas, à l'ordre de Dieu d'aller enseigner la redoutable Ninive. Jonas avait voulu alors fuir sur un bateau, mais, après une tempête et un séjour de trois jours et trois nuits dans le ventre d'un grand poisson, il renaît à la vie, désormais plus docile à la voix divine. Le nom du personnage principal de la nouvelle de Camus, Jonas, et l'exergue biblique (« Jetez-moi dans la mer [...] car je sais que c'est moi qui attire sur vous cette grande tempête », Jonas, I, 2) semblent une invitation à une lecture allégorique.

Un mot, deux lectures

Tout se passe ensuite comme si la question : « Comment lire le mot de Jonas ? » devenait : « Comment (re)lire le texte de Camus ? » Les menus événements de la vie du  peintre qui s'enchaînaient comme au hasard du temps devront maintenant être organisés dans une représentation symbolique qui montre sans démontrer. On découvre alors que l'espace est l'enjeu essentiel de la nouvelle comme elle peut l'être pour la peinture. Les toiles de Jonas, en envahissant l'appartement, contraignent de plus en plus la vie de famille. Les produits de son imagination, ses enfants spirituels pourrait-on dire, entrent en concurrence territoriale avec ses enfants de chair. Cette donnée symbolise la place, toujours insuffisante, que l'artiste peintre réserve dans son cœur aux relations avec les siens. Il se rend compte peu à peu qu'il « était difficile de peindre le monde et les hommes et, en même temps, de vivre avec eux ». Car, bien qu'il eût voulu consacrer plus d'attention à sa femme et à ses enfants, il se rend compte que l'art est long et la vie, courte, que l'amour est aussi exigeant que l'art, et que, en fin de compte, il lui fallait choisir entre les deux. Il essaye d'atermoyer encore, n'est plus certain d'exister, mais, avec le tarissement de son inspiration, la minute de vérité sonne enfin : il lui faudra créer ou vivre, être solitaire ou solidaire, alors que son rêve était de demeurer solitaire et solidaire : « être seul sans se séparer des siens ». Jonas pense alors réaliser par la soupente, équivalent de la « hautaine solitude » reprochée à Camus mais si nécessaire au créateur, un compromis entre la solitude féconde et la proximité charnelle avec les autres. https://www.erudit.org/fr/revues/jeu/1999-n92-jeu1074471/16473ac.pdf
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MessageSujet: Re: séparé cherche désir   séparé cherche désir - Page 2 Icon_minitimeLun 19 Avr 2021, 12:24

C'est plutôt bien pensé pour du bien-pensant... Smile

La question du rapport du solitaire au solidaire, qui n'est justement pas tranchée dans Jonas (la graphie indécidable), est en revanche au centre de L'homme révolté, où elle ne trouve de réponse que dans un mouvement: "je me révolte (tout seul et a priori sans cause, sans raison avouable ou explicable), donc nous sommes (ensemble)", il y a dans ce "donc" le temps d'un passage qui est aussi bien logique (induction, sinon déduction) qu'empirique (l'acte solitaire et non consciemment motivé de la révolte fait éventuellement apparaître une solidarité de condition, voire d'engagement, elle donne après coup des "raisons" ou des "motifs" à la révolte qui en manquait: la justice, par exemple. C'est là, du moins selon mes lointains souvenirs, le trait caractéristique (et discutable) de la "philosophie" de Camus, qui reste (heureusement, à mon avis) implicite dans sa "littérature" -- d'où aussi l'impression que celle-là est plus "optimiste" que celle-ci. Il faudrait toutefois remettre cela dans le contexte philosophique de son temps, totalement obnubilé par le "nihilisme": répondre à un "nihilisme" que personne n'assume, tout le monde fait ça à sa façon depuis Nietzsche (Heidegger, Sartre, etc.); et c'est aussi le cas des théologiens, comme Barth qui peut facilement parler de "grâce" là où Camus parle d'"absurde"...
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