inter-minables

Le président de la Ligue des droits de l'Homme réagit aux propos de Gérald Darmanin sur BFMTV

Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l’Homme, était l’invité de VSD ce vendredi soir sur BFMTV. Il réagit à la charge du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, contre l'association.

https://www.youtube.com/watch?v=lfTFj0DaPB0

Le discours totalitaire ne fonctionne jamais mieux que quand il réussit à se présenter comme centriste, avec à peu près autant d'ennemis à droite qu'à gauche... Dans cette position, même les "indignations" qu'il suscite de part et d'autre le servent et le confortent.

Darmanin se surjoue peut-être lui-même dans le rôle de caution de droite du macronisme (je doute que ce soit seulement un rôle de composition, si ça l'était il n'en aurait d'ailleurs que plus de mérite en tant qu'acteur), mais même la gauche au pouvoir a fait ça en son temps: de peur d'avoir l'air "angélique" et de prêter le flanc à l'extrême-droite, copier ses discours et ses recettes au point de les normaliser et de la faire passer elle-même pour modérée. La question à mon sens n'est même plus de savoir si et quand l'extrême-droite arrivera au pouvoir, mais ce qu'il restera d'"état de droit", législatif et judiciaire, pour lui résister le cas échéant...

Clément Viktorovitch : peut-on faire confiance au Conseil constitutionnel ?

Le 14 avril prochain, nous saurons si le Conseil constitutionnel décide de valider ou de censurer la réforme des retraites, mais peut-on lui faire confiance ?

https://www.youtube.com/watch?v=JWFW8oU6JN0



Réforme des retraites : "Certains souhaitent la censure partielle, d'autres la censure totale"

Lauréline Fontaine, professeur de droit public à l'Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3 et auteure de “La constitution maltraitée” disponible aux éditions Amsterdam, répond aux questions de Dimitri Pavlenko.

https://www.youtube.com/watch?v=k34-ftd4MFo

Lien au site de L. Fontaine, que j'ai trouvé plus éclairant que son interview...

A un autre niveau, je rappellerais que quand, là où et pour autant qu'il y a une décision à prendre, il y a (ce qu'on appelle) de l'"indécidable", en ce sens qu'aucune décision ne s'impose ou ne va de soi (sans quoi il n'y aurait rien à décider, du moins de cette décision qu'on associe à "l'homme" et à sa prétendue "liberté"); donc il y a aussi, et dans la même mesure exactement, de l'"arbitraire", irrationnel, injustifiable et non motivé, qu'on peut diluer tant qu'on veut dans la distribution des pouvoirs et des contrepouvoirs, mais qui n'en changera pas de nature pour autant. Le monstrueux à mes yeux (et là je ne parle plus de l'affaire des retraites qui me semble assez dérisoire), c'est qu'il y ait des décisions ou des indécisions "politiques" qui engagent des millions ou des milliards d'humains sur des générations à perte de vue (sans parler des autres vivants ou étants) et que ceux-ci l'acceptent, au moins en principe -- que ces décisions soient prises par une "majorité" contre une "minorité" presque aussi nombreuse, par une poignée de "représentants" ou d'"experts" ou par n'importe qui ou quoi (pourquoi pas une intelligence artificielle), ou encore à pile ou face, ça me semble au fond tout à fait accessoire par rapport au principe même de la soumission aux décisions d'autrui (si le mot "aliénation" a un sens, c'est bien là qu'il s'appliquerait de la façon la plus radicale).

("Il faut prendre une décision...
-- Eh bien prenons une décision, pourquoi pas ?"
-- Drôle de drame.)

Zôon logon ekhôn, zôon politikon (animal ou vivant "logique" ou "rationnel" et "politique"), les définitions aristotéliciennes de "l'homme" nous auront menés loin, au point où la polis se confond avec la "planète", le tout saturé d'humanité sans autre ni dehors, mais plus servile et domestiqu(é)e que jamais. Et jusqu'à preuve du contraire "l'homme" est encore le seul à pouvoir en rire...

Aides sociales envoyées "au Maghreb" : tollé après les propos de Bruno Le Maire (attendre à la fin des publicités)

La France se droitise : toutes les enquêtes d’opinion le disent. Le gouvernement aussi. La preuve cette semaine avec la déclaration choc du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, lequel a ciblé les « personnes » bénéficiant des aides sociales qui préféraient « les renvoyer au Maghreb

https://www.tf1.fr/tmc/quotidien-avec-yann-barthes/videos/aides-sociales-envoyees-au-maghreb-tolle-apres-les-propos-de-bruno-le-maire-58323251.html


Les propos de Bruno Le Maire sur les aides sociales envoyées « au Maghreb » suscitent la colère de la gauche

« Nos compatriotes en ont ras le bol de la fraude [sociale] », a jugé mardi sur BFM-TV le ministre des finances. « L’extrême droite remplit dangereusement le vide gouvernemental », a réagi le premier secrétaire du PS, Olivier Faure.

Sa déclaration a provoqué l’ire de la gauche. Le ministre des finances Bruno Le Maire a évoqué, mardi 18 avril sur BFM-TV, une fraude de la part de personnes qui renverraient des aides sociales « au Maghreb », assurant « ne pas faire de clin d’œil » au Rassemblement national (RN) :

« Nos compatriotes en ont ras le bol de la fraude [sociale]. Ils n’ont aucune envie de voir que des personnes peuvent bénéficier d’aides, les renvoyer au Maghreb ou ailleurs, alors qu’ils n’y ont pas droit. Ce n’est pas fait pour ça, le modèle social. »

Le leader de La France insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon s’est insurgé sur Twitter. « Chers compatriotes musulmans ou originaires comme moi du Maghreb, préparez-vous. Pour faire diversion le gouvernement annonce par la voix de Bruno Le Maire une nouvelle campagne pour vous montrer du doigt. Sang froid », a-t-il écrit.

Pour le premier secrétaire du PS Olivier Faure, « l’extrême droite remplit dangereusement le vide gouvernemental », a-t-il déploré, regrettant sur Twitter que le gouvernement « mobilise des préjugés racistes pour éviter de rappeler que la fraude sociale est essentiellement le fait des employeurs et que la fraude fiscale est sans commune mesure ».

« Jour 1 des 100 jours d’apaisement : flatter les préjugés xénophobes », a aussi souligné sur le réseau social le chef des députés socialistes Boris Vallaud.

« Faire diversion »

Parmi les insoumis, la patronne des députés de La France insoumise Mathilde Panot a également dénoncé la « grosse ficelle ». « Vous n’éteindrez pas la colère sociale en semant le poison de la division. On sait désormais que s’ajoute au vide politique votre déchéance morale. Le 1er mai, le peuple uni vous répond dans la rue », a-t-elle tweeté.

Clémentine Autain a également réagi en pointant des « poncifs racistes du Rassemblement national qui n’ont aucune réalité », et en demandant au ministre de l’économie de s’occuper « plutôt de mettre fin au cancer de l’assistanat qui touche massivement le CAC 40. Des prix plus chers pour nous, des aides par milliards pour eux, voilà le problème », écrit la députée insoumise de la 11e circonscription de Seine-Saint-Denis, sur son compte Twitter mardi.

Et le député insoumis Thomas Portes a rappelé aussi sur Twitter que « la “fraude sociale” est estimée à 1 à 2 milliards d’euros par an. En revanche la fraude fiscale, c’est entre 80 et 100 milliards d’euros par an », invitant Bruno Le Maire à « aller voir en Suisse », « plutôt que de parler du Maghreb et de reprendre les éléments racistes de l’extrême droite ».

Le député écologiste Aurélien Taché a de son côté estimé que les Français « en ont surtout marre que des gens comme Bernard Arnault, l’homme le plus riche du monde, demande la nationalité belge pour ne plus payer d’impôts en France ». « Ils ont compris que vous êtes là pour faire diversion », a-t-il tweeté à l’adresse de Bruno Le Maire.

Le président de la République a promis, lors de son allocution lundi soir, de « renforcer le contrôle de l’immigration illégale », tout en prévoyant « des annonces fortes dès le mois de mai » contre la délinquance et les fraudes sociales et fiscales.

https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/04/18/les-propos-de-bruno-le-maire-sur-les-aides-sociales-envoyees-au-maghreb-suscitent-la-colere-de-la-gauche_6170049_3234.html

Je précise qu'il n'est pas illégal d'envoyer de l'argent à l'étranger ... Nous sommes vraiment dans une phase d'apaisement   (Le seul mot que m'inspire cette intervention de B.LEMAIRE, c'est MINABLE)

Cela m'a étonné d'autant plus que Le Maire, contrairement à Darmanin, m'avait donné jusqu'ici l'impression d'un centrisme (de droite) non seulement loyal, mais assez sincère et de surcroît plutôt intelligent -- il est vrai que je ne suis pas tout ça de très près...

Le populisme se fait une piètre idée du peuple, mais le plus consternant c'est que celui-ci lui donne rarement tort. Désigner un "bouc émissaire", de préférence au bas de l'échelle sociale plutôt qu'en haut (le Maghreb plutôt que la Suisse), c'est toujours payant, du moins à court terme et à courte vue...

"Aller voir en Suisse" et pourquoi pas le Luxembourg ? Je comprends l'allusion mais je la trouve un peu facile. La Suisse sera-t-elle tranquille lorsqu'elle aura rejoint l'Union Européenne?

Si j'ai bien compris, il ne s'agissait pas d'incriminer la Suisse mais de mettre en balance deux types de "fraude" présumée, la "sociale" et la "fiscale" qui par-delà leurs destinations respectives (hypothétiques et néanmoins fortement symboliques) représentent des sommes très différentes. Comme le remarquait free, les bénéficiaires légaux de prestations sociales les utilisent comme ils veulent (et comme ils peuvent), ce ne sont pas eux qui sont visés, en principe, par des propos concernant la fraude (malheureusement ce détail a de fortes chances de passer inaperçu à côté du mot Maghreb, qui réveille à lui seul tout le vieux racisme post-colonial français); d'un autre côté, les "optimisations fiscales" des multinationales ne sont pas non plus de la "fraude" et elles représentent des sommes sans commune mesure...

C'était un petit clin d'oeil. Ici aussi certains partis de droit ont accusé le citoyen lambda de fraude "massive" alors qu'il n'en était rien. Depuis quelques semaines, le scandale du Crédit Suisse et ses pertes abyssales ces mêmes partis se sont fait plus discrets.

Clément Viktorovitch : Ultradroite, entre complaisances et fanfaronnades

La manifestation d’ultra-droite qui a eu lieu à Paris le 6 mai dernier fait polémique. Le préfet de police, Laurent Nunez, avait expliqué qu’il n’y avait pas de motif pour l’interdire, avant que Gérald Darmanin annonce finalement demander l’interdiction de toutes les manifestations ultranationalistes. 
Ces deux positions ne seraient-elles pas aussi problématiques l’une que l’autre ?

https://www.youtube.com/watch?v=UivPeUVpw7o

Quand il faut choisir entre une "logique" et une "loi", on ne peut le faire qu'arbitrairement, puisque (par définition) on n'a pas de "critère" -- ni logique, ni légal...

Pour des raisons historiques évidentes, mais historiques et nullement logiques, on est arrivé en France (et plus généralement en Europe) à une situation où toutes les "opinions" n'ont pas le même "droit" à l'"expression"... Ce n'est pas le cas aux Etats-Unis par exemple, où même l'expression d'une opinion ouvertement (néo-)nazie, raciste, etc., est autorisée, protégée même par la Constitution. Mais du coup ça impose chez nous à l'exécutif de trancher constamment, et arbitrairement, entre les expressions interdites et autorisées, avec des arguments forcément superficiels et foncièrement foireux puisque aucune "logique" n'est ici pertinente (que vaut, au passage, l'interdiction formelle de cacher son visage dans l'espace public après trois ans de Covid ? Viktorovitch n'en parle pas...). Le résultat, c'est la précarisation juridique de tout ce qui s'écarte tant soit peu d'un centre médiatiquement consensuel... De nouveau le "totalitarisme d'extrême-centre" qui est une tendance structurelle de fond bien avant d'être une option politique opportuniste ("macroniste" p. ex.).

Je n'ai aucune sympathie pour l'extrême-droite, mais je ne peux pas m'empêcher de voir une tartuferie, non seulement grotesque mais funeste, dans l'interdiction de groupuscules qui ont le mérite d'afficher leurs couleurs (et représentent parfois une tradition bien antérieure aux fascismes, dans le cas de l'Action française), alors que le RN parade à l'assemblée nationale, assuré d'un vote du tiers à plus de la moitié de la population (votante), et que tout le monde sait qu'entre tous ces groupes les frontières sont poreuses... ça ne pourrait d'ailleurs que contribuer à la "dédiabolisation" du RN, s'il en avait encore besoin (les "fascistes" sont interdits, puisque nous sommes autorisés nous sommes respectables).

Cette professeure de droit public assène une critique foudroyante au Conseil constitutionnel 

https://www.youtube.com/watch?v=Tr4t8DpeAfo

Lauréline Fontaine a déjà été citée plus haut, 12.4.2023 -- cet extrait-ci est plus intéressant parce qu'on lui laisse le temps de s'expliquer, ce qui est assez rare à la télévision.

La "séparation des pouvoirs" (depuis Montesquieu au moins) dépend forcément d'un "partage" du pouvoir (singulier) qui ne peut être, pour celui-ci, qu'une mise en scène (théâtre, dramaturgie, distribution des rôles, casting). Soit une convention formelle, fût-elle tacite, qui fonctionne tant que et dans la mesure où tout le monde veut y croire et joue le jeu -- dans le cas contraire, quand le public ne reste pas de son côté mais envahit la scène et soulève les rideaux pour voir ce qui se passe dans les coulisses, il trouvera forcément de l'artifice, toute une machinerie d'illusion sans laquelle il n'y a plus de spectacle et qu'il saura d'autant moins faire fonctionner tout seul qu'il la récuse... L'autodestruction de la "démocratie", qui conduit au chaos et par celui-ci à la tyrannie, les Grecs l'ont théorisée bien avant les "réseaux sociaux" qui la réalisent à une échelle inédite (même si la définition de la "démocratie" a beaucoup changé entre-temps, sa tendance autodestructrice se serait plutôt aggravée).

Merci Narkissos pour ton analyse très pointue mais qui prend l'allure d'un bulldozer voir d'un tank au bord de la tranchée du ridicule.  Le ministre de l'intérieur à beau vouloir justifier sa position ses interventions ne font que le plonger un peu plus le nez dans le sable de l'arène politique. On pénalise quelqu'un parce que l'on suppose qu'il va mal se comporter on suppute ce qu'il va dire et faire. On se trouve en 1989 de Georges Orwell, on sait ce que pense certaines personnes et on leur interdit de prendre la parole.

Comment après une telle position peut on critiquer le manque de liberté dont disposent les citoyens de pays jugés dictatoriaux?

Je présume que tu te réfères à mon avant-dernier post...

Si je descends de mon bulldozer ou de mon tank, je dois avouer que je me sens tout à fait européen et que j'apprécie le "confort" intellectuel et moral de vivre dans un environnement globalement débarrassé des propos racistes, sexistes, homophobes, etc., que j'ai pu entendre dans mon enfance, qui n'était pourtant pas dans le "pire" milieu sous ce rapport -- même si je suis superficiellement agacé par l'excès (à mes yeux) de la censure ou de l'autocensure (alias "politiquement correct") en ces matières. Je vois bien les inconvénients du modèle américain de "liberté d'expression" absolue qui a produit, outre une longue série de beaux massacres, quatre ans de Trump en attendant mieux (mais de ce côté-là nous non plus ne perdons peut-être rien pour attendre). La condition des régimes "autoritaires" ou "illibéraux" (idéologiquement fort divers si on pense à la Russie, à la Chine, à l'Iran parmi beaucoup d'autres) est à l'opposé des Etats-Unis en ce qui concerne la liberté d'expression, mais il est vrai qu'on ne pourrait "logiquement" la critiquer que du point de vue d'une morale politique "universelle" auquel personne ne peut plus décemment prétendre.

N.B.: Orwell, c'était 1984 (en 1949). Dans le même genre, j'ai revu il y a quelque temps Soylent Green (R. Fleischer, 1973, "Soleil vert" en français, bien que le titre anglais évoque plutôt des graines de soja), un des rares films que j'avais vus au cinéma dans mon adolescence et qui m'avait beaucoup marqué: l'histoire se déroulait en 2022, j'avais oublié ce détail...

D'où vient le terme "décivilisation", utilisé par Emmanuel Macron pour qualifier les violences dans la société ?

L'Elysée assume l'expression "processus de décivilisation" employée par le chef de l'Etat, mercredi. Mais ce terme est également le titre d'un livre du théoricien d'extrême droite Renaud Camus.

Le mot n'est pas passé inaperçu. Emmanuel Macron a comparé, mercredi 24 mai en Conseil des ministres, les violences au sein de la société à un "processus de décivilisation". "Il faut être intraitable sur le fond, a complété le chef de l'Etat. Aucune violence n'est légitime, qu'elle soit verbale ou contre les personnes." Au-delà de l'analyse, le terme même de "décivilisation" provoque depuis des grincements de dents. Franceinfo revient sur l'origine de cette expression.

Le titre d'un ouvrage d'un essayiste d'extrême droite

Dans la sphère politique, le terme "décivilisation" est aussi le titre d'un ouvrage du penseur d'extrême droite Renaud Camus, publié aux éditions Fayard en 2011. La même année, l'essayiste a publié l'ouvrage Le Grand Remplacement, dans lequel il développe sa thèse raciste et complotiste sur le remplacement d'un peuple, les "Français de souche", par une "population d'immigrés venus d'Afrique et du Maghreb", comme le résume une note de la Fondation Jean-Jaurès.

Renaud Camus n'a pas le monopole du terme, mais il a marqué le concept de son idéologie. Dans son ouvrage, l'essayiste explique que "la crise contemporaine serait celle de l'école, de la famille, de toutes les institutions chargées de la transmission", analysent Aurélien Aramini et Florian Gulli dans la revue Philosophique. "La culture perdrait toute consistance ; les manières, de table en particulier, matrices du contrôle de toutes nos pulsions, seraient de plus en plus désinvesties, ce qui repose sur le respect de l'autorité serait aujourd'hui dévitalisé. D'où le retour de la violence dans le quotidien", écrivent les deux philosophes.

Un terme utilisé en sociologie

Renaud Camus n'est pas le seul à employer le terme "décivilisation". On le retrouve en sociologie, où il est associé aux écrits de l'Allemand Norbert Elias et à son expression "processus (ou procès) de civilisation". Le sociologue, qui a longuement réfléchi aux causes profondes de l'arrivée du nazisme en Allemagne, étudie dans ses ouvrages l'évolution des mœurs à travers le temps. "Ce que Norbert Elias appelle le procès de civilisation, c'est une histoire parallèle ; d'un côté celle de la manière dont l'Etat moderne se constitue en se réservant le monopole de la violence, de l'autre, celle de l'autocontrôle exercé, par les individus, sur leur violence spontanée, leurs instincts et leurs affects", expose France Culture.

"Comme Ernst Bloch, Ernst Cassirer, Norbert Elias ou Hannah Arendt l'ont remarquablement bien saisi, la dé-civilisation des années 1930-1940 consistait à détruire l'individu pour le fondre dans la 'masse'", explique également dans Le Figaro l'historien Hamit Bozarslan, auteur de l'essai Crise, violence et dé-civilisation. Essai sur les angles morts de la cité (CNRS, 2019). "Sans mémoire, sans réseau, sans tissu social, sans faculté cognitive, ce qui restait de l'individu était obligé de se 'massifier', hurler avec les loups pour ne pas être dévoré par eux, poursuit Hamit Bozarslan. Le nazisme, le stalinisme, le khomeynisme [l'idéologie politique et religieuse développée par l'ayatollah Khomeyni, fondateur de la République islamique d'Iran], le jihadisme actuel, sont la conversion de ce processus de massification en ressource ultime du pouvoir."

Une expression de plus en plus utilisée à droite

La classe politique française s'est emparée du terme "décivilisation" ces dernières années pour dénoncer les faits de violence qui traversent la société. En avril 2021, déjà en campagne pour l'élection présidentielle, Xavier Bertrand emploie le terme sur Europe 1 avant de mettre en avant ses propositions sur le thème de la sécurité. "Nous sommes un des rares pays au monde où tous les jours, il y a des agressions contre l'Etat, une mise en cause des forces de l'ordre, et qu'il n'y a pas de riposte", assène le président de la région Hauts-de-France, ex-ténor des Républicains.

David Lisnard, maire LR de Cannes et président de l'Association des maires de France (AMF), a également cosigné une tribune en septembre 2022 dans Le Figaro, intitulée "Peut-on arrêter la décivilisation ?", après l'agression d'une octogénaire à Cannes. Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, a employé l'expression à plusieurs reprises : "La France est en train de s'ensauvager avec un phénomène de décivilisation", affirme-t-il ainsi en septembre 2022, après un viol dans le centre-ville de Nantes. Le sénateur de Vendée a une nouvelle fois utilisé le terme début mai pour témoigner de son inquiétude face à la hausse des violences contre les forces de police.

Une "réalité" et pas un "concept", selon l'Elysée ...

https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/d-ou-vient-le-terme-decivilisation-utilise-par-emmanuel-macron-au-sujet-des-violences-dans-la-societe_5846639.html

Il faut lire l'article jusqu'au bout pour comprendre (peut-être, car la citation manque toujours de contexte) en quoi une "réalité" s'opposerait à un "concept".

Je suis en train de lire, ou de relire selon les passages, la mal-nommée République de Platon, en grec politeia qui pourrait se traduire aussi bien par civilisation ou civilité que citoyenneté: son horizon c'est toujours la ville ou la cité (polis, d'où politique et police, sinon politesse, mais celle-ci s'appelait jadis aussi urbanité; en latin civitas, d'où civitas dei, la "cité de Dieu" de saint Augustin qui répond en quelque sorte à Platon; le "citoyen" ne se distingue donc pas en principe du citadin, ni du "bourgeois" selon une ascendance germanique -- à propos, je notais l'autre jour que la "tour" de Babel se dit en grec purgos, que les étymologistes rapprochent du Burg germanique, forteresse ou citadelle).

Les villes d'aujourd'hui, et déjà celles de l'Antiquité d'Alexandre à Rome, peut-être bien avant si l'on songe aux déplacements de population assyriens, ne sont pas les cités grecques, elles sont par définition "multiculturelles" ou "cosmopolites", ce qui veut dire qu'elles représentent toujours plus d'une "civilisation" et qu'aucune "civilisation" n'y reste intacte (à supposer qu'il puisse y avoir une "civilisation" qui ne procède pas du même type de mélange); de plus la "politique" leur échappe, car elle est passée à l'Etat-nation qui n'est plus une ville, et qui surtout n'a plus d'extérieur: on peut toujours quitter une ville ou en être banni, on ne peut pas quitter l'Etat sans se retrouver sous la loi analogue d'un autre Etat, il n'y a plus de dehors pour des "barbares" (nom qui désignait autrefois les non-Grecs... chez les Grecs) ni pour des "sauvages" (terme qui renverrait au "dehors", "for" ou "fors", de la "forêt" p. ex.), la "dé-civilisation" se joue forcément à l'intérieur de LA "civilisation", et d'autant mieux que celle-ci, dans son uni(ci)té factice, apparaît comme une totale illusion...

Au passage, je me suis dit en lisant les livres II et III que Socrate, le Socrate de Platon bien sûr, faisait de la "cancel culture" avant la  lettre, en rêvant d'expurger Homère, Hésiode, et d'autres poètes et/ou dramaturges de tout ce qui lui semblait "immoral", inadéquat à l'éducation des enfants et des gardiens de la cité. Comme quoi le souci de la "civilisation" et de son "progrès" passe aussi par une certaine "dé-civilisation". Mais pour chasser les poètes de la cité idéale, comme il le recommande expressément plus loin, il faut encore que celle-ci ait un dehors. Où va tout ce que la civilisation exclut, et comment cela lui revient, telle est aussi la question.

La violence étant intrinsèque à l’homme et la "civilisation" n'est-elle pas aussi productrice de violence ?

Ce n'est pas "la Bible" qui te donnerait tort, puisque la Genèse attribue les premières cités, comme les premières "techniques" ou les premiers "arts", des armes aux instruments de musique, à la lignée de Caïn... selon un schéma d'ailleurs très répandu, cf. Remus et Romulus à Rome.

Je me permets de rappeler un article que j'avais consacré à ce sujet, il y a plus de dix ans.

Puisqu'on parlait ailleurs de la Pentecôte (des Actes) et que c'est le moment, j'ajouterais que "l'Eglise", "construite" comme une ville ou un temple, a aussi ses "sacrifices de fondation", multiples et divers si l'on compte ses "victimes" présumées "bonnes" ou "mauvaises", Jean-Baptiste, Jésus, Judas, Ananias, Sapphira, Etienne, Jacques, Hérode...

Civilisation et violence

Weber : la raison d’État

Qu’est-ce que l’État ? C’est la question que pose Max Weber dans une conférence de 1919 (Le savant et le politique, Plon, 1963). Pour y répondre, le sociologue se réfère à un aphorisme de Léon Trotski (« Tout Etat est fondé sur la force ») puis énonce une définition fondée sur le « moyen spécifique » dont dispose l’État pour exister. En effet, si une petite classe d’hommes politiques professionnels possède désormais le pouvoir d’exercer sa domination, c’est grâce à une administration bureaucratisée, mais surtout parce qu’ils sont les seuls à pouvoir user de la violence. Weber affirme dès lors : « Il faut concevoir l’État comme une communauté humaine qui (…) revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime ». Pratiquement, cela veut dire que seuls les membres de la police ou de l’armée ont le droit de violenter voire de tuer des citoyens, et ce en toute impunité, si la raison d’État l’exige.

https://www.cairn.info/les-mecanismes-de-la-violence--9782912601445-page-134.htm

Chez Platon -- je continue de profiter de cette coïncidence de lecture, sur des textes éloignés de plus de deux millénaires -- les gardiens de la cité doivent combiner des "vertus" contraires, andreia (courage viril et "violent") et sophrôsunè (tempérance, modération), pour que leur "violence" ne s'exerce que contre les ennemis de la cité et pas contre la cité elle-même. Il leur faut donc avant tout l'éducation des chiens, qui savent reconnaître leur maître et ses amis des étrangers et des ennemis potentiels (en quoi Homère, Ulysse reconnu par son chien, reste derrière Platon et Socrate)... Ironie à double sens, et nullement méprisante, car la re-connaissance des "idées", du "bien", du "bel et bon" sous toutes leurs espèces jusqu'aux plus contraires, est au coeur de la doctrine platonicienne. L'idée que soldats, policiers et gendarmes, a fortiori dirigeants politiques, devraient avant tout bénéficier de la plus haute éducation "philosophique" (même si pour Platon leur éducation doit nécessairement être appauvrie par ailleurs, notamment au plan artistique, par la nécessité de la spécialisation essentielle à la cité: on ne peut bien faire qu'un seul métier pour le bien commun, chacun doit donc se borner au sien et d'abord être éduqué dans cette visée) semble toujours aussi pertinente qu'elle paraît "utopique"...

Reste encore la difficulté pour tout détenteur ou gardien du pouvoir, qui se place naturellement du côté de la con-struction et/ou de la conservation du con-struit, de reconnaître son allié dans son ennemi, et la nécessité même d'une dé-struction.

Policier en détention provisoire: l'avocat d'Hedi, qui accuse les policiers de l'avoir roué de coups et d'un tir au flashball, s'exprime

https://www.bfmtv.com/police-justice/policier-en-detention-provisoire-l-avocat-d-hedy-qui-accuse-les-policiers-de-l-avoir-roue-de-coups-et-d-un-tir-au-flashball-s-exprime_VN-202307250233.html

C'est aussi vieux que le monde (cf. Platon précédemment): qui multiplie les chiens de garde (armée, police, milices, services de sécurité pléthoriques, suréquipés techniquement et juridiquement) risque fort de ne plus pouvoir les maîtriser et de finir lui-même bouffé... à différentes échelles, ça vaut pour les Etats-nations modernes comme pour les cités antiques, et même pour les simples particuliers...

Je trouve quand même que ce n'est guère à l'honneur de l'"humanité" que son "histoire", sa "civilisation" et son "progrès" l'aient rendue incapable de vivre sans chefs et sans institutions, sans armes, sans armées et sans police, sans tribunaux et sans prisons, sans un réseau de plus en plus dense de surveillance et de contrôle en tout genre: du point de vue de l'"espèce" comme de l'"individu" censément investi d'une "dignité" absolue et inaliénable, il n'y a pas de quoi être fier...

Ne serait-ce pas parce que de nombreuses de part le monde ont désiré de plus en plus de liberté sans en assumer la/les responsabilités qui en découlent.

Bien sûr notre société (je parle de la société humaine peut importe le pays concerné) créé de plus en plus d'inégalités et les réseaux sociaux ne font que reporter ce que pensent une part de plus importante de l'humanité à savoir : "certains travaillent pour gagner de moins en moins car les coûts des marchandises et du logement ne cessent d'augmenter", "d'autres voient leur capital augmenter de façon exponentielle".

La "liberté" en la matière consiste surtout, pour la plupart des "citoyens" (de la cité antique et a fortiori de l'Etat moderne) et en temps "normal" (de "paix", hors guerre extérieure ou civile), à être déchargé de la "responsabilité" de la "violence" -- quitte à la concentrer et à la décupler dans ces monstres que sont l'Etat lui-même, son armée, sa police, ses milices, ses mercenaires ou ses auxiliaires de sécurité (désormais en grande partie "privés" et contractuels). C'est toujours la logique du Leviathan de Hobbes, corollaire de l'épouvantail-repoussoir de l'"anarchie" caricaturée en guerre de chacun contre tous, homo homini lupus ou loi de la jungle selon les métaphores zoologiques et les climats... Reste à savoir si "l'homme civilisé", infiniment lâche la plupart du temps et capable de plus de cruauté qu'aucune bête quand il en a l'occasion "professionnelle", a vraiment gagné quoi que ce soit à ce type d'organisation "rationnelle" par rapport aux sociétés dites "primitives" ou "sauvages", ou même "animales"... il n'y a sûrement pas gagné en "dignité" à mon sens.

Par rapport à l'économie industrielle et capitaliste de l'époque de Marx, il me semble que les choses ont bien changé, au moins sur un point: il ne s'agit plus de l'enrichissement de quelques-uns par l'exploitation d'une masse de travailleurs utiles, mais malgré ou même (autrement et encore plus perversement) par la nécessité de nourrir, de soigner, d'occuper, de distraire, de surveiller, de contrôler, de réprimer des masses de plus en massives de gens qui n'ont plus aucune utilité économique, du fait notamment des "progrès" techniques, de la mondialisation et de la virtualisation de l'économie. Les travailleurs pouvaient toujours faire grève et exercer une pression et un rapport de force effectifs sur leurs patrons et actionnaires, mais que peuvent faire ceux qui sont (statistiquement au moins) promis à une vie d'"assistance" ou de "délinquance", et en tout cas de mépris social, sinon foutre le feu quand l'occasion se présente ? Paradoxalement la voie d'"insertion" royale pour une grande partie de la population est de devenir flic, militaire, éducateur ou assistant social, on tourne en rond... Le troupeau s'auto-justifie à perte de vue, quand même il est toujours et de plus en plus incapable de s'auto-gérer (contrairement à celui du Génie des alpages) puisqu'il ne peut toujours pas, et de moins en moins, se passer ni de bergers ni de chiens, quitte à les produire lui-même.