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| Shéol - Hadès et la mort dans la Bible | |
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Narkissos
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| Sujet: Re: Shéol - Hadès et la mort dans la Bible Lun 30 Aoû 2010, 19:16 | |
| L'"étang de feu" de l'Apocalypse de Jean correspond en effet assez bien à la conception la plus ancienne de la "géhenne" (cf. mon post du 9.8, 3°), puisqu'à l'exception de la "bête", du "faux prophète" et du "diable" on n'y va qu'APRÈS la résurrection et le jugement. |
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| Sujet: Re: Shéol - Hadès et la mort dans la Bible Mer 11 Mar 2020, 13:10 | |
| Malgré cette conception, impressionnante dans sa cohérence, du « vide théologique » concernant la mort et l’au-delà dans l’Ancien Testament, il est clair que ce tableau doit être nuancé. On connaît des passages comme 1 S 2, 6 (« yhwh fait mourir et il fait vivre, il fait descendre au séjour des morts et il en fait remonter »), Dt 32, 39 (« c’est Moi qui fais mourir et qui fais vivre »), ou comme Am 9, 2a (« S’ils pénètrent dans le Shéol, ma main les en arrachera ») et Ps 139, 8b (« Si je me couche au Shéol, tu es encore là »). Le récit de la consultation par Saül de la nécromancienne de Ein-Dor (1 S, 28), tout en soulignant fermement (v. 3 et 9) qu’il est prohibé d’évoquer les morts, présuppose qu’il est possible de « faire monter » un mort, et que ce mort possède donc encore un certain mode d’existence . Il n’est pas tombé dans un néant absolu. Le psalmiste peut l’exprimer, dans un chant de reconnaissance : « Tu m’as fait remonter du séjour des morts, tu m’as fait revivre loin de ceux qui descendent dans le gouffre » (Ps 30, 4). Une métaphore, certes, mais qui semble présupposer que yhwh intervient aussi dans la sphère du Shéol. Dans l’Antiquité, et dans la Bible hébraïque en particulier, les domaines où s’exercent la puissance de la mort et celle du Dieu vivant ne sont pas aussi distincts ou séparés qu’on le présuppose dans notre conception moderne de la vie et de la mort. Dans les psaumes de reconnaissance, il s’agit souvent de bien davantage que d’une simple métaphore . Il existe aussi quelques récits de résurrection de morts dans les cycles d’Élie et d’Élisée (1 R 17, 17-24 et 2 R 4, 8-37). Un psalmiste exprime l’assurance que yhwh lui fera « connaître le sentier de la vie », une métaphore fréquente dans la littérature égyptienne pour désigner la vie dans l’au-delà . D’autres textes parlent d’enlèvement vers Dieu (racine lâqah) . Certains psaumes (comme le Ps 73) évoquent un lien de fidélité indéfectible entre yhwh et le fidèle au-delà de la mort. Contrairement à l’affirmation que les morts ne peuvent louer Dieu, nous lisons en Ps 22, 30 : « Devant lui [yhwh] s’agenouilleront tous ceux qui descendent à la poussière,/et [celui qui] ne maintient pas son âme en vie . » Un sage argumente : « Le Shéol et le monde des disparus sont devant yhwh, à plus forte raison le cœur des humains ! » (voir aussi Job 26, 6). Enfin la promesse et l’attente d’une résurrection des morts sont clairement exprimées dans la petite apocalypse d’Ésaïe (Es 25, 8 : « Il anéantira la mort pour toujours » ; 26, 19 : « Que tes morts revivent ! Que mes cadavres se relèvent ! […] la terre redonnera le jour aux ombres ») et en Dn 12, 1-4 (« La multitude de ceux qui dorment dans le sol poussiéreux se réveilleront, ceux-ci pour la vie éternelle et ceux-là pour l’horreur éternelle »). https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2008-1-page-105.htm |
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| Sujet: Re: Shéol - Hadès et la mort dans la Bible Mer 11 Mar 2020, 14:33 | |
| Recension très intéressante, davantage à mon sens pour les données archéologiques que pour les textes bibliques (que nous connaissons plutôt bien). L'auteur (de la recension, non du livre: Vincent, non Nutkowitz) me semble cependant captif d'une notion beaucoup trop "linéaire" de l'histoire (des idées, des croyances, des pratiques) -- comme si ne comptaient là que l'avant et l'après, comme si dans un lieu donné (Israël ou Juda p. ex.) tout le monde "évoluait" en même temps, dans le même sens et sur le même pas. C'est évidemment faux: les textes "bibliques", quelles que soient leurs tendances, expriment les vues d'un "milieu" donné (p. ex. sacerdotal, prophétique, royal, aristocratique, citadin ou bourgeois, rural, etc.), et n'influent guère au-delà de ce milieu. Et non seulement ces milieux-là peuvent avoir simultanément des opinions différentes et même opposées, mais il subsiste dans le même temps une "religion populaire" très peu perméable aux nouveautés comme à l'écriture, qui diffère beaucoup moins d'une région à l'autre que les opinions plus élaborées des classes relativement instruites. L'"au-delà" égyptien que l'on oppose si facilement aux vues "israélites" (ou levantines) de la mort est aussi celui de certaines classes sociales (pharaons, hauts fonctionnaires, scribes, etc.); du moins jusqu'à la grande "démocratisation" des croyances qui accompagne leur "délocalisation" aux époques hellénistique et romaine. |
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| Sujet: Re: Shéol - Hadès et la mort dans la Bible Mar 18 Aoû 2020, 15:28 | |
| On peut même envisager, dans une telle reconstitution mythologique, la présence d'une cour pour ces deux souverains. Elle serait composée de ceux que l'hébreu nomme les [réphaïm], les «esprits des morts», qui hantent les lieux souterrains et qu'un certain texte, certes très controversé, assimile à des ['élohîm] «dieux» (Dans I Samuel 28, 13, la nécromancienne d'Endor, pressée par Saül d'évoquer Samuel, mort peu de temps auparavant, décrit le fantôme du prophète comme un élohîm). Il est probable en effet que, dans les mentalités archaïques, les Réphaïm aient été perçus comme une espèce d'aristocratie au sein du monde des morts, la manifestation chez les morts de l'inégalité fondamentale qui régnait chez les vivants. C'est ce que tend à montrer l'extrait suivant :
En bas, Sheol s'agite à ton sujet, Pour attendre ta venue. Il réveille pour toi les Réphaïm, Tous les boucs de la Terre, II fait lever de leur trône, Tous les rois des nations. (Isaïel4, 9 : ombres : hébreu repha’im, nom donné aux êtres affaiblis censés peupler le séjour des morts ; voir aussi 17.5n ; 26.14,19. )
L'étymologie de ce terme semble se rattacher au radical «guérir», «soigner», ce qui ne donne guère d'indication, mais introduit un curieux rapport entre la mort et la guérison. Peut-être veut-il désigner ceux qui ont, en quelque sorte, «guéri» de la mort, pour jouir de cette situation privilégiée à l'intérieur du Sheol. On peut établir un parallèle avec le mythe sumérien de Ninazou «seigneur médecin» : fils d'Ereshkigal, il est, dans l'une des deux versions que nous connaissons, le dieu de la ville d'Enegi, mais aussi le dieu des Enfers, sous les traits d'un dieu salutaire. https://www.persee.fr/docAsPDF/dha_0755-7256_1995_num_21_1_2216.pdf |
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| Sujet: Re: Shéol - Hadès et la mort dans la Bible Mer 19 Aoû 2020, 00:50 | |
| Etude stimulante, mais que je ne conseillerais pas pour une première approche de la question tant elle néglige de pistes évidentes au profit de conjectures. Que Sheol et Bélial puissent être lus comme des noms propres de divinités infernales, pourquoi pas, à condition de ne pas ignorer celle que l'auteur ne se donne même pas la peine de mentionner, Mot (= la mort, ici écrite tantôt avec et sans majuscule), bien attesté comme fils de El à Ougarit. Et comment parler des Rephaïm, également présents à Ougarit et auxquels on a même pu rattacher le nom grec d'Orphée, sans dire qu'ils sont aussi dans la Bible une des nombreuses appellations des "géants" (comme les Nephilim, Anaqim et autres), les personnages mythiques du monde souterrain se confondant avec les héros d'un passé légendaire (anté- ou post-diluvien) ? Bref, l'affaire est probablement plus complexe dans l'ensemble, et aussi plus simple par endroits, qu'elle le paraît à la lecture de ce seul texte.
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| Sujet: Re: Shéol - Hadès et la mort dans la Bible Ven 15 Oct 2021, 11:17 | |
| - Citation :
- Citation :Que devons nous comprendre de l'expression "Qui sait si le souffle des fils de l'homme monte en haut" ?
Quelle question! Il faut quand même noter que la tradition de lecture "pré-massorétique", sous le contrôle du judaïsme rabbinique (c.-à-d. post-pharisien) qui a canonisé en Qohéleth un ouvrage très contraire à ses vues, à la faveur de multiples corrections "orthodoxes", a ici changé le sens de la question: dans le texte massorétique qui fixe cette tradition, la question devient "Qui connaît le souffle des humains qui monte vers le haut et le souffle des bêtes qui descend en bas, vers la terre?" -- cette modification (simple changement de vocalisation en hébreu, qui transforme un interrogatif en article défini) à contre-contexte (cf. v. 18ss, rien ne différencie le sort de l'homme de celui de la bête) facilite l'harmonisation avec 12,7 (qui est probablement lui-même une addition "orthodoxe"). La deuxième idée, « choisir, séparer », semble bien convenir au contexte . C’est elle qui figure dans la LXX avec le verbe ???????? (séparer les uns des autres ; distinguer). Or, elle présente l’avantage de respecter l’ambivalence du propos. Car, « séparer, choisir » supporte l’idée d’une distinction d’ordre éthique lié à un jugement que la reprise de « j’ai dit, moi, en mon cœur » en 3,18 (cf. 3,17) et la nouvelle mention de Dieu induisent assez aisément. Mais cette signification introduit tout aussi bien à cette autre forme de distinction sous-jacente à la comparaison immédiate entre les « fils d’homme » et la bête, même si curieusement, c’est pour dire que les premiers sont semblables à la seconde. . Le discernement opéré par le jugement en 3,17 n’est pas de même nature que la distinction entre hommes et bêtes. L’un relève davantage d’une éthique, l’autre est plus directement anthropologique. Un déplacement s’opère. Or, la portée assez large du verbe ???? assume l’ambivalence et permet un discret glissement. Insensiblement, la séparation, presque la mise à part, ne joue plus sur les mêmes catégories (juste/méchant ; hommes/bête). Le verbe « distinguer » que nous retenons nous semble pouvoir exprimer ce rôle charnière de ???? et la richesse du texte. Notons que l’intérêt marqué pour les « fils d’homme » en 3,18b orientait déjà vers une considération anthropologique plus générale.(...)L’une et l’autre options ne résolvent pas l’écart, elles en indiquent les bases. Les deux phrases se heurtent, la coordination marque en fait une véritable rupture. « Et ils voient qu’ils ne sont, quant à eux, eux-mêmes que des bêtes » fait basculer la logique, sans explication, comme la révélation brutale d’une réalité choquante : ils ne sont que des bêtes ! L’anthropologie chancelle, la distinction opérée par Dieu, avec son ambivalence, subit une perturbation d’autant plus ressentie qu’elle est d’abord imprécise. Que veut dire Qohéleth ? Quelle est la portée de ce premier choc ? L’intelligence reste un instant en suspens.(...)Il semble plus prudent ensuite et interroge : « Qui sait le souffle des fils d’homme qui monte… » (3,21). L’enjeu est de taille. Il en va de prendre la mesure de ce que représente le retour commun à la poussière en soi indiscutable : l’identité même du souffle. Il en va d’assurer ce qui avait pris pour ainsi dire l’allure d’un saut en 3,19c : le passage du « sort un » au « souffle un ». Or, l’indifférenciation du souffle, c’est le point sensible, le fait le plus grave qui affecte la compréhension même du souffle, de ce qu’est l’homme et autorise à parler de similitude entre l’homme et la bête. La formule interrogative alors porte le poids de cette conséquence provocante, spontanément contestable. Et pourtant, elle y conduit, mais indirectement, en mettant de façon radicale toute différence en cause.L’expression a encore ici quelque chose d’elliptique, voire de schématique. La différence en effet se manifeste à travers la double direction du souffle : « vers le haut » pour les « fils d’homme », « en bas, vers la terre » pour la bête. S’il est vrai que « haut » évoque assez naturellement le ciel et Dieu lui-même, que « bas » et « terre » sont associés à la mort et au séjour des morts , Qohéleth ne mentionne justement ni les uns, ni les autres mais fait surtout sentir l’opposition haut-bas qui trace deux mouvements divergents, monter-descendre, bien marqués par la répétition de ????, souffle, appliqué à deux sujets différents. La formulation précise deux conceptions bien distinctes du retrait du souffle. Elle exprime la non similitude de sa destination, laquelle alors peut devenir significative de la non similitude du souffle et, partant, de celle de l’homme et de la bête comme êtres vivants. La distinction s’est introduite qui opère ainsi un déplacement. Elle semble refléter une tentative pour donner à la remontée du souffle de l’homme une signification valorisante par rapport à celui de la bête, entraînant du même coup une différenciation de la mort et une appréhension différenciée du souffle.On peut discerner à l’arrière-plan d’un tel propos la présence probable de conceptions touchant, d’une part, la question d’une survie possible pour l’homme au-delà de la mort, d’autre part, celle du rapport entre l’être humain et l’animal. Les deux questions sont corrélatives. Les commentaires privilégient l’une ou l’autre donnée. La première engage l’existence à l’époque de de croyances en une vie après la mort, plus ou moins précises encore, soit que s’introduise, peut-être sous l’influence grecque, l’idée d’une survie de l’âme, soit que l’on puisse, comme le défend D. Michel, pressentir que « derrière 3,19-22 se tiennent des hommes qui (…) développaient la pensée d’une résurrection des morts ». Il y aurait là la manifestation d’une « sagesse qui était sur le point de s’ouvrir à l’apocalyptique ». La seconde donnée engagerait le développement à cette époque d’une conscience plus aigue de la dignité propre à l’homme.https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2003-1-page-11.htm |
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| Sujet: Re: Shéol - Hadès et la mort dans la Bible Ven 15 Oct 2021, 12:39 | |
| Excellente étude -- tu as décidément la main heureuse ces temps-ci ! :) -- difficile à suivre toutefois dans le détail sans les citations de l'hébreu, transformées en points d'interrogation, mais ça ne change pas grand-chose pour le non-hébraïsant, et ça a plutôt l'avantage d'obliger l'hébraïsant à revenir au texte.
Ce qui est en question au v. 18, et déjà au paragraphe précédent de l'article (§ 30), c'est la racine brr, qu'on peut rapprocher (sauf inattention de ma part, F. Laurent ne le fait pas) de bwr en 9,1, mot-à-mot: "et tout ceci j'ai donné à mon coeur et pour examiner (éprouver, trier, analyser, distinguer, faire apparaître ?) tout ceci..." La Septante ne traduit pas précisément le verbe en 9,1 (tout est noyé dans un vague "voir" ou "savoir", eiden), mais en 3,18 elle rend bien brr par diakrinô, "discerner, distinguer", etc. "Moi, j'ai dit dans mon coeur, sur la chose (la parole, l'affaire, dbr) des fils de l'homme ('dm-'adam), (pour) que le dieu les éprouve (discerne, distingue, fasse apparaître, mette au jour ou en évidence, brr), pour voir quant à eux (ou: pour qu'ils voient) qu'ils (ne) sont (que) des bêtes..."
C'est en effet "brutal", en plus d'un sens (on disait jadis la "brute" pour la "bête"); et en même temps subtil, profond et plein d'humour, parce que, comme le relève pour le coup très bien F. Laurent, cela relativise doublement le propos, en le rapportant à deux points de vue, celui du "dieu" et celui de "l'homme": tout ce qui constitue l'"homme" comme distinct des "bêtes", tous les "propres de l'homme" construits en "anthropologie" ou en "humanisme", voilà précisément ce qui échappe à l'homme; peut-être pas au "dieu", mais justement l'éventuel point de vue du "dieu" sur "l'homme" et les "bêtes" échappe aussi à "l'homme", il reste une question (qui sait ?) qui semble ne se poser qu'à l'homme, et qui par là seulement, le cas échéant, affecterait le "dieu"... |
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| Sujet: Re: Shéol - Hadès et la mort dans la Bible Ven 15 Oct 2021, 14:07 | |
| Or il est des exégètes catholiques et protestants qui sont d’un avis tout différent. Ainsi, dans le “Glossaire des termes de théologie biblique” qui figure dans la New American Bible (version catholique; éditeur P. J. Kenedy & Fils, New York, 1970), on lit ceci: “Quand ‘esprit’ est employé par opposition à ‘chair’ (...) ce n’est pas pour distinguer en l’homme la partie matérielle d’avec la partie immatérielle (...). ‘Esprit’ ne signifie pas âme.” Cette version n’emploie pas le mot “esprit” en Ecclésiaste 12:7, mais l’expression “souffle vital”. Dans une autre Bible dite Interpreter’s Bible (version anglaise protestante) on fait observer ceci à propos du rédacteur du livre de l’Ecclésiaste: “Le Qohéleth ne veut pas dire que la personnalité de l’homme lui survive.” Voilà des vues fort divergentes. Que faut-il donc entendre au juste par le terme “esprit”? En quel sens l’esprit retourne-t-il à Dieu ?
Dans le passage d’Ecclésiaste 12:1-7 les effets de la vieillesse et de la mort sont décrits en termes poétiques. Après la mort, le corps finit par se décomposer et redevient une partie intégrante de la poussière de la terre. Mais “l’esprit”, lui, “retourne au vrai Dieu”. Ainsi, la mort de l’homme n’est pas sans lien avec le départ de l’esprit qui retourne à Dieu. À un certain point de vue, sa vie dépend de cet esprit.
Dans le texte original, Ecclésiaste 12:7, le mot traduit par “esprit” ou “souffle vital” est l’hébreu rouaḥ. Son équivalent grec est pneuma. S’il est vrai que notre vie est liée à la respiration, le mot “souffle” cependant (c’est par “souffle” que nombre de traducteurs rendent souvent l’hébreu rouaḥ et le grec pneuma) ne peut pas toujours être substitué à “esprit”. En outre, il y a d’autres termes, savoir l’hébreu neschamah et le grec pnoê, qui se traduisent également par “souffle”. (Voir Genèse 2:7 et Actes 17:25.) Il est toutefois intéressant de noter qu’en optant souvent pour “souffle” au lieu du mot “esprit”, les traducteurs font voir que les termes originaux s’appliquent à quelque chose qui n’a pas de personnalité mais qui est cependant indispensable à la vie.
(...)
Ainsi en va-t-il de l’esprit ou force vitale. Quand survient la mort, l’esprit ‘retourne à Dieu’ sans qu’il ait à se déplacer de la terre jusqu’aux sphères célestes. Mais le don de la vie, celui dont le défunt avait eu la jouissance en tant qu’être intelligent, ce don fait maintenant retour à Dieu. Ce qu’il faut pour animer la personne, c’est-à-dire l’esprit, la force vitale, est entre les mains de Dieu. — Psaume 31:5; Luc 23:46.
Le défunt se trouve en quelque sorte dans la même situation qu’un accusé qui dit au juge: “Ma vie est entre vos mains.” Ce qui va advenir de sa vie dépend en effet du magistrat. L’accusé ne peut en décider. L’affaire n’est pas entre ses mains.
De même un mort n’a pas pouvoir sur sa force vitale, son esprit. Celui-ci est retourné à Dieu en ce sens que c’est de Dieu que dépend la vie future de l’individu. C’est à Dieu de décider si un jour il lui rendra ou non l’esprit, la force de vie. https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1101974066 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Shéol - Hadès et la mort dans la Bible Ven 15 Oct 2021, 14:57 | |
| La chute aussi est brutale (de Françoise Laurent à la Watch)... ;) Plus encore qu'"épicurienne", la sagesse de Qohéleth est sceptique, ou "agnostique" au sens propre du terme (non-savoir), qui n'implique aucun "athéisme", aucun "nihilisme" non plus si l'on devait entendre par ce mot, contre toute logique, l'affirmation d'une négation. "On ne sait pas" reste son dernier mot, très facile à ridiculiser (cf. l'usage péjoratif anglais du latin ignoramus, "nous ignorons", pour désigner une certaine pédanterie de l'ignorance, et par extension n'importe quel ignorant), mais qui peut être aussi le dernier mot de toute sagesse (de la tradition socratique résumée dans l'apocryphe "je sais que je ne sais rien" à la docta ignorantia ou "nescience" de la théologie médiévale, du pseudo-Denys à Eckhart ou Nicolas de Cues, celles-ci teintées toutefois d'un "mysticisme" chrétien hyper-rationnel qui n'a naturellement qu'un lointain rapport avec Qohéleth). Elle nie assurément plus qu'elle n'affirme, mais elle questionne encore plus qu'elle ne nie, sans attendre de réponse, sauf des imbéciles qui se précipitent vers une réponse plutôt que de laisser la question (les) travailler (question et travail peuvent tous deux évoquer la torture, ce n'est pas tout à fait un hasard). En l'occurrence, on ne peut guère imaginer plus sot usage de Qohéleth que de transformer ses questions ou ses négations en affirmations doctrinales, comme une "révélation" sur la mort, qui coïnciderait d'ailleurs avec la plus banale observation des vivants. La "révélation" est bien ce que Qohéleth, contemporain réfractaire des premières "apo-calypses" ou "ré-vélations" juives et des "eschatologies" qu'elles scénarisent (fin du monde, jugement dernier, résurrection), met le plus en question, sur ce point fidèle à toute la tradition sapientiale; à ceci près qu'il questionne aussi les déductions et les conclusions de la "sagesse". Sur toute la question de "l'animal", qui questionne autant "Dieu" ou "les dieux" (représentés indifféremment sous forme "humaine" ou "animale", mais aussi végétale ou minérale, géographique ou astrologique) que "l'homme" ou "les hommes/humains" (notamment en tant qu'ils se comprennent entre "l'animal" et le "divin"), je me permets de renvoyer à ce fil.
Dernière édition par Narkissos le Ven 15 Oct 2021, 15:28, édité 1 fois |
| | | free
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| Sujet: Re: Shéol - Hadès et la mort dans la Bible Ven 15 Oct 2021, 15:25 | |
| - Citation :
- La chute aussi est brutale (de Françoise Laurent à la Watch)...
la chute est vertigineuse mais il n'en demeure pas moins vrai que ta réponse est très instructive et éclairante. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Shéol - Hadès et la mort dans la Bible Ven 15 Oct 2021, 15:31 | |
| Merci ! A toutes fins utiles, je viens d'y ajouter un renvoi (comme dirait le Pr. Burp).
Sur la question de l'"animalité" comme sur tant d'autres, le jéhovisme est une caricature naïve et grotesque de la modernité, surtout urbaine, et artificielle de part en part: c'est moins la "science" ou l'"éducation" qui lui manquent, que le contact avec la "nature" jadis accessible à n'importe quel paysan analphabète, pour ne pas voir que la sexualité, la naissance et la mort font système, chez "l'animal" comme chez "l'homme", et continuité de l'un à l'autre -- intuition élémentaire que l'anatomie moderne n'a fait que vérifier dans tous les domaines (appareils locomoteur, digestif, respiratoire, circulatoire, neuro-cérébral: nous sommes des mammifères), il n'y a que la "morale" pour l'oublier. D'où des questions stupides et néanmoins touchantes -- pourquoi "Jéhovah" aurait-il voulu, dès l'Eden et avant le "péché", la mort des animaux (impliquée autant par le "tu mourras", pour qu'il signifie quelque chose, que par les "vêtements de peau" qui supposent ledit Jéhovah, sinon boucher, du moins tanneur ou fourreur) ? Pourquoi les animaux mourraient-ils encore dans le (futur) paradis terrestre ? Et si l'on perçoit tant soit peu la "logique", physique et physiologique, de tout cela, pourquoi (diable) "l'homme" y échapperait-il ? Mais cela nous ramène aussi à la "logique" des grandes "religions", du moins de celles qui ont survécu et qui, pour n'être pas "modernes", sont cependant d'emblée essentiellement urbaines, avec tout l'artifice de pensée que cela comporte. Il ne faut pas s'étonner que seul un "paganisme", au sens du doublet "païen-paysan", y ait plus ou moins secrètement résisté tant qu'il a pu. |
| | | free
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| Sujet: Re: Shéol - Hadès et la mort dans la Bible Mer 20 Oct 2021, 10:37 | |
| Les significations du sein d'Abraham dans la théologie et la liturgie
Le sein d'Abraham n'apparaît pas dans l'Ancien Testament3. Dans le judaïsme ancien, tous les morts demeurent dans le shéol, lieu de séjour neutre et indifférencié4. Une différenciation du destin post mortem se fait jour, peu à peu, et trouve son expression dans la littérature apocalyptique tardive, en particulier dans le Livre d'Hénoch. Et, sans que l'expression «sein d'Abraham » n'apparaisse, le IV e Livre des Maccabées présente le destin des sept martyrs dans l'au-delà comme une réunion aux trois patriarches : «Après que nous aurons ainsi souffert, Abraham, Isaac et Jacob nous recevrons et tous les Pères nous louerons » (13,17).
Le Nouveau Testament s'inscrit dans la lignée de cette conception, mais donne un relief nouveau au sein d'Abraham. Les deux mentions du banquet céleste évoquent le séjour des justes dans le Royaume céleste en compagnie d'Abraham, Isaac et Jacob. C'est surtout la Parabole de Lazare et du mauvais riche qui assure le succès du sein d'Abraham (Le 16,19-31). Cet épisode offre une illustration particulièrement claire de la «logique de l'inversion », caractéristique de la conception chrétienne de l'au-delà : dans l'autre monde, le sort du juste et celui du pécheur constituent l'inversion radicale et systématique de leurs situations terrestres respectives. Tandis que l'âme de Lazare est emportée par les anges dans le sein d'Abraham («in sinum Abrahae »), le riche est précipité en enfer, où il implore en vain la miséricorde du patriarche. Très importante pour toute la réflexion chrétienne sur l'au-delà, la Parabole montre, à l'opposé du destin du pécheur dans les flammes infernales, le séjour du juste dans le sein d'Abraham, et fait du patriarche le personnage central de ce lieu. Mais la difficulté pour les exégètes tient au fait que la Parabole décrit la situation au moment où le Christ s'adresse à ses disciples, c'est-à-dire non seulement hors de toute perspective eschatologique, mais même avant la Rédemption de l'humanité par le sacrifice du Christ.
https://www.persee.fr/doc/civme_1281-704x_1996_act_3_1_897 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Shéol - Hadès et la mort dans la Bible Mer 20 Oct 2021, 12:41 | |
| Etude passionnante, quoique la délimitation de son sujet (déjà très vaste: le catholicisme médiéval) tende naturellement à réduire la complexité de ce qu'elle exclut: les représentations de l'"au-delà", où et quand il y en a, ne sont certainement pas moins diverses dans le judaïsme tardif (de la fin du Second Temple aux débuts du rabbinisme) et dans les christianismes anciens (plus ou moins "orthodoxes" ou "hérétiques"); mais la documentation à ce sujet est plus restreinte (quelques textes, principalement redécouverts à l'époque moderne, peu d'iconographie et d'épigraphie par comparaison avec la masse d'églises, de cathédrales et de tombeaux du moyen-âge européen); et surtout on ne "passerait" de l'un à l'autre que par un "goulot d'étranglement": le NT "canonisé" et ses commentaires patristiques, redéveloppés progressivement d'une part en dogme officiel, des "symboles de foi" à la "somme" scolastique, d'autre part en croyance populaire -- le sculpteur ne "croit" pas exactement comme le théologien -- dans l'ignorance quasi-totale de ce qui les précède.
Tout se mêle dans le "sein (kolpos) d'Abraham": des notions bien plus vieilles que "la Bible" et même que l'écriture, comme le culte des morts et des ancêtres qui a précédé celui des "dieux"; les sexes ou "genres", puisque le "sein" est aussi maternel que paternel: c'est la matrice qui porte et enfante autant que le giron protecteur, le pan du manteau qui sert de poche (p. ex. pour une récompense, un salaire ou une rétribution, Luc 6,38) ou d'abri, également pour l'homme qui en recouvre la femme (cf. Ruth; dans la Septante de la Genèse, c'est Hagar qui vient dans le sein d'Abraham, 18,5, eis ton kolpon comme en Luc 16). Avec les coutumes gréco-romaines, c'est aussi la place de l'ami ou du favori à un banquet, qui rejoint le plus ancien "à la droite de X" (comme dans la mise en scène de Jean 13). Dans le rôle du Père ('ab, patèr) quasi universel "Ab-raham" se confond naturellement avec "Dieu" (cf. Jean 8), d'autant que raham peut aussi évoquer le "sein", le ventre, les entrailles, la compassion ou la miséricorde, bien que ce ne soit pas le même mot hébreu (hé-heth, mais la différence se perd en transcription grecque qui ne dispose ni de l'une ni de l'autre lettre), et que kolpos traduise plutôt hyq que rhm: cf., pour le même kolpos (qui a donné "golfe" en français, et qui a un sens géographique similaire en Actes 27,39, "baie" ou "crique"), Jean 1,18; 13,23. Bref, on est dans un "lieu" de "symbolisme" quasi universel et infini, mi-ouvert mi-fermé, mais disponible à tous les "sens" qui finissent toujours par resurgir même quand ils se sont perdus en cours de route. (Ainsi la triade Abraham-Isaac-Jacob, depuis Exode 3 en passant ou non par Marc 12//, sera forcément pensée dans le christianisme en figure trinitaire.) |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Shéol - Hadès et la mort dans la Bible Lun 25 Oct 2021, 13:50 | |
| Toutefois, les textes juifs sur le feu et le soufre allégués précédemment sont insuffisants à eux seuls, dans la mesure où aucun d'eux n'associe ces éléments à un lieu de damnation spécifique, comme le fait l' Apocalypse en en faisant pour ainsi dire la matière de son enfer. Le concept manquant est fourni par un des principaux pseudépigraphes du judaïsme, I Hénoch , qui est certainement antérieur à la révélation johannique. Comme on le sait, une grande partie de cet écrit spécule sur les anges, et plus particulièrement sur la réclusion perpétuelle à laquelle certains sont condamnés après la faute que leur impute la Genèse 6,1-4 (Comparer 2 Ρ 2,4 ; Jude 6). Leur prison apparaît comme un excellent modèle de l'étang promis par l'Apocalypse au Diable et aux siens. Elle est désignée par le nom de «fournaise », de «gouffre » ou, plus vaguement, de «lieu » ; on la décrit comme un abîme incommensurable rempli d'un «feu ardent » et de «colonnes de feu » (I Hénoch 10,6.13 ; 21,7-10 ; 67,4-13 ; 90,25, si l'on s'en tient strictement à l'enfer des anges, en le distinguant de ceux des astres et des humains, au demeurant assez semblables). Mieux, il y a dans cet abîme des «fleuves de feu » et «une odeur de soufre mêlée aux eaux » ; on doit imaginer, plus précisément, que le réchauffement et le bouillonnement périodiques de ce magma souterrain se produisent chaque fois que des anges coupables y sont immergés et suppliciés (I Hénoch 67,5-7.11). Telle serait d'ailleurs la cause des solfatares, des sources thermales et de tous les phénomènes par lesquels se manifeste le chaos des profondeurs ( Comparer Jn 5,4). C'est donc cette représentation apocryphe qui, combinée aux données canoniques relatives à l'histoire de Sodome, permet de comprendre pourquoi l'auteur de Y Apocalypse a conçu la place où les puissances du mal subissent leur châtiment éternel sous la forme d'une étendue de feu et de soufre.
https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-240 ... _79_1_5542 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Shéol - Hadès et la mort dans la Bible Lun 25 Oct 2021, 15:40 | |
| Lien corrigé.
Excellente étude (en résumé, l'"étang" ou "lac" vient clairement de la mythologie grecque, que l'auteur de l'Apocalypse en soit conscient ou non -- on pourrait en dire autant de l'"Hadès", sauf que dans ce cas l'emprunt remonte à la Septante; le "feu" et le "soufre", en revanche, proviennent principalement de la tradition juive de Sodome et Gomorrhe, même s'ils sont aussi accessoirement présents dans d'autres traditions).
On pourrait rappeler ici une réflexion que nous avons souvent faite, à savoir que les "particularismes" arc-boutés contre (ce qu'ils perçoivent comme) une "menace" religieuse ou culturelle contemporaine intègrent d'autant mieux des influences étrangères plus anciennes, qui sont déjà intégrées à la "culture générale": ainsi un particularisme judéen vent debout (comme on dit) contre l'hellénisme peut mobiliser toutes les ressources du dualisme perse, qui ne menace plus personne (notamment à Qoumrân); à son tour, le particularisme (judéo-)chrétien de l'Apocalypse de Jean oublie toute réserve à l'égard de l'hellénisme quand il s'agit de lutter contre (une certaine idée de) l'empire romain et (de) son culte impérial... Comme disait quelqu'un, quand on ne veut pas se conformer au siècle présent (selon une vieille traduction de Romains 12), on se conforme d'autant plus volontiers au siècle passé. |
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