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| " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 | |
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Auteur | Message |
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free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Jeu 27 Sep 2012, 16:29 | |
| Pour le rédacteur de ce texte, l'humain serait-il un champ de bataille intérieur où la chair et l' esprit seraient en opposition ... deux "moi", un portait vers le bien, l'autre vers le mal ... deux "natures". Pourtant Gal 5,24 (" Or ceux qui appartiennent au Christ Jésus ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises. ") pose un problème, si notre chair est cricifiée, comment peut-il s'opposer à l' esprit. Pourquoi cette opposition entre la chair et l' esprit ? Cela correspond-t-il à une réalité ? Encore plus intriguant, Gal 5,17 dit : "Car la chair convoite contre l' esprit, et l' esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme, si bien que vous ne faites pas ce que vous voudriez." Que devons nous comprendre de l'expression, " si bien que vous ne faites pas ce que vous voudriez " ? Cette antagonisme supprime-t-elle notre liberté d'agir ? Pourquoi ce rejet de la chair ? Cela me rappelle l'époque où je m'efforçais d'être un homme "sprituel" et que malgré mes efforts soutenus, je constatais amèrement que je n'étais qu'un homme de chair ... je me flagellais psychologiquement pour y arriver. |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Mar 09 Oct 2012, 15:32 | |
| 3. En tout cas, ce terme n'a jamais dans le NT la connotation sexuelle qu'on lui prête parfois.
4. Il ne désigne pas non plus une "partie" du croyant: le texte grec ne dit pas "votre chair", mais "la chair"; Paul ne l'oppose donc pas à une autre "partie" du croyant qui serait son esprit (comme le faisaient les Grecs), mais à l'Esprit Saint (vv.16-17;19;22).
5. La "chair" est donc plutôt un principe qui gouverne la vie.
6. Attention! Certains exégètes chargent à tort le mot de connotations très négatives (et extrapolent: par ex. "la nature pécheresse", "la propension au mal" - s'appuyant donc non surla pensée sémitique de Paul, mais sur la pensée hellénisante qui, en opposant "chair" et "esprit", opposait "pureté" et "impureté")
. En fait, la pensée sémitique, lorsqu'elle met en balance "chair" et "esprit" oppose "terrestre" et "céleste".
Chez Paul, juif et chrétien, cette opposition est transformée par une double expérience:
- celle du péché auquel la chair nous a entraînés,
- et celle de l'Esprit Saint qui est donné aux chrétiens.
8. Ainsi, en 1Co 3,3, l'expression "σαρκικοί ἐστε, vous êtes charnels" (avec l'adjectif "σαρκικός sarkikos", directement dérivé de "σάρξ") a pour synonyme "κατὰ ἄνθρωπον περιπατεῖτε, vous marchez selon l'homme".
9. La "chair" semble donc bien désigner ce que l'homme est en Adam: par création, il est soumis au principe de justification de la Loi, avec l'obéissance pour seul moyen de ne pas tomber dans la mort (Gn 2,16-17; Rm 5,13-14), et, à cause de la chute, il est faible, livré à lui-même, pécheur.
C'est cette réalité "humaine" qui s'impose à tout homme tant que l'Esprit ne le fait pas naître à une vie nouvelle, dans le Christ, sous le régime de la grâce (voir Rm 8,1-17).
http://www.y-mailliet-le-penven.net/LA--cf-83-ce-b1-cc-81-cf-81-ce-be-CHAIR-CHEZ-SAINT.html
Voir aussi :
http://oudenologia.over-blog.com/article-la-chair-et-l-esprit-110683374.html
Narkissos :
" Reste la question de la pertinence. On n'est sans doute pas obligé de la poser de façon aussi "naïvement réaliste" que "cela correspond-il à une réalité ?" -- mais la sophistication de la formule n'y changera pas grand-chose, et, tant qu'à faire, je la prends comme elle vient et me risque à répondre: cela correspond à une réalité si et dans la mesure où on lui fait correspondre une réalité. Rien n'empêche ici et maintenant de "jouer à la chair et à l'esprit" comme d'autres "jouent au conscient et à l'inconscient"; ce n'est assurément pas le même jeu mais ce n'est pas non plus un tout autre jeu: les paradigmes opératoires sont comparables: des grilles de lecture de l'expérience, qui ne peuvent s'évaluer que par la pratique d'une expérience de lecture, Précisons tout de même que la pratique d'un tel jeu gagnera à être informée des "règles" pauliniennes, qui définissent "la chair" de façon beaucoup plus large (et plus riche) que ce que ce mot évoque en français courant (essentiellement la sexualité): la chair" c'est ça aussi, sans aucun doute, mais c'est aussi bien d'autres choses: il y a tout une dimension intellectuelle de "la chair" qui n'est pas la moins intéressante. " |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Jeu 27 Mai 2021, 12:44 | |
| Je pensais ce matin, Dieu sait pourquoi, à Romains 8,13: "... car si vous vivez ( zaô) selon la chair ( sarx), vous allez mourir ( apothnèskô); mais si par l' esprit ( pneuma) vous faites mourir ( thanatoô) les pratiques ( praxis) du corps ( sôma), vous vivrez ( zaô encore)." D'abord pour le verbe "vivre", sans adverbe ni complément dans le second cas, l'absolue simplicité de "vivre", opposée cependant à un autre "vivre", le même pourtant mais qualifié, lui, de "selon la chair". Ce qui m'a dans un premier temps rappelé un autre fil, en particulier le début, sur l'équivalence et l'antinomie paradoxales de "la vie éternelle" et de "la vie" tout court, chez "Jean" et ailleurs. Et puis en cherchant j'ai retrouvé ce fil-ci, plus ancien, auquel je n'avais répondu qu'indirectement à l'époque (cf. les liens ci-dessus), qui se prête peut-être davantage à s'étendre sur l'opposition paulinienne (au sens large) de la "chair" et de l'" esprit", quoiqu'on ait sans doute à peu près tout dit à ce propos. En articulant les deux antagonismes (mort/vie et chair/ esprit) comme le fait le texte même (de Romains 8,13), on pourrait suggérer que ce qui différencie la vie "selon la chair" de la vie "par l' esprit", bien que ce soit la même "vie" dans les deux cas, c'est un autre rapport à la "mort", qui est pourtant aussi la même: vivre en somme en ayant la mort devant OU derrière soi. |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Jeu 27 Mai 2021, 13:58 | |
| L’adoption filiale (v. 15) concerne bien la totalité de l’existence humaine, corps mortel compris (cf. v. 11 : « L’Esprit [de Dieu] donnera aussi la vie à vos corps mortels »). Le croyant est ainsi au bénéfice d’une puissance résurrectionnelle qui opère une ouverture dans l’univers clos d’un corps, certes toujours voué à la mort mais à qui est promise une vie qui dépasse la simple existence biologique : « Car si vous vivez de façon charnelle (lit. « selon la chair »), vous mourrez ; mais si, par l’Esprit, vous faites mourir votre comportement charnel, vous vivrez » (v.13). Pour le croyant qui prend au sérieux la proclamation paulinienne, la conséquence est que son existence corporelle, n’est plus marquée du sceau de la négativité (la « chair » en tant qu’expérience de la puissance du péché). À aucun moment, donc, il ne s’agit de fuir la dimension corporelle de la condition croyante : une telle attitude serait la négation même de l’incarnation du Fils de Dieu ! https://journals.openedition.org/cerri/1255#tocto2n6 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Jeu 27 Mai 2021, 14:50 | |
| La tentation avec une pensée ostensiblement structurée comme celle de "Paul" et surtout de l'épître aux Romains, c'est de la rendre encore plus cohérente qu'elle n'est -- Cuvillier voit bien ce défaut chez saint Augustin, Luther ou Barth, mais pas chez lui: s'il traduit "pratiques du corps" ( praxeis tou sômatos) par "comportement charnel" (comme s'il s'agissait de sarx, cf. "de façon charnelle" pour kata sarka), il rend l'opposition entre "chair" ( sarx, supposé[e] "mauvais[e]") et "corps" ( sôma, supposé "bon") plus schématique et systématique qu'elle ne l'est dans le texte (du moins le texte le plus ancien et habituellement reçu, car certains manuscrits grecs, comme le Codex de Bèze, font déjà la même chose, ils remplacent sôma par sarx). Bref, on n'"explique Paul" qu'en se faisant plus "paulinien" que lui, mais chacun à sa manière... La distinction de la "chair" et du "corps" (qui comme une bonne partie de l'argumentation paulinienne dépend du grec et serait quasiment intraduisible en hébreu ou en araméen) favorise un certain "jeu" rhétorique et myst(ér)ique, un "tour de passe-passe" qui implique beaucoup d'autres éléments: le croyant s'associe à la mort du Christ dans le baptême et l'eucharistie, il y anticipe sa propre mort, du coup il peut estimer vivre de la vie de l' esprit ou du Christ ressuscité au-delà de la mort; cela ne peut cependant avoir lieu que dans un "corps charnel", à condition que celui-ci ne soit pas que "charnel"; mais il n'est pas non plus qu'individuel puisque le corps du Christ ressuscité c'est aussi l'Eglise. Cela fonctionne jusqu'à un certain point dans et par la langue grecque qui a deux mots différents pour "chair" et "corps", sarx et sôma, ce qui rend possible cet usage spécifiquement "chrétien" et "liturgique", mais cela n'est aussi pensable que jusqu'à un certain point: dans la mesure même où on "joue le jeu" de la langue religieuse, qui est aussi un "jeu existentiel" ou "ascétique": faire le mort pour faire le ressuscité, faire comme si on était déjà mort et ressuscité, "faire mourir" (crucifier, etc.) quelque chose de "soi" ou de son "corps" (la "chair", le "péché", le "désir", etc.) sans mourir tout à fait, faire passer en somme et en partie la "mort" de "devant" à "derrière" "soi"; mais cela se joue toujours dans l'horizon d'une "réalité" où la "chair" et le "corps" demeurent indissociables, et où la mort reste à venir... (cf. aussi ici). A propos des "pratiques" ( praxis, praxeis, bien connu naguère par le jargon marxiste, entre autres), on peut noter que le mot revient en 12,4 sans aucune connotation péjorative, pour dire que tous les membres ou parties du corps ( sôma encore) n'ont pas la même praxis, ce qu'on traduit généralement par "fonction". Par contre on le retrouvera en Colossiens 3,9 en mauvaise part, associé non plus au "corps" ni à la "chair" mais à "l'homme ancien" dont le croyant est censé s'être "dépouillé" pour revêtir "l'homme nouveau" -- autre antagonisme, mais de fonction analogue. Il y a par ailleurs un certain contresens à parler d'"incarnation" (de caro, carnis comme équivalent de sarx, la "chair") au sujet du paulinisme, et d'autant plus qu'on systématise les oppositions entre la "chair" et l'" esprit" d'une part et "le corps" d'autre part: il vaudrait mieux parler d'"incorporation", non seulement pour l'étymologie ( corpus, corporis <=> sôma), mais parce que le "corps" paulinien est avant tout pensé comme l'unité du multiple, non par opposition à un quelconque "incorporel" (céleste, divin, spirituel). Contrairement à ce que le Prologue de Jean dit du logos, Paul ne dit jamais que le Fils de Dieu "devient chair", il n'en a que la ressemblance (Romains 8,3). |
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Ven 28 Mai 2021, 10:58 | |
| Ce que tu sèmes ne reprend pas vie, s’il ne meurt. Et ce que tu sèmes, ce n’est pas le corps à venir, mais un grain tout nu, […] ou quelque autre semence ; et Dieu lui donne un corps (sôma) à son gré […].
On voit donc que ce n’est pas la vie organique à elle seule, en tant que fait naturel objectif, qui fait la différence entre ce qui est corps (l’astre, ou la plante développée) et ce qui est chair (l’animal, l’homme) puisque l’organisme de la plante, alors même qu’elle a pris vie et se développe, n’est pas désigné comme « chair », mais bien comme « corps ». La différence réside bien plutôt dans le fait du rapport à soi du vivant considéré : ce qui justifie ici, dans le texte de Paul, le changement de registre et l’emploi du terme de « chair », c’est bien la présence de la vie, mais à condition qu’elle soit envisagée du point de vue même du vivant qui l’éprouve : comme vie animale — non pas seulement biologique — c’est-à-dire comme vie éprouvée par le vivant, comme vie dans la sensation de soi.
Voilà qui donne bien raison à l’approche immanente de Michel Henry. C’est aussi, du reste, en vertu de cette référence fondamentale à l’épreuve sensible de la vitalité subjective propre que « chair » désigne, plus spécialement, le corps engagé dans l’union sexuelle. Paul cite par exemple15 la Genèse, ii, 24, où on lit :
C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère, et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair (« Sept. : sarx – Vulg. : caro). »
D’un membre de la communauté de Corinthe, qui vivait avec la seconde femme de son père, il écrit :
Il faut […] que cet individu soit livré à Satan, pour la perte de sa chair, afin que l’esprit soit sauvé au jour du Seigneur.
Et de même, dans la première épître aux Corinthiens16, au sujet du célibat et de la vie conjugale :
Es-tu lié à une femme ? Ne cherche pas à rompre. N’es-tu pas lié à une femme ? Ne cherche pas de femme. Si cependant tu te maries, tu ne pèches pas ; et si la jeune fille se marie, elle ne pèche pas. Mais ceux-là connaîtront des épreuves (thlipsin – θλιψιν) en leur chair (tê sarki), et moi, je voudrais vous les épargner.
C’est en raison de ce lien étroit avec la sexualité que « chair » désigne également — et ce dans tout le lexique biblique — le principe de la génération et de l’hérédité : Que dirons-nous donc d’Abraham, notre ancêtre selon la chair ?
ou bien encore :
[…] je souhaiterais d’être moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes frères, ceux de ma race selon la chair […] et de qui le Christ est issu selon la chair […]. https://journals.openedition.org/noesis/1293 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Ven 28 Mai 2021, 13:52 | |
| Article certainement utile en son temps, de nature à tempérer l'enthousiasme de certains théologiens chrétiens pour la philosophie de Michel Henry (nous en avons déjà parlé ailleurs, je ne sais plus où), mais un peu décevant du point de vue exégétique, parce qu'il ignore les différences internes au corpus paulinien d'une part et johannique d'autre part. - C'est pour une théologie nettement postérieure au NT, et fort peu "johannique", que l'énoncé de Jean 1,14 va devenir "central"; il ne l'est pas du tout pour le corps (!) du quatrième évangile qui ne se réfère jamais au Prologue -- Prologue qui, pour rappel, est probablement un ajout tardif à l'évangile, dans sa forme définitive (avec l'ajout dans l'ajout de 1,1c) à peu près contemporain du chapitre 20 avec lequel il fait "inclusion" (le logos était Dieu // mon Seigneur et mon Dieu); la première "conclusion" apparaît au chapitre 12, et même les mentions positives de la "chair" au chapitre 6, qui sont de toute évidence aussi des additions, ne semblent pas faire référence au Prologue, ni au logos ni à son "devenir-chair" ("chair" destinée à faire voir sa gloire et non à être "mangée"). - Quant au "corpus paulinien", son appareil lexical et conceptuel change considérablement de la correspondance corinthienne aux deutéro-pauliniennes (Colossiens-Ephésiens) ou a fortiori aux Pastorales (Timothée-Tite): l'opposition "chair-esprit" est surtout construite et décisive (pour ne pas dire "systématique" et "centrale") dans les épîtres aux Romains et aux Galates. Dans la Première aux Corinthiens, en particulier dans les passages "théoriques" des chapitres 2 et 15, l'"esprit" et le "spirituel" (pneuma, pneumatikos) s'opposaient davantage à l'"âme" ou à l'"animal" au sens étymologique (psukhè, psukhikos, d'où psyché, psychique, anima, animale en latin) qu'à la "chair" (sarx). C'est cet antagonisme-là qui va être en partie "relevé" (dépassé-intégré, comme dans l'Aufhebung hegelienne) dans l'antithèse "chair-esprit" de Romains et Galates, avant que celle-ci s'efface à son tour en partie devant d'autres -- p. ex. "homme ancien / nouveau" dans les deutéro-pauliniennes. Comme toujours on ne "systématise" qu'en "synchronisant", c'est-à-dire en faisant comme si une "pensée" ou un "corpus" était un paysage immobile plutôt qu'un processus ou une histoire en devenir multilinéaire -- dont peu importe dès lors qu'il soit le fait d'une seul "auteur" ou de plusieurs.
Il faut aussi remarquer que l'ensemble de ce vocabulaire dit "anthropologique", par-delà ses distinctions et oppositions internes, est traversé ou transi par une ambiguïté plus profonde, celle de l'"individuel" et du "collectif": "l'esprit", "la chair", "le corps", "l'âme", et même "l'homme" (anthrôpos), tout cela peut à chaque fois s'entendre d'un seul "individu" ou d'un ensemble, "communauté", "espèce" ou "genre". C'est particulièrement vrai sur le fond "biblico-sémitique" (y compris dans le grec de la Septante) où la "chair" (basar-sarx), l'"esprit" (rouah-pneuma) et l'"âme" (nephesh-psukhè) sont indifféremment humains ou animaux, et où la "chair" est aussi "collective" que l'"esprit" (cf. kol-basar / pasa sarx, "toute chair") -- l'"âme" étant a priori plus individuelle, mais aussi bien divine (Yahvé peut dire "mon âme") qu'humaine ou animale. Avec le "corps" grec (sôma, sans véritable équivalent hébreu), le paulinisme introduit un autre type de jeu entre l'individuel et le collectif, qui passe par une différenciation des "membres" (parties, organes) et des "fonctions" pour aboutir à une totalisation différenciée, "organique" (chaque corps individuel étant membre, partie ou organe du corps collectif, ce qui diffère au moins formellement de la totalité indistincte de "la chair" ou de "l'esprit"). Tout aussi importante est la double figure d'"Adam" ('adam = "homme" générique, individuel et collectif en hébreu comme anthrôpos en grec, mais aussi individualisé et sexué comme nom propre: "Adam", individu mâle), qui apparaît dès 1 Corinthiens 15 (Adam premier et dernier) dans un contexte "eschatologique" (la résurrection future des corps) et revient en Romains 5 dans un contexte "christologique" beaucoup plus large (Adam / Christ comme deux modèles d'"humanité" alternatifs et transhistoriques, non plus seulement comme un passage de l'un à l'autre à la fin de l'histoire); et encore sous la forme de l'"homme (anthrôpos) ancien/nouveau" dans les deutéro-pauliniennes. Dans la fameuse formule de 1 Corinthiens 5,5 (pour nous inséparable de ses lointaines et sinistres répliques inquisitoriales) qui oppose la "chair" à "détruire" et l'"esprit" à "sauver", ni l'une ni l'autre ne sont déterminés comme "individuels" ou "collectifs": on peut aussi bien comprendre que c'est la "chair" du particulier qui est détruite au bénéfice de l'"esprit" de la communauté, ou de son "esprit" à lui, ou encore la "chair" de l'ensemble détruite par l'ablation d'un "membre"... Hésitation peut-être plus profonde et moins facile à "trancher" que celle des distinctions entre "chair" et "esprit" (etc.).
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Pour revenir à Romains 8, qui n'est pas le texte initial de ce fil (Galates 5) mais celui par lequel je l'ai relancé hier, on peut rappeler qu'avant la référence aux "pratiques" (praxis, praxeis, v. 13) de la "chair" celle-ci est définie, comme l'"esprit" d'ailleurs, par un vocabulaire beaucoup moins "pratique" et plus "intellectuel" ou "mental", voire "affectif" ou "psychologique": phroneô, phronèma (cf. aussi v. 27; 12,3.16; 14,6; 15,5) qui est d'ailleurs assez difficile à traduire parce qu'il y va de quelque chose entre la "pensée" et le "désir" (ce dernier terme correspondant plutôt à epithumeô, epithumia, 1,24; 6,12; 7,7s; 13,9.14; Galates 5,16s.24), d'une "attitude" ou d'une "tendance" associés par ailleurs aussi bien à un "marcher" traditionnellement "comportemental" qu'à un "être" plus... "essentiel" (v. 4ss): "... pour que la justice-jugement de la loi soit accomplie-remplie en nous qui marchons non selon la chair, mais selon l'esprit. Car ceux qui sont selon la chair *pensent/tendent* les/aux choses de la chair, ceux selon l'esprit (à) celles de l'esprit. Car la *pensée/tendance* de la chair, c'est la mort, la *pensée/tendance* de l'esprit, la vie et la paix. Car la *pensée/tendance* de la chair est ennemie de dieu, elle ne se soumet pas à la loi du dieu, elle ne le peut même pas. Ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire au dieu." Noter aussi qu'aux v. 10s c'est le "corps" (sôma) et pas seulement la "chair" (sarx) qui doit passer par la "mort" (cf. 7,4.24 etc.).
Un aspect hautement paradoxal de la chose, dans le corpus paulinien et dans le NT en général, c'est que "la chair" se présente comme une certaine "puissance", une puissance "effective" qui produit des "effets" (et qui de ce point de vue se confond partiellement avec "le péché", "la mort", "la loi" ou "le désir" dans la rhétorique paulinienne ou anti-paulinienne, p. ex. Jacques), alors qu'elle est aussi régulièrement associée à ce qui s'entend d'ordinaire comme le contraire de la "puissance", à savoir la "faiblesse" (astheneia etc., d'où asthénie, neurasthénie etc.; dans le NT déjà l'emploi de cette famille de termes est surtout médical, en particulier dans les évangiles et les Actes: "maladies", "infirmités" dans les récits de miracle) -- à telle enseigne qu'il a été de mode, aux grandes heures de l'"équivalence dynamique", de traduire "chair" par "faiblesse", ce qui semblait fonctionner par endroits mais aboutissait aussi à des contresens caractérisés. Cf. le logion quasi proverbial de Marc 14,38 // Matthieu 26,41 ("l'esprit est ardent mais la chair est faible", avec cet effet curieux qu'une "faiblesse" paraît l'emporter sur une "force", dont nous avons sûrement déjà parlé quelque part), mais aussi Romains 6,19; 8,3; Galates 4,13. On se souviendra qu'en 1 Corinthiens le paradoxe d'une "faiblesse plus forte que la puissance" joue un rôle de premier plan, aux côtés d'une "folie-bêtise plus sage que la sagesse", mais sans référence à la "chair". |
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Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Lun 31 Mai 2021, 18:53 | |
| 2. Conflit de Rm 7,7-26; c) solution du conflit
Le conflit sera résolu quand viendra l'Esprit: alors, dira saint Paul, « il n'y a maintenant plus aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ. Car la loi de l'Esprit qui donne la vie en Jésus-Christ m'a libéré de la loi du péché et de la mort» (Rm 8,1-2). Que s'est-il donc passé? Une nouvelle puissance s'est introduite dans l'homme. Une nouvelle présence personnelle du Dieu qui, précédemment, avait formulé l'interdit de la loi. Cette puissance, cette nouvelle venue porte le nom d'ESPRIT. Elle introduit en l'homme un nouveau rapport à Dieu, un nouveau désir (Rm 8,6.27) qui remplace le désir dynamique de la chair qui prévalait dans l'étape de la vie impersonnelle, non qualifiée, antérieure à la venue de la loi. L'Esprit est plus qu'une connaissance; il est une puissance dont l'intervention obtient deux résultats distincts. D'une part, l'Esprit rend l'homme capable de vivre selon les désirs de l'Esprit, substantiellement identiques à ceux qu'exprimait la loi: une volonté sentie jusque-là comme un interdit limitatif s'est transformée en volonté personnelle de l'homme, aussi intérieure à lui-même que l'Esprit qui est venu en lui; l'interdit hétéronome est devenu désir et amour profond issu de l'intérieur de l'homme. D'autre part, l'Esprit fait découvrir Dieu non seulement comme auteur de la loi, mais comme Père; il n'est plus source d'interdit, mais de vie. L'homme investi par l'Esprit - et non plus par la chair - s'identifie au Dieu Père; il reçoit de lui son identité de fils. Tout conflit est résolu dans l'épanouissement de l'amour filial. Paul le proclame: ,,(Vous avez reçu) un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions: Abba, Père. Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu» (Rm 8,15-16). https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1980-v36-n2-ltp3391/705791ar.pdf
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Lun 31 Mai 2021, 21:35 | |
| Romains 7 a de quoi fasciner le psychanalyste comme le philosophe, en particulier "dialecticien" (de ce point de vue et malgré ce qui les oppose, Kierkegaard et Hegel doivent tout à Luther et donc à "Paul"); mais sa principale difficulté, qui est peut-être aussi son principal intérêt, c'est qu'on ne sait pas (de) qu(o)i (on) parle, qui est en plus d'un sens le "sujet", alors même que celui-ci signe et s'assigne ostensiblement en s'énonçant à la première personne ( je, moi): on peut le lire en effet comme une autobiographie de l'auteur individuel (Paul), qui se raconterait depuis son enfance en passant par son éducation "juive" ou "pharisienne" et sa conversion "chrétienne", mais aussi comme une autobiographie de l'humanité tout entière, d'un "homme" générique ou d'un "Adam" coextensif à l'histoire qui se transformerait en Christ en passant successivement par l'innocence, la loi, la culpabilité et la rédemption de l' esprit, ou encore comme une typologie transtemporelle valant en principe pour n'importe quel individu ou société passant par des "stades" similaires. Mais le problème majeur, presque autant pour le théologien que pour les autres, c'est que le "point d'arrivée" n'en est pas un, ou plutôt qu'on n'y arrive jamais: l'" esprit" n'est pas un "stade" ultime ou un "état" final comparable à la "synthèse" du mouvement dialectique, au résultat présumé de la "cure" psychanalytique, à la guérison ou à la santé, à l'aboutissement d'une croissance, d'une évolution ou d'une histoire enfin stabilisées dans un état définitif et constatable comme tel. Tout le chapitre suivant montre au contraire que l'expérience chrétienne de "l' esprit" n'est que prémices ou promesse, autrement dit espérance, balbutiement en attente d'un accomplissement à l'échelle de l'univers. La "solution" est déjà entrevue, ici et maintenant, mais comme un horizon eschatologique d'autant plus inaccessible qu'il ne s'agit plus d'une "fin du monde" survenant à celui-ci de l'extérieur, mais d'une transfiguration du monde même à laquelle on peut croire, à la condition paradoxale de ne pas la voir venir. |
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Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Mar 01 Juin 2021, 10:22 | |
| 3.2. Le corps, lieu de conflit
Vivre «selon la chair» a chez Paul un corollaire antithétique : vivre «selon l’Esprit». Je lis Romains 8,5‑8 (je traduis littéralement, car le texte est difficile) : Ceux qui sont selon la chair pensent aux choses de la chair ; mais ceux qui sont selon l’Esprit, aux choses de l’Esprit. Car les pensées de la chair, c’est la mort ; mais les pensées de l’Esprit, c’est la vie et la paix. 7C’est pourquoi les pensées de la chair sont hostiles à Dieu, car elles ne se soumettent pas à la Loi de Dieu ; elles ne le peuvent même pas. 8Ceux qui sont dans la chair ne peuvent donc plaire à Dieu.
Les vocables que j’ai traduits par «penser/pensée» (φρονεῖν, φρόνημα) renvoient autant à une activité réflexive qu’à une orientation, une visée, une aspiration à quelque chose27. Par «les pensées de la chair», il faut donc comprendre : ce vers quoi tend la chair, ce vers quoi elle s’oriente. De plus, «être selon la chair (ou l’Esprit)» n’est pas à saisir au sens ontologique, mais existentiel : vivre selon, se conformer à. Au κατὰ σαρκά s’oppose donc symétriquement un κατὰ πνεῦμα. La préposition, avec l’accusatif, renvoie à une instance normative ou possessive : suivant, selon. Quel sens donner à πνεῦμα ? S’agit‑il de l’esprit humain ou de l’Esprit divin ? Dans le contexte, le sens théologique est recommandé par le v. 2 qui oppose la «loi de L’Esprit qui donne la vie en Jésus Christ» à «la loi du péché et de la mort». Par ailleurs, l’antithèse σάρξ/πνεῦμα a été posée par Paul antérieurement, en Galates 5,19‑26, et πνεῦμα y a un sens théologique. Cela dit, le terme conserve une potentielle ambivalence, car c’est par son esprit (πνεῦμα anthropologique) que l’humain est sensible aux impulsions de l’Esprit divin (πνεῦμα théologique). L’Esprit qui dispute à la chair la gouvernance de l’homme est l’Esprit de Dieu, mais c’est par son esprit que l’homme accueille et valide l’orientation de l’Esprit divin. On peut le dire autrement : le πνεῦμα est la sphère d’influence de Dieu dans le monde, à laquelle l’homme est sensible et à laquelle il s’affilie par son πνεῦμα.
Il apparaît donc qu’une antithèse configure «le devenir possible de l’homme : la chair, comme condition de mortel et puissance désirante conduisant à la mort ; et l’esprit, en tant qu’esprit de Dieu, qui porte vers la vie et institue en l’homme la condition de vivant»28. La dramatique de la condition humaine est donc placée par Paul sous le signe d’une alternative entre deux pouvoirs en concurrence, la chair et l’Esprit, deux pouvoirs qui se disputent le corps de l’homme. https://people.unil.ch/danielmarguerat/files/2011/04/Marguerat-Dualisme.pdf |
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Mar 01 Juin 2021, 11:22 | |
| Sur Romains 8,5ss, cf. supra mon post du 28.5.2021, § 3.
Le principal problème à mon sens de la "méthode" de Marguerat et de la "théologie biblique" en général, c'est qu'elle présuppose toujours trop, qu'elle reste prisonnière de catégories dogmatiques et catéchétiques "orthodoxes" postérieures au NT, à commencer par l'antinomie absolue entre "Dieu" et "la création" héritée des débats "gnostico-marcionites" du IIe siècle. Si "l'homme" est simple "créature" dans ce sens exclusif, s'il n'y a a priori rien de "divin" en "l'homme", alors il faut distinguer absolument entre "théologie" et "anthropologie", quitte à devoir les rassembler un peu plus loin, dès qu'il sera question de "christologie", de "sotériologie" ou d'"ecclésiologie", autrement dit d'une "religion" où il faut bien penser ensemble "Dieu" et "l'homme". De ce point de vue, quand l'exégète trouve le mot "esprit" tantôt rapporté à "Dieu" et tantôt à "l'homme", il y voit une alternative, qu'il impose au texte (eiségèse) plutôt qu'il ne l'en dégage (exégèse): pour lui c'est l'un OU l'autre, alors que dans le texte ça peut parfaitement être l'un ET l'autre, le "divin en l'homme" répondant spontanément au "divin" tout court... (soit la lecture "gnostique" répudiée ou forclose par le christianisme officiel depuis la fin du IIe siècle, mais sans laquelle une bonne partie des textes du NT deviennent illisibles, ou lisibles seulement à condition de les rendre infiniment plus compliqués et tordus qu'ils ne sont). |
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Mar 01 Juin 2021, 12:26 | |
| "livre un tel homme au Satan pour la destruction de la chair, afin que l'esprit soit sauvé au jour du Seigneur !" (1 Cor 5,5
Ce texte a déjà été analysé par Narkissos (Je ne retrouve pas le Fil), il souligne la nécessité de la destruction de la "chair" afin que l'"esprit" soit sauvé. En quoi le fait que ce pécheur soit livré à Satan contribue-t-il à la "destruction de la chair" ? Que signifie la "destruction de la chair" : la disparition d'une inclination ou d'une tendance ? |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Mar 01 Juin 2021, 14:40 | |
| Voir peut-être ce fil-ci, où ce texte est revenu à plusieurs reprises. Comme je l'ai dit plus haut (28.5.2021, § 2 vers la fin), la lecture me semble totalement ouverte à toutes les hypothèses (mort réelle ou symbolique de la "chair" du pécheur individuel au bénéfice d'un " esprit" qui est aussi bien le sien que celui de la communauté, etc.), et je crois qu'il ne faut pas en exclure trop hâtivement (pour la seule raison que c'est moralement désagréable) celle de la mort "réelle" (physique, etc.) du "pécheur", par l'effet "automatique" ou "magique" voire "judiciairement exécutoire" d'un jugement de l'"apôtre" et/ou de l'"Eglise". Que la "peine de mort" fasse partie à divers titres de l'horizon de pensée du christianisme primitif, cela ressort aussi bien de ce qui est dit au chapitre 11 à propos du "repas du Seigneur" pris "indignement" que de l'épisode d'Ananias et Sapphira dans les Actes, p. ex. |
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Mar 01 Juin 2021, 15:11 | |
| "Ce que je dis, mes frères, c'est que la chair et le sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu ... " (1 Co 15,50)
La "chair" ne peut hériter du royaume mais un corps transformé est apte au royaume, ce corps transformé n'est plus fait de "chair" (faible et corruptible) ... c'est un corps spirituel, seul le corps psychique est constitué de "chair" (?). 1 Co 15, 39-41, les "chairs" sont hiérarchisées (de l'humain au poisson) :
"Toute chair n'est pas la même chair ; mais autre est celle des humains, autre la chair des animaux, autre la chair des oiseaux, autre celle des poissons. Il y a aussi des corps célestes et des corps terrestres ; mais autre est la gloire des corps célestes, autre celle des corps terrestres. Autre est la gloire du soleil, autre la gloire de la lune, et autre la gloire des étoiles ; même une étoile diffère en gloire d'une autre étoile" (15,39-41). |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Mar 01 Juin 2021, 22:58 | |
| Passage très intéressant en effet, qui montre que la "chair" n'est pas encore conçue, dans 1 Corinthiens 15, selon le schème dualiste de Romains-Galates, "chair" vs. "esprit" avec le "corps" comme terme "neutre": la "chair" est plutôt une sous-catégorie du "corps", caractéristique d'un certain type de "corps" (les corps "terrestres"); de même il y a une parenté évidente entre les "corps astraux" (soleil, lune, étoiles) et les "corps spirituels" et "célestes" promis aux "ressuscités" ou aux "changés", qui peut se réclamer de toute une tradition juive (tardive) et chrétienne (cf. Daniel 12, les justes comme des étoiles, ou Matthieu 13, comme le soleil). Mais il ne faut pas perdre de vue que toute cette taxonomie des "chairs" et des "corps", différenciée de part en part (aussi bien entre les différents types de "chairs" que de "corps"), va être totalement oubliée ou abandonnée dans le reste du corpus paulinien, sans parler de la dogmatique chrétienne ultérieure. Déjà dans 1 Corinthiens elle est en forte tension logique avec le chapitre 12, où le "corps spirituel" n'existe qu'au singulier, c'est le Christ ressuscité dans l'Eglise qui forme le seul "corps", dont les "corps" individuels ne sont que "membres", "organes" ou "parties". |
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Mer 02 Juin 2021, 10:06 | |
| "Quant à moi, mes frères, ce n'est pas comme à des êtres spirituels que j'ai pu vous parler, mais comme à des êtres charnels, comme à des tout-petits dans le Christ. Je vous ai donné du lait ; non pas de la nourriture solide, car vous n'auriez pas pu la supporter ; d'ailleurs, maintenant même vous ne le pourriez pas, parce que vous êtes encore charnels. En effet, pour autant qu'il y a parmi vous des passions jalouses et des disputes, n'êtes-vous pas charnels ? Ne vous comportez-vous pas d'une manière tout humaine ? Quand l'un dit : « Moi, j'appartiens à Paul ! » et un autre : « Moi, à Apollos ! », êtes-vous autre chose que des humains ?" (1 Co 3,1-4)
Le "charnel" est assimilé à un comportement humain, infantile qui manque de maturité qui engendre "des passions jalouses et des disputes". Il est étonnant que Paul puisse affirmer "êtes-vous autre chose que des humains" ... Pour Paul les croyants sont-ils autre chose que des "humains" ? Les voient-ils déjà "transformés" en "spirituel" ? Il a un décalage à demander à des humains charnels (par définition) d'être des "esprits". |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Mer 02 Juin 2021, 11:21 | |
| L'adjectif "charnel" traduit deux termes grecs apparentés ( sarkikos et sarkinos, de sarx-sarkos = "chair") entre lesquels la tradition textuelle hésite -- les éditions critiques récentes, comme Nestle-Aland, retiennent sarkinos au v. 1, comme en 2 Corinthiens 3,3 et Romains 7,14 (même hésitation textuelle dans ce dernier cas), et sarkikos au v. 3, comme en 9,11; 2 Corinthiens 1,12; 10,4; Romains 15,27; certaines variantes reprennent en outre sarkikos au v. 4, en plus ou à la place d'"humains" ( anthrôpoi). On en déduit souvent une nuance de connotation, sinon de "sens" ou de dénotation: sarkinos serait un peu moins "péjoratif" que sarkikos. Il faut surtout se rappeler que "l' esprit" de référence dans la majeure partie de 1 Corinthiens (le chapitre 15 étant à mon sens un texte à part) est "charismatique" (cf. aussi ici). Opposer les rivalités et les conflits d'"écoles chrétiennes" (cf. 1,10s) à l'" esprit", c'est pour "Paul" les opposer à l'"idéal" de ses destinataires, tout en tirant cet idéal dans un sens qui n'est pas vraiment le leur, à savoir celui de l'unité l'emportant sur la diversité dans l'unique "corps" du Christ (chap. 12 et 14, ou 12--14 selon qu'on considère que le chapitre 13 fait ou non partie de cet ensemble). Toujours est-il que ce texte (3,1ss) établit bien une sorte d'équivalence entre "être charnel" (sous l'une ou l'autre forme en grec) et "être humain" (v. 4, "n'êtes vous pas des hommes ?"), et que dans les deux cas ce n'est pas un compliment. Mais cette ambivalence profonde de l'"humain" (une qualité et un défaut) n'est ni spécifiquement "paulinienne", ni "chrétienne", ni "juive": dans la Bible comme dans l'ensemble de la littérature "humaine", ancienne ou moderne, on parle aussi négativement de l'"humain" (de l'humain trop humain, comme dirait Nietzsche, menschliches allzumenschliches), de ce que font et sont "les hommes", "les gens", etc., comme si à chaque fois celui qui le dit n'en était pas, ou ne l'était pas seulement. Tout compte fait le "propre de l'homme" est aussi de se dissocier de "l'homme", ce qu'oublie un certain "humanisme" qui s'enlise dans sa tautologie jusqu'au fond sans fond de la télé-réalité et des réseaux sociaux (les gens parlent des gens). |
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Ven 11 Juin 2021, 11:23 | |
| Chair de l'esprit et esprit de la chair chez Hegel, Schelling et Husserl
Qu'est-ce donc que «ce devenir-homme de l'essence divine»? Hegel en marque le point de départ dans la religion de l'art, donc le moment de la religion qui précède la religion manifeste, et en retrace le mouvement très général comme étant celui du devenir-sujet de la substance ou de l'intériorisation de l'extériorité dans la conscience de soi. En ce sens, la Menschwerdung est une nouvelle figuration architectonique du passage de l'être à l'essence dans «La Doctrine de l'Essence» c'est-à-dire, parallèlement, de la substance au sujet dans «La Doctrine du Concept», ou encore, à un niveau plus global d'articulation, de la «Logique objective à la Logique subjective». «Parfaite aliénation de la substance», l'essence divine s'incarne en un soi-même subjectif singulier. Aliénation et incarnation sont donc structurellement synonymes, au titre d'un commun devenir-autre qui est le devenir-homme de l'essence divine. L'esprit incarné, c'est donc l'esprit effectif, concret et singulier, mais c'est aussi l'esprit altéré ou aliéné, rendu étranger à lui-même dans la négativité de lui-même: ces deux inflexions sont contemporaines, et lient le destin de l'incarnation à celui du moteur de la dialectique.
Singularisation et finitisation, l'incarnation est également devenir-sensible : «[...] le fait que l'esprit absolu se soit donné à même soi la figure de la conscience et par là même aussi pour sa conscience, apparaît maintenant comme ceci que ce en quoi le monde croit, c'est que l'esprit existe, qu'il est là comme une conscience de soi, c'est-à-dire comme un être humain effectif, qu'il est pour la certitude immédiate, que la conscience croyante voit et touche et entend cette divinité»; «Cet homme singulier, donc, en l'espèce de qui l'essence absolue est manifeste, accomplit chez lui-même en tant qu'individualité singulière le mouvement de l'être sensible.» Il y a par l'incarnation une sensation effective de Dieu, une présence sensible effective et immédiate, tangible et palpable, située à l'écart de toute mystique éthérée et, a fortiori, de toute gnose acosmique, et qu'un Urs von Balthasar pourra reprendre à son compte dans sa «théorie des sens spirituels» ou de la chair sensible de Dieu: «ce dieu est immédiatement regardé de manière sensible comme Soi-même, comme un être humain singulier effectif [,..].» A la sensation effective du divin dans sa chair palpable, phénoménale, Hegel oppose ce qui relève de Y Einbildungskraft comme de l'abstraction ou de la pure pensée. https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1996_num_94_1_6972 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Ven 11 Juin 2021, 13:59 | |
| Article très intéressant, à la condition (sine qua non) d'avoir au moins un peu lu les auteurs en question (ce que je n'ai moi-même fait que très tardivement et partiellement: Schelling et Hegel depuis seulement deux ou trois ans, Husserl et Merleau-Ponty beaucoup trop peu).
A défaut, on en retiendra l'idée vague, mais essentielle, que la "théologie" et la "philosophie" parlent bien de la même chose et qu'elles n'ont jamais cessé de s'"inspirer" mutuellement, en dépit de leurs différences de "méthode(s)" et de leurs dénégations à ce sujet.
En ce qui concerne "l'esprit et la chair" (et/ou le "corps": la différence grecque entre sarx et sôma, dont on a déjà vu qu'elle était intraduisible en hébreu, se complique encore en allemand avec Fleisch, Leib et Körper), il est au moins clair que les oppositions ne jouent qu'en fonction d'une corrélation, que les mots et les concepts sont de fait inséparables, ils ne sont pas pensables les uns sans les autres, ils ne fonctionnent qu'en se renvoyant les uns aux autres: il n'y a d'"esprit" que d'une "chair" ou d'un "corps", il n'y a de "chair" ou de "corps" que d'un "esprit" (ou d'une "âme", ou d'un "sujet"). Même le plus strict "monisme" qui nie toute dualité ou multiplicité ne pose son "identité" qu'à partir de concepts analytiques distincts.
Cela me rappelle accessoirement une formule hébraïque qui semble très ancienne, et qui m'a toujours marqué au-delà des "sens" que j'ai pu successivement y entendre (Nombres 16,22; 27,16, appellation d'El et de Yahvé respectivement): 'l/Yhwh 'lhy h-rwht l-kl-bsr, "dieu des esprits de (ou pour) toute chair"; que déjà la Septante modifie presque imperceptiblement, en traduisant "dieu des esprits ET de toute chair", comme si l'on pouvait (ou devait) séparer ce que la formule, précisément, réunit. |
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Mar 15 Juin 2021, 10:26 | |
| "car vous avez été achetés à un prix. Glorifiez donc Dieu dans votre corps" (1 Cor 6,20).
"nous portons toujours avec nous, dans notre corps, la mort de Jésus, pour que la vie de Jésus aussi se manifeste dans notre corps" (2 Co 4,10).
S'il paraît nouveau de parler du corps comme lieu de l'expérience de Dieu, et d'abord dans cette catégorie bien contemporaine d'expérience, le christianisme a toujours considéré le corps comme déterminant pour la relation avec Dieu. Rappelons-en quelques exemples : les expériences et les exhortations pauliniennes à glorifier Dieu dans notre corps (I Co 6,20; Ph 1,20), à y porter l'agonie de Jésus et à y manifester sa vie (2 Co 4,10), à offrir nos corps en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu (Rm 12,1); la foi à la résurrection de la chair; la conception des sacrements comme signes et voies sensibles de la grâce et du salut; le rôle que les exercices spirituels de saint Dominique et de saint Ignace accordaient au corps non seulement dans l'expression mais dans l'appel, voire la provocation de l'expérience spirituelle; les fresques de la chapelle Sixtine que Jean-Paul II a qualifiée de « sanctuaire de la théologie du corps humain »; l'Ascension du Ressuscité ainsi que l'Assomption de la Vierge Marie, « montée au ciel avec son âme et avec son corps » ...
... Le corps, lieu de l'expérience de Dieu
L'enjeu de la vie spirituelle réside dans le corps. C'est là que se fait l'expérience de Dieu, là que Dieu se révèle à l'âme, là qu'il parle au cœur humain, là qu'il prend son repas avec lui (Ap 3,20)40.
Ce qui précède permet de saisir l'intérêt que la tradition chrétienne accorde au corps sauvé ou, plus humblement, « charnière du salut ». Va-ton plus loin lorsqu'on en parle comme lieu de l'expérience de Dieu, en fait de l'expérience que nous faisons de Dieu ?
https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/1997-v5-n2-theologi1871/024949ar.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Mar 15 Juin 2021, 13:59 | |
| L'"antagonisme" spécifiquement "paulinien" (Romains-Galates surtout) entre "chair" et "esprit", avec la distinction supplémentaire qu'il implique entre "chair" et "corps", ne fonctionne pas (ainsi) chez Tertullien (du moins dans le passage cité), où c'est la "chair" qui est valorisée (de même que dans le Credo latin, "la résurrection de la chair", ce que n'aurait jamais dit "Paul", en tout cas ce "Paul"-là). Ce n'est pas qu'une question de langue, puisqu'en latin on peut aussi bien distinguer caro et corpus, comme le fera saint Augustin plus profondément marqué par "Paul"; mais c'est bien dans tous les cas une question verbale (donc une question de langue), puisque les distinctions conceptuelles possibles dépendent du vocabulaire disponible: là où l'on dispose de mots différents pour "chair" et "corps" (ce qui n'est pas le cas en hébreu, comme on l'a déjà dit), ou pour "âme" et "esprit", on peut imaginer des "choses" différentes, dans la mesure où leur concept est effectivement pensable et pensé (le plus souvent il ne l'est qu'à moitié, ni tout à fait pensé ni tout à fait impensé: il est plus facile de distinguer verbalement que conceptuellement "chair" et "corps" ou "âme" et "esprit", mais il faut tenter de "s'expliquer" à ce sujet pour se rendre compte de la difficulté -- en faire, précisément, l'épreuve ou l'expérience).
De même, mais cela nous entraînerait très loin du présent sujet, pour le mot-concept d'"expérience" dont l'auteur de l'article précité use abondamment, avec une certaine conscience de sa "modernité" (rien de tel dans la littérature "biblique" en tout cas), mais sans prendre la peine de le définir. Une "expérience", en grec comme en latin ou en allemand (Erfahrung), cela implique toute une métonymie du "territoire", de la "région" et de la "frontière", du "voyage" et du "chemin" à parcourir de part en part, d'un bout à l'autre, et aussi de l'"épreuve" (pera, peirazô, etc., d'où "empirisme"). Heidegger oppose régulièrement l'"expérience" dans ce sens étymologique au "vécu" valorisé par la propagande nazie, notamment touristique, en rapport avec le "vitalisme" et le "biologisme" de son idéologie. On parlerait aujourd'hui de "ressenti", ce qui est encore autre chose... Qu'est-ce que "l'expérience", en quoi ce mot est-il celui d'une "époque", qu'est-ce que cela change par rapport aux époques qui ne parlaient pas d'"expérience", voilà de bonnes questions, mais ce n'est probablement pas le lieu pour en parler. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Dim 28 Aoû 2022, 14:28 | |
| Je repensais à la formule de Romains 6,11 qui de fil en aiguille m'a ramené à ce fil, bien que les couples "mort / vie" et "péché / dieu" s'y substituent au couple "chair / esprit" (cf. supra à partir du 27.5.2021, sur 8,13): "Ainsi, vous aussi, considérez-vous (estimez-vous, jugez-vous, pensez-vous, concevez-vous, comptez-vous, figurez-vous, logizomai) vous-mêmes (heautous, comme dans le fameux gnôthi seauton, connais-toi toi-même) (comme) morts (quant) au péché, mais vivants (quant) au dieu en Christ Jésus". Autre expression très éloquente du "jeu" dont on parlait plus haut, d'un "faire le mort", à replacer naturellement dans le cadre du raisonnement qu'on peut relire au moins depuis le début du chapitre (ou, mieux, du chapitre 4, pour apprécier le glissement progressif du registre "juridique" au "myst[ér]ique") et poursuivre aux chapitres suivants.
Les usages épistémologiques de logizomai (au sens de la détermination, de l'évaluation ou du jugement "intellectuels", considérer, estimer, apprécier, évaluer, quantitativement et/ou qualitativement, bref tout ce qui forme une "opinion", on est donc très près de dokeô, doxa), apparenté à logos, restent étroitement liés à ses usages juridiques, judiciaires, économiques, commerciaux ou comptables -- il s'agit moins, comme souvent, d'une polysémie de "sens" différents et hermétiquement cloisonnés que d'une métonymie continue (le lisse vs. le rayé, dirait Deleuze) du juger, compter, peser, etc., au tribunal comme sur un marché. Ce verbe joue un rôle prépondérant dans la rhétorique simili-juridique de l'épître aux Romains, y compris pour la thèse centrale de la foi "comptée" (pour ou comme) justice; on disait autrefois "imputée à justice", avec la même proximité de l'imputation juridique ou judiciaire (d'une faute, d'une culpabilité, d'une innocence, d'un statut comme celui de fils ou d'esclave à quelqu'un) au comput ou à la computation arithmétiques ou comptables (cf. 2,3.26; 3,28; 4,3-11,22ss; 6,11; 8,18; 9,8; 14,14, ainsi que Galates 3,6 et Jacques 2,23 qui relèvent de la problématique de Romains; et, en s'en écartant, 1 Corinthiens 4,1; 13,5.11; 2 Corinthiens 3,5; 5,19; 10,2.7.11; 11,5; 12,6; Philippiens 3,13; 4,8; 2 Timothée 4,16; Hébreux 11,19; 1 Pierre 5,12; Marc 11,31; 15,28; Luc 22,37; Actes 19,27).
Il y va inséparablement d'une part d'observation ou de constat, qui relève dans des proportions diverses de la contemplation du "mythe", de la pratique du rite et de l'expérience morale ou existentielle (participation au Christ comme mort autrement vivant, expérience individuelle et communautaire de soi et/ou d'un autre comme mort et vivant), et de "décision" (dans toute sa parenté avec le "suicide" et autres "-cide", du même caedo que décider), initiale et renouvelée (ou non, plus ou moins); autrement dit de l'arbitraire, de la légèreté ou de la gratuité d'un "jeu", quand même on y joue sa "vie" ou sa "mort". |
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| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Lun 29 Aoû 2022, 09:50 | |
| - Citation :
- Je repensais à la formule de Romains 6,11 qui m'a ramené à ce fil, bien que les couples "mort / vie" et "péché / dieu" s'y substituent au couple "chair / esprit" (cf. supra à partir du 27.5.2021, sur 8,13): "Ainsi, vous aussi, considérez-vous (estimez-vous, jugez-vous, pensez-vous, comptez-vous, logizomai) vous-mêmes (comme) morts (quant) au péché, mais vivants (quant) au dieu en Christ Jésus". Autre expression très éloquente du "jeu" dont on parlait plus haut, d'un "faire le mort", à replacer naturellement dans le cadre du raisonnement qu'on peut relire au moins depuis le début du chapitre, et poursuivre aux chapitres suivants.
Extrait de la citation : Cela fonctionne jusqu'à un certain point dans et par la langue grecque qui a deux mots différents pour "chair" et "corps", sarx et sôma, ce qui rend possible cet usage spécifiquement "chrétien" et "liturgique", mais cela n'est aussi pensable que jusqu'à un certain point: dans la mesure même où on "joue le jeu" de la langue religieuse, qui est aussi un "jeu existentiel" ou "ascétique": faire le mort pour faire le ressuscité, faire comme si on était déjà mort et ressuscité, "faire mourir" (crucifier, etc.) quelque chose de "soi" ou de son "corps" (la "chair", le "péché", le "désir", etc.) sans mourir tout à fait, faire passer en somme et en partie la "mort" de "devant" à "derrière" "soi"; mais cela se joue toujours dans l'horizon d'une "réalité" où la "chair" et le "corps" demeurent indissociables, et où la mort reste à venir... (cf. aussi ici).Pour que ce jeu fonctionne, cela nécessité une part active du croyant, il doit être convaincu (estimez-vous, jugez-vous, pensez-vous, comptez-vous, logizomai) de la réalité de son nouveau statut, ce n'est pas Dieu qui le considère comme "morts (quant) au péché" mais c'est le croyant qui exprime et vit cette conviction. Un Article sur Romains 6 :Puis, au chapitre 6, Paul va présenter sous la forme du baptême l’œuvre accomplie par le Christ. On peut penser qu’il a eu connaissance des scènes d’évangile où le Christ parle de sa Passion-Résurrection comme d’un baptême qu’il avait hâte de recevoir (Lc 12,50) et que les fils de Zébédée auraient à partager (Mc 10,39). Il reprend donc cette comparaison et, comme dans l’Évangile, il distingue deux temps. D’abord celui de la plongée et de l’immersion, où le Christ se rend pleinement solidaire de la condition pécheresse de l’homme et assume dans sa mort toutes les conséquences douloureuses du péché. Ce faisant il entraîne le péché dans sa mort et opère ainsi sa destruction : « Comprenons bien ceci : notre vieil homme a été crucifié avec lui pour que soit détruit ce corps de péché » (6,6). Puis vient le second temps, celui où l’on sort de l’eau, purifié et renouvelé, celui du merveilleux rebondissement où le Christ est ressuscité et exalté, comme Paul le décrira dans sa lettre aux Philippiens (2,9-11). Il peut alors partager solidairement sa résurrection à toute l’humanité : « Nous le savons, ressuscité des morts, le Christ ne meurt plus ; la mort sur lui n’a plus d’empire. Car, en mourant, c’est au péché qu’il est mort une fois pour toutes ; vivant, c’est pour Dieu qu’il vit. De même, vous aussi, considérez que vous êtes morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus Christ » (6,10-11). Paul nous présente donc le mystère de la mort et de la résurrection du Christ, c’est-à-dire le mystère de Pâques, sous la forme du baptême, un baptême où apparaît l’intime solidarité du Christ avec les hommes pécheurs, lorsqu’il prend sur lui le péché avec toutes ses conséquences, à savoir son lot de mépris, de souffrances, y compris la mort en croix, puis lorsque, ressuscité, il partage aux mêmes hommes la vie qu’il reçoit du Père.Il faut encore remarquer que Paul ne mentionne pas la vie dans l’au-delà. Il nous présente seulement l’aujourd’hui du chrétien, vivant de la vie du Christ, porté par l’Esprit qui le met en relation filiale avec le Père. Mais le croyant n’est pas au bout de ses peines. « Nous avons été sauvés, mais c’est en espérance » (8,24). Certes, au milieu des détresses, le chrétien « met son orgueil dans l’espérance de la gloire de Dieu » (5,2), mais « nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption, la délivrance pour notre corps » (8,23). Aux affirmations de victoire, Paul mêle des exhortations montrant que le salut est bien à l’œuvre, mais n’est pas pleinement accompli. Comme l’a écrit le Père de Montcheuil, « la Rédemption est une entreprise qui dure autant que l’histoire du monde, dont on peut dire qu’elle forme la trame secrète : c’est une activité divine continue ».https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2009-2-page-196.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Lun 29 Aoû 2022, 12:28 | |
| - free a écrit:
- Pour que ce jeu fonctionne, cela nécessité une part active du croyant, il doit être convaincu (estimez-vous, jugez-vous, pensez-vous, comptez-vous, logizomai) de la réalité de son nouveau statut, ce n'est pas Dieu qui le considère comme "morts (quant) au péché" mais c'est le croyant qui exprime et vit cette conviction.
Le "point de vue de Dieu" est co-impliqué dans le "point de vue du croyant", ils ne se constituent que l'un par rapport à l'autre, face à face ( coram deo, "devant le dieu / Dieu"): le "jeu" est aussi -- comme toute "con-science" ou "relation sujet-objet", surtout quand l'"objet" est aussi un "sujet" -- un jeu de miroir(s). D'autant que "le croyant" (l')est rarement seul et que l'imitation des autres joue un rôle considérable dans *sa* "foi". A la paraphrase édifiante et paresseuse de Faivre (à mon avis c'est plutôt "Paul" qui aurait influencé "Marc" et "Luc" que le contraire !), je préférerais une lecture attentive du texte (de Romains) et une analyse serrée de sa "logique" (rhétorique, argumentation): remarquer, par exemple, le parallélisme (très étonnant au regard d'une orthodoxie ultérieure) de la mort du Christ à celle du croyant dans l'antithèse "mourir (quant) au péché / vivre (quant) au dieu" entre les v. 10 et 11 (même usage du datif déterminé par l'article dans tous les cas). |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: " l'esprit contre la chair ; il y a entre eux antagonisme " Gal 5,17 Mar 30 Aoû 2022, 09:52 | |
| Une petite parenthèse :
"S'il est mort, en effet, c'est pour le péché qu'il est mort, une fois pour toutes ; et s'il vit, il vit pour Dieu. 11Ainsi vous-mêmes, estimez-vous morts pour le péché et vivants pour Dieu, en Jésus-Christ" (Rm 6,10-11).
UNE FOIS POUR TOUTES Jean-Luc Marion
Les Écritures utilisent presque exclusivement l’adverbe ephapax /hapax pour caractériser le Christ, dont les actes se produisent “une fois pour toutes” et, indissolublement, “pour de bon”, définitivement. Ainsi apparaît‑il « …à plus de cinq cents d’une seule fois » (1 Corinthiens 5, 6). Ainsi est‑il « mort une fois pour toutes au péché » (Romains 6, 10), « mort une fois pour toutes pour les péchés » (1 Pierre 3, 18). Ce terme tient un rôle si important, que le rédacteur de l’Épître aux Hébreux se sent tenu de le commenter comme tel : « L’ephapax indique la transposition (metathesis) des choses muables, vacillantes (en tant que choses faites, créées), en sorte que restent les choses immuables, qui ne vacillent pas » (Hébreux 12, 26‑2711). Il ne s’agit plus d’un instant, mais d’un moment qui, au lieu de s’évanouir dès qu’il paraît tout en prétendant vainement durer, parvient à décider : cette « heure » fait la décision, comme par une réduction, pour dissiper ce qui change et vacille, afin de ne laisser en jeu que ce qui ne vacille pas, ce qui ne tremble pas, ce qui ne bronche pas. C’est en vertu de cette opération et de cette réduction que le Christ, au contraire du grand prêtre répétant son sacrifice chaque année, peut accomplir un sacrifice unique, valide une fois pour toutes. Et il parvient à cette unicité décisive, parce qu’il paie de sa personne, en s’offrant sans réserve, à fond, “pour de bon” : « Cela, il l’a fait une fois pour toutes, en s’offrant lui‑même une fois pour toutes » (Hébreux 7, 2712). Le Christ sort de notre histoire, justement pour nous y sauver. |
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