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 gloire et chair

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Narkissos

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MessageSujet: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeMar 30 Avr 2019, 12:06

... et la gloire de Yahvé se révélera, et toute chair ensemble la verra; car la bouche de Yahvé a parlé.
Une voix a dit: Crie ! Et il a dit
(variante: je dis): Que crierai-je ? Toute chair est herbe, et toute sa grâce (hsd; LXX doxa anthrôpou, "gloire-opinion d'homme") comme la fleur des champs. L'herbe a séché, la fleur a fané, car le souffle de Yahvé a passé dessus. Vrai, le peuple est de l'herbe. L'herbe a séché, la fleur a fané, mais la parole de notre dieu tient (debout) pour toujours. (Isaïe 40,5ss; cf. aussi Psaume 103)

... et la parole (logos) est devenue chair, elle a campé en/parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire comme d'un unique du père, pleine de grâce et vérité... (Jean 1,14).

L'ambivalence ou la plurivocité de la "chair" (selon la traduction usuelle de l'hébreu bsr-basar et du grec sarx) dans la Bible a été souvent évoquée ici, bien que nous ne lui ayons pas consacré jusqu'à présent, sauf erreur de ma part, de "fil" particulier. Question sensible en plus d'un sens, et difficile à cerner tant les usages paraissent contradictoires (comme en témoignent la diversité des "équivalences fonctionnelles"): la "chair" c'est tantôt la "faiblesse" et tantôt la "force", le "désir" ou la "crainte", la "jouissance" et la "souffrance", l'"affect" ou l'"intellect" (comme le "cœur", de "chair" ou de "pierre"), le "bon" ou le "mauvais", l'homme et/ou l'animal (ici rapportés au végétal) opposés au divin ou à l'esprit, d'une opposition qui se radicalise notamment dans le paulinisme (où la "chair" relève intégralement du "péché", est vouée à la mort, de préférence précoce et violente au moins par le symbole, mortifier et crucifier la chair). Mais c'est aussi tout autre chose, le lieu (moyen, milieu) même de l'apparition, de la révélation, de la manifestation et de la perception (ou de l'aperception) de la gloire divine -- en écrivant cela je repense notamment à Michel Henry dont ce fut un peu l'"idée fixe", trop unilatéralement à mon goût; mais ça n'en est pas moins un aspect essentiel. (Pour le titre et son calembour vaseux c'était plutôt Michel Delpech... Smile )
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeMar 30 Avr 2019, 13:56

"Car — chose impossible à la loi, parce que la chair la rendait sans force — Dieu, en envoyant son propre Fils dans une condition semblable à la chair du péché, en rapport avec le péché, a condamné le péché dans la chair, pour que la justice requise par la loi soit accomplie en nous qui marchons, non selon la chair, mais selon l'Esprit. En effet, ceux qui sont sous l'emprise de la chair s'accordent aux tendances de la chair, tandis que ceux qui sont sous l'emprise de l'Esprit s'accordent aux tendances de l'Esprit. or la chair tend à la mort ; l'Esprit, lui, tend à la vie et à la paix. Car la chair tend à s'ériger en ennemie de Dieu, parce qu'elle ne se soumet pas à la loi de Dieu : elle en est même incapable. Ceux qui sont sous l'empire de la chair ne peuvent plaire à Dieu." - Rm 8, 3-8

Nous avons déjà commenté ce texte mais il témoigne des différentes approches de Paul concernant la "chair". Jésus est venu "dans une condition semblable à la chair du péché", c'est à dire qu’il a pleinement et entièrement vécu la condition humaine mais en remportant la victoire sur le péché, il offre aux hommes d’en être libéré et il  "fera aussi vivre vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous" (v 11).  Le "corps" ou la "chair"n'est plus sous l'emprise du péché mais rappelons e=le, il a fallait que Jésus vienne "dans une condition semblable à la chair du péché" ... on soigne le mal par le mal ?
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeMar 30 Avr 2019, 14:38

En effet, la négativité de la "chair" (sarx) paulinienne ne se dément pas même dans le cas du Christ (la "chair" chez lui est bien celle du "péché", malgré le flottement "docétique" également sensible dans l'hymne de Philippiens 2: jusqu'à quel point est-elle sienne ou lui est-il seulement "semblable", telle est la question que l'orthodoxie se posera et se chargera de trancher plus tard) -- mais elle est compensée par la valorisation du "corps" (sôma, sans véritable équivalent hébreu): corps crucifié et ressuscité en Esprit et en Eglise, "mystère" à quoi se rapportent les "sacrements" (autre traduction de mustèrion) de l'eucharistie (1 Corinthiens 10--11) et du baptême (Romains 6). Cependant la "chair" appartient presque exclusivement au côté sombre du tableau.

Il n'en est pas ainsi en Jean 1,14, bien que le quatrième évangile connaisse aussi l'usage négatif de la "chair" (1,13; 6,63; 8,15). A ce point une certaine "dialectique" paraît inévitable: la révélation n'aboutit qu'à son "contraire", son expression extrême coïncide avec ce qui lui est le plus réfractaire (même figure dans le johannisme pour le "monde", kosmos à la fois en opposition radicale à "Dieu" et objet ultime de son "amour", Jean 3,16 et chap. 17: le dernier à "savoir" et à "croire").

L'idée de "soigner le mal par le mal" n'est pas seulement commune à tous les christianismes, elle l'est à toutes les religions, à toutes les magies, à toutes les médecines (emblématiquement le serpent de Moïse en Nombres 21 récupéré par Jean 3, écho du caducée d'Esculape qui figure encore sur toutes nos pharmacies, et ce que dit pharmakon en grec: le poison est le remède, et inversement).
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeMar 30 Avr 2019, 15:34

"Tout m'est permis, mais tout n'est pas utile ; tout m'est permis, mais moi, je ne permettrai à rien d'avoir autorité sur moi. Les aliments sont pour le ventre, comme le ventre pour les aliments ; Dieu réduira à rien celui-ci comme ceux-là. Mais le corps n'est pas pour l'inconduite sexuelle : il est pour le Seigneur, comme le Seigneur pour le corps. Or Dieu, qui a réveillé le Seigneur, nous éveillera aussi par sa puissance. Ne savez-vous pas que votre corps fait partie du corps du Christ ? Prendrai-je donc des parties du corps du Christ pour en faire des parties d'un corps de prostituée ? Jamais de la vie ! Ne savez-vous pas que celui qui s'attache à la prostituée est un seul corps avec elle ? En effet, il dit : Les deux seront une seule chair. Mais celui qui s'attache au Seigneur est avec lui un seul Esprit." - 1 Cor 6, 12-17

On retrouve dans ce texte la formule " le corps est pour le Seigneur et le Seigneur est pour le corps", en effet Dieu ressuscitera les croyants (v 14) dont les corps sont les membres du corps de Christ (v 15). Pour souligner que celui qui "s'attache au Seigneur" est "avec lui un seul Esprit" (v 17), Paul cite la Genèse et l'expression : "Les deux seront une seule chair". On a le sentiment qu'il y a une union "charnelle" (et mystique) entre les croyants et le Seigneur.  Le terme chair est utilisé une seule fois et n’est pas connoté négativement,  il s’agit donc de glorifier Dieu par son corps en tant que chair et esprit.
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeMar 30 Avr 2019, 15:54

Voir ici.

Il y a à la fois analogie et opposition -- en un mot, symétrie -- entre la relation au Seigneur (un seul esprit, pneuma) et la relation à la prostituée (une seule chair, sarx), bien que les deux impliquent le "corps" (sôma), donc de façon critique, alternative et exclusive (c'est ou l'un, ou l'autre).

(Raisonnement en tout cas ruineux pour l'application de Genèse 2,22ss au "mariage", surtout "chrétien"... mais nous nous en sommes assez expliqués dans le lien ci-dessus.)
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeMar 30 Avr 2019, 16:30


Et, il faut le reconnaître, le mystère de la piété est grand : Il s'est manifesté dans la chair, il a été justifié dans l'Esprit, il est apparu aux anges, il a été proclamé parmi les nations, il a été cru dans le monde, il a été enlevé dans la gloire" - I Tim., 3, 16

"Car c'est lui qui est notre paix, lui qui a fait que les deux soient un, en détruisant le mur de séparation, l'hostilité. Il a, dans sa chair, réduit à rien la loi avec ses commandements et leurs prescriptions, pour créer en lui, avec les deux, un seul homme nouveau, en faisant la paix, et pour réconcilier avec Dieu les deux en un seul corps, par la croix, en tuant par elle l'hostilité." - Ep 2, 14-16 

"il vous a maintenant réconciliés, par la mort, dans son corps de chair, pour vous faire paraître devant lui saints, sans défaut et sans reproche " - Col 1,22

Ces texte soulignent le caractère charnel de la réalisation du salut par le Christ, en effet le Christ "s'est manifesté dans la chair" mais en plus si juifs et païens sont désormais réconciliés dans le Christ, c'est qu'il a supprimé la séparation d'hostilité dans sa chair. Les croyants ont obtenu la sainteté car le Christ dans la chair même de l’homme, chair mortelle  s'est sacrifié. La condition fondamentale du salut correspond au fait que le Christ se manifeste dans la chair de l’homme.
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeMar 30 Avr 2019, 17:08

C'est très bien résumé.

Tous ces textes du "paulinisme tardif" ("deutéro-pauliniennes" et "Pastorales"; d'un "paulinisme" en tout cas postérieur à celui de Romains et même de Philippiens), qu'il faudrait plutôt lire chronologiquement dans l'ordre inverse (Colossiens -> Ephésiens -> 1 Timothée), présentent en effet une convergence formelle remarquable avec le Prologue de Jean (lui-même ajout tardif au quatrième évangile): par rapport au "docétisme" (proto-)paulinien évoqué précédemment ("semblable à la chair"), toute distance du Christ à "la chair" paraît abolie: il faut que le Christ, pour ainsi dire, aille jusqu'au bout de "la chair" pour que le "mystère" (concept de plus en plus ouvertement assumé du côté "paulinien") fonctionne, ou soit opératoire.

Le Prologue johannique se distingue néanmoins subtilement: parce que chez lui le logos n'est pas purement et simplement identifié à Jésus-Christ (relire patiemment ceci, si besoin) et parce que la relation au logos (ou au Christ, ou à Dieu) n'y est pas soumise à médiation "ecclésiastique" ni "sacramentelle", mais prise dans le cercle d'équivalence générale des signifiants cognitifs ou perceptifs (croire <=> connaître <=> voir <=> entendre <=> toucher, etc.) dont nous parlions encore récemment ici.

Il y va au fond du déploiement du "théisme", de la possibilité même d'un dieu-theos entre un a-théisme où il ne serait rien et un pan-théisme où il serait tout (tout en tout selon la formule stoïco-paulinienne): espace de jeu plus nécessaire encore au "divin" que ses déterminations numériques (un ou plusieurs dieux, mono- ou poly-théisme) ou qualitatives ("bonté" tautologique du divin radicalisée par le dualisme du bien et du mal, de la lumière et des ténèbres, etc.), qui requiert la limite la plus intime et la plus concrète (la "chair") comme l'horizon le plus vaste (le "monde"). "Dieu" ne se révèle que s'il atteint ce qui lui est étranger, alors qu'a priori rien ne lui est étranger; pour cela il faut que l'étrangeté, le hors-dieu impensable et indispensable, ait été marqué(e) d'une manière ou d'une autre ("péché" ou "chute" métaphysique, de l'homme primordial ou des puissances cosmiques, événement forcément "divin" d'un côté comme l'exprime le tsimtsoum qabbalistique) -- même si la démarcation est par définition relative et provisoire (puisqu'en dernière analyse toute "extériorité" vient de Dieu et y retourne; mais non sans s'en être séparée). Seul un Dieu qui a priori n'a rien à voir avec "la chair" et "le monde" peut se révéler dans "la chair" et dans "le monde", telle est la condition paradoxale du "mystère" -- ou du "plérôme" ("plénitude", cf. Jean 1,16, encore en écho avec Colossiens 1,19; 2,9 et Ephésiens 1,10.23 -- "plénitude de ce[lui] qui remplit tout en tout"; 3,19; 4,13; absent en revanche des Pastorales qui ont abandonné le terme aux "gnostiques").

Ou encore:

Saint, saint, saint, Yahvé-des-armées, plénitude de toute la terre, sa gloire (Isaïe 6,3).

Isaïe a dit cela (cf. le v. précédent citant Isaïe 6,10) quand il a vu sa gloire, et c'est aussi de lui qu'il a parlé (Jean 12,41).

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Inutile de dire qu'il ne suffit pas de se débarrasser du vocabulaire religieux ("Dieu" etc.) pour être quitte du problème: qu'on le pose en termes philosophiques d'"être", de "devenir", d'"événement", de "phénomène", de "perception", de "connaissance", de "conscience", de "pensée", d'"un" et de "multiple", de "puissance" et d'"acte", de "volonté" et de "représentation", de "sujet" et d'"objet", etc., l'aporie reste essentiellement intacte: il faut que l'"un" génère et résorbe ou subsume de l'"autre", de la "différence", de l'"extériorité", sans quoi rien n'apparaît, jamais, nulle part. Où il y a de l'être il y a du paraître, de l'espace et du temps, de la différence et de la relation, où il y a quelque chose il y a toujours plus et moins qu'une chose.

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Il est quasiment impossible à un anglophone ou à un mélomane (d'autant que l'un n'empêche pas l'autre) de lire Isaïe 40 (post initial) sans entendre Haendel: c'est toute la scène d'ouverture du Messie (ici les dix premières minutes), selon la King James Version qui contrairement à la plupart des traductions modernes n'escamote pas la "chair" (flesh).

Il y a d'autre part une curiosité linguistique intéressante, même si elle est purement fortuite: coïncidence (homonymie plutôt que polysémie) en hébreu de la "chair" (basar, v. 5s) et de la "bonne nouvelle" = "évangile" (bsr, d'où mevasereth = "annonciatrice de bonne nouvelle" (dans le TM c'est apparemment Jérusalem qui annonce la bonne nouvelle aux [autres] villes de Juda), au masculin ho euaggelizomenos LXX v. 9, qui arrive un peu plus loin chez Haendel -- 18' dans la version ci-dessus: O thou that tellest good tidings to Zion, l'anglais évite la détermination du genre); autre coïncidence similaire mais plus connue, celle de la "parole" (dbr-davar, v. 8 ) et du "désert" (midbar, v. 3), dont on peut entendre un lointain écho dans le mixage du Prologue johannique entre l'hymne au logos (bien que la LXX d'Isaïe 40,8 ait rhèma) et le commencement du récit sur Jean-Baptiste, la voix dans le désert (Jean 1,23, là encore, à contresens du TM)...
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeJeu 02 Mai 2019, 10:16

"Jésus leur dit : Amen, amen, je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n'avez pas de vie en vous. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le relèverai au dernier jour. Car ma chair est vraie nourriture, et mon sang est vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, comme moi en lui. Comme le Père, qui est vivant, m'a envoyé, et comme moi, je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi." Jean 6, 53-57

Dans l'évangile de Jean, la chair du Christ  à l'inverse de l'apôtre Paul, ne se caractérise pas par le "péché", elle a le pouvoir de communiquer la vie, comme une contagion.
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeJeu 02 Mai 2019, 11:18

C'est encore (27.3.2019 !) la fameuse "addition eucharistique" (dont l'excès même est aussitôt neutralisé, s'il ne se neutralise pas tout seul, par le v. 63, "la chair ne sert à rien").

Ce passage, comme on l'a montré maintes fois, détonne par rapport aux plus anciennes strates de l'Evangile (y compris le discours sapiential sur le "pain de vie" qui précède au chapitre 6); mais il ne correspond pas non plus exactement à la "logologie" du Prologue, pourtant plus tardive. Là (cf. liens supra) le logos ne devient pas "quelqu'un", "un homme" (comme le disent imprudemment tant de traductions "dynamiques"): son "devenir-chair" revient et renchérit sur son "être dans le monde", et c'est tout ce mouvement (expansif, irradiant ou irriguant) du logos dans "le monde" et "la chair" qui trouve une sorte d'expression globale dans le nom "Jésus-Christ" (idem, mutatis mutandis, pour les formules dérivées dans les épîtres: Jésus-Christ venu/venant dans la chair). En Jean 1,14 même, la distinction est fine mais nette: le "logos devenu chair" n'est pas "le Fils unique", sa "gloire" est COMME d'un unique de père. Même les signifiants qui peuvent paraître les plus centraux, les plus indissociables de leur signifié traditionnel, comme "Fils" et "Père", se trouvent ramenés au niveau d'une simple comparaison. Les mots sont interchangeables dans le mouvement même de leur échange. (Pour ne rien dire du fait que dans le Prologue la "gloire" du logos-en-chair est à voir, et non à manger -- cf. aussi "entendre" et "toucher" dans la Première épître.)
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeJeu 02 Mai 2019, 13:02

Je comprends mieux pourquoi l'Eglise a dû résoudre la question du Christ "pleinement homme" et "pleinement Dieu" en effet Jean 1,14 souligne l'idée que,  Dieu a assumé la condition humaine en Jésus-Christ, en étant "fait chair".

Ce qui est le plus surprenant,  c'est que la révélation de Dieu aux hommes se réalise par le fait de la chair, c’est la chair elle-même qui est révélation, le Logos ne s'oppose pas à la chair mais il s'exprime à travers elle.
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeJeu 02 Mai 2019, 14:35

L'"orthodoxie" qui trouve sur ce point son expression ultime dans l'"union hypostatique" du Concile de Chalcédoine, au milieu du Ve siècle, est aussi le résultat d'une longue série de rejets des "hérésies", à commencer par le "marcionisme" et les divers "gnosticismes" au IIe siècle. Il reste assurément là-dedans quelque chose du johannisme, mais limité au cas absolument unique de l'individu Jésus-Christ, sorte de "monstre" ou d'"hybride" divino-humain avec qui l'homme ordinaire ne peut plus avoir qu'un rapport médiatisé, par le Saint-Esprit, par l'Eglise, par les sacrements. Il n'y a plus la continuité de la "chair" par laquelle le logos s'étend "naturellement" à toute l'humanité ("qui éclaire tout homme"), voire au-delà de l'humanité à l'animal, au végétal, au matériel ("il était dans le monde") -- à quoi pourtant le logos s'oppose par définition, au moins d'une opposition fonctionnelle dans son sens général de "parole-pensée-raison" et d'une opposition mythique ou métaphysique dès lors qu'il est theos, "Dieu" compris comme autre du "monde".

Reste en effet dans tous les cas -- et c'est surtout là-dessus que je voulais attirer l'attention avec le rapport paradoxal de la "gloire" à la "chair" -- que la révélation requiert de plus d'une manière la médiation de son opposé au moins provisoire et relatif, l'écran de la "chair" qui la voile et la dévoile, la cache et la mon(s)tre, medium de communication du double point de vue de l'"émission" et de la "réception" ou "perception". Le logos sans doute ne parle qu'au logos, l'esprit à l'esprit diraient les gnostiques (cf. déjà 1 Corinthiens 2), mais par la "chair" allant jusqu'au bout de la "chair", c'est-à-dire à la mort (et là encore la coïncidence de la "gloire" et de la "croix" dans l'évangile selon Jean, cf. l'autre fil, est tout sauf un hasard). La pensée du "voile de la chair" dans l'épître aux Hébreux, malgré le système plutôt "platonicien" qui la différencie, est ici très proche.
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeJeu 02 Mai 2019, 16:36

Cet agir, compris au niveau de la chair, est non seulement inconditionné mais il est aussi marqué par une immédiateté, qui ressortit du fait qu’il procède de la chair du Christ et s’imprime dans la chair de l’homme : « C’est sa chair qui s’adresse à ma chair [Sein Fleisch hat es auf mein Fleisch abgesehen], à moi dans ma totalité [den ganzen Mensch], avec toutes les forces et tous les élans de mon corps [leiblichen]. »  Le Christ agit directement dans les hommes, c’est-à-dire dans leur humanité, et non sur les hommes, ce qui signifie qu’il affecte par son action leur essence et les possibilités ontologiques de l’être de l’homme, mais il n’affecte pas directement leur existence qui relève de la décision d’un sujet spirituel. L’intériorité de l’homme, c’est-à-dire son espace d’ouverture à l’être et à Dieu, est objectivement changée par l’acte unilatéral de Dieu dans le Christ. Les hommes acquièrent « un espace qui leur permet de vivre plus dans le Christ qu’en eux-mêmes » C’est donc l’essence même de l’homme en sa chair, dans sa capacité d’ouverture à l’être et à Dieu, qui est affectée dans l’événement du Christ. Le fait que le don objectif du Christ en sa chair est délié de toutes conditions subjectives humaines n’ôte donc aucune réalité à l’agir de Dieu dans l’humanité. Les termes balthasariens ne laissent subsister aucun doute. Selon lui en effet, par le seul événement christologique de la substitution, tous les hommes subissent un « changement » dans leur intériorité : « Il ne s’agit de rien de moins que d’une intervention dans le “domaine privé” des autres hommes : lorsque le Christ porte à leur place [im stellvertretenden Tragen] leur culpabilité devant Dieu, quelque chose [etwas] est changé en eux, et cela à leur insu [ohne ihr Wissen]. » Pas plus la liberté que la conscience des hommes ne sont à ce niveau sollicitées et impliquées. La réalité transformatrice de l’agir de Dieu est toute entière concentrée dans la chair même livrée aux hommes dans le don substitutif du Christ, à tel point qu’il faut alors se demander comment cet agir s’articule à la liberté des hommes. De la même façon, si « sa chair s’adresse à ma chair », faut-il comprendre que l’agir de Dieu relève de la seule activité interne à la chair, excluant par là même les rapports intersubjectifs ? Il nous semble que la réponse nécessite de distinguer deux moments au sein de cet agir. https://www.cairn.info/revue-transversalites-2013-4-page-131.htm
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeJeu 02 Mai 2019, 17:22

Très intéressant.

Dans cette perspective (parfaitement catholique, même si elle est peu courante dans le catholicisme) le "mystère" fonctionne comme une sorte de "magie" au second degré, qui s'annulerait (au double sens du nul et de l'anneau) en réinscrivant ses effets dans ses propres causes et conditions (imaginer dans un conte un coup de baguette magique qui changerait non seulement le présent et l'avenir, mais aussi le passé et ferait ainsi, au beau milieu de l'histoire, de toute l'histoire une autre histoire qui n'aurait jamais eu besoin de baguette magique; ainsi de la rédemption quand elle s'étend à toute l'"humanité", même celle qui précéderait le rédempteur -- on pourrait parler de subversion uchronique du récit).

On passe ainsi insensiblement de la structure (plutôt paulinienne) du "mystère" à celle (plutôt johannique) de la "révélation". Histoire d'un rêve en somme, avant l'éveil ou après la veille. Comme dans Hamlet, il faut un drame dans le drame pour dire le sens du drame, aux acteurs comme aux spectateurs que ceux-ci deviennent aussi pour la circonstance. D'où le concept encore plus central de dramaturgie chez von Balthasar. Christ "pantomime de Dieu", disait aussi quelqu'un qui m'est cher.
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeVen 03 Mai 2019, 11:16

Paroles du Verbe

Mais si la vie est ce que nous venons de dire, cet intime rapport à soi qu'aucune biologie ne saurait comprendre , alors qui nous fait vivant ? Nous savons que c'est en Dieu que nous avons la vie et pouvons attendre la vie éternelle parce que Dieu s'est révélé. Cette communication par laquelle c'est Dieu lui-même qui se donne est à la fois parole et vie, ce qui nous constitue et ce qui nous éclaire. Le Verbe qui nous a constitué et qui nous éclaire se donne à nous en nous donnant cela même qu'il est, c'est-à-dire dans une parole qui est efficace par soi, contenant ce qu'elle désigne et ce, tout autant dans le geste créateur que dans les paroles du Christ.

Il faut donc relire et scruter ces paroles inscrites dans le saint Livre afin de voir comment elles se détachent de la condition habituelle du langage pour proclamer ce que nul homme n'avait jamais pu dire ni entendre. L'indication d'une auto-affection qui est vie par le fait même de se dire, cette indication donc est fulgurante dans le Prologue de Jean : " Au commencement était le Verbe [...]. En lui était la Vie ". Ici, commente Henry, le verbe ne vient pas après la vie parce qu'il est en elle ce en quoi elle parvient en soi, se révèle à soi et jouit de soi (p. 106). Dieu étant simultanément parole et vie, c'est bien lui-même qui se donne à nous quand il nous fait vivant, nous qui ne possédons cette vie qu'en la tenant de Lui , ce qui explique les deux aspects de l'origine humaine que décrit la Genèse : " L'homme y est compris de deux façons différentes, à partir de l'idée de création mais aussi à partir de l'idée de génération " (108).

On comprend facilement dès lors que les paroles du Christ aient une teneur et un statut exceptionnels, leur auteur étant le Verbe fait chair. Ce que sait le Christ sur Dieu, lui vient de son origine : " Moi je le connais [...] parce que je viens d'auprès de lui " (Jean cité p.110). Les enseignements du Christ sont l'auto-révélation de Dieu comme Verbe et verbe fait chair, cela, annonce le Christ, chacun pourra le vérifier lorsqu'il fera la volonté de Dieu car alors il " saura, dit Jésus, si cet enseignement vient de Dieu ou si je ne parle qu'en mon nom ". Cette parole se définit comme vérité mais aussi comme porteuse de la vie : " Celui qui écoute ma parole et qui croit en celui qui m'a envoyé a la vie éternelle " (Jean, 5, 24 cité p. 139).

Ainsi, tandis que ce qui est montré dans le monde et exprimé dans les paroles du monde est toujours extérieur, étranger, indifférent et impuissant par rapport à ce qu'il montre (p. 102), au contraire, ce qui se montre dans les paroles du Christ lui est intime, Jésus s'y trouve engagé, acteur, partie prenante, et cette proximité entre ses paroles et leur dit atteste que le Christ est la vie elle même qu'il nous donne en se donnant à nous, et cela, jusque dans le " mémorial ininterrompu " de l'Eucharistie qui vient aux lèvres de Michel Henry dans la dernière page de son ultime écrit. http://www.libertepolitique.com/La-revue/La-revue-Liberte-Politique/Extraits/L-heritage-de-Michel-Henry
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeVen 03 Mai 2019, 12:31

Merci pour cette synthèse éclairante du "dernier" Michel Henry -- c'est bien à celui-ci que je me référais dans mon post initial, quoique je ne l'aie certainement pas assez lu, faute d'avoir "accroché" à ce que j'ai lu de lui. J'ai été d'abord un peu surpris qu'une certaine "droite catholique" (cf. le site) y trouve son bien, mais à la réflexion ça peut se comprendre.

Accessoirement je suis en train de lire Schelling (Introduction à la philosophie de la mythologie), avec près de deux siècles de retard, et je suis épaté de tout ce qui était déjà là et que j'ai cru découvrir avant chez des auteurs plus tardifs, de Kierkegaard à Heidegger, ou beaucoup plus anciens (des "présocratiques" à Eckhart) -- uchronie généralisée de la lecture, où le parcours de chaque lecteur diffère mais finit par se retrouver dans une pensée qui, pour autant qu'elle pense, a peut-être toujours pensé la même chose, sous des angles très divers et parfois opposés.

Les oppositions conceptuelles sont provisoires, en plus d'un sens; nécessaires un temps, au temps de la pensée précisément, mais appelées à être dépassées (peut-être autrement que par la pensée, si c'est aussi la limite de celle-ci), qu'il s'agisse du "dualisme" du bien et du mal, de la "chair" et de l'"esprit" (ou du logos), de  la "transcendance" et de l'"immanence", de l'"en-soi" et du "phénomène", de l'"être" et du "paraître", du "mystère" et de la "révélation", du "christianisme" et du "paganisme", du "monothéisme" et du "polythéisme", de l'"athéisme" et du "panthéisme", etc. Un thème comme celui-ci le donne à voir et à toucher (comme dirait Nancy, comme disait déjà Aristote, en passant ou non par Schelling).
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeVen 03 Mai 2019, 13:51

"La Parole était la vraie lumière, celle qui éclaire tout humain ; elle venait dans le monde. Elle était dans le monde, et le monde est venu à l'existence par elle,
mais le monde ne l'a jamais connue. Elle est venue chez elle, et les siens ne l'ont pas accueillie ; mais à tous ceux qui l'ont reçue, elle a donné le pouvoir  de devenir enfants de Dieu — à ceux qui mettent leur foi en son nom. Ceux-là sont nés, non pas du sang, ni d'une volonté de chair, ni d'une volonté d'homme, mais de Dieu. La Parole est devenue chair ; elle a fait sa demeure parmi nous,  et nous avons vu sa gloire,  une gloire de Fils unique issu du Père ;  elle était pleine de grâce et de vérité. Jean lui rend témoignage, il s'est écrié : C'était de lui que j'ai dit : Celui qui vient derrière moi est passé devant moi, car, avant moi, il était. Nous, en effet, de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce pour grâce ; car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. Personne n'a jamais vu Dieu ; celui qui l'a annoncé, c'est le Dieu Fils unique qui est sur le sein du Père
."
- Jean 1, 9 ss

Les versets 4-9 dessinent un premier « portrait » du Logos comme Lumière; en effet, au v. 4 un glissement s’opère du Logos à la Lumière des hommes, laquelle devient le sujet central des v. 6-9. La Lumière émane du Logos (v. 4) et lui est même identifiée (v. 9a). Elle brille dans les ténèbres (v. 5); Jean lui rend témoignage (v. 6-Cool; c’est en elle qu’agit le Logos, illuminant tout homme (v. 9-11) et donnant à ceux qui le reçoivent de devenir enfants de Dieu (v. 12-13).

En Ex 33, 18, Moïse prie ainsi Dieu : « Fais-moi de grâce voir ta gloire »; la réponse divine tient dans le Nom prononcé par Dieu en Ex 34, 6, assortie toutefois du refus de manifester sa gloire de face. Ce que Moïse n’a pu voir, les apôtres l’ont contemplé à travers la chair du Logos : « Le Logos a été chair, et il a dressé sa tente (?????????) parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire […]. Dieu, personne ne l’a jamais vu; le [Fils ou Dieu] Monogène  qui est vers le sein du Père, celui-là nous [l’] a raconté  » (Jn 1, 14abc. 18). https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2004-1-page-93.htm
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeVen 03 Mai 2019, 14:57

La lecture de cet article (qui tient du jeu de "mots croisés" avec son grec transformé en points d'interrogation !) m'incite à contrebalancer ce que j'ai dit dans mon post précédent au sujet de la pensée qui pense toujours la même chose... C'est vrai, je crois, à un certain niveau (de profondeur ?), mais quand en revanche on renonce (comme le fait délibérément l'auteur) à toute critique historique et littéraire, on aboutit à une soupe indigeste qui ne permet même plus d'entendre la différence significative des énoncés. Si l'on met le Prologue johannique sur le même plan que les strates plus anciennes de l'évangile (en cherchant le sens extra-ordinaire DU Logos divin dans tous les emplois ordinaires du mot logos = parole au sens le plus banal) ou que ses ajouts postérieurs (e.g. 6,51ss), a fortiori si on lui fait dire essentiellement la même chose que les formules trinitaires du IVe siècle, on ne comprend plus rien à rien, on ne lit plus... Ça n'empêche peut-être pas de penser-la-même-chose-en-profondeur, mais c'est quand même dommage.
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeVen 03 Mai 2019, 15:27

"C'est l'Esprit qui fait vivre. La chair ne sert de rien. Les paroles que, moi, je vous ai dites sont Esprit et sont vie" Jean 6,63

Comme Paul  ce texte souligne que la chair en elle-même ne recèle aucune efficace, elle est renvoyée à son impuissance a communiquer a vie, la chair du Christ reçoit ce pouvoir de l'Esprit.
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeVen 03 Mai 2019, 15:53

En effet (cf. supra 30.4.2019 13 h 38): Jean 6,63 correspond à un "premier" johannisme tout à fait "spiritualiste" (comme Paul, Marcion, et la gnose en général: cf. 1,32s; 3,5ss; 4,23s etc.), qui n'est pas à confondre avec l'affirmation ultérieure du Prologue (1,14, le "Verbe devenu chair", avec cependant sur la "chair" la réserve du v. 13: ce n'est pas elle qui a l'initiative !), encore moins avec l'addition "eucharistique" encore plus tardive de 6,51-58, qu'il parvient toutefois encore à déjouer -- d'autant plus facilement que la "concession orthodoxe" tourne en fait, comme par excès de zèle ou grève du zèle, à la caricature de l'orthodoxie (Bâfrez la chair si vous y tenez, mais ça ne sert à rien...).

Je ferais quand même une petite différence avec (le premier) "Paul" (Corinthiens-Romains surtout): chez celui-ci la "chair" est foncièrement négative, en un sens à la fois "métaphysique" (étrangère à Dieu, incapable d'"esprit", elle n'héritera jamais le royaume, cf. 1 Corinthiens 15) et "moral" (mauvaise, essentiellement liée au "péché", comme puissance ennemie de l'"esprit", perversement adverse et complice de la "loi"). Ici elle est simplement nulle, ou neutre: elle ne sert à rien.

(Soit dit en passant, on ne peut pas dénier à la "chair" paulinienne une vertu de lucidité introspective, voire auto-inquisitrice, exceptionnelle: quand on commence à la reconnaître en tout désir -- epithumia, cf. Romains 7 -- et pas seulement dans les "appétits" sexuels ou alimentaires mais aussi dans ceux qui sous-tendent toute "volonté" intellectuelle, morale, sociale ou religieuse, on n'en sort plus -- mais d'un tel point de vue c'est aussi "l'esprit" qui est phénoménalement introuvable: où qu'on le nomme, on peut toujours y soupçonner un masque "spirituel" de la "chair", au risque supplémentaire (via l'intertextualité néotestamentaire) du blasphème impardonnable.)

L'exégète se doit de différencier les textes et leurs théologies -- au risque évidemment de surestimer ou de sous-estimer leurs différences. Le théologien systématique essaie au contraire d'en construire une synthèse, qui comportera forcément une part d'harmonisation et une part d'invention. Entre toutes ces théologies le lecteur "privé" n'a pas forcément à choisir, au-delà du minimum de sympathie qu'il faut accorder à un texte (biblique ou non) pour le comprendre. D'autant que chaque théologie est elle-même une "économie" de différences et de contradictions. Pour que "Dieu" se révèle il faut aussi qu'il se cache, pour qu'il dise oui il faut aussi qu'il puisse dire non, pour qu'il fasse grâce il faut aussi qu'il juge et qu'il condamne, ou qu'il compte, etc. "Apparition, disparition, comme dans la vie !" (Les enfants du paradis). Cf. aussi le Fort! Da! de Freud dans Au-delà du principe de plaisir, et la méditation qu'en propose Derrida dans La carte postale.

---

Parmi les nombreuses modulations du motif de la "chair" dans le NT, on peut rappeler celles de la Première de Pierre, aux antipodes de "Jean" mais aussi distinctes de "Paul" (quoique cette épître par ailleurs doive beaucoup au deutéro-paulinisme d'Ephésiens), où la souffrance (pathos, paskhô etc.) de la "chair" est à la fois le mal et le remède (cf. p. ex. ici). On y retrouve notamment la citation d'Isaïe 40 (cf. post initial) d'après la Septante (1 Pierre 1,23ss, la "gloire" de la "chair" comme l'herbe et la fleur des champs, vs. la parole-rhèma de Dieu), et la "gloire" y tient plus généralement une part considérable  (1,7s.11.21.24; 4,11.13s.16; 5,1.4.10s), mais plutôt comme conséquence de la souffrance (de la "chair", cf. 3,18--4,6).
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeLun 06 Mai 2019, 10:55

Si seuls des yeux glorifiés, selon l'expression de saint Thomas, peuvent effectivement voir Dieu, c'est que le mystère du Règne est celui de la proximité d'un Dieu Père.

Dans l'humanité de Dieu, ce qui permet la connaissance, c'est, précisément, l'humanité. Que celle-ci soit « icône », ne l'empêche pas d'être abîmée. Mais la chair peut rencontrer Dieu dès lors que des yeux glorifiés par la Résurrection peuvent le discerner.

La voie chrétienne en théologie est positive : « II s'agit de le connaître, lui, et la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, de lui devenir semblables dans sa mort... » (Ph 3, 10). Au cœur de l'Évangile, la catégorie de la rencontre donne sa dynamique à la révélation de Dieu. L'humanité de Dieu rejoint celle de l'homme. Elle est le lieu de la médiation dans laquelle la parole de Dieu ne cesse de résonner. Comprise comme admirable échange, merveilleux commerce ou encore comme communication des idiomes, l'union de Dieu avec l'humanité en Jésus de Nazareth situe la rencontre de l'homme et de la divinité comme celle de deux mystères. L'homme découvre que son mystère rejoint celui de Dieu.

Les mystères de l'homme et de Dieu ne s'affrontent ni ne s'annulent, ils se fécondent mutuellement. La venue du Logos dans la chair permet à l'homme d'affirmer Dieu : « Après avoir, à bien des reprises, et de bien des manières, parlé autrefois aux pères dans les prophètes, Dieu, en la période finale où nous sommes, nous a parlé à nous en un Fils qu'il a établi héritier de tout» (He 1, 1-2). Assumant la négativité de la condition humaine, le Logos devient cri vers Dieu (He 5, Cool. Cette assomption n'est pas le moindre mystère de Dieu révélé en ce « Fils qui est resplendissement de sa gloire et expression de son être » (He 1, 3). La voie cataphatique vers Dieu est l'humanité. https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1998_num_72_4_3463
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MessageSujet: Re: gloire et chair   gloire et chair Icon_minitimeLun 06 Mai 2019, 12:52

Excellente illustration de ce que j'appelais plus haut la démarche systématique ou synthétique -- la "soupe" en l'occurrence est nourrissante, savoureuse et bien mixée, mais du point de vue exégétique elle ne peut pas rendre justice aux textes, parce qu'on n'y reconnaît plus leurs différences.

C'est toutefois une démarche nécessaire, et donc "légitime", dès lors qu'il s'agit de prêcher quelque chose; c'est-à-dire, de la part d'un prédicateur ou d'une Eglise, d'assumer et d'adresser un message aussi clair et univoque que possible, avec sa part d'affirmation (= cataphase) et de négation (= apophase), à un "public" contemporain, qu'il s'agisse de la catéchèse des enfants ou des éventuels néophytes, du sermon ou de l'édification des fidèles, ou d'"évangélisation" (ou "prosélytisme") tournée vers l'extérieur. On ne peut pas pour cela se contenter d'un commentaire de textes divergents et à l'occasion contradictoires.

Reste à savoir si et dans quelle mesure le discours qui en résulte touche effectivement lesdits contemporains. Pour ma part, je n'ai aucune objection de fond à la christologie chalcédonienne du Ve siècle, elle m'a enchanté lorsque je l'ai découverte en venant du jéhovisme, je pense encore que c'était une des meilleures "synthèses" possibles compte tenu des choix antérieurs de l'Eglise orthodoxe-catholique (depuis l'élimination des "gnostiques" au IIe siècle). Mais force est de constater qu'expliquée avec autant d'art et de créativité qu'on voudra elle n'atteint plus aujourd'hui grand-monde -- bien moins que le discours à certains égards plus "pauvre" et plus "simple" de l'islam, notamment.

(Je ne crache pas dans la "soupe", j'ai été fortement attiré par la "systématique" moderne quand je m'y suis frotté, notamment en lisant Barth, Tillich ou Jüngel. Ce sont les circonstances qui m'ont ramené aux textes bibliques, non sans un certain regret au départ, mais de moins en moins au fil des années -- j'ai toujours un certain plaisir un peu nostalgique à lire de la "théologie systématique" à l'occasion, mais je constate surtout pour ma part que je suis devenu incapable de "prêcher" quoi que ce soit à qui que ce soit -- lire et commenter des textes, par contre, dire et montrer ce qui en eux me touche, c'est autre chose, même si le "public" est encore plus restreint quand il n'y a pas de "prédication" à la clé.)

Comme je l'ai déjà suggéré ailleurs, j'ai tendance à comprendre (analytiquement, à l'envers de toute "prédication") "le Christ" de la "christologie", non seulement celle de Chalcédoine mais déjà celles du NT, comme une sorte d'hologramme: icône en effet, image de synthèse, mouvante et changeante (cinématographique en n dimensions), qui n'apparaît que d'un certain point de vue, et différemment de différents points de vue, à partir de toutes les "christologies" qui le constituent, tantôt concordantes, divergentes ou contradictoires. Il n'y en a pas moins quelque chose à voir -- et de la "gloire", et de la "chair", l'une contre l'autre et l'une dans l'autre, comme la lumière et l'écran ne fût-il que d'air et de poussière, et différemment selon la position "existentielle" du spectateur (sa "chair" et sa doxa aussi au sens d'opinion, ou de "point de vue"; au passage, l'expression thomiste des "yeux glorifiés" est très jolie et s'articule à beaucoup d'énoncés bibliques: les yeux du cœur éclairés, dessillés, l'œil simple, etc.).

Bien entendu, tout ce langage visuel qui est déjà en grande partie celui du NT, et même du deutéro-Isaïe (e.g. 40,5.9) par ailleurs grand pourfendeur des "idoles", est en soi un vaste sujet de méditation (image du dieu invisible, etc.). Para-doxe s'il en est.

P.S. Pour rester dans le paradoxe holographique et anachronique (l'espacement des points de vue est aussi et surtout temporel), cf. ici, aussi de là.
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