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 La vengeance et la Bible

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MessageSujet: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeVen 07 Mar 2014, 17:09

En Dt 32,35 du affirme : "A moi la vengeance et la rétribution"

Pourtant la notion de vengeance privée est présente dans la Bible.

Lorsque Dieu demande des comptes à Caïn du meurtre d’Abel, il le prémuni contre toute tentative de vengeance :

"Le SEIGNEUR lui dit : Alors, si quelqu'un tue Caïn, on le vengera sept fois. Et le SEIGNEUR mit un signe sur Caïn pour que ceux qui le trouveraient ne l'abattent pas." (Gn 4,15)

Dans l'AT on retrouve souvent l'idée qu'un proche parent d'une victime est dans l'obligation de le venger en tuant le coupable.

Le chant de Lémek indique que la riposte violente ou la vengeance privée était une façon de régler un conflit ou le meurtre dont il s'était rendu coupable :

"J'ai tué un homme pour ma blessure et un enfant pour ma meurtrissure ... Si Caïn doit être vengé sept fois, Lémek le sera soixante-dix-sept fois !" (Gn 4,22-23)

Après le Déluge Dieu proclame un précepte de non-violence et paradoxalement maintient la notion de vengeance.(Gn 9,6) :

"Celui qui répand le sang de l'être humain, par l'être humain son sang sera répandu"
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeVen 07 Mar 2014, 17:43

En cas d'homicide involontaire, le plus proche parent mâle de celui qui a été tué devient son "vengeur du sang", il ne peut échapper à cette obligation vengeance qui ne disparait pas même si le meurtrier involontaire cherche a se réfugier dans une ville de "refuge", pour y échapper, le meurtrier involontaire doit courir plus vite que le vengeur du sang. Même si le meurtrier involontaire est dans la ville de refuge, l'obligation du vengeur du sang ne disparaît pas ... si le meurtrier sort de la ville le vengeur de sang doit le tuer.


" Le SEIGNEUR dit à Josué : Dis aux Israélites : Donnez-vous les villes de refuge dont je vous ai parlé par l'intermédiaire de Moïse. Le meurtrier qui a tué quelqu'un par erreur, par méprise, pourra s'y enfuir ; elles vous serviront de refuge contre le rédempteur du sang. Il s'enfuira vers l'une de ces villes, s'arrêtera à l'entrée de la porte de la ville et exposera son cas aux anciens de cette ville ; ceux-ci le recueilleront auprès d'eux dans la ville et lui donneront un lieu chez eux pour qu'il y habite. Si le rédempteur du sang le poursuit, ils ne lui livreront pas le meurtrier ; car c'est par méprise qu'il a tué son prochain, alors que d'habitude il ne le détestait pas. 6Il restera dans cette ville jusqu'à ce qu'il ait comparu en jugement devant la communauté — jusqu'à la mort du grand prêtre qui sera en fonction en ces jours-là. Ensuite, le meurtrier reviendra ; il rentrera dans sa ville et dans sa maison, dans la ville d'où il s'était enfui. " - Jos 20,1-5
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeVen 07 Mar 2014, 19:05

Le droit de vendetta est reconnu en Ex 21, 12-13 :

"Celui qui frappe un homme mortellement sera mis à mort. S'il ne l'a pas traqué, et que Dieu l'ait fait tomber sous sa main, je te fixerai un lieu où il pourra s'enfuir"
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeVen 07 Mar 2014, 20:49

Voici les mêmes versets:

12 ¶ Quiconque frappe quelqu’un et cause sa mort sera mis à mort.
13 S’il ne l’a pas traqué mais que Dieu l’a mis à portée de sa main, je te fixerai un lieu où il pourra se réfugier.

ainsi que le suivant:

14 Mais si un homme va jusqu’à en tuer un autre par ruse, tu l’arracheras même de mon autel pour qu’il soit mis à mort.
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeMer 12 Mar 2014, 15:41

Citation :
[size=13.33]Le texte de Gn 9,6 me pose un problème … Dieu condamne le meurtre et prévoit comme sanction que se soit un homme qui répande le sang du meurtrier.

La sanction correspond à la faute. Le texte ne précise pas s’il cautionne la vendetta ou l’exécution d’une sentence de justice. J’ai l’impression de retrouver le schéma de la loi du talion … Qu’en penses-tu ?

« Celui qui répandra le sang de l'homme, par l'homme son sang sera répandu »
[/size]


réponse :

En tant que principe de proportionnalité du châtiment (ou de la vengeance) au crime (ou au dommage causé), le "talion" en soi peut s'appliquer aussi bien à un système de vendetta qu'à un système judiciaire (ou "forensique") où la peine est prononcée et exécutée par des tiers (et non plus par le clan de la victime); les deux systèmes coexistent dans la Torah, bien que le premier soit théoriquement restreint au cas d'homicide involontaire (Nombres 35).

Dans l'économie de la Genèse telle qu'elle se présente aujourd'hui, la proportion est simplement ramenée à une stricte équivalence (du "sept fois" de Caïn ou du "soixante-dix-sept fois" de Lamech au chapitre 4) à la mort du seul meurtrier (9, 6 "celui qui répand... son sang..."), ce qui correspond en outre au principe de "responsabilité individuelle" du Deutéronome (24,16) -- à comparer p. ex. avec 2 Samuel 21, où l'on voit a contrario qu'il faut des (sept) morts dans un clan "coupable", même si aucun d'eux n'est individuellement responsable, pour régler une "dette de sang" (ce cas d'ailleurs excède le strict cadre de la vendetta, puisque c'est un tiers, David, qui intervient en livrant des Saülides aux Gabaonites).

Maintenant, il se peut que ton "problème" vienne simplement du fait que nous concevons la "peine de mort" comme contradictoire avec l'interdit du "meurtre"; mais alors c'est un "problème" qui ne s'est guère posé avant l'époque moderne. Jusque-là, la peine capitale n'a quasiment jamais été considérée comme un meurtre (et donc pas même comme une exception à l'interdit du meurtre). Ce qui n'empêchait évidemment pas d'appeler "meurtre" une "peine capitale" prononcée injustement (ex. Achab et Naboth). (Spermologos)
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeJeu 13 Mar 2014, 12:06

Citation :
Le cas rapporté en 2 Sam 14,1-12 qui montre une femme raconter au roi David, qu’elle risque de ne plus avoir du tout de fils, car l’un a tué l’autre et que le vengeur de sang approuvé par le clan, va tuer le meurtrier … David  offre sa protection à son fils meurtrier et empêche donc le vengeur de sang d’agir … Ce fait indique-t-il que la vengeance privée ou clanique est remplacée par un système judicaire ?


réponse :

Dans cette histoire (dont tu as bien compris qu'elle est fictive, puisque c'est une mise en scène de Joab destinée à obtenir la grâce d'Absalom, en usant à l'égard de David d'une "illustration pédagogique" assez semblable à celle de la parabole de Nathan au chapitre 12), la vengeance clanique (dont on voit bien ici, au passage, qu'elle n'est pas limitée à l'homicide involontaire, en tout cas purement accidentel) ne serait pas du tout "remplacée par un système judiciaire", mais simplement arrêtée en l'espèce, à titre exceptionnel, par une décision (de grâce) arbitraire du roi. Le cas est intéressant parce qu'il montre que la loi, coutumière ou écrite, que son application relève de la vengeance privée ou de la justice forensique, doit être suspendue lorsque son fonctionnement ordinaire et quasi automatique aboutit à un résultat aberrant ou excessif (en l'occurrence la destruction d'une famille, ou -- ce que vise en fait la "parabole" jouée par la femme et mise en scène par Joab -- d'une dynastie); et qu'il faut une intervention extérieure et supérieure à la loi (ici la décision souveraine du roi) pour la suspendre. D'où l'importance que la loi ne soit jamais toute-puissante, et qu'un autre pouvoir lui échappe en principe. C'est précisément le cas du pouvoir royal en tant qu'il est divin, représentant immédiat des dieux (v. 14, 20), et qu'en tant que tel son décret est aussi un oracle qui peut prévaloir sur la règle ordinaire. Mais là encore ça n'a rien d'automatique: au chapitre 21 il n'y a pas de suspension divine (à preuve la famine), ni par conséquent royale, de la loi de vengeance. (Spermologos)
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeMer 19 Mar 2014, 17:57

Il existe un cas ou le meurtre ne neccésite pas une vendetta ou une une sanction.
Celui qui entre par effraction dans une maison dans l'intention de voler, son sang ne sera pas vengé, si le propriétaire, le tue, il sera innocentés.

" Si un voleur est surpris en flagrant délit d'effraction, qu'il soit frappé et meure, on ne sera pas coupable de meurtre pour lui " - Ex 22,2
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeMer 01 Fév 2023, 11:28

Il ne serait guère difficile de retrouver les épisodes bibliques de l'Ancien Testament qui narrent de nombreux actes de vengeance. La loi du Talion est d'ailleurs une tentative de  rapprocher  la vengeance de la justice,  en faisant en  sorte que  la riposte  infligée au coupable soit équivalente au dommage subi par la victime, et ne dépasse pas ce dommage de manière disproportionnée.

Dans la Grèce antique la vengeance, la némésis, fut d'abord une idée morale. Elle devint ensuite une véritable divinité, Némésis, la déesse de l'équité, qui agissait chaque fois que la démesure des  mortels , l'hybris , mettait l'équilibre de l'univers en danger. Pour reprendre une définition du dictionnaire d'Anatole BAILLY, Némésis était « la déesse de  la justice distributive, qui châtie l'excès de bonheur ou d'orgueil ». Némésis n'accomplissait donc pas des vengeances aveugles  ; elle  n'avait en fait qu'une fonction essentielle : empêcher les orgueilleux mortels de devenir les égaux des dieux. Mais on trouve également pour signifier  l'idée de « vengeance », chez Hérodote par exemple, le mot  tisis. La tisis est la vengeance considérée comme châtiment, comme punition. Au pluriel ce terme désigne « les Furies vengeresses ». Notons que la tisis c'était aussi «  la rémunération ,  la récompense ,  le présent en retour  »(ibid.). Ainsi, bien que les deux termes, némésis et tisis, ne soient pas synonymes, on  trouve dans l'un comme dans l'autre, le sens d'une vengeance qui rétablit un équilibre. Notons que dans l'antiquité le plaisir à se venger et faire souffrir fut longtemps considéré comme « un plaisir des dieux ». Mérimée a, d'une certaine façon, repris ce thème dans son conte fantastique , "La Vénus d'Ille" ...

... Un monde sans vengeance

Dans le monde occidental contemporain la vengeance est interdite aux individus et aux  états.

L'abolition de la peine de mort - à tout le moins en Europe -, est sans doute,  sur ce point, l'événement récent le plus frappant (mais pas forcément le plus intéressant). A l'égard du coupable, nous vivons désormais sous le régime des circonstances atténuantes et du pardon, de la peine juste donnée au cas par cas, et de la réhabilitation comme objectif de la sanction judiciaire.

D'ailleurs la vengeance est éthiquement si dévaluée que les victimes, au coeur même de leur drame, n'osent  réclamer  publiquement que la justice ; mieux encore, chacun, à la place discursive où il se trouve, prend bien soin d'éviter qu'on puisse lui imputer un  désir de se venger.   Cependant, peut-on aller jusqu'à considérer l'abolition de la peine de mort comme l'instauration d'un régime généralisé des circonstances atténuantes ? Ne s'agit-il pas plutôt de l'institutionnalisation d'un régime de peine et de châtiment simplement extérieur à la mort ? Mais « il y a quelque chose à voir, dans la vengeance , avec le désir, ce qui la différencierait de la punition, dans laquelle il n'y a pas de désir, puisqu'elle est le fait d'une institution, donc d'un acteur collectif, d'une médiation » ( B.Lamizet. ibid.). Si nous revenons à l'étymologie, nous constatons que le verbe latin « desiderare  a d'abord signifié  cesser de voir une étoile (de-siderare) , d'où « regretter une absence ». S'il y a du désir dans la vengeance, il y aurait donc du regret.  On peut alors envisager la vengeance comme un lieu où s'inscrit dans la durée un désir de violence envers l'autre. C'est  aux psychanalystes de nous éclairer sur ce problème.

Désir, pulsion, envie, volonté de vengeance n'ont plus aucun droit d'entrée dans la parole. Et pourtant cette rage vive de meurtrir l'auteur d'un tort fut un affect important et légitime de l'intériorité humaine pendant des siècles ;  désormais, elle est bannie du champ des émotions avouables. L'histoire occidentale semble avoir opéré une restriction du pathos humain ; et chacun voit dans cette   élimination de la vengeance comme la condition et la conséquence d'un degré supérieur de  civilisation. N'oublions cependant pas que Freud, qui écrivait à  Ferenczi le 28 juin 1914 : « Je vous écris sous le coup de l'assassinat surprenant de Sarajevo, dont les conséquences sont tout à fait imprévisibles. Il me semble bien que la participation personnelle tienne ici peu de  place »( « S.Freud - S. Ferenczi  Correspondance 1908-1914 ») , douta ensuite, devant l'embrasement de l'Europe et la cruauté de la guerre, de la capacité  des sociétés dites « civilisées » à gérer la pulsion de mort, et déplora dans les « Considérations sur la guerre et la mort »(1915) que l'état de la société moderne qui se retourne contre les individus qui accomplissent des injustices, s'octroie le droit et le monopole de « toutes les injustices, toutes les violences, ce qui déshonorerait l'individu » (ibid.)

https://www.fabula.org/actualites/9006/la-vengeance-et-son-discours.html
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeMer 01 Fév 2023, 15:54

Pour confondre "vengeance" et "justice", il faudrait déjà les avoir distinguées, comme des concepts radicalement différents, hétérogènes, irréductibles l'un à l'autre; à mon sens ce n'est pas le cas, ça ne l'a jamais été et ça ne le sera jamais parce que ça ne peut pas l'être: ce qu'on distingue superficiellement sous les noms de vengeance et de justice ne sont que des modalités de la même "chose" -- réplique immédiate ou différée, proportionnée ou non à l'acte, décidée et/ou infligée par la victime, ses ayants-droits, la communauté ou un tiers neutre, transcendant ou instrumental, répondant à une loi écrite ou non, et ainsi de suite. La compulsion de répétition mimétique (un acte en appelle un autre semblable) reste la même, pas seulement dans la vengeance "privée" et au tribunal, mais jusque dans ce qui est censé s'opposer à l'une comme à l'autre, p. ex. le "tendre l'autre joue" du Sermon sur la montagne ainsi qu'on le rappelait hier. Et la "censure" moderne du discours de la "vengeance" au profit de la "justice" est d'autant plus perverse (double bind) que les deux notions sont, de fait, inséparables.
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeJeu 02 Fév 2023, 11:44

Dieu des vengeances, resplendis ! Prier la violence ?
Une lecture du Psaume 94

En effet, face aux « orgueilleux » (v. 2) qualifiés de « méchants » (v. 3), le priant en appelle à Dieu, au « Dieu des vengeances » (v. 1). Cette expression suscite plus d’une question : comment peut-on juxtaposer le mot « vengeance » au nom de « Dieu » ? N’est-ce pas contradictoire ? La vengeance, n’est-elle pas indigne de Dieu ? Pour tenter une réponse, il importe de s’interroger, aussi, sur la situation du psalmiste : pour quelle raison sent-il le besoin d’en appeler à un Dieu vengeur ? Qui sont ses adversaires mentionnés dans la prière ? Pourquoi demande-t-il que la vengeance retombe sur eux et qu’espère-t-il de Dieu ? Avant d’entrer dans la lecture attentive du psaume, il est important d’y jeter un premier regard d’ensemble pour en repérer la construction et l’organisation formelle.


Traduction du Psaume 94

Dieu des vengeances, Adonaï,
Dieu des vengeances, resplendis !
2 Dresse-toi, juge de la terre,
fais retourner (la) rétribution sur (les) orgueilleux.
3 Jusqu’à quand (les) méchants, Adonaï,
jusqu’à quand (les) méchants se réjouiront-ils ?
4 Ils font jaillir, ils parlent (avec) insolence,
ils se vantent tous (les) malfaisants.
5 (C’est) ton peuple, Adonaï, (qu’)ils écrasent,
et ton héritage, (qu’)ils oppriment.
6 (La) veuve et (l’)étranger ils tuent,
et (les) orphelins ils assassinent.
7 Et ils disent : Yah ne voit pas,
le Dieu de Jacob ne comprend pas.

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2010-4-page-467.htm
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeJeu 02 Fév 2023, 13:26

Ce n'est étonnant que d'un point de vue "chrétien" ou "post-chrétien" (p. ex. "humaniste moderne") qui nous met en devoir d'opposer (superficiellement, artificiellement et assez hypocritement le plus souvent) "vengeance" et "justice" -- alors que toute notre culture (mythes, légendes, littérature, cinéma, séries, etc.) est remplie d'histoires de vengeance qui précisément nous paraissent "justes"; il y a aussi des récits judiciaires, mais paradoxalement ceux-ci nous accrochent surtout quand ils sont "injustes" et nous font regretter la bonne vieille "vengeance"...

Le "dieu des vengeances" au Psaume 94,1, c'est 'l nqmwt / 'el neqamoth: il n'est pas indifférent que ce soit 'el, qui est aussi le nom (El) du dieu suprême du panthéon cananéen, père des dieux et des hommes, garant ultime quoique lointain de l'ordre des choses, secondairement identifié à Yahvé au fil des rédactions "bibliques" et du développement du "monothéisme". De toute façon l'association de Yahvé (sous un nom ou un autre) à la racine nqm (qu'on ne peut guère traduire autrement que par venger, vengeance etc., depuis Genèse 4,15.24 --  y compris en Lévitique 19,18 où la vengeance est interdite !) n'a rien d'exceptionnel (Lévitique 26,25; Nombres 31,2s; Deutéronome 32,35.41.43; Juges 11,36; 16,28; 2 Samuel 4,8; 22,48; 24,12; 2 Rois 9,7; Psaume 18,48; 58,11; 79,10; 99,8; 149,7; Isaïe 1,24; 34,8; 35,4; 47,3; 59,17; 61,2; 63,4; Jérémie 5,9.29; 9,9; 11,20; 15,15; 20,10.12; 46,10; 50,15.28; 51,6.11.36; Ezéchiel 24,8; 25,12ss; Michée 5,15; Nahoum 1,2). La Septante traduit habituellement nqm par des dérivés de dikè, "justice", souvent avec le préfixe ek- qui suggère une justice en retour de quelque chose (tort, crime, forfait) ou de quelqu'un (les victimes ou leurs représentants) -- ainsi ek-dikèsis dans ce psaume (93 LXX): dans la pensée grecque non plus il n'y a aucune antinomie entre "justice" et "vengeance" (l'épopée et la tragédie en témoignent), en principe la "vengeance" est "juste" et la "justice" est "vengeresse", l'une ne va pas sans l'autre.
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeJeu 02 Fév 2023, 15:38

Il y a un cas de vengeance qui m'a toujours marqué, c'est les règlements de comptes post mortem du roi David sur fond de succession au trône de David :

"Tu sais bien ce que m'a fait Joab, fils de Tserouya, ce qu'il a fait aux deux chefs des armées d'Israël, à Abner, fils de Ner, et à Amasa, fils de Yéter. Il les a tués, il a versé le sang de la guerre pendant la paix, et il a mis le sang de la guerre sur la ceinture qu'il avait aux reins et sur les sandales qu'il avait aux pieds. Tu agiras selon ta sagesse, et tu ne laisseras pas ses cheveux blancs descendre en paix au séjour des morts. Tu agiras avec fidélité envers les fils de Barzillaï, le Galaadite ; ils seront de ceux qui mangent à ta table ; car ils ont agi de la même manière quand ils se sont joints à moi alors que je fuyais pour échapper à Absalom, ton frère. Tu as avec toi Shiméi, fils de Guéra, Benjaminite, de Bahourim. Il a prononcé contre moi des malédictions violentes le jour où j'allais à Mahanaïm. Mais il descendit à ma rencontre vers le Jourdain, et je lui fis ce serment par le SEIGNEUR : « Je ne te ferai pas mettre à mort par l'épée. » Maintenant, ne le laisse pas impuni ; car tu es un homme sage, et tu sais comment tu dois le traiter. C'est dans le sang que tu feras descendre ses cheveux blancs au séjour des morts" (1 R 2, 5-9).


De même, l’histoire de l’adultère du roi avec Batsheba et la naissance de Salomon (2 S 11-12) permettent d’amorcer l’élimination progressive des concurrents potentiels de Salomon : Amnon qui est assassiné par son demi-frère (2 S 13), Absalom qui est tué par Joab (2 S 14-20) et Adoniyah qui sera mis à mort par Salomon (1 R 1-2), ainsi que d’autres opposants tels que Joab (2 S 3,23-39, 18,9-33, 1 R 1,7, 2,5-6, 28-35) et Shiméi (2 S 16,5-14, 19,16-24, 1 R 2,36-46), qui seront victimes des instructions vengeresses de David à Salomon.

De plus, il y a entre le portrait d’Adoniyah et celui d’Absalom bien des traits communs qui militeraient en faveur de l’unité de 1 R 1-2 avec le reste du récit de succession. Adoniyah et Absalom sont d’une beauté sans égale (2 S 14,25-26, 1 R 1,7) ; les deux nourrissent des prétentions au trône, se procurent des chars et s’entourent de « cinquante hommes qui courent devant eux » (2 S 15,1, 1 R 1,5) ; ils organisent chacun un festin, l’un pour y assassiner son demi-frère Amnon (2 S 13,23-29), l’autre pour se faire couronner au détriment de son demi-frère Salomon (1 R 1,8-9) – dans les deux cas il est question d’un complot qui met en évidence des tentatives malheureuses et infructueuses pour éliminer d’éventuels concurrents et les deux personnages offrent des sacrifices (réels ou feints) avec leurs alliés (2 S 15,7-12, 1 R 1,8-9).

1 R 1-2 semble donc former, de ce point de vue, une unité avec le récit qui commence en 2 S 9 et dont il constitue apparemment une conclusion naturelle, avec la mort de David et la disparition de tous ceux qui étaient susceptibles d’entraver le règne de Salomon. G. H. Jones estime que le chapitre 1 est consacré au problème de la succession au trône de David et le chapitre 2 destiné à justifier moralement et théologiquement l’action de Salomon contre ses adversaires. En éliminant ces hommes, Salomon obéissait à son père. De plus, certaines des additions occasionnelles se réfèrent à l’élection de la maison de David, et, par conséquent, aussi de Salomon. Pour Jones, dans leur forme actuelle, les deux chapitres de l’histoire de la succession sont pro-salomoniens et, par implication, pro-dynastiques.

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2007_num_87_3_1277#rhpr_0035-2403_2007_num_87_3_T3_0290_0000
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeJeu 02 Fév 2023, 16:37

Très intéressante étude, qui montre comment la lecture d'un texte (1 Rois 1--2) peut s'inverser complètement suivant les présupposés du lecteur: on lit habituellement l'histoire de Salomon comme celle d'un "bon roi" qui devient "mauvais" sur le tard, selon les critères de l'"historiographie deutéronomiste" (si on veut l'appeler ainsi), mais il est en effet tout à fait plausible que celle-ci voie "le ver dans le fruit" dès le début -- non seulement du règne de Salomon, mais depuis la "faute" de David qui aboutit à la naissance de Salomon, dans 2 Samuel. C'est lourd de conséquences sur l'idée qu'on se fait du "deutéronomisme" lui-même: il serait beaucoup moins "monarchiste" qu'on l'imagine souvent (les "bons rois", qui sont rares et ne sont pas sans faille, sont rapportés au modèle de David, non de Salomon; or le règne de David lui-même tourne mal avant sa fin, et toute sa "suite" dynastique est aussitôt grevée de cette tare originelle); encore moins "sapiential" (le parangon de sagesse est d'emblée le type du "mauvais roi", un peu comme le Prince de Machiavel pour ceux qui ne l'ont pas lu); de fait, la sagesse menace l'idéologie "deutéronomiste" et beaucoup d'autres: le roi sage n'a pas besoin de loi (Platon dit à peu près la même chose dans Le Politique, la loi ne fait que pallier son absence), et très peu de rituel (Salomon construit le temple et en relativise aussitôt l'importance)... Soit dit en passant, la lecture la plus négative du règne de Salomon serait encore plus ruineuse pour le "messianisme davidique" ultérieur, pris au pied de la lettre (le Messie ou Christ descendant de David par Salomon et roi comme lui), autant dans ses versions chrétiennes que pharisiennes ou rabbiniques.

Toutefois ce n'est pas la seule voix qui s'exprime dans le récit, puisque dès le chapitre 3 la sagesse de Salomon, ouverte sur le vaste monde aux antipodes de l'exclusivisme deutéronomiste, est célébrée sans la moindre réserve: quels que soient ses présupposés de départ et le souvenir qu'il gardera du récit, le lecteur-auditeur ne peut lire ou entendre sans être baladé d'un point de vue à l'autre...

En ce qui concerne les "vengeances" (puisque c'est le sujet de ce fil) des chapitres 1 et 2, elles peuvent d'ailleurs être prises en bonne ou en mauvaise part selon chacun de ces points de vue: pour le "deutéronomiste", il peut s'agir de discréditer Salomon, mais aussi de montrer qu'une certaine "justice" s'accomplit malgré les faiblesses des uns et des autres; pour la "sagesse", de montrer que la "paix" à venir dépend aussi d'un certain calcul politique, qui s'appelle bien "sagesse" en 2,6.9, ou / et cependant qu'un tel calcul n'est pas à la hauteur de la sagesse divine demandée et octroyée au chapitre 3...
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeVen 03 Fév 2023, 11:42

Folie, violence et vengeance en 1 Samuel 24 à 26

Nombreux sont les actes de violence commis dans ce monde. Nombreuses aussi sont les souffrances que cette violence engendre.

Depuis la nuit des temps, l’homme réagit aux violences qu’il subit par des représailles. Il cherche à se venger en infligeant une souffrance (ou, au moins un désagrément) équivalente ou supérieure à la sienne. L’homme qui se venge ne se contente pas, généralement, d’appliquer la loi du talion: « œil pour œil, dent pour dent », mais adopte plutôt l’attitude suivante: « Si tu m’insultes, je te casse le bras. » Ou, encore: « Puisque tu as tué mon frère, je te massacre, toi et ta famille. » Par la suite, c’est aux proches du premier fautif d’engager, à leur tour, des représailles.

Cette spirale de la violence et de la vengeance, comme nous le savons, peut provoquer de la haine et de la désolation pendant très longtemps. C’est pourquoi, il n’est pas surprenant que l’Ecriture présente la vengeance comme l’un des problèmes fondamentaux de la race humaine. Le texte de 1 Samuel 24-26 aborde ce problème et éclaire le comportement du croyant face à cette tentation.(nbp. Voir p. 10) ...

... Un Lévite se trouve en voyage avec sa concubine. Ils passent par Guibéa, une ville de la tribu de Benjamin. Un homme âgé de la ville les accueillent chez lui. Des habitants de la ville viennent frapper à sa porte et demandent que le Lévite leur soit livré pour pouvoir le malmener sexuellement. L’homme âgé proteste, mais ils insistent. En fin de compte, le Lévite leur livre sa concubine qui devient l’objet d’un viol collectif. Elle en meurt. Le Lévite rentre chez lui avec le cadavre, le coupe en morceaux et envoie ceux-ci partout en Israël. Tout Israël est horrifié d’apprendre cette histoire, et se mobilise pour punir les Guibéanites coupables. Mais les gens de la tribu de Benjamin refusent de livrer leurs frères Guibéanites à la justice des autres. Les Benjaminites se mobilisent pour les défendre. La guerre civile déclenchée par cet incident provoque la mort d’un si grand nombre de Benjaminites que leur tribu est menacée d’extinction, ce qui finit par attrister les autres tribus.

Quel est le message transmis par ce texte? Il présente le dérèglement sexuel des Guibéanites comme une grande folie qui les ont conduit à des actes de violence qui, à leur tour, ont incité d’autres personnes à des représailles. Folie, violence et vengeance.

Ce récit attire aussi notre attention sur la lâcheté extrême du Lévite. Son comportement à l’égard de sa femme a été exécrable. De plus, par sa manière de raconter l’histoire, de retour chez lui, il a provoqué chez ses concitoyens un mouvement de représailles pour des actes dont il portait lui-même une grande part de responsabilité.

Le récit montre aussi à quel point cette guerre de représailles a fait du tort à tout le peuple d’Israël. Une tribu entière a failli disparaître après que des milliers de personnes aient perdu la vie pendant la guerre civile.

Pourquoi terminer le livre des Juges par une histoire aussi désolante? Le rédacteur répond à cette question par la phrase clef du livre des Juges: « En ces temps-là, il n’y avait pas de roi en Israël. Chacun faisait ce qu’il jugeait bon. » Le verdict du rédacteur est clair. De telles horreurs, y compris l’horreur de la vengeance, se sont produites puisqu’il n’y avait pas une autorité forte pour punir les coupables et, en même temps, pour empêcher la vengeance de se développer comme une métastase mortelle. Il n’y avait pas de roi en Israël pour dire – comme Dieu l’a dit en Genèse 4 – STOP, pour traduire les coupables en justice et, en même temps, pour proscrire la vengeance.

https://larevuereformee.net/articlerr/n224/folie-violence-et-vengeanceen-1-samuel-24-a-26


Cet article très moralisant ne questionne pas le silence assourdissant de Dieu dans ce récit.
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeVen 03 Fév 2023, 12:36

Moralisant et harmonisant, ce n'est pas vraiment surprenant de la part d'un professeur de théologie pratique (on eût dit naguère [de] morale) à la Faculté réformée (= calviniste) évangélique (= "fondamentaliste") d'Aix-en-Provence...

Mais pour autant qu'elle s'attache aux textes, quels que soient ses présupposés, toute lecture finit par y relever des points intéressants. Ainsi le rôle de l'histoire de Nabal et Abigaïl (chap. 25) entre les deux rencontres nocturnes de David et de Saül -- que ce soient des doublets rédactionnels, comme cela arrive souvent depuis la Genèse (cf. Abraham / Isaac chez Abimélech / Pharaon, ou Sodome / Guibéa), ne rend pas moins significative la façon dont la rédaction même s'en empare, et consciemment ou non les construit, les relie, les différencie, les articule d'une façon ou d'une autre.

Du point de vue de la "vengeance" (même si la racine nqm n'y apparaît pas), l'extermination du clan de Nabal eût été disproportionnée (c'est l'argument même d'Abigaïl en 25,26, une initiative sanglante, "entrer dans les sangs", qui ne répondait à rien de tel); l'assassinat de Saül, lui, posait d'autres problèmes, et du côté du statut "sacré" de la cible (l'Oint de Yahvé) et de la forme de l'acte (il y aurait plus de ruse "féminine" que de courage "viril" à tuer quelqu'un dans son sommeil, cf. Yaël... ou Macbeth).

En tout cas ta remarque est tout à fait pertinente: sans "absence de Dieu" (du moins du "Dieu" monothéiste présumé omniprésent autant qu'omniscient et omnipotent) il n'y aurait place pour aucune "violence", pour aucune "folie", pour aucune "vengeance" ni pour aucune "justice", il n'y aurait tout simplement pas d'histoire...
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeVen 03 Fév 2023, 13:51

PHILIPPE LEFEBVRE
Les temps de la-chair-avec-Dieu
L’exemple de la concubine de Guibéa (Juges 19)

CORPS ET SACRÉ : LA PRÉSENCE DE DIEU

Jg 19 est un texte dérangeant, insupportable. La femme bafouée y demeure anonyme, elle n’a même pas statut d’épouse officielle, on ne l’entend jamais parler. Mais tout le texte est habité par son corps : jeté à la rue, mis à mal par une meute d’hommes, effondré devant la porte, emporté par le Lévite, démembré. Le dernier geste, horrible, du dépècement propage ce corps aux dimensions d’Israël : douze morceaux et douze tribus, un seul corps et un seul peuple.

Lors de la nuit barbare, où est Dieu ? Le lévite, si soucieux de ne pas dormir dans une cité non israélite, a vite oublié sa religion quand le danger survient. Il n’invoque pas Dieu, il ne sort pas lui-même devant les Guibéonites. Il trouve dans sa concubine la victime désignée. Ni lui ni personne ne demande leur avis à la femme ni à Dieu. La vocation d’un lévite est d’être offerte au Seigneur à la place d’un premier-né d’Israël (Nb 3, 11–13). Tout lévite est donc une vivante offrande, substituée aux aînés que l’on sacrifiait autrefois à la divinité. Or, en Jg 19, c’est le corps de la femme qui est substitué au lévite que les habitants réclamaient ; elle est livrée pour que le groupe puisse demeurer en paix dans la maison. La vocation d’un lévite est aussi de n’avoir aucun lieu en Israël : comme pour tous les membres de sa tribu, c’est le Seigneur qui est son héritage (Nb 18, 20). En Jg 19, il trouve dans la maison d’accueil un lieu dont il ne sortira pas ; c’est la femme qui devient la sans-lieu : elle est expulsée dans la nuit, puis son corps est disséminé dans le pays.

Ce n’est donc pas le lévite qui accomplit la vocation lévitique, mais la femme ; son corps est le lieu paradoxal, dénié, dépecé, où cette vocation se matérialise soudain. Elle est effectivement à la place du lévite, censé être à la place d’un premier-né ; elle est aussi à la place de Dieu. Personne ne nomme Dieu, ne se réfère à lui, il est oublié. Personne ne nomme la femme, ne la considère comme une personne ; elle est oubliée. Dieu innommé, femme anonyme. Le corps de la concubine matérialise le lieu et le temps de Dieu : c’est-à-dire l’absence de lieu, l’expulsion et l’oubli.

Il ne s’agit pas ici de récupérer l’atrocité dans le cadre d’une doctrine sacrificielle qui donnerait à l’abus le sens d’une offrande. Je pense justement que Jg 19 critique ce que nous entendons par sacré et sacrifice. Le sacré ne résulte pas d’un apprêt institutionnel qui permettrait d’entrer en contact avec Dieu. Le sacré, c’est là où Dieu est présent ; or Dieu est totalement présent quand un être est totalement démuni de tout appui humain. Le corps absolument abandonné est l’absolu lieu de Dieu. Jg 19 propose le corps bafoué puis parsemé de la concubine comme un lieu définitif, dont on ne partira plus. Ce lieu du corps devient histoire. Montrons-le rapidement.

https://www.unifr.ch/at/fr/assets/public/files/Personen/Lefebvre/fzphth-2007-les-temps-de-la-chair-avec-dieu.pdf
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeVen 03 Fév 2023, 15:51

Ph. Lefebvre très stimulant, comme souvent (c'est un des auteurs que j'ai découverts et appréciés ici grâce à tes posts, à une époque où je ne lisais plus grand-chose d'exégétique ou de théologique par ailleurs).

L'intertextualité biblique (quel que soit le canon de référence) est proprement folle et affolante, et d'elle-même elle n'offre pas de garde-fous: on peut "rapprocher" n'importe quel texte de n'importe quel autre, dessiner toute sorte de parcours et de schémas (tresser des "couronnes" de versets comme dit joliment le judaïsme rabbinique), on y trouvera toujours de bonnes raisons dans les textes mêmes. Les critères extérieurs d'analyse philologique ou littéraire, scientifiques, traditionnels ou dogmatiques, restent au fond étrangers à ce jeu-là qu'ils ne peuvent pas plus régler qu'empêcher, ils sont plutôt entraînés et joués par lui -- il en va de même des idéologies modernes, par exemple le féminisme, forcément décalées par rapport aux textes et qui font pourtant ressortir des choses qui sont bien dans les textes, et qu'on n'aurait pas remarquées sans elles.

Il y a cependant des relations qui me semblent fonctionner mieux que d'autres: le rapport de Juges 19ss à l'histoire de Saül (qui suit dans tous les "canons", de plus près encore en hébreu sans l'intercalation de Ruth) me semble évident; celui du "lévite" à la Torah (avec la construction artificielle qui fait des lévites une "tribu" ethnique, puis une sous-catégorie sacerdotale dans la perspective du sanctuaire unique, sans parler des comptes d'apothicaire qui les rapportent approximativement aux "premiers-nés"), beaucoup moins. J'attache probablement plus d'importance que Lefebvre aux analyses "diachroniques", de critique historique ou littéraire, mais surtout je trouve que l'"intégrisme textuel", quand il s'étend non seulement à un récit mais à toute l'intertextualité biblique qu'on peut lui rapporter, traitée "synchroniquement" comme si tous les textes étaient contemporains, aboutit vite à un "trop-plein" de "sens" où aucun "sens" n'est plus lisible.

Sur le thème de la "vengeance" (auquel Lefebvre ne s'intéresse pas particulièrement), on peut quand même remarquer qu'elle "fait du lien", comme on dit, entre les individus et les groupes, alliés ou ennemis, entre les générations et entre les récits. On pourrait dire la même chose de la littérature grecque, de la mythologie ou de l'épopée à la tragédie, mais aussi à la philosophie: s'il y a de la mémoire, de l'histoire, et aussi de la "logique", narrative autant que rhétorique, de la "suite dans les idées", cela tient en grande partie à la compulsion de vengeance, au souvenir des torts subis ou infligés et des "comptes à régler" (même s'ils ne se règlent jamais). Une faute non châtiée, un bienfait non récompensé, une "injustice" nous accompagne, poursuit, nous hante ou nous obsède comme une erreur dans un raisonnement. A vrai dire on ne peut guère envisager d'autre modèle d'"humanité" que celle de la "connaissance du bien et du mal" aussi sous cette forme, sinon une idiotie et une amnésie généralisées, qui oublieraient chaque événement à mesure qu'il passe, sans chercher à lui donner une réponse ou une suite (ainsi "l'homme" se représente souvent "l'animal", non sans simplification abusive).
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeLun 06 Fév 2023, 13:05

L’enchantement divin de la vengeance

Deux paradoxes psychologiques de la vengeance

D’un point de vue passif, le paradoxe du spectateur de la vengeance. Il y a un certain plaisir à vivre une vengeance par procuration - alors que celle-ci est proscrite - : les tragédies grecques, où s’opèrent la catharsis, en sont les plus dignes exégètes. Prenons, pour illustrer, la tragédie Les Perses d’Eschyle, écrite après les victoires grecques de Salamine et de Platées. Elle peint la victoire inespérée des Grecs sur leurs ennemis de toujours, les Perses, lors de la deuxième guerre médique. C’est une véritable vengeance de la part des Grecs, après avoir essuyés de nombreux affront de l’empire perse. C'est donc en vivant cette vengeance par procuration qu’a lieu la catharsis (« purgation des passions ») en jouant avec les émotions des spectateurs. La trame, les faits et la narration fascinent les spectateurs, alors que la souffrance des Perses les réjouit. D’un côté, cette souffrance représentée et imaginée est repoussante et amorale, mais, d’un autre côté, le spectateur a un intérêt personnel à cette contemplation, comme l’explique Luc Boltanski dans La souffrance à distance - Moral humanitaire, médias et politique (1993) : « Adoptons maintenant la place du spectateur. Soit un spectateur contemplant à distance un malheureux qui souffre et qu’il ne connaît pas, qui ne lui est rien, ni parent, ni ami, ni même ennemi. […] Celui qui observe la souffrance d’autrui sans indifférence et sans lever le petit doigt pour la soulager s’expose à l’accusation de regarder pour son propre compte, par intérêt, parce que ça l’intéresse, ou même par plaisir. »

D’un point de vue actif, le paradoxe de la maîtrise de la vengeance. En effet, s’interroger sur sa dimension psychologique, c’est indéniablement s’interroger sur la place qu’elle occupe au sein du duo nature/culture de l’homme. Mais elle trouverait son origine ni exclusivement dans l’une, ni dans l’autre, mais puiserait sa source dans les deux. Concernant l’ancrage dans la nature de l’être humain, les neurologues pensent que le cerveau humain trouve du plaisir à la vengeance, tout comme il en ressent lors d’une addiction. Selon Michael McCullough, professeur de psychologie à l’Université de Miami, le concept de vengeance est profondément ancré dans l’évolution (Beyond Revenge : The Evolution of the Forgiveness Instinct, 2008). Pour autant, si elle s’ancre en partie dans la nature de l’homme, comment se fait-il qu’il lui est si difficile de la maîtriser (culture) ? En effet, la vengeance est bien souvent connotée négativement, mais quand vient le moment de la refouler, l’homme témoigne d’une grande faiblesse. Ce qu’explique Michael McCullough : « Avec tout [ce que nous savons], pardonner semble être la chose raisonnable à faire. Mais c’est dur. Il est facile de confondre pardon et faiblesse, et c’est la dure réalité de notre univers social d’aujourd’hui : l’inaction est facile à confondre avec un manque de courage. » Une des explications données à ce paradoxe : la satisfaction personnelle que procure la vengeance. Tolstoy, Dostoyevsky, Kafka : la vengeance en trois plumes Le thème de la vengeance est plus que jamais présent dans la littérature. Cependant, des aspects originaux de la vengeance, qui sortent des sentiers battus (comme la vengeance passionnelle, la vengeance romantique, etc), ont pu être traités par Dostoyevsky, Tolstoy et Kafka. D’abord, l’écrivain russe du XIXe siècle Fyodor Dostoyevsky avec son roman Les Carnets du Sous-sol. Il s’agit ici de vengeance maladive. Par vengeance maladive, il faut entendre celle qui nous ronge de l’intérieur, qui change notre être, qui devient profondément personnelle et que l’on ne peut guérir sans opérer un travail sur soi d’une grande ampleur. Bien souvent, elle sévit sous le joug de l’irrationnel, et elle ne peut être comprise par n’importe qui d’autre. Voici ici la brillante analyse de Nikola Milosevic dans Nietzsche et Strindberg : psychologie de la connaissance, à propos de la vengeance maladive du héros du roman de Dostoyevsky : « Le héros de l’Esprit souterrain tourne et retourne cette offense pendant des années, en cherchant à se venger, mais sans avoir assez de force pour en tirer vengeance. Il suit son tortionnaire, découvre son adresse, écrit une satire dont cet officier est le protagoniste et le comble de sa vengeance est que, après une série de tentatives manquées, il refuse de reculer devant lui dans la rue. Et, à la veille de cet « exploit » qu’il envisage d’accomplir, le héros de Dostoyevsky ne dort pas pendant deux ou trois nuits en attendant « le règlement de comptes » imminent. » Ensuite, son compatriote Tolstoy à travers son œuvre Anna Karénine, où il s’agit, dans une certaine optique, de refus de vengeance. En effet, pour Tolstoy : « Ne vous préoccupez pas de la vengeance lors de votre vie : deux torts n’ont jamais donné un bienfait. » Il s’attache d’ailleurs à suivre la morale chrétienne : peu importe à quel point Anna Karénine est coupable (d’adultère notamment), ce n’est pas à nous de la condamner, mais à Dieu. En ce sens, ceux qui se sont senti, dans le roman, offensé ou humilié par Anna Karénine n’ont pas à se venger d’elle ; de même, le lecteur n’a pas à la blâmer pour son comportement qui va à l’encontre des mœurs russes de l’époque. Le refus de la vengeance, pour Tolstoy, est le début de l’acceptation du pardon.

https://www.lobjectifjournal.com/formes-litteacuteraires-libres/lenchantement-divin-de-la-vengeance


Dernière édition par free le Lun 06 Fév 2023, 15:53, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: La vengeance et la Bible   La vengeance et la Bible Icon_minitimeLun 06 Fév 2023, 15:32

Les citations sont intéressantes, mais l'analyse me semble assez superficielle -- comme à peu près chaque fois que quelqu'un s'imagine distinguer des concepts quand il distingue des mots dans sa langue maternelle (ici "vengeance" et "revanche", pour commencer), sans se demander si et comment ça se traduirait dans une autre langue, et (ce n'est pas exactement la même question) jusqu'où une distinction est effectivement pensable, dans sa propre langue ou une autre.

Dans le sentiment et la sensation tout finit par se confondre, bien au-delà du champ lexical de la "vengeance" ou de la "justice": "compassion" gracieuse et "cruauté" gratuite aussi, encore bien plus profondément, quand l'une et l'autre se passent du prétexte d'une quelconque "justice".
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