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 deus absconditus

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Narkissos

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MessageSujet: deus absconditus   deus absconditus Icon_minitimeDim 01 Fév 2015, 00:07

Ce qui est caché est à Yahvé notre dieu,
et/mais ce qui est révélé est à nous et à nos fils,
pour faire toutes les paroles-choses de cette loi-instruction (torah).

(Deutéronome 29,28).

Ce verset (glose ?) en forme de maxime (énonçant une "vérité générale") ne passe habituellement pas inaperçu. D'abord parce qu'il tranche nettement sur son "contexte", avec lequel son rapport même est loin d'être évident: entre une série de malédictions conditionnelles (en cas de rupture de l'alliance, sur le modèle des traités de vassalité assyriens), qui débouche sur une annonce limpide (ex eventu, diraient les "critiques" dont je suis) de l'exil, et une promesse de restauration elle-même conditionnée à un repentir (chapitre 30). Même le locuteur change: avant et après c'est Moïse qui s'adresse à Israël, au pluriel ("vous") puis au singulier collectif ("toi"), ici c'est un "nous" qui parle au nom d'Israël. Texte parfaitement clair et simple au demeurant, qui dit que Dieu ne révèle pas tout, qu'il se réserve une part cachée, mais que le révélé "nous" suffit en ce qui "nous" concerne, pour ce qui "nous" intéresse, à toutes fins pratiques -- pour autant qu'il s'agit de faire. Etant entendu par ailleurs que ce "nous" n'est (généralement) pas nous, et que nous lisons ici, par-dessus l'épaule du judaïsme postexilique en quelque sorte, et plutôt moins légitimement qu'une synagogue contemporaine, un texte de la Torah et plus généralement de la "bible juive" qui ne nous était pas destinée et que le christianisme s'est appropriée comme son "Ancien Testament".

J'y reviens à partir d'ici, pour revisiter une "aporie" théologique souvent évoquée sur ce forum, celle de la "révélation du mystère" entendue dans son plein sens paradoxal: une révélation qui n'enlèverait rien au mystère, ne le divulguerait pas comme un secret, ne l'éluciderait pas comme une énigme, ne le résoudrait pas comme un problème. Révélé, le mystère resterait entier, sauf, intact, inentamé en tant que mystère, non moins mystérieux qu'avant. D'autant plus mystérieux au contraire, dirait-on même, si -- comme dans les textes johanniques -- la révélation du mystère se renverse en mystère de la révélation, si la révélation n'est pas autre chose que le mystère, si le mystère c'est précisément qu'il y ait révélation -- que le theos soit (aussi) logos, vérité au sens étymologique de l'a-lètheia sortant de l'abri de son oubli ou de sa latence (lèthè), phénomène au sens du phainomenon se manifestant à partir de sa non-manifestation, envoi ou donation originaire d'un es gibt, dirait Heidegger, aller de tout ce dont il y va dans le moindre il y a. Alors le "caché" et le "révélé" cessent de s'opposer l'un à l'autre comme des territoires séparés par une frontière et sont pris dans l'interdépendance d'une économie commune, l'un étant la source de l'autre, l'autre l'expression de l'un, l'un n'étant pas sans l'autre.

Mais même dans cette perspective (dynamique et non plus statique) il y a une condition, celle d'un jeu à jouer: il ne s'agit plus du simple respect d'un domaine réservé et interdit (celui du secret-sacré qui appartiendrait à Dieu seul), mais, plus exigeante peut-être, d'une attitude exclusivement réceptrice, qui ne cherche ni à forcer le secret de l'origine ni à séparer le "donné" de la "donation" pour l'arraisonner comme un un savoir autonome et manipulable, disponible pour l'analyse et la synthèse, la construction ou la déduction "logique". Attitude, position ou posture du Fils unique hors duquel, d'une manière ou d'une autre, on ne sait rien; car on est aussitôt sorti du jeu de la révélation et du mystère. Mystère-révélation, en somme, à consommer sur place et non à emporter.

Ce texte s'associe spontanément chez moi (in my book) à celui, plus "baaliste" si l'on veut (image de l'éclair sortant de la nuée sombre et y rentrant, pour ainsi dire), de l'inauguration du temple de Salomon (1 Rois 8,12): Yahvé a dit qu'il habiterait l'obscurité profonde. Et au "dieu caché" du deutéro-Isaïe (45,15, autre verset naturellement "isolé" de son "contexte": en vérité c'est toi le Dieu caché [El mistater, deus absconditus; LXX: tu es Dieu, et nous ne savons pas], dieu d'Israël, sauveur); ou encore aux ténèbres d'où provient, chez Paul (2 Corinthiens 4,6), la lumière de l'évangile, etc.
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MessageSujet: Re: deus absconditus   deus absconditus Icon_minitimeMer 04 Fév 2015, 10:12

Christ offre-t-il une sortie aux impasses théologiques (quand la plus simple qui vienne à l'esprit serait de faire demi-tour), en étant lui-même logos, offrant par là d'oublier le -logique ?

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MessageSujet: Re: deus absconditus   deus absconditus Icon_minitimeMer 04 Fév 2015, 12:31

@ VANVDA:

Dans les impasses, le Christ johannique offrirait moins une issue qu'une demeure.

Quant à son titre de logos (qui ne concerne que le Prologue tardivement ajouté à l'Evangile, le corps de l'œuvre ne le présupposant quasiment jamais, bien que la lecture de l'ensemble en soit forcément affectée), il entretient une relation ambiguë avec la tradition philosophique (cynico-stoïcienne et médio-platonicienne via Philon, pour s'en tenir au plus proche): aussi clairement qu'il fait référence à celle-ci, il la trahit dans sa définition la plus constante, qui opposait le logos au muthos et à la poièsis, mais aussi au pathos et à l'aisthesis (mythe, poésie, passion-expérience, esthétique-sensation-sensible). Tout ce dont la (grande) philosophie post-socratique s'est efforcée de dégager un logos purement "logique", rationnel et intelligible, s'y réintroduit sans réserve. Cet usage du logos est au moins autant anti-philosophique que philosophique.

De ce point de vue (je ne sais pas si c'est ce que tu voulais dire, mais c'est à ça que j'arrive à partir de ce que tu as écrit), il me semble assez juste de dire que le logos fait oublier ou perdre de vue le (ou même la) "logique", par un tour de passe-passe ou de bonneteau (il se moque de la logique, aurait pu dire Pascal, il la fait tourner en bourrique).
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MessageSujet: Re: deus absconditus   deus absconditus Icon_minitimeMer 04 Fév 2015, 22:56

Citation :
Dans les impasses, le Christ johannique offrirait moins une issue qu'une demeure.

En effet ! Bien vu !

Citation :
De ce point de vue (je ne sais pas si c'est ce que tu voulais dire, mais c'est à ça que j'arrive à partir de ce que tu as écrit), il me semble assez juste de dire que le logos fait oublier ou perdre de vue le (ou même la) "logique", par un tour de passe-passe ou de bonneteau (il se moque de la logique, aurait pu dire Pascal, il la fait tourner en bourrique).

C'était bien ça que j'avais à l'idée, même si je m'étais cantonné à opposer spécifiquement le -logique de "théologique" au Logos-pros-Dieu du prologue de Jean, plutôt qu'à la logique "en général".

Je m'aperçois aussi à relire que tes références aux textes johanniques m'ont ramené directement au Christ comme clé (et porte, et demeure) du mystère/révélation, mais que tu parlais aussi (et surtout) de tout ce qu'il y avait en amont : il y avait déjà, longtemps avant le disciple bien aimé, une vraie conscience chez certains auteurs de "l'inaccessibilité" du(des) dieu(x), sinon par quelques "traces" qu'il(s) laisse(ent), mais qui ne sont jamais lui(eux) : ni dans le vent, ni dans le séisme, ni dans le feu...
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MessageSujet: Re: deus absconditus   deus absconditus Icon_minitimeJeu 05 Fév 2015, 02:19

Citation :
... je m'étais cantonné à opposer spécifiquement le -logique de "théologique" au Logos-pros-Dieu du prologue de Jean, plutôt qu'à la logique "en général".

La subtilité (qui tenait à un trait d'union) m'avait en effet échappé !

Pour ce qui est de l'amont, c'est vrai que les textes pertinents sont assez nombreux. Je pensais, au départ, me contenter de relire le verset du Deutéronome auquel j'avais pensé en premier lieu (d'où le choix de cette rubrique), mais il en appelle aussitôt plein d'autres, comme la (non-)révélation ou (non-)théophanie de l'Horeb à Elie (1 Rois 19), que tu évoquais. L'idée de la trace dont tu parles renvoie aussi -- au même endroit géographique -- au dieu qui montre son "derrière" (et non sa face) à Moïse, autrement dit son après, son sillage, une fois qu'il est passé, Exode 33. (Je retrouve aussi, après coup, le très beau passage "baaliste" du psaume 77,16ss, marche sur la mer où la trace même disparaît: les eaux t'ont vu... tes traces n'y ont pas été connues, v. 20.) Et il y a bien sûr le psaume 139 où la connaissance de Dieu s'avère à sens unique (être connu de Dieu, oui; le connaître, on a beau essayer, ça ne prend pas; ce qui semble avoir marqué Paul, 1 Corinthiens 8,3; 13,12; Galates 4,9). Au passage, le texte d'Isaïe 45,15 d'où j'ai tiré le titre m'a frappé à la relecture: je n'avais pas remarqué (ou j'avais oublié) que le "Dieu caché", c'était El, qui était précisément le "père des dieux", dieu suprême mais lointain et sans action spécifique (deus otiosus) dans le panthéon cananéen. Yahvé ne se grandit au-dessus de tout (au-delà du bien et du mal et des vicissitudes de l'histoire, v. 7) qu'en s'éloignant, en se retirant, voire en se cachant en-deçà de la manifestation immédiate, au fond de la scène ou dans les coulisses, à la place d'El en somme. Mais il faudra du coup qu'une autre figure (l'adam-image-de-Dieu, l'ange de Yahvé, la Sagesse, le fils de l'homme, le Fils de Dieu) prenne sa place au premier plan et devienne, en son nom, visible et tangible, proche et actif (comme Baal ou l'ancien Yahvé l'avaient été pour El).
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MessageSujet: Re: deus absconditus   deus absconditus Icon_minitimeJeu 05 Fév 2015, 19:00

Citation :
Pour ce qui est de l'amont, c'est vrai que les textes pertinents sont assez nombreux. Je pensais, au départ, me contenter de relire le verset du Deutéronome auquel j'avais pensé en premier lieu (d'où le choix de cette rubrique), mais il en appelle aussitôt plein d'autres, comme la (non-)révélation ou (non-)théophanie de l'Horeb à Elie (1 Rois 19), que tu évoquais.

"Il reprit : Sors et tiens-toi dans la montagne, devant le SEIGNEUR. Or le SEIGNEUR passait. Un grand vent, violent, arrachait les montagnes et brisait les rochers devant le SEIGNEUR : le SEIGNEUR n'était pas dans le vent. Après le vent, ce fut un tremblement de terre : le SEIGNEUR n'était pas dans le tremblement de terre. Après le tremblement de terre, un feu : le SEIGNEUR n'était pas dans le feu. Enfin, après le feu, un calme, une voix ténue." 1 Rois 19, 11-12 

Il est remarquable de constater que dans ce texte Dieu ne se révéle pas par des manifestations cosmiques mais par "une voix ténue", Dieu s’apparente à une voix ténue,  Dieu est aussi présent dans ce qui est discret, ténu.
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MessageSujet: Re: deus absconditus   deus absconditus Icon_minitimeJeu 05 Fév 2015, 19:30

A noter que la traduction citée (NBS) choisit plutôt ici, par principe d'économie ou de minimalisme sémantique, d'atténuer (!) le paradoxe: on est dans le "presque-rien" (comme dirait Jankélévitch), le positif subtil et impondérable ("je-ne-sais-quoi", mais quelque chose quand même). Toutefois on pourrait aussi bien accentuer (forcer ?) le paradoxe en contradiction formelle, en traduisant "une voix (ou un son) de silence léger (ou légère)": c'est alors le silence même qui parle (cf. la suite). Difficile en français d'être juste aussi ambigu que l'hébreu, de ne pas dire l'un ou l'autre, au risque de pécher par défaut ou par excès (de paradoxe).

Evidemment, un son léger et un silence qui fait (effet de) voix, ce n'est pas du tout la même chose, quoique ça fonctionne aussi bien par contraste avec la tonitruance qui précède.
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MessageSujet: Re: deus absconditus   deus absconditus Icon_minitimeVen 06 Fév 2015, 14:32

Le rédacteur de Dt 29,28; n'st-il pas une tentative de rassurer le peuple qui a entendu que des actes privés ou secrèt pouvaient entrainer la destruction de l'ensemble de la nation :

"Qu'il n'y ait donc parmi vous ni homme, ni femme, ni clan, ni tribu, dont le cœur se détourne aujourd'hui du SEIGNEUR (YHWH), notre Dieu, pour aller servir les dieux de ces nations-là. Qu'il n'y ait pas parmi vous de racine qui produise du poison et de l'absinthe. Que personne, après avoir entendu les paroles de cette adjuration, ne se bénisse lui-même en se disant : « Tout ira bien pour moi, quand même je suivrais l'obstination de mon cœur, en ajoutant l'ivresse à la soif ! » — le SEIGNEUR ne voudrait pas lui pardonner. Car alors la colère et la passion jalouse du SEIGNEUR fumeraient contre cet homme, toute la malédiction écrite dans ce livre se fixerait sur lui, et le SEIGNEUR effacerait son nom de dessous le ciel. Le SEIGNEUR le séparerait, pour le malheur, de toutes les tribus d'Israël, selon toutes les malédictions de l'alliance écrite dans ce livre de la loi.  ... Alors le SEIGNEUR s'est mis en colère contre ce pays, et il a fait venir sur lui toute la malédiction écrite dans ce livre"

Puisque les choses cachées (les pensées secrétes) d'un individu appartiennent à Dieu, celui-ci punira individuellement les personnes qui nourrissent de mauvaises pensées dans l'obstination de (leur) cœur. Le peuple ne sera pas tenu collectivement responsable du péché secret d'un individu. Quand  aux "choses révélés", les péchés connu du peuple, la nation doit réagir et érradiquer le pécheur.
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MessageSujet: Re: deus absconditus   deus absconditus Icon_minitimeVen 06 Fév 2015, 14:51

Mmmoui... je pense plutôt que la portée de cette maxime est beaucoup plus générale que son "contexte", et que pour la rapporter à des péchés cachés il faut remonter trop loin dans ce qui précède (surtout vu la portion que tu omets et qui glisse précisément des péchés individuels à ceux de la nation) et en réduire arbitrairement les termes. Mais le rapprochement est intéressant.
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MessageSujet: Re: deus absconditus   deus absconditus Icon_minitimeLun 29 Juin 2020, 20:26

La confession que Dieu est infiniment au-dessus des pensées et des paroles de l’homme, qu’il nous dirige sans que nous comprenions ses voies, que l’énigme de l’homme pour lui-même obscurcit jusqu’aux clartés que Dieu lui communique —, cette confession appartient à l’idée de révélation. Ce qui se révèle est aussi ce qui se réserve. A cet égard, l’épisode du buisson ardent (Exode III, 13-15) a une signification nucléaire. La tradition a très justement dénommé cet épisode : révélation du nom divin. Or, ce nom est précisément innommable. Dans la mesure où connaître le nom du dieu, c’était avoir pouvoir sur lui dans une invocation où le dieu devenait chose disponible, le nom confié à Moïse est bien celui de l’être que l’homme ne peut véritablement nommer, c’est-à-dire tenir à la merci de son langage. Moïse a demandé : « Mais s’ils demandent quel est ton nom, que leur répondrais-je ? ». Dieu dit alors à Moïse : « Je suis celui qui suis ». Et il ajouta : « Voici en quels termes tu t’adresseras aux enfants d’Israël :” Je suis” m’a envoyé vers vous ». Ainsi l’appellatif « Yahvé » — Il est — n’est pas un nom qui définit, mais qui signifie, qui signifie le geste de la délivrance. Le texte continue en effet en ces termes : « Dieu dit encore à Moïse :” Tu parleras ainsi aux enfants d’Israël :’Yahvé le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, m’a envoyé vers vous. C’est le nom que je porterai à jamais, sous lequel m’invoqueront les générations futures’ ». Ainsi la révélation historique — signifiée par les noms d’Abraham, d’Isaac et de Jacob — s’adosse au secret du nom, dans la mesure même où le Dieu caché s’annonce comme le sens des événements fondateurs. Entre le secret et la monstration se tient la révélation.

Je sais bien que la tradition a interprété le Ehyéh asher ehyéh dans le sens d’un énoncé ontologique positif à la suite de la traduction des Septante : « Je suis celui qui suis ». Loin que l’expression protège le secret, elle ouvre à une noétique affirmative de l’être absolu de Dieu, qu’il sera ensuite possible de transcrire, d’abord dans l’ontologie néo-platonicienne et augustinienne, puis dans la métaphysique aristotélicienne et thomiste. Ainsi, la théologie du nom pourra passer dans une onto-théologie capable de reprendre et d’encadrer la téléologie de l’histoire, dans laquelle se sublime et se rationalise par ailleurs le sens de la narration et de la prophétie. La dialectique du Dieu caché qui se montre — dialectique nucléaire de la révélation — se dissipe dans le savoir de l’être et de la providence. Dire que le Dieu qui se montre est le Dieu caché, c’est au contraire confesser que la révélation ne peut jamais constituer un corps de vérités dont une institution puisse se prévaloir. Du même coup, dissiper l’opacité massive du concept de révélation, c’est aussi ruiner toute forme totalitaire de l’autorité qui prétendrait détenir la vérité révélée. Mon premier exposé s’achève avec ce retour à mon point de départ. https://books.openedition.org/pusl/9426?lang=fr
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MessageSujet: Re: deus absconditus   deus absconditus Icon_minitimeMar 30 Juin 2020, 11:31

Texte important (Ricoeur, 1977).

La dialectique paradoxale ou aporétique de la "révélation" (qui se révèle se cache et se réserve, Fort / Da, l'un ne va pas sans l'autre, voir p. ex. ici, ou ), qui est aussi bien la "technique", le "mécanisme" ou le modus operandi de toute "connaissance", de toute "vérité", de tout "phénomène" et de toute "phénoménologie", s'exprime en effet de façon exemplaire dans le "nom" (divin ou humain, propre ou commun, et même pronom qui en tient lieu, non indifféremment mais dans tout le jeu différentiel de la nomination), qui n'a même pas besoin d'être "innommable" au sens de l'interdit ou du tabou (<=> ineffable ou imprononçable) pour l'être effectivement, c'est-à-dire pour échouer à chaque fois à désigner qui il désigne et/ou à signifier ce qu'il signifie -- tout en désignant et en signifiant quand même, par ce "jeu" précisément.
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MessageSujet: Re: deus absconditus   deus absconditus Icon_minitimeSam 04 Juil 2020, 10:07

Le but de cette contribution est de montrer que, dans des situations narratives dans lesquelles le narrateur bilbique n’hésite pas à faire intervenir Dieu de manière massive et intrusive – parfois même au détriment de la liberté apparente de l’homme –, des stratégies sont mises en œuvre, qui rendent le personnage divin au moins aussi mystérieux et insaisissable que dans les cas où il semble se cacher (livre de Ruth, livre d'Esther, histoire de Joseph, etc.). Si cette intuition se vérifiait, on pourrait alors formuler une sorte de « loi de proportionnalité » affectant, dans le récit biblique, le jeu des libertés humaine et divine et qui pourrait s’énoncer de la manière suivante : plus Dieu se cache, plus le narrateur s’arrangera pour donner des gages, discrets mais efficaces, de sa présence et de son action ; au contraire, plus il se manifeste clairement, plus le narrateur trouvera le moyen de préserver sa transcendance et de le rendre inaccessible et inconnaissable. En d’autres termes, Dieu qui se cache est souvent plus présent qu’il n’y paraît et quand il se manifeste, il est parfois moins identifiable qu’on ne pourrait le croire. https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal:144161
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MessageSujet: Re: deus absconditus   deus absconditus Icon_minitimeSam 04 Juil 2020, 11:01

L'article aussi se cache, à mes yeux du moins: je ne vois rien d'autre que ce résumé (abstract).

Mais l'idée, sous réserve de son développement, me paraît tout à fait juste, et même évidente, pour ne pas dire triviale. Dialectique de l'implicite et de l'explicite, du récit et du sens, de la contingence et de la nécessité, il y a pas mal de façons d'en arriver grosso modo au même point. Je ne suis pas sûr, par contre, qu'un concept (forcément anachronique) de "liberté" divine ou humaine soit le meilleur critère opératoire pour les textes bibliques, surtout dans l'AT.

Nous avons souvent remarqué ici même que dans les récits bibliques et dans la littérature antique en général les "causalités" divines et humaines se superposaient sans s'exclure: un même événement peut indifféremment être attribué à la volonté des dieux ou à des "causes" humaines et circonstancielles, combat, rapport de force, stratégie, ruse, coïncidence fortuite, etc.; tantôt à l'un seulement de ces types de causalité, tantôt aux deux à la fois ou à toutes les combinaisons possibles des deux; ce n'est nullement une alternative, c'en est encore moins une dans le polythéisme où entre les dieux aussi il peut y avoir combat, rapport de force, stratégie, ruse, etc.; le monothéisme peut tendre vers l'alternative exclusive (ou bien Dieu ou bien l'homme) ou vers un régime de proportionnalité inverse (plus il y a d'humain moins il y a de divin et inversement), c'est peut-être ce qu'il fait le plus souvent; mais on peut aussi bien l'interpréter dans un sens inclusif, Dieu cause intégrale de tout ce qui arrive sans exception, quelles qu'en soient les autres causes (secondes, instrumentales, matérielles, formelles, etc.). Et dans ce cas plus Dieu est (omni)présent moins il est apparent: ce n'est pas par hasard que le "Dieu" du monothéisme absolu (le Yahvé du deutéro-Isaïe qui fait le bien et le mal, la lumière et les ténèbres, qui utilise Cyrus aussi bien que David) est aussi le dieu caché par excellence, invisible précisément parce que, situé "derrière" tout événement, pas plus celui-ci que celui-là, il ne se distingue de rien.
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MessageSujet: Re: deus absconditus   deus absconditus Icon_minitimeMer 08 Juil 2020, 14:51

Merci Narkissos pour cet enrichissement de l'esprit que tu nous apportes.


« Dieu étant ainsi caché, toute religion qui ne dit pas que Dieu est caché n’est pas véritable, et toute religion qui n’en rend pas la raison n’est pas instruisante. La nôtre fait tout cela. Vere tu es Deus absconditus (Is 45, 15) (Vulgate) » écrit Blaise Pascal dans ses Pensées. « Vere tu es Deus absconditus. » Tu es vraiment un Dieu caché, citation que Pascal tire du livre du prophète Isaïe, citation qu’il reprend à plusieurs reprises dans ses Pensées. Même présent sur la terre avec toute son humanité, Jésus était « caché », tous ne voyaient pas qui il était véritablement. Encore aujourd’hui, Dieu se cache : « Quand Jésus Christ a voulu accomplir la promesse qu’il fit à ses apôtres de demeurer avec les hommes jusqu’à son dernier avènement, il a choisi d’y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de l’Eucharistie. C’est ce sacrement que saint Jean appelle dans l’Apocalypse une manne cachée ; et je crois qu’Isaïe le voyait en cet état, lorsqu’il dit en esprit de prophétie : véritablement tu es un Dieu caché. Toutes choses couvrent quelque mystère, toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu. » écrit encore Pascal dans une lettre à Melle de Roannez.
2. Jésus a été envoyé par le Père, et bien que cette présence divine en Jésus-Christ soit cachée, celui qui le reçoit reçoit celui qui l’a envoyé. Et, explique encore Jésus dans ce passage de l’Évangile selon Jean, celui qui reçoit celui que Jésus a envoyé, le reçoit lui-même. Mais il n’en reste pas moins que cette présence du Père en Jésus est cachée, et que cette présence de Jésus dans ceux qu’il envoie est aussi cachée. https://www.regnumchristi.fr/deus-absconditus
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MessageSujet: Re: deus absconditus   deus absconditus Icon_minitimeMer 08 Juil 2020, 16:07

(Chez les "Légionnaires du Christ", Dieu n'était apparemment pas le seul à se cacher... -- plaisanterie facile et de mauvais goût, je sais, mais je préfère la faire moi-même, puisque n'importe quel lecteur armé d'un moteur de recherche peut en faire autant, sans forcément songer à ajouter que ça ne change rien à l'intérêt éventuel de ce qui se dit là ou ailleurs.)

Bien entendu, un "dieu caché" est condamné d'avance et par (in)définition à se prêter à toutes les interprétations possibles -- et à les faire toutes échouer. Entre le dieu du Deutéronome qui reste jalousement caché derrière la révélation partielle de la Torah, le Dieu unique du deutéro-Isaïe qui, par réaction au au dualisme perse, devient indiscernable d'aucune "réalité", et le paradoxe d'une "révélation incognito" telle qu'elle s'approfondit dans le christianisme d'un Pascal ou d'un Kierkegaard, il y a des différences considérables dans l'exploitation du même "thème".
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