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 phénoménologiques, ou: du venir-au-jour

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Narkissos

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MessageSujet: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeLun 31 Aoû 2015, 18:28

Il n'est rien de caché qui ne doive se manifester, rien de secret qui ne doive venir en pleine lumière. (Marc 4,22, etc.)

Cette maxime (ou sentence) qui revient assez fréquemment, sous diverses formes, dans le NT, s'entend d'au moins deux façons, diamétralement opposées -- comme une promesse rassurante ou comme une menace, inquiétante -- selon qu'on suppose la chose cachée bonne ou mauvaise, et sa révélation désirable ou redoutable. La différence entre ces deux perceptions contraires de la même "idée" semble d'ailleurs servir de critère de jugement, voire tenir lieu de jugement, dans l'Evangile selon Jean (3,19ss):
Or voici le jugement: la lumière est venue dans le monde, et les humains ont aimé les ténèbres plus que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Car quiconque pratique le mal déteste la lumière; celui-là ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dévoilées; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu'il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en Dieu.
Cela pourrait, par une mise en abyme, déboucher sur une inquiétude herméneutique vertigineuse à l'endroit de cette maxime: par la façon même dont on l'entendrait spontanément, en "bonne" ou en "mauvaise" part, en l'absence d'un contexte susceptible d'incliner son interprétation dans un sens ou dans l'autre, on se jugerait soi-même; ou du moins on se dévoilerait.

Le contexte, parlons-en. Celui du logion de l'Evangile selon Marc est plutôt faible, et ne tranche pas vraiment son ambiguïté: ce qui précède immédiatement (la venue de la lumière, v. 21, sans lien direct avec la parabole du semeur et son explication allégorique) l'incline légèrement vers un sens favorable, mais ne dit rien de ce que la lumière éclaire, et la conclusion sibylline résonne plutôt comme un avertissement:
Il leur disait encore: Met-on la lampe (littéralement: la lampe vient-elle pour être mise) sous le boisseau, ou sous le lit? N'est-ce pas plutôt sur le porte-lampe? Car il n'est rien de caché qui ne doive se manifester, rien de secret qui ne doive venir en pleine lumière. Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il entende!

Cette ambiguïté paraît soulignée dans le "parallèle" de Luc (8,16ss):
Personne, après avoir allumé une lampe, ne la recouvre d'un vase ni ne la met sous un lit; mais on la met sur un porte-lampe, afin que ceux qui entrent voient la lumière. Car il n'est rien de caché qui ne doive devenir manifeste, rien de secret qui ne doive être connu et venir en pleine lumière. Prenez donc garde à la manière dont vous écoutez (ou entendez); car on donnera à celui qui a, mais à celui qui n'a pas on enlèvera même ce qu'il pense (ou semble) avoir.

Chez Matthieu (10,26ss), en revanche, le contexte du logion lui donne un sens nettement "positif": ce qui est caché et appelé à être révélé n'est rien d'autre que l'évangile (selon Matthieu s'entend), la "bonne nouvelle" qu'aucune persécution ne parviendra à réduire au silence:
Ne les craignez donc pas, car il n'y a rien de voilé qui ne doive être révélé, rien de caché qui ne doive être connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en plein jour; ce qui vous est chuchoté à l'oreille, proclamez-le sur les toits en terrasse. Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l'âme....
Les destinataires, eux-mêmes "lumière du monde" (cf. 5,14ss qui recycle Marc 4,21), sont intégrés dans le processus de révélation irrésistible et rassurés sur le fait que celui-ci aboutira en dépit de toute opposition.

Ce nouveau contexte se retrouve en Luc 12,1ss, où la reprise de notre logion est comme écartelée entre ce qui précède (et le tire vers un sens "négatif": c'est l'hypocrisie qui sera mise au jour) et ce qui suit (dans un sens "positif":  l'évangile prêché en catimini finira par être proclamé sur les toits):
Sur ces entrefaites, la foule s'étant rassemblée par dizaines de milliers, au point que les gens s'écrasaient les uns les autres, il se mit à dire, à ses disciples d'abord: Gardez-vous du levain des pharisiens, qui est l'hypocrisie. Il n'y a rien de voilé qui ne doive être révélé, rien de caché qui ne doive être connu. C'est pourquoi tout ce que vous aurez dit dans les ténèbres sera entendu en plein jour; ce que vous aurez chuchoté à l'oreille, dans les pièces les plus retirées, sera proclamé sur les toits en terrasse. Je vous le dis, à vous, mes amis: ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui, après cela, ne peuvent rien faire de plus...

On ne saurait manquer de rappeler ici (au moins) un autre texte du NT, où les deux aspects de la révélation ou manifestation, du venir-au-jour, comparaissent ensemble, le "positif" non seulement l'emportant sur le "négatif", mais emportant la négativité de celui-ci dans sa propre positivité, par la magie d'une lumière qui ne saurait révéler les ténèbres sans les convertir à elle-même:
Autrefois, en effet, vous étiez ténèbres, maintenant (vous êtes) lumière dans (le) Seigneur: marchez comme des enfants de lumière. Car le fruit de la lumière (est) en toute bonté, justice et vérité. Eprouvez ce qui est agréable au Seigneur, et ne participez pas aux œuvres stériles (= sans-fruit) des ténèbres, dénoncez-les plutôt. Car ce qu'ils (ou elles, les œuvres) produisent en secret, il est honteux même de le dire, mais tout ce qui est dénoncé est manifesté par la lumière, car tout ce qui est manifesté est lumière. C'est pourquoi il (est) dit:
Eveille-toi, dormeur,
et lève-toi d'entre les morts,
et le Christ t'éclairera.

(Ephésiens 5,8ss)
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeMar 01 Sep 2015, 13:26

Citation :
Car il n'est rien de caché qui ne doive devenir manifeste, rien de secret qui ne doive être connu et venir en pleine lumière.

Ces textes et l'interprétation que l'on me proposait à l'époque, ont cultivé chez moi (durant ma période TdJ), l'image d'un Dieu au regard inquisiteur, à qui rien n'échappe, qui nous refuse toute intimité ou refuge et qui nous met sous surveillance en permanence. Le texte d'Héb 4, 13 ("Il n'est pas de création qui échappe à son regard : tout est mis à nu et offert aux yeux de celui à qui nous devons rendre compte"), me mettait mal à l'aise, avec le sentiment d'être TOUT NU, devant un Dieu voyeur. J'avais le sentiment qu'une menace pesait constammment sur ma personne. Je préfère l'idée d'un Dieu qui se met à nu, qui se révèle.

1 Cor 5,4 semble recéler un aspect positif : "Ne portez donc aucun jugement avant le temps fixé, avant la venue du Seigneur qui mettra en lumière les secrets des ténèbres et qui rendra manifestes les décisions des cœurs. Alors chacun recevra de Dieu sa louange"
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeMar 01 Sep 2015, 14:00

free a écrit:
Ces textes et l'interprétation que l'on me proposait à l'époque, ont cultivé chez moi (durant ma période TdJ), l'image d'un Dieu au regard inquisiteur, à qui rien n'échappe, qui nous refuse toute intimité ou refuge et qui nous met sous surveillance en permanence. Le texte d'Héb 4, 13 ("Il n'est pas de création qui échappe à son regard : tout est mis à nu et offert aux yeux de celui à qui nous devons rendre compte"), me mettait mal à l'aise, avec le sentiment d'être TOUT NU, devant un Dieu voyeur. J'avais le sentiment qu'une menace pesait constammment sur ma personne. Je préfère l'idée d'un Dieu qui se met à nu, qui se révèle.

Ce dernier ne nous ferait-il pas passer -- du moins tant que nous nous distinguons de lui -- du côté des "voyeurs" ? :)

Le caractère pénible, voire insoutenable, du "regard de Dieu" apparaît aussi dans quelques textes de l'AT (notamment Job, chap. 7 ou 14; voir aussi Psaume 39,14).

Citation :
1 Cor 5,4 semble recéler un aspect positif : "Ne portez donc aucun jugement avant le temps fixé, avant la venue du Seigneur qui mettra en lumière les secrets des ténèbres et qui rendra manifestes les décisions des cœurs. Alors chacun recevra de Dieu sa louange"

C'est plutôt 4,5, et ce qui précède est intéressant aussi:
Quant à moi, il m'importe fort peu d'être jugé par vous ou par une juridiction humaine. Je ne me juge pas non plus moi-même; car je n'ai rien sur la conscience, mais je n'en suis pas justifié pour autant: celui qui me juge, c'est le Seigneur. Ne portez donc aucun jugement avant le temps fixé, avant la venue du Seigneur qui mettra en lumière les secrets des ténèbres et qui rendra manifestes les décisions des co!eurs. Alors chacun recevra de Dieu sa louange.
Ce texte prend ses distances par rapport à l'idée d'auto-jugement de chacun-selon-sa-conscience, telle qu'on pourrait l'inférer de Jean 3,19ss par exemple. On a vu récemment que la pensée de "Paul" était très fluctuante sur ce genre de sujet; et le johannisme lui-même semble s'en écarter, p. ex. 1 Jean 3,19ss.
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeJeu 10 Sep 2015, 12:18

Citation :
Le caractère pénible, voire insoutenable, du "regard de Dieu" apparaît aussi dans quelques textes de l'AT (notamment Job, chap. 7 ou 14; voir aussi Psaume 39,14).

Le cas de Job est interresant, sa souffrance vécue sous le regard de Dieu, la ren encore plus pénible et insupportable, au point que Job demande à Dieu de le laisser tranquille, comme si le simple fait que Dieu détournerait son regard de Job soulagerait sa souffrance :

"Quand cesseras-tu d'avoir le regard sur moi ? Quand me laisseras-tu le temps d'avaler ma salive ?
Si j'ai péché, qu'ai-je pu te faire, gardien des humains ? Pourquoi m'as-tu pris pour cible ? En quoi te suis-je à charge ?" (Job 7,19-20)

Le "regard de Dieu", ne serait-il en lui-même le déclencheur de la souffrance de l'homme ?

Ce regard qui scrute et sonde les humains, qui ne laise aucun endroit ou fuir, ce regard omniprésent est insoutenable, voire inacceptable qui remet en cause la liberté de l’homme :

"Le SEIGNEUR est dans son temple sacré, le SEIGNEUR a son trône dans le ciel ; ses yeux regardent, ses regards sondent les êtres humains.
Le SEIGNEUR sonde le juste et le méchant ; il déteste celui qui aime la violence" (Ps 11, 4-5)


Voici l'application que fait la WT de Hé 4,13 :


Citation :
Rien n’échappe à Jéhovah

Le phénomène de la double vie n’est pas nouveau. Dans l’Antiquité, des Israélites ont cru pouvoir mener une double vie impunément. Le prophète Isaïe les a prévenus : “ Malheur à ceux qui s’enfoncent très profond pour cacher leur conseil à Jéhovah lui-même et dont les actions se sont faites dans un lieu obscur, tandis qu’ils disent : ‘ Qui nous voit et qui nous connaît ? ’ ” (Isaïe 29:15). Ces Israélites oubliaient que Dieu voyait tout ce qu’ils faisaient. En temps voulu, il leur a demandé des comptes pour leurs fautes.
Il en va de même de nos jours. Vous réussissez peut-être à cacher vos mauvaises actions à vos parents, mais pas aux yeux de Jéhovah Dieu. “ Il n’y a pas de création qui ne soit manifeste aux regards de Dieu, dit Hébreux 4:13, mais toutes choses sont nues et mises à découvert aux yeux de celui à qui nous devons rendre compte. ” Par conséquent, à quoi bon vous cacher ? Vous savez, vous n’apaiserez pas Dieu en faisant semblant de l’adorer lors de réunions religieuses. Quand des humains ‘ l’honorent des lèvres, mais que leur cœur est très éloigné de lui ’, il n’est pas dupe. — Marc 7:6.

http://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1102008112
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeJeu 10 Sep 2015, 22:53

Dans son Zarathoustra (IV, p. 386ss de cette traduction), Nietzsche identifie "l'assassin de Dieu" au "plus laid des hommes", celui qui n'aurait plus supporté le regard, même compatissant, surtout compatissant, que "Dieu" n'en finissait pas de porter sur lui et sur sa laideur. Cette énième variation sur le thème de la "mort de Dieu" est à mon sens l'une des plus profondes. Le problème du "regard de Dieu" -- qui est aussi celui de la "conscience" miroir -- ne s'épuise pas dans la condamnation, il reste entier dans la complaisance comme dans la complainte, dans "l'estime de soi" comme dans "l'apitoiement sur soi".

C'est à la fois on ne peut plus contraire et conforme à la fameuse maxime de Kierkegaard: exister, c'est être examiné.
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeVen 11 Sep 2015, 13:46

Ce verset de Héb. 4:13 n m'était pas resté à l'esprit; il est pourtant vrai qu'il est un peu glauque. En effet le créateur de l'humain qui rejette sa création en la chassant du paradis terrestre s'attribue le droit de l'observer, de le pourchasser dans sa sphère la plus intime, alors que l'exclusion du paradis apparaît déjà comme une condamnation suffisamment sévère pour celle qui se voulait "être comme Dieu".

Dieu avait-il peur de rencontrer de la concurrence?
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeVen 11 Sep 2015, 15:50

Il faudrait à la fois rapprocher et distinguer 1) (une certaine) "phénoméno-logie" comme discours-pensée (logos) du "phénomène" (phainomenon), c.-à-d. de la manifestation qui sous-entend toujours un "sujet" caché ou un "être" secret qui se manifeste, se dévoile ou se révèle, vient de lui-même au "jour" ou à la "lumière"; autrement dit d'un (ap-)paraître qui se divisera à son tour en "apparition" présumée véridique, fondatrice de connaissance (gnôsis), et en "apparence" présumée trompeuse, fondatrice d'opinion (doxa); et 2) (une certaine) "photo-logie" comme discours-pensée de la lumière (phôs, photos), qui tend de son côté à se confondre avec une optique (vision, regard, observation, examen, jugement): dans de nombreux textes bibliques et antiques, mais aussi dans une métonymie quasi universelle, l'œil est lampe qui "éclaire" ce qu'il voit; la lumière-regard illumine ce qui était "obscur" (ou: dans les "ténèbres"), mais cesse de l'être dès lors qu'il est éclairé et vu; à supposer qu'elle puisse tout éclairer, ce serait encore à l'exception des "ténèbres" mêmes et de l'obscur-en-tant-que-tel.

Entre l'une et l'autre il y a assurément affinité et convergence, mais aussi différence radicale, voire opposition diamétrale. Si elles se rencontrent, c'est peut-être parce qu'elles vont le même chemin, mais alors parce qu'elles le parcourent en sens inverse. Leur "complémentarité" relève d'une symétrie à la fois vraie et fausse, toujours autrement vraie et autrement fausse. Les "ténèbres" peuvent sans doute être pensées comme absence ou manque de "lumière", mais la "lumière" peut aussi être pensée comme absence et manque de "quelque chose", d'"être" ou de "matière" qui fasse obstacle ou résistance à la vue. Quand nous voyons un "objet", c'est qu'il n'y a rien (rien d'opaque, préciserait seulement le langage scientifique moderne) entre notre œil et lui. Ainsi "la lumière" peut être pensée comme "quelque chose" mais aussi comme le contraire de quelque chose (un vide, un "jour", une ouverture, clairière, éclaircie, claire-voie: la coïncidence du clair, de la lumière et du léger en allemand comme en anglais, Licht, light, n'est pas une "simple homonymie"); de même les "ténèbres" que l'optique moderne réduit à une simple absence de lumière (c.-à-d.: rien) peuvent être comprises comme "quelque chose": d'épaisses ténèbres (palpables, dit l'Exode) qui "tombent" sur quelqu'un ou l'"environnent".

Cela rend la "photologie" biblique particulièrement intéressante, notamment sur cette arborescence de textes qui va du fiat lux de Genèse 1 à ses nombreuses reprises dans le NT: "qu'il y ait de la lumière", est-ce à entendre comme la "création" de "quelque chose" (la lumière) à partir de "rien", ou au contraire comme une sorte d'ouverture d'un "vide", d'un "rien", d'un manque ou d'une absence, d'une faille ou d'un espacement dans ces "ténèbres" qui, à l'instar de "l'abîme" ou océan primordial, sont bel et bien conçues comme quelque chose, comme une sorte de matière première incréée mais réelle, une totalité pleine à laquelle il est impossible d'ajouter quoi que ce soit sans y faire d'abord de la place, sans y pratiquer, y ménager, y découper l'ouverture d'un "jour" qui est d'entrée de jeu "espace" et "temps" (clairière, éclaircie), vide à remplir d'autre chose ? On comprendrait mieux ainsi la "logique" qui consiste à introduire la "lumière" et le "jour", espace et temps à la fois, AVANT le "soleil" qui va les "occuper" (comme les poissons, les oiseaux et les animaux vont venir "peupler" les espaces "mer", "ciel" et "terre" préalablement ouverts, nommés et dé-limités). De là aussi, peut-être, cette modestie de la "lumière" biblique qui compense quelquefois sa tendance expansionniste et totalitaire (celle-ci étant manifeste au contraire dans le tableau tout-lumineux de l'Apocalypse qui supprime et la nuit et la mer). La lumière-jour de la Genèse n'abolit pas la nuit (ni sa terre la mer) mais lui assigne une place en la dé-nommant à partir de son propre nom, par opposition à elle-même; celle du Prologue de Jean brille dans les ténèbres qu'elle ne détruit pas -- qui certes ne l'ont pas saisie ni comprise, mais la réciproque reste autrement vraie (darkness shining in brightness which brightness could not comprehend, scripsit Joyce).
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeVen 11 Sep 2015, 18:34

Narkisos a écrit:
On concevrait mieux ainsi la logique qui consiste à placer la "lumière" et le "jour", espace et temps, AVANT le "soleil" qui va les "occuper" (comme les poissons, les oiseaux et les animaux vont venir "peupler" les espaces "mer", "ciel" et "terre" préalablement ouverts, nommés et dé-limités),

Il n'y aurait ainsi pas de contradiction entre le fait de séparer dans un premier temps le jour et la nuit, et dans un second temps de faire (ap)paraître le soleil et la lune.
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeVen 11 Sep 2015, 19:07

Non, en effet: comme on l'a souvent noté, c'est la structure générale du texte qui l'exige -- les jours 1, 2 et 3 ouvrent, constituent, nomment et délimitent des "espaces vides" que les jours 4, 5 et 6 respectivement "remplissent". Mais ça suppose bien que "la lumière", "le jour" et par extension "la nuit" (à l'origine "ténèbres" incréées, mais nommées, séparées, et ainsi réduites à une mesure désormais habitable par opposition symétrique au "jour", comme l'abîme-océan réduit à l'état de "mer" par opposition à la "terre ferme") soient conçus comme de tels espaces(-temps) à "peupler" (par le soleil, la lune et les étoiles en l'occurrence, qui vont habiter le "jour" et la "nuit" comme les poissons et les monstres marins habiteront la "mer", les oiseaux le "ciel", les animaux terrestres et l'homme la "terre ferme").

----
Comme d'autres discussions m'ont renvoyé à l'évangile ("apocryphe") selon Thomas et de celui-ci à ce fil, je signale les échos suivants de notre logion dans ce texte :
"Reconnais ce qui est devant ta face, et ce qui t'est caché te sera dévoilé. Car il n'y a rien de caché qui ne sera manifesté." (5)
"Ses disciples l'interrogèrent et lui dirent: 'Veux-tu que nous jeûnions? Et comment prierons-nous? Donnerons-nous l'aumône? Et pour ce qui concerne la nourriture, quelles normes observerons-nous?' Jésus dit: 'Ne dites pas de mensonges, et ne faites pas ce que vous haïssez, puisque tout est dévoilé devant le ciel. Car il n'y a rien de caché qui ne sera manifesté et rien de couvert qui restera sans être dévoilé.'" (6)
"Les images sont manifestes à l'homme, mais la lumière en elles reste cachée dans l'image de la lumière du Père. Il se manifestera, mais son image restera cachée par sa lumière." (83)
"Celui qui boit de ma bouche deviendra comme moi, moi-même je deviendrai lui, et ce qui est caché lui sera dévoilé." (108)
(Cf. aussi 32s, sur la ville et la lampe qui ne peuvent être cachées.)
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeMer 16 Fév 2022, 13:27

Le mot de "transfiguration" nous est revenu ces jours-ci à propos des ultimes tableaux de l'Apocalypse (21--22); il m'a rappelé, par contraste, la première citation de Thomas dans le post précédent, et de fil en aiguille l'ensemble de cette discussion ainsi que quelques autres (p. ex. celle-ci, celle-là ou celle-là).

Le concept de transfiguration, formé sur la péricope synoptique habituellement appelée du même nom (Marc 9//), me semble utile (notamment pour "comprendre" la fin de l'Apocalypse), mais insuffisant pour décrire le "phénomène" dont nous parlions ici; utile et insuffisant au fond pour la même raison: parce qu'il s'attache au changement (méta-morphose, méta-schème, trans-formation ou trans-figuration suivant la construction analogue du lexique grec et latin) de la "chose vue" (aspect, apparence, phénomène, ce qui est parfaitement valable pour la "transfiguration" évangélique ou pour les "visions" de l'Apocalypse), en occultant son corollaire qui est aussi son contraire, le changement de regard sur la même "chose", fût-elle inchangée de son côté, qui permet cependant de l'envisager autrement (ce que dit à sa façon Thomas 5: ne regarde rien d'autre que ce qui est devant toi, le "réel" si l'on veut, car c'est là et nulle part ailleurs que peut se produire la révélation, le dévoilement, l'apparition de l'inapparent à même l'apparent).

Je revoyais ces jours-ci les films de Bruno Dumont, j'ai parlé récemment de Hadewijch, hier c'était Hors Satan (2011), qui était d'ailleurs le premier film que j'aie vu de lui (cf. ici). Dans ses commentaires Dumont parle de "mystique" et s'en explique assez mal à mon avis, pas forcément plus mal qu'un autre d'ailleurs, parce qu'il n'y a pas grand-chose à expliquer; en revanche il réalise (au sens cinématographique du terme) remarquablement bien ce dont il s'agit: un paysage, un contrechamp sur des visages et des regards, l'ensemble des corps et des postures repris avec le paysage de l'arrière et à contre-jour, tout est dit et montré en quelques plans silencieux de ce dont il n'y a rien à dire, mais tout et plus que tout à voir.
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeMer 16 Fév 2022, 15:20

Matthieu 17,1-9(13) (Mt 17,1-9) – Transfiguration : être métamorphosé pour rayonner ce qu’on est profondément (commentaire, pistes exégétiques et homilétiques)

l s’agit de « métamorphose » (v. 2),

du grec meta-, entre, avec, après, en conséquence, élément qui exprime la succession, le changement, la participation

et de morphè, « Gestalt », forme, apparition, extérieur, image, aspect, qualité

Le dictionnaire culturel en lange française dit :

« Changement de forme, de nature ou de structure, si considérable que l’être (dieu ou être humain) ou la chose qui en est l’objet n’est plus reconnaissable. »

http://www.ethikos.ch/10335/matthieu-171-913-mt-171-9-transfiguration-etre-metamorphose-rayonner-quon-profondement-commentaire-pistes-exegetiques-homiletiques


« Le miracle est la transformation du regard, assumée en actes et en paroles, dont l’ensemble peut être appelé ‘respect’, respect de l’autre dans sa singularité. »,

nous devons aussi revisiter la « transfiguration » et la « résurrection », deux récits bibliques fondateurs de la foi chrétienne.

La transfiguration (évangile selon Marc, chapitre 9) est la métamorphose de Jésus, moment fort où ses trois amis, Pierre, Jacques et Jean, sur une haute montagne, le voient changer d’aspect, où ils voient en cette homme, humain comme nous, la gloire de Dieu.

Nous pouvons, et nous devons aujourd’hui, relire ce texte autrement que d’habitude, en nous disant, avec audace et humilité, que Jésus n’a pas changé d’aspect, physiquement, là haut, sur la montagne.

Si Jésus n’a pas changé d’aspect, physiquement, mais si nous voulons quand même écouter ce que la bible nous dit, qu’est-ce qui s’est transfiguré ?

C’est le regard de ses amis qui a changé.

Ils voient en Jésus la gloire de Dieu. On dirait, ils voient en Jésus la dignité humaine, pleinement, ils voient en lui, entièrement, ce qui, en nous, est parfois caché. Cependant, même caché, ce quelque chose est là, en tout être humain, sans exception.

http://www.ethikos.ch/7430/la-dignite-humaine-manifeste-transfiguration-et-resurrection


Apocalypse 21,1-5(6), notes exégétiques et homilétiques : La transfiguration de la réalité – Quand l’Apocalypse n’est pas une catastrophe

P. Prigent nous met lui-même sur cette piste :

« ce qui intéresse l’auteur n’est pas d’apporter une description réaliste de la Fin et d’en préciser le temps, les conditions et les modalités : tout ceci reste à l’extérieur des choses et n’a donc guère d’importance. En revanche l’auteur tient à répéter … que l’intervention de Dieu dans le monde ne peut qu’en bouleverser toutes les données qu’elles soient temporelles ou spatiales. » (p. 324)

L’apocalypse se laisse ainsi comprendre au deuxième niveau, comme transfiguration profonde des réalités qui restent formellement ce qu’elles sont. La présence de Dieu ne transforme pas, mais transfigure, donne à une forme donnée une nouvelle « Gestalt » : la vieille reste vieille et le vieux reste vieux, mais transparaît la beauté provoquée par cette présence Dieu dans la vieillesse, la beauté possible dans la fin de vie, dans une personne handicapée ou malade. En Dieu, ce qui est devient beau, ou, autrement dit, saint. En la présence de Dieu, à travers la lecture christologique, croix et résurrection (« Alpha et Oméga, premier et dernier, commencement et fin »), la réalité, telle qu’elle est, est transfigurée. Avec Dieu, quelque soit la forme, le premier niveau, tout est possible ; toutes les formes sont possibles, ce n’est pas la forme qui compte. Mais, en la présence de Dieu se pose la question : comment « gestaltest-tu » ce qui est, que fais-tu avec ce qui est ce qu’il est, que vises-tu, qu’indiques-tu avec ce que tu as et ce que tu es, quelque soit la forme de ta vie ? Le monde ancien, marqué par les larmes, les cris, les larmes, le deuil et la mort, ou un monde nouveau, marqué par la résurrection où il y a sens nouveau, là où le non-sens risquait de l’emporter ?

http://www.ethikos.ch/8115/apocalypse-211-56-notes-exegetiques-et-homiletiques-la-transfiguration-de-la-realite-quand-lapocalypse-nest-pas-une-catastrophe
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeMer 16 Fév 2022, 15:54

Par coïncidence, le film suivant de Bruno Dumont (Camille Claudel 1915, 2013, avec pour une fois une actrice "connue" mais méconnaissable, Juliette Binoche), se situe aussi dans un cadre "psychiatrique" (c'était déjà en partie le cas de L'humanité en 1999 et de Flandres en 2006, mais avec de parfaits "inconnus" du public).

Il y va en effet de la structure (platonicienne entre autres) de la "re-connaissance", qui traverse toutes les littératures (depuis l'Odyssée ou le "roman de Joseph" à la fin de la Genèse, qui est toujours l'un des récits les plus populaires dans l'islam) et passe nécessairement par un moment de mé-connaissance: le dieu, le père, la mère, le fils, la fille, le frère, la soeur, l'ami(e), l'amant(e), le sauveur, etc., n'est re-connu(e) (avec tout le pathos qui s'ensuit) que parce qu'il ou elle est d'abord connu(e) puis méconnu(e), la structure complexe de la re-connaissance est strictement corollaire de celle de la ré-vélation, c'est l'autre côté du même, les "gnostiques" ne disaient pas autre chose et tou(te)s les "mystiques" de toute époque et de toute religion n'ont fait que la re-trouver (ou la re-connaître).
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeMar 22 Fév 2022, 15:05

Citation :
Cette maxime (ou sentence) qui revient assez fréquemment, sous diverses formes, dans le NT, s'entend d'au moins deux façons, diamétralement opposées -- comme une promesse rassurante ou comme une menace, inquiétante -- selon qu'on suppose la chose cachée bonne ou mauvaise, et sa révélation désirable ou redoutable. La différence entre ces deux perceptions contraires de la même "idée" semble d'ailleurs servir de critère de jugement, voire tenir lieu de jugement, dans l'Evangile selon Jean (3,19ss):
Or voici le jugement : la lumière est venue dans le monde, et les humains ont aimé les ténèbres plus que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Car quiconque pratique le mal déteste la lumière; celui-là ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dévoilées; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu'il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en Dieu.
Cela pourrait, par une mise en abyme, déboucher sur une inquiétude herméneutique vertigineuse à l'endroit de cette maxime: par la façon même dont on l'entendrait spontanément, en "bonne" ou en "mauvaise" part, en l'absence d'un contexte susceptible d'incliner son interprétation dans un sens ou dans l'autre, on se jugerait soi-même; ou du moins on se dévoilerait.


"Et voici le jugement : la lumière est venue dans le monde, et les humains ont aimé les ténèbres plus que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Car quiconque pratique le mal déteste la lumière ; celui-là ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dévoilées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu'il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en Dieu" (Jean 3,19-21).

« Faire la vérité » : considérations éthiques sur Jean 3, 21

Faire la vérité c'est donc tout d'abord élaguer ; c'est accepter d'être mis à nu, d'être dépouillé, d'être vu tel que nous sommes, sans faux-semblant, sans vain essai de donner le change. C'est accepter d'avoir besoin d'être sauvé et de ne le pouvoir par nous-même. C'est cela «venir à la lumière » : subir dès à présent une crise — un jugement — purificatrice ; c'est être passé au crible d'une critique impitoyable. C'est faire effort sur soi pour que, rigoureusement, la vérité soit faite — en une enquête qui ressemble à l'instruction d'un juge et dont, par ailleurs, le travail (psych) analytique nous offre un modèle possible — sur nous-même. C'est accepter le choc de la rencontre, de la rencontre avec l'Autre , avec celui qui est porteur de vérité, qui est la vérité qui donne vie (Jn 14,6).

Mais cette attitude cathartique n'a pas qu'un aspect personnel et individuel. De la même manière que Nicodème et la Samaritaine sont les types de peuples entiers, le mot d'ordre «faire la vérité » concerne aussi l'histoire des communautés et des peuples. Faire la vérité c'est ainsi, pour une société donnée, accepter de voir en face ce qu'il en est de son histoire véritable et de sa situation réelle. C'est refuser le mensonge et la propagation mensongère qui est propagande. Car les sociétés et les états, comme les individus, ont eux aussi à «venir à la lumière ». H leur est ainsi demandé de ne pas mentir, de ne pas se mentir. Car mentir et se mentir — cette «haine de la lumière » qui ne craint rien tant que la «dénonciation de ses œuvres » — c'est justement là la pratique du mal par excellence, la racine de tous les maux (3,20). Faire la vérité, pour une société donnée, c'est donc comprendre qu'il ne peut y avoir de salut que dans la clarté, que venant d'ailleurs, loin des cataplasmes mystificateurs et idéologiques.

Or cela signifie aussi accueil de l'Autre, c'est-à-dire, concrètement, écoute d'un autre dont on n'aurait pas d'abord interdit la parole au nom de quelque dogmatisme totalitaire. Car la vérité de la vérité apparaît bien, dans un premier temps au moins qui n'a de fin qu'eschatologique, dans sa polyphonie, dans son éclatement à la fois jaillissant et balbutiant. Certes, cet éclatement est bien d'une certaine manière pauvreté, mais d'une pauvreté qui seule est véritable richesse. Dès lors convient-il de tout faire pour ne pas réduire cette richesse et la faire mentir : la vérité de la vérité c'est son inachèvement actuel — humain — , son éclatement et la nécessité qu'il y a à sans cesse distinguer ses niveaux différents qu'aucune puissance au monde ne peut prétendre totaliser à elle seule — sous peine de tomber dans l'erreur, le mensonge et le mal radical. Cela, bien sûr, sans verser dans un relativisme et un scepticisme absolus (qui bien souvent ne sont mis en avant que pour couvrir des conservatismes commodes), mais en affirmant que la vérité est dynamisme, recherche et patiente conquête de son unité eschatologique à travers la confron¬ tation des formes diverses de son jeu polyphonique.

Mais la rencontre de l'Autre pour une société signifie aussi l'acceptation du choc de la rencontre de cet autre qu'est le Règne de Dieu. Car le Règne de Dieu est bien ce «Tout Autre » social qui — en Jésus-Christ — s'offre à la rencontre d'un monde duquel il «s'approche ». Et cette rencontre est d'abord remise en cause, jugement et critique, «mise en lumière » de ces «œuvres » qui sont dévoilées comme «mauvaises ». Accepter ce jugement, accepter — loin du conservatisme obtus d'un Nicodème — que notre monde a aussi à «naître d'en haut », c'est venir à la lumière, c'est faire la vérité. Or celle-ci une fois faite — elle ne l'est bien sûr jamais ici-bas que partiellement et provisoirement — , on peut alors comprendre — tel le marcheur en montagne parvenu au but et contemplant la voie qu'il vient de prendre — que cette mise en lumière n'est pas notre œuvre à nous, mais qu'elle a pour agent dernier Dieu Lui-même. Pour autant que «celui qui fait la vérité vient à la lumière afin qu'il soit clair que ses œuvres ont été œuvrées en Dieu » (3,21).

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1982_num_62_4_4684
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeMar 22 Fév 2022, 15:54

Très beau texte (quarante ans déjà).

Derrida aussi a beaucoup médité plus tard cette formule, "faire la vérité", telle qu'il l'a trouvée en latin chez saint Augustin (veritatem facere) et apparemment sans savoir, du moins au début, qu'elle était d'abord grecque et johannique. Le retour au grec est toutefois essentiel car dans le verbe poieô, il y va aussi de la "poésie" et de toute la "création" artisanale et artistique (tekhnè, ars) -- chose très différente a priori d'un "faire la vérité" au sens policier ou judiciaire, en passant par l'inquisition ou le journalisme d'investigation. Et symétriquement "la vérité" qui est l'objet même du "faire poétique" garde aussi celui-ci de sa tendance à l'invention de "n'importe quoi", de la pureté illusoire de la fiction "pure", ramenant l'"invention" même à son étymologie de trouvaille ou de découverte de quelque chose qui est là, qu'on trouve et qu'on n'"invente" pas (invenio-inventio, comme dans l'"invention de la sainte Croix" même si c'est en l'occurrence un "faux" plutôt qu'un "fait", factice plutôt que factuel). De la fiction et de la facticité (ou de l'artifice) comme détour indispensable d'un "faire la vérité", ce serait aussi la nécessité du théâtre dans le théâtre ou du drame dans le drame, comme dans Hamlet, mise en scène et en abyme du théâtre même, sans que jamais l'un se réduise à une "fin" ou à un "moyen" de l'autre (la fiction dans la fiction est une façon de "faire la vérité", vérité de fiction dans la pièce de Shakespeare qui fait pourtant aussi la vérité dans le monde "réel" du spectateur).

(Cf. p. ex. ici ou .)
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeVen 04 Mar 2022, 11:41

VII

La tendance de Marc à abandonner les canons du secret ésotérique se manifeste dans la sagesse confiée aux initiés (4, 14-32). Ceux-ci reçoivent la forme d'interprétation la moins convenable, et même carrément inappropriée, à leur statut de bénéficiaires de la connaissance ésotérique. Faut-il considérer comme accidentel le fait que, dans l'explication de la parabole maîtresse (4, 14-20), le grain soit remplacé par le logos ? Ainsi, le logos est gaspillé pour trois sortes de bénéficiaires, qui sont opposés à une autre sorte de bénéficiaires pour qui le logos portera ses fruits. Dans cette perspective, le logos est profondément impliqué dans les dilemmes de sa dissémination avant de remporter une victoire évidente. Voilà l'interprétation de la parabole sur le mystère de la parole de Dieu qui a été secrètement donnée aux initiés. Non seulement le logos doit-il être semé, c'est-à-dire rendu public, mais encore l'échec de sa proclamation constitue-t-il une caractéristique essentielle du mystère du royaume. Loin de renforcer la séquestration des logoi derrière des portes closes, cette interprétation secrète fait éclater le cadre conceptuel du genre des paroles ésotériques. Essentiellement, l'explication ésotérique de la parabole maîtresse sape la logique même de sa communication secrète.

Les autres paraboles, secrètement transmises aux initiés, évoquent la dynamique du secret et de la révélation, du surplus et de la perte. Mais plutôt que de renforcer le secret à cause de leur position dans le genre ésotérique, elles expliquent que le caché n'est que la prémisse à la révélation. Le commentaire sur l'aphorisme de la lampe exprime cela de façon paradigmatique (4, 21) : « Car il n'y a rien de caché qui ne doive être manifesté, il ne s'est rien produit de secret que pour venir au grand jour » (4, 22). Sagesse secrètement transmise à quelques-uns, ces paroles déconstruisent la logique de leur propre opération secrète. L'aphorisme de la mesure pour la mesure (4, 24b) promet le surplus, et l'aphorisme sur « avoir » et « ne pas avoir » (4, 25) réitère cette promesse, tout en soulignant la nécessité de la perte. En contexte, ces aphorismes suggèrent que ceux qui possèdent la connaissance intérieure (sur le dévoilement et la révélation) seront dans le secret de la révélation (comme le montre le récit), alors que ceux qui n'arrivent pas au niveau de l'interprétation parabolique peuvent en fin de compte subir une perte totale. Communiqués à quelques-uns en tant que sagesse ésotérique, ces aphorismes paraboliques non seulement confirment le statut des initiés, à condition qu'ils comprennent la logique du caché et de la révélation, mais aussi menacent les initiés d'effondrement s'ils restent sourds à l'interprétation parabolique. Les deux paraboles finales du grain sont des variations sur le thème du caché et de la révélation. La parabole du grain qui monte exprime le processus inévitable de la croissance, depuis le grain jusqu'à la moisson (4, 26-29), et la parabole du grain de sénevé met l'accent sur la disjonction entre l'état embryonnaire et la pleine croissance de la plante (4, 30-32). Dans tous les cas, la plante cachée dans le sol a pour but de s'élever de façon manifeste au-dessus du sol. Dans les deux paraboles, la sagesse secrètement transmise aux initiés annonce l'avènement de l'ouvert au lieu du caché. En exposant le mécanisme du secret et de la révélation et en maintenant la possibilité d'un surplus aussi bien que d'une perte totale, la sagesse parabolique confiée aux initiés relativise son caractère même de confidence, dérange l'autorité des bénéficiaires privilégiés et rompt la fermeture ésotérique. Les paraboles mêmes qui avaient droit de cité dans le schéma ésotérique contiennent les germes de la destruction de celui-ci. Chez Marc, le secret ésotérique est en train d'exploser depuis l'intérieur des confins du genre des paroles.

Les grains de la déconstruction semés dans le scénario ésotérique (4, 10-34) trouvent leur plein épanouissement dans le reste de l'évangile narratif. En effet, loin de réaffirmer le prestige des initiés, le récit hâte leur fin. J'ai montré ailleurs le mécanisme du renversement des rôles selon lequel les caractéristiques des non-initiés — incapacité de comprendre, avoir des yeux mais ne pas voir, des oreilles mais ne pas entendre (4, 12) — s'appliquent aux initiés eux-mêmes (6, 52 ; 8, 17-18). L'intrigue, au moment où elle se précipite vers son sommet critique, éclaire rétrospectivement la gravité de la sagesse parabolique communiquée aux douze. En effet, cette sagesse, en déconstruisant sa propre opération secrète, avait fini malgré elle par libérer le mystère du royaume hors de son enfermement hermétique. En d'autres termes, le mécanisme secret/révélation transmis par la sagesse parabolique avait dépassé son propre mode secret de communication pour parvenir à l'épiphanie dans le déploiement du récit de la vie et de la mort de Jésus. Incapables de suivre cette vision plus large du royaume, les douze se sont retrouvés, comme les non-initiés, à l'extérieur du déploiement de sa dramatisation, et, prenant la transfiguration pour l'épiphanie, se sont enfuis loin de la croix, pleins de peur et d'incroyance. En transformant ainsi les initiés en non-initiés, le récit a achevé la destruction du secret ésotérique. La notion d'un groupe distinct d'initiés en possession de l'information confidentielle a été renversée. Dans ce sens, l'évangile ne se présente pas du tout comme un protecteur du secret, mais plutôt comme un ardent démystificateur du mythe du secret ésotérique.

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1989_num_69_4_5039


Dernière édition par free le Ven 04 Mar 2022, 13:16, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeVen 04 Mar 2022, 12:57

Analyse exceptionnellement pénétrante -- qui d'ailleurs serait tout aussi pertinente à ce fil, et mérite d'être lue très attentivement.

En effet, la "dynamique" paradoxale ou aporétique du "secret" (mystère, obscurité, silence, etc.) et de la "révélation" (dévoilement, mise en lumière, etc.) ne fonctionne qu'avec (et sans) ce qu'on appelle au théâtre le "quatrième mur", celui qui n'existe pas parce que c'est la place du public: la part invisible et inaudible qui est précisément celle qui voit et entend, constante en tant que place et infiniment variable en fonction de ceux qui l'occupent: l'auditeur, le lecteur, le spectateur, individu ou communauté, qui reste en quelque sorte dans l'obscurité de la salle, tout en étant représenté sur scène ou dans le récit par le jeu des personnages, en l'espèce des "disciples" et de la "foule", de "ceux du dedans" et de "ceux du dehors". Pour comprendre il faut s'identifier à ce qui se passe sur la scène, sur la page ou sur l'écran, et en même temps ne pas y être, car si l'on y était on n'y serait qu'un personnage, ou un type de personnage, et on ne verrait plus l'ensemble. Inclus-exclu, c'est la nécessité structurelle du drame qui est aussi représentée sur scène, à condition que la scène ne soit pas tout ce que pourtant elle représente. Et de fait cette dynamique, mise en scène et mise en abyme, passe remarquablement bien d'un "cadre" ou d'un "contexte" à l'autre (d'un cercle d'auditeurs à une grande Eglise où se rejouent des effets de cercles ésotériques, et de l'Eglise à l'extérieur, quand le jeu de l'écriture et de l'oralité se rejoue dans le passage de la liturgie à la lecture individuelle du livre imprimé, au théâtre, au cinéma, etc.).
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeVen 04 Mar 2022, 13:53

Citation :
Comme d'autres discussions m'ont renvoyé à l'évangile ("apocryphe") selon Thomas et de celui-ci à ce fil, je signale les échos suivants de notre logion dans ce texte :
"Reconnais ce qui est devant ta face, et ce qui t'est caché te sera dévoilé. Car il n'y a rien de caché qui ne sera manifesté." (5)
"Ses disciples l'interrogèrent et lui dirent: 'Veux-tu que nous jeûnions? Et comment prierons-nous? Donnerons-nous l'aumône? Et pour ce qui concerne la nourriture, quelles normes observerons-nous?' Jésus dit: 'Ne dites pas de mensonges, et ne faites pas ce que vous haïssez, puisque tout est dévoilé devant le ciel. Car il n'y a rien de caché qui ne sera manifesté et rien de couvert qui restera sans être dévoilé.'" (6)
"Les images sont manifestes à l'homme, mais la lumière en elles reste cachée dans l'image de la lumière du Père. Il se manifestera, mais son image restera cachée par sa lumière." (83)
"Celui qui boit de ma bouche deviendra comme moi, moi-même je deviendrai lui, et ce qui est caché lui sera dévoilé." (108)
(Cf. aussi 32s, sur la ville et la lampe qui ne peuvent être cachées.)

L'opposition lumière ténèbres rejoint les oppositions Royaume/monde, Vie/mort, esprit/corps ou cadavre. Le salut ou le Royaume est lumière et ne s'obtient que par la lumière : « Ses disciples dirent : Fais-nous connaître le lieu où tu es, puisqu'il y a nécessité pour nous que nous le cherchions. Il leur dit : Que celui qui a des oreilles entende ! Il y a de la lumière à l'intérieur d'un homme de lumière et il illumine le monde entier. S'il n'illumine pas, ce sont les ténèbres » ; plus explicitement : « Jésus a dit : S'ils vous disent : d'où êtes-vous nés ?, dites-leur : nous sommes nés de la lumière, là où la lumière est née d'elle- même ; elle [s'est dessée] et elle s'est révélée dans leur image. S'ils vous disent : qui êtes-vous ?, dites : nous sommes ses fils et nous sommes les élus du Père qui est vivant... » Jésus s'identifie avec la lumière, et c'est de lui que tout est venu : « Jésus a dit : Je suis la lumière qui est sur eux tous. Je suis le Tout : le Tout est sorti de moi, et le Tout est arrivé à moi ... » La révélation de la lumière aux hommes se fait par l'image, mais image et lumière sont entre elles dans une interaction simultanée de manifestation et de dissimulation réciproques : « Les images sont manifestées à l'homme et la lumière qui, en elles, est cachée dans l'image de la lumière du Père. Il se révélera, et son image est cachée par sa lumière. »

https://www.persee.fr/docAsPDF/rhr_0035-1423_1960_num_157_2_9027.pdf


D’après Peter Nagel, le logion 83 de l’Évangile selon Thomas est aussi profond qu’incompréhensible, et il aurait sans doute pu dire la même chose du logion qui
suit et qui joue sur les mêmes termes : (83) « Jésus a dit : “Les images sont apparentes pour l’homme et la lumière qui est en elles est cachée. Dans l’image
 de la lumière du Père il se révélera, et son image est cachée par sa lumière” » ; (84) « Jésus a dit : “Les jours où vous voyez votre ressemblance, vous vous réjouissez, mais lorsque vous verrez vos images qui furent avant vous, qui ne meurent ni n’apparaissent, combien aurez-vous à supporter !” ». 

Comme on le voit, le texte de ces logia exploite un vocabulaire qui est celui de Gn 1,26. Enno E. POPKES, qui a consacré une importante monographie à l’anthropologie de Thomas, affirme que l’un des thèmes centraux de cet évangile est celui de la condition humaine vue comme une existence « sous forme d’image », dans la mesure où les destinataires de l’écrit sont appelés à se réunir à leurs images immortelles, en d’autres termes à retrouver leur véritable identité. Dans sa contribution (« The Image Character of Human Existence : GThom 83 and GThom 84 as Core Texts of the Anthropology of the Gospel of Thomas »), il veut montrer que les logia 83 et 84 se situent dans une tradition interprétative de Gn 1,26-27 qui combine le donné biblique et des idées (médio)platoniciennes, et qui est celle de la littérature judéo-hellénistique, de Philon d’Alexandrie et de textes gnostiques comme ceux qui entourent l’Évangile selon Thomas dans le codex II. Parmi ceux-ci, Popkes accorde une attention particulière au Livre des secrets de Jean, dont la recension longue ouvre le codex II. Dans cet écrit, le vocabulaire de l’image (exprimé par εἰκών, τύπος ou eine) joue effectivement un grand rôle. Popkes examine quelques passages où ce vocabulaire intervient et conclut que la terminologie à laquelle le log. 84 recourt pour distinguer le double caractère de l’existence humaine, exprimé par εἰκών, d’une part, et par ὁμοίωσις/eine, d’autre part, est identique à celle que l’on retrouve dans le Livre, notamment à la p. 14,19-34 : alors que le terme εἰκών désigne l’humanité en tant qu’image du Dieu suprême, le terme ὁμοίωσις/eine affirme que l’humanité est à la ressemblance de Yaltabaôth et de ses archontes. Cependant, quand on lit le passage en question, il n’est pas sûr qu’il supporte une répartition aussi tranchée ; il y est dit, en effet, que le (sic) Mère-Père, image (εἰκών) du Père du tout, en d’autres termes l’Homme primordial, manifesta son apparence (eine) sous une forme (τύπος) humaine (ἀνδρέος), que la partie inférieure des eaux qui se trouvent au-dessus de la matière fut illuminée par la manifestation de l’image (εἰκών) de l’Homme primordial, et que les autorités et le Protarchonte virent dans l’eau la figure (τύπος) de l’image (εἰκών). Il ne fait pas de doute que, dans ce passage comme dans d’autres que cite Popkes, le Livre exploite le même lexique que les logia 83 et 84, mais je ne vois pas comment on peut en tirer des conclusions aussi précises qu’il le fait quant au sens à attribuer à Hikwn et à eine dans l’Évangile selon Thomas ou quant à une commune histoire rédactionnelle de celui-ci et du Livre des secrets de Jean. Mais cela ne remet pas en question la justesse de son point de vue, quand il insiste pour qu’on interprète l’Évangile selon Thomas dans le contexte de la littérature contemporaine, c’est-à-dire de celle du IIe siècle, y compris médioplatonicienne.

https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2010-v66-n3-ltp3991/045341ar.pdf
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeVen 04 Mar 2022, 15:22

C'est intéressant de comparer ces deux recensions, qui encadrent un demi-siècle d'études sur l'évangile selon Thomas depuis ses premières traductions et présentations "grand public".

Sans rentrer dans le débat exégétique, il ne faut pas perdre de vue (!) quelques évidences (!!) d'optique élémentaire: il n'y a pas d'"image" sans "lumière", mais il n'y en a pas non plus s'il n'y a que de la lumière. Ce qui fait image, et vision, et vue et oeil, c'est la rencontre de "la lumière" avec un "ob-jet" ou un "ob-stacle" qui lui résiste plus ou moins (de l'opacité à la transparence en passant par la réflexion et la réfraction, et tout le spectre des couleurs), en tout cas une différence de lumière. Cette évidence "physique" sous-tend toutes les "méta-physiques", religieuses ou philosophiques, et toutes les métaphores ou métonymies de la lumière et des ténèbres, de la vision, de la cécité ou de l'invisibilité, de la forme et de la matière, de l'apparaître et du disparaître, du cacher et du montrer, bref du "phénomène". Le premier chapitre de la Genèse qui va de la "lumière" (ou plutôt, plus tôt, des ténèbres) à l'"image" et à la "ressemblance", avec entre ces deux derniers mots (a priori "synonymes" selon l'usage de la poétique hébraïque) tout un potentiel de distinction dans l'Adam-Homme, originel et générique, homme et femme, singulier et pluriel, mais aussi "spirituel" et "matériel", "idéal" et "phénoménal", "modèle" et "copie", "type" et "antitype", "paradigme" et "hypodigme", où le "platonisme" est comme un poisson dans l'eau, mais qui peut fonctionner tout aussi bien en hébreu (p. ex. avec les jeux de mots sur çlm et çl, image et ombre), n'en est qu'une illustration remarquable: avec ou sans ce texte-là, c'est le lieu où par des chemins très différents toutes sortes de pensées finissent tôt ou tard par se retrouver, aussi sûrement qu'elles en proviennent.
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeVen 04 Mar 2022, 16:28

On retrouve ici la différence, caractéristique de la réception finie (la seule qui se conçoive pour un mortel) de tout phénomène, entre ce qui se donne et ce qui se montre, mais portée à son paroxysme par ce phénomène – l’approche du Royaume de Dieu parmi nous – qui impose une manifestation sans reste et absolue?: « « Il n’y a rien de caché, qui ne deviendra manifeste (ouden gar estin kekalummenon o ouk apokalupthêsetai), rien de secret (kai krupton) qui n’entrera dans la clarté (o ou gnôsthêsetai) » (Matthieu 10,26). « Car il n’y a rien de caché qui ne doive se manifester (ou gar eistin ti krupton ean me ina phanerôthê). Rien n’est devenu caché, sinon pour entrer dans la clarté » (Marc 4,22). « Il n’y a rien de caché, qui ne deviendra manifeste (ou gar estin krupton o ou phaneron genêsetai), ni rien de secret (apokrupton) qui ne doive se connaître et entrer dans la clarté » (Luc 8,17). Devant cette insupportable manifestation, nul Je (qui constituerait le donné en un objet), nul Dasein (qui par sa décision le fixerait comme un étant dans son être) ne peuvent tenir?: il ne reste qu’un témoin, qui reçoit ce qu’il ne peut et ne pourra jamais au sens strict comprendre, même s’il pourra d’autant plus sans cesse en concevoir plus. Le témoin ne cessera, sous la « poussée » de cet excès et à la mesure de sa résistance (en l’occurrence de sa sainteté), de précisément repousser les limites du donné vers une manifestation plus accomplie, quoique toujours partielle?: déplacer le curseur entre ce qui se donne et ce qui se montre dépend de la (bonne) tenue du témoin, de ce que le témoin peut retenir du premier pour le rendre visible sous la figure du deuxième.

https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2011-4-page-489.htm?try_download=1


Malgré une différence majeure, (Seul Matthieu relie ce principe de phénoménalité à l'apokalupsis elle-même), ou plutôt sous sa garantie, il reste le point commun : il va toujours d'un principe de la  phénoménalité de Dieu, selon lequel non seulement le manifeste finit toujours par l'emporter sur le caché, mais aussi le caché se destine toujours en dernière instance à la manifestation ...

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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeVen 04 Mar 2022, 18:15

Comme tu soulignes les transcriptions des termes grecs rappelant l'"apo-calypse" (= ré-vélation, dé-voilement, dé-veloppement) il faut peut-être signaler, bien que ça n'ait pas beaucoup d'importance, que le propos (de Marion) est quelque peu embrouillé par le choix de traductions formellement peu cohérentes. En grec l'image ou la métaphore du voile (plus généralement couverture ou recouvrement, enveloppe[ment], kaluptô etc., cf. Calypso) est évoquée (plus ou moins explicitement ou vivement, pour parler comme Ricoeur) par les mots de cette famille, non par celle de phainô, phaneroô etc. qui s'apparente plutôt à l'aspect "positif" de la lumière (phôs) et dénote le paraître ou l'apparaître, la manifestation, l'"épiphanie" ou le "phénomène", tout ce qui s'apparente à un "venir au jour" ou "à la lumière" -- supposant aussi une provenance cachée, secrète, occulte, obscure, non-manifeste, mais pas forcément par l'image précise du voile (couverture, vêtement, enveloppe, etc.) qui n'est qu'une forme d'occultation parmi d'autres.

De façon plus "littérale" (et moins littéraire), on pourrait traduire:
... il n'est de caché (kruptos) que pour être manifesté (phaneroô), de dissimulé (apo-kruphos, "apocryphe", dérivé de kruptoô) que pour venir au manifeste (phaneros) -- Marc 4,22
... il n'est rien de voilé (kaluptô) qui ne soit dévoilé (ou révélé, apo-kaluptô), rien de caché (kruptos) qui ne soit connu (gi[g]nôskô) -- Matthieu 10,26
... il n'est de caché (kruptos) qui ne devienne manifeste (phaneros), ni de dissimulé (apokruphos) qui ne soit connu (gi[g]nôskô) et ne vienne au manifeste (phaneros) -- Luc 8,17.
Ce qui est propre à Matthieu en l'occurrence, c'est donc précisément l'image du voile et du dévoilement.

Le propos principal de Marion consiste toutefois à distinguer le "don" et la "révélation" (ou la "monstration"), celle-ci à l'intérieur de celui-là même s'ils coïncident en dernière instance, dans une sorte d'horizon eschatologique. Au présent du moins tout ce qui est donné n'est pas montré ni révélé pour autant. Avec ou sans révélation ou manifestation, et réception, perception, intuition, appréhension, compréhension ou intelligence corollaires de celles-là, on n'en serait pas moins "dans" le don et le donné, puisque selon cette perspective il n'y a pas d'ailleurs (l'"ailleurs" désigne chez Marion l'origine strictement impensable du "don" et de la "révélation", origine qui ne se nomme et ne s'envisage que de l'intérieur de ceux-ci et ne relève pas de l'"être").

En philosophie aussi, la ligne de partage est mince entre le génie et la stupidité (comme disait à peu près Oscar Levant). La métonymie du don, de la donation et du donné, telle qu'elle s'emploie notamment en "phénoménologie", oscille entre la légèreté (en bonne comme en mauvaise part) du calembour (jeu de Heidegger et d'autres sur le banal es gibt allemand, mot-à-mot "ça donne", qui correspond fonctionnellement à notre "il y a") et les gros sabots de la récupération théologique -- qui dit don et donation dit donateur et donataire, sujet, objet direct et indirect du donner, etc.: on peut, à partir de ce lexique et de cette grammaire, retrouver la quasi-totalité de son catéchisme intact et foncièrement inquestionné. A la "place" archi-originaire que lui assigne cette phénoménologie le "don" ne peut être que sans concept (ou concept absolument vide, comme l'"être" hegelien), autrement dit rien de ce qu'on entend ordinairement par "don" dans une relation de personnes et de choses (X donne Y à Z): à la lettre, façon Blanchot, don sans don. On voit mal dès lors comment un tel "don" pourrait se distinguer (conceptuellement) de quoi que ce soit puisqu'il serait, comme l'"être" métaphysique, présupposé dans tout (on ne pourrait même pas dire tout le reste, parce qu'il n'y aurait pas de "reste") -- comme le "Dieu des philosophes" identifié à l'"être", un autre mot à la même place absolue qui absout et dissout le sens de tous les mots qui l'approchent. Seul avantage apparent, une connotation "dynamique" et "affective" du "don" par rapport à l'"être" traditionnellement pensé comme "statique" et "indifférent", MAIS 1) cette connotation s'introduit clandestinement en un (non-)lieu où toute dénotation est par (in-)définition impossible; 2) penser la "dynamique" avec l'"être", c'est ce que tâche de faire la "philosophie" depuis ses origines (du mouvement héraclitéen à lEreignis heideggerienne, en passant par les paradoxes de Zénon, le Parménide de Platon, l'entéléchie d'Aristote ou la phénoméno-logique hegelienne -- p. ex.); 3) quant à l'"affectif" on ne fera pas mieux que le "Dieu-amour" de la tradition chrétienne (plus précisément johannique au départ), qui est d'emblée visé par une philosophie chrétienne comme celle de Marion (pétition de principe, assumée d'ailleurs comme "circularité" d'un propos qui se situe dans le "don", mais la scolastique médiévale en faisait tout autant avec la "grâce").
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeLun 07 Mar 2022, 11:55

Citation :
Le concept de transfiguration, formé sur la péricope synoptique habituellement appelée du même nom (Marc 9//), me semble utile (notamment pour "comprendre" la fin de l'Apocalypse), mais insuffisant pour décrire le "phénomène" dont nous parlions ici; utile et insuffisant au fond pour la même raison: parce qu'il s'attache au changement (méta-morphose, méta-schème, trans-formation ou trans-figuration suivant la construction analogue du lexique grec et latin) de la "chose vue" (aspect, apparence, phénomène, ce qui est parfaitement valable pour la "transfiguration" évangélique ou pour les "visions" de l'Apocalypse), en occultant son corollaire qui est aussi son contraire, le changement de regard sur la même "chose", fût-elle inchangée de son côté, qui permet cependant de l'envisager autrement (ce que dit à sa façon Thomas 5: ne regarde rien d'autre que ce qui est devant toi, le "réel" si l'on veut, car c'est là et nulle part ailleurs que peut se produire la révélation, le dévoilement, l'apparition de l'inapparent à même l'apparent).

Ainsi, lors de la Transfiguration, les disciples admis à voir par anticipation la gloire de la résurrection non seulement ne doutent pas de ce qu’ils voient — que son « visage devient autre » (Lc 9, 29), « comme le soleil » (Mt 17, 2), et ses vêtements « comme la lumière » (Mt 17, 3), « d’une blancheur si excessive (lian) qu’aucun foulon au monde ne pourrait l’obtenir » (Mc 9, 3). Non seulement l’intuition ne fait pas défaut, mais la difficulté à voir vient de son excès : les disciples tombent face contre terre, ne supportant pas l’intensité de la vision, et ils « ont très (sphodra) peur » (Mt 17, 6)10. Il s’ensuit que la véritable difficulté devant ce phénomène saturé vient du « manque des noms divins » (Hölderlin), ou du moins des mots appropriés à cette manifestation divine. Lorsque Pierre tente de dire quelque chose (sur les trois tentes qu’il serait « bon » de dresser pour le Christ et les deux figures supposées de Moïse et Élie), il emprunte un concept traditionnel, celui dont il dispose, la philoxenia d’Abraham sans doute (Gn 18, 1-15), parfaitement inadéquat ; et les textes de préciser aussitôt qu’« il ne savait pas quoi dire (mē eidōs ho legei) » (Lc 9, 33). La signification adéquate ne viendra donc pas de ceux qui voient le phénomène mais, finalement, du phénomène lui-même, puisque c’est « une voix venant de la nuée », qui délivre la signification adéquate à cet excès d’intuition, c’est-à-dire une signification elle-même excessive et, littéralement, incompréhensible : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le. » Cette signification fut déjà délivrée lors du Baptême, mais là non plus pas vraiment comprise par les auditeurs. Cette signification sera aussi reprise dans la dernière manifestation publique au Temple avant la Passion (Jn 12, 27-28), et tout autant mal comprise ou carrément récusée. La quasi-impossibilité de nommer Jésus, de lui donner un nom, son Nom, résulte, au niveau du moins d’une analyse phénoménologique, d’un déficit du concept au moment même de la surabondance de l’intuition. Ainsi Hérode, qui se demande, au rapport de « ce qui arrivait avec lui » : « Qui est-il ? » (Lc 9, 7-9). Ainsi l’aveugle guéri à la piscine de Siloé, qui s’étonne de ce que les prêtres du Temple, auxquels il a fait constater selon la Loi sa guérison, le culpabilisent et ne sachent pas (en fait ne veulent pas) identifier son guérisseur : « Dans tout ceci, l’étonnant, c’est que vous, vous ne sachiez pas d’où cet homme vient (ouk oidate pothen estin) » (Jn 9, 30). Même après la Résurrection, la situation herméneutique reste la même ; car les disciples sur le chemin d’Emmaüs ne manquent pas d’intuition (« …s’approchant, Jésus en personne, marcha avec eux ») ; mais, parce qu’ils manquent de significations adéquates (celles, justement, que Jésus leur donne en commentant les Écritures pour les rapporter à lui et aux événements de Jérusalem), ils ne comprennent rien (anoētoi) et donc ne voient rien (bradeis tē kardia tou pisteuein, Lc 24, 25) ; ce ne sera qu’avec une ultime signification, le signe du pain eucharistique, qu’ils comprendront : le dé-couvrement n’intervient que quand la signification venue d’ailleurs permet que se montre en un phénomène complet l’intuition de ce qui se donnait déjà de lui-même. En fait, il en va de même pour Marie-Madeleine, qui « voit (theōrei) » certes Jésus, mais sans le reconnaître, du moins avant que ne lui survienne la signification adéquate, la voix même de Jésus qui la nomme, elle, et ainsi se fait reconnaître, lui : « Marie ! » (Jn 20, 14.16). Et aussi pour les disciples redevenus pêcheurs de poissons, qui, le voyant sur la rive du lac de Tibériade, « ne le reconnurent pas » (Jn 21, 4), sinon quand il leur donne, avec les poissons grillés, le signe de la signification manquante. Comme phénomène saturé, et par excellence parce que surgissant radicalement d’ailleurs, le dévoilement du Christ impose un excès d’intuition qui provoque le déficit en lui de la signification : son nom même devient soit l’index de l’absurdité du phénomène, soit la signification elle-même venue d’ailleurs, mais inconcevable, bien qu’entendue (« Celui-ci est mon Fils, écoutez-le ! », « Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé, en qui je me plais »). Ce nom ne peut s’entendre que comme une inconcevable absurdité ou comme le Nom lui-même. Aussi cette signification se définit-elle littéralement comme un signe qui contredit ce que nous considérons comme notre logique, le « signe de contradiction (sēmeion antilegomenon) » (Lc 2, 34-35), le logos qui, au nom du Logos, va contre le logos.



https://journals.openedition.org/rsr/4033
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeLun 07 Mar 2022, 13:34

Pour (le contexte de) la première citation, cf. supra 16.2.2022 (et éventuellement les liens).

La seconde complète utilement ce qui était accessible par le dernier lien indiqué supra 4.3.2022: c'est une révision d'une des Gifford Lectures dont Marion a tiré une bonne partie de son (dernier ?) livre, D'ailleurs, la Révélation (voir l'introduction de ce livre par le lien précité).

J'ai essayé dans mon post précédent d'expliquer ce qui me paraissait problématique dans la démarche de Marion, notamment quant à la distinction (conceptuelle) du "don" et de la "révélation". Le concept (central pour lui) de "phénomène saturé" en offre un autre exemple, voire l'exemple exemplaire, justement parce que c'est un concept (particulier et général par définition) auquel il faudrait soumettre la singularité absolue de la "révélation" (sans ou avec majuscule, Révélation chrétienne, biblique, ou n'importe quelle "révélation" singulière) pour en rendre compte rationnellement, logiquement, selon les catégories du logos ordinaire -- fût-ce pour conclure que celui-ci ne peut pas en rendre compte (soit un tour de passe-passe para-logique, mais il y a du tour de passe-passe et du ou de la paralogique dans toute "logique", Hegel l'aura montré mieux que tout autre).

La (métonymie de la) "transfiguration" me semble se distinguer de (celle de) la "révélation" (en excès sur celle-ci et/ou comme un "genre" particulier de celle-ci) par un autre aspect: dans la "transfiguration", c'est précisément un "connu" et un "compris" d'une certaine manière ("Jésus" dans le récit évangélique) qui se révèle ou se montre d'une autre manière. Pour reprendre la terminologie de Marion, ce n'est pas simplement (?) un "phénomène saturé", c'est la "saturation" d'un "phénomène" qui a priori ne l'était pas -- processus qui passe notamment par la question ("qui est-il, celui-là ?") comme pressentiment de l'insuffisance du concept ou de la compréhension préalables, que la "transfiguration" (ou la résurrection, les apparitions etc.) vien(nen)t combler alors même que toute réponse directe à la question serait restée inadéquate. C'est en tout cas ainsi que ça me paraît fonctionner dans les évangiles.

Par ailleurs, on ne saurait trop insister sur le rapport (complexe, paradoxal, aporétique) de la "logique" du "don" à celle de l'"abandon" (cf. p. ex. § 4 du dernier article) dont nous parlions encore récemment (cf. aussi ici et là, où il est également question de transfiguration).
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeLun 07 Mar 2022, 14:01

Citation :
Cette maxime (ou sentence) qui revient assez fréquemment, sous diverses formes, dans le NT, s'entend d'au moins deux façons, diamétralement opposées -- comme une promesse rassurante ou comme une menace, inquiétante -- selon qu'on suppose la chose cachée bonne ou mauvaise, et sa révélation désirable ou redoutable. La différence entre ces deux perceptions contraires de la même "idée" semble d'ailleurs servir de critère de jugement, voire tenir lieu de jugement, dans l'Evangile selon Jean (3,19ss):
Or voici le jugement: la lumière est venue dans le monde, et les humains ont aimé les ténèbres plus que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Car quiconque pratique le mal déteste la lumière; celui-là ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dévoilées; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu'il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en Dieu.
Cela pourrait, par une mise en abyme, déboucher sur une inquiétude herméneutique vertigineuse à l'endroit de cette maxime: par la façon même dont on l'entendrait spontanément, en "bonne" ou en "mauvaise" part, en l'absence d'un contexte susceptible d'incliner son interprétation dans un sens ou dans l'autre, on se jugerait soi-même; ou du moins on se dévoilerait.

"Car la parole de Dieu est vivante, agissante, plus acérée qu'aucune épée à deux tranchants ; elle pénètre jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit, des jointures et des moelles ; elle est juge des sentiments et des pensées du cœur. Il n'est pas de création qui échappe à son regard : tout est mis à nu et offert aux yeux de celui à qui nous devons rendre compte" (Hé 4,12-13). 


A la différence d'Hé 4 ; celui qui fait le choix de ne pas venir à la lumière peut cacher ses "œuvres" qui peuvent rester hors de porter du regard de Dieu. 


Un extrait sur le terme "ténèbres" :


“Skotia” et “skotos” (ténèbres)


À côté des huit fois pour l’utilisation du terme “skotia”, le mot “skotos” n’apparaît qu’une seule fois en 3,19 pour désigner les ténèbres. Y a-t-il une nuance de sens entre “skotia” et “skotos”, parce que ces deux termes désignent “les ténèbres”? Dans le contexte de l’Évangile de Jean, nous pouvons ainsi relever la nuance entre “skotia” et “skotos”:

(1) Le terme “skotia” exprime les ténèbres dont on veut s’en sortir. “Skotia” employé en 8,12; 12,35; 12,46 se trouve dans les expressions: “ne pas marcher dans les ténèbres” (8,12; 12,35), “ne pas demeurer dans les ténèbres” (12,46). Ainsi, la venue de la lumière qui est Jésus libère l’homme qui était sous l’emprise des ténèbres. Jésus invite tout le monde à le suivre pour “avoir la lumière de la vie”. Il déclare en 8,12: “Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie.”

(2) En revanche, “skotos” en 3,19 a une autre nuance: Ce sont les ténèbres que l’on aime. Jésus dit en 3,19-20: “19 Et tel est le jugement: La lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises. 20 Quiconque, en effet, commet le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient démontrées coupables.”  Shocked Pour “les hommes” en 3,19, il s’agit d’aimer les ténèbres (skotos). En 3,19-20, il existe un double contraste: “Aimer – haïr” et “lumière – ténèbres”, figuré dans les expressions: “aimer les ténèbres”  (3,19) et “haïr la lumière” (3,20). Ces versets visent les gens qui, non seulement, refusent de croire en Jésus, mais de plus cherchent à le faire périr. Non seulement, ils ne veulent pas sortir des ténèbres, mais de plus ils les aiment (3,19). Non seulement ils ne veulent pas venir à la lumière, mais de plus ils haïssent la lumière (3,20), haïssent Jésus, son Père et ses disciples (15,18-25).

De cette façon, les ténèbres exprimées par le terme “skotos” peuvent avoir un sens plus élargi, elles lient l’homme à une puissance plus forte: Le diable (6,70; 8,44; 13,2), Satan (13,27), le Prince de ce monde (12,31; 14,30; 16,11), le Mauvais (17,15). Ainsi “aimer les ténèbres (skotos)” renvoie au refus de croire par excellence et constitue un auto-jugement de condamnation. Jésus déclare en 3,18: “Qui croit en lui [le Fils de Dieu] n’est pas jugé; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au Nom du Fils unique de Dieu.” Cet amour pour les ténèbres (3,19) annonce le conflit entre Jésus et ses adversaires. Ces derniers défendent ardemment leur point de vue par tous les moyens, voire en cherchant à faire périr Jésus. Cela manifeste leur amour pour les ténèbres. Cet amour dévoile leur appartenance aux pouvoirs des ténèbres, au diable (8,44). Selon l’Évangile de Jean, “aimer les ténèbres (skotos)” implique l’hostilité et la persécution qui seront présentées dans la suite du récit de l’Évangile.

http://leminhthongtinmunggioan.blogspot.com/2014/01/lumiere-et-tenebres-dans-levangile-de.html
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeLun 07 Mar 2022, 15:22

free a écrit:
A la différence d'Hé 4 ; celui qui fait le choix de ne pas venir à la lumière peut cacher ses "œuvres" qui peuvent rester hors de porter du regard de Dieu.

Dans la même veine on aurait pu penser aussi, entre autres, au psaume 139.

Stricto sensu, Jean 3,19ss ne dit pas que ce(lui) qui préfère les ténèbres ne sera pas vu: c'est son intention, sa raison ou sa motivation pour fuir la lumière, hina mè =  "pour/afin que... ne pas" = "de peur que" + subjonctif en français comme en grec; mais rien n'indique que cette intention réussisse, que l'objectif visé soit atteint (et qu'on puisse passer grammaticalement du subjonctif à l'indicatif futur, il/cela ne sera pas vu, condamné, exposé, censuré, etc.: le verbe elegkhô qui a l'air de t'intriguer par la traduction "déclarer coupable" a toute cette gamme de sens, comme dans "convaincre qqn de péché", 8,46; 16,8; cf., dans le post initial, Ephésiens 5 où il est rendu par "dénoncer").

Toutefois on peut aussi rapporter cet énoncé à l'idée générale du dieu tout-lumière (Prologue, 1 Jean, mais aussi Jacques p. ex.), sans relation aucune avec "les ténèbres". C'est un "dualisme" si l'on veut, qui remonterait au zoroastrisme perse avant même la "philosophie" grecque, en ce sens que "lumière" et "ténèbres" s'affronteraient sans jamais se rencontrer ni surtout s'interpénétrer, composer ou transiger entre elles. Mais du point de vue strictement théo-logique c'est aussi bien un "monisme" absolu, en ce sens que "Dieu" est et reste absolument simple, lumière et rien d'autre.

L'article (de blog) que tu cites commet une erreur élémentaire, malheureusement banale, qui consiste à confondre les textes et le lexique, en réinscrivant dans la définition des mots le sens des phrases qui les emploient, et ce sens artificiel à nouveau dans d'autres phrases (ça tourne en rond et ça peut durer longtemps, en générant toute sorte d'aberration sémantique). Erreur particulièrement lourde en ce qui concerne les textes johanniques, qui se caractérisent par un vocabulaire extrêmement simple, aux antipodes de toute "technicité", où les "synonymes" (p. ex. agapaô et phileô pour "aimer") sont aussi synonymes et interchangeables que possible. On va chercher midi à quatorze heures quand on veut nuancer, distinguer, voire opposer des mots alors que toute la profondeur johannique est produite par un jeu et un effet de texte, de phrases, de répétitions et de variations, où des vocables aussi différents que dieu, amour, lumière, vie, esprit-souffle, eau, ne cessent de se substituer les uns aux autres ("danse des signifiants" que nous avons montrée maintes fois dans les différents fils consacrés aux textes johanniques). Du reste skotos revient aussi en 1 Jean 1,6, dans un sens indiscernable de skotia au v. 5, et la formule de 1 Jean 1,6, "marcher dans les ténèbres  (skotos)" se construit indifférement avec skotia en Jean 8,12; 12,35. (Soit dit en passant, le doublet skotos / skotia et l'ensemble de sa famille lexicale (skotizô etc.) semblent apparentés aux mots pour "ombre", skia, ou "tente", skènè, ce qui n'est pas sans intérêt dans nos textes.)
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MessageSujet: Re: phénoménologiques, ou: du venir-au-jour   phénoménologiques, ou: du venir-au-jour Icon_minitimeMar 08 Mar 2022, 17:06

3. Silence, responsabilité, secret du secret.

Dans l'Ancien Testament, le récit du sacrifice d'Abraham (ou ligature d'Isaac) est le lieu où la question du secret est posée. Quand il répond à l'appel de Dieu, Abraham n'en parle à personne : ni ses proches, ni sa femme, ni son serviteur, ni son fils, personne. Il garde secret l'engagement qu'il a pris de donner la mort à ce à quoi il tient le plus : son fils, la promesse d'avenir qu'il porte. L'alliance implique le respect de ce lien absolument singulier, unique, qui le lie à Dieu. Avec cette épreuve d'un secret terrible, absolu, le secret du secret, son rapport à Dieu se détache de toute communauté. Sa prière est absolument idiomatique, intraduisible.

Avec le christianisme, le secret perd cette dimension de distance, de séparation (la sainteté). Un Dieu invisible, caché, voit les secrets du croyant et les évalue : "Ton père, qui voit dans le secret, te le rendra" (Evangile de Matthieu). Ainsi se constitue un lieu pour les secrets : s'il n'y en a plus pour Dieu, il y en a encore plus pour les sujets. Dans l'étrange économie du secret qui s'instaure, moins il y a de secret pour Dieu, plus il y en a dans l'intériorité subjective. C'est l'émergence du sujet dissocié, avec sa part inconnue, inconsciente. Au lieu du secret, ni objectivable ni commensurable, qui n'est là pour personne, s'institue la responsabilité au sens moderne. Son secret, c'est qu'elle refoule et incorpore des mystères plus anciens, un noyau d'irresponsabilité absolue, une possibilité d'hérésie sans laquelle la liberté du moi ou du sujet conscient n'aurait aucun sens. C'est ce mystère toujours retiré, caché, qui garde le dernier mot. S'il était reconnu comme tel, la responsabilité s'annulerait aussitôt. D'un côté, ce secret au-delà du secret, qui me regarde par la voix d'un autre et ouvre la dimension de la foi, est l'invisible absolu. Mais d'un autre côté, en tant que figure sacrée, il peut être présentifié par le culte (ou même virtualisé par les médias). C'est le Christ lumineux et sa présence réelle, l'Eucharistie (la communion).

https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-1201031254.html


Un autre texte me vient à l'esprit :

"Les péchés de certains sont d'emblée notoires et les précèdent dans le jugement ; chez d'autres, ils le deviennent ensuite. De même, les belles œuvres sont notoires : même celles qui ne le sont pas ne peuvent rester cachées" (1 Ti 5,24-25).
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