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 For the bad only

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Narkissos

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MessageSujet: For the bad only   For the bad only Icon_minitimeDim 05 Juil 2015, 22:55

Demandez, et l'on vous donnera; cherchez, et vous trouverez; frappez, et l'on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, et à qui frappe on ouvrira. Si son fils lui demande du pain, quel est parmi vous celui qui lui donnera une pierre ? Ou bien, s'il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent ? Si donc vous, tout en étant mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui le lui demandent !

Je repensais ce matin à ce passage hyper-connu du "Sermon sur la montagne" (Matthieu 7,7ss) pour cette petite incidente, "tout en étant mauvais" (ou: "vous qui êtes mauvais / méchants", ponèroi ontes), qui ne passe généralement pas tout à fait inaperçue -- et il y a de quoi, quand on y pense.

Elle semble en effet prendre à contrepied une règle quasi universelle de la rhétorique, savante ou intuitive, codifiée par les Anciens sous l'article de la captatio benevolentiae, qui consiste à flatter plus ou moins subtilement son auditoire ou ses destinataires (p. ex. "très excellent Théophile") pour les mettre de son côté plutôt que de se les mettre à dos. A l'autre bout de la communication, il est extrêmement rare qu'on reçoive un discours ou un texte -- même celui-là ! -- sans se placer à son égard dans la position d'un récepteur digne (moralement, intellectuellement, spirituellement, etc.). Les lecteurs de la Bible chrétienne, surtout en groupe, peuvent répéter tant et plus "nous sommes (tous) pécheurs", ils s'estiment presque toujours "du bon côté", c'est-à-dire du côté des "bons" et des "justes", même quand ils se disent "justifiés par la foi" ou la "grâce". D'où une petite gêne, vite évacuée, à ce "vous qui êtes mauvais", pourtant indispensable au fonctionnement de l'argument a fortiori (qal wahomer en rhétorique rabbinique): vous n'êtes pas bons et il vous arrive (contrairement aux arbres, v. 17ss; 12,33ss !) de donner du bon, quand ce sont vos enfants qui vous le demandent, combien plus votre Père qui est dans les cieux...

Il faudrait bien sûr replacer cela dans l'économie complexe du "bon" et du "mauvais" particulière à l'Evangile selon Matthieu. On y relèverait, p. ex.:
Aimez vos ennemis... pour devenir fils de votre Père qui est dans les cieux, car il fait lever son soleil sur les mauvais et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes (5,45)
Notre Père qui es aux cieux... délivre-nous du mauvais (6,13)
Pourquoi m'interroges-tu sur le bon ? Un seul est bon (19,16)
Ces esclaves sortirent donc sur les chemins et rassemblèrent tous ceux qu'ils trouvaient, mauvais et bons (22,10).
On se rappellera aussi, avec un lexique voisin, le privilège accordé aux "pécheurs" assimilés aux "malades" (9,10-13; 11,19) ou aux "brebis perdues" (18,10ss).

On n'est clairement pas ici dans un "au-delà" (ni dans un "en-deçà") du "bon" et du "mauvais"; mais tout se passe comme si, dans la référence absolue à un seul "bon" (et accessoirement à un seul "mauvais" = le diable), la distinction entre "bons" et "mauvais" s'estompait, ou du moins cessait d'être un critère opératoire (cf. aussi "ne jugez pas", 7,1; ne cherchez pas à séparer l'ivraie du bon grain, ce sont les anges qui, à la fin du monde, retireront les mauvais = les fils du mauvais du milieu des justes, 13,24ss; même chose avec le filet de pêche, v. 47ss). Et cela, il ne faudrait précisément pas se croire du côté des "bons" pour le voir d'un "bon œil" (cf. 6,22s; 20,15).

Dans la Bible -- dès le début de la Genèse, le serpent, la femme, l'homme, Caïn -- "Dieu" parle aussi aux "mauvais". Et ce qu'il leur dit, à eux, les "bons" ne sauraient l'entendre -- tout du moins l'entendre comme des "mauvais" l'entendent.
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MessageSujet: Re: For the bad only   For the bad only Icon_minitimeMer 28 Juil 2021, 13:40

Citation :
On n'est clairement pas ici dans un "au-delà" (ni dans un "en-deçà") du "bon" et du "mauvais"; mais tout se passe comme si, dans la référence absolue à un seul "bon" (et accessoirement à un seul "mauvais" = le diable), la distinction entre "bons" et "mauvais" s'estompait, ou du moins cessait d'être un critère opératoire (cf. aussi "ne jugez pas", 7,1; ne cherchez pas à séparer l'ivraie du bon grain, ce sont les anges qui, à la fin du monde, retireront les mauvais = les fils du mauvais du milieu des justes, 13,24ss; même chose avec le filet de pêche, v. 47ss). Et cela, il ne faudrait précisément pas se croire du côté des "bons" pour le voir d'un "bon œil" (cf. 6,22s; 20,15).


"Les esclaves du maître de maison vinrent lui dire : Seigneur, n'as-tu pas semé de la bonne semence dans ton champ ? D'où vient donc qu'il y ait de la mauvaise herbe ? Il leur répondit : C'est un ennemi qui a fait cela. Les esclaves lui dirent : Veux-tu que nous allions l'arracher ? Non, dit-il, de peur qu'en arrachant la mauvaise herbe, vous ne déraciniez le blé en même temps. Laissez croître ensemble l'un et l'autre jusqu'à la moisson ; au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Arrachez d'abord la mauvaise herbe et liez-la en gerbes pour la brûler, puis recueillez le blé dans ma grange" (Mt 13,27-30).

Cette parabole ne révèle-t-elle pas la présence active du mal, à laquelle est confrontée la communauté matthéenne et qui reflète la difficulté relationnelle qu'elle entretient avec le "monde" qui trouve son expression dans l'interrogation formulée par les serviteurs de la parabole :  Seigneur, n'as-tu pas semé de la bonne semence dans ton champ ? D'où vient donc qu'il y ait de la mauvaise herbe ? (13,27). L'instauration du royaume est-elle compatible avec la présence la mauvaise herbe dans le champ de blé ? Cette parabole est-elle révélatrice du désarroi de l'église de Mt devant la coexistence de bons et de mauvais en son propre sein ? 

Un autre point qui me semble ressortir des paraboles, les croyants ne peuvent pas se qualifier de "bons", de "justes", dès à présent, il faudra attendre le "temps de la moisson" ou "la fin du monde" pour pouvoir porter un jugement définitif, c'est un encouragement à persévérer dans les efforts pour devenir "parfaits" comme le Père. 


Je viens de découvrir ta réponse sur l'autre fil :

Pour revenir à Matthieu, on peut remarquer que le schème "rassemblement / séparation" ou "mélange / tri" n'est pas toujours utilisé de la même manière: dans certaines paraboles (la nôtre ou celles du chap. 13, blé-ivraie et filet-poissons; un peu différemment dans les expressions de mutilation des chap. 5 ou 18 ou pour les vierges sages ou sottes de 25,1ss), le "mélange" paraît situé au présent, avant la "fin du monde" (ou la "parousie"), et le "tri" seulement à la "fin du monde". D'où l'application ecclésiale possible, et même probable (l'Eglise et est reste un "mélange", impur, jusqu'à la fin qui seule fera le tri). En 25,31ss au contraire, le rassemblement (des "nations") et la séparation (des moutons et des chèvres) sont également situés "à la fin du monde" (ce qui correspond aussi à la "moisson" du chap. 13, avant laquelle il ne faut rien "séparer"). Tous ces déplacements et bien d'autres (effets de "bougé") contribuent à la complexité de l'ensemble, qui rend difficile la "synthèse" des énoncés matthéens (entre autres) en un scénario eschatologique cohérent (mais la difficulté n'arrête pas ceux qui veulent en tirer un tel scénario, bien entendu).
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MessageSujet: Re: For the bad only   For the bad only Icon_minitimeMer 28 Juil 2021, 14:18

(Pour ceux qui nous liraient, ou pour nous-mêmes -- mais serions-nous les mêmes ? -- si nous nous relisions plus tard, "l'autre fil" est celui-ci.)

Ce qui complique encore l'"effet de bougé", relativement au "bon" et au "mauvais", c'est que "Dieu" est tantôt dit "bon", et tantôt "parfait" (ou "accompli") précisément par son indifférence au(x) "bon(s)" et au(x) "mauvais" (emblématiquement 5,45ss). Autrement dit, le "bon" et le "mauvais" s'opposent tantôt symétriquement, sur le même plan pour ainsi dire, et tantôt asymétriquement, comme s'il y avait un "bon" total ou absolu, qui ne se confond pas avec le "bon" opposable au "mauvais", mais qui les englobe tous les deux (ce qu'on retrouverait aussi bien dans la Genèse ou chez Platon, ou encore dans le judaïsme rabbinique: je repense à cette interprétation de Deutéronome 6,4s qui, à la faveur du redoublement d'une lettre du mot pour "coeur", lb[b], expliquait qu'aimer le Dieu "un" de tout son coeur signifie l'aimer de son bon et de son mauvais "penchant", ce qui rappellera plusieurs discussions récentes, aussi celle-ci). Dans un sens, cette "perfection"-là est compatible avec une appréciation de soi comme "mauvais" (cf. supra 7,7ss), dans un autre elle rend infiniment paradoxales les expressions du "jugement dernier" comme séparation et tri (des bons et des mauvais, etc.).
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MessageSujet: Re: For the bad only   For the bad only Icon_minitimeMer 28 Juil 2021, 14:49

Citation :
(Pour ceux qui nous liraient, ou pour nous-mêmes -- mais serions-nous les mêmes ? -- si nous nous relisions plus tard, "l'autre fil" est celui-ci.)

Serait-il possible de fusionner ces fils d'une manière cohérente ?
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MessageSujet: Re: For the bad only   For the bad only Icon_minitimeMer 28 Juil 2021, 15:04

C'est possible, mais je doute que ce soit souhaitable, car s'ils ont quelques points de contact ils n'ont pas du tout le même "sujet". A partir de Matthieu 7,7ss et de quelques échos dans cet évangile j'entendais suggérer une réflexion très générale sur le point de vue (ou d'ouïe) du "mauvais" ou "méchant", sur ce qu'on entend de la "religion" ou de la "morale" quand on ne se situe pas d'office, par rapport à elles, "du bon côté". L'idée, saugrenue si l'on veut, m'était passée par la tête (et sous le clavier ailleurs): à quoi ressemblerait un catéchisme à l'usage des damnés ? Ton fil portait sur le texte de Matthieu 22,1-14, qui est assez riche et complexe en soi pour être commenté dans bien d'autres directions. Il me semble que dans ce cas il vaut mieux renvoyer de l'un à l'autre, quand on en éprouve le besoin, que de fusionner...

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MessageSujet: Re: For the bad only   For the bad only Icon_minitimeMer 28 Juil 2021, 15:29

Narkissos a écrit:
C'est possible, mais je doute que ce soit souhaitable, car s'ils ont quelques points de contact ils n'ont pas du tout le même "sujet". A partir de Matthieu 7,7ss et de quelques échos dans cet évangile j'entendais suggérer une réflexion très générale sur le point de vue (ou d'ouïe) du "mauvais" ou "méchant", sur ce qu'on entend de la "religion" ou de la "morale" quand on ne se situe pas d'office, par rapport à elles, "du bon côté". L'idée, saugrenue si l'on veut, m'était passée par la tête (et sous le clavier ailleurs): à quoi ressemblerait un catéchisme à l'usage des damnés ? Ton fil portait sur le texte de Matthieu 22,1-14, qui est assez riche et complexe en soi pour être commenté dans bien d'autres directions. Il me semble que dans ce cas il vaut mieux renvoyer de l'un à l'autre, quand on en éprouve le besoin, que de fusionner...


OK.


"Mais si quelqu'un devait causer la chute de l'un de ces petits qui mettent leur foi en moi, il serait avantageux pour lui qu'on lui suspende une meule de moulin au cou et qu'on le noie au fond de la mer. Quel malheur pour le monde ! Il y a tant de causes de chute ! Certes, il est nécessaire qu'il y ait des causes de chute, mais quel malheur pour l'homme par qui cela arrive !" (Mt 18,6-7)



Le "malheur", le "mauvais" semblent être inéluctablement liés à l'existence de la communauté des croyants dans le monde, c'est une nécessite imposée mais surtout incontournable. La malédiction atteint le croyant qui introduit dans la communauté le scandale en causant la chute de l'un de ses frères, en lui faisant perdre la foi ; la gravité de ce "malheur" est telle que la mutilation personnelle lui est préférable (18,8s). Ce texte nous renvoie à Mt 13,41 : "Le Fils de l'homme enverra ses anges, qui arracheront de son royaume toutes les causes de chute et ceux qui font le mal". 


Je me demande si l'image de la porte étroite (7,13-14) ne s’applique pas à un tri à l'intérieur de la communauté. 
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MessageSujet: Re: For the bad only   For the bad only Icon_minitimeMer 28 Juil 2021, 16:40

Ce qui est traduit ici par "quel malheur pour" (plus traditionnellement par "malheur à", ce qui suggère à tort une "malédiction") est en fait une interjection élégiaque, comme notre "hélas ! (pour X)..." J'allais ajouter "typiquement méditerranéenne", mais c'est encore bien plus étendu que ça: h/'oy en hébreu, ouaï en grec, vae en latin, ay en espagnol, weh en allemand, vaï en arménien, ça se ressemble étrangement d'une langue et d'une famille de langues à l'autre... Une lamentation donc, ou une (com)plainte sur soi-même, sur quelqu'un ou quelque chose, non un souhait ou une invocation de malheur. Sans rapport étymologique par ailleurs avec ce qui désigne ou qualifie habituellement le mal, le mauvais, le méchant (r`, rš` en hébreu, kakos ou ponèros en grec), bien que naturellement tout cela se retrouve dans le vaste champ lexical du mal(heur).

Le "scandale", skandalon = "pierre d'achoppement" ou "cause de chute", ce qui fait trébucher et/ou tomber, etc., est plutôt mieux connu des lecteurs de la Bible, nous l'avons sans doute évoqué ailleurs mais sans forcément nous y arrêter... Il traduit plusieurs termes hébreux distincts dans la Septante (Lévitique 19,14; Josué 23,13; Juges 2,3; 8,27; 1 Rois 18,21 etc.), et à partir de là il forme en quelque sorte un "nouveau concept" dans la littérature judéo-hellénistique au sens très large (NT compris), avec le developpement d'un verbe spécifique (skandalizô).

Il suffit de lire la suite de Matthieu 7,13(s) pour voir que ce sont bien des "chrétiens", et plutôt du type "paulinien", qui sont visés (v. 21ss, formellement opposé à la confession de Jésus [comme] "Seigneur" qui sauve, selon Romains 10).

On peut remarquer dans le détail la variation des images: en 13,41, les anges, à la "fin du monde", arrachent l'ivraie / les "scandales" du "royaume": le "mal" était donc dans le "royaume", comme l'ivraie dans le champ avant la moisson, ce qui tend à rapprocher "royaume" et "Eglise" (pour une lecture chrétienne du moins, car en soi la parabole pourrait aussi bien se référer à Israël ou au monde...); dans les expressions de mutilation ou d'amputation (chap. 5 ou 18), au contraire, le "tri", si l'on peut dire, doit être fait avant le jugement, lequel ne fera aucun "tri" (c'est le corps tout entier qui passe dans la géhenne, si le membre, la partie ou l'organe incriminé n'est pas arraché ou coupé avant). Cela irait plutôt dans le sens une vision différenciée du jugement (perspective collective dans le premier cas, individuelle dans le second): ne pas juger les autres, car Dieu s'en chargera; se juger soi-même, sinon Dieu s'en chargera, c'est à la fois semblable et très différent...
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MessageSujet: Re: For the bad only   For the bad only Icon_minitimeDim 12 Sep 2021, 15:43

Petite observation supplémentaire à propos du "scandale" évoqué dans les deux posts précédents ("scandale" dont le "sens biblique" n'a évidemment pas grand-chose à voir avec son usage en français moderne, bien que celui-ci dérive de celui-là): il est remarquable que les évangiles, qui multiplient les avertissements et les menaces dissuasives contre ce "scandale" qu'il faudrait éviter à tout prix, fût-ce au prix d'une mutilation ou d'une amputation (réelle ou symbolique), caractérisent en même temps "Jésus" comme cause, sujet ou objet de "scandale". C'est déjà le cas chez Marc (comparer 9,42ss avec 6,3; 14,27ss), ça l'est davantage encore chez Matthieu (comparer 5,29s; 13,41; 17,27; 18,6ss avec 11,6; 13,57; 15,12; 26,31ss); la contradiction s'atténue en revanche chez Luc (comparer 17,1s avec 7,23), et disparaît tout à fait chez Jean (cf. 6,61; 16,1). On peut la rapprocher, dans Matthieu, d'autres contradictions formelles (p. ex. Jésus qui s'auto-condamne, si l'on compare 5,22 et 23,17ss); mais aussi, plus généralement et au plus près de notre thème, du refus apparent, et énigmatique, du qualificatif "bon" (Marc 10,18 // Luc 18,19, détourné néanmoins par la rédaction de Matthieu, 19,16ss). Cependant cette contradiction était déjà au coeur du paulinisme (comparer 1 Corinthiens 1,23; Romains 9,33; Galates 6,15 avec 1 Corinthiens 8,13; 2 Corinthiens 11,29; Romains 11,9; 14,13.21; 16,17).
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MessageSujet: Re: For the bad only   For the bad only Icon_minitimeJeu 16 Sep 2021, 10:19

Dans un registre plus complexe, au sens figuré, le verbe skandalizô, « scandaliser », peut signifier « choquer », comme dans ce passage de Matthieu qui évoque les réactions de surprise de l’entourage de Jésus lors de ses premières interventions : « D’où lui vient tout cela ? Et ils étaient choqués à son sujet. » Mais Jésus leur dit : « Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie et dans sa maison. » (Mt 13, 57, trad. Bible de Jérusalem). Mais il est intéressant de comparer ici quelques traductions du même passage : « Et il était pour eux une occasion de chute » (TOB) ; « Et ils se scandalisaient à son sujet » (Osty) ; « Et ils étaient scandalisés en lui » (Darby) ; « Et cela les empêchait de croire en lui » (Bible en français courant) ; « Ils trébuchent sur lui » (Chouraqui).

Le sens du mot est donc loin d’être évident : certains traducteurs préfèrent insister sur l’aspect psychologique de surprise (comment peut-on trouver dans un environnement aussi familier un prédicateur aussi déconcertant ?), d’autres plutôt sur la difficulté à admettre ce nouveau message, si différent de l’enseignement traditionnel qu’il peut sembler blasphématoire ou absurde. Saint Paul ne dira-t-il pas d’ailleurs : « Nous proclamons un Christ crucifié, scandale pour les juifs, et folie pour les païens » (1 Cor 1, 23) ? La prétention messianique du Christ ne peut rencontrer que le rejet ou la réprobation.

Dans la même ligne, on peut ici rapprocher ce passage de Matthieu où, à la question de Jean le Baptiste : « Es-tu Celui qui doit venir ? », Jésus répond en évoquant ses miracles et en concluant : « Heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi » (Mt 11, 6, trad. B. J.). Mais Osty traduit : « Heureux celui qui ne se scandalisera pas à mon sujet », avec cette note : « C’est à dire qui ne sera pas heurté, jusqu’à en trébucher, par le caractère ambigu et déconcertant de la personne et de l’œuvre du Christ. »

En somme, les traducteurs hésitent entre deux solutions : soit traduire le mot grec en le décalquant, soit en l’interprétant de façon plus ou moins concrète. Certains préfèrent considérer le mot grec skandalon et ses dérivés comme ayant toujours une acception morale ou théologique, même si l’on conserve les images de « pierre d’achoppement », d’« occasion de trébucher, de buter, de broncher », etc. La plupart du temps il s’agit, dans l’Ancien Testament, du chemin vers le bien ou le mal, et surtout de l’observation de la Loi : « Celui qui scrute la Loi en est rassasié, mais pour l’hypocrite elle est un scandale » (Siracide 32, 15, trad. Bible de Jérusalem). Osty préfère : « Qui cherche la Loi en est rassasié, mais qui triche y trouve sa chute ». La traduction en français courant utilise une autre image, plus proche peut-être de l’original hébreu, perdu aujourd’hui et conservé seulement dans sa traduction grecque, où il y avait le mot moqesh : « Celui qui étudie sa Loi y trouvera plus que le nécessaire, mais celui qui triche avec elle, se fera prendre au piège. » Le Siracide, Ben Sira en hébreu, qui a été longtemps pour nous, dans les bibles traditionnelles, l’Ecclésiastique, et qui, dans son Prologue, explique son projet de traduire le livre de son grand-père, intitulé Sagesse de Jésus (iie siècle av. J.-C.), demande au lecteur son indulgence, « là où, malgré nos efforts d’interprétation, nous semblerions n’avoir pu rendre certaines expressions. Car ce qui est exprimé en hébreu n’a pas la même force, une fois traduit dans une autre langue. Cela ne vaut pas seulement pour ce livre : la Loi elle-même, les Prophètes et les autres livres présentent des différences notables quand on les lit dans l’original » (Sir, Prologue, 19-26, trad. Osty). Que dire alors de nos traductions de traductions !

Dans un autre passage, combien dramatique, du Nouveau Testament, est utilisé dans certains textes français le verbe « succomber » pour traduire le verbe skandalizô au passif ; ce passage transmet ces paroles de Jésus, après l’institution de l’Eucharistie et avant d’aller avec ses disciples au jardin de Gethsémani : « Alors Jésus leur dit : “Vous tous, vous allez succomber à cause de moi, cette nuit même. Il est écrit en effet : Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées” (Mt 26, 31 ; trad. B.J., avec cette note : « Scandale religieux de voir succomber sans résistance celui qu’ils tiennent pour le Messie, et dont ils attendent le triomphe prochain). Les disciples y perdront pour un moment leur courage et même leur foi ». Osty préfère traduire mot à mot : « Vous vous scandaliserez à mon sujet ». La Bible en français courant interprète carrément : « Vous allez m’abandonner ». Le texte grec dit simplement « Vous serez scandalisés ». On le voit, l’interprétation précise de ces paroles est difficile pour nous, peut-être parce que nous ne sommes plus familiers du contexte où les Évangiles ont été écrits.

https://www.cairn.info/revue-sigila-2014-1-page-13.htm
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MessageSujet: Re: For the bad only   For the bad only Icon_minitimeJeu 16 Sep 2021, 12:07

Tour d'horizon assez superficiel (comme c'est habituellement le cas de ce genre d'exercice), mais utile: s'il n'ajoute pas grand-chose à ce qui a été dit dans les deux posts précédents, il le dit sans doute plus clairement.

Face à ce cas exemplaire de terme quasi "technique" d'un "jargon" judéo- puis christiano-hellénistique, il paraît exclu (tout au moins selon l'idée que je me fais de la traduction) aussi bien de varier à l'infini les "équivalences" (ce qui rend impossible toute reconnaissance d'un terme pourtant caractéristique, et par là même des différences et des contradictions éventuelles de ses emplois), que de se contenter de le transcrire selon l'étymologie (à cause des faux sens ou des contresens qui résultent de l'usage moderne de "scandale", "scandaleux", "scandaliser" etc.): on n'a guère d'autre choix que de conserver l'unité lexicale autour d'une image ou métaphore "concrète" et dominante (tomber, chuter, achopper, trébucher), qui fonctionne plus ou moins bien selon les contextes (il n'est pas dit qu'un lecteur hellénophone pense à une "chute" chaque fois qu'il lit ou entend skandalon etc., mais il pense encore moins à ce que nous appelons un "scandale"; en revanche il entend bien la même "chose" dans tous les cas), mais qui permet de re(con)stituer un jeu d'intertextualité analogue à celui de l'"original" (c.-à-d. de comparer en français ce qui est effectivement comparable en grec d'un texte à l'autre).

Plus généralement, bien sûr, on retrouve là le jeu d'oppositions, et de renversement perpétuel des oppositions, qui caractérise la quasi-totalité des christianismes du NT, du paulinisme aux évangiles: c'est la folie-sottise qui est sage, la faiblesse qui est puissante, la mort qui est vie, le pécheur qui est justifié, la malédiction qui bénit, la perdition qui sauve, le dernier qui est premier, et ainsi de suite, suivant une "logique" plus paradoxale ou aporétique que dialectique (tout au moins aux sens platonicien ou hégélien du terme), et qui implique le "Sauveur" (perdu-sauvé, perdu-sauvant, perdant-sauvant, et en plus d'un sens de "perdant") autant que les adeptes, disciples ou élus (perdus-sauvés, perdant-sauvant, etc.).
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